(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850
(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)
(page 849) M. A. Vandenpeereboom procède à l'ppel nominal à deux heures et quart.
La séance est ouverte.
M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Quelques distillateurs à Gand demandent que les distillateurs payant par anticipation reçoivent la bonification d'intérêt de 2 p. c. sur les sommes dont ils mettent le gouvernement en possession.
M. Moxhon. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée de l'examen de la proposition de loi faite par M. Pierre.
M. Van Grootven. - Je demande préalablement le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Guinez, capitaine commandant de cavalerie en non-activité prie la chambre de décider si la mise en non-activité par suite de suppression d'emploi fait cesser tous les avantages attachés à la position d'activité. »
- Même renvoi.
« Le bourgmestre de la commune de Waereghem présente des observations en faveur du projet de loi de crédits supplémentaires au département de la justice. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Plusieurs habitants de la commune d'Oygem présentent des observations contre le projet de loi de crédits supplémentaires au département de la justice.»
« Mêmes observations de plusieurs habitants de Menin. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Plusieurs habitants de Leupeghem demandent une réduction de droit sur les canaux de Mons à Condé et de Pommerœul à Antoing, et la liberté de passer par l'Escaut français pour se rendre en Belgique, sans acquitter les droits du canal de Pommerœul à Antoing. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame Reding, veuve du sieur Leclerq, réclame l'intervention de la chambre pour qu'il soit donné suite à sa plainte à la charge d'un huissier du canton de Paliseul. »
- Même renvoi.
M. de Man d'Attenrode demande un congé d'un jour, pour cause d'indisposition.
- Le congé est accordé.
La discussion est ouverte sur l'article 14 ainsi conçu :
« Art. 14. Les billets seront payables à vue aux bureaux de la banque à Bruxelles. Le gouvernement est autorisé à les admettre en payement dans les caisses de l'Etat. »
M. le président. - M. de Perceval a présenté à cet article l'amendement suivant :
« Art. 14. Les billets émis par la Banque Nationale auront cours forcé dans toute l'étendue du territoire.
« La convertibilité sera facultative à tous les comptoirs de la banque dans les provinces.
« Le gouvernement est autorisé à les admettre en payement dans les caisses de l'Etat. »
M. de Perceval. - Messieurs, dans la séance de mercredi dernier, j'ai eu l'honneur de vous proposer une nouvelle rédaction à l'article 14, pour admettre le cours forcé dans toute l'étendue du territoire et substituer la convertibilité facultative à tous les comptoirs de la banque dans les provinces, à la convertibilité obligatoire au seul comptoir de Bruxelles.
J'ai déjà développé les motifs qui me paraissent justifier cette rédaction; permettez-moi cependant de vous présenter quelques courtes observations en réponse aux objections qui m'ont été faites quant au principe qui s'y trouve déposé.
Lors de la discussion générale, j'ai signalé une distinction essentielle, fondamentale, qu'il était nécessaire d'établir entre une banque de crédit et de circulation, entièrement libre en tout temps, vis-à-vis des exigences du trésor public, du commerce et de l'industrie, et entre une banque de crédit et de circulation destinée, en temps de crise, à venir, par un travail extraordinaire, au secours des intérêts plus ou moins compromis de l'Etat, du négociant et du producteur.
Je crois avoir démontré que si la première de ces banques, que j'appellerai une «Banque de commerce intérieur», pouvait toujours, en ne prêtant qu'à court terme, satisfaire à la convertibilité à vue de ses billets de confiance, en n'était néanmoins qu'en cessant alors en grande partie ses escomptes, ses opérations de prêt, par l'application au payement de ses billets, des sommes provenant de la rentrée journalière des valeurs échues de son portefeuille ; qu'ainsi, une semblable banque publique, loin de pouvoir secourir, protéger efficacement ses nombreux clients, dans les moments difficiles, aux époques de grande crise, était obligée de retirer jusqu'au crédit qu'elle leur accordait auparavant.
Telle est, en effet, la conséquence inévitable de la convertibilité à vue des billets au porteur dans les moments de crise.
Aucun de mes honorables contradicteurs n'a contesté et n'aurait pu contester sérieusement les considérations dont j'ai appuyé ma nouvelle rédaction pour l'art. 14, lors de la discussion générale.
Les citations contenues dans l'exposé des motifs du projet de loi en discussion, tendant à prouver qu'une banque publique de crédit et de circulation, qui a soin de conserver en numéraire dans ses caves le tiers du capital des émissions, peut sans inconvénient étendre ses opérations à court terme, sans devoir jamais suspendre ses payements, toutes ces citations, dis-je, s'appliquent non à une banque du genre de celle que le gouvernement nous propose de fonder, mais bien à un établissement financier entièrement dégagé de toute espèce de solidarité avec les intérêts de l'Etat, du commerce et de l'industrie.
Si c'est un semblable résultat que vous voulez atteindre, si c'est une pareille banque publique que vous voulez fonder, alors faites ôter de l'exposé des motifs du projet de loi « que la Banque Nationale doit être organisée de manière à venir au secours du pays dans les moments difficiles, atténuer les effets des crises, en escomptant à des taux raisonnables quand les capitaux deviennent rares; que loin d'être une cause d'embarras, elle doit contribuer à diminuer l'intensité des crises. »
Effacez de l'article 8 que la Banque Nationale pourra prêter sur dépôt de bons du trésor, car je pense avoir établi que c'est précisément en temps de crise que le gouvernement usera le plus du bénéfice de cette disposition.
Défendez de même à la banque de prêter sur dépôt de fonds publics nationaux, et, enfin, rejetez l'article 10 du projet de loi qui autorise la banque d'acquérir des fonds publics belges, car c'est sous l'élasticité de cette disposition que la Banque Nationale sera admise, je n'en doute pas, à participer largement aux emprunts à contracter par l'Etat.
En temps de crise, une banque d'escompte et de circulation, tenue à la convertibilité en numéraire de ses billets de confiance, est obligée de dire à ses clients habituels et extraordinaires :
« Je sais que votre position est des plus difficiles, que vous avez momentanément besoin de crédit plus que jamais, mais l'application que je dois faire des valeurs échues de mon portefeuille au payement en numéraire de mes propres billets, actuellement peu voulus, loin de me permettre de vous venir efficacement en aide, m'oblige, malgré moi, jusqu'à vous retirer les services que je vous rendais dans les temps ordinaires. Je le déplore, commerçants et producteurs ; mais, vous connaissez le proverbe qu'en ce monde, lorsque le danger presse, c'est, dit-on, chacun pour soi el Dieu pour tous, d'où vous comprenez que je dois donner à mes intérêts et à mes propres besoins la préférence sur les vôtres. »
En fait, n'est-ce pas ce langage, messieurs, que tiennent, pendant une crise sérieuse, au commerce et à l'industrie, les banques tenues à l'échange de leurs billets contre du numéraire?
Une banque publique, fondée sur cette base, peut, à mon avis, se définir de la manière suivante :
Un établissement qui cesse la plupart de ses opérations d'escompte et de prêt au moment d'une forte crise, pour appliquer au remboursement de ses billets le numéraire provenant de la réalisation des opérations d'escompte et de prêt qu'il a faits dans les temps ordinaires.
Est-ce, oui ou non, une banque de ce genre, un pareil établissement de crédit que vous voulez fonder?
Oui; alors maintenez dans la loi la convertibilité obligatoire.
Non ; remplacez-la, pour les raisons que j'ai eu l'honneur de vous exposer à ce sujet dans la discussion générale, par la convertibilité facultative.
Du reste, dans le système du projet de loi, la convertibilité obligatoire, réduite au seul comptoir de Bruxelles, constitue en réalité partout ailleurs dans les autres localités, le système du cours forcé.
L'étude que j'ai faite du projet de loi et de l'exposé des motifs m'a donné cette conviction, que la Banque que nous allons créer est surtout une banque qui, au moment d'une forte crise, doit pouvoir augmenter considérablement ses opérations d'escompte et de prêt, jusqu'au retour de la confiance publique, par la cessation des circonstances difficiles. Mon approbation sans réserve est acquise à cette idée. Mais, imposer la convertibilité obligatoire à cette Banque Nationale, c'est vouloir, dans mon opinion, marchera un but par un chemin qui vous mettra dans l'impossibilité de l'atteindre .
Obliger l'établissement national de crédit que vous voulez fonder, à la convertibilité obligatoire n'est-ce pas pratiquer sciemment à l'un des navires qui portent les destinées du pays, la voie d'eau qui doit sans cesse paralyser sa marche, et voie d'eau qui le fera sombrer pendant les temps d'orages?
La nouvelle disposition que je propose, messieurs, pour l'article 14, et que je prends la confiance de soumettre à votre judicieuse appréciation, vous fera échapper, selon moi, à ce grand danger.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit, dans la discussion générale, les motifs qui s'opposent à ce que je puisse appuyer l'amendement de l'honorable membre.
Le projet de loi a pour objet de rétablir la convertibilité des billets. Le gouvernement considère comme une chose utile et essentielle au pays de vendre aux billets leur caractère de billets do confiance. L'honorable membre veut le cours forcé. Je ne pense pas que cette opinion ait quelque chance de succès dans la chambre. Je ne m'y arrêterai pas.
La banque, telle qu'elle est fondée, n'a nullement besoin du cours forcé. En quoi consisteront ses opérations? Faisons abstraction de quelques prêts limités sur fonds publics, de quelques objets secondaires, très restreints de ce genre; son objet principal sera de recevoir du papier couvert de bonnes signatures, présentant toutes les garanties suffisantes, à une échéance qui n'excédera pas 90 jours et à donner en échange son papier payable à vue. Il y aura donc parfaite sécurité pour les porteurs de son papier, aussi longtemps que la banque se bornera aux opérations indiquées dans le projet de loi. Il est évident que le papier qu'elle émettra sera toujours représentée et par des valeurs facilement réalisables et par les lingots qu'elle pourra avoir dans sa caisse.
Ainsi le cours forcé lui serait inutile, il lui serait nuisible; il serait d'ailleurs dangereux pour le pays.
- La discussion est close.
L'amendement de M. de Perceval est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article est adopté.
« Art. 15. Pour faciliter les virements de fonds, la banque peut créer des mandats, à quelques jours de vue, dans la proportion à régler par les statuts. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je propose de supprimer les derniers mots : «dans la proportion à régler par les statuts». Ces mots sont complètement inutiles, Il suffit que les mandats soient à quelques jours de vue.
- L'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 16. La banque peut être autorisée par le gouvernement à acquérir des fonds publics.
« La réserve énoncée à l'article 6 recevra cette destination. »
M. le président. - Trois amendements à cet article ont été présentés.
L'un, de M. Sinave, est ainsi conçu :
« La banque peut être autorisée par le gouvernement à acquérir des bons du trésor et des fonds publics, avec la réserve énoncée à l'article 6. »
La parole est à M. Sinave pour développer son amendement.
M. Sinave. - J'ai développé mon amendement. Je n'ai rien à ajouter.
- L'amendement de M. Sinave est appuyé.
M. le président. - Le second amendement, présenté par M. Cans, est ainsi conçu :
« La Banque ne peut acquérir des fonds publics que sous la réserve énoncée à l'article 6.
« Chaque opération devra être autorisée par le gouvernement. »
La parole est à M. Cans pour développer son amendement.
M. Cans. - Messieurs, j'ai développé mon amendement dans la discussion générale. Je ne reviendrai pas sur ce sujet, parce qu'il a été traité d'une manière très étendue encore à propos de l'article 8, quand il a été question de prêts à faire par la Banque sur dépôt de fonds publics. Je n'allais pas aussi loin que l'honorable M. de Brouckere. Je n'aurais pas voulu interdire à la Banque la faculté de faire des prêts sur fonds publics; mais les arguments qui ont été employés dans cette discussion et qui tendent à prouver que la Banque aurait tort d'immobiliser ses fonds, sont parfaitement applicables à mon amendement. C'est dans ce sens que je l'ai présenté ; c'est pour empêcher la Banque d'immobiliser des fonds en achetant des fonds publics qu'elle devrait peut-être revendre avec une perte considérable, si des circonstances survenaient de nature à les faire baisser.
- L'amendement de M. Cans est appuyé.
M. le président. - Le troisième amendement présenté par M. De Pouhon, est ainsi conçu :
«Art. 16, § 1er. Ajouter :
« Sans qu'elle puisse en posséder en propriété pour une somme dépassant le montant versé du capital social.
« Aucune acquisition de fonds publics ne pourra être faite qu'en vertu de l'autorisation donnée par le ministre des finances, sur la demande de l'administration, approuvée par le comité de censeurs de la banque. »
La parole est à M. De Pouhon pour développer son amendement.
M. De Pouhon. - C'est encore une modification restrictive que je vous propose, messieurs.
L'article 16 confère au gouvernement le droit d'autoriser la Banque Nationale à acquérir des fonds publics. Cette faculté est sans limites dans le projet, je crois qu'il est nécessaire d'en fixer une.
En thèse générale, une banque dont les attributions consistent dans l'escompte, peut opérer avec les moyens que lui procure sa circulation de billets. Il ne serait pas nécessaire qu'elle eût un capital, s'il ne devait servir de garantie aux tiers contre toutes perles qu'elle pourrait essuyer. Aussi est-il admis généralement qu'une banque peut employer son capital social en achats de fonds de l'Etat.
Notre banque devra s'interdire ces acquisitions comme placements permanents, peut-être toujours, mais surtout aussi longtemps qu'elle ne sera pas rentrée dans les 20 millions qu'elle avance sur garanties très bonnes, sans doute, mais qui ne sont point susceptibles d'une réalisation immédiate.
S'il est utile de consacrer dès maintenant la faculté d'acheter des fonds publics, en la restreignant de manière à ce qu'il ne puisse en être fait un usage imprudent, c'est tout à fait dans l'intérêt de l'Etat et nullement dans l'intérêt de la banque.
Il pourra survenir des circonstances qui permettraient à la banque de se priver temporairement d'une certaine somme, comme à l'Etat de procéder à la conversion de la dette constituée. Voudriez-vous, messieurs, que, si cette coïncidence se présentait, le gouvernement se trouvât dans l'impossibilité d'en profiter?
Vous appréciez trop bien, messieurs, les avantages qui résulteraient de ces opérations pour le pays, pour que vous voulussiez leur préparer un obstacle. Je vous prie seulement de vous pénétrer de cette idée que des conversions ne sont réalisables que dans des circonstances extrêmement favorables, alors qu'il s'agit de montrer plutôt que d'employer effectivement les moyens nécessaires d'en assurer le succès.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je suis d'accord avec l'honorable M. De Pouhon.
M. Sinave. - Je retire mon amendement et je me rallie à celui de l'honorable M. Cans.
- L'amendement de M. Cans est mis aux voix; il n'est pas adopté.
L'article 16 est ensuite adopté tel qu'il est modifié par M. De Pouhon.
« Art. 17. L'administration de la banque sera dirigée par un gouverneur et six directeurs. »
- Adopté.
« Art. 18. Il y aura, en outre, un comité de censeurs et un conseil d'escompte. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, dans la discussion générale, l'honorable M. de Brouckere a fait la critique de la disposition de l'article 18. Il vous a dit que, d'après l'article 18, il semblerait que les directeurs ne peuvent pas faire partie du comité d'escompte. Evidemment ce n'est pas là la pensée du gouvernement.
Le comité d'escompte sera présidé très probablement par un des directeurs. Pour éviter toute espèce de doute, je propose de rédiger la disposition comme suit :
« Il y aura en outre un conseil de censeurs.
« Les effets présentés seront soumis à un comité d'escompte. »
- L'article 18, ainsi modifié est mis aux voix et adopté.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Par suite de la rédaction qui vient d'être adoptée, il faudra, dans les articles 8 et 17, remplacer le mot : «comité de censeurs par celui de conseil de censeurs».
- Cette proposition est adoptée.
« Art. 19. Le gouverneur est nommé par le Roi, pour cinq ans. »
La section centrale propose l'addition suivante :
Art. 19. Comme ci-contre, avec l'addition suivante :
« Il ne peut, pendant la durée de ses fonctions, être membre de l'une ou de l'autre chambre, ni toucher de pension à charge de l'Etat.
« Le membre de l'une ou de l'autre des deux chambres, nommé gouverneur de la banque, cesse immédiatement ses fonctions législatives.
« Le gouverneur de la banque, nommé membre de l'une ou de l'autre des deux chambres, n'est admis à prêter serment en cette qualité qu'après avoir déclaré qu'il opte pour ce dernier mandat. »
M. le président. - M. le ministre des finances se rallie-t-il à l'amendement de la section centrale?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, M. le président.
Messieurs, je n'attache pas une grande importance à la modification proposée par la section centrale à l'article 19 du projet de loi.
La section centrale propose d'étendre le cercle des incompatibilités, elle demande une modification à la loi de 1848 qui a réglé cette matière importante.
D'après la loi de 1848, le gouverneur de la Société Générale, le directeur de la Banque de Belgique, et en général les chefs d'établissements de ce genre, nommés même par le Roi, peuvent faire partie des chambres législatives : l'incompatibilité n'existe pas pour eux : ils peuvent être élus membres de l'une et de l'autre chambre. On propose d'exclure le gouverneur de la banque que la chambre institue.
Je ne crois pas que cette mesure doive être adoptée; je ne crois pas qu'en tout cas, elle doive trouver place dans le projet de loi.
Elle ne doit pas être adoptée, parce que rien ne prouve la nécessité d'une semblable disposition.
On a créé des incompatibilités, on en a élargi le cercle plus que je ne le demandais, pour ma part, dans le projet de loi que mes collègues et moi nous avons déposé sur cette matière ; et lorsque nous proposions de ne pas étendre, autant qu'on l'a fait, le cercle des incompatibilités, ce n'était pas véritablement dans l'intérêt du pouvoir, c'était dans l'intérêt de la bonne administration des affaires de l'Etat.
Et, en effet, je suis convaincu que l'exclusion des fonctionnaires publics de la législature, bien loin d'affaiblir le pouvoir, a eu pour résultat de le fortifier. Lorsque des fonctionnaires publics font partie d'une chambre, ils donnent très consciencieusement, je suppose, leur vote au cabinet ; l'opposition déclare qu'ils ont voté par servilité ; on fait un calcul, et l'on démontre que, sans les fonctionnaires publics, l'opinion du gouvernement n'avait pas la majorité dans la chambre. De (page 851) là une grande cause d'affaiblissement. Aujourd'hui il est impossible de raisonner ainsi: lorsqu'un cabinet aura la majorité de la chambre, le vote consciencieux de chaque député ne pourra pas être mis en état de suspicion.
Ainsi, au point de vue gouvernemental, j'admettais très volontiers l'incompatibilité, mais je désirais seulement qu'elle ne fût pas aussi étendue dans l'intérêt de la bonne administration des affaires de l'Etat, parce qu'en effet, il est souvent très utile d'avoir recours aux lumières d'hommes spéciaux, habitués aux affaires, qui se trouvent plus particulièrement, il faut bien le reconnaître, dans les administrations publiques.
Le nombre trop considérable des fonctionnaires publics dans les assemblées électives est au surplus un grand mal; mais ici de quoi s'agit-il? D'un seul individu ; quoi qu'il fasse, quoi qu'il pense, quelle que soit sa manière d'agir dans la chambre, jamais sa présence, son opinion, son vote ne pourront exercer une influence telle sur la chambre, qu'on puisse mettre le pouvoir en suspicion. Pourquoi l'exclusion d'un seul homme ? Parce qu'il remplit une fonction très importante ? Mais il n'est pas salarié par le gouvernement.
Il est vrai que le gouvernement l'investit de ses fonctions et a la faculté de le révoquer, qu'il est soumis à la réélection après certain temps; mais un gouverneur de banque doit occuper une position tellement forte, tellement indépendante, il doit, dans certain cas, résister d'une manière si complète, si énergique au pouvoir, qu'il est impossible qu'on arrive jusqu'à soupçonner son indépendance.
Il y aurait au surplus, c'est ce qui me fait demander que la chambre ne statue pas en ce moment sur cette question, qu'elle la réserve pour une loi sur les incompatibilités, il y aurait une anomalie incroyable à admettre le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la Banque de Belgique à faire partie de la chambre, quand on exclut le gouverneur de la Banque nationale.
Si vous croyez qu'il faut encore étendre le cercle des incompatibilités et aller jusqu'aux personnes qui remplissent des fonctions non publiques mais privées, faites une loi qui soit générale, ne créez pas un privilège odieux qui ne s'applique qu'au gouverneur de votre banque et ne s'applique pas aux personnes qui sont dans la même position.
L'influence que pourra exercer le gouverneur de la banque sera-t-elle aussi grande que celle du directeur de la Banque de Belgique et du gouverneur de la Société Générale, dans la position nouvelle qui est faite à ces établissements?
N'ont-elles pas des intérêts considérables qui pèseront sur le gouvernement? Ces nombreuses sociétés créées sous leur patronage, qui ont des besoins et des intérêts à faire valoir, ne pèseront-elles pas sur les directeurs de ces banques, beaucoup plus que les intérêts de la Banque Nationale ne pourront jamais peser sur le gouverneur de cette banque? S'il y a de bonnes raisons pour l'exclure, il faudrait les appliquer au gouverneur de la Société Générale et au directeur de la Banque de Belgique.
En 1848, quand l'ardeur était grande pour les exclusions, l'a-t-on fait? A-t-on laissé cette question par inadvertance ? N'a-t-elle pas été examinée? Si l'exclusion n'a pas été prononcée, on s'en est pourtant occupé; cela est si vrai qu'on a exclu les agents de la Banque; l'attention a donc été appelée sur cet objet; c'est volontairement qu'on n'a pas exclu le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la Banque de Belgique.
L'honorable M. Tesch fait un signe de dénégation. On ne présume pas facilement l'inadvertance du législateur, on ne peut pas supposer que c'est sans intention qu'il n'a pas exclu le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la Banque de Belgique alors qu'il excluait formellement les agents du caissier de l'Etat.
Ainsi on a pensé à cette époque que l'incompatibilité ne pouvait pas s'étendre jusque-là. Je n'ai pas eu le loisir de revoir la discussion; je ne sais s'il y a eu des explications sur ce point, je l'ignore, mais je consulte le texte et je pense que ce n'est pas par simple omission, que c'est volontairement que l'incompatibilité n'a pas été étendue à cette catégorie de personnes. En effet, je ne vois pas de motif pour étendre l'incompatibilité à des personnes qui gèrent des intérêts privés.
C'est une chose qui pourrait à bon droit être critiquée que cet excès d'incompatibilités, cette limite apportée au choix des électeurs. Pourquoi restreindre leur choix? Pourquoi prétendre qu'ils ne pourraient, s'ils le trouvaient convenable, se faire représenter, dans les assemblées délibérantes, par des personnes investies de certaines fonctions, investies de certain mandat, lorsque ces fonctions ne sont pas des fonctions publiques, lorsqu'on n'a pas pour elles le prétexte de dire que l'Etat qui rétribue a le droit d'exiger que ceux qui les remplissent donnent tout leur temps à ces fonctions? Lorsqu'il s'agit de fonctions privées, telles que celles de gouverneur de la banque, qui n'aura pas besoin de tout son temps, qui pourra en outre rendre beaucoup de services à la chambre et au pays, pourquoi l'exclure? Je tiens même qu'il serait utile à la chambre d'avoir dans son sein le directeur de la banque. C'est une chose importante que de pouvoir être renseigné sur l'état des affaires du pays, sur la circulation, sur le négoce, sur l'escompte. Tous ces renseignements pourront être donnés, tout ce qui est relatif au crédit public pourra être éclairé par un homme si bien placé; et vous voulez l'exclure de la chambre ! Je n'en vois pas véritablement de raison sérieuse. Je demande donc que la disposition soit écartée, ou tout au moins qu'elle soit renvoyée à une loi spéciale. Cela ne doit pas faire partie de la charte de la banque. Qu'on fasse une loi spéciale, si l'on veut, où l'on établira cette incompatibilité, et d'autres encore, si cela est nécessaire.
M. Tesch, rapporteur. - La disposition proposée par la section centrale a été critiquée dans la discussion générale, par l'honorable M. Sinave; elle vient de l'être par M. le ministre des finances. L'honorable M. Sinave trouve que la section centrale ne va pas assez loin. M. le ministre des finances est d'avis qu'elle va trop loin.
L'honorable M. Sinave pense que la section centrale est inconséquente, en ce sens qu'elle n'exclue pas de la chambre le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la banque. Mais il perd de vue que la section centrale ne pouvait s'occuper que des agents institués par la loi soumise à ses délibérations. Elle ne pouvait, à propos de la charte de la banque, s'occuper des agents d'autres sociétés anonymes.
M. Sinave. - Nous sommes d'accord.
M. Tesch. - Nous n'avons à nous occuper que de la Banque Nationale. Nous aurions dépassé notre mission, nous aurions fait un article de la loi sur les incompatibilités, si nous avions fait mention du directeur de la Société Générale et du directeur de la banque. Mais je crois que nous étions parfaitement dans notre droit, et que la chambré fera très sagement en déclarant incompatibles les fonctions de gouverneur de la nouvelle banque et de membre de l'une ou l'autre des deux chambres.
M. le ministre trouve que nous allons trop loin. Il pense que, comme en 1848, on n'a pas exclu des chambres le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la banque, nous ne devons pas faire plus. Je crois qu'en excluant de la chambre le gouverneur de la banque, nous restons fidèles aux principes qui ont dicté la loi de 1848. Si, en 1848, le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la banque n'ont pas été exclus, c'est un oubli, une inconséquence, une lacune de la loi. Car, je le demande, comment expliquer que le législateur de 1S48 ait été jusqu'à exclure de la chambre les agents de la Société Générale en province, qui sont indépendants du pouvoir, qui ne sont que les commis d'une société privée, alors qu'elle n'excluait pas le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la Banque de Belgique, nommés l'un et l'autre par le Roi ?
Comment expliquer l'exclusion des commissaires du gouvernement près les sociétés anonymes (car leur exclusion est prononcée par la loi de 1848) alors que l'on continuait d'admettre comme compatibles avec le mandat législatif les fonctions de gouverneur de la Société Générale et de directeur de la banque de Belgique? Evidemment, nous restons fidèles aux principes de la loi de 1848, en admettant l'amendement de la section centrale.
Quels sont les principes qui ont dirigé le législateur en 1848? D'un côté on a voulu que les membres des chambres fussent parfaitement indépendants du pouvoir. On a voulu que les lois que nous faisons ne fussent pas affaiblies, rapetissées dans le respect, dans l'opinion publique par l'idée que ceux qui les votent seraient placés sous l'action du pouvoir. Voilà un des motifs de cette loi.
Une autre idée qui y a également présidé, c'est qu'on a voulu que le fonctionnaire fût à son poste, qu'il remplît les fonctions pour lesquelles il touche un traitement.
Voyons si le gouverneur de la banque est indépendant du pouvoir. Il est plus dépendant qu'un fonctionnaire amovible. Le fonctionnaire amovible est nommé à vie, il n'est sujet qu'à révocation, ce qui n'a lieu que dans des cas graves; et une révocation, on ne se la permet pas facilement, surtout quand elle se rattache à des affaires politiques, tandis que le gouverneur de la banque est nommé pour 5 ans, a besoin d'une confirmation quinquennale. Or, n'est-ce pas là une dépendance plus étroite que celle du fonctionnaire nommé à vie, sauf révocation ?
Ainsi la première raison qui a motivé les incompatibilités s'applique au gouverneur de la banque.
Quant à la seconde raison, elle lui est également applicable. Le gouverneur de la banque est un homme sur qui pèsera une très lourde responsabilité. De tous les hommes qui occupent un emploi quelconque, ce sera celui qui aura le moins de loisir.
Pensez-vous que le gouverneur de la banque puisse très bien remplir ces fonctions et celles de législateur? Je ne le crois pas et dans mon opinion ce sera ou un mauvais gouverneur, ou un législateur qui ne viendra pas à la chambre, qui ne remplira ce maniât qu'incomplètement.
Ou bien quand il arrivera à la chambre, ce ne sera que pour continuer ses fonctions; la chambre ne le verra que quand il s'agira d'affaires qui concerneront la banque.
On nous a dit que nous nous privons de ses lumières. Cet argument est applicable à toutes les incompatibilités de la loi de 1848. Il est évident que la loi de 1848 a eu cet inconvénient (je ne le conteste pas) de faire un très grand vide dans la chambre. En excluant de la chambre les magistrats, nous nous sommes privés de leurs lumières pour la discussion de toutes nos lois. En excluant de la chambre les fonctionnaires de l'ordre administratif, nous nous sommes privés de leurs lumières pour tout ce qui concerne l'administration intérieure du pays.
En excluant de la chambre tous les officiers de l'armée, nous nous sommes privés de leurs lumières pour tout ce qui a rapport au budget de la guerre, à la défense du pays, et nous sommes en quelque sorte obligés, pour certaines questions, de nous en rapporter à la parole du ministre.
Vous voyez que cet inconvénient existait aussi bien pour les incompatibilités de la loi de 1848 que pour celle dont il s'agit ici. Si la chambre pense que l'avantage d'avoir une chambre parfaitement (page 852) indépendante, et qui n'est pas distraite des affaires du pays par d'autres fonctions publiques est contrebalancé par des inconvénients plus grands, abrogeons la loi de 1848. Mais si la chambre la maintient, elle doit admettre la proposition de la section centrale.
M. le ministre a dit que c'était jusqu'à un certain point limiter le droit des électeurs. Mais nous ne limitons pas leur droit. Ils peuvent élire le gouverneur de la banque.
Mais celui-ci sera tenu d'opter, il sera tenu, comme les autres fonctionnaires, de déclarer, avant d'entrer dans cette chambre, que c'est pour ces dernières fonctions qu'il opte. Il est évident qu'il n'y a pas plus d'inconstitutionnalité à exclure le gouverneur de la banque qu'il n'y en a à exclure tous les autres fonctionnaires. Nous disons au gouvernement : Ce n'est qu'à cette condition que vous pouvez nommer. Nous disons au gouverneur de la banque : Vous ne pouvez être investi de ces fonctions par le gouvernement qu'aux conditions que nous déterminons.
Je répète donc que, pour être conséquent avec la loi de 1848, vous devez admettre l'amendement de la section centrale.
Comme je l'ai dit en commençant, nous ne pouvions, dans cette loi, régler ce qui a rapport au gouverneur de la Société Générale et au directeur de la Banque de Belgique; mais il est évident que, pour être conséquent, il faut aller jusque-là et les exclure également. Mais nous pouvions et nous devions régler ce qui a rapport à la position du gouverneur de la banque, et je ne vois aucun inconvénient à dire, dans la loi en discussion, les conditions auxquelles il sera nommé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne suis nullement convaincu par les raisons qui viennent d'être données par votre honorable rapporteur.
Première raison : si l'on n'a pas exclu par la loi de 1848 le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la Banque de Belgique, ou les chefs de tous autres établissements analogues lorsque le Roi nomme cependant le gouverneur de la Société Générale ou le directeur de la Banque de Belgique, c'est une inconséquence de la législature. Ce n'est pas un oubli, il est impossible de le soutenir. L'attention a été appelée sur ce point, puisqu'on a statué sur les agents du caissier de l'Etat. C'est une inconséquence de la législature!
Eh bien ! si vous croyez que ce soit là une inconséquence de la législature, faites-là réparer ; qu'il y ait une loi particulière. Statuez sur cette question d'incompatibilité. Est-ce que par hasard, chaque fois qu'un cas de ce genre se présentera, on fera une loi personnelle d'incompatibilité?
La raison que l'on donne n'est pas suffisante. Je ne crois pas pour ma part à l'inconséquence de la législature de 1848. La législature de 1848 était animée d'un zèle extraordinaire pour l'exclusion de tous les fonctionnaires des chambres. Elle a été au-delà de ce que demandait le gouvernement. Le gouvernement voulait réserver à quelques fonctionnaires publics, à quelques hauts fonctionnaires de l'administration, aux lieutenants-généraux, par exemple, le droit d'être admis dans les chambres. La législature de 1848 ne l'a pas voulu. Elle a tout repoussé.
Son attention était donc fort éveillée sur cette matière, et il n'est pas possible de soutenir qu'on n'eût pas songé alors au gouverneur de la Société Générale et au directeur de la Banque de Belgique.
Impossible de le soutenir, alors surtout que c'était dans ce moment même que naissaient les embarras de la Société Générale; lorsque c'était dans le même moment qu'elle avait de si graves intérêts à débattre dans la chambre !
C'est dans ce moment surtout que l'on a dû penser, que l'on a en effet pensé à la position particulière du gouverneur de la Société Générale et du directeur de la Banque de Belgique. Ils n'ont pas été exclus, parce que la législature ne l'a pas voulu. Il n'y a eu ni omission, ni inconséquence, ni oubli, il y a eu la volonté de ne pas les exclure. Ce que vous proposez est une extension que rien ne justifie.
Je dis que vous n'avez pas justifié cette extension. Le gouverneur de la banque, selon vous, aura assez de travaux; il faut le laisser aux soins qu'il doit donner à la banque. Mais je soutiens d'abord que le gouverneur de la banque n'aura pas énormément à faire. Il s'agit d'une banque d'escompte. Le gouverneur aura une surveillance générale à exercer. Il a la haute main sur les affaires ; mais il n'aura pas une besogne constante et qui exige à chaque instant sa présence dans les bureaux de la banque.
Et puis, si votre raison est bonne, mais elle sera bien meilleure pour les directeurs. Je vous trouve à votre tour fort inconséquent : Vous excluez le gouverneur de la banque et vous n'excluez pas les directeurs.
M. Tesch, rapporteur. - Qui les nomme?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Peu importe. Rien de plus simple, si vous êtes d'avis de les frapper d'ostracisme, que de dire dans la loi que vous les nommerez, et de les exclure. Rien ne s'oppose à ce que vous écriviez que les directeurs seront choisis par le Roi sur une liste formée par l’assemblée générale des actionnaires.
Vous allez voir quelles sont les résultats de votre système.
Vous n'excluez pas les directeurs et vous excluez le gouverneur. Pourquoi? La banque a de grands intérêts, dites-vous; elle peut éventuellement peser sur l'Etat; la présence du gouverneur dans la chambre pourrait présenter quelques dangers: et voici que vous permettez à six directeurs d'entrer dans la chambre !
Apparemment qu'ils viendront exercer la même influence. Apparemment qu'ils viendront représenter dans la chambre les intérêts de la banque. Ils seront six; vous leur ouvrez la porto; mais le gouverneur qui est seul, vous l'excluez. Ils seront six, et vous les admettez ; et ceux-là seront dans une position d'indépendance complète vis-à-vis du pouvoir. Le gouverneur, au contraire, n'aura pas cette position d'indépendance puisqu'il relève du gouvernement.
Vous avouerez que les craintes que vous manifestez sur la pression qu'un tel homme peut exercer sur la chambre sont véritablement chimériques, si vous permettez aux six directeurs d'entrer dans la chambre, et vraiment ce serait aller un peu loin que de songer à les exclure!
La même circonstance se présentera, lorsque vous voudrez exclure le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la banque de Belgique, si vous le faites ultérieurement.
Le gouverneur de la Société Générale est nommé par le Roi ; il est révocable. Les directeurs de la Société Générale sont nommés par le Roi sur une liste présentée par les actionnaires ; Il faudra donc aussi les exclure, lorsque vous ferez une nouvelle loi sur les incompatibilités.
Je le répète en terminant : si l'on croit devoir faire quelque chose sur ce point, que l'on détache l'amendement de la section centrale à l'article 19 pour en faire l'objet d'une proposition particulière qui sera régulièrement examinée. On verra s'il y a lieu de s'arrêter au gouverneur de la banque, s'il ne faut pas comprendre le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la Banque de Belgique ; s'il n'y a pas encore d'autres chefs d'établissements qui doivent être rangés dans la même catégorie.
Je pense que c'est là ce qu'il y aurait de plus sage, de plus convenable à faire. Il est évident qu'au point de vue de l'art législatif, s'il m'est permis d'employer ce mot, ce n'est pas dans la loi sur la banque que cette incompatibilité doit être écrite; c'est dans une loi particulière sur les incompatibilités.
Je demande donc que l'on rejette la disposition proposée par la section centrale ou qu'on la détache de l'article 19 du projet.
M. Osy. - Messieurs, lorsque nous avons fait la loi de 1848 sur les incompatibilités, ce n'est point par oubli que nous n'avons pas exclu le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la Banque de Belgique; mais il y a une grande différence entre la position de ces fonctionnaires et celle du gouverneur de la Banque Nationale; le gouverneur de la Société Générale et le directeur de la Banque de Belgique sont nommés pour un temps indéterminé, tandis que le gouverneur de la Banque Nationale ne sera nommé que pour 5 ans et que par conséquent il a besoin, tous les 5 ans, d'une nouvelle nomination par le Roi. Le gouverneur de la Banque Nationale sera donc dans une position des plus dépendantes du pouvoir.
Nous avons également, dans la section centrale, soulevé la question, en ce qui concerne le gouverneur de la Société Générale, le directeur de la Banque de Belgique, et les directeurs d'autres établissements, qui sont nommés par le gouvernement. Mais nous avons reconnu que nous ne pouvions rien décider à cet égard dans la loi actuelle, qui ne s'occupe que de la Banque Nationale.
Il y a encore une autre différence très grande entre le gouverneur de la Banque Nationale et les chefs de la Société Générale et de la Banque de Belgique, c'est que ces derniers sont nommés sur une liste présentée par les actionnaires, tandis que le gouverneur de la Banque Nationale sera nommé sans aucune présentation quelconque.
Je pense, messieurs, que lorsque nous avons exclu de la chambre les juges, les conseillers et même les avocats du fisc, il ne serait pas conséquent d'admettre le gouverneur de la Banque Nationale.
Je pense aussi, messieurs, que la proposition de la section centrale trouve parfaitement sa place dans la loi actuelle et qu'il est impossible de l'ajourner. Si plus tard on juge utile d'aller plus loin et de prononcer d'autres incompatibilités, on pourra faire une proposition à cet égard; mais, quant au gouverneur de la Banque Nationale, nous devons statuer aujourd'hui.
M. Tesch, rapporteur. - Je voulais précisément présenter les mêmes observations que l'honorable M. Osy. M. le ministre des finances a fait la critique de la loi de 1848. Il déclare que nous donnons à cette loi une extension que rien ne justifie. Eh bien, je répète à M. le ministre des finances ce que j'avais l'honneur de dire tantôt : Est-il vrai que lorsqu'on a exclu de la chambre, en 1848, les fonctionnaires publics, on a voulu que les membres de la chambre fussent complètement indépendants du pouvoir? Cela est-il vrai ou n'est-il pas vrai? Eh bien, cela est incontestable. Or, il n'y a pas de fonctionnaire en Belgique aussi dépendant du pouvoir que le sera le gouverneur de la Banque Nationale, qui, ainsi que l'honorable M. Osy vient de le dire, aura besoin d'une nouvelle nomination tous les 5 ans, et que le gouvernement pourra ainsi destituer sans avoir même, en quelque sorte, un acte à poser, sans avoir à prendre un arrêté de révocation, qui attire toujours l'attention publique à un bien plus haut degré que le simple fait de ne pas renommer un fonctionnaire dont les pouvoirs sont expirés.
D'un autre côté, messieurs, on a voulu, en 1848, que les fonctionnaires remplissent les fondions pour lesquelles ils reçoivent un traitement. Eh bien, le gouverneur de la banque, établissement si important et qui sera en même temps caissier de l'Etat, aura beaucoup de travaux et une grande responsabilité, et je ne crois pas qu'il puisse, à la fois, (page 853) remplir convenablement les fonctions de gouverneur de la banque et s'occuper utilement de ses travaux législatifs. Cela est impossible. De sorte que le gouverneur de la banque ne s'occupera pas des affaires de la banque ou que le législateur ne s'occupera pas des affaires de la chambre, qu'il n'y viendra que quand il s'agira de questions intéressant la banque à un très haut degré et dans lesquelles il serait juge et partie.
M. le ministre des finances a dit que, dans notre système, il faut exclure les directeurs de la banque; mais les directeurs sont parfaitement indépendants du pouvoir; les directeurs de la banque sont nommés par les actionnaires, et le gouvernement n'aura sur eux aucune espèce de puissance, aucune espèce d'action.
Mais, objecte M. le ministre, dites que vous les nommez et vous les exclurez. C'est précisément, messieurs, ce que nous ne voulons pas faire, et pour cela nous avons une très bonne raison, c'est qu'une institution qui doit être jusqu'à un certain point indépendante du pouvoir, nous ne voulons pas en faire nommer les directeurs par le gouvernement. S'il en était ainsi, la banque deviendrait une véritable banque de l'Etat, que le gouvernement pourrait entraîner où il voudrait.
Les directeurs sont donc indépendants du gouvernement, et je crois que nous n'avons pas même le droit, aux termes de la Constitution, de les exclure de cette chambre; ils sont nommés par les actionnaires, et nous ne pouvons pas plus les exclure des chambres que toute autre catégorie de citoyens.
Je proposerai, messieurs, d'ajouter à la rédaction de la section centrale un mot qui, à la vérité, y est sous-entendu; c'est au paragraphe 3 : « Le membre de l'une ou de l'autre des deux chambres, nommé gouverneur de la banque, cesse immédiatement ses fonctions législatives » après les mots : « cesse immédiatement,» il faut ajouter : « s'il accepte. »
M. Delehaye. - Je dois faire une observation, messieurs, sur l'idée qui a été mise en avant, de faire une loi spéciale. Je pense que cela aurait de grands inconvénients. D'abord il n'est pas exact de dire qu'il ne serait pas sage d'admettre des incompatibilités dans une loi organique ; je crois au contraire qu'on agirait très sagement en indiquant dans toutes les lois organiques les incompatibilités relatives aux fonctions créées par cette loi. Mais il y a d'autres considérations qui doivent nous déterminer à résoudre aujourd'hui la question. Si la chambre ne déclare pas aujourd'hui que les fonctions de gouverneur de la banque sont incompatibles avec les fonctions législatives, il est très possible que quand il s'agira de voter une loi spéciale à cet égard, la loi actuelle sera mise à exécution, la Banque organisée et le gouverneur nommé; alors, messieurs, nous nous trouverions en présence d'une question de personnes, et c'est ce que vous devons toujours chercher à éviter autant que possible. Aujourd'hui il n'y a pas de question de personnes, nous ne savons pas qui sera chargé des hautes fonctions dont il s'agit ; nous sommes sous ce rapport tout à fait dans le vague.
Je ne veux pas examiner si le gouverneur de la banque nommé pour 5 ans seulement apporterait toujours ici une indépendance complète. Je ne veux pas examiner non plus si sa position serait bien facile lorsque nous traiterons certaines questions financières. Je ne veux pas me placer à ce point de vue, mais j'insiste sur cette considération que nous sommes aujourd'hui dans la position la plus favorable pour résoudre la question.
Quant aux autres incompatibilités dont on a parlé, nous pourrons nous en occuper plus tard, mais c'est évidemment par un oubli qu'elles n'ont pas été décrétées en 1848. Tous ceux qui ont pris part à la discussion de la loi de 1848 diront que si ces incompatibilités avaient été proposées, les dispositions de la chambre étaient telles qu'elles les auraient évidemment adoptées.
Nous étions alors tellement convaincus de la nécessité d'exclure les fonctionnaires des chambres législatives, que nous aurions admis l'incompatibilité pour le gouverneur de la Société Générale et pour le directeur de la Banque de Belgique, si cette incompatibilité nous avait été proposée; mais à cette époque nous ne nous sommes occupés que de fonctionnaires publics rétribués sur les fonds de l'Etat.
Et pour en revenir à l'objet qui m'a fait prendre la parole, je dis que nous devons voter dans la loi organique l'incompatibilité proposée par la section centrale, en ce qui concerne le directeur de la Banque Nationale; nous le devons d'autant plus que tous nos antécédents sont conformes à cette manière d'agir, et qu'en inscrivant la disposition dans le projet de loi en discussion, nous ne nous créons pas l'embarras de prononcer plus tard sur des questions de personnes, qui sont toujours très désagréables.
- La discussion est close.
L'amendement de la section centrale est mis aux voix et adopté.
L'ensemble de l'article 19, ainsi amendé, est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 20. Les directeurs et les censeurs seront élus par l'assemblée générale des actionnaires.
« Néanmoins la première nomination des directeurs sera faite par le gouvernement, pour le terme de trois ans.
« L'ordre des sorties et les renouvellements ultérieurs seront réglés par les statuts. »
La section centrale propose de modifier le troisième paragraphe de la manière suivante :
« La durée des fonctions des directeurs et des censeurs, l'ordre des sorties, seront réglés par les statuts. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me rallie à cet amendement.
- L'article 20, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.
« Art. 21. Il y aura un commissaire du gouvernement pour surveiller les opérations et notamment l'escompte et les émissions de billets.
« Son traitement sera fixé par le gouvernement de concert avec l'administration de la banque.
« Il sera supporté par elle. »
- Adopté.
« Art. 22. L'administration de la banque adressera au gouvernement, tous les mois, un état présentant la situation de l'établissement et celle de ses comptoirs d'escompte. Cette situation sera publiée, chaque trimestre, dans le Moniteur.
« Le résultat des opérations et le règlement des dividendes seront publiés semestriellement par la même voie. »
La section centrale propose de rédiger ainsi qu'il suit la dernière phrase du premier paragraphe :
« Le gouvernement fera publier cette situation par la voie du Moniteur dix jours au plus tard après l'avoir reçue. »
M. De Pouhon a proposé de substituer aux mots : «chaque trimestre», ceux-ci : «le 10 de chaque mois».
M. De Pouhon. - Messieurs, la publicité de la situation d'une banque est une très grande garantie de bonne gestion; il convient que l'administration soit ramenée souvent sous le contrôle de l'opinion publique et j'approuve beaucoup l'amendement de la section centrale qui rapproche ces publications.
Mais je pense, messieurs, qu'il serait préférable de fixer le jour où elles devraient paraître au Moniteur. Dans des circonstances où l'on se préoccupe beaucoup de la situation d'une banque, un jour ou deux qui dépasseraient l'attente publique donneraient lieu à des conjectures qu'il faut éviter, car elles sont rarement favorables.
La section centrale fixe dix jours après que le gouvernement aura reçu l'état de situation de la banque et de ses comptoirs; mais quand commenceront à courir ces dix jours? En raison de la facilité des communications, cinq jours suffiraient pour tout faire et en fixant au 10 de chaque mois, on éviterait toute déception.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il y aurait quelque inconvénient à fixer, comme le propose la section centrale, la publication dans les dix jours au plus tard après avoir reçu l'état de situation, ou bien le 10 de chaque mois, à terme fixe, comme le propose l'honorable M. De Pouhon. Il suffirait d'un retard dans l'expédition d'une pièce, il suffirait d'une fausse direction donnée à cette pièce, pour qu'on ne pût pas faire l'état de situation et le publier à jour fixe; cela pourrait donner des inquiétudes au public.
On veut que la publication ait lieu mensuellement ; voilà tout ce que l'on demande. Eh bien, on atteindra ce but en substituant, dans la dernière phrase du premier paragraphe, le mot «mensuellement» à ceux-ci : «chaque trimestre».
- L'article 22, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.
« Art. 23. Les statuts de la banque seront arrêtés d'après les principes consacrés par la présente loi.
« Ils seront soumis à l'approbation du Roi.
« Ils ne pourront être modifiés que sur la proposition de l'assemblée générale et du consentement du gouvernement. »
- Adopté.
« Art. 24. Le gouvernement a le droit de contrôler toutes les opérations. Il peut s'opposer à l'exécution de toute mesure qui serait contraire, soit à la loi, soit aux statuts, soit aux intérêts de l'Etat.
- Adopté.
« Art. 25. Aucune autre banque ne pourra à l'avenir être instituée que par une loi.»
M. de Brouckere a proposé de rédiger cet article de la manière suivante :
« Aucune autre banque de circulation ne pourra à l'avenir être instituée, sous forme de société anonyme, que par une loi. »
M. le président. - M. le ministre des finances se rallie-t-il à cet amendement?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je propose de dire : « aucune autre banque de circulation ne pourra à l'avenir être instituée que par une loi. » Les mots : «sous forme de société anonyme», peuvent être supprimés. En les insérant dans la loi, on déciderait implicitement qu'une banque de circulation peut être instituée par des particuliers autrement que sous la forme anonyme.
M. Cans. - Je crois qu'il y aurait un inconvénient à supprimer les mots : «sous forme de société anonyme»; il semblerait qu'on ne pourrait organiser de banque sous forme de société en commandite que par une loi. Telle n'était pas la pensée de l'honorable M. de Brouckere; je regrette qu'il ne soit pas à son banc pour défendre son amendement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai demandé qu'on ne tranchât pas la question. J'ai combattu l'opinion de ceux qui pensent que l'émission de billets de circulation soit une chose du domaine public.
J'ai élevé des doutes sur ce point, je ne me suis pas prononcé d'une manière absolue; je demande que la question ne soit pas tranchée, je demande que l'on ne décide pas que chacun peut établir une banque de circulation, dès que ce n'est pas sous forme de société anonyme. (page 854) L'honorable membre a-t-il la conviction que cela soit permis sous l'empire de la législation actuelle?
M. Cans. - Je ne veux pas non plus trancher la question, mais je crois qu'elle serait tranchée par l'adoption de la rédaction proposée par M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai signalé les inconvénients au point de vue du crédit du pays, de la liberté absolue d'émettre des banknotes; le crédit peut être ébranlé par une circulation de ce genre.
Comment ! vous créez une banque et vous instituez auprès de cette banque un commissaire pour surveiller l'escompte et l'émission des billets. Vous craignez qu'une émission de ce genre puisse présenter des dangers.
En effet il peut en résulter et des plus graves au point de vue de la situation financière d'un pays; et vous iriez décider que c'est un droit qui appartient à tout le monde, d'établir une banque de circulation, de lancer dans le pays des banknotes à volonté !
M. Orts. - Je ne demande pas mieux que de voir la question réservée. Je pense que telle était l'intention de l'honorable M. de Brouckere, que je regrette de ne pas voir à la chambre pour y défendre son amendement. Je dois dire que, dans ma conviction cependant, la législation actuelle ne défend pas aux particuliers d'émettre des billets de circulation, sauf à chacun de les admettre ou de ne pas les admettre, et à devenir la juste victime de son imprudence, s'il accepte des billets d'une personne insolvable.
Ce qui peut être fait par un individu sous la législation qui nous régit peut être fait par toute société, qui n'a pas besoin de l'autorisation du gouvernement pour se constituer.
Cela résulte de la disposition de la Constitution qui permet à tous les Belges de s'associer dans un but commercial. Cela résulte mieux encore des motifs qui précèdent l'arrêté du gouvernement provisoire concernant le droit d'association. En adoptant l'amendement proposé, on maintient intact le principe; je pense que la suppression des mots : «sous forme de société anonyme», trancherait la question dans un sens contraire à l'opinion que j'ai émise.
M. Osy. - J'appuie l'opinion émise par M. le ministre des finances. Il y avait à Anvers un établissement qui n'ayant jamais voulu faire sanctionner ses statuts par le gouvernement, était resté sous forme de société en commandite ; le gouvernement avait des commissaires près des sociétés anonymes, il n'en avait pas près de cet établissement; qu'est-il arrivé? Il a suspendu ses payements en 1848, et cela a fait un très grand mal. Le gouvernement ne peut autoriser d'émission de billets de banque que par des sociétés anonymes auprès desquelles il a des commissaires qui surveillent ces émissions dans l'intérêt de la société.
Nous ferions bien d'adopter la proposition de M. le ministre de ne permettre la création d'aucun établissement de circulation sans une loi. Je crois donc que nous ferons très sagement de repousser l'amendement de M. de Brouckere.
M. Cans. - Bien que je ne suis pas préparé à traiter la question soulevée par M. le ministre des finances, je demanderai la permission d'ajouter quelques mots.
Je l'ai déjà dit, je ne veux pas trancher la question en ce moment; il me semble qu'elle serait tranchée si on adoptait la rédaction proposée par M. le ministre des finances. M. le ministre dit qu'on a reconnu la nécessité d'adjoindre à la banque un commissaire pour contrôler l'émission des billets; je comprends la nécessité d'un contrôle de cette nature pour une banque instituée sous forme de société anonyme, car dans ce genre d'association personne n'est responsable; mais dans les sociétés en nom collectif ou en commandite, les associés dans l'une et les gérants dans l'autre étant responsables dans leur gestion et par conséquent ayant à répondre de l'émission des billets, c'est à eux à surveiller par eux-mêmes leurs affaires; et à modérer la circulation d'après retendue de leurs moyens.
L'honorable M. Osy vous a cité ce qui était arrivé pour un établissement d'Anvers; cela prouve que cet établissement a été mal géré, et que les particuliers ont été imprudents en lui accordant une confiance qu'il ne méritait pas.
En Ecosse, il y a une foule de banques qui se sont établies librement sans jouir du bénéfice de la société anonyme ; c'est le pays de l'Europe où le crédit est le mieux organisé, les banques y sont très solides; elles émettent leurs billets sans autre contrôle que celui que chacune d'elles exerce sur les autres.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La disposition dont il s'agit donnera lieu à un second vote: la question pourra être examinée, discutée, approfondie; mais en attendant, j'appelle l'attention de la chambre sur la gravité de cette question. Vous dites, article 12, que la banque émet des billets; je maintiens qu'elle a le privilège d'émettre des billets; vous stipulez que le montant des billets émis sera représenté par des valeurs facilement réalisables; vous ajoutez que les proportions entre l'encaisse métallique et la circulation des billets seront fixées par les statuts. Pourquoi avez-vous décidé cela?
N'y a-t-il aucune raison, aucun motif pour agir ainsi? Il y en a un : c'est un motif de sécurité publique, vous reconnaissez le danger de la circulation de pareils billets; vous exigez impérieusement qu'un commissaire soit nommé pour surveiller l'accomplissement, la stricte exécution des obligations imposées; vous voulez qu'ils soient représentés par des valeurs facilement réalisables, de plus qu'il y ait une certaine proportion entre les billets en circulation et l'encaisse métallique, et vous sériez d'avis que toute banque peut émettre des billets de circulation sans aucune espèce de justification quant aux valeurs facilement réalisables qui devraient couvrir ces billets! La sollicitude que vous montrez semble dès lors superflue. Ces billets, quel sera leur office dans la circulation? Précisément de remplacer la monnaie, de la suppléer, de faire exporter le numéraire; car c’est là l’effet naturel de cette circulation des billets.
Chacun aurait le droit d'agir de la sorte; chacun pourrait effectivement battre monnaie. Je ne puis l'admettre sans un examen plus approfondi de la question.
Je n'ai pas eu le temps de rechercher un grand nombre d'autorités sur cette matière. Mais croyez bien qu'il y en a beaucoup et d'un très grand poids. Voici ce que disait R. Peel, dans la discussion du bill de 1844 :
« Et d'abord, dit-il, je crois pouvoir dire qu'un billet payable au porteur et à vue diffère entièrement de toute autre espèce de papier de crédit. Le billet de banque fait l'office de monnaie; il la représente exactement; il passe de main en main; il n'exige pas de garantie personnelle. Il n'en est pas de même de la lettre de change, qui demande un endossement à chaque transfert. Le billet, je le répète, c'est de l'argent, et il agit sur les prix comme le fait l'argent. »
Et plus loin, il continue en ces termes :
« La libre concurrence est un grand avantage en ce qui concerne le prix de beaucoup d'articles du commerce. Il est certain, en effet, que la concurrence pour ces articles doit les faire obtenir à meilleur marché; mais je dis que vous ne pouvez appliquer cette loi au papier de circulation, que ce papier est régi par des principes différents. En matière de papier de circulation, ce qu'il me faut, ce n'est pas une quantité considérable de ce papier au plus bas prix possible, mais une certaine quantité dont la valeur soit exactement celle de l'or; ce qu'il me faut, c'est qu'il soit émis par des établissements dont l'intégrité, l'honneur, la solvabilité, m'inspirent la plus entière confiance; en d'autres termes, je n'ai pas besoin du meilleur marché, mais de la meilleure qualité possible. Or, le principe qui détermine la qualité de cette nature particulière d'article commercial est tout autre que celui de la libre concurrence, parce que cette qualité est définie et invariable; elle est invariable en ce sens que le montant de la circulation en papier doit toujours être dans un certain rapport avec la circulation métallique. Si la première dépasse notablement la seconde, il y a excès ; ainsi, tout ce que le pays peut demander, c'est qu'il y ait la plus grande quantité possible d'un papier dont la valeur soit déterminée par une quantité d'or correspondante, et que ce papier soit émis par des institutions financières jouissant du plus haut crédit. »
Voilà une opinion, une opinion considérable et qui concorde, je pense, tout à fait avec celle que je soumets à la chambre.
Je crois qu'il y a de véritables dangers à permettre à chacun de former des banques de circulation. Lorsqu'une grande quantité de papier de circulation a cours dans le pays, qu'en résulte-t-il? Qu'il y a hausse relative du prix de tous les objets. Et lorsque le papier se déprécie et tombe tout à coup, il arrive des catastrophes. C'est ce qu'on a vu aux Etats-Unis.
La trop grande abondance provoque très notablement les spéculations. On fait des entreprises aventureuses. Lorsque le crédit est trop développé, on s'engage dans des spéculations que, sans ce crédit, on n'aurait pas pu entreprendre.
Je demande donc de nouveau à la chambre de ne pas décider, par l'article 25, comme le propose l'amendement de M. de Brouckere, la grave question qui nous occupe en ce moment.
M. Toussaint. - Je désire faire une seule observation : On a beau vouloir jeter du doute sur la question, en disant que des sociétés en commandite, ou même des particuliers, peuvent très bien faire ce que font les sociétés anonymes. Dans l'espèce, il importe peu que la société soit en commandite, qu'elle soit en nom collectif, ou qu'il s'agisse d'un particulier.
Les banques qui émettraient du papier-monnaie, qui réuniraient sous leur main des valeurs autres que celles qui appartiennent à chacun de leurs membres et seraient des êtres collectifs, la situation n'en pourrait être contrôlée que par des personnes investies d'autorité, et chargées de vérifier le rapport du signe avec les garanties qu'il représente. C'est à cause de cette impossibilité pour le public de vérifier la solvabilité collective et éphémère de la banque, à l'égard de ses billets, que le projet de loi a sagement établi les précautions que nous venons de voter à l'égard de la Banque Nationale.
Selon moi, il importe d'empêcher la circulation de valeurs sans garantie officielle qui ne peuvent être appréciées par chaque particulier.
De même que l'Etat détermine les signes auxquels on reconnaît l'exactitude des poids et des mesures, la valeur des matières d'or et d'argent, le gouvernement doit sauvegarder le public contre des valeurs qu'il ne peut facilement vérifier.
Nous savons tous ce qui est arrivé aux Etats-Unis, par l'abus du papier, par l'abus du droit d'émettre du papier, abus qui a causé dans l'Amérique du Nord une les crises les plus profondes que ce grand pays ait subies.
En déterminant l'organisation de la Banque Nationale, nous ferons sagement d'interdire formellement l'émission par des particuliers de tout papier-monnaie ou de banknotes, et de n'attribuer cette faculté qu’à l’établissement que nous plaçons entre les mains de l'Etat, sous la (page 855) surveillance de l'Etat. Nous devons ici nous préoccuper uniquement de l'intérêt de tous, et nous inquiéter peu de donner à certaines guns la faculté de disposer des deniers du public.
M. de Pouhon. - Le vote que nous allons donner est de nature à préjuger la question du droit d'émettre des billets de circulation; c'est pourquoi je désire vous rendre attentifs au désordre que pourrait occasionner la faculté qu'auraient les sociétés particulières d'émettre des billets sans autorisation comme sans contrôle. On ne pourrait leur imposer aucun contrôle si le droit d'interdire l'émission des billets n'est pas reconnu.
L'honorable M. Osy vous a exposé les conséquences graves de ces émissions libres. On peut citer aussi la situation inextricable qu'elles ont fait à l'Autriche.
L'honorable M. Cans a invoqué l'exemple de l'Ecosse, mais il est sans application ; il faut tenir compte des habitudes, des ressources et du degré de développement du crédit des divers pays. La position insulaire de la Grande-Bretagne est encore une considération.
En Angleterre, dans la crise commerciale de 1825 et 1826, les banques instituées en vertu d'anciens privilèges et qui avaient une existence séculaire sont tombées comme des soldats de carte, c'est un danger qu'il faut éviter à tout prix. En admettant la rédaction proposée par M. le ministre des finances, on satisfait à toutes les réclamations et l'on évite de préjuger une grave question.
Je ne comprendrais pas, d'ailleurs, que l'on pût permettre à tout particulier d'émettre des chiffons de papier, comme je le disais l'autre jour, lui donnant une valeur quelconque, alors que le gouvernement se réserve la fabrication des monnaies qui doivent toujours représenter leur valeur intrinsèque, et qu'il fait de ce chef des sacrifices assez considérables.
M. Cans. - Messieurs, il est entendu que l'article, étant amendé, pourra de nouveau être soumis à une discussion au second vote. Je n'en dirai pas davantage aujourd'hui. Je répondrai un seul mot quant à l'exemple que l'on a tiré des banques des Etats-Unis.
Effectivement les banques des Etats-Unis ont émis des quantités considérables de papier et ont ainsi créé pour ce pays des embarras financiers très grands. Mais il est à remarquer que les banques des Etats-Unis qui ont résisté pendant la crise de 1837, sont précisément celles qui étaient organisées dans la forme la plus libre, dans la forme des sociétés en commandite, et que les banques qui ont amené les plus grands désastres sont celles qui étaient autorisées par le monopole.
M. Orts. - Je voulais faire la même observation que l'honorable M. Cans. Si l'on peut revenir sur la question au second vote, il est inutile d'insister.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Puisqu'il s'agit d'un amendement, il y aura un second vote.
M. Orts. - Je ferai seulement remarquer à M. le ministre des finances qu'il va plus loin que l'exposé des motifs et que le rapport de la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pardon ; je suis parfaitement d'accord avec ce que j'ai dit.
M. Orts. - Pas le moins du monde. Voyez à la page 17.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - De l'exposé des motifs?
M. Orts. - Non ! du rapport de la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le rapport de la section centrale se prononce sur une question entièrement différente. Le rapport, en s'expliquant sur l'article 25, dit que l'on substitue, par cet article, l'autorisation législative à l'autorisation du gouvernement pour les sociétés anonymes.
Voilà une question. Il en est une seconde, celle qui est relative à la liberté de la circulation, à la liberté des émissions. De celle-là, il n'est pas dit mot.
M. Orts. - Pardon. Voici ce que dit le rapport : « Il restera libre à tous les citoyens de s'associer pour fonder une banque, mais ils resteront responsables en nom personnel des faits par eux posés, des opérations auxquelles ils se seront livrés. Ils seront tenus, sur leur corps et sur leurs biens, de tous les engagements qu'ils auront contractés. La loi n'interviendra que lorsqu'à la responsabilité de l'individu l'on voudra substituer la responsabilité de l'être moral appelé «société anonyme». »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je suis encore de cet avis; il est certain qu'on peut s'associer pour faire une banque. On a répondu, par le passage que l'on vient de lire, à une critique qui avait été adressée à l'article 25 et qui avait cette portée de faire croire que l'on voulait interdire l'établissement d'une simple banque. C'était absurde. Mais personne ne s'est prononcé sur la question de la circulation. C'est un point tout à fait différent. (Interruption.)
Remarquez que le premier texte de l'article 25 portait « qu'aucune banque ne pourra être établie qu'en vertu d'une loi. » Cela soulevait la question de savoir si, pour une simple banque, il fallait une autorisation législative. A cela le rapport, d'accord avec le gouvernement, répond: Non, l'autorisation législative ne devient nécessaire que pour les sociétés anonymes qui devraient être autorisées en vertu de l'article 37 du Code de commerce. On pourra établir toute autre banque par association. On ne pourrait le défendre sans une violation de la Constitution.
Mais les particuliers isolés ou associés ont-ils le droit d'émettre des billets dits banknotes ? C'est une question toute différente.
Cela est si vrai que vous pouvez la résoudre négativement, sans porter aucune atteinte aux principes de notre droit public.
Nous nous demandons même aujourd'hui si la législation ne s'est pas déjà prononcée sur ce point. L'honorable M. Orts me fait un signe négatif. Eh bien! je lis la loi du 9 novembre 1792.
M. Orts, - C'est une loi relative aux assignats qui avaient cours forcé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas à cause des assignats que la loi a été faite. La loi du 9 novembre 1792 porte :
« A compter de la publication du présent décret, il est défendu aux corps administratifs et municipaux et aux particuliers et compagnies de souscrire ou d'émettre aucun effet au porteur, sous quelque titre ou dénomination que ce soit, sous peine, pour les contrevenants d'être poursuivis et punis comme faux monnayeurs. »
Voilà ce que dit la loi de 1792.
Maintenant, comme je l'ai énoncé dans une des dernières séances, cette loi a été interprétée par un décret du 25 thermidor an XIII, qui établit la distinction entre ce qui est connu dans le commerce sous le nom de banknotes, de billets de banque remplaçant la monnaie et les billets au porteur souscrits par des compagnies ou par des particuliers.
Il admet que les billets au porteur peuvent être créés, qu'on peut continuer à souscrire de pareils billets; mais la défense est maintenue en ce qui concerne les billets qui ont pour objet de remplacer ou de suppléer la monnaie.
J'ai dit encore à cette occasion que je ne me prononçais pas d'une manière absolue sur cette question de droit que je considère comme très délicate, comme très difficile. Mais aujourd'hui la question se présente en théorie de savoir, si la circulation doit être libre, si l'on peut abandonner à chaque particulier, à toute compagnie, le droit de former des banques de circulation. J'ai lu tout à l'heure l'opinion d'un homme d'État anglais illustre, qui combat formellement cette opinion. Beaucoup d'autres sont également de son avis, et certes, on doit reconnaître que la question ne doit pas être résolue légèrement.
M. Tesch, rapporteur. - Messieurs, la section centrale, en examinant cet article et en l'adoptant, n'a rien entendu innover, si ce n'est de transporter au pouvoir législatif le droit d'accorder une autorisation qui jusqu'à présent, aux termes de l'article 37 du Code de commerce, pouvait être accordée par le gouvernement aux sociétés anonymes.
La section centrale n'a pas entendu trancher la question de savoir si des billets de circulation pouvaient être émis par tout le monde.
M. le président. - Aux termes du règlement, un amendement rejeté ne peut pas être reproduit au second vote; si l'on veut que la question soit entièrement réservée au second vote, il n'y a qu'un moyen, c'est d'adopter l'amendement de M. de Brouckere. On pourra, au second vote, l'adopter définitivement, le rejeter ou le modifier; chacun sera libre. Si l'amendement était rejeté, on ne le serait plus.
M. Mercier. - On a fait observer déjà qu'en votant l'article tel que le propose le gouvernement, la question ne serait pas tranchée. Il me semble que, moyennant cette déclaration, on peut voter l'article tel qu'il est proposé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du moment qu'il est entendu qu'il y aura une nouvelle discussion sur cet article, la rédaction qui sera adoptée au premier vote m'importe peu. Cependant il me paraît qu'on ne pourrait ne pas se prononcer aujourd'hui. La question sera examinée au second vote.
M. le président. - On ne pourra procéder au second vote qu'après avoir statué sur toutes les dispositions du projet, il faut donc voter sur l'amendement de M. de Brouckere.
- L'amendement de M. de Brouckere est mis aux voix; il est adopté.
« Art. 26. La banque retirera de la circulation les billets ayant cours forcé.
« Jusqu'au payement intégral de la créance à résulter de ce retrait, le gouvernement pourra autoriser la banque soit à faire usage de ces mêmes billets, soit à les remplacer par ses propres billets avec le caractère de monnaie légale.
« La somme de ces émissions ne pourra, dans aucun cas, excéder le montant des billets retirés et non remboursés.
« En attendant ce remboursement, les garanties, privilèges et hypothèques constitués par la loi du 20 mars, et par celle du 22 mai 1848, continueront à subsister. »
M. De Pouhon a présenté l'amendement suivant :
« Paragraphe 2. Supprimer les mots : «soit à les remplacer par ses propres billets avec le caractère de monnaie légale».
«Supprimer le paragraphe 3.
« Commencer le paragraphe 4 par ces mots : «en attendant le remboursement de ces billets».»
M. Cools. - J'aurais quelques interpellations à faire au gouvernement sur la portée des conventions faites avec les banques actuelles, et je pense que ces interpellations trouvent leur place dans la discussion de l'article 26; mais si cette discussion ne doit pas se terminer aujourd'hui, je renoncerai maintenant à la parole, me réservant de la reprendre demain.
M. De Pouhon. - Le projet de loi porte une disposition qui le dépare et que vous repousseriez comme moi, messieurs, si vous étiez autant persuadés des fâcheux effets qu'il peut, qu'il doit même produire.
L'article 26 impose à la Banque Nationale l'obligation de retirer de la (page 856) circulation les billets ayant cours forcé. Mais il confère au gouvernement le droit d'autoriser la Banque à faire usage des billets ou à les remplacer par les siens propres avec le caractère de monnaie légale.
Je comprends que 20 millions de billets de la nouvelle banque n'étant pas représentée par des valeurs immédiatement réalisables, il soit prudent peut-être de prévoir le cas où ils ne pourraient être tous convertibles en espèces et que le gouvernement, déjà pour lors, soit investi du droit de laisser remettre en circulation ceux qu'ils y auront remplacés et dont le cours forcé est maintenu. Mais je ne consentirai pas, par mon vote, à ce qu'une banque solidement fondée et que vous vous efforcez, avec raison, à rendre invulnérable, s'élève avec la présomption qu'elle pourra manquer à ses engagements.
Etablir cette hypothèse, c'est préparer déjà sa réalisation, car c'est affaiblir le crédit de l'institution et le crédit est le principe de vie d'une banque.
Je repousse d'autant plus vivement cette stipulation inconcevable, qu'elle est complètement inutile. Quel motif y aurait-il pour donner le cours forcé à des billets de la Banque Nationale, plutôt que de remettre au jour des billets qui ont déjà ce privilège? Serait-ce parce qu'on serait déshabitué de ceux-ci et qu'ils rompraient l'unité? Mais, je demanderai si après avoir été accoutumé à l'usage de billets convertibles de la Banque Nationale , les habitudes ne seront pas également heurtées par la transformation d'une partie en billets à cours forcé, et si ceux qui seront frappés de ces stigmates ne différeront pas des autres?
Le cours forcé des billets de banque est une chose trop dangereuse, messieurs, pour que vous accordiez au gouvernement le droit de l'établir. Il faut lui conserver son caractère de gravité pour qu'on résiste davantage à son application. C'est le contraire que vous feriez si vous ne modifiiez pas l'article 26 du projet de loi.
Il est une chose qui bien plus que la nécessité de se renfermer dans les prescriptions des statuts, domine l'administration d'une banque. C'est de sauvegarder l'honneur de l'établissement. Je suppose que l'administration se compose d'hommes honorables. Ne vous offrira-t-elle pas plus de garanties de prudence, si elle est exposée, pour obtenir les moyens de salut, à devoir recourir à la représentation du pays, à faire l'aveu solennel de sa mauvaise gestion, au lieu d'avoir à les solliciter dans le cabinet d'un ministre? Une signature ministérielle est plus facile à obtenir, est moins redoutable qu'un vote de la législature.
Pesez encore, messieurs, cette autre conséquence d'autant plus inévitable qu'elle est naturelle.
Une crise financière ou un événement politique survenant, dans quelle disposition placerait-il le détenteur de billets de banque si vous adoptiez l'article 26 dans son intégralité? Il se dirait : les circonstances sont de nature à occasionner un malaise à la banque, elle sera peut-être dans le cas de réclamer le cours forcé de ses billets, et comme cela ne tient qu'à la signature d'un ministre, il pourrait se faire que le billet que je tiens ne fût plus convertible demain matin, échangeons-le aujourd'hui. C’est de cette manière que les embarras se créent et qu'on les accélère en les présentant en perspective.
Vous ne voudrez pas, messieurs, qu'une institution qui se présente avec un caractère national et sous des conditions de profonde solidité, soit frappée, avant de naître, d'un préjugé qui la ternirait et affaiblirait sa puissance morale.
M. Tesch, rapporteur. - Messieurs, la section centrale a proposé un amendement au dernier paragraphe de l'article 26 et dont le texte ne fait pas mention.
Il s'agit de dire : « En attendant ce remboursement, les droits, garanties, privilèges, etc. » L'amendement consiste dans l'addition des mots : « les droits. »
Quant à l'amendement de M. De Pouhon, je ne pense pas que la chambre puisse l'accepter. Il tend à enlever au gouvernement la faculté de donner cours forcé aux billets de la nouvelle banque. Eh bien, il peut se présenter telle circonstance où le gouvernement serait dans la nécessité, dans l'obligation de donner cours forcé à ces billets. Je vais poser une hypothèse qui, certes, ne se réalisera jamais, mais il faut tout prévoir. Supposons que la Société Générale vienne à être mise en faillite; évidemment dans ce cas, le gouvernement ne pourrait pas donner cours forcé aux billets de cette banque, il faudrait bien alors donner cours forcé aux billets de la nouvelle banque.
M. De Pouhon. - Messieurs, il est impossible d'admettre l'éventualité que vient de poser l'honorable rapporteur; tout au plus, comme éventualité très éloignée, pouvez-vous supposer que l'établissement auquel l'honorable M. Tesch fait allusion vienne à être en sursis. Jamais il ne peut arriver quelque chose de plus grave; car aucun gouvernement ne refusera un sursis à un établissement qui se trouve dans la situation de celui dont il s'agit. Eh bien, ce sursis n'empêcherait en aucune manière de remettre en circulation les billets de la Société Générale qui se trouvèrent dans les caisses de la banque ; ces billets reposent sur des garantes réelles et fort bonnes et ils sont d'ailleurs garantis par l'Etat. Rien n'empêcherait donc qu'on les mît de nouveau en circulation dans la circonstance la plus extrême qu'on puisse prévoir. On éviterait ainsi cette tache, cette espèce de flétrissure que l'article, tel qu'il est rédigé, infligerait à la banque.
M. Tesch, rapporteur. - Je crois aussi, messieurs, que la prévision dont je parlais tantôt ne se réalisera pas, mais c'est un cas possible. L'honorable M. De Pouhon dit que la seule chose qui puisse arriver, c'est que la Société Générale soit en état de sursis, que le gouvernement ne refuserait certes pas un sursis à une société pareille. Je dois d'abord faire observer que lorsque la loi sur les faillites sera votée et publiée, le droit d'accorder des sursis n'appartiendra plus au gouvernement, il appartiendra à la cour d'appel et le sursis sera subordonné au consentement des créanciers, consentement qu'ils ne pourront accorder qu'à la majorité en nombre et représentant les trois quarts du montant total des créances.
Il se pourrait donc que le sursis ne fût pas accordé. Il se pourrait même que les créanciers influents poussassent, dans un intérêt quelconque, à la faillite. Or, si un semblable événement se réalisait, il pourrait ébranler le crédit de la nouvelle banque, et force serait évidemment au gouvernement de venir au secours de celle-ci. Et l'honorable M. De Pouhon doit avouer que le gouvernement ne pourrait le faire qu'en donnant cours forcé aux billets de la nouvelle banque.
Maintenant, messieurs, je dirai que le sursis placerait déjà la Société Générale et le gouvernement dans une singulière position. Il est incontestable que les billets de cette société seraient dépréciés et que le gouvernement ne pourrait guère donner cours forcé à ses billets : le public accepterait avec beaucoup de difficulté les billets d'une société placée dans de semblables circonstances.
Mieux vaudrait que, dans ce cas, les billets de la société que nous allons former eussent cours forcé, et je ne sais pas quelle grande flétrissure est attachée au cours forcé. En ce moment, les billets de la Société Générale et ceux de la Banque de Belgique ont cours forcé, et je ne crois pas que ce droit qui y est attaché leur ail imprimé une flétrissure quelconque. Je pense que M. De Pouhon s'exagère le discrédit que le cours forcé imprime aux billets au porteur.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. De Pouhon doit reconnaître qu'il est fort vraisemblable que le gouvernement ne fera pas usage de la faculté écrite dans l'article 26 ; il ne peut être mis dans la nécessité d'en faire usage que pour autant que la circulation tombe au-dessous de 20 millions. C'est donc pour une éventualité fort improbable que nous raisonnons. Sans admettre l'une des hypothèses qui ont été indiquées, il est facile de concevoir que telles circonstances peuvent se présenter, qui mettraient le gouvernement dans l'impossibilité d'autoriser la circulation des anciens billets ayant cours forcé.
Que ferait-on en pareil cas ou l'absence des chambres? Il faudrait convoquer les chambres, dit l'honorable M. De Pouhon; mais avant qu'elles fussent réunies, la catastrophe serait arrivée, l'institution serait perdue.
Pourquoi n'être pas prudent jusqu'au bout, du moment où nous voulons être prudents? Investissez donc le gouvernement de cette double faculté.
Il est bien certain que si l'éventualité prévue se présentait, on suivrait d'abord le conseil de l'honorable M. De Pouhon : on continuerait à remettre en circulation les anciens billets ayant cours forcé qui n'auraient pas encore été remboursés.
C'est à la dernière extrémité qu'on imprimerait le caractère de cours forcé aux billets de la banque nouvelle. Cette extrémité peut exister ; elle est possible, il est donc utile de laisser cette faculté au gouvernement. Quel inconvénient cela présente-t-il? L'honorable M. De Pouhon n'en signale aucun, sauf que, selon l'honorable membre, si les billets venaient ultérieurement à avoir le caractère de monnaie légale, ce serait une flétrissure imprimée aux billets de la banque nouvelle. Il y a de l'exagération. Mais enfin si l'on ne pouvait l'éviter?
C'est sans motif qu'on veut priver le gouvernement de la faculté qui lui serait peut-être indispensable, dans un moment suprême, pour sauver l'institution, pour l'empêcher de périr. Je ne comprends pas quelles sont les raisons qui font insister aussi vivement l'honorable M. De Pouhon, avec lequel j'ai été très heureux de me rencontrer sur tous les autres points, mais que j'ai le regret de trouver en dissentiment avec moi en ce moment.
M. De Pouhon. - Messieurs, c'est précisément parce que l'éventualité qui fera recourir au cours forcé est extrêmement éloignée que je repousse la surabondance de moyens qui vous est présentée en vue d'y parer. Pourquoi en adopteriez-vous un qui doit affecter le moral de la banque, tandis que vous en avez un autre beaucoup plus naturel, plus simple et qui est parfaitement suffisant?
« Il n'y a pas d'inconvénient, dit M. le ministre des finances, à déclarer dans la loi que le gouvernement pourra donner cours forcé aux billets de la banque nouvelle. »
A mes yeux, une grave atteinte au prestige nécessaire à l'institution est attachée à une disposition de ce genre. Une banque ne doit vivre et ne peut vivre que par le crédit, de la confiance de tout le monde, du détenteur d'un billet de 50 francs comme de celui de cent mille francs, de l'ignorant comme de l'homme intelligent, de l'homme à préjugés comme de l'esprit fort.
Vous ne devez pas présenter la Banque Nationale au public avec la perspective de devoir recourir pour elle à des mesures extrêmes; il ne faut pas qu'on fasse prévoir les éventualités en vue desquelles le gouvernement demande à être armé de la faculté que je combats. Si l'on met en circulation 20 millions d'une autre société, le public comprendra que c'est une nécessité résultant du prêt qui lui aura été fait. Mais éloignez de son attention que les billets de la Banque Nationale seront dans le cas d'avoir aussi le cours forcé.
L'honorable M. Tesch a mis en avant une hypothèse extrême que je n'admets pas. Il est impossible qu'elle se réalise, car si la situation de (page 857) l'établissement, au lieu de continuer à s'améliorer, venait à s'aggraver de nouveau,, elle n'irait jamais au-delà du sursis. Que ce soit la magistrature judiciaire ou le gouvernement qui aient à prononcer à ce sujet, ils seront, l'un comme l'autre, dominés par le désir d'éviter un ébranlement considérable.
Eh bien, messieurs, rien n'empêcherait de remettre en circulation des billets d'une société en sursis, billets garantis par un gage très solide et par l'Etat.
On dit que ce serait un grand inconvénient de devoir recourir aux chambres dans le cas où l'on serait dans la nécessité de donner cours forcé aux billets; mais il est une chose à remarquer: c'est que cette circonstance, cette nécessité ne se produira que quand de grands événements surviendront ; or, quand de pareils événements surviennent, le gouvernement appelle la représentation nationale pour prendre les mesures que les circonstances réclament; s'il s'agissait d'une situation où l'on serait dépourvu de moyens, je concevrais l'insistance qu'on met; mais il s'agit de billets qu'on a sous la main et qu'on veut remettre en circulation.
Dernièrement un actionnaire de la banque de Belgique venant d'une assemblée générale où un membre avait posé une éventualité beaucoup plus éloignée, plus improbable que celle dont il s'agit, me dit: J'ai entendu dire qu'il pourrait survenir telle circonstance, je ne veux pas m'y exposer, vendez mes actions.
Vous voyez quelle influence la prévision d'une éventualité peut avoir sur l'esprit public, sur sa confiance. Je suis convaincu que si l'on consacre dans la loi la disposition dont il s'agit, le crédit de la banque en souffrira. (Aux voix! Aux voix !)
M. Cools. - M. le ministre a paru désirer que la question soulevée par M. De Pouhon fût vidée aujourd'hui. Comme les interpellations que je désire lui adresser ne concernent pas spécialement l'article en discussion, on peut mettre aux voix cet article et l'amendement qui s'y rattache.
M. Lebeau. - J'étais assez indifférent entre les deux rédactions proposées; mais l'insistance que met l'honorable M. De Pouhon qui a une très grande habitude de ces sortes d'affaires, qui a plus tâté le pouls au crédit que M. le ministre des finances, dont je respecte du reste les lumières, cette insistance est de nature à ébranler beaucoup de personnes. C'est dès le jour de l'émission des billets qu'il pourra peser par cette éventualité une sorte de défaveur ; nous devons chercher à populariser le plus possible ces billets. Je sais que quand on analyse la chose froidement, on reconnaît que le résultat serait le même; si on crée le cours forcé, en se présentant avec des billets de l'Etat on recevrait des billets de la Société Générale, on échangerait billet pour billet, la situation serait la même pour le porteur de billets. Je suis frappé de l'insistance de M. De Pouhon, on sait combien sont folles les craintes en matière de bourse, d'escompte et de remboursements d'effets.
Je demande qu'on adopte l'amendement de M. De Pouhon, ou qu'on renvoie la discussion à demain.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne m'oppose pas au renvoi à demain, mais je désire répondre un mot à la dernière observation de l'honorable préopinant relativement à l'impression fâcheuse qui pourra peser sur les billets que la banque va émettre. Voyons ce qui va se passer. Vous laissez au gouvernement la faculté de remettre en circulation les billets à cours forcé ; nous demandons, en outre, que le gouvernement, pour le cas où il ne serait pas possible de faire usage des anciens billets puisse donner le caractère de monnaie légale aux billets de la banque nouvelle à concurrence des billets anciens non remboursés. Quelle différence y a-t-il?
- Un membre. - Que le gouvernement n'est pas responsable.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a pas la moindre différence.
- Un membre. - Les porteurs de billets ne sont pas toujours raisonnables.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous ne pouvons pas raisonner en prenant pour base les craintes de personnes qui s'effrayent à tort, sans savoir pourquoi; prenons des gens sérieux, sensés, qui apprécieront sainement les choses, ils trouveront qu'entre les deux hypothèses il n'y a aucune différence. Pourquoi des gens sérieux se préoccuperaient-ils de ce que penseront des gens insensés? Il y aura des billets éventuellement de deux espèces, dit M. Osy; c'est précisément ce que vous voulez, c'est ce que veut M. De Pouhon; il n'y aura qu'une seule espèce de billets si la mesure s'applique aux billets de la Banque Nationale. (Interruption.)
M. Osy se trompe sur le mécanisme de l'article 26; quand nous disons que les billets pourront avoir cours de monnaie légale à concurrence de 20 millions, il est clair que dès qu'il y aura plus de 20 millions il n'y aura pas un seul billet qui ne soit non-convertible.
Les honorables membres se font une idée inexacte de l'article 26; qu'est-ce que veut le gouvernement? il dit : Il y aura une certaine somme de billets anciens qu'il faudra remplacer par des billets de la Banque nouvelle et qui ne seront pas représentés par des valeurs facilement réalisables.
Il peut arriver que la circulation soit au-dessous du chiffre de-20 millions; la banque ne pourrait pas faire face au remboursement des billets; le gouvernement pourra autoriser la mise en circulation des billets retirés; il n'y aura plus que ceux-là ; s'il est impossible de remettre ces billets en circulation ; s'il y a danger à le faire parce qu'ils seraient dépréciés, parce qu'il pourrait en résulter un tort grave pour le public, parce que cela atteindrait le crédit de la banque, alors, alors seulement, il pourra déclarer les billets de la banque monnaie légale pour parer à toutes les éventualités, pour avoir la certitude que la banque est infaillible; or je la veux infaillible et vous, vous voulez l'exposer à ne pas pouvoir faire face à ses engagements; vous voulez nous obliger à appeler les chambres, mais avant que vous les ayez convoquées, l'institution sera renversée. C'est dans l'intérêt de l'institution même, c'est pour que sa sécurité soit complète, je le répète, qu'il faut la double faculté proposée par le gouvernement.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 5 heures.