(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 841) M. T’Kint de Naeyer procède à l'appel nominal à deux heures et quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.
M. de Luesemans présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Les élèves du doctorat en droit à l'université de Liège, inscrits au mois d'octobre 1848, demandent une loi qui les admette, pendant les deux sessions de 1850, à subir l'examen de docteur, conformément à la loi du 27 septembre 1835, et qui accorde la même faculté aux candidats de cette catégorie ajournés à la première session, s'ils se représentent à la session suivante. »
M. Delfosse. - Je demande un très prompt rapport sur cette pétition; elle est très urgente. Il s'agit d'élèves qui doivent se faire inscrire dans un délai très court.
Il faut qu'on prenne une résolution sur leur pétition d'ici à peu de jours. Sans cela elle serait rejetée par le fait.
M. de Renesse. - Je demande que la commission des pétitions soit convoquée pour lundi prochain. Si le rapport n'est pas fait avant le 6 ou le 7 de ce mois, il viendra trop tard.
- Le renvoi à la section centrale, avec demande d'un prompt rapport, est ordonné,
« Plusieurs distillateurs agricoles demandent des modifications à la loi sur les distilleries. »
M. de Renesse. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale qui sera nommée pour examiner la proposition de M. Pierre.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Lamborelle, sergent-major au 5ème de ligne, prie la chambre de l'exempter du droit d'enregistrement auquel est assujettie la naturalisation qui lui a été conférée, ou du moins de prolonger le délai endéans lequel il est tenu de verser dans les caisses de l'Etat le montant de ce droit. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le ministre des finances adresse à la chambre un exemplaire du tableau statistique du commerce des Pays-Bas pendant l'année 1848.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. de Denterghem demande un congé jusqu'au 14 mars prochain.
- Ce congé est accordé.
M. Faignart demande un congé pour indisposition.
- Accordé.
M. Mercier, au nom de la section centrale qui a examiné le projet relatif au service du caissier de l'Etat, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution du rapport et met le projet de loi à l'ordre du jour.
M. Deliége. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi portant modification à l'article 21 de la loi du 27 juin 1842 sur les distilleries, tel qu'il a été amendé par le sénat.
- Plusieurs membres. - La lecture !
M. Deliége. - Messieurs, lors de la discussion du projet de loi ayant pour but de modifier l'article 21 de la loi du 27 juin 1842 sur les distilleries, un amendement vous fut présenté par l'honorable M. Jacques.
Cet amendement limitait à un mois le délai pendant lequel le distillateur pourrait apurer son compte par une décharge de 28 fr., soit en exportant le produit de sa fabrication, soit en le déposant dans un entrepôt public.
Tout en donnant mon approbation aux motifs qui avaient dicté cet amendement, je crus que le délai d'un mois était trop court, qu'il était plus juste d'en accorder trois aux distillateurs.
L'amendement, ainsi modifié, fut adopté, après une discussion approfondie, par 46 voix contre 28.
Vous savez, messieurs, qu'il n'a pas reçu l'assentiment du sénat, qui a cru y voir une atteinte à ce principe immuable de justice : la loi n'a pas d'effet rétroactif, elle ne dispose que pour l'avenir.
Il y a substitué le recensement. Votre section centrale avait pensé à ce dernier moyen ; il avait été indiqué par plusieurs de ses membres ; tous, peut-être, l'auraient accepté comme plus efficace; mais ils ont pu se décider à me le proposer, parce qu'ils ont cru apercevoir, dans cette mesure, un caractère de sévérité qu'ils hésitaient à admettre.
D'un autre côté, la majorité des membres de la section persiste à croire que l'amendement adopté par la chambre, ne pouvait donner à la loi en discussion un effet rétroactif.
Mais ces considérations ont-elles un degré d'importance tel, que nous devions rejeter les modifications votées par le sénat? que nous devions élever un conflit qui pourrait, jusqu'à un certain point, troubler la bonne harmonie qui, nous l'espérons, existera toujours entre les grands corps de l'Etat?
Nous ne le pensons pas, messieurs. Votre section centrale vient donc unanimement vous proposer d'adopter le projet tel qu'il vous a été transmis par le sénat.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je pense que la chambre ne verra aucun inconvénient à interrompre la discussion du projet de loi sur la Banque pour statuer sur le projet qui vient de faire l'objet d'un rapport. Cette loi a un caractère d'urgence; la chambre le sait.
M. Loos. - Je propose de mettre ce projet de loi à l'ordre du jour après la discussion qui nous occupe en ce moment.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A quoi bon ? Il n'y a véritablement pas de motif. La mesure qui est proposée est très simple; elle est d'ailleurs connue; elle est tout à fait juste. On peut prétendre qu'elle est sévère ; mais comme il n'y en avait pas d'autres pour concilier les intérêts du trésor avec ceux des distillateurs, il a bien fallu l'adopter.
M. Loos. - La mesure peut être simple et très avantageuse à l'Etat, mais je ne sais si elle est également équitable pour l'industrie. C'est ce que je désire examiner ; je ne voudrais pas être appelé à voter aujourd'hui un projet que je n'ai pas eu le temps d'examiner mûrement.
- La chambre décide qu'elle passera immédiatement à la discussion.
Les articles du projet de loi sont successivement adoptés dans les termes suivants :
« Art. 1er. Par modification au paragraphe premier de l'article 21 de la loi du 27 juin 1842, sur les distilleries (Bulletin officiel, n°464), la décharge des droits est évaluée, dans les cas énoncés aux littera b, c et d du paragraphe 2 de l'art. 20 de la même loi, à 22 francs par hectolitre d'eau-de-vie marquant 50 degrés à l'alcoolomètre de Gay-Lussac, à la température de 15 degrés du thermomètre centigrade, et proportionnellement à cette base pour les qualités inférieures ou supérieures en force.»
« Art. 2. Seront soumis à cette décharge, les droits résultant des travaux effectués à partir du jour où la présente loi deviendra obligatoire, en vertu des déclarations alors en cours d'exécution.
« Les eaux-de-vie indigènes déposées en entrepôt public, en apurement de droits, ne pourront être enlevées pour la consommation que sous payement de l'accise au comptant, calculée d'après le taux de la décharge accordée au moment où elles ont été emmagasinées.
« Art. 3. L'exportation des eaux-de-vie indigènes, avec décharge des droits, dans les limites des quantités fixées par l'article 22 de ladite loi du 27 juin 1842, est permise par terre ou rivières et par les bureaux à désigner par le gouvernement.
« Art. 4. Les distillateurs, auxquels ne s'appliquent point les dispositions des articles 3 et 5 de la loi du 27 juin 1842 (Bulletin officiel, n°464), pourront continuer à jouir de la décharge de 28 fr. en apurement des termes de crédit inscrits à leurs comptes et non échus au jour où la présente loi deviendra obligatoire, pour les quantités d'eau-de-vie indigène fabriquées qu'ils désirent conserver pour l'exportation, le dépôt en entrepôt public ou pour être livrées à des négociants avec transcription-du droit.
« A cet effet, il sera procédé à un recensement suivant les formalités à prescrire par le ministre des finances. Les distillateurs qui ne s'y conformeront point perdront tout droit à ladite décharge. »
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
En voici le résultat :
72 membres ont répondu à l'appel nominal.
61 ont répondu oui.
10 ont répondu non.
Un membre (M. Coomans) s'est abstenu.
En conséquence le projet de loi est adopté. Il sera soumis à la sanction royale.
Ont répondu oui : MM. Dautrebande , David, de Baillet-Latour, de Brouckere , de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Dedecker, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dumon (Aug.), Dumont (Guillaume), Dumortier, Fontainas, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Mascart, Moncheur, Moreau, Orts, Peers, Pierre, Pirmez, Rogier, Rousselle, Sinave, Tesch, Thibaut, Thiéfry, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Van Hoorebeke, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Bruneau, Cans, Clep, Cools et Verhaegen.
Ont répondu non : MM. de Baillet (Hyacinthe), Loos, Manilius, Moxhon, Osy, Prévinaire, Rodenbach, Schumacher, T'Kint de Naeyer, Van Iseghem.
M. le président. - M. Coomans, qui s'est abstenu, est invité, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de son abstention.
M. Coomans. - Messieurs, mon intention était de m'abstenir sur le vote d'ensemble de la loi auquel je n'ai pas pu prendre part. Je saisis cette occasion pour m'expliquer en deux mots. Les faits et les chiffres graves allégués par M. le ministre des finances, ainsi que la répugnance que j'éprouve à voter des primes de sortie, m'ont empêché de maintenir la législation actuelle; mais, d'autre part, comme on ne peut nier que la distillation ne soit favorable à l'agriculture, et comme on maintient une (page 842) foule d'autres primes en faveur de l'industrie et du commerce, je n'ai pas voulu m'associer à une réforme partielle qui blesse, selon moi, la justice distributive.
La discussion continue sur l'article 8 et les amendements.
M. Le Hon. - Je m'associe à la pensée, et je partage le désir qu'exprimait, hier, l'honorable M. de Perceval, de faire participer l'agriculture aux avantages de l'influence qu'exercera sur la circulation l'établissement d'une Banque Nationale; mais je diffère avec lui sur le moyen d'y parvenir.
L'honorable ministre des finances a fait ressortir la différence qui existe entre l'escompte et l'avance sur nantissement; cette dernière opération est interdite à la banque : on en conçoit les motifs.
J’ai expliqué hier à la chambre comment, sans engager la banque au-delà du terme normal de l'escompte, on peut atteindre le but auquel tendait la proposition de M. de Perceval. J'ai fait connaître les associations qui s'étaient formées en France autour des comptoirs, partout où on les avait établis, et les facilités qui résultaient de leur entremise pour tous les intérêts. J'ai cité les herbagers et les éleveurs qui avaient généralement besoin de neuf mois pour réaliser leurs produits et dont ces associations auxiliaires acceptaient les valeurs à trois mois d'échéance, avec la perspective acceptée d'un ou de deux renouvellements. Elles se constituent soit par localité, soit par agrégation d'intérêts.
En Belgique, l'industrie agricole offre, dans ses différentes branches, la même diversité de conditions et d'usages. Il suffit de citer le régime commercial des grains, des graines oléagineuses, des matières textiles (lin et chanvre), des plantes fourragères, des houblons, l'engraissement du bétail, la sucrerie indigène et la distillerie agricole.
Ces intérêts peuvent, comme en France, s'unir par catégories et adopter, au mutuel avantage des membres de l'union, des combinaisons de crédit fondées sur le temps moyen nécessaire à la réalisation de leurs produits.
Des comptoirs d'escompte, ouverts dans tous les lieux où ils pourront fonctionner utilement, feront naître autour d'eux ces associations de garantie à l'aide desquelles l'agriculteur prendra sa part dans la circulation plus active du numéraire.
Le comité de ce qu'on appelle en France un sous-comptoir appose sa signature sur des effets, à côté des signatures les plus ignorées, et les accrédite auprès du comptoir d'escompte.
Un fait récent, que je puis certifier, prouve toute l'utilité de cette garantie intermédiaire.
Il y a peu de mois, le comité d'une petite ville du département de la Manche avait envoyé à l'escompte, au comptoir du chef-lieu Saint-Lô, des effets portant des signatures inconnues du comité central. A la demande d'explications sur la solvabilité des signataires, on répondit par des renseignements sur la position de tous, la plupart herbagers et éleveurs, par le chiffre de leurs contributions et par celui des affaires qu'ils traitaient régulièrement. Le bordereau des effets fut admis en entier comme contenant d'excellentes valeurs, bien que les premiers souscripteurs fussent étrangers jusque-là au mouvement des affaires et surtout des affaires de crédit.
Et il n'est pas rare aujourd'hui de voir des agriculteurs de quelque obscure localité de la basse Normandie présenter à l'escompte, au comptoir le plus voisin, des effets qui vont circulant de Saint-Lô jusqu'à Nîmes et Bayonne, accueillis partout avec confiance. On apprend ainsi à reconnaître que la solvabilité modeste des campagnes n'est pas la moins sûre, alors même qu'elle est ignorée au-delà d'un rayon de quelques lieues. Cette explication m'a paru nécessaire, pour prouver en quel point je différais d'opinion avec M. de Perceval, au sujet de l'amendement qu'il a présenté.
Je pense que la loi en discussion, si elle est appliquée dans l'esprit des institutions françaises, dont j'ai signalé hier les heureux effets, suffira pour étendre à l'industrie agricole les bienfaits de la circulation et du crédit dont elle n'a été que trop longtemps privée.
M. De Pouhon. - Messieurs, j'avais demandé la parole hier pour faire observer à l'honorable M. Cools que les avances que la Banque Nationale ferait sur dépôt de fonds nationaux ne constitueraient pas opérations d'agiotage ni ne seraient propres à favoriser l'agiotage, puisque la banque serait conseillée d'exclure les prêts destinés aux spéculations de la bourse. L'honorable membre dit que si la Banque des Pays-Bas fait ces sortes d'avances, c'est qu'à Amsterdam, il y a un grand commerce de fonds publics, et qu'il a fallu respecter les habitudes prises.
L'honorable M. de Brouckere ne connaît pas lui de commerce de fonds publics à moins que ce soit l'agiotage. Je crois cependant qu'une maison de banque qui achète à l'étranger des fonds belges pour les revendre au marché intérieur ou qui en achète ici pour les livrer en liquidation à Paris, à Londres ou ailleurs, fait une opération de commerce.
La partie du public qui recourt aux avances sur effets publics sont des négociants, les uns riches qui emploient en ces valeurs des fonds qui excèdent habituellement leurs besoins et qui dans certaines occasions ont l'emploi de ressources plus grandes. D'autres négociants ou fabricants aisés voulant profiter des avantages que leur présenteront les comptes courants achèteront des effets publics nationaux, qu'ils déposeront à cette fin à la banque ou dans ses agences.
Ce ne sont pas des mineurs, ils pourront apprécier tout aussi bien que nous le degré de confiance qu'ils peuvent avoir dans les fonds de l'Etat, et très heureusement ils en auront meilleure opinion que plusieurs orateurs qui voient tant de danger dans la possession de ces valeurs. Je demanderai à ces honorables membres si, lorsqu'ils ont voté des emprunts, ils ont entendu tendre un piège à ceux qui répondraient à l'appel du gouvernement? S'ils ont admis alors qu'il arriverait un jour où le pays ne voudrait pas rembourser ou qu'il ne le pourrait pas.
On le supposerait vraiment en entendant l'honorable M. de Brouckere dire :« Les fonds publics ne représentent rien, absolument rien. C'est un papier de confiance. L'Etat n'est pas obligé de rembourser le capital à une époque quelconque, il doit simplement en servir la rente. Personne ne s'est engagé à rembourser le capital, ni à une échéance actuelle, ni à une échéance ultérieure. »
Ces allégations descendant de la tribune dans le public seraient de nature à y produire un fâcheux effet, si elles ne froissaient évidemment la vérité et la foi que le pays a en lui-même.
Les fonds publics représentent la fortune et la moralité du pays. L'Etat a pris l'engagement de rembourser les emprunts qu'il a contractés, et c'est en exécution de cet engagement qu'il rachète annuellement pour 4 à 5 millions de sa dette.
C'est sous ce rapport que, si la question de l'amortissement se présentait, je combattrais l'opinion émise hier à ce sujet par l'honorable baron Osy.
A ceux qui voudraient admettre une hypothèse immensément éloignée à mes yeux, je dirai que la Belgique sera toujours considérée comme bonne à prendre avec ses charges ainsi qu'avec ses bénéfices.
M. de Brouckere. - J'avais demandé la parole hier, au moment où M. le ministre des finances, en me répondant, disait qu'il ne concevait pas comment des députés belges voulaient interdire à une Banque Nationale les opérations sur fonds publics, que nous avions l'air de jeter du discrédit sur les fonds publics, et c'est encore l'argumentation que vient de vous présenter l'honorable M. De Pouhon.
Personne de nous n'a dit qu'il y avait le moindre risque, le moindre danger à prêter sur dépôt de fonds publics. Ce que nous avons dit, c'est que les opérations sur fonds publics n'étaient pas des opérations dont la réalisation fût certaine ; c'est que c'était une immobilisation.
Nous trouvons les fonds publics au moins aussi bons que les effets des maraîchers dont vous a parlé l'honorable comte Le Hon et qui cependant ne peuvent à aucune condition être admis par une banque. L'honorable membre les a exclus lui-même en disant que ces effets devaient être renouvelés deux ou trois fois.
M. Le Hon. - Pas par la banque.
M. de Brouckere. - Ils ne peuvent pas être escomptés en seconde main par la banque. Car le comptoir qui les aurait escomptés en première main pour les remettre à la banque, devant les renouveler, devra lui-même demander un renouvellement à la banque. Ce sont donc des effets qui ne peuvent arriver, ni directement, ni indirectement, ni par tierce voie, à la banque.
A une banque de circulation il ne faut qu'une seule sorte d'effets. Les effets qui représentent des marchandises livrées, des affaires faites, et dont le terme de payement est stipulé tout au plus à 90 jours sans aucune remise. Voilà les seuls effets que la banque doit admettre.
Du reste on argumente singulièrement contre nous. On nous dit, d'une part, que nous voulons exclure de la banque les effets publics, et d'une autre part, on nous reproche de ne pas assez pousser la banque à. faire l'escompte, alors que nous demandons qu'il n'y ait pas dix comptoirs. Cette dernière question est résolue; mais plus vous limiterez les opérations de la banque, plus la banque devra escompter. Eh bien! elle viendra indirectement en aide et à l'agriculture et au petit commerce qui trouveront des capitaux disponibles pour leur faire des avances ou des prêts.
Je maintiens mon amendement, et je demande l'exclusion des prêts sur fonds publics, à moins qu'on ne veuille stipuler dans la loi que la somme des affaires en fonds publics ne dépassera jamais le capital versé dans la banque. Ainsi, quand il y aura 15 millions versés, la banque ne pourra pas faire pour plus de 15 millions d'affaires sur fonds publics; parce que les 15 millions du capital peuvent très bien ne pas être mobiles. Ils ne sont pas destinés au payement des billets au porteur. Les billets au porteur sont représentés par le portefeuille et la caisse.
M. De Pouhon. - L'honorable M. de Brouckere nous fait une concession beaucoup plus grande que nous ne l'aurions demandé. M. le ministre des finances se réserve de fixer par une mesure réglementaire l'importance des prêts sur fonds nationaux. Je suis persuadé qu'il limitera ces prêts à un chiffre inférieur à celui que vient de nous concéder l'honorable M. de Brouckere.
Je me permettrai de faire valoir une autre considération.
Le projet impose beaucoup de charges à la Banque Nationale ! - Ce sont des comptoirs à établir dans les localités qu'elle ne choisira pas elle-même, c'est le service d'une caisse d'épargne à faire, c'est une avance forcée de 20 millions à 3 p. c. - Elle sera garrottée au point de ne pouvoir rien faire que sous le bon plaisir du ministre des finances et sous sa surveillance incessante par le commissaire du gouvernement. On croirait que l'Etat va lui faire une grande concession en échange de ces sacrifices, par exemple, la concession du cours légal de ses billets, ce qui serait encore utile aux intérêts généraux du pays. Loin de là, quelques honorables collègues voudraient lui interdire une branche d'affaires essentiellement (page 843) du domaine des banques. Je doute, messieurs, que l’on trouvât des actionnaires à ces conditions, et que les deux établissements qui doivent fournir le fonds social fussent disposés à y consentir.
Messieurs, quand on parle de faire des avances sur fonds publics, il s'entend qu'elles ne commencent que lorsque les besoins de l'escompte sont satisfaits et qu'ainsi elles ne mettront jamais la banque dans le cas de refuser un effet de commerce qui sera présenté.
Mais il peut se faire que la matière escomptable manque à la banque. Ainsi dans les circonstances actuelles où il y a peu de transactions à terme, où l'on voit peu d'effets, il est possible que la banque ne trouve pas à placer les fonds qui lui rentreront par la circulation de ses billets. Pouvez-vous lui interdire la faculté d'utiliser cet argent en faisant des avances sur fonds publics?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Au moment où l'honorable M. De Pouhon a demandé la parole, je me levais pour faire remarquer aussi que nous étions bien près de nous entendre avec l'honorable M. de Brouckere.
Je suis d'accord avec l'honorable membre sur tous les principes qu'il a posés relativement aux effets de commerce qui seuls sont admissibles par une banque d'escompte. Il faut qu'il y ait, avant tout, une opération de commerce pour que le billet créé à la suite de cette opération puisse être escompté.
Quant aux opérations sur fonds publics, je suis encore d'accord avec l'honorable membre, qu'il faut nécessairement les limiter, et la pensée du gouvernement n'a pas été un seul instant équivoque à cet égard. Dans l'article primitif, le gouvernement disait : Les statuts fixeront le maximum de la somme qui pourra recevoir cette destination.
Il me paraît évident que si cette disposition avait été maintenue, il aurait été impossible de fixer comme maximum le capital réalisé de la banque. Or, l'honorable M. de Brouckere concède que l'on pourrait aller jusque-là. Je ne vais pas aussi loin.
L'honorable membre me fait observer que c'est mon opinion personnelle, que ce n'est pas dans la loi. Il est bien clair qu'en déclarant que les statuts fixeraient le maximum de la somme qui pourrait recevoir cet emploi, on ne pouvait pas aller jusqu'à y affecter tout le capital réalisé. Mais il serait sinon impossible, du moins imprudent de déterminer par la loi une limite aussi élevée. Il vaut mieux abandonner cette appréciation à l'administration. Cela sera fait selon le temps, selon les circonstances.
C'est par ce motif que je me suis rallié à l'amendement de l'honorable M. De Pouhon, qui est rédigé de telle sorte que toutes les objections qui ont été présentées doivent tomber : La banque est autorisée à faire des avances sur dépôt d'effets publics, dans les limites et aux conditions à fixer périodiquement par l'administration de la banque, conjointement avec le comité de censeurs, sous l'approbation du ministre des finances. Il me semble que cela répond à toutes les objections qui ont été présentées, que toutes les garanties qu'on pouvait obtenir se trouvent dans la disposition, telle qu'elle est proposée.
M. Manilius. - J'ai entendu des observations sur le véritable sens de l'article 8. Je crois qu'il y a là une restriction, parce que les statuts fixeront un maximum. Au paragraphe premier, il est dit que la banque pourra escompter des bons du trésor, et les bons du trésor ne sont pas compris dans le maximum. Si vous ne les y comprenez pas, il sera possible d'absorber tout le capital de la banque par l'escompte des bons du trésor. Le dernier paragraphe de l'article porte : « Les statuts fixeront le maximum de la somme qui pourra recevoir cette dernière destination (avance sur effets publics). » Il n'est rien dit à l'égard d l’article premier relatif à l'escompte des lettres de change et des bons du trésor. Je crois que les précautions prises au dernier paragraphe devraient également s'appliquer au paragraphe premier.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce paragraphe est supprimé par l'amendement auquel je me suis rallié. La limite sera déterminée par les statuts; car il doit y avoir une limite à l'escompte des bons du trésor, bien que cette opération ne présente pas les mêmes inconvénients que l'avance sur fonds publics. Les bons du trésor ne sont pas exposés aux mêmes fluctuations que les fonds publics; ils sont remboursables à une échéance fixe. Il n'en est pas de même des fonds publics.
- La discussion est close.
Le premier alinéa et le n°1° de l'article 8 sont adoptés.
Le n°2° nouveau, proposé par la section centrale, est adopté dans les termes suivants :« 2° à faire le commerce des matières d'or et d'argent.»
Les numéros 2°, 3° et 4°, qui deviennent les numéros 3°, 4° et 5°, sont adoptés.
Le numéro 6° est adopté dans les termes suivants, proposés par M. De Pouhon, auxquels M. le ministre des finances s'est rallié : « 6° Enfin à faire des avances en compte courant ou à court terme sur dépôt d'effets publics nationaux ou d'autres valeurs garanties par l'Etat, dans les limites et aux conditions à fixer périodiquement par l'administration de la banque, conjointement avec le comité de censeurs, sous l'approbation du ministre des finances. »
Le paragraphe nouveau proposé par M. de Perceval dans les termes suivants : « A faire des avances aux cultivateurs sur dépôt de denrées agricoles ou sur d'autres garanties à déterminer par les statuts, » est mis aux voix; il n'est pas adopté.
La suppression du dernier paragraphe de l'article proposée par M. De Pouhon est prononcée.
L'article 8 ainsi modifié est adopté dans son ensemble.
La chambre passe à la discussion sur l'article 9, ainsi conçu :
«Art. 9. Il est formellement interdit à la banque de se livrer à d'autres opérations que celles déterminées par l'article 8.
« Elle ne pont emprunter; elle ne peut faire des prêts, soit sur hypothèque, soit sur dépôt d'actions industrielles.
« Elle ne peut prêter sur ses propres actions ni les racheter.
«E lle ne peut prendre aucune part, soit directe, soit indirecte dans des entreprises industrielles, ni se livrer à aucun genre de commerce autre que celui des matières d'or et d'argent.
« Elle ne peut acquérir d'autres propriétés immobilières que celles, strictement nécessaires au service de l'établissement. »
La section centrale propose au 4° aliéna un amendement auquel M. le ministre des finances se rallie. Il consiste à terminer cet alinéa par les mots : « autre que celui dont il est fait mention au paragraphe 2 de l'article précédent. »
M. le président. - M. Cans propose de supprimer au deuxième alinéa les mots : « elle ne peut emprunter. »
M. Cans. - Messieurs, j'ai développé dans la discussion générale les motifs sur lesquels s'appuie mon amendement.
Je reconnais en principe que, dans des circonstances ordinaires, une banque de circulation ne doit pas emprunter. Si la marche des affaires fait sentir la nécessité permanente d'un encaisse plus considérable, il est préférable de recourir à une augmentation de son capital. Un emprunt à terme opérerait, pour un certain temps, de la même manière, puisqu'il permettrait de donner plus d'extension aux avances; mais la situation même de la banque serait beaucoup moins bonne, la garantie de solidité qu'elle doit offrir ne serait plus aussi complète; en effet, tandis que les fonds qu'elle recevrait comme complément de capital viendraient augmenter son actif, ceux qu'elle recevrait du chef d'un emprunt augmenteraient au contraire son passif.
Mais parce tout le monde est d'accord qu'en thèse générale, une banque de circulation sagement administrée ne doit pas faire d'emprunt, s'ensuit-il qu'il faille nécessairement le dire dans la loi? Ne suffit-il pas que l'administration de la banque, le commissaire du gouvernement et le ministre lui-même soient bien convaincus de cette vérité, pour avoir toute certitude que la banque s'abstiendra de se livrer à ces opérations à moins de circonstances extraordinaires? Ne peut-il pas arriver que des mesures analogues à celles qui ont permis à la Banque d'Angleterre de sortir des difficultés du moment, soient également utiles à la Banque Nationale? Si l'interdiction d'emprunter est écrite dans la loi, je ne vois qu'un moyen , c'est que le ministre des finances d'alors soit un homme assez résolu pour autoriser la banque à violer la loi, sauf à demander aux chambres un bill d'indemnité.
C'est ce que reconnaît M. le ministre des finances. Il nous a dit, dans la séance d'avant-hier, que dans le cas de circonstances exceptionnelles on transgressera la loi, sauf à faire ratifier par les chambres. Ici, messieurs, je ne puis partager l'opinion de M. le ministre des finances. J'admets que lorsqu'il s'agit du salut publie, le gouvernement peut transgresser la loi en demandant ensuite un bill d'indemnité; mais ce sont des éventualités qu'il faut se garder d'avoir en perspective quand on fait la loi, et quand on peut, par une modification peu importante du texte, éviter de devoir y recourir, je crois qu'il est sage de le faire. D'ailleurs, on ne trouve pas toujours au pouvoir des ministres ayant assez de résolution pour prendre une mesure extrême comme celle-là au risque d'engager leur responsabilité.
On admet que la Banque pourra recevoir des dépôts sur lesquels elle payera un léger intérêt, et j'approuve entièrement cette disposition ; elle est de nature à avoir une heureuse influence sur le mouvement des capitaux, à les amener dans la circulation. Trop de petites sommes restent enfouies qui pourraient être employées utilement.
En Angleterre, au contraire, où chacun croit son argent plus en sûreté dans les coffres de la banque que renfermé dans les tiroirs des meubles, ou même enterré comme le font beaucoup de nos cultivateurs dans leur jardin, les banques en général ne payent pas d'intérêt sur les dépôts afin de les repousser.
En Belgique, il faut chercher à les attirer. La mesure aura d'excellents effets. Ces dépôts ne sont en réalité que des emprunts.
En formulant la loi qui est en discussion, nous devons certes ne pas perdre de vue les faits qui ont amené la situation actuelle de la Société Générale, nous devons en tenir compte pour éviter le retour des mêmes fautes, mais il ne faut pas que la réaction nous entraîne au-delà de ce qui est utile, nécessaire.
Comme je l'ai déjà dit : ce ne sont pas les emprunts faits par la Société Générale, mais l'emploi qui a été donné aux fonds prêtés qui est la cause de la gêne où elle s'est trouvée. Je ne vois donc aucune utilité, tandis qu'il peut y avoir un grave danger, à interdire les emprunts d'une manière absolue.
On craint d'affaiblir la confiance que le public doit avoir dans la banque en n'inscrivant pas dans la loi qu'elle ne peut emprunter. Messieurs, la meilleure garantie que puisse offrir la banque de la sagesse de sa gestion se trouve dans la publicité donnée à ses opérations plutôt que dans la disposition que je propose de supprimer.
M. le président. - M. Vermeire propose un paragraphe additionnel ainsi conçu :
« Elle ne peut payer aucun intérêt sur les dépôts, ni sur les avances qui lui sont faites en compte courant. »
M. Vermeire. - Je crois que cet amendement n'exigera pas de grands développements.
Dans la section centrale, on a agité la question de savoir si la banque payerait un intérêt sur les fonds déposés, ou sur les avances qui lui seront faites en compte courant.
(page 844) M. le ministre des finances, en répondant à cette demande, a cru devoir dire que, dans certaines circonstances, un léger intérêt ne pourrait entraîner aucun danger pour la banque. Je crois au contraire que la bonification d'un intérêt par la banque, sur des dépôts qui lui seraient faits renfermerait un danger immense et réel. En effet, quand viendra-t-on déposer à la banque? Ce sera surtout dans les moments où l'argent sera abondant, où il y aura, pour ainsi dire, stagnation dans le commerce, c'est-à-dire dans des moments où la banque ne pourra pas plus faire emploi de ces fonds que les particuliers.
Quand viendra-t-on les reprendre? Quand l'argent devenant plus rare, il y a chance de l'utiliser. Si maintenant la banque bonifie un léger intérêt, il est certain que plus les capitaux afflueront vers sa caisse, plus elle sera dans la nécessité de les employer à escompter des bons du trésor ou à faire des avances sur fonds publics, ou même à acheter de ces fonds.
La bonification des intérêts n'est admise dans aucune banque nationale, ni en Angleterre, ni en Hollande, ni en France.
Puisque la Banque Nationale est instituée pour escompter des effets de commerce, elle ne doit pas avoir d'autre but.
Je crois que ces considérations doivent suffire pour justifier mon amendement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne puis me rallier à l'amendement présenté par l'honorable M. Cans. Je crois qu'on veut donner à la banque un droit extrêmement dangereux : celui de pouvoir emprunter. Cela présenterait les plus graves dangers. Si la banque pouvait emprunter, on peut être certain que, dans un temps plus ou moins éloigné, elle se livrerait à des opérations chanceuses. C'est ce que nous avons voulu éviter. C'est dans son portefeuille qu'elle doit trouver des ressources : si elle ne fait que les opérations qui sont autorisées par la loi, elle ne sera pas dans la nécessité d'emprunter.
Ce qui a mis en péril les banques américaines, c'est précisément la faculté qu'elles avaient d'emprunter. Aussi le président des Etats-Unis, dans son message de 1840, a-t-il déclaré que le mal venait de ce que la banque, au lieu de faire des prêts, avait fait des emprunts.
L'honorable membre dit que la faculté donnée à la banque de recevoir des sommes sur dépôt, et au besoin d'en payer un léger intérêt, doit être parfaitement assimilée à un emprunt. C'est là une erreur: l'emprunt affranchit la banque vis-à-vis de son créancier pendant tout le terme; pour le dépôt, la banque est à la discrétion du créancier ; on peut retirer les fonds soit immédiatement, soit à de très courts termes, et quant à nous, nous n'avons admis la possibilité éventuelle, à réserver aux statuts, de la fixation d'un léger intérêt que pour avoir la garantie qu'on ne viendrait pas instantanément réclamer un dépôt. Ce n'est que comme moyen d'obtenir un terme.
Les dépôts, pour lesquels un léger intérêt est bonifié, en retour de la condition acceptée d'un terme pour la demande de remboursement, ne peuvent pas pour cela être assimilés à l'emprunt.
Ce n'est pas moins un dépôt que les jurisconsultes qualifient d'irrégulier. Le dépôt véritable oblige celui qui l'a reçu à remettre identiquement la même chose que celle qui a été déposée; le dépôt irrégulier n'oblige qu'à remettre la même somme que celle qui a été déposée. Pour le dépôt irrégulier, on admet généralement qu'il peut y avoir lieu à un léger intérêt.
M. Osy. - Messieurs, la proposition de l'honorable M. Cans et celle de l'honorable M. Vermeire sont la contrepartie l'une de l'autre. Je viens combattre la première et appuyer la seconde.
Emprunter est, pour une banque, l'opération la plus dangereuse. Croyez-vous qu'un capital de 25 millions ne suffise pas pour les besoins du pays? Augmentez-le. Je crois, avec M. le ministre des finances, que 25 millions suffisent; mais, je le répète, emprunter à époques fixes, c'est l'opération la plus dangereuse.
La Société Générale était entrée malheureusement dans ce système. Elle est encore aujourd'hui sous le coup de 31 millions au-dessus de son capital, en obligations émises à termes.
Je ne puis consentir à autoriser la banque à faire des emprunts à époques fixes, et c'est précisément pour cela que je m'oppose à ce qu'on reçoive de l'argent en compte courant, en bonifiant l'intérêt ; car prendre de l'argent en compte courant à intérêt, c'est un emprunt.
Je dirai quelques mots pour soutenir l'honorable M. Vermeire.
Je crois qu'il serait sage d'écarter l'amendement de l'honorable M. Cans.
En 1840, la Banque de Belgique avait introduit la première le système de bonifier des intérêts sur des sommes versées en compte courant. Les négociants qui avaient leur argent oisif quelques jours avant l'échéance de leurs payements, le déposaient à la banque ; survenait une panique, et tout le monde retirait son argent. Ce retrait des comptes courants a fait plus de mal que le retrait des billets de banque.
M. de Brouckere. - Messieurs, je me rallie entièrement à ce que vient de dire mon honorable voisin. Je ne combats plus l'amendement de l'honorable M. Cans, je crois qu'il l'a été suffisamment ; mais je dois ajouter quelques mots sur la contradiction qui existe dans le projet de loi.
M. le ministre des finances a dit tout à l'heure que prendre des fonds en compte courant, et bonifier des intérêts, ce n'est pas emprunter, car quand on emprunte on stipule un terme. Mais on ne peut pas, à moins de se livrer à des opérations chanceuses, payer un loyer pour des fonds qui peuvent être redemandés le lendemain, c'est-à-dire qu'on peut redemander tous les jours.
Or, comme l'a dit M. le ministre des finances, on a mis cette réserve dans la loi, parce qu'on stipulera qu'on ne peut redemander les fonds qu'après un temps déterminé. Mais dès que vous stipulez le terme, c'est un emprunt dans la forme ordinaire, dont vous dénaturez seulement l'étiquette.
Mais, je le répète, s'il n'y a pas de terme stipulé, et je puis confirmer ce que l'honorable M. Osy vient de dire sur ce qui s'est passé à la Banque de Belgique en 1838, s'il n'y a pas de terme stipulé, c'est de toutes les opérations la plus dangereuse.
Eh! messieurs, les banques, en admettant sans intérêt des dépôts de fonds, rendent un immense service au commerce. D'abord, elles le débarrassent de toute inquiétude sur la conservation de ses écus; on les conserve pour lui; en second lieu, on lui évite tous les maniements d'écus. Les opérations sont facilitées; il suffit de mettre une signature sur un papier, pour faire le plus gros payement.
Du reste, la Banque de France n'accorde aucune espèce d'intérêt. Elle a des sommes immenses en dépôt. Tous les commerçants de Paris ont un compte courant à la Banque de France sur dépôts, et tous règlent leurs affaires par des mandats.
- Un membre. - Cette faculté est réservée aux actionnaires seuls.
M. de Brouckere. - Je vous demande pardon; alors qu'on est présenté au comité de régence de la banque par un actionnaire, on est admis à avoir un compte courant. Je puis vous l'affirmer parce que j'ai été directeur d'une société qui n'avait pas d'actions de la banque de France et qui y avait un compte courant.
M. Veydt. - Messieurs, les considérations que d'honorables orateurs ont fait valoir tout à l'heure pour interdire à la banque nouvelle d'acquérir des fonds nationaux, et à présent pour lui défendre de recevoir des espèces en dépôt, en allouant un léger intérêt aux déposants, me paraissent bonnes, quand elles n'ont en vue que de recommander une grande prudence et de prémunir la banque contre l'immobilisation de ses ressources et contre le danger des demandes de remboursements dans les moments de crise. Mais, suivant moi, il ne faut pas leur donner une plus grande portée, et l'amendement de l'honorable M. Vermeire va au-delà du but.
Nous instituons une banque dont la durée est fixée à 25 ans. Si elle rend véritablement les services qu'on attend d'elle pour le commerce et l'industrie, il arrivera qu'on fera un plus grand usage du crédit, que l'escompte se développera avec les affaires et que les capitaux y trouveront plus d'emploi. Alors la matière escomptable ne fera plus défaut à la banque, et, s'il en est ainsi, elle aura de l'avantage à accepter les fonds qui lui seront momentanément offerts à un intérêt fort modique, à 2 ou 2 1/2 p. c. En disant momentanément, je n'entends toutefois pas un espace de temps aussi court qu'une quinzaine, par exemple. Non, il ne sera bonifié aucun intérêt en pareil cas, et à ces dépôts on appliquera la règle générale qui est que la banque ne paye aucun intérêt sur les fonds qui lui sont versés.
Mais je ne puis admettre que cette règle ne puisse recevoir aucune exception. Ailleurs, notamment en Ecosse, on fait un fort bon usage de la faculté que l'amendement tend à supprimer. Je n'entends pas faire de comparaison entre les deux pays; cependant il arrivera aussi en Belgique, et fréquemment, je l'espère, que la banque pourra employer à l'escompte, à 3 ou 4 p. c, des capitaux qu'elle aura acceptés à 2 p. c. en dépôt, pour une durée et à des conditions convenues.
Ce surcroît de capitaux disponibles tournera au profit des affaires commerciales ; il agira favorablement sur le taux de l'escompte. Les inconvénients qu'on redoute d'une trop grande facilité de se procurer de l'argent et de l'éventualité d'être obligé de le rembourser dans des moments inopportuns disparaissent, en grande partie, si on a soin de n'employer ces ressources temporaires qu'à des destinations temporaires aussi, c'est-à-dire à l'escompte du véritable papier de commerce. Elles ne devraient même pas recevoir d'autre emploi.
Et remarquez, messieurs, qu'il dépendra de la banque d'accepter des fonds en dépôt, moyennant un léger intérêt et qu'elle ne s'y montrera disposée que pour autant qu'elle n'en puisse faire l'usage que j'indique.
Je demande seulement qu'on ne lui interdise pas ce moyen, et je voterai en conséquence contre l'amendement de M. Vermeire.
J'en agirai de même au sujet de l'amendement de l'honorable M. Cans. Je préfère à tous les deux les dispositions du projet de loi.
M. Mercier. - On ne fait pas attention aux observations du gouvernement que la section centrale a admises; l'honorable M. Osy parle de remboursement instantané, et il signale les conséquences fâcheuses qui peuvent en résulter pour la banque ; il a rappelé ce qui s'est passé à Anvers et à Bruxelles ; mais c'est pour prévenir le remboursement instantané qu'on réclame la faculté de payer un léger intérêt afin que la banque puisse stipuler certaines conditions ; loin que de semblables dépôts puissent avoir des conséquences plus dangereuses qu'une demande subite de remboursement des billets, c'est le contraire qui arrivera; car les billets de banque, on peut toujours en exiger le remboursement immédiat; souvent il y a des crises qui ne sont pas sérieuses, pendant lesquelles on peut bien demander le remboursement des billets, tandis qu'au contraire, on ne pourrait réclamer le remboursement instantané de dépôts pour lesquels, en payant un léger intérêt, on aurait pu stipuler certaines conditions qui ne seraient pas le remboursement à une époque déterminée, mais, par exemple, à huit ou quinze jours de la demande. Voilà pourquoi il ne faut pas interdire à la banque de bonifier un intérêt pour les dépôts de fonds qu'elle peut recevoir.
(page 845) M. Osy. - Effectivement le gouvernement a dit que ce serait par les statuts que les conditions des dépôts seraient déterminées.
Dans la loi se trouve le principe que la banque ne pourra pas emprunter; il ne faut pas dévier du principe pour des sommes pour lesquelles on ne fixerait pas d'époque de remboursement; ce serait là une contradiction.
Je veux ajouter un mot sur le danger de bonifier des intérêts pour les dépôts.
En 1848, nous avions à Anvers un établissement de banque, dont le capital était de 4 ou 5 millions ; ce ne sont pas les porteurs de billets de banque qui ont mis cet établissement en souffrance et obligé sa suspension, mais les personnes qui y avaient des fonds en compte courant. Moi, à 10 heures, j'ai reçu mon argent, et celui qui s'est présenté à 10 heures et demie n'a rien reçu. Elle avait dû suspendre par les nombreux remboursements demandés des fonds déposés en compte courant à intérêt. La banque paye un intérêt pour les fonds qu'elle reçoit en dépôt, elle doit les faire valoir pour gagner ce qu'elle doit payer au déposant, vous l'obligez à immobiliser ces fonds, ne fût-ce que pour trois mois, et si on vient les lui réclamer, elle ne peut pas payer.
Nous ne devons pas insérer dans la loi des dispositions qui engagent la banque à faire des emprunts indirects; si par le paragraphe 2 nous lui interdisons de faire des emprunts à terme fixe, nous ne devons pas l'autoriser à bonifier des intérêts pour attirer des dépôts. J'ai, comme je l'ai déjà dit, géré la banque commerciale. La Société Générale n'a pas suivi l'exemple de la Banque de Belgique et de la Banque d'Anvers, qui bonifiaient un intérêt pour les dépôts; la Société Générale a toujours refusé de bonifier des intérêts pour ces dépôts; aussi elle n'a pas eu d'embarras pour les dépôts qu'elle a reçus, elle n'en a éprouvé que par suite de ses emprunts à terme fixe.
Je voterai donc pour l'amendement de M. Vermeire, et je repousserai celui de M. Cans.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a une grande différence entre l'emprunt et le dépôt fait sous bonification d'un léger intérêt afin d'obtenir certaines conditions favorables. L'emprunt a pour résultat d'obliger au payement d'un intérêt égal à celui qui est généralement admis pour des placements de cette espèce ; le dépôt est précisément exclusif de pareils engagements. Voilà une différence qui est capitale. Par l'emprunt on obtient un terme fixe, déterminé; par le dépôt avec bonification d'un léger intérêt pour avoir des conditions favorables à la sûreté de la banque, on n'obtient pas de terme fixe; les sommes peuvent toujours être réclamées, sauf un avertissement suivi de certain délai. Dans le premier cas, le créancier fait un placement de fonds; dans le deuxième il confie son argent en se réservant de pouvoir le retirer à sa demande.
Pour l'emprunt, le terme est le même pour le débiteur que pour le créancier; pour le dépôt, le terme est à la discrétion du créancier; il n'y a pas d'analogie véritable entre l'emprunt et le dépôt.
L'emprunt, j'en ai signalé les dangers; la banque ferait de folles spéculations si l'autorisation d'emprunter lui était accordée.
C'est, dit-on, précisément pour éviter les inconvénients de l'emprunt qu'on ne veut pas permettre à la banque de recevoir des fonds en compte courant avec bonification d'intérêt; on prétend qu'il y aurait un grand danger, parce que à la première crise on viendrait les réclamer et qu'on mettrait la banque dans l'embarras.
Est-ce que ce danger disparaît parce qu'on interdit de stipuler un intérêt pour avoir des conditions plus favorables? On l'aggrave au contraire. Vous déclarez que c'est déjà un grand avantage pour un commerçant d'avoir ses fonds en dépôt, en compte courant à la Banque. Avec ou sans conditions, il y aura donc des fonds déposés de la sorte. Or, dites-nous, je vous prie, s'il n'est pas plus favorable à la Banque de stipuler qu'elle devra être avertie quelques jours avant le retrait des fonds, que d'être à toute heure exposée à une demande de remboursement ?
Comme vous l'avez très bien démontré, il est clair que l'on fera les dépôts avec ou sans intérêt. Que voulez-vous donc? Qu'ils soient toujours faits sans intérêts, c'est-à-dire sans aucune espèce de condition qui puisse arrêter les créanciers même momentanément? Ainsi l'on pourra faire des dépôts très considérables; on ne sera pas arrêté par l'obstacle que je veux y mettre et l'on viendra instantanément réclamer de la banque les dépôts qui lui auront été faits! Bien loin de prévenir les inconvénients que vous constatez, vous les aggravez. C'est pour les éloigner que je veux laisser à la banque la liberté de stipuler des conditions.
C'est pour ne pas être exposé à des demandes de remboursements instantanés que la banque bonifiera un léger intérêt. Mais si vous excluez la bonification de tout intérêt, il est clair que vous n'éloignez pas le danger des demandes de remboursement; au contraire, vous le rendez plus pressant.
Je persiste donc à demander, conformément à ce qui a été dit par le gouvernement dans la réponse adressée à la section centrale, que l'on abandonne cette question aux statuts. L'interdiction ne doit pas être inscrite dans la loi.
M. de Brouckere. - Messieurs, cette fois encore M. le ministre des finances nous a mal compris. Nous n'avons pas le talent, à ce qu'il paraît, de nous expliquer clairement.
Lorsque des fonds sont remis à une banque sans qu'elle doive en servir un loyer quelconque, la banque n'a pas le droit d'user des fonds ; elle n'a pas le droit d'opérer avec ces fonds : c'est un dépôt.
Ce n'est pas un dépôt en ce sens qu'il faut rendre les mêmes écus que ceux qu’on a reçus; mais il faut toujours avoir disponible la quantité d’éçus qu'on a reçue en dépôt. C'est là une obligation sacrée.
M. le ministre dos finances vous dit qu'il y aura moins de dangers pour la banque à payer un loyer, parce qu'on devra provenir huit jours, quinze jours d'avance pour obtenir des remboursements. Mais toutes les fois qu’on paye un loyer, quelque minime qu'il soit, on ne paye ce loyer que parce qu'on utilise le capital : il y aurait quelque chose d'absurde à payer un loyer pour un capital dont on ne peut user. Or, une banque peut se trouver sous le coup, avec beaucoup de comptes courants, dans un moment de crise, de recevoir tous les avertissements à quinzaine ; et elle doit cependant échelonner ses opérations. Elle ne peut utiliser des capitaux ni pour huit jours ni pour quinze jours. L'escompte se fait ordinairement pour 90 jours.
Nous disons donc que vous provoquez nécessairement le placement du capital; vous imposez en quelque sorte à la banque l'obligation de l'employer, puisque vous lui imposez d'autre part un loyer, et que, comme la banque ne peut pas faire, en général, d'opérations à dix ou à quinze jours, vous mettez la banque sous le coup de remboursements de capitaux dont elle ne peut opérer la réalisation.
On prétend que ce n'est pas un emprunt. Nous concédons cela à M. le ministre des finances. Mais je demande ce qui est le plus dangereux, ou d'emprunter à un terme fixe, ou de recevoir des capitaux en compte-courant, comme le veut M. le ministre des finances.
Quant à moi, je donne la préférence à l'emprunt à terme fixe et je vais m'expliquer. C'est une chose que tout le monde comprendra.
Dans la position de chacun de nous, quand nous empruntons un capital pour un an et que nous savons devoir le rembourser au bout de ce terme, nous faisons des opérations de telle manière qu'elles soient liquides à la fin de l'année et nous nous mettons en mesure de rembourser le capital. Si, au contraire, vous me prêtez vos fonds pour un temps indéterminé et avec la faculté de venir me dire, quinze jours d'avance : Remboursez-moi ! quelle espèce d'opération puis-je faire? Connaissez-vous des opérations, en existe-t-il que vous puissiez réaliser quand vous voudrez et de manière à vous trouver, au bout de quinze jours, avec les capitaux nécessaires pour pouvoir satisfaire à vos obligations? Non.
Ainsi donc l'emprunt à terme fixe offre beaucoup moins de dangers que ces emprunts, en compte courant, qu'il faut rembourser en quelques jours.
Je persiste à appuyer l'amendement de l'honorable M. Vermeire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban).- L'honorable M. de Brouckere ne peut pas contester que la banque, en certaine mesure, en certaine limite de prudence et de sagesse, ne puisse disposer des sommes qui lui sont remises en dépôt et en compte courant. Cela ne peut pas être autrement.
Il ne s'agit pas, en effet, d'un véritable dépôt; c'est ce qu'on nomme, je l'ai déjà dit, un dépôt irrégulier qui n'oblige qu'à remettre la même valeur, et non pas les mêmes espèces.
M. de Brouckere. - Nous sommes d'accord.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le sais ; nous allons voir les conséquences.
On a donc le droit de disposer des fonds provenant de ces sortes de dépôts dans une certaine mesure, avec sagesse, avec prudence. Mais l'honorable M. de Brouckere dit : On ne pourra pas en disposer, car il se peut qu'on vienne bientôt les réclamer ; or, quelles opérations voulez-vous qu'on fasse pour huit, dix, quinze ou trente jours? Eh bien, il y a des opérations possibles pour huit, dix, quinze ou trente jours. Il y a des escomptes possibles dans ces limites; les faits le démontrent. Voyez les portefeuilles de nos banques ; consultez-les; voyez quelle est la somme d'escomptes faits pendant le cours de l'année ; comparez-la au portefeuille de nos établissements, et vous acquerrez la conviction que le terme de l'escompte est souvent très court.
M. de Brouckere. - Parce qu'on confond les effets d'encaissement avec l'escompte.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'en est pas moins vrai que l'on escompte des effets à très courte échéance.
Messieurs, il est même juste, au point de vue de celui qui a opéré le dépôt, qu'il y ait parfois une certaine bonification. Mais de cela je n'en tiens pas compte. Ne m'occupant que de la sécurité de la banque, je dis que vous ne devez pas lui interdire une légère bonification sur les dépôts qui lui seront faits. Laissez ce point à régler par les statuts. Voilà ce que j'ai voulu, ce qui a été accueilli par la section centrale et ce qui est expliqué dans la note annexée au rapport.
Je persiste dans ces observations.
M. Vermeire. - Messieurs, je ne puis admettre la définition que vient de donner du dépôt M. le ministre des finances. Je crois que quand on fait un dépôt, le dépositaire ne peut en faire emploi. [Interruption.)
Qu'est-ce qu'une banque de dépôt?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous posez mal la question.
M. Vermeire. - Pourquoi fait-on alors une distinction entre les banques de dépôt et les banques de circulation? Dites donc que votre banque n'est pas une banque de dépôt, mais une banque de circulation.
M. le président. - La discussion est close.
M. Cans. - Je retire mon amendement.
(page 846) - L'amendement de M. Vermeire est mis aux voix.
Deux épreuves par assis et levé étant douteuses, il est procédé au vote par appel nominal.
En voici les résultats :
64 membres sont présents.
1 (M. Devaux) s'abstient, parce qu'il a été absent de la salle pendant une partie de la discussion sur l'amendement.
63 prennent part au vote.
30 votent pour l'adoption.
33 votent contre.
La chambre n'adopte pas.
Ont voté pour l'adoption : MM. Coomans, David, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Man d'Attenrode, de Meester, de Theux, Dumon (Auguste), Dumortier, Jacques, Julliot, Lebeau, Loos, Moncheur, Orts, Osy, Pirmez, Prévinaire, Schumacher, Thierry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Vanden Berghen de Binckum, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Vilain XIIH, Anspach et Cools.
Ont voté contre : MM. Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe) , de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Delehaye, Delfosse, de Perceval, De Pouhon, de Renesse, Destrivaux, Dolez, Dumont (Guillaume), Fontainas, Frère-Orban, Jouret, Lange, Le Hon, Lesoinne, Manilius, Mercier, Moreau, Moxhon, Pierre, Rogier, Rousselle, Sinave, Tesch, Veydt, Allard, Bruneau, Cans, Clep et Verhaegen.
- L'article 9 est adopté.
« Art. 10. La banque fera le service de caissier de l'Etat aux conditions déterminées par la loi. »
- Adopté.
« Art. 11. S'il est institué une caisse d'épargne, le service en sera fait par la banque. Ce service sera distinct et indépendant des affaires de la banque. Son organisation fera l'objet d'une loi. »
M. le président. - M. de Brouckere a présenté un amendement qui consiste à rédiger le commencement de l'article comme suit :
«S'il est institué une caisse d'épargne, le gouvernement se réserve le droit d'en faire faire le service par, etc. »
M. de Brouckere. - M. le ministre me dit que le projet de loi a la même portée que mon amendement. Je m'en rapporte volontiers à lui.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous nous sommes expliqué suffisamment. Nous avons dit que c'était une obligation imposée à la banque. Mais elle n'a pas le droit de réclamer le service de la caisse d'épargne. Ultérieurement, la chambre, dans la loi sur les caisses d'épargne, décidera comment devra être fait le service de cette caisse.
Je ne m'oppose pas du reste à l'amendement.
- L'article 11 est adopté avec l'amendement de M. de Brouckere.
« Art. 12. La banque a le privilège d'émettre des billets au porteur. Le montant des billets en circulation sera représenté par des valeurs facilement réalisables.
«Les proportions entre l'encaisse et les billets en circulation seront fixées par les statuts/»
M. le président. - M. de Brouckere propose de rédiger ainsi la première phrase de cet article : « La Banque émet des billets au porteur. ».
M. de Brouckere. - J'ai dit, dans la discussion générale, que je ne pouvais considérer cela comme un privilège exclusif, attendu que tous les particuliers, toutes les sociétés en commandite pouvaient émettre-des billets. Je ne vois pas de privilège dans l'émission des billets au porteur. Le privilège qu'a la banque résulte de l'article 25 qui interdit la création de toute autre banque, si ce n'est par une loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'insisterai pas sur le maintien ou la suppression d'un mot. Je tiens cependant à le justifier; il représente une idée parfaitement exacte, selon moi. C'est un véritable privilège qui est concédé à la banque; et l'honorable membre le reconnait, car il avoue que le privilège trouve sa sanction dans l'article 25 qui porte que,: « Aucune banque ne pourra à l'avenir être instituée que par une loi.» C'est donc un véritable privilège qui est conféré à la banque. Ce peut ne pas être un privilège exclusif. Nous n'avons pas voulu engager irrévocablement l'avenir à cet égard. Mais du moins il faudra une loi pour qu'une autre banque de cette nature puisse être fondée. En ce sens, le privilège n'est pas exclusif. Aussi le projet ne porte-t-il pas, comme la loi relative à la banque de France, qu'elle a le privilège exclusif d'émettre des billets au porteur. Voilà la différence.
Maintenant, quant au droit des particuliers, des sociétés d'émettre des billets de cette nature, je ne me prononce pas d'une manière absolue. Je ne sais si l’on ne trouverait pas dans la législation des prohibitions à cet égard. Nous parlons des billets dits «billets de banque» ou bancknotes, car l'expression billets au porteur prête à l'équivoque dans notre langue.
La faculté, accordée aux particuliers, d'émettre de tels billets, ou le droit qu'ils se sont arrogé d'en faire circuler en temps de révolutions, a produit, dans divers pays, des inconvénients très graves.
Par exemple, Voici une espèce de carte d'échantillons de billets au porteur transmise par un de nos agents diplomatiques en Allemagne, qui faisait connaître les abus auxquels a donné lieu, pendant la crise de 1848, le droit pour les particuliers d'émettre des billets. Des cabaretiers, des restaurateurs, des négociants avaient émis des billets au porteur.
Quelle a été la liquidation finale de cette émission de billets? C'est ce que nul ne peut dire. Le public aura certainement essuyé des pertes.
Il pourrait devenir nécessaire (si la législation n'y avait pas pourvu, point sur lequel je n'entends pas me prononcer) d'interdire par la loi d'émettre de tels billets.
C'est ce que des écrivains recommandables ont parfaitement indiqué.
Ainsi M. Rossi, dans un rapport à la chambre des pairs, du 22 juin 1840, disait :
« Quelques-uns, frappés d'une circulation qui ressemble, à quelques égards, à celle des pièces d'or et d'argent, regardent ce droit comme une application du droit de battre monnaie; d'autres, sans aller si loin, et tout en faisant sentir la différence qui existe entre l'argent monnayé et des billets, entre un instrument d'échange qui est en même temps une marchandise, et un instrument d'échange qui n'est qu'une promesse, reconnaissent cependant que le droit d'émettre des billets de cette nature est une de ces facultés qui, par l’énormité des dangers qu'elles peuvent faire naître, doivent être exercées ou du moins réglées par la puissance publique. Cette seconde opinion nous semble rester dans la limite du vrai. »
Je le crois aussi.
Je pense, quant à moi, qu'on ne peut reconnaître ce droit à tout individu aussi facilement que l'ont fait quelques orateurs. Les inconvénients de l'émission des billets au porteur par les particuliers ne se sont pas présentés jusqu'à présent. S'ils venaient à se révéler, il appartiendrait soit au gouvernement, soit à la législature, de prendre des mesures pour les faire cesser.
M. De Pouhon. - Après avoir entendu les honorables préopinants, je vois qu'il y a doute sur le droit que pourraient s'attribuer des sociétés ou des particuliers d'émettre des billets de circulation. Il me semble dès lors que la législature doit s'abstenir de tout ce qui pourrait faire préjuger ce droit et être allégué à l'appui d'une interprétation favorable à cette faculté. Je considérerais comme ayant cette portée le changement proposé à la rédaction de l'article 12, changement qui n'a de valeur, à mes yeux, qu'en raison du motif qui a été avancé. Ce serait un grand abus de permettre à des associations ou à des particuliers de faire circuler pour mille francs un chiffon de papier qu'ils auraient orné d'une vignette et d'une signature, tandis que l'Etat se réserve pour lui seul la fabrication des monnaies d'or et d'argent qui ont leur valeur intrinsèque, fabrication très coûteuse et qui implique une grande responsabilité dans l'avenir.
C'est par cette considération, messieurs, que je propose de maintenir la rédaction du projet de loi.
M. de Brouckere. - L'article devient extrêmement dangereux, d'après la portée qu'y donne l'honorable M. De Pouhon. Je ne sais si habituellement il ne crée pas lui-même des billets au porteur. Toutes les fois qu'il a une liquidation comme agent de change, il donne des billets sur sa caisse, des bons que l'on va recevoir chez lui.
Ces bons de caisse sont de véritables billets au porteur qui circulent de main en main. A Anvers, c'est ainsi que tout le monde fait ses affaires. Ces bons ont la même valeur que des billets de banque ; ils circulent 8 ou 15 jours avant d'être présentés au caissier. On sait que les fonds sont là, et il est plus facile de faire circuler un morceau de papier que des écus.
M. de Pouhon. - Vous ne pouvez comparer ces bons de caisse, qui ne circulent qu'en peu de mains, à des billets de banque qui se répandent dans la circulation générale du pays.
M. Delfosse. - Il est certain que si l'on supprime, dans l'article, le mot «privilège», la banque aura exactement les mêmes droits. Dès lors, pourquoi ne pas admettre l'amendement de l'honorable M. de Brouckere? L'article aura le même sens. Les billets ne vaudront ni plus ni moins. La suppression de ce mot est sans inconvénient. Faisons cette concession à l'honorable M. de Brouckere.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit que je n'entendais pas insister pour le maintien ou pour la suppression d'un mot, parce que, avec ou sans le mot, le privilège existe.
Ce privilège trouve sa sanction dans l'article 25 du projet de loi ; mais j'ai répondu à l'opinion qui avait été émise, que chacun avait le droit d'émettre de véritables Banknotes, des billets au porteur, qu'un honorable membre ait, selon moi, confondue avec des assignations sur sa propre caisse, signées par un particulier, ou des billets à vue et au porteur souscrits par un négociant; ce qui est tout différent.
Il y a des traces dans la législation de la distinction que j'indique et dont chacun doit au surplus apprécier l'exactitude. Un décret du 8 novembre 1792 interdisait aux corps administratifs et municipaux et aux particuliers et compagnies d'émettre aucun effet au porteur. Ce décret a été interprété par celui du 25 thermidor an XIII, qui distingue entre les billets qui ont pour objet de remplacer la monnaie, les banknotes, en un mot, et les billets au porteur souscrits par des particuliers. Voici les termes du décret :
«La convention nationale décrète que dans la prohibition portée par l'article 22 du décret du 8 novembre 1792, de souscrire et mettre en circulation des effets et billets au porteur, n'est pas comprise la défense de les émettre lorsqu'ils n'ont point pour objet de remplacer ou de suppléer la monnaie. En conséquence, il est permis de souscrire et mettre en circulation de gré à gré, comme par le passé, lesdits effets et billets (page 847) au porteur, lesquels continueront d'être assujettis aux droits de timbre et d'enregistrement, conformément aux lois qui les ont établis et sous les peines y portées. »
- La discussion est close.
L'amendement de M. de Brouckere est mis aux voix et adopté.
L'article 12, ainsi amendé, est adopté.
Article additionnel
M. le président. - A la suite de l'article 12, M. Cans propose l'amendement suivant :
« Les billets de la Banque Nationale sont exempts de la formalité du timbre : pour rachat du montant des droits qu'elle aurait à payer de ce chef, la banque versera annuellement au trésor une somme à déterminer d'après le nombre et le montant de ses billets en émission. »
M. Cans. - Messieurs, je n'aurais rien de plus à ajouter à ce que j'ai dit, dans la discussion générale, de l'amendement que je propose à l'article 12, si une observation de l'honorable M. de Brouckere, qui s'est complètement trompé sur sa portée, ne me donnait lieu de croire que d'autres honorables membres pourraient partager l'erreur dans laquelle est tombé.
Les termes mêmes de mon amendement démontrent à la dernière évidence que je n'ai pas le moins du monde entendu établir un privilège en faveur de la banque : les développements dont je l'ai appuyé le prouvent encore mieux.
Je ne suis pas plus que l’honorable membre partisan des privilèges, et je m'étonne qu'il ait pu me soupçonner capable d'une telle inconséquence.
Messieurs, le but de mon amendement est bien simple.
Il n'est personne qui n'ait eu occasion de voir dans la circulation, des billets de banque tellement mutilés et salis que l'on ne sait par quel bout les prendre; il y en a qui ont douze à quinze ans de date, et l'on comprend ce que doit être un morceau de papier, souvent de mauvaise qualité, après avoir roulé de main en main pendant aussi longtemps. Les banques, par mesure d'économie, afin de n'avoir pas à payer les droits de timbre sur des billets nouveaux, remettent constamment dans la circulation ces anciens billets malgré leur état de dégradation et nonobstant les inconvénients que pourrait en ressentir le public : elles sont dans leur droit, quoiqu'il eût été plus convenable de ne pas descendre à ce degré de parcimonie.
La circulation de ces billets n'est pas seulement désagréable; elle peut être dangereuse, en présentant des facilités à ceux qui seraient tentés de faire des billets faux; les signatures, le timbre et autres signes caractéristiques étant souvent en partie déchirés, ou recouverts par des morceaux de papier que l'on est obligé d'y coller, afin d'en réunir les lambeaux.
Quel est le moyen d'obvier à ces inconvénients ? Je n'en vois qu'un, c'est d'obliger la banque à retirer de la circulation les billets aussitôt qu'ils sont déchirés ou tachés; mais en même temps ce serait lui imposer une aggravation de charges dont il est impossible de mesurer la portée. Pour concilier les convenances du public qui mérite bien aussi que l'on prenne en considération ce qui lui est utile, et les intérêts de la future banque, j'ai proposé d'adopter le système suivi en Angleterre.
Les billets de la banque d'Angleterre sont exempts de la formalité du timbre, et la banque paye au trésor une somme annuelle qui compense les droits qu'elle aurait à payer. Si l'on pense que la formalité du timbre pourrait être utile comme moyen pour le gouvernement de contrôler le nombre des billets en émission et leur quotité, je consens à ce que mon amendement soit modifié en ce sens.
Les billets de la Banque Nationale seront revêtus d'un timbre de contrôle particulier portant l'indication du montant du billet, pour rachat, etc., etc.
Quant au payement des droits de timbre, je n'entends pas en dispenser la banque ; ce serait un véritable privilège, que personne sans doute ne veut lui concéder. Toute la question se réduit à évaluer la somme que la Banque aurait à verser au trésor en compensation des droits et sous forme d'abonnement annuel. Les livres de la Société Générale et de la Banque de Belgique peuvent, à cet égard, fournir des éléments d'appréciation d'autant plus précis qu'ils n'ont pas été recueillis dans la prévision de la mesure que je propose d'introduire dans la loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne puis pas adopter l'amendement de l'honorable M. Cans. D'abord cet amendement ne devrait recevoir son application que plus tard. La banque va faire une première émission de billets entièrement neufs; nous percevrons le timbre sur ces billets; ultérieurement nous verrons ce qu'il y aura à faire pour les renouvellements. On pourra prendre alors en considération les raisons que vient de faire valoir l'honorable membre et que j'apprécie. Je désire qu'on trouve un moyen qui ait pour résultat certain de faire renouveler plus souvent les billets.
Mais la mesure que propose l'honorable membre serait inefficace. Le droit de timbre n'est pas trop élevé aujourd'hui sur les billets de cette nature; c'est le coût du billet qui est un obstacle pour la Banque à des renouvellements trop fréquents.
En Angleterre, il y a obligation pour la Banque de ne pas remettre en circulation les billets une fois rentrés; il était impossible de percevoir un droit de timbre à raison de ces billets, chaque fois qu'ils sortaient; il a donc été stipulé avec la Banque qu'elle payerait annuellement une certaine somme pour la compensation de cette redevance; mais ici il ne peut en être de même : on n'impose pas à la Banque l'obligation de ne pas remettre en circulation les billets une fois rentrés; il faut donc chercher un autre moyen, et comme je l'ai déjà dit, il y aura lieu à aviser ultérieurement.
M. T'Kint de Naeyer. - J'ai demandé la parole pour présenter une simple observation.
L'amendement de l'honorable M. Cans a pour but d'exempter les billets de banque de la formalité du timbre, moyennant un abonnement à fixer ultérieurement.
On ne doit pas perdre de vue que le timbre est une garantie supplémentaire contre la falsification des billets. Il faudra non seulement imiter la gravure, il faudra encore employer un faux timbre.
Je saisirai cette occasion pour engager M. le ministre des finances à veiller à ce que le papier des banknotes soit meilleur à l'avenir qu'il ne l'a été jusqu'à présent.
M. Cans. - Messieurs, malgré les explications de M. le ministre des finances, je crois devoir persister dans mon amendement.
- L'amendement est mis aux voix et n'est pas adopté.
« Art. 13. Le gouvernement, de commun accord avec la banque, déterminera la forme des coupures, le mode de leur émission et leur quantité pour chaque catégorie. »
- Adopté.
La chambre remet la suite de la discussion à lundi.
La séance est levée.