(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
page 725) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à deux heures et quart. La séance est ouverte.
M. A. Vandenpeereboom lit le procès-verbal de la séance précédente; la rédaction en est approuvée.
M. de Luesemans présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.
« Le sieur Loret-Vermeersch prie la chambre d'ordonner une enquête sur les avantages du métier mécanique propre à tisser le lin, dont il est l'inventeur, et d'engager le gouvernement à s'en rendre propriétaire, si elle le reconnaît utile à l'industrie linière. »
M. Rodenbach. - Je propose le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Un grand nombre d'industriels, littérateurs et artistes demandent une loi pour garantir la propriété intellectuelle »
M. Dedecker. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Quelques distillateurs agricoles des arrondissements d'Ypres et de Roulers demandent une réduction sur les droits d'accises. »
M. Rodenbach. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi relative à cet objet.
M. Toussaint. - J'appuie la proposition de l'honorable M. Rodenbach .
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Delchevalerie demande une loi sur l'échange des biens ruraux entre particuliers, et une diminution de droits pour les distilleries.»
- Renvoi à la commission des pétitions.
Première section
Président: M. Lelièvre
Vice-président: M. David
Secrétaire: M. de Perceval
Rapporteur de pétitions: M. Ansiau
Deuxième section
Président: M. Le Hon
Vice-président: M. Mercier
Secrétaire: M. Vermeire
Rapporteur de pétitions: M. Vanden Branden de Reeth
Troisième section
Président: M. de Liedekerke
Vice-président: M. de Pitteurs
Secrétaire: M. Van Iseghem
Rapporteur de pétitions: M. Mascart
Quatrième section
Président: M. de Renesse
Vice-président: M. Julliot
Secrétaire: M. de Meester
Rapporteur de pétitions: M. Vandenpeereboom (E.)
Cinquième section
Président: M. Destriveaux
Vice-président: M. de Theux
Secrétaire: M. Rousselle
Rapporteur de pétitions: M. Desoer
Sixième section
Président: M. Dautrebande
Vice-président: M. Jacques
Secrétaire: M. Deliége
Rapporteur de pétitions: M. Allard.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la loi sur les denrées alimentaires expire le 15 février. Nous avions espéré que le sénat aurait voté la nouvelle loi avant cette époque; nous avions pensé aussi qu'à défaut de la loi du 31 décembre 1848, l'ancienne législation pourrait suffire ; mais nous serions retombé sous divers régimes , ce qui aurait pu donner lieu à des difficultés. Nous avons cru, dès lors, malgré l'inconvénient de faire encore une loi provisoire, qu'il était plus sage de présenter un projet qui tendrait à proroger le régime actuel jusqu'au 1er mars 1850.
Cette loi est d'une grande urgence, si elle était votée séance tenante, elle pourrait encore être votée aujourd'hui par le sénat, et être publiée au Moniteur de demain matin.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation de ce projet de loi. Comment la chambre désire-t-elle en faire l'examen?
M. Osy. - Messieurs, je suis charmé d'avoir annoncé hier que je ferais une interpellation au sujet des denrées alimentaires. J'avais déjà engagé à plusieurs reprises le gouvernement à présenter un projet de loi transitoire. Hier, dans la journée, j'en avais encore parlé à M. le ministre des finances qui ne croyait pas cette loi nécessaire. Je suis charmé que l'annonce de mon interpellation ait amené la présentation d'un projet de loi.
Je demande que le projet soit renvoyé à la section centrale, qui s'est occupée de la loi sur les denrées alimentaires, et que nous la votions encore aujourd'hui.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne sais pourquoi l'honorable M. Osy suppose que l'annonce seule d'une interpellation aurait suffi pour mettre le gouvernement en action.
Nous sommes pleins de respect pour les droits de la chambre, et à toutes les interpellations acceptables nous nous empresserons toujours de répondre. Mais je dois dire, simplement pour rendre hommage à la vérité, que nous n'avons pas attendu, pour agir, l'annonce de l'interpellation de l'honorable M. Osy ; le fait est que le projet de loi est signé par Sa Majesté depuis deux jours.
M. le président. - M. Osy demande que le projet soit renvoyé à la section centrale qui a examiné la loi sur les denrées alimentaires.
- Un membre. - Votons tout de suite.
M. de Theux. - J'appuie le renvoi du projet de loi à la section centrale, qui pourra se retirer un instant et nous faire un rapport.
J'appellerai l'attention de la commission sur ce point, c'est que le projet que nous avons voté doit être mis en vigueur le lendemain de sa promulgation. Je pense que si le sénat votait la loi que nous avons adoptée, la loi provisoire viendrait à tomber. C'est un point important qu'il importe de consigner dans la loi pour ne pas donner 15 jours pendant lesquels on pourrait éluder les dispositions de la loi nouvelle.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est entendu que du jour où la loi, votée par la chambre, serait adoptée par le sénat, elle serait mise à exécution. Sous ce rapport, on pourrait se dispenser de fixer une nouvelle date à la loi provisoire; mais l'absence de date présente des inconvénients, car en supposant que la loi fût amendée par le sénat et renvoyée à la chambre, cette loi provisoire pourrait durer longtemps. Nous avons pensé qu'il était plus loyal de fixer un terme à la durée. Mais nonobstant cela, il est entendu que la loi définitive sera mise à exécution immédiatement, si elle est adoptée.
M. Dumortier. - J'ai demandé la parole pour dire qu'on ne pouvait pas se passer de l'examen de la commission. L'article 33 du règlement est positif : « Les propositions de lois adressées à la chambre par le Roi et par le sénat, après que la lecture en a été faite dans la chambre, sont imprimées, distribuées et transmises, soit aux sections, soit à une commission, pour y être discutées suivant la forme établie au chapitre V. »
Par respect pour le règlement, il faut donc renvoyer le projet de loi provisoire à la commission qui a examiné le projet définitif. J'appellerai l'attention de la commission sur la date et le terme de la loi, car si le sénat introduisait des amendements dans le projet que nous lui avons renvoyé, nous pourrions retomber dans la situation où nous nous trouvons aujourd'hui. Il serait prudent de prolonger la durée fixée dans le projet.
M. de Theux. - Nous sommes d'accord sur le fond; la commission pourrait se retirer, et revenir nous présenter un rapport verbal sur lequel la chambre voterait.
- La chambre ordonne le renvoi à la section centrale des denrées alimentaires avec invitation de s'en occuper immédiatement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dois ajouter que la considération principale qui nous a engagés à présenter la loi, est l'état où se trouve le projet de loi devant le sénat.
Nous avons voulu que toute liberté fût laissée à la discussion, dans le sein du sénat; si le sénat avait été pressé par les dates, il aurait pu croire que sa liberté de discussion était entravée; c'est en vue, je le répète, de la libre discussion dans le sein du sénat, que nous avons présenté un projet provisoire qui n'est pas indispensable, car en l'absence de la loi ancienne, nous avons les pouvoirs nécessaires pour appliquer divers tarifs aux denrées alimentaires; mais il était plus régulier et plus facile pour l'administration de continuer le régime actuel.
M. de Perceval (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans la séance d'hier, M. le ministre de l'intérieur a saisi la chambre du projet de loi organique de l'enseignement moyen ; dans l'intérêt des travaux de la chambre et afin que tous les députés puissent se trouver à leur poste, j'ai l'honneur de proposer à la chambre de fixer à mardi prochain l'examen en sections de la loi organique de l'enseignement moyen.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le texte de la loi est imprimé; on imprime en ce moment l'exposé des motifs, je pense que le projet pourra être distribué au plus tard demain soir.
M. de Theux. - Je demande que la chambre ne statue pas aujourd'hui sur |la motion de M. de Perceval. Le, projet de loi sera distribué demain soir. Prenons le temps de le lire avant de le renvoyer aux sections. Libre à l'honorable membre de renouveler alors sa motion pour que tout le monde soit averti du jour auquel sera fixé l'examen en sections. Ce jour-là, je n'hésiterai pas à m'y rallier.
M. de Perceval. - Je n'insiste pas pour le moment. Mais je désire que, au moins deux ou trois jours d'avance, la chambre décide qu'elle examinera tel jour un projet de loi aussi important en sections. Nous avons plusieurs collègues absents. Il importe qu'ils soient prévenus pour qu'ils assistent aux débats préliminaires dans les sections.
(page 726) Je reprendrai ma motion, dès que le projet sera distribué et qu'il se sera écoulé un temps moral suffisant pour que chacun de vous en ait pu prendre connaissance.
La discussion continue sur l'article 29 et sur l'amendement de M. Lelièvre.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'avais espéré que l'honorable M. Lelièvre n'aurait pas maintenu l'amendement qu'il avait présenté. Mais puisqu'il y persiste, je dois le combattre et ajouter quelques observations à celles qui ont été présentées par l'honorable rapporteur de la section centrale.
Le chapitre VII du projet dont nous nous occupons a pour objet de déterminer le mode de l'administration des biens de l'aliéné, pendant qu'il sera retenu dans l'établissement où il aura été placé.
Le projet primitif du gouvernement se bornait à renvoyer à cet effet aux dispositions des articles 112, 113 et 114 du code civil, concernant les moyens de pourvoir à l'administration des biens du présumé absent.
Apres y avoir réfléchi de plus près, nous avons pensé, avec la section centrale et son honorable rapporteur, qu'il y avait quelque chose de plus à faire, et qu'il convenait d'autoriser la famille à faire nommer à l'individu colloqué dans un établissement d'aliénés, un administrateur provisoire, conformément à l'article 497 du Code civil. Il nous a paru que cette administration serait plus complète, qu'elle pourvoirait d'une manière plus efficace à tout ce que pourraient exiger la position et les intérêts de l'aliéné.
C'est dans ce but que nous avons substitué à la disposition originaire les articles 29 à 33 du projet de loi. D'après ces articles qui (je dois le faire observer à la chambre) sont presque littéralement extraits de la loi française de 1838, l'époux ou l'épouse et tout parent de l'aliéné, la commission administrative ou le procureur du roi peuvent toujours provoquer la nomination d'un administrateur provisoire à l'aliéné placé dans un établissement spécial.
Les articles suivants déterminent quels seront les pouvoirs de ces administrateurs, et ils ont été combinés de manière à ce qu'il puisse être pourvu, pendant cet état provisoire et temporaire, à toutes les nécessités que pourrait exiger la situation des affaires de l'aliéné.
Je le répète, messieurs, tous ces articles ont été puisés dans la loi française de 1838; Or, cette loi fonctionne en France depuis environ 12 ans, et sous ce rapport elle n'y a produit, je pense, que de bons résultats.
Que fait l'honorable M. Lelièvre? Il supprime les articles 29 à 33 et y substitue une disposition unique, d'après laquelle il serait permis à tout individu, à toute personne intéressée (et vous savez combien ce mot est vague et élastique), de présenter une requête à la justice et de faire nommer un administrateur provisoire à tout individu qui aurait franchi le seuil d'un établissement d'aliénés et qui y aurait été placé temporairement par sa famille; et cela, messieurs, sans aucune des formalités dont le projet que nous vous avons présenté et le Code civil entourent la nomination de l'administrateur provisoire; c'est-à-dire que la famille ne sera pas même consultée, que l'aliéné ne sera pas interrogé. Il n'y aura, en un mot, aucune formalité remplie pour constater si réellement il y a lieu de pourvoir à l'administration provisoire de la personne et des biens de l'aliéné.
Messieurs, ce système de l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, c'est la suppression, virtuellement au moins, du titre du Code civil sur l'interdiction : car vous pouvez comprendre que l'on ne provoquera plus l'interdiction d'un aliéné, s'il est permis, sur une simple requête, sans consulter la famille, sans remplir aucune espèce de formalité, de le constituer dans un état de quasi-interdiction et de le placer en quelque sorte en tutelle sur une simple ordonnance de justice rendue sans aucune formalité préalable, sans avoir même entendu qui que ce soit.
Remarquez, messieurs, que, dans le système de l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, on enlève à l'aliéné toute la protection dont la loi l'a entouré, en établissant pour l'interdiction des formalités nombreuses, minutieuses, dispendieuses même, je le reconnais, mais nécessaires dans l'intérêt de l'aliéné lui-même.
Vous savez comment aujourd'hui l'on procède à l'interdiction. Lorsqu'un individu est frappé d'aliénation mentale, et que sa famille veut l'interdire, elle doit d'abord obtenir un jugement. En vertu de ce jugement, le conseil de famille se réunit, délibère sur la demande d'interdiction. Après cette délibération, le tribunal ordonne que l'aliéné soit interrogé. Cet interrogatoire se fait par le juge commis par la justice, en présence du procureur du roi, avec toute la solennité requise, et lorsque cet interrogatoire ne fournit pas encore de preuves suffisantes, la justice ordonne des preuves plus complètes, une enquête, une expertise ou toute autre exploration qu'elle croit nécessaire dans l'intérêt de la vérité. Enfin, quand toutes ces formalités sont remplies, l'interdit doit être assigné devant la justice, et ce n'est qu'après l'avoir entendu, car il a le droit de se défendre et de contester l'interdiction qu'on veut faire prononcer contre lui, que la justice prononce sur la demande d'interdiction.
Messieurs, toutes ces formalités protectrices, garantissantes pour l'aliéné, disparaissent devant l'amendement de l'honorable M. Lelièvre. Cet honorable membre ne fait pas attention que la situation de l'aliéné qui sera colloqué dans un établissement spécial, dans une maison de santé , ne doit pas être assimilée à celle de l'aliéné dont la maladie serait permanente et qui serait dans un état d'incurabilité tel qu'il fallût procéder à l'interdiction.
Il y aura un grand nombre d'individus qui seront placés dans ces établissements mais dont l'aliénation mentale ne sera point complète, on les y placera pour les soumettre à un traitement médical plus efficace que celui auquel ils pourraient être soumis dans leur propre domicile. Eh bien, si, par cela seul qu'un individu se trouve dans un établissement de ce genre, vous le placez dans une quasi-interdiction. Si vous le privez de plein droit de l'administration de ses affaires, si vous lui donnez un administrateur provisoire, un grand nombre de familles répugneront à envoyer un de leurs membres dans ces établissements. Je le répète, messieurs, il s'agit d'aliénés colloqués d'une manière tout à fait temporaire et, par conséquent, les dispositions de la loi française, que nous avons proposées, répondent à tout ce que peut exiger la situation de ces aliénés et la gestion de leurs affaires.
Messieurs, je n'ai plus qu'un mot à dire sur le dernier paragraphe de l'amendement de M. Lelièvre.
M. Lelièvre propose de déclarer que la prescription ne courra point contre l'individu placé dans un établissement d'aliénés, pendant tout le temps qu'il y sera retenu. Eh bien, cette disposition ne peut pas être accueillie. C'est encore quelque chose de dérogatoire aux principes du Code civil.
Aujourd'hui, messieurs, d'après le Code civil, la prescription ne court pas contre les mineurs ni contre les interdits. La minorité et l'interdiction sont déterminées d'une manière certaine, et il y avait de justes motifs pour suspendre à leur égard le cours de la prescription. Mais par cela seul qu'un individu est placé dans un établissement d'aliénés pour y subir un traitement nécessaire à sa maladie, vous ne pouvez pas interrompre la prescription à son égard, vous ne le pouvez pas plus vis-à-vis de cet individu, que vis-à-vis de celui qui est présumé absent, que vis-à-vis de celui qui est pourvu d'un conseil judicaire, que vis-à-vis du défendeur en interdiction , auquel l'article 497 du Code civil permet de nommer un administrateur provisoire. Dans tous ces cas, le Code civil n'interrompt pas la prescription. Pourquoi donc iriez-vous, par la proposition de M. Lelièvre, suspendre le cours de la prescription vis-à-vis de l'individu placé, momentanément peut-être, dans un établissement d'aliénés.
Vous voyez donc, messieurs, que toutes ces dispositions sont exorbitantes et contraires à notre droit civil, exorbitantes, qu'elles vont au-delà de ce qu'exige l'intérêt de l'aliéné et de sa famille. J'insiste donc pour que vous repoussiez ces amendements.
M. Rousselle. - Messieurs, la commission à laquelle vous avez renvoyé l'examen du projet de loi qui vient d'être déposé par M. le ministre de l'intérieur, a l'honneur de vous en proposer l'adoption, à l'unanimité, sauf un amendement qu'elle a introduit dans l'article premier. Voici comment cet article serait rédigé :
« La loi du 31 décembre 1848 concernant les denrées alimentaires, est prorogée jusqu'à la mise en vigueur d'une législation nouvelle et, au plus tard, jusqu'au 1er mars 1850. »
- La chambre décide qu'elle discutera immédiatement ce projet.
M. de Theux. - Messieurs, je ne viens pas combattre le projet de loi, puisque déjà les chambres ont adopté une mesure semblable à la fin de l'année dernière; mais je ne puis pas laisser passer sans observation les dernières paroles de M. le ministre de l'intérieur. Pour moi, messieurs, je maintiens qu'à défaut de cette loi, les lois de 1834 et de 1835 reprendraient leur plein et entier effet, et je trouve que le gouvernement lui-même a partagé cette opinion, par le projet qu'il a présenté à la chambre le 7 novembre 1848, car il voulait proroger encore d'une année la libre entrée des céréales, mais il n'a pas cru que la loi de 1834 fût abolie, puisqu'il demandait de nouveaux pouvoirs à la chambre.
J'ai, du reste, prouvé suffisamment à la chambre, dans la discussion antérieure, que les anciennes lois étaient encore en vigueur jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi définitive.
M. Le Hon. - Messieurs, il me semble qu'en fixant au premier mars le terme auquel doit expirer la prorogation, on s'expose à entraver aussi les délibérations de cette chambre, si la loi en discussion au sénat nous était renvoyée avec des amendements.
Ce terme me paraît trop rapproché. Il faudrait en reporter la date au 15 mars, ou bien se borner à proroger jusqu'à la mise en vigueur de la loi nouvelle.
M. le ministre de l'intérieur a dit que c'était par considération pour les prérogatives du sénat qu'il présentait une loi provisoire; mais la liberté de vos délibérations pourrait avoir à souffrir du délai trop court que vous auriez adopté vous-mêmes, ou bien vous seriez dans la nécessité de voter une nouvelle loi de prorogation.
Je pense qu'il convient de prévenir cette alternative toujours fâcheuse, et que le moyen le plus simple, le plus rationnel, est d'adopter pour terme, non le 1er, mais le 15 mars. Cette prolongation de date est sans aucun danger, et même sans influence positive sur la durée du provisoire, puisqu'il cesse de plein droit au jour de la mise en vigueur de la loi nouvelle.
J'accepterais même, sans crainte, une prorogation sans terme fixe, l’un et l'autre mode me paraissant conduire au même but. Ce qu'il est important d'assurer avant tout, c'est que la chambre conserve le temps et page 727) la liberté convenables pour délibérer sur les amendements qui pourraient être introduits par le sénat dans la loi définitive.
M. Mercier. - Messieurs, lu majorité de la chambre n'a pas voulu rester plus longtemps sous le régime actuel.
La section centrale avait d'abord proposé un délai très court dans son premier rapport ; maintenant mue par la même considération, la section centrale ne changeant rien, sous ce rapport, au projet du gouvernemental, a fixé l’époque la plus reculée au 1er mars. Si, contre notre attente, les discussions devaient se prolonger, nous aurions encore toute liberté pour voter une nouvelle loi provisoire. Il me paraîtrait fort dangereux de ne pas fixer de délai dans la loi transitoire. Si la loi qui est actuellement soumise au sénat venait à être rejetée par cette assemblée, et que, d'un autre côté, le gouvernement, qui voulait le maintien de l'état actuel des choses, persistât dans son opinion, il faudrait alors l'initiative d'un membre de cette chambre pour obtenir une autre législation.
Je crois d'ailleurs que fixer l'époque au 15 mars, c'est s'exposer à faire durer beaucoup trop l'état dans lequel nous sommes aujourd'hui. Je demande que la date du 1er mars soit adoptée par la chambre.
M. de Theux. - Messieurs, ainsi qu'on vient de le dire, ce n'est qu'à regret que la chambre, à la fin de l'année dernière, a continué pour six semaines la législation actuelle sur les denrées alimentaires. Je pense qu'un délai de 15 jours est suffisant. En effet, après la longue discussion qui a eu lieu dans cette enceinte, il est évident que si le sénat amendait la loi définitive, il ne faudrait pas un temps bien long pour que cette chambre prononçât sur cet amendement. Je pense que le terme fixé par le gouvernement doit être maintenu.
Quant à l'opinion de l'honorable M. Le Hon, qu'il conviendrait de ne fixer aucun terme, l'honorable M. Mercier a déjà fait observer que, dans un cas donné, ce serait fournir au gouvernement le moyen de maintenir le droit de 50 centimes. Or, ce n'est pas l'intention de la chambre. Il faut qu'un terme soit fixé dans la loi. Le terme proposé par le gouvernement me paraît suffisant.
M. Delfosse. - Je commencerai par déclarer que je n'adhère pas à l'opinion émise par l'honorable M. de Theux, qu'en l'absence d'une loi de prorogation, nous retomberions sous l'empire de la loi de 1834.
M. Coomans. - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Je la demande aussi.
M. Delfosse. - Je prie MM. Dumortier et Coomans de remarquer que je n'entends pas soulever en ce moment une discussion sur le point de savoir si la loi de 1834 reprendrait sa force; cette discussion serait sans utilité et ne pourrait que faire perdre du temps à la chambre. Je me borne à indiquer le dissentiment entre l'opinion de l'honorable M. de Theux et la mienne.
Devons-nous proroger la loi temporairement jusqu'au 1er mars, comme le propose la section centrale, ou jusqu'au 15 mars, comme le propose l’honorable comte de Theux? Voilà le seul point à discuter en ce moment.
Ne perdons pas de vue, messieurs, que le sénat peut consacrer plusieurs jours à la discussion de la loi sur les denrées alimentaires, qu'il peut amender cette loi, et que les amendements adoptés par le sénat pourraient aussi donner lieu, dans cette enceinte, à une discussion dont il est impossible de prévoir la durée.
Nous n'avons plus que treize jours d'ici au 1er mars; si nous ne voulons nous exposer à faire une troisième loi transitoire, nous devons donc proroger la loi jusqu'au 15 mars. Je comprendrais la crainte de ceux qui s'opposent à cette prorogation, si la section centrale n'avait inséré dans le projet une disposition en vertu de laquelle la loi que nous avons transmise au sénat et qui sera obligatoire le lendemain de sa publication, fera cesser immédiatement, peut-être avant le 1er mars, les effets de la loi transitoire que nous allons voter. Cette disposition est de nature à calmer toutes les craintes.
L'honorable M. Mercier nous disait tantôt que si la loi définitive n'était pas adoptée avant le 1er mars, il serait très facile de voter une nouvelle loi de prorogation. Pas si facile, messieurs, car qui sait si le sénat serait encore réuni ? Ne se séparera-t-il pas après avoir voté la loi définitive?
Il est donc très prudent d'adopter l'amendement de l'honorable comte Le Hon, et il n'y a pas à cela le moindre inconvénient.
M. Le Hon. - Messieurs, je désire, autant que les honorables membres qui paraissent ne pas se ranger à mon avis, que la nouvelle loi soit mise en vigueur avant le 1er mars. Mais, je vous l'ai dit, la loi que nous avons votée peut nous être renvoyée amendée par le sénat, et c'est dans l'intérêt des prérogatives de la chambre des représentants que j'ai fait ma motion, consistant à substituer la date du 15 à celle du 1er. Cela ne veut pas dire que la loi définitive ne sera mise en vigueur que le 15 mars, puisque du jour où elle sera promulguée, le provisoire cessera immédiatement.
Ainsi, je le répète, ma motion n'a pas d'autre motif ni d'autre but que de réserver, à tout événement, les prérogatives de la chambre, c'est-à-dire d'assurer la pleine et entière liberté de son examen et de ses délibérations, si elle était appelée, par les amendements du sénat, à s'occuper encore de la loi sur les denrées alimentaires.
M. Coomans. - Je n'aurais pas demandé la parole si le gouvernement et d'honorables membres de cette assemblée n'avaient pas accompagné la loi qui vous est soumise de commentaires que je ne puis laisser passer sans protestation. Aussi longtemps qu'une loi de l'Etat est en vigueur, elle doit être respectée, et quand on vient l'attaquer, il est au moins permis de la défendre. Je n'entrerai pas dans le fond du débat, cela pourrait, comme l'a dit l'honorable M. Delfosse, nous faire perdre beaucoup de temps; je veux seulement faire remarquer que le gouvernement n'est pas d'accord avec l'opinion qu'il professait, il y a deux mois, relativement à la loi de 1834.
Depuis quelques semaines seulement, il a dit et répété qu'il considérait la loi de 1834 comme abolie. Dans la séance du 21 décembre 1849, le gouvernement, par l'organe de l'honorable M. Rogier, a soutenu l'opinion contraire ; voici ce qu'il disait :
(erratum, page 737) «Il va de soi que si la motion de l'honorable M. Bruneau est adoptée, c'est à-dire si l'on ajourne, jusqu'à la rentrée des vacances la discussion de la loi sur les denrées alimentaires, un projet de loi transitoire devra maintenir la loi actuelle jusqu'à ce qu'elle soit remplacée par une loi nouvelle. Le pays ne peut retomber, pour 15 jours, sous le régime de 1834. Personne ne veut cela. »
Evidemment l'opinion de l'honorable ministre de l'intérieur était alors que la loi de 1834 se trouvait en vigueur et qu'elle n'était que suspendue, contrairement à l'opinion qu'il a professée depuis. Telle était la manière de voir de M. le ministre, il y a quelques semaines; et, messieurs, telle était aussi l'opinion de cette chambre et du sénat. Le traité conclu avec la Hollande, le 29 juillet 1846, considère aussi la loi dont il s'agit comme étant en vigueur ; l'article 23 est péremptoire à cet égard.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point. Quant au terme de la loi, la perte que le trésor a subie par suite de la prolongation de la loi provisoire du 31 décembre 1848, est déjà assez forte pour qu'on ne l'accroisse point par une prolongation nouvelle, exagérée. Le délai le plus court sera le meilleur pour tout le monde.
M. Dumortier. - Je n'ajouterai rien à la démonstration que vient de faire mon honorable collègue et ami M. Coomans. Il est évident que la loi de 1834 est toujours en vigueur; une loi définitive n'est jamais abrogée par des lois temporaires. Si une contestation s'élevait sur ce point, la cour des comptes serait là pour la décider.
Il me semble indispensable de prolonger la durée de la loi jusqu'au 15 mars. Le motif est excessivement simple.
Le sénat va commencer la discussion de la loi concernant les denrées alimentaires ; savons-nous combien de jours elle durera? S'il amende la loi, il faut que la chambre ait le temps d'examiner l'amendement; si elle ne l'accepte pas ou si elle y change un seul mot, il faut encore lit renvoyer au sénat; si cela arrive, nous serons encore dans la nécessité de faire une loi provisoire ; puisque nous en faisons une maintenant, faisons-la de manière à ne pas devoir recommencer ; la prolongation que je propose ne préjuge rien, ce n'est qu'une précaution que vous prenez pour avoir le temps d'examiner les amendements adoptés par le sénat, s'il en introduit dans la loi.
C'est une observation que j'ai faite au moment de la présentation de la loi ; j'ai dit que le terme était trop rapproché. Il n'y a pas de motif pour s'opposer à la prolongation, tandis que tous les motifs, la dignité et la liberté de nos délibérations concourent pour nous engager à l’adopter.
M. le président. - Le Hon propose de porter le terme de la loi au 15, au lieu du 1er mars.
- Le gouvernement se rallie à l'amendement de la commission, sous-amendé par M. Le Hon.
L'article premier, ainsi modifiée, est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le jour de sa publication. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.
Il est adopté à l'unanimité des 61 membres qui ont répondu à l'appel. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu à l'appel : MM. d'Hoffschmidt, Dumortier, Dequesne, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Mercier, Moncheur, Moxhon, Osy, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rousselle, Schumacher, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer. Toussaint, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Vilain XIIII, Allard. Ansiau, Anspach, Cans, Cools, Coomans, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Dedecker. Delehaye, Delfosse, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Pilleurs, De Pouhon, de Renesse, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, Devaux et Verhaegen.
M. le président. - Nous reprenons la discussion de l'amendement de M. Lelièvre.
M. de Luesemans. - L'amendement de M. Lelièvre aurait pour conséquence de convertir en véritable interdiction ce qui n'est qu'une mesure provisoire, en enlevant les garanties nombreuses que la loi a voulu introduire dans l'intérêt des aliénés, des tiers et de la famille. Il m'est impossible de m'y rallier. Toutefois, je ferai quelques observations relativement aux articles en discussion, parce que je pense que les amendements introduits par la section centrale ne garantissent pas suffisamment non plus le triple intérêt dont j'ai eu l'honneur de parler.
page 728) Ainsi, le paragraphe premier de l'article 29 donne aux parents, à l'époux, à l'épouse, à la commission administrative ou bien même au procureur du roi, le droit de réclamer du tribunal la nomination d'un administrateur provisoire. Ce paragraphe semble impliquer que l'époux pourrait ne pas être l'administrateur provisoire de sa femme.
Je pense qu'il y aurait là une grave atteinte portée à la puissance maritale. Je crois que le mari doit toujours être l'administrateur provisoire de sa femme.
C'est tellement vrai que, lorsqu'il s'agit de la tutelle en matière d'interdiction, la loi a cru devoir le dire positivement dans l'article 506 du Code civil qui porte : « Le mari est de droit le tuteur de sa femme interdite. » Je crois qu'il doit en être de même en matière d'administration provisoire.
Je désirerais également qu'il fût bien entendu que la femme peut être nommée administrateur provisoire de son mari, dans le cas où celui-ci aurait été déposé ou colloqué dans une maison de santé. La loi, en matière d'interdiction, a cru devoir le dire également d'une manière formelle. Alors même que dans la loi en discussion la mention serait surabondante, elle ne nuirait pas.
Comme il est possible qu'il y ait discussion sur ce point, je dois faire connaître les motifs qui me paraissent puissants pour qu'il en soit ainsi. Ainsi l'administration (relativement aux biens) pourrait s'étendre à trois espèces de patrimoines : patrimoine du mari, de la communauté, de la femme. Il pourrait y avoir de très grands dangers à permettre qu'un étranger vînt s'immiscer dans l'administration de ces biens et souvent dans les secrets les plus importants de la famille. Je n'ai parlé que de trois patrimoines, mais il y a aussi le patrimoine des enfants. N'y aurait-il pas des inconvénients graves à ce que, sans motifs sérieux, on ne nommât pas la femme administrateur de son mari? Que l'on remarque bien que le plus souvent il y aurait lieu à administration provisoire, lorsqu'on présumera que l'état d'aliénation ne durera pas longtemps. Le mot «administration provisoire» indique suffisamment que telle est la pensée des rédacteurs de la loi.
Voici une autre observation. Dans le troisième paragraphe de l'article 29 il est dit : « Sur la demande des parties intéressées, ou sur celle du procureur du roi, le jugement qui nommera l'administrateur provisoire pourra en même temps constituer sur ses biens une hypothèque jusqu'à concurrence d'une somme déterminée par ledit jugement. » D'après la rédaction du passage que je viens de lire, il semblerait que, s'il était reconnu ultérieurement qu'une hypothèque fût nécessaire et que le jugement nommant l'administrateur n'en eût fixé aucune, on ne pourrait plus l'obtenir, puisqu'on dit que c'est le jugement qui nommera l'administrateur provisoire qui constituera l'hypothèque. Je pense que ce système est inadmissible.
Si l'opinion de la chambre est (et je pense qu'il serait difficile qu'elle en eût une autre) que si des motifs de réclamer une hypothèque surviennent après le jugement, il y aura toujours lieu de l'accorder, je pense que ce passage devrait être rédigé comme suit :
« Sur la demande des parties intéressées, ou sur la demande du procureur du roi, le tribunal pourra constituer sur les biens de l'administrateur une hypothèque, jusqu'à concurrence d'une somme à déterminer par le jugement. »
(Le reste conforme à la rédaction de la section centrale.)
J'ai une dernière observation à présenter. Il est dit à l'article 31 que l'administrateur provisoire pourra représenter l'aliéné en justice, soit en demandant, soit en défendant. Je sais qu'il ne s'agit que de mesures d'administration. Cependant ces mesures pourraient s'étendre à des droits immobiliers. Or, alors qu'il s'agit d'une tutelle, la loi a défendu au tuteur (article 404 du Code civil) d'introduire en justice une action, ni d'acquiescer à une demande de cette nature sans l'autorisation du conseil de famille.
Il serait sage, d'après moi, d'appliquer à l'administrateur la disposition du Code civil qui est relative à la tutelle.
J'attendrai les explications qui pourraient être données, soit par le ministre, soit par l'honorable rapporteur de la section centrale.
M. Lelièvre. - Les objections que j'ai fait valoir contre les articles proposés par la section centrale, n'ont pas été réfutées. Un individu est placé dans un établissement d'aliénés, un administrateur provisoire lui est nommé, et ensuite une succession lui échoit. Je prie M. le ministre de me dire qui représentera l'aliéné dans les comptes, inventaires, partages, etc. Ce ne sera pas l'administrateur provisoire, puisque ces attributions ne lui sont pas déférées par l'article 31. Ce ne sera pas un notaire, puisque celui-ci n'est nommé par l'article 32 qu'à défaut d'administrateur provisoire.
Je répète, messieurs, que le système admis primitivement far le gouvernement était préférable à celui proposé par la section centrale.
L'application des articles 112, 113 et 114 du Code civil introduisait un régime simple et non compliqué, tandis que celui proposé n'offre que des mesures qui donneront lieu à des difficultés d'exécution. C'est pour ce motif que j'ai soumis à la chambre une disposition qui renferme un système complet.
M. le ministre me répond que mon système anéantit toutes les garanties de l'interdiction. Je puis lui répliquer par ses propres paroles. Il s'agit ici d'un individu dont l'état d'aliénation peut n'être que momentané, et sous ce rapport il n'est pas nécessaire de recourir aux précautions minutieuses admises lorsqu'il s'agit d'un état qu'on présume être permanent.
D'un autre côté, ne voit-on pas le projet admettre un système analogue et presque semblable h celui que je propose relativement aux actes les plus importants, tels que ceux énoncés en l'article 32, ainsi relativement aux partages, liquidations, etc.
Quel inconvénient dès lors peut-il y avoir à appliquer le même système aux actes d'une moindre importance?
Et puis, messieurs, consentirez-vous jamais à laisser l'aliéné en butte au cours de la prescription ? Pourquoi la prescription ne court-elle pas contre les mineurs et les interdits? C'est à cause de l'impossibilité où ils se trouvent de défendre leurs droits. Ce motif ne milite-t-il pas complètement à l'égard de l'aliéné reconnu tel par une décision judiciaire et auquel on a nommé un administrateur provisoire? Comment concevoir qu'on puisse à son préjudice et par une courte prescription acquérir ce qui lui appartient? Pour moi, je ne saurais me rallier à des dispositions qui consacreraient un résultat aussi injuste. D'un autre côté, le principe de la suspension de la prescription découle de l'article 34 qui ne cadrera pas avec un système laissant libre le cours de la prescription contre des individus placés dans un des établissements en question. Sous ces diverses considérations, il m'est impossible de me rallier aux observations de M. le ministre.
M. Van Hoorebeke, rapporteur. - J'ai peine à concevoir la vivacité avec laquelle l'honorable préopinant défend son amendement qui emporte la destruction de toutes les garanties que le Code civil a établies dans l'intérêt des familles.
Le système que propose la section centrale est emprunté en grande partie à la loi française qui fonctionne depuis douze ans. Ce matin encore, je lisais les commentaires qui font connaître la manière dont elle fonctionne, commentaires émanés des esprits les plus sérieux. J'y ai vu que c'est précisément cette partie de la loi qui a une supériorité incontestable sur la législation de Genève, à laquelle était emprunté l'article 29 du projet primitif, que l'honorable M. Lelièvre préfère au projet de la section centrale.
La section centrale n'a pas cru devoir se rallier au projet primitif parce qu'il laissait des doutes au sujet de plusieurs dispositions importantes qui pouvaient donner lieu à des procès. Ainsi, dans le projet primitif, on assimilait l'aliéné indigent au présumé absent. On ne s'expliquait pas sur la durée des fonctions de l'administrateur provisoire. On ne disait pas si la charge des administrateurs provisoires était une charge analogue à celle de tuteur. On ne s'expliquait pas non plus sur la question de savoir qui remplirait les fonctions d'administrateur provisoire, lorsque les aliénés indigents auraient été placés dans des établissements relevant des hospices. C'est précisément pour cela que nous avons cru devoir introduire dans le projet un système beaucoup plus simple et qui ne donnera lieu à aucune espèce de complication.
On nous présente des objections qui presque toutes se trouvent résolues par les dispositions du droit commun. On pourrait aussi demander si la charge de cet administrateur provisoire est gratuite. Eh bien, je renverrais à l'article du code civil qui déclare que la charge de la tutelle est une charge gratuite.
L'article 2139 du code civil qui déclare qu'à défaut d'hypothèque légale, les parents pourront requérir l'interdiction d'une hypothèque légale à charge du tuteur, est encore une disposition qui rentre dans le droit commun et devient applicable.
Le système de l'honorable M. Lelièvre a pour effet de prévenir toute la procédure qui précède la nomination du tuteur. Dans ce système, personne n'aurait plus recours à ces formalités qui précèdent l'interdiction. Quelqu'un serait colloqué dans un établissement d'aliénés. L'aliénation qui le frappe serait peut-être le résultat d'un accès de délire.
Eh bien, toute personne étrangère à la famille pourrait recourir à la nomination d'un tuteur qui viendrait bouleverser la fortune de ce malheureux, alors que peut-être six mois après celui-ci serait rendu à la liberté.
L'honorable M. Lelièvre s'étonne qu'à défaut d'administrateur provisoire, le tribunal soit admis à procéder à la nomination d'un notaire qui représenterait l'aliéné dans les transactions, les partages, les inventaires ; mais il n'y a là rien que de très naturel.
A défaut d'administrateur provisoire, le tribunal nommera un notaire qui représentera l'aliéné dans les transactions, les inventaires, les partages. S'il n'y a pas d'administrateur provisoire, on aura recours aux formalités ordinaires; on provoquera l'interdiction de l'aliéné, et alors on pourra procéder à tous les actes que pourrait impliquer la disposition de ses biens.
La position d'un aliéné ayant un administrateur provisoire est celle d'un aliéné non déclaré incurable. Lorsqu'une succession s'est ouverte depuis sa collation dans l'établissement, ou s'il n'a pas accepté la disposition d'une succession avant la collation, lorsqu'il s'agira de transiger, de compromettre, de poser des actes qui impliquent la disposition de ses droits, la famille aura recours à toutes les formalités qui sont prescrites par le Code civil et on lui nommera un tuteur. Il aura un administrateur provisoire pour poser ces actes qui maintiennent les droits de l'aliéné, qui les conservent, et nullement pour poser des actes qui les compromettent.
Je le répète, cette position faite à l'aliéné, en France, par la loi de 1838, n'a pas soulevé la moindre critique. Cette loi fonctionne depuis douze ans et je m'étonne des critiques amères dont elle est l'objet de la part de l'honorable M. Lelièvre. Je pense que cette loi, qui a été précédée de discussions approfondies, qui a fait l'objet de la part de M... page 729) d'un rapport si lumineux, qui a donné lieu à des commentaires très remarquables, a parfaitement fonctionné depuis douze ans. A plus forte raison les reproches de l'honorable M. Lelièvre ne peuvent-ils s'appliquer au système de la section centrale qui est plus simple, moins compliqué.
La loi française exigeait dans un cas un pouvoir spécial pour représenter les aliénés dans les procès. La loi française n'exigeait ce pouvoir spécial que dans le cas où l'administrateur provisoire ne serait pas un administrateur provisoire d'office, dans le cas où il tiendrait ses pouvoirs du tribunal. Alors on exigeait que l'administrateur, pour représenter l'aliéné en justice, fût pourvu d'un pouvoir spécial. Eh bien, c'était là une disposition qui n'était pas justifiée en principe. On ne comprenait pas, en effet, que l'administrateur provisoire dût être pourvu d'un mandat spécial de la part du tribunal, dans le cas où il tenait ses pouvoirs du tribunal, et qu'il en fût exempté, dans le cas où il tenait ses pouvoirs de la loi.
Cette distinction, le projet l'a fait disparaître. Dans tous les cas, chaque fois que l'aliéné devra être représenté en justice, l'administrateur aura soin de se munir du pouvoir spécial exigé par l'article 33.
Je pense qu'en présence de ces considérations il est impossible d'admettre l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, qui bouleverse complètement l'économie de la législation sur la matière de l'interdiction. Il devient parfaitement inutile de recourir à la nomination d'un juge-commissaire, de déposer des pièces, d'entendre des témoins, d'interroger l'aliéné, de recourir à ces mesures garantissantes de l'intérêt des familles, si l'amendement de l'honorable M. Lelièvre est consacré par la chambre ; personne ne recourra à ces mesures; on fera nommer un tuteur ; ce tuteur pourra procéder à un partage, à une liquidation, et, six mois après, lorsque le traitement aura rendu la santé, la raison et la liberté au malade, il verra sa fortune complètement bouleversée.
Je pense que si ce reproche peut être adressé à un système, c'est bien à celui que défend l'honorable M. Lelièvre.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je répondrai quelques mots aux observations présentées par l'honorable M. de Luesemans.
Il craint que l'article 29 du projet ne déroge aux dispositions du Code civil, d'après lesquelles le mari est de droit le tuteur de sa femme interdite, et la femme peut être nommée tutrice de son mari interdit.
Je ferai observer que l'article 29 laisse intactes ces dispositions du Code civil, et qu'il ne s'occupe que du mode de nomination de l'administrateur provisoire; il se borne à dire que la nomination pourra être provoquée soit par l'époux ou l'épouse, soit par les parents, soit par la commission administrative, ou enfin, à la demande d'office du procureur du roi.
Mais lorsqu'il s'agira de pourvoir à la nomination de l'administrateur provisoire, alors bien certainement les dispositions du Code civil que je viens de rappeler recevront leur exécution.
Je pense donc qu'il est inutile de modifier dans ce but la rédaction de l'article 29, lequel au surplus a été copié presque littéralement sur l'article 32 de la loi française.
La seconde observation de l'honorable M. de Luesemans concerne le troisième paragraphe de l'article 29.
D'après ce paragraphe, le jugement qui nommera l'administrateur provisoire pourra en même temps constituer sur ses biens une hypothèque jusqu'à concurrence d'une somme déterminée par ledit jugement. Si j'ai bien compris l'honorable M. de Luesemans, il voudrait que cette hypothèque put être constituée même par un jugement ultérieur, et qu'elle ne dût pas l'être nécessairement par le jugement qui nommera l'administrateur.
C'est là une amélioration qui peut être introduite dans la loi, et je ne vois donc aucun inconvénient à admettre l'amendement qui a été annoncé à cet égard par l'honorable M. de Luesemans; s'il y persiste, je le prie de le formuler afin de pouvoir mieux l'apprécier.
L'honorable M. de Luesemans a parlé également de l'action relative aux droits immobiliers de l'aliéné, qui pourrait être intentée par l'administrateur provisoire. A cet égard, messieurs, l'article 31 du projet déclare que l'administrateur provisoire devra se pourvoir d'une autorisation du président du tribunal pour représenter l'aliéné en justice, soit en demandant, soit en défendant. Nous pensons que cette disposition suffit à toutes les nécessités d'une situation temporaire, et que la confiance que doit inspirer un magistrat dans une position aussi élevée que celle de président du tribunal, suffit pour garantir que cette permission ne sera pas légèrement accordée. Je ne crois donc pas qu'il soit nécessaire de modifier, sous ce rapport et dans l'intérêt des aliénés, la disposition de l'article 31 du projet.
M. Lelièvre. - Je ne rentrerai pas dans la discussion de mon amendement, je me réfère aux développements que j'ai présentés. Mais, messieurs, plus j'examine les dispositions nouvelles, plus j'y rencontre des lacunes qui donneront lieu à des inconvénients sérieux. En effet, l'article 31 autorise bien l'administrateur provisoire à faire vendre le mobilier, mais il ne détermine pas quelles formalités seront observées.
La vente aura-elle lieu dans les formes prescrites à l'égard des mineurs ou bien se conformera-t-on aux dispositions concernant les majeurs? La même observation est applicable aux inventaires, partages et liquidations. Ces actes devront-ils être passés avec les formes établies à l'égard des mineurs, en conformité de la loi du 12 juin 1816, ou bien les aliénés seront-ils considérés comme majeurs?
Toutes ces questions restent incertaines à cause de la position équivoque que le projet fait à l'individu placé dans un établissement d'aliénés. On ne sait pas d'une manière précise sous quel rapport légal il sera envisagé. Je ne crains pas de dire que le projet donnera lieu, dans l'exécution, à des difficultés nombreuses et à des contestations compliquées.
M. de Luesemans. - Relativement à ma première observation, il me semble que ce qui nous divise, M. le ministre et moi, c'est que M. le ministre pense que la mention que j'ai proposée est inutile, tandis que je la crois indispensable, à moins d'explications catégoriques. M. le ministre dit, que le droit commun est réglé par les articles 506 et 507 du Code civil. Mais ces articles ne sont relatifs qu'à la tutelle, et vous créez aujourd'hui une catégorie particulière que vous appelez administrations provisoire et qui n'existe pas encore dans la loi. Je crains beaucoup que dans la pratique on ne puisse trouver des obstacles à ce que les articles 506 et 507 soient étendus à l'administrateur provisoire. Voici, messieurs, les amendements que je vais déposer :
« Art. 29, § 3. Le mari est de droit administrateur provisoire de sa femme placée dans un établissement d'aliénés.
« § 4. La femme pourra être nommée administrateur provisoire de son mari. En ce cas, le tribunal réglera la forme et les conditions de l'administration.
« Au § 5 de l'article 29, remplacer les mots : «Sur la demande, etc.», par ceux-ci :
« Sur la demande des parties intéressées ou sur celle du procureur du roi, le tribunal pourra constituer sur les biens de l'administrateur une hypothèque, jusqu'à concurrence d'une somme à déterminer par le jugement. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je ne vois pas d'inconvénient à admettre le dernier amendement de l'honorable M. de Luesemans, qui est relatif à l'hypothèque, et je m'y rallie; mais les deux autres me paraissent complètement inutiles. Je pense que les articles 506 et 507, qui concernent la tutelle respective des époux interdits, sont, a fortiori, applicables à l'administration provisoire, qui ne conférera que des fonctions essentiellement temporaires. Par cela même que le mari est, de droit, tuteur de sa femme interdite, il doit être, de droit, administrateur provisoire de sa femme, lorsqu'elle sera placée dans un établissement d'aliénés.
Par la même raison, la femme pourra être nommée administrateur provisoire des biens de son mari, colloqué dans un semblable établissement. Cela me paraît être la conséquence nécessaire des dispositions des articles 506 et 507 du Code civil.
M. de Luesemans. - Si cela est entendu ainsi, je retire mes deux premiers amendements ; je maintiens seulement celui qui est relatif à l'hypothèque.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je me rallie à ce dernier amendement, sauf à faire, s'il y a lieu, des observations sur la rédaction, lors du second vote.
M. Lelièvre. - M. le ministre de la justice verrait-il quelque inconvénient à supprimer les mots de l'article 32, «à défaut d'administrateur-provisoire». Cette suppression autoriserait au moins la nomination d'un notaire, alors même qu'un administrateur provisoire aurait été désigné, et l'on ne rencontrerait pas dans le projet la lacune que j'ai signalée sur ce point.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je pense, messieurs, que l'administrateur provisoire, nommé en vertu de l'article 29, exercera, relativement aux biens de l'aliéné les mêmes attributions que l'administrateur provisoire, nommé aujourd'hui en vertu de l'article 497 du Code-civil. Donc lorsqu'il y aura un administrateur provisoire, il sera inutile de nommer un notaire, dans les cas déterminés par l'article 32.
Je désire, messieurs, donner encore quelques explications à cet égard, afin de mieux démontrer combien l'amendement de M. Lelièvre est inutile, d'une part, et de l'autre, combien son système serait exorbitant.
Considérons quelle sera la position de l'aliéné dans l'établissement où il aura été placé. Cette position peut être envisagée sous quatre phases différentes. La première, c'est celle où l'on jugera convenable de ne rien faire dans l'intérêt de la fortune de l'aliéné. Et certes, il y aura beaucoup d'individus placés, momentanément par leur famille, dans ce -sortes d'établissements et dont les parents ne croiront pas devoir prendra de mesure, en ce qui concerne l'administration de leurs biens, parce qu'ils jugeront que leur séjour dans l'établissement ne sera que de très courte durée et qu'en attendant la famille peut faire tout ce qui serait nécessaire dans l'intérêt de l'aliéné. Voilà la première position, et ce sera probablement la plus nombreuse.
Maintenant, messieurs, il peut arriver que, pendant qu'un individu est colloqué dans un établissement, il survienne une affaire spéciale qui exige son intervention alors que son état ne lui permet pas d'y donnes ses soins. Que fera-t-on alors? L'article 32 y a pourvu. On fera nommer un notaire pour représenter cet individu soit dans un partage, soit dans un inventaire ou pour toute autre affaire dans laquelle il se trouvera intéressé; ce notaire sera nommé ad hoc et ses fonctions cesseront avec l'opération spéciale pour laquelle il aura été nommé. C'est la seconde phase, la seconde position de l'aliéné.
Maintenant je suppose qu'il y ait lieu de croire que la maladie se prolonge plus longtemps qu'on ne l'avait pensé et que la situation de fortune de l'aliène, l'importance de ses affaires nécessitent une administration spéciale. Eh bien alors on lui nommera un administrateur (page 730) provisoire qui sera investi de tous les pouvoirs déterminés par les articles 29 et suivants du projet ; c'est là la troisième position dans laquelle pourra se trouver l'aliéné placé dans un établissement spécial.
Enfin la situation de l'aliéné peut s'aggraver, la maladie peut devenir incurable. Alors l'on en viendra aux formalités du Code civil pour l'interdiction judiciaire.
Voilà, messieurs, les quatre positions dans lesquelles l'aliéné peut se trouver. Pour la dernière, la plus grave, qui doit se terminer par l'interdiction, le Code civil suffit et nous n'entendons y déroger sous aucun rapport. Pour les autres positions, nous établissons des formalités spéciales, nous indiquons les moyens de pourvoir provisoirement, temporairement à la gestion et à l'administration des biens de l'aliéné.
Tout cela formera désormais une législation suffisante et complète qui garantira tous les intérêts des aliénés, et empêchera qu'en aucune circonstance leur fortune ne puisse être dilapidée ou compromise.
M. Lelièvre. - M. le ministre semble perdre de vue que le projet ne confère nullement à l'administrateur provisoire les pouvoirs résultant de l'article 497 du Code civil.
L'article 31 définit clairement les attributions de l'administrateur créé par le projet, il les restreint à quelques actes seulement. Si donc on veut lui conférer les pouvoirs établis par le Code civil, il faut nécessairement énoncer une disposition expresse. Sans pareille prescription, l'administrateur ne pourra poser que les actes précisés en l'article 31, et dès lors il serait sans qualité pour représenter l'aliéné dans les partages et autres actes déférés au notaire par l'article 32.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, dans l'espoir de faire cesser l'opposition de l'honorable M. Lelièvre, je demande qu'après le mot «pourront» dans le premier paragraphe de l'article 29, l'on ajoute ces mots «conformément à l'article 497 du code civil». Ces mots se trouvent dans la loi française; nous n'avons pas cru qu'ils fussent nécessaires; nous le croyons encore; toutefois pour faire droit en partie aux objections de l'honorable M. Lelièvre, je demande que ces mots soient insérés dans l'article.
M. Lelièvre. - Je reconnais que, sous ce rapport, il y a amélioration.
L'article 31 ne limitera plus les pouvoirs de l'administrateur provisoire aux actes y dénommés; et, sous ce rapport, l'un des inconvénients disparaît.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix et n'est pas adopté.
L'amendement de M. de Luesemans au § 3 de l'article 29 est mis aux voix et adopté.
L'addition des mots «conformément à l'article 497 du code civil», après le mot «pourront», dans le premier paragraphe du même article, addition proposée par M. le ministre de la justice, est mise aux voix et adoptée.
L'article 29, ainsi amendé, est ensuite mis aux voix et adopté.
«Art. 30. Les commissions administratives ou de surveillance des hospices ou établissements publics d'aliénés exerceront de plein droit, par celui de leurs membres qu'elles désigneront, les fonctions d'administrateurs provisoires à l'égard des personnes qui y sont placées, qui ne seraient ni interdites ni pourvues d'un tuteur et auxquelles un administrateur spécial n'aurait pas été donné conformément à l'article précédent.»
M. le président. - M. Thiéfry a présenté à cet article l'amendement que voici :
« L'article 5 de la loi du 13 pluviôse an XIII, relative à la tutelle des enfants admis dans les hospices, est applicable à la présente loi, pour ce qui concerne les commissions administratives des hospices d'aliénés. »
La parole est à M. Thiéfry pour développer son amendement.
M. Thiéfry. - Messieurs, l'article 5 de la loi du 13 pluviôse an XIII, relative à la tutelle des enfants admis dans les hospices, ne permet pas de prendre des inscriptions hypothécaires sur les biens des administrateurs de ces hospices, en raison de leurs fonctions.
Le législateur a pensé que la composition même de ces administrations était une véritable garantie pour les intéressés; il a voulu, en outre, éviter de mettre des entraves à l'acceptation d'une mission pleine de dévouement. Ces administrateurs sont nommés par les conseils communaux, qui les choisissent parmi les habitants de la commune dont les antécédents sont connus; leurs fonctions sont gratuites. Ces administrations sont toujours composées de cinq membres au moins; il en est même qui en comptent dix, comme celle de Bruxelles, où, par suite d'un arrêté du préfet, les administrations des hospices et de la bienfaisance sont réunies depuis 1807. Toutes les affaires sont soumises à ce conseil, qui en délibère avant de prendre une résolution ; il y a donc là toute la garantie désirable. Mais on comprendra facilement que beaucoup de personnes refuseraient d'accepter le mandat d'administrateur, si leurs biens étaient soumis à l'inscription hypothécaire.
Il y a, d'ailleurs, dans chaque administration, un receveur dont le cautionnement présente encore une sûreté pour la manutention des deniers.
M. le ministre m'a dit hier qu'il adoptait le principe que je désirais voir insérer dans la loi, mais qu'il pensait devoir proposer une autre rédaction : si elle remplit le but que je cherche à atteindre, j'abandonnerai mon amendement.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, j'adopte en principe l'amendement de l'honorable M. Thiéfry. Cependant, je pense qu'il ne faut pas se référer à l’article 5 de la loi du 15 pluviôse an XIII, dont le texte n'est pas tout à fait en rapport avec le projet actuel ; mais qu'il est préférable de transcrire la disposition de cette loi dans le projet sous cette forme-ci :
« Le receveur des hospices remplira, à l'égard des biens de ces personnes, les mêmes fonctions que pour les biens des hospices.
« Toutefois, les biens de l'administrateur délégué ne pourront, à raison de ses fonctions, être passibles d'aucune hypothèque. La garantie de son administration résidera dans le cautionnement du receveur chargé de la manutention des deniers et de la gestion des biens. »
M. Thiéfry. - C'est ma première rédaction.
- Les deux paragraphes nouveaux, proposés par M. le ministre de la justice à l'article 30, sont mis aux voix et adoptés.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je demande qu'on substitue le mot «nommé» au mot «donné» à la fin du dernier paragraphe de l'article 30.
- Adopté.
M. Van Hoorebeke, rapporteur. - Je crois qu'il conviendrait de supprimer dans l'article 30 le mot «public»s après le mot «établissements». Déjà, dans un autre article, sur la proposition de l'honorable M. de Brouckere, la chambre a supprimé les mots «établissements publics», parce qu'il n'en existe pas de ce genre en Belgique.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, on peut sans doute supprimer le mot «publics». Je ne puis cependant accepter tout à fait l'observation de l'honorable rapporteur, à savoir qu'il n'y aurait pas d'établissements publics d'aliénés en Belgique. Les établissements communaux sont qualifiés d'établissements publics par la loi communale ; le mot publics ne doit être supprimé dans le projet qu'en ce sens qu'il n'y a pas jusqu'ici d'établissements d'aliénés sous la direction immédiate du gouvernement.
- La suppression du mot publics est mise aux voix et adoptée.
L'article 30, tel qu'il résulte des amendements qui ont été adoptés successivement, est mis aux voix et adopté.
«Art. 31. L'administrateur provisoire procédera au recouvrement des créances et à l'acquittement des dettes; il passera des baux qui ne pourront excéder trois ans; il pourra même, en vertu d'une autorisation spéciale accordée par le président du tribunal civil, faire vendre le mobilier et représenter l'aliéné en justice, soit en demandant, soit en défendant, Les significations faites au domicile de ce dernier pourront, suivant les circonstances, être annulées par les tribunaux. Il n'est point dérogé aux dispositions de l'article 173 du Code de commerce.
- L'amendement présenté par M. de Luesemans au paragraphe premier de cet article, et qui a été développé, est appuyé.
M. de Luesemans. - Mon amendement est la reproduction de la disposition du Code civil.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne vois pas d'inconvénient à adopter d'abord cet amendement, mais d'ici au second vote je me réserve d'examiner s'il est en rapport avec le système entier de la loi.
M. Lelièvre. - Je pense que l'on ne peut admettre l'amendement de l'honorable M. de Luesemans. En effet, l'article 32 a établi une formalité spéciale qui doit précéder tout procès soutenu par l'administrateur provisoire. Cette formalité consiste dans l'autorisation accordée par le président du tribunal, il ne s'agit donc pas de recourir aux formes ordinaires que doivent observer les tuteurs. Elles sont incompatibles avec les pouvoirs restreints conférés à l'administrateur par le projet. J'aurais conçu cette marche si l'on avait adopté mon amendement; mais, d'après le système adopté par la chambre, il me semble qu'il faut se tenir à la formalité énoncée en l'article proposé par la section centrale.
L'aliéné a, du reste, une garantie suffisante dans l'intervention du président.
M. Van Hoorebeke, rapporteur. - Je crois avec l'honorable M. Lelièvre que la proposition de M. de Luesemans est parfaitement inutile; avec l'autorisation spéciale accordée par le président, l'administrateur peut faire vendre le mobilier, représenter l'aliéné en justice, soit en demandant, soit en défendant; il n'y a pas d'inconvénients à la durée des fonctions de l'administrateur provisoire, car les actes qu'il peut poser sont des actes provisoires, il est inutile d'adopter l'amendement.
M. de Luesemans. - Je crois, messieurs, que précisément parce qu'il s'agit d'administration provisoire, il y a lieu de ne pas conférer à l'administrateur des droits plus étendus que ceux que vous accordez au tuteur. C'est là le moyen de mettre une certaine harmonie dans notre législation.
On objecte que le président du tribunal ne peut inspirer aucune méfiance, et que la garantie sera complète. Je n'ai aucune méfiance du fonctionnaire dont on parle; mais il y avait un autre motif pour exiger l'autorisation du conseil de famille, c'est la connaissance que ce conseil a de la position de fortune de la personne aliénée et de l'intérêt qu'il peut y avoir à plaider en son nom.
Je ne comprends pas, quant à moi, comment on puisse s'opposer sérieusement à l'adoption de mon amendement. Si vous le rejetez, vous, donnerez le singulier spectacle d'un administrateur provisoire ayant des droits plus étendus, supérieurs à ceux d'un tuteur.
On dit encore que mon amendement détruirait l'économie du projet présenté. C'est une erreur. Le projet de loi s'appliquerait à tous les cas autres que l'exception que j'introduis, et quand il s'agirait de droits trop considérables pour en confier la direction à des personnes étrangères à la page 731) famille, on demanderait l'avis de cette famille, que l'on ne refuse jamais de consulter dans des cas analogues.
Loin donc que mon amendement aurait pour résultat de détruire l’économie de la loi, c'est la loi qui vient détruire l'économie de notre législation.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne considère pas l'amendement de M. de Luesemans comme nécessaire; je crois que l'article 31 répond à la situation provisoire et temporaire de l'aliéné; cependant je ne puis pas admettre, avec l'honorable M. Lelièvre, que l'amendement de M. de Luesemans serait en contradiction avec le système du gouvernement; c'est une exception, une garantie de plus qu'il demande lorsqu'il s'agira d'actions relatives aux droits immobiliers de l'aliéné ; indépendamment de l'autorisation du président, on peut exiger l'autorisation du conseil de famille pour des cas spéciaux, tels que les actions immobilières. Cependant je ne pense pas que l'amendement soit nécessaire.
- L'amendement de M. de Luesemans est mis aux voix. Il n'est pas adopté.
L'article 31 est ensuite mis aux voix et adopté.
«Art. 32. A défaut d'administrateur provisoire, le président, à la requête de la partie la plus diligente, commettra un notaire pour représenter les personnes non interdites et non pourvues d'un tuteur, placées dans les établissements d'aliénés, dans les inventaires, comptes, partages et liquidations, dans lesquels elles seraient intéressées.»
- Adopté.
«Art. 33. Les pouvoirs, conférés en vertu des articles précédents, cesseront de plein droit dès que la personne placée dans un établissement d'aliénés n'y sera plus retenue. Les pouvoirs, conférés par la justice en vertu des articles 30 à 32, cesseront de plein droit à l'expiration d'un délai de trois ans, s'ils n'ont pas été renouvelés.
- Adopté.
Article 34
«Art. 34. Les actes faits par ces personnes pendant le temps qu'elles étaient retenues dans un établissement d'aliénés pourront être attaqués pour cause de démence, conformément à l'article 504 du Code civil.
«Les dix ans de l'action en nullité courront à l'égard de la personne retenue qui aura souscrit des actes, à dater soit de la connaissance qu'elle en aura eue après sa sortie définitive de la maison d'aliénés, soit de la signification qui lui en aura été faite après cette sortie et à l'égard de ses héritiers, à dater de la signification qui leur en aura été faite, ou de la connaissance qu'ils en auront eue depuis la mort de leur auteur.
«Lorsque les dix ans auront commencé à courir contre celui-ci, ils continueront de courir contre les héritiers.»
M. Lelièvre propose de substituer à l'article 504 du Code civil, les articles 502 et 1304.
M. Lelièvre. - Je crois que nous sommes d'accord avec M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - En partie seulement.
Je demande un changement de rédaction à cet article lequel ayant été déplacé, ne se rattache plus d'une manière assez correcte aux autres dispositions de la loi.
Au lieu de : « Les actes faits par ces personnes, pendant le temps qu'elles étaient retenues, etc. » Je propose de dire :
« Les actes faits par toutes personnes, pendant le temps qu'elles auront été retenues dans un établissement d'aliénés, etc.»
Je demande également que l'article 1304 du Code civil soit substitué à l'article 504; c'est une erreur dont j'avais pris note, avant que l'honorable M. Lelièvre présentât son amendement. Mais l'honorable membre propose de mentionner l'article 502...
M. Lelièvre. - Du moment que vous admettez l'article 1304, cela me suffit; je renonce à ma proposition quant à l'article 502.
- Le changement de rédaction proposé par M. le ministre de la justice est adopté.
La substitution de l'article 1304 à l'article 504 est adoptée.
L'ensemble de l'article ainsi amendé est également adopté.
«Art. 35. Aucune requête, aucune réclamation, adressée soit à l'autorité judiciaire, soit à l'autorité administrative, ne pourront être supprimées ou retenues par les chefs ou médecins d'établissements d'aliénés , ni par les directeurs des hospices ou les bourgmestres dans les cas des articles 19 et 20.»
- Adopté.
«Art. 36. Les arrêtés à prendre aux termes des articles 1. 3, 5, 6 et 7, ainsi qu'en vertu de l'article 22, en ce qui concerne la nomination des membres des comités permanents d'inspection, seront précédés de l'avis de la députation permanente du conseil de la province où l'établisse ment est situé.»
M. de Perceval. - Je viens appeler la plus sérieuse attention de M. le ministre de la justice sur cet article 36, car il renferme, à mes yeux, toute l'économie de la loi qui consacre le nouveau régime des aliénés, et, dans mon opinion, du choix des membres qui constitueront les comités permanents d'inspection dépendra le bien que pourra opérer la législation actuelle dans la pratique des dispositions qu'elle renferme.
L'inspection des établissements d'aliénés est incontestablement des plus utiles; elle doit, on conséquence, avoir pour agents des hommes qui s'acquittent avec conscience du triple devoir qui leur incombe sous le point de vue de l'ordre public, de la sécurité individuelle et de l'intérêt des familles.
C'est surtout dans la commune de Gheel que cette inspection est nécessaire et, messieurs, j'y ajouterai même , des plus urgentes.
Bien des crimes y ont été commis par des aliénés, et cela peut-être parce qu'on les laissait jouir de trop de liberté et parce qu'ils n'étaient point suffisamment surveillés. Je ne veux pas entrer dans des détails à cet égard; la chambre comprendra le sentiment qui m'anime en ne les énumérant point. Bien des abus existent dans cette commune, quoique l'honorable député de Turnhout nous ait donné l'assurance, dans une séance précédente, qu'ils ne sont pas nombreux el très sérieux.
Vous en avez eu, messieurs, la preuve dans la séance d'hier, par la pétition qui nous a été adressée de Gheel et dans laquelle on détaille plusieurs de ces abus. Je dois croire à leur existence, car ils nous sont attestés par des pétitionnaires qui occupent un rang honorable dans l'administration civile et dans les carrières libérales.
Si les renseignements qui m'ont été fournis, d'un autre côté, sont exacts, et j'ai lieu de croire qu'ils ne pèchent point par l'inexactitude, le placement des aliénés s'y fait avec quelque esprit de parti qu'il est nécessaire de détruire, car ce placement, j'aurai la franchise de le dire, se fait, non en vue de l'utilité et de la bonne tenue de telle ou telle pension bourgeoise, mais plutôt en vue de la réussite de telle ou telle combinaison politique ou électorale.
Il paraît que l'administration considère surtout l'influence du fermier-électeur, et s'occupe très subsidiairement de la question de savoir si les aliénés seront bien ou mal placés chez ce même fermier. D'où il résulte que dans le but de conserver leurs pensionnaires, les nourriciers, à l'époque des élections, se trouvent sous la menace de voir retirer leurs pensionnaires, ou bien dans l'obligation de concourir forcément au maintien des abus qui existent, quoi qu'on dise, dans cette commune.
C'est la une situation fâcheuse et sur laquelle j'appelle toute l'attention du gouvernement. A l'aide d'une inspection impartiale et sévère, il pourra faire disparaître d'aussi graves abus qui pourraient bien finir par ruiner tôt ou tard la colonie de Gheel.
Les habitants de cette commune souffrent de cet état de choses et ils s'en plaignent à la législature dans la requête qui nous a été transmise à la séance d'hier, et qui portait la signature de plusieurs habitants notables de cette localité. Il importe que le gouvernement organise le plus tôt possible les comités permanents d'inspection et, surtout qu'il les organise de telle manière que ni l'ordre public, ni la sécurité individuelle, ni l'intérêt des familles ne s'en trouvent lésés.
Ce n'est point une misérable intrigue politique qui doit guider l'action des administrations locales dans le placement des aliénés, mais bien exclusivement, et en dehors de toute autre préoccupation, l'intérêt dont ces pauvres malheureux sont dignes, que leur triste état, en outre, réclame, et que l'humanité nous fait, de plus, un devoir de secourir et de soulager.
Je me suis acquitté de mon devoir en signalant le mal ; l'article 36 donne à M. le ministre de la justice le remède pour détruire ce mal. Qu'il en fasse usage avec intelligence, impartialité et principalement avec fermeté en nommant de bons comités d'inspection, en les composant de membres qui comprennent leur importante mission et il aura rendu ainsi un grand et incontestable service à la société et au pays.
M. Thiéfry. - Je me joins à l'honorable préopinant pour engager le gouvernement à porter toute son attention sur la formation des comités d'inspection, il pourra, en vertu de l'article 6 de la loi que nous discutons, faire un bon règlement pour le placement des aliénés à Gheel.
Je ne puis laisser sans réponse les observations présentées sur cette colonie.
Dans plusieurs visites que j'y ai faites, je ne me suis enquis, à la vérité, que des aliénés placés par les hospices de Bruxelles; mais je puis affirmer qu'ils sont parfaitement bien, et ils forment le plus grand nombre de ceux qui sont à Gheel.
Je dois même rendre hommage aux soins, au désintéressement des habitants. Les aliénés sont placés par une commission nommée par le conseil général des hospices. Et cette commission remplit ses fonctions gratuitement et avec zèle. Lorsque le médecin est d'avis qu'un pourvu doit changer de nourricier, le déplacement a lieu immédiatement.
On a parlé du crimes commis dans ce village ; je n'en connais qu'un seul qui a eu du retentissement; c'est l'assassinat du bougmestre Lebon. Eh bien, messieurs, la cour d'assises a reconnu que cet homme avait toutes ses facultés, et il a été condamné à mort.
Je termine, comme l'honorable préopinant, en appelant l'attention du gouvernement sur la formation des comités d'inspection.
M. de Mérode. - Je ne veux dire qu'un mot sur la manière dont les insensés sont traites à Gheel. Il y a des siècles que Gheel se livre aux soins des insensés. Il y a là des habitudes prises qu'il est bon de conserver, qu'il ne faut pas déranger: car il serait fort difficile d'organiser dans une autre commune ce qui existe à Gheel. En général, les insensés y sont traités convenablement, mieux que dans d'autres établissements. On a à respecter un passé, auquel il ne faut pas trop toucher, de peur de changer l'esprit des habitants et de leur ôter cette disposition particulière à soigner les fous, qu'il serait difficile de trouver ailleurs.
(page 732) M. Coomans. - Messieurs, je ne puis laisser croire que la colonie de Gheel soit une sorte de coupe-gorge.
M. de Perceval. - Personne n'a dit cela.
M. Coomans. - L'honorable M. de Perceval n'a pas prononcé le mot, mais d'autres insinuent la chose. Il résulterait des plaintes qui ont retenti ici et ailleurs que les familles devraient craindre de confier des insensés aux habitants de Gheel. Messieurs, il importe que de pareilles erreurs ne se propagent pas. Je déclare que, malgré quelques abus réels, et presque inévitables, malgré quelques accidents fâcheux qui ont été signalé à Gheel, et qui, du reste, se produisent partout ailleurs, le mode de traitement adopté dans cette intéressante colonie est le meilleur qui existe, non seulement en Belgique, mais dans l'Europe entière. Je pourrais citer, à l'appui de cette opinion, des témoignages remarquables sortis de bouches qui méritent le plus de faire autorité.
Ce que je dois surtout dire, puisqu'on m'y provoque encore, c'est qu'il serait dangereux d'engager le gouvernement dans une intervention trop directe, trop minutieuse, et par conséquent vexatoire, dans la colonie de Gheel.
Comme vient de le dire l'honorable M. de Mérode, comme la si bien dit l'autre jour l'honorable M. Thiéfry, l'administration communale et toutes les autorités de Gheel, y compris les médecins et le clergé, s'efforcent d'améliorer autant que possible la situation des insensés. Outre que cette conduite leur est inspirée par leurs sentiments d'humanité et par leurs devoirs, elle est conforme aux intérêts de la localité, laquelle profitera de tous les perfectionnements introduits dans la condition de tant de malheureux. Je ne suis que juste en proclamant que la population presque tout entière de Gheel mérite la reconnaissance publique.
Les inconvénients qu'on signale, les abus partiels dont on demande la suppression sont presque inséparables du genre d'infirmité dont Gheel a le triste privilège de monopoliser en quelque sorte le traitement. Plus d’une amélioration est possible. Le gouvernement peut y contribuer, mais n'oublions pas que les malheureux placés chez les nourriciers appartiennent généralement aux classes peu instruites, que leur éducation a été fort négligée, et que les nourriciers sont peu rétribués. On ne peut pas exiger de ceux-ci les mêmes soins qu'on attend des employés des hospices, qui n'ont pas autre chose à faire.
D'ailleurs, je suis loin de repousser l'intervention de l'Etat; elle est indispensable, surtout en ce qui concerne les subsides. Je ne lui refuse pas le droit d'exercer une certaine surveillance ; je ne pense pas que la commune de Gheel le lui conteste. Mais je n'admets pas la domination exclusive et despotique du gouvernement dans une colonie qui est née à l'ombre de la liberté et qui tient à son indépendance.
Je redoute la bureaucratie, surtout lorsqu'elle prétend régner de loin. Il arrive d'ordinaire que, lorsque le gouvernement veut trop réformer, il déforme.
Il y a à Gheel même, tous les éléments nécessaires pour perfectionner la colonie et la maintenir, ou la diriger, si l'on veut, dans les bonnes voies.
J'insiste donc, messieurs, pour qu'on laisse à la colonie de Gheel le plus de liberté possible. Elle n'en abusera pas, j'en suis sûr. On conciliera ainsi les exigences de l'humanité avec les intérêts du trésor. Un subside suffisant pour fonder un hospice, et une surveillance ministérielle modérée, c'est tout ce que nous demandons. C'est à cela aussi que le gouvernement doit restreindre son rôle, s'il ne veut se créer un surcroît d'embarras et peut-être compromettre une des institutions les plus curieuses et les plus utiles de la Belgique. D'ailleurs de bons règlements, éprouvés par une expérience séculaire, existent à Gheel ; qu'on les exécute ou qu'on les fasse revivre en les sanctionnant par une bonne police. Dès lors toute plainte sérieuse disparaîtra.
M. de Perceval. - Je suis fondé à croire que l'honorable préopinant n'a pas prêté une oreille très attentive à ce que j'ai eu l'honneur de dire, et sa réplique vient me prouver qu'il ne m'a pas compris ou écouté. Je n'ai pas demandé qu'on réformât entièrement ce qui se fait à Gheel. J’ai appelé l'attention du gouvernement sur l'utilité de former de bons comités d'inspection. A l'appui de mon opinion sur ce sujet, j'ai signalé des abus. Les abus existent personne ne saurait les nier. En 1844, 1846 et 1847, des crimes y ont été commis. Veut-on des détails? Je puis les citer.
M. Coomans. - Ailleurs aussi, des crimes ont été commis.
- L'article 36 est adopté.
«Art. 37. Les arrêtés à prendre par les administrations locales dans les cas des n°2 et 5 de l'article 8, et par les autorités provinciales dans le cas du n°6 du même article, seront, dans les trois jours de leur date transmis au procureur du roi de l'arrondissement où est domicilié l'aliéné respectivement par le bourgmestre ou le gouverneur.
«Si l'arrêté de collocation ne doit pas être mis à exécution dans l'arrondissement du lieu du domicile ou de la résidence de l'aliéné, le procureur du roi transmettra immédiatement une copie de cet arrêté à son collègue de l'arrondissement où est situé l'établissement dans lequel le placement devra avoir lieu.»
- Adopté.
«Art. 38. Les contraventions aux dispositions des articles 1, 4, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 16, 23, 24, 32 de la présente loi et aux arrêtés à prendre en vertu des articles 5 et 6, qui seront commises par les chefs, directeurs ou préposés responsables des établissements d'aliénés et par les médecins employés dans ces établissements, seront punies d'un emprisonnement qui ne pourra excéder un an et d'une amende qui n'excédera pas 3,000 francs, ou de l'une ou de l'autre de ces peines, sans préjudice du retrait de l'autorisation accordée dans les cas prévus par les articles 3 et 6 et indépendamment des poursuites qui pourront leur être intentées du chef de séquestration illégale, s'ils venaient à retenir une personne après sa guérison constatée et dont la sortie aurait été ordonnée ou autorisée conformément aux dispositions de la loi.
Les mêmes dispositions pénales seront applicables aux parents ou tuteurs qui contreviendraient aux dispositions de l'article 26.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Toute cette nomenclature d'articles devra être changée d'ici au second vote, parce qu'elle ne se rapporte plus au numérotage actuel des articles.
Répondant à ce qui a été dit par l'honorable M. de Brouckere, dans une séance précédente, je ferai remarquer que l'article 35 trouve dans l'article 38 sa sanction, mais qu'il se trouve placé sous le n°32, chiffre qu'il portail dans le projet primitif et qui devra être changé.
M. Lelièvre. - Je voulais faire la même observation.
L'article 38 est mis aux voix et adopté.
- Le vote définitif du projet est fixé à lundi.
M. Orts. - Je demande à la chambre de bien vouloir m'autoriser lundi, à l'ouverture de la séance, à adresser une interpellation M. le ministre de la guerre, sur la punition disciplinaire qui vient d'être infligée à un militaire, auteur d'une brochure relative à la discussion du budget de la guerre.
M. Vilain XIIII. - Vous n'avez pas besoin d'autorisation pour cela.
M. Orts. - Je demande seulement à la chambre si elle juge convenable de m'entendre lundi. Je consulte ses convenances.
M. le président. - M. le ministre de la guerre sera prévenu pour lundi.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.