(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 719) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à deux heures et quart.
La séance est ouverte.
Il est procédé, par la voie du sort, à la composition des sections du mois de février.
M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.
M. de Luesemans présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.
« Plusieurs pharmaciens à Ypres et aux environs présentent des observations contre la disposition du projet de loi sur l'exercice de la médecine vétérinaire, qui accorde aux artistes vétérinaires et aux maréchaux vétérinaires la faculté de vendre des médicaments destinés aux animaux domestiques.»
« Mêmes observations du sieur Minne et de plusieurs pharmaciens de l'arrondissement de Charleroy. »
- Renvoi à la section chargée d'examiner le projet de loi.
« Les membres de l'administration centrale et plusieurs habitants de Pâturages demandent une réduction de droits sur les canaux de Mons à Condé et de Pommerœul à Antoing, la liberté de passer par l'Escaut français pour se rendre en Belgique sans être soumis aux droits du canal de Pommerœul à Antoing; la mise en adjudication du canal de Jemmapes à Alost ou au moins de Jemmapes à Ath.
« Même demande des membres du conseil communal de St-Ghilain. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants d'Evergem demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les établissements d'instruction publique à Bruxelles et dans les provinces flamandes, qu'on y soit tenu de s'en servir pour enseigner les langues allemande et anglaise, que les administrations communales et provinciales et autant que possible les tribunaux fassent exclusivement usage de cette langue; qu'il y ait une académie de Bruxelles, et que la langue flamande jouisse à l'université de Gand des mêmes prérogatives que la langue française. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Meerdonck réclament l'intervention de la chambre pour obtenir l'exécution de travaux destinés à prévenir les inondations dans plusieurs poldres de la Flandre orientale. »
- Même renvoi.
« Les conseils communaux cl plusieurs habitants d'Oteppe et de Vissoul demandent la réunion de ces communes. »
- Même renvoi.
« Le sieur Jean-Marie Plasse, agent de police à Bruxelles, né à Villefranche (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Jossart, pharmacien à Isque, demande une loi qui interdise la vente de médicaments à toute personne qui n'a point obtenu un diplôme de pharmacien, et notamment aux artistes vétérinaires et aux empiriques. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur l'exercice de la médecine vétérinaire.
« Plusieurs habitants de Gheel présentent des observations sur le projet de loi relatif au régime des aliénés, et demandent que la haute direction des aliénés soit réservée au gouvernement. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers présente des observations contre le projet de loi réduisant le drawback à l'exportation des eaux-de-vie indigènes. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Prévost prie la chambre de lui accorder une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants des cantons de Deynze et de Nevelc prient la chambre d'accorder à la commission directrice des prisons à Anvers, les sommes nécessaires à l'encouragement de la fabrication des toiles dites Russias. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant des crédits supplémentaires au département de la justice.
«Le sieur Wautier, ancien militaire, prie la chambre de lui accorder une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Un grand nombre d'habitants et de cultivateurs des poldres de Verrebroeck, Meerdonck, Vracene, Kieldrecht, Beveren et Calloo, arrondissement de Saint-Nicolas, se plaignent des inondations qui ravagent ces localités, et sollicitent l'intervention de la chambre pour que le gouvernement ordonne une inspection des lieux dans la quinzaine. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. de T’Serclaes. - Cette pétition réclame l'attention de la chambre au même degré que les malheurs dont on vous a entretenus dans la séance du 9 de ce mois : les désastres dont les pétitionnaires se plaignent se renouvellent chaque année, mais ils sont parvenus cette fois, à un point dont il est difficile de se faire une idée. Je prie la commission des pétitions de s'occuper avec sollicitude de cette grave réclamation et d'en faire l'objet d'un très prompt rapport.
On demande, en second lieu, l'intervention de la chambre pour que le gouvernement prescrive une inspection des localités inondées et que cette inspection se fasse sans aucun retard. Ce point est de la plus grande urgence. J'espère que MM. les ministres de l'intérieur et des travaux publics, avertis par le Moniteur de ce que je viens d'énoncer, n'attendront pas que votre commission ait fait son rapport pour envoyer des agents de l'administration dans les poldres de l'arrondissement de Saint-Nicolas.
Le pays est en ce moment sous les eaux, sur une étendue de près de quatre lieues, de Saint-Gilles au fort Sainte-Marie; sur 7,000 hectares à peu près que comportent les poldres, près de 4,000 sont entièrement submergés. Vous pourrez juger par là, messieurs, de la nécessité qu'il y a de prendre sans retard les mesures nécessaires.
M. Cools. - J'appuie d'autant plus la demande d'un prompt rapport, que vient de faire mon honorable collègue, que les travaux que réclament les pétitionnaires sont à peu près les seuls qu'il y ait encore à faire dans le district de Saint-Nicolas ; ce qui lui manque encore, c'est un moyen d'écoulement pour les eaux de ses poldres. Il est urgent d'y pourvoir; le rapport de la commission des pétitions ne fera que corroborer ce que je viens de dire et constater que la réclamation des pétitionnaires est digne de toute la sollicitude du gouvernement. C'est un motif pour moi d'insister sur sa prompte présentation.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Théobald-Adolphe-Stanislas de la Ferronnays Bresnel, officier de cavalerie, né à Bruxelles, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. ministre de la justice.
« Plusieurs membres du conseil communal de Grammont réclament contre la nomination d'un membre de la commission de l'hospice civil de cette ville, et prient la chambre de décider si cette nomination est valide. »
M. Dedecker. - La pétition dont vous venez d'entendre l'analyse a été adressée à la chambre par le conseil communal de la ville de Grammont. Ce conseil communal se plaint d'un déni de justice de M. le ministre de l'intérieur, et demande l'interprétation de quelques articles de la loi communale. Cette pétition a donc une véritable importance. Je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport.
Je saisis cette occasion pour appeler l'attention de la commission sur la gravité des questions qu'elle aura à examiner.
- Cette proposition est adoptée.
Par messages en date des 8 et 11 février, le sénat informe la chambre qu'il a adopté
- les projets de loi conférant la grande naturalisation au sieur J.-B. Remes, sergent au régiment des chasseurs-carabiniers, et au comte Eugène-François-Philippe-Frédéric-Charles de Hemricourt de Grunne, propriétaire, à Bruxelles;
- et le projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire au budget des dotations de l'exercice 1849. »
- Pris pour notification.
M. de Bocarmé demande un congé.
- Accordé.
M. Peers (pour une motion d’ordre). - Messieurs, il y a trois mois qu'une pétition a été adressée à la chambre par des pêcheurs de Blankenberghe.
Je demande que l'honorable membre de la commission, qui a été chargé de faire le rapport sur cette pétition, veuille bien le présenter le plus promptement possible; car les motifs qui ont donné lieu à cette pétition n'ont pas cessé; il est important que l'on connaisse l'avis de la commission.
M. Moxhon. - Rapporteur de cette pétition, j'ai été informé que la députation permanente de la Flandre occidentale avait ordonné une enquête sur l'état de la pêche de Blankenberghe. Je me suis adressé à M. le gouverneur de cette province, pour obtenir toutes les pièces concernant cette affaire. Ce haut fonctionnaire, que j'ai eu l'honneur de voir ces jours derniers à Bruxelles, a bien voulu me dire qu'il m'adresserait le rapport qui lui serait fait sur cet objet. J'attends ces renseignements pour faire à la chambre un rapport basé sur des documents officiels.
«Art. 20. Les moyens de transport pour les aliénés indigents seront organisés conformément aux instructions que le gouvernement transmettra à cet effet aux autorités locales.»
- Adopte.
«Art. 21. Tout établissement d'aliénés ou tout asile provisoire ou de passage établi en exécution des articles 20 et 21 sont sous la surveillance (page 720) du gouvernement, qui les fera visiter, tant par des fonctionnaires spécialement délégués à cet effet, que par des comités permanents d'inspection chargés de veiller à l'exécution des articles 3 et 6.
«Lesdits établissements, ainsi que les personnes qu'ils renferment, seront visités, en outre, à des jours indéterminés, une fois au moins : 1° tous les six mois par le bourgmestre de la commune; 2° tous les trois mois par le procureur du roi de l'arrondissement ; 3° tous les ans par le gouverneur de la province ou un membre de la députation permanente du conseil provincial délégué par le gouverneur.
«Les asiles provisoires et de passage seront inspectés une fois au moins par mois par le bourgmestre de la commune dans laquelle ils sont situés, et une fois au moins par trimestre par le juge de paix du canton.
«Ils pourront l'être également par les autres fonctionnaires mentionnés au présent article.»
M. Thiéfry propose au paragraphe 3 l'amendement suivant :
« Les asiles provisoires et de passage seront inspectés, une fois au moins par trimestre, par le bourgmestre de la commune dans laquelle ils sont situés et par le juge de paix du canton. »
M. Thiéfry. - Il y a, pour la surveillance des établissements des aliénés, deux écueils à éviter : la multiplicité des visites qui, de l'avis de toutes les autorités en cette matière, aggrave la maladie, et l'absence d'inspection, qui occasionne des inconvénients bien plus graves. L'expérience nous a prouvé que, si certains hospices, comme ceux qui ont le bonheur d'avoir pour médecins des Guislains et des Bouquelles, pourraient être exemptés d'un grand nombre de visites, il en est malheureusement beaucoup d'autres où les traitements sont complètement nuls, où les insensés sont dans un abandon pitoyable : le tableau que nous présente M. le ministre, dans l'exposé des motifs, en est une preuve convaincante.
La section centrale a répondu aux vœux des médecins, en supprimant pour les établissements d'aliénés les visites des juges de paix, et en diminuant celles à faire par les autres autorités. Je crois, messieurs, que, par les mêmes motifs, il faudrait rendre trimestrielles les inspections obligatoires et mensuelles des asiles provisoires par les bourgmestres. Si ces magistrats en sentent le besoin, ils les visiteront plus souvent; et il faut tenir compte des autres besognes non moins importantes des bourgmestres.
Du reste, ce ne sera pas le grand nombre des visites qui produira l'effet désirable; mais bien la manière dont chacune sera faite. En supposant que la chambre adopte l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer, le projet de loi présentera encore toutes les garanties nécessaires. Les moyens seront donnés au gouvernement pour surveiller les maisons d'aliénés et s'assurer que les malheureux qui y seront admis recevront le traitement qu'exige leur état. Aussi j'engage M. le ministre à employer toute son autorité pour que les insensés ne soient plus placés dans des locaux étroits, insalubres, où ils manquent d'air, et surtout à ne plus permettre que l'on consacre des souterrains à leur habitation, comme cela a lieu dans des localités que je crois inutile de citer.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, l'amendement proposé par l'honorable M. Thiéfry me paraît devoir être admis par la chambre; il me semble rentrer dans la pensée de la section centrale, à laquelle le gouvernement s'est rallié et qui a eu pour objet de modifier la disposition de l'article 22 du projet primitif, en diminuant le nombre des visites officielles dans les établissements d'aliénés.
Ce projet exigeait, en effet, de la part des autorités administratives et judiciaires, des visites un peu trop fréquentes. Les médecins, les hommes spéciaux qui se sont occupés du traitement des aliénés ont remarqué que ces visites trop multipliées dans les établissements, et particulièrement dans ceux habités par des femmes, occasionnaient une certaine exaltation nuisible au traitement médical de ces aliénés, il était donc convenable de diminuer le nombre des visites officielles. Sous ce rapport la section centrale a proposé une modification utile et que le gouvernement s'est empressé d'accueillir.
L'amendement proposé par l'honorable M. Thiéfry a le même objet pour les asiles provisoires et les maisons de passage qui, au lieu d'être visitées une fois par mois par le bourgmestre de la commune, ne seront inspectées qu'une fois chaque trimestre par ce fonctionnaire comme par le juge de paix du canton. Je crois que cela est tout à fait suffisant.
Je ferai d'ailleurs observer qu'il ne s'agit ici que des visites officielles et obligatoires, et que rien n'empêchera ces fonctionnaires, lorsque les circonstances l'exigeront, ou lorsqu'ils en seront requis, de faire des visites plus fréquentes, s'ils le jugent nécessaire.
Je me rallie donc à l'amendement de l'honorable M. Thiéfry.
- L'amendement de M. Thiéfry est mis aux voix et adopté.
L'article 21 est adopté avec cet amendement.
«Art. 22. Dans chaque établissement public ou particulier, il sera tenu un registre coté et paraphé à chaque feuillet par le procureur du roi de l'arrondissement.
«Le registre indiquera les noms, prénoms, l'âge, le lieu de naissance et le domicile, la profession de chaque individu placé dans l'établissement ; la date du placement, les nom, profession et demeure de la personne qui l'aura demandé, ou la mention de l'ordre en vertu duquel il aura eu lieu.
«S'il a été nommé un administrateur provisoire des biens de l'aliéné ou un tuteur à l'interdit, le registre en contiendra l'indication. Il contiendra également la transcription des certificats des médecins requis pour l'admission, la date et la cause de la sortie, et tels autres renseignements que pourra prescrire le gouvernement.
«Ce registre sera présenté, à chaque visite, aux personnes chargées de la surveillance ou de l'inspection de l'établissement, qui y apposeront leur visa et y consigneront leurs observations, s’il y a lieu.
«Tous les trois mois, un extrait de ce môme registre sera adressé à la personne ou à l'autorité qui a fait placer l'aliéné dans l'établissement.
«Le registre ne pourra être communiqué à aucune personne étrangère à l'établissement ou non préposée à sa surveillance, sans une autorisation spéciale du ministre de la justice.»
- Adopté.
«Art. 23. Chaque chef d'établissement ou chaque comité d'inspection transmettra annuellement à l'administration supérieure un état des entrées, des sorties et de la position sanitaire des aliénés, ainsi qu'un rapport sur la situation générale et les divers services de l'établissement soumis à sa direction ou à son contrôle.»
- Adopté.
«Art. 24. Le gouvernement présentera chaque année aux chambres législatives un rapport sur la situation des établissements d'aliénés du royaume.»
- Adopté.
«Art. 25. Nulle personne ne peut être séquestrée dans son domicile ou celui de ses parents ou des personnes qui en tiennent lieu, si l'état d'aliénation mentale n'est pas constaté par deux médecins désignés, l'un par la famille ou les personnes intéressées, l'autre par le juge de paix du canton, qui s'assurera par lui-même de l'état du malade et renouvellera ses visites au moins une fois par trimestre.
«Indépendamment des visites personnelles du juge de paix, ce magistrat se fera remettre trimestriellement un certificat du médecin de la famille aussi longtemps que durera la séquestration et fera d'ailleurs visiter l'aliéné par tel médecin qu'il désignera, chaque fois qu'il le jugera nécessaire.»
- Adopté.
La chambre passe à la discussion sur l'article 26, ainsi conçu :
«Art. 26. Le gouvernement fixera par un tarif :
«1° La journée d'entretien des individus placés dans les établissements d'aliénés par l'autorité publique ainsi que celle des indigents ;
«2° La journée d'entretien des aliénés passagers dans le cas de l'article 20;
«3° Les frais de transport.»
M. Le Hon. - Cet article me fournit l'occasion de soumettre à la chambre et au gouvernement des considérations que je crois de quelque importance.
Vous avez pu remarquer (et le rapport de la section centrale l'a justement observé) qu'il existe une différence essentielle entre les systèmes adoptés en Belgique et en France, quant à la charge de l'entretien des aliénés indigents.
L'article 131 de notre loi communale, n°16, met au nombre des dépenses obligatoires de la commune, les frais d'entretien et de traitement des aliénés indigents et ceux d'entretien des indigents retenus dans les dépôts de mendicité, etc., etc., etc., s'il n'est pas pourvu à ces frais par des établissements d'hospice et de bienfaisance, sans préjudice des subsides à fournir par les provinces, dans les cas déterminés par la loi.
De son côté, la loi française du 30 juin 1838 met le service des aliénés à la charge directe des départements.
Chaque département est tenu d'avoir un établissement public, spécialement destiné à recevoir et soigner les aliénés, ou de traiter avec un établissement public ou privé, pour s'y ménager un nombre de places proportionné à ses besoins.
Le principe tout différent de ces deux systèmes amène une différence essentielle dans les résultats : les communes, placées entre leur devoir de protection envers les aliénés et la préoccupation des charges locales, sont entraînées souvent à sacrifier le devoir à l'intérêt; et cependant, si, parmi les classes souffrantes, il en est une qui doit exciter la sollicitude de la loi et de l'administration à tous les degrés, c'est assurément celle des aliénés, privés tout à la fois de la conscience de leurs actes et de tout moyen d'existence.
Messieurs, on a compris, en France, qu'il fallait placer un peu plus haut que la commune l'action protectrice de l'autorité publique; qu'il fallait faire peser la charge sur une généralité de citoyens et d'intérêts plus étendue.
En effet, il y a des analogies qui doivent vous frapper comme moi. Lorsqu'un crime est commis sur un point quelconque du territoire, ce n'est pas la commune, théâtre de ce crime, qui, à ses frais, recherche le coupable, le fait arrêter, le traduit en justice, poursuit sa condamnation et pourvoit aux besoins du condamné indigent : c'est l'Etat, c'est le gouvernement qui remplit ces services et supporte ces dépenses, au nom de la société.
Si un homme, atteint de folie furieuse, porte le trouble ou l'effroi dans (page 721) une commune, parce qu'il n'a pas la conscience du mal qu'il peut faire ou qu'il a déjà fait, c'est à la commune même, c'est au budget communal que l'on impose la charge de l'entretien et du traitement de ce malheureux; l'autorité (erratum, page 732) locale, dans l'appréhension de cette dépense, n'usera de son initiative que lorsqu'elle y sera provoquée et contrainte par quelque attentat.
A ce point de vue, vous devez le reconnaître, il n'est pas plus utile qu'il n'est juste de charger la commune des frais qu'entraîne la séquestration d'un fou furieux.
La sûreté publique n'est pas aussi compromise par la libre circulation des hommes atteints de démence ou d'imbécillité inoffensives; mais là encore l'action de l'autorité communale est insuffisante à remplir seule les devoirs de la société envers cette autre classe d'aliénés indigents. Combien de fois n'a-t-on pas eu à déplorer leur abandon! Les journaux retentissent depuis quelques jours d'un crime qui a soulevé tous les cœurs honnêtes : Une pauvre idiote de 55 ans qu'on avait laissée vaguer dans une commune de la Flandre, et mendier de porte en, porte le pain, sa nourriture de chaque jour, est trouvée, le 5 février vers le soir, lâchement assassinée au bord d'un bois, après avoir été l'objet des brutalités les plus révoltantes. Eh bien, messieurs, cette femme avait la plus grande des infirmités : elle était privée de la raison : mais comme elle ne menaçait la vie ni la sécurité de personne, personne ne s'était préoccupé du soin de veiller sur elle. L'administration s'est dit, sans doute, que la liberté de l'idiote n'offrait pour les autres aucun danger ; mais les devoirs de protection du gouvernement envers les membres de la communauté de la société belge ne s'arrêtent pas aux seuls besoins de la sûreté générale; ils s'étendent à la sûreté de chacun, comme aussi à tout ce que réclament impérieusement la moralité publique et les sentiments d'humanité. Un individu qui n'a pas conscience de ses actions est exposé sans défense à toutes les violences et à toutes les vexations : de sa part, aucune plainte, aucune preuve n'est possible.
Un indigent sain d'esprit ne se laisse pas attaquer, ne se laisse pas insulter impunément ; il a, lui, recours aux tribunaux ou aux agents de la force publique. Mais un insensé, l'intérêt de sa conservation exige qu'il soit séquestré, sinon placé sous une surveillance particulière. C'est là un devoir social qui ne me semble pas avoir été compris jusqu'à présent comme il devait l'être par le législateur ; et, je n'hésite pas à le dire, à mon sens, l'article 131, § 10, de la loi communale, n'a pas déterminé et consacré d'une manière efficace et complète la part qui incombe à l'Etat dans la tutelle de la plus malheureuse des infirmités.
Je dois rendre justice, messieurs, à la section centrale; elle a touché cette question, elle a signalé la différence qui existe entre le système belge et le système français; elle a émis l'opinion qu'il y avait quelque chose à faire , tout en considérant cette réforme législative comme excédant les bornes de sa mission.
Je crois que le gouvernement doit réfléchir sérieusement aux modifications que me semble réclamer l'état de notre législation en cette matière. De hautes considérations de justice et d'humanité les sollicitent et il aura, pour s'éclairer, l'expérience des autres Etats. Je ne me dissimule pas qu'il ne faut toucher qu'avec beaucoup de réserve et beaucoup de prudence à des principes établis et à des lois organiques : mais il me paraît que, même sans altérer l'esprit et la disposition de l'article 131 de la loi communale, on peut subvenir à une partie des besoins moraux et matériels que je viens d'indiquer. Ainsi, à côté du paragraphe 10 qui pose en principe la charge communale de l'entretien des aliénés indigents, sauf les subsides de la province, je vois le paragraphe 17 qui impose également à la commune les frais d'entretien des aveugles et des sourds-muets indigents, sans préjudice des subsides à fournir par la province ou l'Etat, lorsqu'il sera reconnu que la commune n'a pas les moyens d'y pourvoir sur ses ressources ordinaires.
Eh bien, j'ai vainement cherché, je l'avoue, sous quels rapports les aliénés auraient moins de titres ou des titres différents à la sollicitude directe de l'Etat, que les aveugles et les sourds-muets indigents. Je ne vois pas de motif pour que l'Etat intervienne, par voie de subsides, en faveur des uns et s'abstienne à l'égard des autres, surtout lorsqu'aujourd'hui, grâce aux progrès de la science, on est parvenu à développer à un si haut degré les facultés intellectuelles des sourds-muets et des aveugles.
Je suis convaincu qu'il y aurait moyen d'assurer une action efficace et opportune à la protection administrative en faveur des aliénés, en modifiant un article du budget du ministère de la justice, lorsque nous aurons à nous en occuper pour l'exercice de 1851.
En effet, au chapitre IX de ce budget, intitulé : «Etablissements de bienfaisance», nous voyons figurer, article 35, n°2, un crédit ainsi conçu : « Subsides à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance et à des hospices d'aliénés. »
Je crois, messieurs, que pour entrer dans un ordre de faits plus conforme aux principes que je viens d'énoncer, il faudrait que le chapitre IX du budget de la justice consacrât, par une allocation spéciale et à titre de dépense ordinaire, le concours, la participation de l'Etat à l'entretien et au traitement des aliénés.
Du jour que le trésor public interviendra pour une part dans les dépenses de cette nature, et en laissant aux communes, conformément à l'article 151 de la loi communale, une participation déterminée, vous verrez disparaître les inconvénients graves que j'ai signalés tout à l'heure.
L'expérience atteste en effet que toutes les fois que l'Etat et la province ont offert à la commune, ensemble ou séparément, l'allégement certain de leurs subsides, celle-ci a prêté avec empressement son concours, son initiative même à l'accomplissement de mesures et d'améliorations administratives dont elle se serait abstenue, (erratum, page 732) et a largement payé, dans la mesure de ses ressources, la part de sacrifices qu'elles exigeaient. Nous en avons eu la preuve pour les chemins vicinaux de grande communication ; nous ayons vu s'exécuter des travaux d'utilité publique (erratum, page 732) par millions, grâce au stimulant de quelques cent mille francs de subsides accordés par la province et par l'Etat.
Je pense que ce qui a réussi dans l'ordre des intérêts matériels, n'obtiendrait pas moins de succès dans l'ordre des intérêts moraux, fortifiés, dans cette circonstance, par les plus impérieux devoirs d'humanité.
Je recommande donc au gouvernement les réflexions que je viens de vous soumettre à l'occasion de l'article 26. J'appuierai particulièrement, dans le prochain budget de la justice, une allocation qui aurait pour but de faire participer l'Etat aux dépenses de l'entretien et du traitement des aliénés.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, l'honorable M. Le Hon vient de présenter des considérations très remarquables sur les moyens d'améliorer le sort des aliénés. Il vous a fait observer qu'en France, l'entretien des aliénés, d'après la loi de 1838, a été mis principalement à la charge des départements, afin de généraliser davantage une charge qui pesait quelquefois d'une manière trop lourde sur quelques communes.
Je ferai remarquer à la chambre que nous n'avons pas cru devoir admettre ce système dans la loi actuelle ; le projet que nous discutons ne déroge en rien à notre législation sur les secours publics; nous conservons intactes les dispositions de l'article 131 de la loi communale et de l'article 69 de la loi provinciale. Nous avons pensé qu'il serait extrêmement dangereux de toucher au principe fondamental de ces lois, et l'honorable préopinant a reconnu lui-même qu'il serait peut-être imprudent de le faire.
Sans doute, il y a des considérations que l'on pourrait faire valoir dans l'intérêt des communes, afin de les soulager de la charge de l'entretien de leurs aliénés indigents, et même de celle de leurs indigents en général.
Mais si nous entrions dans cette voie, si nous faisions supporter cette charge soit par la province, soit par l'Etat, bientôt vous verriez doubler, tripler le nombre des indigents, et ce ne serait pas une dépense de quelques centaines de mille francs que vous auriez à couvrir, ce seraient des millions que vous devriez porter aux budgets, ou plutôt, ce serait la taxe des pauvres que vous devriez établir.
Nous avons donc maintenu, quant aux aliénés indigents, le système de notre législation. La charge de l'entretien de l'aliéné indigent doit peser sur la commune du domicile de secours; ce n'est que quand les ressources communales sont insuffisantes, que les provinces doivent leur venir en aide en vertu de l'article 69 de la loi provinciale.
Cependant, il est une partie des observations de l'honorable comte Le Hon qui pourrait, selon moi, recevoir une application pratique. L'honorable préopinant a fait remarquer que d'après l'article 131, n°17 de la loi communale, l'Etat, lorsque la commune n'a pas les moyens d'y pourvoir par ses ressources ordinaires, doit intervenir par des subsides dans la dépense d'entretien des sourds-muets, des aveugles, et il aurait pu ajouter les enfants trouvés, en vertu de la loi du 30 juillet 1834.
Je me suis quelquefois demandé aussi, messieurs, pourquoi l'Etat ne viendrait pas également par de subsides au secours des communes qui pourraient être chargées d'un trop grand nombre d'aliénés, dont la dépense d'entretien serait quelquefois pour elle une charge accablante. J'ai pensé qu'il serait peut-être juste et utile qu'une somme quelconque fût portée chaque année au budget de la justice pour être distribuée en subsides aux communes dont le nombre d'aliénés serait hors de proportion avec le chiffre de leur population, de manière que la charge de leur entretien devint pour elle trop onéreuse. Sous ce rapport le gouvernement examinera ce qu'il pourrait y avoir à faire, mais sans toucher aux principes fondamentaux de notre législation sur les secours publics, principes que nous devons maintenir et auxquels il serait très dangereux de porter atteinte.
M. Rodenbach. - Je dois appuyer les observations de l'honorable M. Le Hon. Il est à ma connaissance que, dans plusieurs communes de ma province, il y a des idiots, non des aliénés dangereux, qui parcourent la campagne; leur liberté ne compromet pas la sûreté publique, mais elle nuit à la morale; cependant on ne les incarcère pas, parce que les frais de leur incarcération seraient trop considérables pour les communes qui devraient les supporter.
Je crois que la société est intéressée à ce qu'on ne laisse pas vaguer ces insensés et qu'à ce titre le gouvernement devrait intervenir ; cela n'entraînerait pas des dépenses considérables pour l'Etat. On accorde déjà des subsides pour l'entretien des aveugles et des sourds-muets; c'est sur ma proposition qu'une disposition à cet égard a été insérée dans la loi communale; on pourrait, ce me semble, accorder également quelques subsides pour l'entretien des aliénés indigents qui aujourd'hui parcourent les villages; on pourrait d" cette manière les envoyer dans des maisons spéciales.
J'entends dire que nous sommes tous d'accord, M. le ministre de la justice a dit que, quand on discuterait son budget, il ne s'opposerait pas à ce qu'on y comprît une allocation pour les aliénés; cette allocation ne serait pas considérable, car les subsides qu'on accorderait seraient (page 722) faibles, mais ils soulageraient malgré cela nos hospices et nos communes pauvres, surtout dans les Flandres, J'appuie donc les observations de M. Le Hon.
M. Van Hoorebeke. - Messieurs, les observations de l'honorable comte Le Hon soulèvent une question assez grave.
Dans ma pensée, notre législation sur l'assistance publique doit être l'objet de réformes, d'améliorations. Mais cette question d'avenir, la section centrale n'a pas cru devoir la toucher ; elle n'a pas cru devoir préjuger la révision de la loi communale.
Cependant je ne puis m'empêcher d'appeler l'attention toute spéciale du gouvernement sur cet objet.
Un fait certain, c'est que l'assimilation des indigents aliénés aux indigents entraînerait des inconvénients, des dangers. Beaucoup de communes des Flandres sont dans l'impossibilité absolue de subvenir à l'entretien des aliénés indigents, elles les laissent vaguer, au grand détriment de la sécurité publique. J'ai fait le relevé des aliénés indigents existant à la fin de 1848 dans les hospices des diverses provinces et à la colonie de Gheel; j'en ai trouvé au-delà de deux mille.
L'entretien d'un aliéné indigent coûte, au minimum, 225 francs par an ; il y a des bureaux de bienfaisance qui n'ont pas 200 fr. de revenu.
Il y a 282 communes rurales, qui ont en recettes un million et comprennent 600,000 àmes. Et dans les revenus des bureaux de bienfaisance, 400,000 fr., dans les recettes ordinaires plus de 700,000 fr. sont le produit de cotisations personnelles, et on doit le reconnaître, dans beaucoup de communes les charges sont accablantes. Les communes ont contracté de nombreux emprunts. Il importe que la sollicitude de l'autorité centrale intervienne pour les débarrasser d'un fardeau qui dépasse leurs faibles ressources. Je pourrais, messieurs, en citer plus d'une preuve.
L'honorable comte Le Hon a rappelé la législation française. Elle consacre un système qui diffère de celui consacré par l'article 131 de la loi communale. Par l'instruction du 5 août 1839, des communes ayant moins de 5 mille francs de revenu ne doivent être tenues de concourir à la dépense que dans une proportion moindre d'un sixième et quand elles peuvent payer ce concours sans compromettre les autres services.
La commission d'enquête instituée en 1848 a eu une influence décisive sur la réforme. Voici comment elle s'exprime. (L'orateur donne lecture d'un extrait de ce rapport.)
La législation de 1834, en ce qui concerne les enfants trouvés, a adopté le concours simultané de l'Etat, de la province et de la commune; pour les aliénés indigents; on a admis aussi le concours de la province et de la commune ; l'Etat seul est resté en défaut de porter une somme.
Pour les enfants trouvés en France, où l'on a encore l'ancien système, l'État dépense chaque année 8 à 9 millions pour verser dans la société une population dangereuse, car pour les trois quarts on ne sait pas ce qu'ils deviennent, à partir de l'âge de 13 ans; on sait seulement que 13 p. c. sont condamnés à la réclusion ou aux travaux forcés.
En Angleterre, où la législation sur le régime des aliénés est conforme à la nôtre, et où les aliènes indigents sont à la charge des paroisses, les inconvénients que nous constatons ici se présentent également. C'est ainsi que, pour se débarrasser d'eux, on les place dans les work-houses. Les asiles des comtés sont encombrés d'aliénés incurables. C'est ce que l'enquête faite en Angleterre a constaté. Je pense donc que, dans cet état de choses, le gouvernement ferait une chose sage, surtout au point de vue de la réforme, en portant au budget une somme pour l'entretien des aliénés indigents, comme il le fait pour l'entretien des enfants trouvés.
- L'article 26 est adopté.
«Art. 27. Les dépenses énoncées eu l'article précédent seront, en ce qui concerne les aliénés non indigents, à la charge des personnes placées; à défaut par elles de pouvoir les supporter, elles seront à la charge de ceux auxquels il peut être demande des aliments, aux termes des articles 205 et suivants du Code civil.
«Toutefois, en ce qui concerne les aliénés prévenus, accusés ou condamnés, lesdites dépenses seront supportées par l'Etat et celles des détenus pour dettes par leurs créancier.
«Si la somme consignée mensuellement par ceux-ci pour aliments ne suffit pas pour couvrir le montant desdites dépenses, l'avance du surplus sera faite par l'administration de l'enregistrement, et recouvrée à charge des créanciers, sur un état qui sera rendu exécutoire par le président du tribunal du lieu de rétablissement. En cas de contestation, il sera procédé devant le même tribunal, conformément à la loi du 22 frimaire an VII.»
- Adopté.
«Art. 28. A défaut ou en cas d'insuffisance des ressources énoncées en l'article précédent, il y sera pourvu soit sur le revenu de fondations spéciales, s'il en existe, soit sur les hospices civils, et, au besoin, par les communes du domicile de secours des aliènes.
M. le président. - M. Thiéfry présente un amendement tendant à ajouter à cet article, après les mots «s'il en existe», les mots suivants : « Soit sur celui des établissements des hospices ou de bienfaisance, et au besoin par les communes du domicile de secours des aliénés, conformément à l'article 131 de la loi communale. »
Il a la parole pour développer cet amendement.
M. Thiéfry. - L'intention du gouvernement n'est pas de déroger à la loi communale : cependant, comme l'article 28 est rédigé, toutes les dépenses pour les aliènes indigents seront payées par les hospices ou les communes, tandis que par le paragraphe 10 de l'article 131 de la loi communale, les administrations de bienfaisance et les provinces, dans certaines circonstances, doivent en supporter une partie. L'article 69 de la loi provinciale stipule le cas où la province doit intervenir : c'est quand les communes n'ont pas de ressources suffisantes pour faire face à leurs dépenses. Le but de mon amendement est le maintien de ces dispositions.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'amendement proposé par l'honorable M. Thiéfry n'a d'autre objet que de rapprocher les termes de l'article en discussion de ceux de l'article 131 de la loi communale. Et comme le gouvernement n'a nullement entendu déroger à ce dernier article, je déclare adhérer à l'amendement.
M. Thiéfry. - La loi communale assimile, sous le rapport de la dépense, les aliénés indigents aux indigents ordinaires. Si le bourgmestre d'une commune fait séquestrer un furieux d'une commune étrangère, les hospices de la première devront en payer les frais, sauf à se faire rembourser par la commune où l'insensé a son domicile de secours; mais si celle-ci ne veut pas payer, les hospices devront-ils conserver l'aliéné et se ruiner au profit d'une commune étrangère, ou seront-ils réduits à remettre en liberté un homme qui compromettrait peut-être le repos public?
Ne croyez pas que je raisonne ici sur une hypothèse; non, messieurs, ce sont des faits que j'invoque; 81 communes sont redevables aux hospices de Bruxelles d'arriérés importants pour les aliénés; il en est une entre autres qui redoit 9,000 francs pour la dépense de deux pourvus, dont l'un est furieux: pourrait-on mettre celui-ci en liberté, sans assumer la responsabilité d'événements qui en résulteraient?
Je ne saurais trop appeler l'attention du gouvernement sur cet objet. Pour faire voir combien cela est urgent, je dirai encore à M. le ministre que cette même administration de Bruxelles s'est vue dans la malheureuse nécessité de fermer ses hôpitaux à tous les indigents d'une commune voisine, afin de ne pas grossir davantage une dette qui s'élève déjà à plus de 28,000 francs. Et les hospices de Bruxelles ne sont pas les seuls où on en a agi ainsi, je pourrais encore en citer d'autres.
La loi met en première ligne l'obligation de secourir le pauvre, l'humanité le veut ainsi, c'est une mesure sage. Il est vraiment regrettable que des administrations d'hospices aient été dans la nécessité de recourir à des moyens aussi violents pour forcer des communes à se libérer. Il faut empêcher le renouvellement de ces écarts, et il n'y a qu'un seul remède, c'est de faire rembourser aux hospices les avances qu'ils font, sinon l'on jettera la perturbation dans les administrations de bienfaisance, qui finiront par se trouver dans l'impossibilité de satisfaire aux besoins les plus urgents.
Les communes ne sont pas les seules qui ne veuillent pas acquitter les charges dues aux hospices : le gouvernement lui-même use de moyens que je ne saurais trop blâmer. Il invoque la prescription pour ne pas rembourser des dépenses faites pour les aliénés étrangers au royaume, et cela parce que des réclamations n'ont pas été adressées en temps utile : mais l'article 2252 du Code civil permet-il à un tuteur d'invoquer la prescription contre son pupille? Et quand même cela serait, le gouvernement devrait-il le faire contre une administration de bienfaisance... contre les pauvres? Comme si équitablement on pouvait jamais prescrire une dette que l'on doit à l'indigence! Aussi, M. le ministre, j'espère que, mieux éclairé, vous rembourserez aux hospices de Bruxelles les dépenses qu'ils ont faites de ce chef.
Je reviens aux communes : plusieurs fois j'ai eu l'honneur d'entretenir M. le gouverneur du Brabant de cet objet. Ce haut fonctionnaire m'a dit qu'il rencontrait des conseils communaux qui se refusaient à la création de ressources pour payer leurs dépenses obligatoires, et que la caisse était toujours vide quand il s'agissait d'acquitter une dette contracte envers une autre commune. Il a ajouté qu'il pensait pouvoir surmonter ce mauvais vouloir, avec une addition au premier paragraphe de l'article 133 de la loi communale; ce premier paragraphe est ainsi conçu :
« Dans tous les cas où les conseils communaux chercheraient à éluder le payement des dépenses obligatoires que la loi met à leur charge.cn refusant leur allocation en tout ou en partie, la députation permanente du conseil provincial, après avoir entendu le conseil communal, portera d'office la dépense au budget dans la proportion en besoin. »
Il s'agirait d'insérer dans la loi : «elle aura en outre la faculté de régler l'ordre du payement des dépenses obligatoires.»
Les députations permanentes auraient alors le droit de ne faire payer les traitements des bourgmestres, des échevins et autres dépenses, qu’après l'acquittement des dettes plus essentielles.
Je sais bien que cette mesure ne procurerait pas des ressources nouvelles aux communes; elle satisferait cependant à bien des situations. D'ailleurs, M. le ministre pourrait combler cette lacune, eu présentant d'autres modifications. Cela devient urgent pour mettre fin à des conflits de tous les jours.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. Thiéfry vient de vous parler de la situation fâcheuse de l'administration des hospices de Bruxelles, qui se trouve créancière de sommes considérables envers certaines communes, qui se refusent à créer des ressources pour pourvoir à l'entretien de leurs indigents, ou de leurs aliénés indigents. Je sais, messieurs, que cet inconvénient existe. Mais dans l'état actuel de (page 723) notre législation, en présence de la lacune qui existe dans la loi communale, le gouvernement est complètement désarmé et impuissant pour vaincre la résistance de ces communes.
A la vérité, la loi communale a déclaré obligatoire la dépense de l'entretien des indigents admis dans les hôpitaux; et l'article 133 autorise la députation permanente à porter d'office au budget des communes dans la proportion du besoin, toutes les dépenses obligatoires, lorsque celles-ci cherchent à en éluder le payement.
Mais il n'autorise ni la députation, ni le gouvernement à contraindre les communes à créer des ressources, alors que ces ressources leur font défaut.
Et il est un certain nombre de communes qui, pour se soustraire à ces dépenses, présentent, chaque année, des budgets en déficit, et n'y portent que des dépenses obligatoires, moins celles relatives à l'entretien des indigents. Or, il n'y a, messieurs, d'autre moyen de remédier à ce grave inconvénient que de modifier la loi communale.
Il existe une disposition analogue dans la loi provinciale. L'article 87 dit que, lorsque le conseil provincial ne porte pas au budget les allocations nécessaires pour le payement des dépenses obligatoires aux termes de la loi, le gouvernement y portera ces allocations et que, si les fonds provinciaux sont insuffisants, il y sera pourvu par une loi.
Relativement aux communes, il serait impossible sans doute de présenter des projets de loi spéciaux chaque fois qu'il y a lieu de pourvoir au payement de dépenses obligatoires ; mais on pourrait autoriser les députations à créer des ressources, sauf le recours au Roi, ou bien autoriser le gouvernement à prendre les mesures nécessaire cet effet, après avoir pris l'avis des députations. Un projet de loi dans ce sens avait été présenté, en 1842 je crois même que le rapport en avait été déposé. Mais ce projet de loi n'a pas été mis en discussion, et la chambre en a été dessaisie par suite de la dissolution, en 1848.
J'ai déjà entretenu de cet objet mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur, et il a reconnu avec moi la nécessité de combler cette lacune de la loi communale; j'espère que, dans cette session même, un projet de loi spécial pourra être présenté à cet effet.
Entre-temps, je le répète, le gouvernement est complètement désarmé devant l'opiniâtreté de certaines communes qui se refusent à créer des ressources pour subvenir en tout ou en partie à leurs dépenses obligatoires.
L'honorable M. Thiéfry a parlé d'un fait, sur lequel il me serait impossible de lui donner des explications positives en ce moment. Il paraît qu'une réclamation de l'administration des hospices de Bruxelles au sujet de frais d'entretien d'indigents étrangers aurait été écartée par la prescription.
Je ne refuse pas d'examiner de nouveau cette question, et de vérifier si, dans la circonstance dont a parlé l'honorable M. Thiéfry, il a été fait une juste application de la loi sur la prescription. Mais le gouvernement ne fait que se conformer aux lois, et lorsqu'un délai fatal a été fixé pour la remise des réclamations, si elles sont adressées après ce délai, force est au gouvernement d'exécuter la loi et d'opposer la prescription. Je ne vois pas même que la disposition de l'article 2252 du Code civil, invoqué par l'honorable M. Thiéfry, puisse suffire pour que le gouvernement soit dispensé d'exécuter la loi dans ces circonstances.
Les lois de prescription en général sont dures ; elles sont sévères pour ceux qui doivent les subir, mais elles sont nécessaires, et, dans tous les cas, tant qu'elles existent, je ne crois pas que le gouvernement puisse se soustraire à leur exécution plutôt qu'à celle de toute autre loi.
- L'amendement de M. Thiéfry est mis aux voix et adopté.
L'article, ainsi modifié, est adopté.
«Art. 29. Les personnes qui se trouveront placées dans des établissements d'aliénés et qui ne seraient ni interdites, ni placées sous tutelle, pourront être pourvues d'un administrateur provisoire par le tribunal de première instance du lieu de leur domicile, sur la demande des parents, de l'époux ou de l'épouse, sur celle de la commission administrative ou sur la provocation d'office du procureur du roi.
«Cette nomination n'aura lieu qu'après délibération du conseil de famille et sur les conclusions du procureur du roi. Elle ne sera pas sujette à l'appel.
«Les dispositions du Code civil sur les causes qui dispensent de la tutelle, sur les incapacités, les exclusions ou les destitutions des tuteurs, sont applicables à l'administrateur provisoire nommé par le tribunal. Sur la demande des parties intéressées, ou sur celle du procureur du roi, le jugement qui nommera l'administrateur provisoire pourra en même temps constituer sur ses biens une hypothèque jusqu'à concurrence d'une somme déterminée par ledit jugement. Le procureur du roi devra, dans le délai de quinzaine, faire inscrire cette hypothèque au bureau de la conservation : elle ne datera que du jour de l'inscription.»
M. Lelièvre propose de remplacer les art. 29, 30, 31, 32 et 33 par la disposition suivante :
« Art. 29. Si les personnes qui se trouvent placées dans des établissements d'aliénés ne sont ni interdites, ni pourvues d'un administrateur provisoire, il leur est nommé par le tribunal de première instance, sur la requête de la partie la plus diligente, ou même sur le réquisitoire du ministère public, un curateur qui les représente dans tous les actes judiciaires et extrajudiciaires.
« Les actes excédant les bornes de simple administration ne pourront être faits que pour les causes et avec les formes établies par la loi pour les mineurs et interdits.
« Le pouvoir du curateur cesse de plein droit dès que la personne placée dans un établissement d'aliénés n'y sera plus retenue.
« La prescription ne court pas contre elle pendant tout le temps qu'elle est retenue dans cet établissement. »
M. Lelièvre. - L'amendement que j'ai soumis a d'abord pour résultat de simplifier les mesures à prendre concernant les individus placés dans un établissement d'aliénés. Il s'agit purement et simplement de faire nommer par le tribunal un curateur qui les représente dans tous les actes judiciaires et extrajudiciaires.
S'il s'agit d'actes excédant les bornes de simple administration, les formes prescrites pour les interdits seront observées.
Peut-on hésiter à préférer cette procédure si simple et si sommaire au régime proposé par le projet? Dans le système de celui-ci, on sera presque toujours forcé de poursuivre l'interdiction ; or, c'est précisément ce qui doit être évité à tout prix, cette mesure devant entraîner des frais, et souvent des conséquences auxquelles les familles ne se résignent qu'avec une légitime répugnance. D'un autre côté, le régime du projet, incomplet sous le rapport d'actes importants, est cependant destiné à exister pendant plusieurs années, puisque l'article 33 prescrit le renouvellement des pouvoirs de l'agent tous les trois ans. Il est donc essentiel d'introduire des dispositions décrétant un système complet, et l'on ne peut se borner à des prescriptions qui sont insuffisantes pour pourvoir aux intérêts de l'aliéné.
Mais voyez les défectuosités du projet! Aux termes de l’article 31, l'administrateur provisoire, dont la nomination exige de nombreuses formalités, pourra représenter l'aliéné en justice, soit en demandant, soit en défendant. Mais cet administrateur ne pourra transiger; de sorte que s'il s'agit d'une transaction réclamée par les intérêts de l'aliéné, il faudra recourir à la procédure longue, dispendieuse et rigoureuse de l'interdiction. Que sert-il donc d'autoriser l'administrateur à soutenir un procès qu'il ne pourra terminer par voie de transaction? Ce même administrateur ne pourra même déférer en justice le serment décisoire, délation qui a la nature d'une transaction.
Ce n'est pas tout; l'administrateur provisoire, tel que le crée le projet, n'est pas même autorisé à recevoir le remboursement des rentes perpétuelles, de sorte que si un débiteur de semblable prestation veut en opérer le rachat, ce sera encore l'interdiction qui sera la seule ressource, et, comme l'on sait, les parents seuls ont le droit de poursuivre l'interdiction pour cause de démence; par conséquent, il arrivera souvent que les tiers ne pourront exercer leurs droits vis-à-vis de l'aliéné, dont les intérêts seront également compromis, dans nombre de circonstances, le projet n'y pourvoyant que très-imparfaitement.
Mais il existe encore une plus grande anomalie. Ainsi. l'article 32 ne permet la nomination d'un notaire pour représenter l'aliéné dans les inventaires, comptes, partages et liquidations, qu'à défaut d'administrateur provisoire.
Eh bien, l'article 31, qui détermine les attributions de cet administrateur, ne lui confère même pas les pouvoirs attribués au notaire par l'article 32.
Il est donc évident que l'article 31 est entièrement imparfait.
Enfin le droit de consentir des baux pour un terme de trois ans seulement, attribué à l'administrateur, est contraire aux prescriptions nécessaires pour assurer la bonne culture des propriétés rurales.
La dernière partie de mon amendement a pour objet de suspendre le cours de la prescription ordonnée vis-à-vis de l'individu retenu dans l'un des établissements en question. Eh bien ce principe est de toute justice. S'il est admis par le Code civil, à l'égard des interdits, comment ne s'appliquerait-il pas aux individus placés dans la même position et se trouvant dans l'impossibilité physique de veiller à leurs intérêts ? Mais qu'on veuille me dire par quel motif plausible un aliéné placé dans un établissement du genre de ceux dont il s'agit serait traité moins favorablement que l'interdit! La même raison ne milite-t-elle pas pour suspendre à son égard la prescription ?
L'article 34 suppose même le principe que je défends, puisqu'il ne fait courir la prescription décennale (erratum, page 732) contre la personne retenue qu'à partir de l'époque à laquelle elle a eu connaissance de l'acte après sa sortie de la maison d'aliénés. Rejeter ma proposition, c'est donc se montrer inconséquent avec le principe écrit dans l'article 34.
Serait-il juste, messieurs, qu'un possesseur avec libre et bonne foi d'un immeuble appartenant à un aliéné placé dans l'établissement dont s'agit, pût acquérir par la prescription décennale un bien que son propriétaire ne peut revendiquer parce que sa situation mentale le met hors d'état de faire valoir ses droits ?
Voilà cependant ce qui résultera du système que je combats. Je vois le fond des choses, et je maintiens que la doctrine qui m'est opposée blesse toutes notions de justice et porte atteinte aux principes de toutes les législations tant anciennes que modernes. Je persiste en conséquence dans mon amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de présenter à la chambre le projet de loi organique de l'instruction moyenne.
(page 724) - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. La chambre en ordonne l'impression, la distribution et le renvoi à l'examen des sections.
M. le président. - La discussion est reprise sur l'article 29.
M. Van Hoorebeke, rapporteur. - Messieurs, la section centrale ne peut pas se rallier à l'amendement proposé par l'honorable M. Lelièvre.
Pour bien comprendre la portée de cet amendement, il ne faut pas perdre de vue la pensée qui a dicté les dispositions des articles 29 et suivants.
En dehors des règles tracées par le Code civil pour l'interdiction, notre législation ne renfermait aucune disposition au sujet de la gestion des biens d'un incapable frappé d'aliénation mentale. La loi civile n'autorise l'interdiction que lorsque l'imbécillité, la démence constitue l'état habituel, et l'article 497 du Code civil n'autorise de mesures provisoires que pour autant qu'il y a demande d'interdiction et après qu'il y a eu interrogatoire en chambre du conseil.
Or, ces formes sont dispendieuses; elles peuvent, dans certains cas, nuire à la situation du malade et compromettre jusqu'à un certain point le secret des familles, surtout lorsque l'aliénation mentale n'a pas le caractère d'une véritable maladie, lorsqu'elle se borne à des accès de délire, ou à un trouble passager dans l'exercice des facultés intellectuelles. Il fallait donc créer un état transitoire qui rendît légaux les actes intermédiaires entre l'invasion de la maladie et l'interdiction.
Il fallait que l'intervention des administrateurs provisoires se bornât à des opérations qui ont uniquement pour objet de préciser les droits des aliénés et non de les aliéner ou de les compromettre; c'est-à-dire, par exemple, que si une succession s'était ouverte depuis l'aliénation, ou si elle n'avait pas été acceptée avant l'aliénation par l'aliéné, il est évident que l'administrateur provisoire, dans le système de la section centrale comme dans celui du gouvernement, ne serait pas admis à poser des actes qui impliquassent la disposition des droits de l'aliéné. Il ne serait pas habile à transiger, il pose seulement des actes d'administration.
Eh bien, l'amendement de l'honorable M. Lelièvre aurait précisément pour résultat de détruire cette situation transitoire. Il laisse subsister en principe et en théorie toutes les formalités sur l'interdiction telles qu'elles sont déterminées par la loi civile. Mais en fait, cet amendement rendrait les demandes en interdiction parfaitement inutiles. Il est évident que si l'amendement de l'honorable M. Lelièvre était adopté, on n'aurait plus recours à ces formes lentes, solennelles, qui précèdent la nomination des tuteurs. Avant que le tuteur n'ait été nommé par le tribunal, vous savez toutes les formalités qui sont exigées. On doit déposer des pièces ; on doit entendre des témoins; on nomme des juges commissaires; le procureur du roi est entendu dans ses conclusions; on interroge le présumé incapable. C'est alors qu'a lieu la nomination du tuteur qui aura la libre disposition des biens de l'aliéné, et ses propres biens sont frappés d'une hypothèque légale.
Toutes ces garanties viendraient à disparaître avec l'amendement de l'honorable M. Lelièvre.
Je pense donc que, dans cet état de choses, il faudra nécessairement maintenir le caractère de l'administrateur provisoire tel qu'il est déterminé par les articles du projet.
Du reste, les inconvénients signalés par l'honorable M. Lelièvre ne sont pas sérieux. Si l'aliéné se trouve colloqué dans un établissement qui ressortit aux commissions administratives des hospices, il aura pour administrateur provisoire de plein droit un des membres de la commission administrative délégué par elle-même. Si l'aliéné se trouve dans un établissement qui ne ressortit pas aux commissions administratives des hospices, il aura pour tuteur naturel le procureur du roi, le juge de paix, l'autorité publique du lieu.
L'amendement de notre honorable collègue détruirait l'économie de notre législation civile qui n'a pas voulu que, sans des motifs graves en l'absence d'une information préalable, on pût bouleverser les fortunes et nuire à leurs intérêts les plus respectables.
S'il n'a pas de parents connus, on pourra encore recourir aux dispositions du Code civil, qui autorisent le juge de paix à recevoir des étrangers dans une commune, à constituer un conseil de famille et à nommer un administrateur provisoire. Mais il est évident qu'il y aurait de grands dangers à investir cet administrateur provisoire de la libre disposition des droits de l'aliéné. Il pourrait en résulter que si, au bout de quelque temps, le traitement administré à l'aliéné lui rendait la raison, il pourrait trouver toute sa fortune compromise par les actes de cet administrateur provisoire auquel on aurait donné tous les droits d'un véritable tuteur.
M. Lelièvre. - Il m'est impossible de me rallier aux observations que vient de présenter l'honorable M. Van Hoorebeke. Je dirai même à la chambre que, si je devais opter entre l'article 30 du projet primitif et les changements introduits par la section centrale, mon choix ne serait pas douteux ; je préférerais à tous égards le régime proposé par le gouvernement parce qu'il simplifie la marche à suivre et ne contient pas les anomalies que présente le système qu'on y a substitué.
Le ministère proposait de se référer aux articles 112, 113 et 114 du Code civil. En ce cas, au moins, la nomination n'était pas compliquée, elle émanait du tribunal de l'arrondissement. La procédure était peu dispendieuse et n'entraînait aucun retard.
Dans le nouveau projet, on nomme avec des formalités nombreuses un administrateur provisoire qui ne peut poser que les actes peu importants énoncés en l'articles 31. Ainsi pour tous les autres, il sera nécessaire de recourir à l'interdiction, mesure extrême qui est si fâcheuse pour les familles, auxquelles souvent elle imprime certaine infamie de fait, devant laquelle on recule toujours et qui laisse des traces indélébiles.
Cet administrateur provisoire pourra représenter l'aliéné en justice et il ne pourra transiger; de sorte que, pour la plus chétive contestation, il faudra nécessairement la conduire à fin et la faire terminer par jugement. Pour transiger, on serait forcé de recourir à l'interdiction ! Cet administrateur ne pourra déférer un serment décisoire!
Et puis, messieurs, l'article 32 n'autorise la nomination d'un notaire pour représenter l'aliéné dans les inventaires, comptes, partages et liquidations qu'à défaut d'administrateur provisoire. Vous pensez sans doute , que cet administrateur, s'il a été nommé, a le droit de représenter l'aliéné dans les inventaires, comptes, partages, etc. Eh bien, il n'en est point ainsi. L'administrateur n'a pas le pouvoir de poser ces actes, aux termes de l'article 31. L'administrateur n'est nullement investi des attributions déférées au notaire par l'article 32, ce qui établit entre ces dispositions un défaut de concordance qui doit nécessairement les faire rejeter.
Il est évident que les pouvoirs conférés à l'administrateur provisoire ne sont pas assez étendus et que cet ordre de choses donnera lieu à des inconvénients sérieux. Il nécessitera l'emploi de mesures coûteuses, que mon amendement a pour but de prévenir, et sous ce rapport, je crois devoir maintenir ma proposition.
Du reste, il est injuste de laisser un cours libre à toute prescription quelconque contre l'aliéné. Jamais et sous aucune législation, une disposition aussi rigoureuse n'a été établie à l'égard des individus qui ne peuvent pourvoir à leurs intérêts; je considère comme dangereuse l'innovation qu'on veut introduire à cet égard.
La loi, qui est tenue de prendre des dispositions protectrices, des droits privés, doit employer les moyens nécessaires pour que la triste position des individus en démence ne devienne pas pour eux une occasion de perdre une propriété légitime; et certes, les laisser en butte au cours de la prescription, c'est manquer à la protection qui leur est due, c'est faillir aux devoirs dont un législateur prudent ne peut s'écarter en cette matière.
Du reste, messieurs, mes observations premières sont restées sans réfutation, elles restent debout et j'y persiste.
M. Osy (pour une motion d’ordre). - M. le président, demain à l'ouverture de la séance, j'aurai une interpellation à faire à M. le ministre de l'intérieur ou à M. le ministre des finances, au sujet de la loi sur les denrées alimentaires, qui expire demain soir. Il est indispensable que le public sache à quoi s'en tenir.
- La séance est levée à 4 heures 1/2.