Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 5 février 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 661) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le comte Emmanuel-Léopold de Beauffort, propriétaire à Bruxelles, né à Metz (France), demande la grande naturalisation.»

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Quelques négociants en bois de construction, à Gand, demandent une loi qui prohibe les ventes en détail, soit à cri public, soit aux enchères, soit au rabais, soit à prix proclamé, avec ou sans l'assistance des officiers ministériels, des bois en grume et sciés, quand ces ventes ont lieu au profit de personnes non domiciliées dans la localité où se fait la vente et qu'elles n'y payent pas patente. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Daelgrimby demandent que ce hameau, dépendant de la commune de Mechelen, soit réuni à celle d'Opgrimby. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Jemmapes demandent une réduction de droit sur le canal de Mons à Condé et sur celui de Pommerœul à Antoing, la liberté de passer par l'Escaut français pour se rendre en Belgique sans acquitter les droits du canal de Pommerœul à Antoing et la mise en adjudication du canal de Jemmapes à Ath. »

- Même renvoi.


« Plusieurs négociants armateurs et industriels d'Ostende demandent une protection plus efficace en faveur des importations et des exportations par navire belge, le rétablissement des lois sur la nationalisation des navires qui étaient en vigueur avant 1845, une augmentation de primes pour le doublage en cuivre, et prient la chambre de généraliser la doctrine du libre-échange, si le travail national doit être réservé aux étrangers. »

M. Rodenbach. - Cette pétition d'Ostende me paraît assez importante; je demande le renvoi à la commission permanente d'industrie; car il y est question de commerce et de libre-échange.

M. Van Iseghem. - Je demande, au lieu du renvoi à la commission de l'industrie, le renvoi à la commission des pétitions, comme la chambre l'a ordonné, il y a quelques jours, pour une pétition de la même nature qui nous a été envoyée par des industriels et commerçants de Bruges.

M. Rodenbach. - Puisque l'honorable député d'Ostende demande le renvoi à la commission des pétitions, comme on l'a fait pour la pétition de Bruges, je me rallie à sa proposition. Mais je demande un prompt rapport, dans lequel on pourra réunir ces deux pétitions.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion des articles et des amendements

M. le président. - L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires. La section centrale a terminé le travail dont la chambre l'a chargée. Dans quelques minutes, M. le rapporteur vous donnera lecture du rapport.

La chambre veut-elle attendre ce rapport ou passer au second objet à l'ordre du jour?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On ne pourra pas discuter aujourd'hui s'il y a désaccord. Quand on aura entendu le rapport, on décidera.

M. le président. - Alors nous passerons au second objet à l'ordre du jour.

Projet de loi relatif au régime des aliénés

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le nouveau texte du projet a été arrêté de commun accord entre la section centrale et le gouvernement.

M. Lelièvre. - Messieurs, le projet actuellement en discussion soulève plusieurs questions qui méritent de fixer l'attention de la législature. S'occupant de l’organisation intérieure d'établissements privés, il a éveillé dans quelques esprits un scrupule constitutionnel, et l'on s'est demandé si le gouvernement avait bien le droit de régler un semblable ordre de choses et d'étendre son action à ce qui paraît, au premier coup d'œil, une œuvre d'industrie toute privée. Cette difficulté ne vous arrêtera pas un instant, lorsque vous aurez remarqué qu'il est question d'établissements qui, à raison de leur objet et de leur destination, doivent nécessairement être soumis au contrôle de l'autorité publique. Il s'agit du sort d'individus incapables de se gouverner ; la société leur (page 662) doit une protection spéciale, elle a donc le droit et même le devoir de veiller à ce que les établissements érigés pour le traitement de ces infortunés soient dirigés de manière à atteindre le but proposé et à ne pas faire dégénérer en spéculation purement mercantile l'érection de ces institutions importantes qui touchent à de graves intérêts sociaux.

D'un autre côté, la liberté individuelle est aussi en jeu en semblable matière. Les individus qui sont placés dans des établissements de ce genre sont séquestrés et enlevés à la société. Peut-on dénier à la loi le droit de prescrire les mesures propres à prévenir les abus et la violation de la première de nos libertés?

Le droit de la puissance publique de réglementer les établissements en question étant reconnu, nous pensons que le projet comble la lacune que présentait la législation actuelle. Il nous paraît, dans presque toutes ses parties, mériter votre approbation. Ses dispositions tendent à assurer la bonne organisation des établissements sous le rapport hygiénique et sous celui du traitement. Elles garantissent la liberté individuelle avec une sollicitude toute spéciale ; elles décrètent les prescriptions essentielles pour sauvegarder les intérêts d'ordre public agités en cette matière.

Toutefois, à mon avis, le projet laisse quelque chose à désirer sur un point important. Il ne détermine pas suffisamment l'état des personnes qui seront placées dans les établissements dont il s'agit ; il est muet sur leur position légale, sur les règles relatives à l'aliénation de leurs biens, au mode de les grever d'hypothèque, enfin à la prescription dont on ne décrète pas la suspension.

L'article 30 du projet primitif rendait applicables aux individus dont nous nous occupons les dispositions concernant les présumes absents et écrites dans les articles 112, 113 et 114 du code civil.

Il y a, à mon avis, erreur complète dans cette assimilation. Les individus, qui par leur état mental se trouvent dans l'impossibilité d'administrer leurs biens, ne peuvent être mis sur la même ligne que les présumés absents qui ont pu prendre les mesures nécessaires pour l'administration de leur fortune.

Contre les individus de cette dernière catégorie, la prescription peut légalement courir, tandis qu'il serait injuste de ne pas en suspendre le cours vis-à-vis des personnes qui se trouvent dans une situation semblable à celle des interdits.

D'un autre côté, les articles 112, 113 et 114 du Code civil n'établissent pas une règle uniforme relativement aux présumés absents. Dans certains cas, ils sont représentés par un notaire. En d'autres occasions, c'est un administrateur qui stipule pour eux. Ce régime ne saurait être appliqué aux aliénés qui à chaque instant ont besoin d'avoir un représentant légal à qui les tiers puissent notifier tous exploits et qui en tout temps soit considéré comme gérant les intérêts de celui qui se trouve placé dans l'un des établissements dont il s'agit. Vous comprendrez facilement la nécessité de cette mesure.

Celui qui fait notifier un exploit quelconque à un présumé absent, dans le but, par exemple, d'interrompre une prescription, fait cette notification à l'absent de la manière légale, dans la forme prescrite pour les individus dont le domicile est inconnu; mais celui qui voudrait interrompre la prescription contre un aliéné non pourvu de tuteur, ou lui signifier un exploit quelconque pour éviter une forclusion, serait tenu, avant tout, de lui faire nommer un administrateur ad hoc.

Pareil mode de procéder engendre des retards qui souvent peuvent avoir des conséquences fâcheuses. Pour moi, messieurs, je pense que lorsqu'un individu qui se trouve placé dans un établissement d'aliénés n'est ni interdit ni pourvu d'un administrateur provisoire, il doit lui être nommé, sur la requête de tout intéressé ou même du ministère public, un curateur qui le représente dans tous les actes judiciaires et extrajudiciaires.

Cet individu doit être assimilé à l'interdit pour la personne et ses biens; en conséquence l'aliénation de ses meubles et immeubles, le mode de les hypothéquer et les conditions de la prescription sont soumis aux mêmes règles et aux mêmes principes ; le ministère public doit être entendu dans toutes les affaires qui le concernent.

Du reste, les pouvoirs du curateur doivent venir à cesser du moment que les personnes placées dans l'établissement dont il s'agit n'y sont plus retenues.

Telles sont les modifications que doit, à mon avis, subir l'article 30 du projet.

C'est assez dire que je ne saurais me rallier aux modifications proposées par la section centrale. Elles laissent subsister tous les inconvénients que j'ai signalés.

D'abord, je suppose qu'il n'ait pas été nommé un administrateur provisoire, que fera le tiers qui voudra interrompre une prescription, notifier un acte de surenchère, etc.? Il ne pourra, certes, signifier un exploit à un individu notoirement en état de démence et reconnu comme tel dans des actes de l'autorité publique.

D'un autre côté, d'après le projet, quoique partie intéressée, ce tiers n'a pas même le droit de provoquer la nomination de l'administrateur provisoire, l'article 29 ne le conférant qu'aux parents de l'aliéné, à l'époux ou à l'épouse, à la commission administrative ou au procureur du roi.

D'ailleurs, le dernier article en exigeant dans tous les cas, l'intervention du conseil de famille, introduit une procédure qui donnera lieu à des lenteurs de nature à compromettre une poursuite qui devrait être exercée dans des délais brefs et péremptoires.

Mais ce qu'il y a de plus grave, c'est que, dans le cas où un (page 662) administrateur provisoire n'a pas été désigné, l'article 32 ne permet la nomination d'un notaire que relativement à certains actes seulement; de sorte que, pour tous autres, l'aliéné reste entièrement sans protection et sans représentant légal.

Enfin on ne statue rien relativement à l'aliénation des immeubles, au mode d'après lequel ils peuvent être hypothéqués, on ne règle pas les formalités qui devront être remplies en pareille occurrence.

Je suppose que l'aliénation des biens des individus en question soit nécessaire pour payer des dettes, arrêter une expropriation forcée, quelle marche devra-t-on suivre, alors que d'après le projet les pouvoirs de l'administrateur provisoire sont restreints à des actes de pure administration ? Quelles formes suivra-t-on pour terminer par transaction un procès où figurerait l'aliéné ?

D'un autre côté, la prescription courra-t-elle contre lui, nonobstant sa rétention dans l'établissement?

Il existe sur ces points une lacune à combler.

Je dois aussi appeler l'attention de la chambre sur la rédaction de l'article 34 qui admet l'action en nullité contre les actes faits par les individus qui sont placés dans l'un des établissements dont il s'agit, conformément à l'article 504 du Code civil. Cette énonciation n'est pas exacte, car ce dernier article n'est relatif qu'à l'action en nullité exercée après la mort d'un individu, tandis que le paragraphe premier de l'article 34 suppose aussi le cas où l'aliéné peut lui demander la nullité des actes. Et puis, l'article 504, qui limite à certains cas l'action en nullité, ne peut être invoqué dans la disposition de l'article 34 qui a pour objet d'accorder, d'une manière absolue, pareil recours aux héritiers de l'aliéné qui a fait un contrat pendant qu'il était retenu dans l'établissement.

Les actes posés par des individus placés dans pareille maison sont nuls de droit. Il y a même raison que pour l'interdit. Il y a présomption juris et de jure que ces individus sont en état de démence.

Il faut donc évidemment se référer à l'article 502 du Code civil décrétant l'action en nullité au profit de l'aliéné. Le même droit doit également appartenir aux héritiers, parce que l'individu qui se trouve dans la position dont il s'agit doit être assimilé à l'interdit.

Pour le surplus, les mesures que propose le projet de loi renferment d'importantes améliorations qui ont été exposées par l'honorable M. Van Hoorebeke avec son talent habituel. Elles méritent de réunir nos suffrages unanimes.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Les observations que vient de présenter l'honorable M. Lelièvre s'appliquent principalement au chapitre VII du projet qui traite de l'administration des biens de l'aliéné pendant qu'il sera retenu dans l'établissement où il aura été placé. Je pense qu'au lieu d'aborder cette question dans la discussion générale, il vaut mieux l'ajourner à la discussion des articles qui y sont relatifs; je me réserve donc de répondre alors aux objections de l'honorable préopinant; je crois cependant qu'il s'est trop préoccupé de la rédaction du projet primitif. Mais ce projet a été considérablement modifié sous ce rapport, par suite des conférences qui ont eu lieu entre le gouvernement et la section centrale. Les nouvelles dispositions proposées, et qui ont été presque toutes puisées dans la loi française, ont pour but de pourvoir à l'administration de la personne et des biens de l'aliéné pendant qu'il sera retenu dans l'établissement où il aura été placé. A cet égard, je considère comme suffisantes les dispositions du projet; mais, je le répète, les diverses questions soulevées par l'honorable préopinant se représenteront avec plus d'opportunité lors de la discussion des articles du chapitre spécial auquel elles se rapportent.

M. Lelièvre. - Voici l'amendement que je propose :

Remplacer les articles 29, 30, 31, 32 et 33 par la disposition suivante :

« Art. 29. Si les personnes qui se trouvent placées dans des établissements d'aliénés ne sont ni interdites, ni pourvues d'un administrateur provisoire, il leur est nommé par le tribunal de première instance, sur la requête de la partie la plus diligente, ou même sur le réquisitoire du ministère public, un curateur qui les représente dans tous les actes judiciaires et extrajudiciaires.

« Les actes excédant les bornes de simple administration ne pourront être faits que pour les causes et avec les formes établies par la loi pour les mineurs et interdits.

« Le pouvoir du curateur cesse de plein droit dès que la personne placée dans un établissement d'aliénés n'y sera plus retenue.

« La prescription ne court pas contre elle pendant tout le temps qu'elle est retenue dans cet établissement.

« Art. 34, § 1. Substituer aux mots : conformément à l'article 504 du Code civil, les mots : conformément aux articles 502 et 1304 du Code civil. »

- Cet amendement sera imprimé et distribué.

La discussion générale est close.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Rapport sur les articles amendés

M. Rousselle. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif aux denrées alimentaires, sur les divers amendements qui lui ont été renvoyés. Je dépose en même temps un nouveau projet de loi ?

- Plusieurs membres. - La lecture du projet ?

M. Rousselle. — Voici le projet que propose la section centrale : (Voir ce projet de loi à la fin de la séance.)

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La discussion en est fixée à demain.

M. Osy (pour une motion d’ordre). - Messieurs, il se pourrait que la discussion du projet de loi qui vient d'être déposé demandât au moins deux jours d'examen, de manière que le vote définitif ne pourrait avoir lieu que samedi.

Or, il faut donner au sénat le temps d'examiner mûrement ce projet; et comme la loi aujourd'hui en vigueur cesse ses effets le 15 de ce mois, je prie le gouvernement d'examiner s'il ne serait pas nécessaire de nous présenter un projet prorogeant la loi actuelle jusqu'au 25 courant.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si la discussion sur le tarif doit durer quelques jours, on pourra présenter un projet de loi; mais si la discussion se terminait demain ou après-demain, ce projet de loi ne serait pas nécessaire. Du reste nous serons les premiers à faire en sorte que le sénat ait le temps nécessaires pour discuter, et si cela est nécessaire, on proposera la prorogation de la loi actuelle pour 15 jours.

Projet de loi relatif au régime des aliénés

Discussion des articles

Chapitre premier. Des établissements d'aliénés

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Nul ne peut ouvrir ni diriger un établissement destiné aux aliénés sans une autorisation du gouvernement.

« La même autorisation est nécessaire pour le maintien des établissements actuellement existants. »

- Adopté.


« Art. 2. Est considérée comme établissement d'aliénés, toute maison où l'aliéné est traité, même seul, par une personne qui n'a avec lui aucun lien de parenté ou d'alliance ou qui n'a pas la qualité de tuteur, de curateur ou d'administrateur provisoire. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Le gouvernement n'accordera l'autorisation demandée qu'autant qu'il reconnaisse qu'il est satisfait aux conditions suivantes :

« 1° Situation et locaux salubres, bien aérés, d'une étendue suffisante et d'une distribution convenable;

« 2° Séparation des sexes et classement des aliénés de chaque sexe d'après les exigences de leur maladie et la nature des soins dont ils doivent être l'objet;

« 3° Organisation d'un service médical et sanitaire, et régime intérieur appropriés aux besoins et à l'état des malades ;

« 4° Approbation tous les trois ans, par la députation permanente, du personnel des médecins.

« Ces conditions feront l'objet d'un règlement général et organique approuvé par un arrêté royal, qui déterminera également les obligations auxquelles seront soumis les chefs ou directeurs des établissements et les cas où les autorisations pourront être retirées.

« Ce règlement astreindra les fondateurs ou propriétaires actuels d'établissements à soumettre à l'approbation du gouvernement les plans des établissements à créer, et ceux de toutes les modifications à introduire dans les établissements existants. »

M. le président. - M. de Meester propose, par amendement, de supprimer le 4°, ainsi conçu :

« Approbation, tous les trois ans, par la députation permanente du personnel des médecins. »

M. de Meester. - La situation des aliénés, en Belgique, quoique beaucoup améliorée depuis quelques années, est encore très déplorable dans un grand nombre d'établissements qui leur sont destinés.

Il résulte de toutes les recherches qu'on a faites depuis longtemps, que c'est surtout et presque sous le seul rapport du régime hygiénique et médical que cette situation est la plus malheureuse.

C'est donc sous ce rapport principalement qu'il y a une grande lacune à combler et ce n'est que par une bonne loi qu'on peut y parvenir.

Le projet de loi, tel qu'il est présenté à la chambre, va au-delà du but qu'il doit atteindre, en ce qu'il tend à centraliser dans les mains du gouvernement toute la direction des hospices d'aliénés, et il y tend surtout en ce qu'il réserve au gouvernement le droit absolu d'approuver le personnel des médecins.

Le gouvernement, tuteur de la société, a le droit, et c'est aussi son devoir, d'exiger, en faveur des infortunés atteints de la plus cruelle des maladies, toutes les garanties que réclame leur triste position ; mais là doit se borner toute sa mission. En voulant intervenir dans la nomination du personnel des médecins, il porte une grave atteinte à la liberté de la profession médicale, à la liberté des familles et à la liberté de tous ceux qui veulent ouvrir ou diriger des hospices d'aliénés.

L'article 65 de la loi sur l'enseignement supérieur accorde aux docteurs en médecine la libre pratique de leur art, sans que la moindre restriction y soit apportée, et l'article 3 du projet qui est en discussion tend interdire aux médecins le traitement des maladies mentales; ce n'est pas seulement une tendance, c'est à peu près une défense absolue; car l'article 2 considère comme établissement d'aliénés toute maison où l'aliéné est traité, même seul, par une personne qui n'a avec lui aucun lien de parenté. Il n'y aura donc presque pas un seul malade atteint d'aliénation mentale, qui, dans le sens de la loi, ne doive être traité par un médecin imposé par le gouvernement : il n'y aurait d'exceptés que les seuls (page 663) malades séquestrés soit dans leur domicile, soit dans celui d'un de leurs parents.

L’article 3 porte aussi une grave atteinte à la libre concurrence, et à la liberté des familles, en ce qu'il ne permet point aux directeurs d'établissements d'aliénés ni aux familles le libre choix de leurs médecins.

Le projet de loi, tel qu'il est connu, n'établit aucune distinction entre les établissements publics et privés; appliqué aux établissements communaux, il est encore en opposition avec l'article 84 de la loi communale qui accorde aux administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance la nomination et la révocation de leurs médecins, sous l'approbation du conseil communal.

La section centrale, dans la pensée que les députations permanentes sont mieux placées que tout autre pouvoir pour apprécier le mérite des médecins, propose de substituer l'action de ces députations à l'action du gouvernement.

Cette proposition, quoique faite en faveur de la liberté, ne me paraît pas plus admissible que celle du gouvernement, car il ne s'agit pas ici d'une question d'appréciation, mais bien d'une question de justice et de droit : la question d'appréciation du mérite de ceux qui se destinent à la pénible profession de médecin a été résolue définitivement par les jurys d'examen universitaire. Ce qu'il faut aux docteurs en médecine, ce que personne ne peut leur refuser, c'est la garantie complète des droits de leur profession, tels que ces jurys les leur ont accordés au nom d'une loi organique et au nom de la science qu'ils représentent.

Comme le n" 4 de l'article 3 tend manifestement à les leur enlever, j'ai l'honneur de proposer sa suppression. Cette suppression n'affaiblira en rien la protection tutélaire que le gouvernement doit aux aliénés, puisque l'article 3 soumet l'existence des établissements à l'organisation d'un service médical approprié aux besoins des malades, service qui, dans tous les cas, ne pourra être rempli que par des hommes que la loi sur l'enseignement supérieur y aura autorisés, et qui d'ailleurs seront placés sous la surveillance immédiate du gouvernement.

M. Van Hoorebeke, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. de Meester vient vous proposer, par son amendement, la suppression du n°4 de l'article 3, qui a pour objet de soumettre à l'agréation la nomination du personnel des médecins. L'honorable membre se fonde, pour demander le retranchement de ce numéro, sur un article de la loi de l'enseignement supérieur, d'après lequel la profession médicale est garantie. Il voit dans ce numéro une atteinte à la liberté des professions.

Messieurs, je viens combattre cet amendement. Je ne partage pas, à cet égard, les scrupules de l'honorable membre. Sans doute, les professions sont libres en Belgique, mais elles ne le sont pas d'une manière absolue et sans limites. A ce compte-là, il n'y aurait que des libertés illimitées. Il n'y a pas de droit absolu, parce que, à côté du droit individuel, vient se placer le droit social. Les industries sont libres, cependant on interdit les établissements insalubres, les établissements dangereux et même les établissements incommodes. Le père exerce sur la famille une autorité respectable au plus haut degré ; cependant on n'a jamais contesté à la société le droit de protéger l'enfant contre les délits du père et même contre la dégradation physique qui pourrait être la conséquence d'un travail excessif. La profession médicale est libre aussi ; mais cela n'a pas empêché de porter en 1818 une loi d'après laquelle les médecins sont soumis aux commissions provinciales, quant à la pratique des arts médicaux.

L'amendement de M. de Meester n'est pas acceptable, messieurs, parce qu'il s'agit ici d'établissements tout spéciaux qui doivent être régis par des règles toutes spéciales. L'amendement de M. de Meester tendrait, par ses conséquences, à proclamer d'une manière beaucoup trop absolue le principe de l'irresponsabilité médicale. Cette irresponsabilité peut être très vraie lorsqu'il s'agit de faits de doctrine, de méthode de traitements; lorsqu'il s'agit de diriger un établissement, de tenir enfermés des aliénés, d'exercer sur eux des moyens de contrainte ou même de répression, on doit impérieusement exiger l'intervention de l'autorité; elle est très légitime, et il n'y a pas de législation qui ne l'ait consacrée. En France, les médecins sont soumis à l'agréation des préfets et révocables à volonté. Nous avons admis un système plus libéral, puisque, à l'autorité du gouvernement, nous avons substitué l'autorité de la députation permanente.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je crois, messieurs, que le but de la loi serait manqué si l'amendement de l'honorable M. de Meester était adopté. Ce que le projet a eu surtout en vue, c'est d'améliorer le traitement médical des aliénés qui sont retenus dans les établissements spéciaux qui leur sont destinés. C'est là le but essentiel qu'on doit s'efforcer d'atteindre, et pour y parvenir, il faut combler la lacune que présente à cet égard notre législation; car aujourd'hui, l'action du gouvernement, sa surveillance sur ces sortes d'établissements sont en quelque sorte nulles ; et comment voudriez-vous que le gouvernement pût exercer d’une manière efficace la surveillance que la loi nouvelle lui confie, s'il n'a pas directement ou indirectement, sinon le droit de nomination, au moins un contrôle permanent sur le choix des médecins. L'efficacité du traitement dépend nécessairement en effet du talent, de l'aptitude, de la spécialité de l'homme de l'art chargé de la direction ou de la partie médicale de l'établissement et des soins assidus qui sont donnés aux malheureux qui y sont recueillis.

Je pense donc, messieurs, que ce serait, en quelque sorte , troubler l’économie du projet de loi que d'admettre un amendement qui paralyserait sou» ce rapport tous les efforts du gouvernement pour la bonne organisation du service médical de ces établissements.

M. Rodenbach. - Messieurs, je comprends parfaitement que le gouvernement tienne à ce qu'un docteur en médecine nommé par lui soit attaché à l'établissement ; mais il me semble que la loi ne peut pas être tellement rigoureuse que lorsqu'on a un médecin dans sa famille, en qui l'on a confiance et quand on a le malheur d'avoir une personne aliénée, et renfermée dans un établissement, je ne pense pas qu'en vertu du projet de loi, on puisse interdire l'entrée de l'établissement à un médecin qui serait envoyé par la famille de la personne malade. Je comprends que dans chaque établissement, il y ait des médecins désignés ou contrôlés par le gouvernement, mais la loi ne peut pas être si rigoureuse qu'elle ferme l'entrée de la maison au médecin que la famille désire charger des soins à donner à l'aliéné; il peut arriver qu'un homme d'un mérite transcendant convienne beaucoup moins à la famille que tel autre homme de l'art qui connaît cette famille et qui jouit de sa confiance.

Je demanderai si, dans ce cas, le médecin, étranger à l'établissement, pourra y avoir accès. L'intérêt de l'humanité l'exige.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, il est évident que la loi ne sera pas exécutée avec une semblable rigueur. Il s'agit ici seulement du personnel des médecins qui seront attachés, d'une manière permanente, aux établissements d'aliénés. Ensuite, si des familles ont des médecins qui jouissent de leur confiance et par lesquels elles désirent faire traiter spécialement les aliénés qui leur appartiennent, rien n'empêchera qu'ils ne puissent être admis dans les établissements, et il n'est pas douteux que l'autorité fera à cet égard tout ce qui sera possible dans l'intérêt des familles et dans l'intérêt du soulagement des malheureux aliénés.

- La discussion est close.

L'amendement de M. de Meester, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Articles 4 et 5

« Art. 4. Les établissements existants ou ceux qui pourront être fondés à l'avenir, qui ne satisferont pas aux conditions voulues et dont les chefs ou directeurs refuseront ou seront dans l'impossibilité de les remplir, seront fermés sur l'avis conforme de la députation permanente et après enquête. Les aliénés qui s'y trouveront seront envoyés, soit dans leur famille, soit dans un établissement autorisé, au choix et aux frais des personnes ou des administrations chargées de leur entretien. »

- Adopté.


« Art. 5. Les chefs ou directeurs qui offriront de se soumettre aux conditions exigées, si d'ailleurs les locaux le leur permettent, obtiendront le délai reconnu nécessaire par le gouvernement pour se conformer à la loi. Ce délai expiré, l'établissement sera fermé s'il n'est pas organisé conformément aux principes posés par le règlement organique mentionné au paragraphe 2 de l'article 3. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. L'organisation de la colonie de Gheel et d'autres semblables, qui pourront exister ou se former par la suite, et le régime des aliénés qui y seront envoyés, feront l'objet d'un règlement spécial, approuvé par arrêté royal, qui prescrira, entre autres, le mode de placement et de surveillance et l'organisation du service médical. »

M. Thiéfry. - Messieurs, je viens appuyer la recommandation de la section centrale pour l'établissement, à Gheel, d'une infirmerie dont la gestion serait abandonnée à l'autorité communale, qui y ferait traiter les malades moyennant un prix de journée à payer par les communes où l'aliéné aurait son domicile de secours.

Il est vraiment inconcevable que dans un pays comme la Belgique, ou la charité est exercée avec tant d'humanité et par les habitants et par les administrations de bienfaisance; il est inconcevable, dis-je, que l'on réunisse sur un même point un millier de personnes atteintes d'une maladie déplorable, sans qu'il y ait le moindre gîte où l'on puisse tenter leur guérison, leur faire subir un traitement. Il n'est pas de si petite ville qui n'ait son hôpital, et là, depuis onze siècles, se trouve une agglomération considérable d'insensées, dépourvus de tous moyens curatifs. C'est une honte pour le pays.

La construction d'une infirmerie à Gheel est d'autant plus nécessaire, qu'avec un établissement semblable et un bon règlement, cette colonie, sans exemple en Europe, aurait atteint la perfection. Sans diminuer en rien le mérite des hospices destinés aux maladies mentales, je crois qu'ils ne sauraient être comparés à Gheel, où l'air libre, le travail des champs et les soins paternels des habitants apportent de si grands soulagements à la situation de ces malheureux.

Cette commune a très peu de ressources, et je demande, comme la section centrale, que le gouvernement lui vienne en aide pour cette construction; c'est d'ailleurs un devoir pour lui, c'est une dépense qui doit être supportée par l'Etat puisqu'il y a des aliénés de toutes les parties du pays. Il n'est pas une seule province de la Belgique qui n'y ait des pauvres.

L'article 7 du projet de loi présenté par M. le ministre permettait au gouvernement d'ériger des établissements publics pour les aliénés.

La section centrale a proposé la suppression de cet article, non qu'elle conteste l'utilité de la création, mais elle veut que le gouvernement présente un projet de loi spécial pour chacun des établissements qu’il voudrait former. J'approuve entièrement la proposition de la section centrale par d'autres motifs que ceux énoncés : je crois que ces sortes d'hospices doivent être érigés, ou par les communes, ou par les provinces, (page 664) et que l'Etat n'y doit intervenir que par des subsides. Je voudrais aussi qu'ils fussent toujours placés à la campagne, disposant de terre en quantité suffisante pour y faire travailler les aliénés.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je vois dans le rapport de la section centrale qu'un membre a exprimé le désir de connaître l'intention du gouvernement concernant le maintien de la colonie de Gheel où le traitement médical n'offre point, suivant lui, les conditions essentielles de classement et d'appropriation. Le même membre voudrait qu'il fut établi à Gheel une infirmerie aux frais de l'Etat.

La section centrale a recommandé cet objet à la sollicitude du gouvernement ; ce sont ces observations que vient de reproduire l'honorable M. Thiéfry.

Je n'hésite pas à déclarer que l'intention du gouvernement est de maintenir la colonie de Gheel. Mais il y aura lieu d'introduire dans cette colonie des réformes importantes et de nombreuses améliorations. Nous pensons, messieurs, que cette colonie présente déjà de grands avantages et qu'elle peut en présenter plus encore dans l'avenir, quand elle aura reçu les améliorations que la loi actuelle a pour objet de préparer. Les aliénés où la plupart d'entre eux y vivent en quelque sorte à l'état de liberté, ils peuvent se livrer à des travaux domestiques ou agricoles ; ce genre d'occupations, cette vie commune avec les habitants qui ont pour eux une extrême bienveillance. Tout cela peut contribuer à leur bien-être et accélérer leur guérison.

Cependant, il faut le dire, à côté de ces avantages, il y a des inconvénients réels et beaucoup d'abus qui ont leur cause dans les vices mêmes de l'organisation actuelle de la colonie; d'abord il n'y a aucun classement des aliénés et la confusion est vraiment déplorable. Ainsi les aliénés curables et les incurables, les paisibles et les furieux sont souvent confondus; cinq ou six aliénés sont quelquefois réunis dans une seule maison, sans distinction des diverses catégories auxquelles ils appartiennent.

Je pense qu'il y aura des mesures à prendre pour remédier à tous ces inconvénients. Le service administratif de la colonie laisse aussi infiniment à désirer; il n'y a ni unité ni ensemble; il manque à cet établissement une administration centrale, une direction forte et intelligente. Aussitôt que le gouvernement sera armé des pouvoirs que lui donnera la loi actuelle, il apportera tous ses soins à l'amélioration de cette colonie. Mais, je le répète, il y a d'importantes réformes à opérer, de grands abus à extirper.

L'honorable M. Thiéfry a parlé d'une infirmerie qu'il serait nécessaire d'établir dans la commune de Gheel. Je crois, en effet, que cet établissement serait d'une grande utilité. Mais tant que la loi actuelle n'était pas votée, il aurait été prématuré de s'occuper de cet objet: quand elle le sera le gouvernement s'entendra avec l'administration communale de Gheel et avec la province d'Anvers pour parvenir à créer l'établissement qui manque encore à cette colonie; les aliénés de certaines catégories pourront être traités dans cette infirmerie d'une manière beaucoup plus efficace que chez les paysans de la commune où ils manquent quelquefois des soins les plus indispensables.

L'honorable M. Thiéfry a rappelé l'article 7 du projet du gouvernement qui a été retranché ; cet article portait que le gouvernement, lorsqu'il en aurait constaté l'utilité, pourrait ériger des établissements publics pour les aliénés et demanderait à cette fin des crédits spéciaux.

La section centrale a pensé que cet article était inutile, et le gouvernement a consentira la suppression, par la raison que, sans que la loi en contienne la réserve, il lui sera toujours facultatif de présenter aux chambre les lois de crédit qu'il jugera nécessaires pour la création des établissements spéciaux dont l'utilité serait reconnue. Mais je dois le déclarer, je ne pense pas que cette dépense, si elle doit se faire un jour, soit très prochaine.

En effet, il faut attendre que la loi actuelle ait fonctionné pendant quelque temps et qu'elle ait produit les résultats qu'on est en droit d'en espérer, pour apprécier si ces établissements avec les réformes qui y seront introduites et la surveillance que le gouvernement exercera sur leur administration, peuvent être améliorés au point de suffire à tous les besoins. S'il en était ainsi, le gouvernement pourrait s'abstenir d'une dépense considérable, car on a évalué à près de 3 millions, je pense, ce que coûterait la construction des établissements nécessaires pour recueillir tous les aliénés du pays.

M. Coomans. - J'aurais pu me borner à appuyer les bonnes observations de l'honorable M. Thiéfry, auxquelles une expérience très honorable dans ces matières donne beaucoup de poids; mais le langage de M. le ministre de la justice me force à dire un mot de plus.

Le gouvernement est animé des meilleures intentions, el il en donne la preuve en promettant de ne pas supprimer la colonie de Gheel; mais, d'après la manière dont il en a parlé, on pourrait croire que tout est à réformer à Gheel.

Il vous a parlé de grandes réformes à introduire, d'abus à extirper. Je pense qu'il y a quelque exagération dans cette assertion. La colonie de Gheel existe depuis onze siècles; il y a des abus, sans doute; mais ce dont on se plaint c'est l'insuffisance de ressources, et ce qui manque principalement c'est l'hospice dont l'honorable M. Thiéfry demande l'érection.

Mais je pense qu'il faut laisser à l'administration de Gheel, au service médical de Gheel, aux nourriciers de Gheel, autant de liberté que possible.

Il n'est pas bon que le gouvernement, animé du reste des meilleures intentions du monde, cherche à peser sur l'action de l'autorité locale et des nourriciers; ils en savent plus que tous les employés du ministère de la justice, j'en suis sûr ; ils sont élevés de père en fils avec des insensés, ils ont trouvé les meilleurs moyens de les traiter, de les guérir.

J'engage M. le ministre à fournir le subside, pou élevé du reste, que réclame la colonie, à la faire inspecter, mais à la laisser sous la direction, presque exclusive de l'autorité locale. Je suis convaincu que c'est le meilleur rôle que le gouvernement puisse prendre dans cette affaire.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il ne s'agit pas d'enlever à l'administration communale de Gheel la juste part qui lui appartient dans la direction de la colonie; mais il est nécessaire que l'action du gouvernement s'y fasse sentir. Le traitement médical surtout laisse beaucoup à désirer; et avec l'intelligente coopération du conseil des hospices de Bruxelles, des réformes importantes pourront être introduites dans cette partie de l'administration. Je parle du conseil des hospices de Bruxelles, parce que c'est cette administration qui contribue le plus à peupler la colonie de Gheel, vers laquelle elle dirige presque tous les aliénés recueillis dans ses établissements.

- La discussion est close.

L'article 6 est mis aux voix et adopté.

Chapitre II. Du placement des aliénés dans les établissements et de leur sortie

Section première. De l'admission dans les établissements d'aliénés
Articles 7 à 11

« Art. 7. Le chef d'un établissement ne pourra recevoir aucune personne atteinte d'aliénation mentale que :

« 1° Sur une demande écrite d'admission du tuteur d'un interdit, accompagnée de la délibération du conseil de famille, prise en exécution de l'article 510 du Code civil; ou, si l'interdiction n'a pas encore été prononcée, sur la demande de l'administrateur provisoire, accompagnée du jugement rendu en vertu de l'article 497 du même Code;

« 2° Sur une demande d'admission de l'autorité locale du domicile de secours d'un aliéné indigent ;

« 3° En vertu d'un arrêté de collocation pris par l'autorité locale compétente par application de l'article 95 de la loi communale ;

« 4° En exécution d'un réquisitoire d'un officier du ministère public, dans le cas de l'article 13 ci-après;

« 5° Sur une demande d'admission de toute personne intéressée, indiquant la nature des relations et, le cas échéant, le degré de parenté ou d'alliance qui existe entre elle et l'aliéné.

« Cette demande devra être revêtue du visa du bourgmestre de la commune où l'aliéné se trouvera.

« 6° En vertu d'un arrêté de la députation permanente du conseil provincial , dans le cas des n°2, 3 et 5 précédents.

« S'il y a urgence, l'arrêté pourra être porté par le gouverneur seul. »

- Adopté.


« Art 8. Dans les cas des n°2, 3, 4, 5 et 6 de l'article précédent, il devra être produit un certificat constatant l'état mental de la personne à placer et indiquant les particularités de la maladie.

« Ce certificat, pour être admis, devra avoir moins de quinze jours de date et être délivré par un médecin non attaché à l'établissement.

« Néanmoins, en cas d'urgence, le certificat du médecin ne sera pas exigé au moment de la réception de l'aliéné; mais il devra dans ce cas être délivré dans les vingt-quatre heures. »

- Adopté.


« Art. 9. Tout individu qui conduira un aliéné dans un établissement sera tenu de faire transcrire sur le registre mentionné à l'article 22 les pièces dont il devra être porteur, aux termes des articles 7 et 8.

« L'acte de remise, tant de ces pièces que de la personne de l'aliéné, sera écrit devant le conducteur et signé tant par lui que par le chef de l’établissement qui lui en remettra une copie certifiée pour sa décharge. »

- Adopté.


« Art. 10. Dans les vingt-quatre heures de l'admission d'un aliéné, le chef d'établissement en donnera avis par écrit :

« 1° Au gouverneur de la province;

« 2° Au procureur du roi de l'arrondissement;

« 3° Au juge de paix du canton;

« 4° Au bourgmestre de la commune;

« 5° Au comité de surveillance de l'établissement mentionné à l'article 21 ci-après.

« Pareil avis sera donné dans le même délai au procureur du roi de l'arrondissement du domicile ou de la résidence habituelle de l'aliéné, et ce magistral en informera l'autorité locale qui en donnera immédiatement connaissance aux plus proches parents connus et aux personnes chez lesquelles l'aliéné avait son habitation, chaque fois que l'ordre ou la demande de séquestration sera émané de l'une des autorités ou des personnes mentionnées aux n° 2, 3, 5 et 6 de l'article 7.

- Adopté.


« Art. 11. Pendant chacun des cinq premiers jours de son admission, l'aliéné sera visité par le médecin de l'établissement.

« Celui-ci consignera sur un registre à ce destiné, coté et paraphé comme il est dit à l'article 22, ses observations et le jugement qu'il en aura tiré, et en transmettra, le sixième jour, une copie au procureur du roi de l'arrondissement.

« Il consignera ultérieurement sur le même registre, au moins tous les mois, les changements survenus dans l'état mental de chaque malade.

- Adopté.

Article 12

(page 665) « Art. 12. Le gouvernement désignera un établissement public ou traitera avec un établissement privé, pour le placement des prévenus, accusés, condamnés ou des individus renvoyés des poursuites qui seraient reconnus en état d'aliénation mentale.

« Ceux-ci y seront transférés sur la réquisition de l'officier du ministère public compétent près la cour ou le tribunal saisi de la poursuite ou dont émane l'arrêt ou le jugement.

« Les détenus pour dettes atteints d'aliénation mentale seront transférés dans le même établissement sur l'ordre du procureur du roi, qui en donnera immédiatement avis à leurs créanciers. »

Chapitre premier. Des établissements d'aliénés

Article 3

M. de Brouckere. - Messieurs, permettez-moi de témoigner le regret de ne pas avoir été ici une demi-heure plus tôt ; je ne pouvais pas m'attendre qu'après quinze jours de discussion sur la question de savoir si l'on élèverait d'un demi-franc à un franc le droit d'entrée sur le froment, on aurait été aussi rapidement sur une loi de cette importance.

Je serai forcé de voter contre la loi, parce que je ne puis plus revenir sur l'article 3 qui est la confiscation la plus flagrante de la propriété, parce que je ne puis plus revenir sur l'article 4, qui est en opposition évidente avec l'article 95 de la loi communale.

Je voterai donc, dans tous les cas, contre la loi.

Mais je ne puis pas admettre l'article 12, parce qu'il présuppose des établissements publics que je ne crois pas exister dans notre pays. Il n'y a pas en Belgique d'établissements publics.

La section centrale a fort sagement fait d'écarter un article en vertu duquel il était en quelque sorte pourvu à la fondation d'établissements publics. Eh bien, ici vous avez encore un article qui commence par ces mots : « Le gouvernement désignera un établissement public ou traitera avec un établissement privé. »

Je voudrais que l'on retranchât de cet article les mots : « désignera un établissement public » et le mot « privé » et que l'on se bornât à dire : « Le gouvernement traitera avec un établissement. »

Du reste, tous les amendements auxquels on pourrait faire droit dans l'avenir ne m'empêcheront pas de voter contre la loi et de protester de toutes mes forces contre l'article 3 qui est une confiscation de la propriété. La chambre ne me permettrait pas de revenir là-dessus. (Oui! oui !)

M. le président. - La chambre veut-elle ouvrir de nouveau la discussion sur l'article 3? (Oui! oui !)

- La chambre, consultée, décide que l'article 3 sera soumis à une nouvelle discussion.

Cette discussion est ouverte.

M. de Brouckere. - Messieurs, la section centrale a fort sagement prévenu, dans les considérations qu'elle a fait valoir à l'appui du projet de loi, qu'elle ne voulait pas mettre à la merci complète, à la discrétion du gouvernement, le pouvoir autoriser l'un et le pouvoir refuser l'autorisation à un autre. Seulement je pense qu'elle a manqué le but parce que bien qu'il y ait là des conditions stipulées, il n'est pas dit que quand on se soumettra à ces conditions, on sera autorisé.

Mais parmi les conditions stipulées, il en est une que je trouve exorbitante, c'est celle-ci : « Approbation tous les trois ans, par la députation permanente, du personnel des médecins. » Je dis que c'est là une confiscation de la propriété et une confiscation fort malheureuse.

Dans l'intérêt de la société, nous exigeons des preuves de capacité de celui qui veut exercer l'art médical. On n'arrive au doctoral qu'après avoir subi des examens, et vous savez, messieurs, qu'aujourd'hui l'on n'y arrive pas très facilement ; vous savez que, de toutes les études, celles de la médecine sont les plus longues.

Eh bien, messieurs, c'est devant un jury d'hommes experts que l'on devient docteur, tandis que l'autorité qui permettra de guérir plutôt telle maladie que telle autre sera la députation permanente du conseil provincial où ne siégera peut-être pas un seul médecin. Ainsi vous pourrez guérir les maladies les plus dangereuses la phtisie, la pneumonie, l'hydropisie, mais vous ne pourrez pas entreprendre de guérir un aliéné sans l'autorisation spéciale du conseil provincial.

Je concevrais que, si l'intérêt de la société l'exigeait on prescrivît, pour cette spécialité un nouvel examen, mais un nouvel examen passé devant un jury médical et non pas devant une députation permanente.

Voyez où l'on va en venir : un médecin fondera un établissement d'aliénés, il immobilisera sa fortune dans cet établissement, et il obtiendra de la députation permanente, pour trois ans, la permission d'exercer son état dans son hospice; mais au bout de trois ans la députation pourra lui dire : Vous n'êtes plus habile à traiter les aliénés, je ne renouvelle pas votre mandat. Elle confisquera son établissement et rendra nulle sa propriété. Je dis que c'est là une violation de la propriété industrielle cl de la propriété immobilière.

Je demande la suppression du n°4 de l'article 3.

M. Van Hoorebeke, rapporteur. - Pour se bien pénétrer des motifs qui ont déterminé la section centrale à maintenir ce n°4, il importe avant tout, messieurs, de ne pas perdre de vue le caractère spécial de la loi que nous discutons. Quel est, messieurs, le but de cette loi? Ce n'est pas seulement de protéger l'ordre public et de garantir la liberté individuelle de toute atteinte; c'est, avant tout, comme l'a dit M. le ministre de la justice, de procurer aux aliénés des soulagements, des soins plus abondants, et un traitement approprié à leur état. En un mot la loi est tout autant une loi de bienfaisance et de tutelle qu'une loi de police et de sûreté.

Par la loi actuelle, le gouvernement et la section centrale ont voulu, avant tout, frapper les établissements dirigés par les particuliers, qui fonctionnent sous la forme d'entreprises privées et dans lesquels le traitement médical est complètement nul, où l'on ne connaît que la rigueur et les actes de violence et où l'on mesure en quelque sorte à chaque malade, selon un prix débattu à l'avance, l'air, l'espace et la nourriture qui lui sont nécessaires. C'était la pensée qui avait inspiré la commission instituée en 1841 au département de la justice. Cette commission avait fait un travail consciencieux et complet, et elle avait proposé d'attribuer la direction des établissements d'aliénés à un médecin en chef.

En Autriche, en Allemagne, en France, partout les médecins en chef sont directeurs des établissements.

En France, comme je l'ai dit, les médecins sont agréés par le préfet et révocables par lui; mais votre loi est beaucoup plus libérale que la loi française puisque nous avons admis que lorsqu'un établissement se soumettait aux conditions de l'article 4 il obtenait le droit, tandis qu'en France il obtient seulement par là l'aptitude, et qu'il dépend encore du pouvoir discrétionnaire du gouvernement de refuser ou d'accorder l’autorisation.

Mais, messieurs, ce n'est pas tout : en France les établissements peuvent être fermés par simple ordonnance; ici c'est seulement après une enquête que cela pourra avoir lieu.

Y a-t-il, messieurs, dans la loi que nous discutons, des motifs spéciaux pour déroger à la rigueur des principes invoqués par l'honorable M. de Brouckere? Evidemment oui.

Le traitement des aliénés exige d'abord, quant à l'établissement, des conditions de direction administrative et médicale que l'esprit de spéculation ne remplira jamais, et c'est contre les établissements créés par la spéculation que la loi est dirigée. La loi n'attaque nullement les établissements soutenus par la charité privée, desservis par des associations charitables; la loi les respecte et la section centrale est entrée si bien dans cette pensée, qu'elle a supprimé l'article 7 du projet primitif. La loi est dirigée exclusivement contre la spéculation, contre les maisons que l'appât du gain soutient et dirige.

J'ai dit, messieurs, que le traitement des aliénés exige des conditions spéciales; l'aliénation mentale est une maladie qui exige des connaissances particulières. Tout le monde sait que, dans ces cas-là, le malade est sous l'empire absolu des médecins; c'est du dévouement et des soins du médecin que dépend la guérison de l'être qui lui est confié, ou plutôt qui lui est abandonné, car cet être n'a plus aucune espace de volonté. Je le demande, messieurs, est-ce que dans de semblables circonstances, dans l'intérêt même de la famille, il n'importe pas qu'on ait la garantie de l'autorité publique?

Il est reconnu que l'isolement, et l'isolement dès l'invasion de la maladie, est un des agents les plus énergiques de guérison.

Eh bien, messieurs, cet isolement, cette séquestration constitue une atteinte à la liberté individuelle. Ici encore je demande si la loi ne doit pas intervenir et exiger des conditions d'aptitude ? Que fait-on pour les médecins d'hôpitaux, pour les médecins de prisons? Est-ce que leur nomination n'est pas également soumise à certaines conditions? Est-ce qu’on se prévaudra de la liberté de la profession pour s'élever contre ces conditions? Evidemment non.

Je crois que dans cette matière nous devons nous en tenir à des principes qui sont reçus partout et surtout en Angleterre, où le souci de la liberté individuelle est poussé si loin que l'on oblige la famille qui veut traiter chez elle un de ses membres aliénés à faire la déclaration dans les 6 jours et à le faire visiter par certains médecins désignés à cet effet.

M. de Brouckere. - Tout ce que vient de nous dire l'honorable préopinant est extrêmement adroit. Je n'ai rien dit de contraire à aucune de ses assertions. Mais il a tourné constamment autour de la difficulté qui a été indiquée. Je n'ai pas du tout attaqué l'isolement, les précautions qu'il faut prendre dans les maisons d'aliénés. J'ai seulement soutenu que le quatrième paragraphe (c'est le seul sur lequel j'ai parlé) est la confiscation de la propriété.

J'admets qu'il faut des connaissances spéciales aux médecins qui traitent les insensés. Mais je demande si c'est la députation du conseil provincial qui est apte à lui donner ce certificat de spécialité.

Mais, vous dit-on, les médecins, dans les hospices, ont aussi une nomination, et l'on ne prétend pas que ce soit une confiscation de l'industrie. Il est naturel que l'administration d'un hospice agisse comme ferait le malade lui-même, qu'elle choisisse le médecin en qui elle a confiance. Il est tout naturel que, pour être médecin dans un hospice, il faille être nommé par l'administration de cet hospice, parce que c'est elle qui rémunère les soins des hommes de l'art.

Mais le certificat d'aptitude pour un temps déterminé a quelque chose de fort dangereux. Il est anormal de mettre un médecin pour l'exercice de son art (car il s'agit de l'exercice de son art, puisqu'il faut une spécialité) à la disposition d'une administration quelconque, il est surtout dangereux de n'accorder que des mandats transitoires, de stipuler que, tous les trois ans, la députation pourra révoquer les autorisations.

Je demande la disparition du quatrième paragraphe.

Je conviens qu'on donne aux médecins, dans les articles subséquents, des droits exorbitants. C'est pour justifier en quelque sorte ces droits qu'on exige l'approbation de la députation permanente.

Ainsi, on leur donne le droit de mettre en liberté. Là, je conçois que tout médecin ne puisse prendre sur lui de mettre en liberté des insensés colloques en vertu de dispositions légales par l'autorité publique,

Ainsi si d'une part on exige des médecins des garanties, c'est qu'elles (page 666) viendront à propos dans d'autres dispositions. Mais ici la garantie est tout à fait inutile et nous aviserons plus tard sur les garanties que demandent les mises en liberté.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - A entendre l'honorable M. de Brouckere, le médecin qui voudrait être attaché à un établissement d'aliénés, ne devrait avoir à justifier que de sa capacité scientifique. Mais il est encore autre chose que l'on peut exiger de lui : pour diriger un établissement de ce genre, il faut une aptitude spéciale et une grande moralité, il faut être en état de donner aux aliénés les soins qu'exige leur situation. Un médecin peut être très instruit, très savant d'ailleurs, et être incapable, sous d'autres rapports, de diriger un établissement d'aliénés.

Il peut arriver encore, qu'après avoir accepté un médecin auquel l'on n'avait aucun reproche à faire, l'on reconnaisse au bout d'un certain temps qu'il ne convient pas pour la direction de l'établissement auquel il avait été attaché, que les aliénés y sont mal soignés et violentés, et que le traitement qu'ils y reçoivent, loin d'accélérer leur guérison, la rend au contraire impossible.

Dans toutes ces circonstances l'autorité doit intervenir, et pouvoir faire fermer un établissement qui ne présenterait pas pour les aliénés toutes les garanties d'un traitement convenable. Il est donc nécessaire que le gouvernement conserve à cet égard toute l'autorité que la loi actuelle a pour but de lui accorder.

L'honorable M. de Brouckere a cité l'article 13 du projet qui exige que, sur le certificat du médecin de l'établissement, attestant que la guérison est opérée, l'aliéné soit mis en liberté. Eh bien, c'est précisément parce que le médecin attaché à l'établissement a un pouvoir aussi important qu'il est plus nécessaire encore que sa nomination et son maintien en fonctions soient soumis à la sanction de l'autorité publique.

M. Lebeau. - En général, les décisions des députations permanentes sont soumises à un recours près du gouvernement. C'est là, chez nous, le droit commun administratif. De ce chef, il y aurait donc une lacune à combler, ou au moins un doute à lever. Je proposerai pour cela un amendement.

Je ne suis pas aussi touché que l'honorable M. de Brouckere de l'espèce de restriction que la disposition du projet apporte à l'exercice d'une industrie ; il est évident que, dans une foule de nos lois, la liberté d'industrie, comme l'a rappelé l'honorable rapporteur, a subi des restrictions dans un intérêt social évident.

Ici je comprendrais que l'on pût apporter plus difficilement des restrictions à l'industrie du médecin, si ceux qui en ont besoin pouvaient la réclamer eux-mêmes. Mais il faut qu'on se mettre à leur place; ils sont dans un état de tutelle, d'incapacité morale complète. C'est le gouvernement qui est ici leur tuteur naturel.

Dès lors, j'admets certaines restrictions. Mais je pense qu'on a été un peu loin en étant au gouvernement le droit de statuer sur le recours des médecins qui voudraient se pourvoir contre la décision de la députation permanente. La députation pourrait ainsi détruire les positions que le gouvernement aurait faites en vertu de l'article 3; car l'article 3 porte : « Le gouvernement n'accordera l'autorisation demandée qu'autant qu'il reconnaisse qu'il est satisfait aux conditions suivantes. »

Il y aura donc déjà autorisation accordée par le gouvernement. Si vous admettez que la députation provinciale puisse enlever les positions conférées par le gouvernement en exécution de toutes les dispositions de la loi, vous placez le médecin dans une position fort pénible et le gouvernement dans une situation fort étrange.

J'ai beaucoup de confiance dans le personnel de nos députations permanentes. Cependant s'il est un ordre de choses où les influences locales, les petites passions de localité puissent s'exercer, c'est surtout dans l'appréciation des médecins. En général, il y a, à l'égard des médecins, selon les diversités d'opinion, tantôt une répulsion très forte, tantôt une sorte d'infatuation. Je crains que, dans les localités secondaires, ces passions ne s'exercent parfois d'une manière fâcheuse pour les établissements et pour les praticiens qui y seraient attaché.

Je demande donc qu'on se conforme à la règle de notre organisation administrative, en ajoutant à la fin du n°4 de l'article 3 ces mots : « sauf recours au gouvernement ».

Je ferai encore remarquer que, lorsqu'il s'agit d'une mesure rigoureuse, il vaut mieux que ce soit une autorité responsable qui la prenne, ou au moins qui soit appelée à la réviser, qu'une autorité élective, c'est-dire irresponsable.

M. Jullien. - Messieurs, je viens appuyer la suppression du n°4 de l'article 3, qui a été demandée par l'honorable M. de Brouckere, et je l'appuie, précisément par une considération qui a été mise en avant par l'honorable M. Lebeau.

L'article 3 défère au gouvernement le droit de refuser l'autorisation d'ériger un établissement destiné au traitement des aliénés, à moins qu'il ne reconnaisse qu'il est satisfait à l'organisation d'un service médical et sanitaire, approprié aux besoins et à l'étal des malades. Le gouvernement est donc, avant tout, le juge du mérite du service médical. Eh bien, si vous adoptez le n°4, il dépendra d'une députation de se placer au-dessus du gouvernement lui-même, et de renverser l'œuvre du gouvernement; bien évidemment, nous ne pouvons pas accorder un pouvoir semblable aux députations permanentes.

Dans mon système, messieurs, j'accorde au gouvernement une prérogative beaucoup plus large. Le gouvernement fera un règlement général organique, dans lequel il déterminera toutes les conditions nécessaires pour l'érection d'un établissement, et dans lequel il fixera en mémo temps les conditions, sans l'accomplissement desquelles il pourra toujours retirer l'autorisation qu'il aura primitivement accordée.

Inutile dès lors d'accorder à la députation permanente le droit d'approuver ou d'improuver le personnel des médecins, puisque le gouvernement conserve dans tous les temps le contrôle sur le personnel lui-même; le gouvernement ne s'en dessaisissant pas, pourra, dans toutes les circonstances, consulter un jury médical sur l'aptitude des médecins attachés à un établissement d'aliénés, exiger que l'on en éloigne ceux qui n'offriraient point les garanties désirables, et qu'on les remplace par d'autres. La suppression du n°4 de l'article 3 contribuera donc à fortifier l'action et la surveillance du gouvernement lui-même.

Dès là, il me paraît que cette suppression ne peut en aucune manière être contestée par le gouvernement lui-même, puisqu'il s'agit de lui accorder un droit plus étendu qu'il n'aurait, si vous investissiez une simple députation permanente de la faculté d'approuver tous les trois ans, sans son concours, le service médical d'un établissement d'aliénés.

Je pense donc que, rentrant tout à fait dans les vues qui ont été développées par l'honorable rapporteur de la section centrale, nous devons maintenir au gouvernement le droit absolu d'exercer, en tout temps, un contrôle sur le personnel médical, et, par conséquent, de retirer l'autorisation qu'il aurait accordée, s'il reconnaissait que le service médical ne répondît pas aux besoins et de l'établissement et des aliénés eux-mêmes.

M. Van Hoorebeke, rapporteur. - Messieurs, je ne vois pas grand inconvénient à me rallier à la disposition additionnelle qui a été proposée par l'honorable M. Lebeau; je pense aussi que le recours contre une décision est de plein droit, et que, pour ôter toute incertitude, on peut l'insérer dans la loi.

Messieurs, je ferai une simple observation, en réponse à celles qui ont été présentées par l'honorable M. Jullien : c'est que dans le n°4° de l'article 3, il ne s'agit pas précisément des méthodes de traitement, du service médical, proprement dit, il ne s'agit pas d'examiner si un médecin attaché à un établissement a donné des preuves de capacité, d'aptitude ; mais c'est surtout au point de vue de la moralité que le n°4° a été introduit dans l'article 3.

Il pourrait arriver, par exemple, que les médecins attachés à un établissement ne remplissent pas à l'égard des aliénés les devoirs qui leur sont imposés, qu'ils y manquassent même grossièrement; le gouvernement serait sans action aucune, et, comme l'a dit l'honorable M. Lebeau, il s'agit ici d'un individu qui est incapable de protester.

Dans les cas ordinaires, lorsqu'un médecin, contrevenant aux lois et règlements, fournit à un malade un remède de sa composition et qu'un accident s'ensuive, il n'y a pas le moindre doute : le médecin est responsable; si un médecin commet une erreur dans une ordonnance et que, par sa faute, il occasionne la mort d'un malade, il est évident encore qu'il est responsable; mais dans ces cas-là la famille et le malade lui-même, si la mort de celui-ci n'a pas été le résultat de l'erreur du médecin, peuvent réclamer devant les tribunaux des dommages-intérêts; mais ici il s'agit d'aliénés qui sont incapables de protester et sur lesquels doit s'exercer l'action bienfaisante du gouvernement et des pouvoirs établis.

Je persiste donc dans les conclusions de la section centrale, sauf la modification proposée par l'honorable M. Lebeau.

- La discussion est close.

L'amendement proposé par M. de Meester à l'article 3 est de nouveau mis aux voix; il n'est pas adopté.

L'amendement de M. Lebeau à ce même article est rais aux voix; il est adopté.

L'article 3, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.

Article 4

M. de Brouckere. - Messieurs, je sais que, cette fois, je ne rencontrerai pas d'opposition; je viens d'en parler à M. le ministre de la justice. Il s'est glissé une anomalie dans l'article 4. Il y est dit que, si un établissement est supprimé, les aliénés qui s'y trouveront seront envoyés, soit dans leur famille, soit dans un établissement autorisé ; je demande qu'on efface les mots « soit dans leur famille », soit, qu'on se borne à dire : « seront envoyés dans un établissement autorisé. »

Si les familles veulent réclamer la liberté de quelques-uns des reclus, elles le feront comme s'ils étaient restés dans l'ancien établissement; mais vous ne pouvez pas vouloir que des individus colloques aux termes de l'article 95 de la loi communale , puissent être mis, même momentanément, en liberté, s'ils sont dangereux pour la sécurité publique. Il est d'autant plus nécessaire de ne pas laisser d'alternative, que, d'après le projet, celle-ci est abandonnée à ceux qui supportent les frais d'entretien, et qu'il arrive souvent qu'un insensé est colloque par l'autorité publique, tandis que c'est la famille qui supporte les frais d'entretien.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je me rallie à la suppression proposée.

- L'amendement de M. de Brouckere est adopté.

L'article 4, ainsi amendé, est également adopté.

Chapitre II. Du placement des aliénés dans les établissements et de leur sortie

Section première. De l'admission dans les établissements d'aliénés
Article 12

M. le président. - Nous reprenons l'article 12 auquel M. de Brouckere a proposé une modification.

M. de Brouckere. - J'ai proposé de rédiger cet article de la manière suivante :

(page 667) « Le gouvernement traitera avec un établissement pour le placement, etc. » Car il n'y a pas d'établissement public.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il n'y a en effet que des établissements communaux ou privés ; le projet avait été rédigé dans la supposition que des établissements publics seraient créés. C'est ce qui fait que cette expression se trouve dans l'article.

L'article 12, tel que M. de Brouckere propose de l'amender, est mis aux voix; il est adopté.

Section II. De la sortie des établissements d'aliénés
Article 13

« Art. 13. Lorsque le médecin de l'établissement aura déclaré sur le registre tenu en vertu de l'article 21, que la guérison est opérée, le chef de l'établissement en donnera immédiatement avis par écrit à celui sur la demande duquel l'aliéné a été admis, ainsi qu'aux personnes et aux autorités qui ont été informées de son admission aux termes de l'article 10.

« Cinq jours après l'envoi de ces avis, la personne déclarée guérie sera mise en liberté sur l’ordre du bourgmestre de la commune, qui lui délivrera une feuille de route tenant lieu de passeport. »

M. de Brouckere. - Messieurs, je disais tout à l'heure qu'on avait soumis le personnel des médecins à l'approbation de la députation permanente, pour leur donner un pouvoir exorbitant. Je trouve, en effet, ce pouvoir qu'on leur donne par l'article 13 exorbitant. Quoi, deux médecins légistes auront examiné un insensé et auront déclaré qu'il est dangereux pour la sûreté publique et pour sa sûreté personnelle de le laisser libre, et il dépendra d’un médecin seul, isolé dans un établissement d’aliénés, d’ordonner par u certificat qu’il soit mis en liberté ; et cinq jours après, le bourgmestre, devenant l’instrument du médecin, rôle assez sot pour le dire en passant qu'on lui fait jouer, devra ratifier l'ordonnance.

Je comprends tout le respect qu'on doit avoir pour la liberté individuelle, tous les ménagements qu'on doit prendre quand il s'agit d'y porter atteinte, mais tous ces ménagements sont pris. Il est stipulé plus loin qu'en tout temps les reclus auront le droit de s'adresser à l'autorité; et, pour prévenir les abus, les attentats à la liberté individuelle, il est fait défense par l'article 35, auquel on a oublié à l'article 38 de donner une sanction pénale, il est défendu, dis-je, à tout préposé, directeur, médecin, etc. d'établissements d'aliénés de supprimer ou retenir aucune requête aucune réclamation. En donnant à cette défense la sanction pénale qui est nécessaire, il n'y a pas de danger qu'il y ait des abus.

Si vous voulez donner un pouvoir au médecin, donnez au moins à l'autorité administrative un délai de plus de cinq jours, faites en sorte que l'autorité communale qui a fait colloquer l'individu, que le procureur du roi qui l'a poursuivi, aient le temps de faire une contre-visite, une contre-expertise, afin de ne le mettre en liberté qu'autant que la sécurité publique le permette.

M. le président. - Que proposez-vous?

M. de Brouckere. - La suppression de l'article.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Cette disposition a été introduite dans l'intérêt de la liberté. Quand un individu a été colloqué dans un établissement d'aliénés et que sa guérison est reconnue, il ne peut pas être retenu un moment de plus; on a pensé qu'il suffisait, pour constater la guérison, du certificat du médecin de l'établissement qui doit inspirer toute confiance, puisque la nomination devra être approuvée par la députation et le gouvernement, et l'on ne doit pas supposer que ce médecin puisse attester légèrement la guérison et délivrer un certificat de mise en liberté ; je pense donc qu'il serait contraire au principe de la liberté individuelle, quand un médecin préposé à la direction d'un établissement d'aliénés déclare un individu guéri, que l'on pût le retenir un jour de plus sous prétexte de le soumettre à une contre-visite, de provoquer une expertise ou de faire vérifier de plus près son état mental par une autre autorité. D'ailleurs si, après la mise en liberté de l'individu , il se trouvait, ce qui arrivera très rarement, que le médecin se fût trompé, il serait toujours possible de prendre de nouvelles mesures pour colloquer de nouveau l'aliéné dans l'établissement dont il serait sorti.

- L'article 13 est mis aux voix et adopté.

Articles 14 à 16

« Art. 14. Cependant le mineur, l'interdit, ou celui dont l'interdiction est provoquée, ne seront remis qu'à la personne sous l'autorité de laquelle ils sont placés par la loi.

« Les prévenus, accusés ou condamnés et les détenus pour dettes séquestrés dans les cas du n°4 de l'article 7 et de l'article 12, seront mis à la disposition du fonctionnaire qui aura donné l'ordre d'admission. »


« Art. 15. Avant même que le médecin de l'établissement ait déclaré la guérison, toute personne retenue dans un établissement d'aliénés pourra toujours en être retirée par ceux qui l'y ont placée, sauf les cas de minorité ou d'interdiction dans lesquels ce droit n'appartiendra, d'après les circonstances, qu'au tuteur, au curateur ou à l'administrateur provisoire, sans préjudice du droit du ministère public.

« Toutefois, si l'aliéné est indigent, il sera agi à son égard d'après le prescrit de l'article 17 de la loi du 18 février 1845, sur le domicile de secours. (Bulletin officiel, n° 14.)

« Si le médecin de l'établissement était d'avis que la sortie et le transport 'du malade exigent l'emploi de mesures spéciales, il y sera statué par le collège des bourgmestre et échevins du lieu de la situation de l’établissement.

- Adopté.


« Art. 16. Si, avant l'expiration du délai fixé par le paragraphe 2 de l'article 13, il était fait opposition à la sortie, il y sera statué par la députation permanente du conseil de la province dans laquelle rétablissement est situé.

« Dans les vingt-quatre heures de la sortie, le chef de l'établissement doit en donner avis aux autorités mentionnées à l'article 11, leur faire connaître le nom et la résidence des personnes qui ont retiré le malade, son état mental au moment de la sortie et, autant que possible, l'indication du lieu où l'on se propose de le conduire. »

- Adopté.

Article 17

« Art. 17. En tous cas, le majeur non interdit, retenu dans un établissement d'aliénés , ou toute autre personne intéressée, pourra, à quelque époque que ce soit, se pourvoir devant le président du tribunal du lieu de la situation de l'établissement, qui, après les vérifications nécessaires, ordonnera, s'il y a lieu, la sortie immédiate.

« La décision sera rendue en chambre du conseil, sur requête qui sera, au préalable, communiquée au ministère public et par celui-ci au fonctionnaire ou à la personne qui aura provoqué la séquestration.

« Il sera statué dans la même forme sur l'appel qui pourra être interjeté par la personne séquestrée.

« Tous les actes judiciaires ou] extra-judiciaires à faire dans les cas prévus par l'article 17 seront visés pour timbre et enregistrés gratis. »

M. Lelièvre. - Je pense qu'il convient de remplacer les mots « le majeur non interdit » par les expressions « en tout cas l'individu retenu, etc. » En effet, il s'agit ici de prévenir qu'on ne porte atteinte à la liberté individuelle. Il est donc nécessaire d'accorder no -seulement au majeur, mais aussi au mineur le droit de demander sa mise en liberté. Il est question d'intérêts et de droits personnels que le mineur est habile à faire valoir comme le majeur. Le mineur a évidemment le droit de faire tout ce qui est nécessaire pour sauvegarder sa liberté.

M. Van Hoorebeke, rapporteur. - Il me semble, messieurs, que le changement de rédaction proposé par M. Lelièvre est tout au moins inutile; cela rentrerait à la rigueur dans les mots :« Toute autre personne intéressée.» Un ami même de la personne séquestrée pourrait user du recours ouvert par l'article 17. Il n'y a à cela aucune espèce d'obstacle.

Ce recours est, du reste, exceptionnel et la loi, dans une foule d'autres dispositions, concerne des garanties en faveur de la liberté individuelle.

Le mineur n'a-t-il pas, d'ailleurs, son tuteur; et la responsabilité du chef de l'établissement n'est-elle pas directement engagée dans la question de séquestration illégale?

M. de Brouckere. - Messieurs, la réponse de M. le rapporteur ne détruit pas l'argument présenté par notre honorable collègue de Namur. Tout est, dit l'honorable M. Van Hoorebeke, dans les mots : « Toute autre personne intéressée. » Mais si c'est un tuteur qui a abusé de sa position, qui donc réclamera? Si c'est un mari qui a fait enfermer sa femme, qui réclamera? Je crois qu'il faut se rallier à l'amendement de l'honorable M. Lelièvre. Le président du tribunal avisera; mais il ne faut défendre à personne de réclamer.

M. Lelièvre. - L'honorable M. Van Hoorebeke me semble perdre de vue le véritable sens des mots « et toute autre personne intéressée », expressions qui ne s'appliquent qu'aux parents et amis de l'individu retenu et non pas à celui-ci même. La lecture de la disposition que nous discutons démontre que telle est la vraie portée des mots en question. Sous ce rapport, mes premières observations restent debout, et il est impossible de ne pas accorder, même au mineur, le droit de solliciter son élargissement.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Les observations faites par l'honorable M. Lelièvre et le changement qu'il demande sont favorables à la liberté, et je ne vois aucun inconvénient à ce que l'amendement de l'honorable membre soit adopté. Seulement, je crois qu'il conviendrait de dire :

« Toute personne non interdite, retenue dans un établissement d'aliénés, ou toute autre personne intéressée pourra, etc. » (Le reste comme dans l'article.)

M. Lelièvre. - Je me rallie à cette rédaction.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il y a un autre changement à faire : au lieu de dire : « prévus par l'article 17, » il faudrait dire : « prévus par le présent article. » C'est au dernier paragraphe.

Ce paragraphe appartenait à l'article 25 du projet primitif, et la section centrale l'a transféré à l'article 17. Elle a très bien fait: mais ce déplacement nécessite la modification que je viens d'indiquer.

- L'article 17, tel qu'il a été modifié par MM. Lelièvre et le ministre de la justice, est mis aux voix et adopté.

- La séance est levée à 4 heures et demie.

Séance suivante