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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 30 janvier 1850

Séance du 30 janvier 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 597) M. Dubus procède à l'appel nominal à une heure et quart.

La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs propriétaires et cultivateurs de la commune de Hoeleden déclarent adhérer aux observations présentées par les habitants de Tirlemont, contre le projet de loi sur les denrées alimentaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Clermont prie la chambre de rejeter toute augmentation de droit sur les céréales étrangères, ou du moins de n'admettre la perception du droit augmenté que sur les céréales étrangères déclarées en consommation. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Plusieurs cultivateurs et industriels à Eppeghem demandent une augmentation du droit d'entrée sur les céréales. »

- Même dépôt.


« Le conseil communal de Crehen demande que les céréales étrangères soient soumises au droit d'entrée de 3 fr. par hectolitre. »

- Même dépôt.


« Le conseil communal de Villers-le-Peuplier demande que le froment étranger soit soumis à un droit d'entrée de 2 fr. 50 par hectolitre. »

- Même dépôt.


« Plusieurs habitants de Hasselt demandent un droit protecteur en faveur de l'agriculture. »

- Même dépôt.


M. le ministre des travaux publics adresse à la chambre 125 exemplaires du second cahier du tome VIII des Annales des travaux publics.

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque,

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion générale

M. le président. - Avant de donner la parole au premier orateur inscrit, je vais donner connaissance à la chambre des nouveaux amendements déposés sur le bureau; ils seront développés suivant l'ordre de parole de leurs auteurs. Je propose dès à présent de les faire imprimer. (Adhésion.)

Voici ces amendements :

Celui de M. de Brouwer de Hogendorp, qui est un sous-amendement à celui de M. de Brouckere, est ainsi conçu :

« Les sommes que produiront les droits établis par la présente loi seront spécialement appliquées au perfectionnement de la voirie vicinale, sans préjudice aux crédits alloués à cet effet au budget de l'intérieur »

L'amendement de M. Sinave, qui est une nouvelle rédaction de l'article premier, porte ce qui suit :

Rédiger de la manière suivante l'article premier du projet de la section centrale.

« A partir du 15 février 1850, jusques et y compris le 31 décembre 1854, le froment, le seigle, l'avoine, le sarrasin, le maïs, les vesces, les pois, l'orge, et les graines oléagineuses, à l'exception de la graine de lin à semer, seront soumis à l'entrée à un droit d'un franc, et les farines à un droit de quatre francs cinquante centimes les cent kilogrammes.

« Le gouvernement pourra pendant le terme fixé réduire jusqu'à cinquante pour cent les droits à l'entrée, soit partiellement ou sur tous les articles spécifiés ci-dessus, avec l'obligation de soumettre la loi à un nouvel examen des chambres à la session suivante. »

M. Jullien. - Messieurs, bien que le débat soit déjà très avancé, je demande à la chambre la permission de lui soumettre les considérations qui m'ont déterminé à présenter l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer et qui a été distribué à chacun de vous.

La discussion a amené le libre-échange dans une lutte ouverte avec le système des droits protecteurs. Il est bon, messieurs, de rappeler, il est bon de mettre sommairement en relief les principes qui ont été présentés en faveur de l'un et l’autre systèmes, afin que l'on puisse apprécier la distance qui les sépare et surtout juger jusqu'à quel point ces principes peuvent exercer de l'influence sur la loi actuelle.

Le libre-échange, pour lequel le gouvernement paraît témoigner quelque sympathie, a des partisans dont les idées sont bien différentes; les uns veulent la liberté commerciale absolue, simultanée, illimitée pour toutes les industries. C'est un rêve; mais c'est le rêve d'hommes logiques et consciencieux. D'autres, que j'appellerai des échangistes mixtes, des apôtres timides, cauteleux du libre-échange, ceux-là, messieurs, maintiennent l'alliage impur des droits protecteurs avec le principe de la liberté commerciale.

Ils demandent le statu que des droits protecteurs en faveur de l'industrie manufacturière et l'expérimentation du libre-échange sur l'agriculture, fùt-ce même aux dépens de l'agriculture. Il faut tenir compte, nous disent-ils hautement, il faut tenir compte des faits; il faut surtout tenir compte de la possession qui est acquise à l'industrie manufacturière. Nous consentirons un jour, ajoutent-ils, à l'abaissement graduel des droits qui protègent l'industrie manufacturière. Mais le moment n'est pas encore arrivé, le moment n'est pas opportun. Laissez-nous jouir en paix; ne venez pas, vous, défenseurs de l'industrie agricole, demander une part du gâteau.

Système bâtard ! répondent les protectionnistes. Système bâtard, répondent l'honorable M. Tesch et avec lui les honorables MM. de Luesemans et Tremouroux, que celui qui implique un régime de faveur pour une industrie, un régime illibéral pour une autre.

Le titre de possession de l'industrie manufacturière n'est pas directement contesté par les défenseurs de l'industrie agricole. Aussi n'est-ce pas l'éviction de cette possession qu'ils poursuivent; ce qu'ils demandent c'est de pouvoir posséder au même titre.

Enfin l'agriculture, dans le système des protectionnistes, demande un droit qui lui assure un prix rémunérateur de la production.

Voilà, je pense, en résumé, les principes culminants des deux systèmes. De ces principes, de l'attitude des contradicteurs, du caractère politique des défenseurs des deux industries, je tire plusieurs conclusions.

La première, c'est que parmi les défenseurs du libre-échange, soit purs, soit mixtes, parmi les détracteurs des droits protecteurs, il n'en est pas un seul qui vienne vous proposer le plus léger abaissement sur les droits qui protègent l'industrie manufacturière, sur ceux-là mêmes qui, de l'aveu d'une grande partie des membres de cette chambre, sont évidemment exorbitants. Tous sont d'avis de saper l'édifice, dans une époque plus ou moins rapprochée. Mais personne ne propose d'en détacher la première pierre.

Une autre conséquence que je déduis de l'opposition des deux systèmes (et c'est une conséquence qui m'afflige), c'est qu'entre deux industries qui sont unies par un lien commun, qui toutes deux sont les sources du travail national, il existe une rivalité déplorable, rivalité déplorable à laquelle le gouvernement devrait mettre un terme, en donnant un juste apaisement aux intérêts agricoles.

Ce devoir du gouvernement de venir en aide à l'industrie agricole, ce devoir devient plus impérieux, en présence de la situation des partis dans cette chambre. Qu'avons-nous vu, il y a quelques jours? Nous avons vu le gouvernement demandant et acceptant avec reconnaissance le concours des membres de l'ancienne droite, lorsqu'il s'agissait du budget de la guerre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le concours de tout le monde.

M. Jullien. - Que voyons-nous aujourd'hui? Nous voyons ces mêmes hommes de l'ancienne droite, soutenus par des partisans du jeune libéralisme, se tourner contre le ministère dans une question vitale, dans la question des céréales.

Loin de moi la pensée de transformer la discussion actuelle en une discussion politique. Je constate des faits ; j'en indique la gravité; je laisse au ministère à en mesurer les conséquences.

Vous dirai-je maintenant, messieurs, quelle est mon opinion dans la discussion actuelle? La voici en deux mots: « Assurer, au moyen d'un droit modéré sur l'entrée des céréales, une ressource nouvelle au trésor, sans fermer l'accès de nos marchés aux céréales étrangères. » C'est assez vous dire que je mets à l'écart du débat et les doctrines du libre-échange et les doctrines des protectionnistes.

La liberté commerciale, messieurs, ne veut pas de droit de douane. Le gouvernement, en consentant l'année dernière à asseoir un droit de douane de 50 centimes sur l'entrée des céréales, a abandonné le premier le terrain du libre-échange. Les défenseurs du libre-échange, qui aujourd'hui consentent à augmenter ce droit quoique dans une proportion faible, l'abandonnent de plus près encore.

Ce n'est donc pas, messieurs, ainsi que du reste vous l'a dit avec beaucoup de raison l'honorable ministre des finances dans votre séance d'hier, ce n'est pas par des considérations tirées du libre-échange qu'il faut juger la question des céréales.

Devons-nous la juger à l'aide de considérations tirées du système de droits protecteurs? Je ne le crois pas non plus.

Que vous demandent les protectionnistes? Ils vous demandent d'assurer à la production agricole un prix rémunérateur.

Eh bien, moi aussi, messieurs, je le désire aussi ardemment que personne; je désire aussi ardemment que personne que l'agriculture puisse retirer un prix rémunérateur de ses produits. Mais ce résultat n'est possible qu'à la condition que la loi pourrait réglementer ce prix. Or, tout le monde est d'accord qu'une loi ne pourra jamais réglementer le prix des céréales. Ce prix se lie à des fluctuations qui ne sont pas du domaine de la législature.

Pour moi, messieurs, il est un fait qui domine toute cette discussion : c'est que la Belgique ne produit pas des céréales en quantités suffisantes pour les besoins de la consommation intérieure. En présence de ce fait admis par tous les membres qui siègent dans cette enceinte, la concurrence des céréales étrangères est et restera une nécessité; elle sera toujours un bienfait.

(page 598) Cette concurrence doit donc rester ouverte. Mais, à mon avis, elle peut rester ouverte avec un droit modéré supérieur à 50 centimes. Mais ce droit, nous a dit l'honorable ministre des finances, ce droit serait un impôt sur la nourriture du peuple ! Cet impôt aurait un caractère odieux. Il y a des matières imposables préférables. Parmi ces matières imposables, vous avez le droit sur les successions en ligne directe. Quoi que vous fassiez, vous a-t-on dit, la loi sur l'impôt des successions en ligne directe passera ; elle passera le jour où je viendrai vous apporter un projet de loi proposant une réduction de 25 centimes sur le sel et proposant en même temps l'établissement d'un droit de 1 p. c. sur les successions en ligne directe.

Je dois le dire, messieurs, j'ai été péniblement impressionné de ce langage dans la bouche d'un homme d'Etat. J'y vois, au fond, quelque chose qui ressemble à une menace. Eh bien, qu'il me soit permis de le dire au cabinet; le jour où il voudra procéder par voie d'intimidation envers la chambre, le pouvoir qu'il tient en main se brisera.

Y a-t-il, je vous le demande, messieurs, aucun de nous qui veuille un impôt sur la nourriture du peuple ? Ne voulons-nous pas tous , avec tous les amis de l'humanité, que le pauvre puisse toujours avoir ses subsistances à bon marché? Je repousse de toutes mes forces le reproche qui a été adressé aux membres de cette chambre partisans d'un droit de douane, de vouloir frapper un impôt sur le pain du peuple. Que si ce reproche pouvait nous être adressé, ne serions-nous pas en droit de le renvoyer au ministère ? Ne serions-nous pas en droit de dire au ministère ; Vous nous accusez de vouloir prélever un impôt sur la nourriture du peuple, alors que vous percevez sur les farines, qui, elles aussi, entrent dans la consommation alimentaire du peuple, un droit de 2 fr. 50 c.

Messieurs, j'ai dit que, dans mon opinion, un droit de douane modéré sur l'importation des céréales étrangères ne fermera pas l'accès de vos marchés aux céréales étrangères.

Je crois que le gouvernement ne peut guère contester ce fait; il pourrait le contester, s'il venait nous démontrer que le droit de 50 centimes est la limite extrême.

Or, ce droit de 50 centimes n'est pas la limite extrême. Ce droit peut être dépassé. Ce qui le prouve, c'est que le ministère reconnaît lui-même que dans les années de récolte abondante, et dans les années de récolte ordinaire, le droit proposé par l'honorable M. Coomans ne serait pas même un droit protecteur. Vous reconnaissez donc la possibilité d'un droit plus élevé; et si vous reconnaissez la possibilité d'un droit plus élevé, pourquoi le refusez-vous contrairement à l'intérêt du trésor, de ce trésor qui a perdu tant de ressources précieuses depuis les événements de février?

Mais, messieurs, où serait l'inconvénient d'asseoir un droit de douane modéré sur l'importation des céréales étrangères? Si un inconvénient peut se produire, ce serait dans les années où il y aura manque de récoltes; eh bien alors, ou les chambres seront assemblées, et dans ce cas-là, elles feront à l'instant même cesser ce qu'il y aura de mauvais dans le droit ; ou les chambres ne seront pas assemblées, et dans cette hypothèse mon amendement donne au gouvernement la faculté de réduire le droit de manière à ce que, dans aucun cas, il ne puisse peser sur l'alimentation des classes pauvres.

Je vais beaucoup plus loin, et sous ce rapport mon amendement témoigne que je n'ai pas la moindre pensée d'asseoir un impôt sur les denrées alimentaires, puisque je veux donner au gouvernement le droit de prohiber à la sortie les denrées alimentaires en cas de disette, et dans des circonstances exceptionnellement mauvaises.

Messieurs, je crois que nous devons accorder ce droit au gouvernement. Le salut public a toujours été la suprême raison, la suprême loi des nations.

C'est une vieille erreur, vous a dit l'honorable M. Lebeau, que de soutenir que le gouvernement devrait conserver le droit de prohiber la sortie des denrées alimentaires ; c'est une atteinte à la propriété, c'est une expropriation sans indemnité aucune.

Je reconnais en principe que le droit de propriété doit entraîner le droit de disposer des choses dans les conditions les plus larges; mais ce dernier droit a une limitation ; il ne peut s'exercer que sous les réserves que notre législation civile y apporte. Or, nous vivons sous une législation civile qui déclare que tout ce qui est dans le commerce peut être vendu, à moins que des lois particulières n'en aient prohibé l'aliénation; et pour rester sur le terrain des céréales, l'honorable M. Lebeau ne se rappelle-t-il pas qu'il a existé une ancienne loi française qui défendait la vente des grains en vert sur pied?

Messieurs, le droit de prohiber la sortie des denrées alimentaires n'est pas, comme on l'a prétendu, une confiscation, puisque le producteur indigène conserve le droit de disposer de sa chose dans le rayon de l'Etat auquel il appartient. On m'objectera qu'il aura passé des transactions qui l'obligeront à exporter des céréales qu'il aura vendues et que la prohibition de la sortie le mettra dans l'impossibilité d'exécuter les ventes qu'il aura faites.

Je réponds à cette objection que de semblables engagements viendront à tomber devant la loi prohibitive de la sortie, qui sera un événement de force majeure pour les parties contractantes.

Si c'est une vieille erreur, comme l'a prétendu l'honorable M. Lebeau, que d'autoriser le gouvernement à prohiber la sortie des denrées alimentaires, alors je lui dirai qu'il a singulièrement contribué, lui vétéran parlementaire, à propager cette erreur, car en 1845, l'honorable M. Van de Weyer, sans qu'il existât de loi qui le lui permit, avait prohibé, dans un intérêt de salut public, la sortie des denrées alimentaires.

L'honorable M. Lebeau, que je sache, ne s'est pas opposé à la ratification de cet acte posé par M. Van de Weyer. Depuis 1845, chaque année, l'honorable M. Lebeau a voté les lois qui donnent au gouvernement le droit de prohiber la sortie des denrées alimentaires; je puis donc lui dire à bon droit. Si c'est une erreur, vous l'avez partagée pendant bien longtemps.

Messieurs, une des parties de mon amendement a trait à l'assiette du droit lui-même. Ainsi que je vous l'ai dit, je suis partisan d'un droit modéré, mais je repousse un droit uniforme. La boussole des droits de douane en règle générale , c'est la valeur des objets importés ; il ne serait pas juste de faire payer à l'importateur d'une denrée qui ne vaut que 12 fr. le même droit que vous demanderez à l'importateur d'une denrée d'une valeur de 24 francs. Je pense que ce principe ne sera contesté par personne.

Mon amendement touche encore l'assiette du droit sur le bétail.

La section centrale vous a proposé le retour à l'ancien système de perception au poids sur le bétail ; elle vous l'a proposé dans un but que j'approuve.

Il faut favoriser l'élève du bétail de race étrangère, dans l'intérêt de l'amélioration de la race indigène elle-même. Les éleveurs préféreront toujours introduire du bétail maigre, lorsque le bétail ne payera le droit qu'au poids, plutôt que du bétail gras. Du reste, le bétail gras a toujours de fait une valeur supérieure à celle du bétail maigre. A ce point de vue encore, il est équitable de ne pas percevoir le droit sur le bétail par tête, comme le propose M. Bruneau.

Mais si j'approuve le but de la section centrale qui propose de revenir à l'ancien système de la perception du droit sur le bétail au poids, je n'approuve pas le retour complet à l'ancien système. Je crois qu'il est reconnu que les droits qui frappaient le bétail à l'entrée sous l'ancien système étaient trop élevés. Si vous voulez que l'éleveur de bétail indigène puisse se procurer du bétail étranger, il faut le mettre à même de s'en procurer à l'aide d'un droit modéré.

Messieurs, ce que je veux avant tout au moyen de l'amendement que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre, c'est une législation définitive en matière de céréales. Je désire cette législation définitive avec l'honorable M. Osy ; je la désire dans l'intérêt du commerce, dans l'intérêt de la stabilité des transactions commerciales en céréales; comme l'honorable M. Osy, je demande une loi définitive en vue de favoriser, pour les éventualités fâcheuses, des approvisionnements de grains en entrepôt ; mais je la demande encore à un autre point de vue. Je suis ennemi, je le déclare, de toutes ces lois provisoires, temporaires, transitoires; je les déteste, parce qu'elles éloignent toute fixité dans une législation ; je les déteste, parce qu'elles accusent toujours chez leurs auteurs un défaut de système.

Enfin, messieurs, si je veux une loi définitive, je la veux principalement aussi dans l'intérêt de la tranquillité du pays qui s'émeut du renouvellement de discussions périodiques sur les céréales; ces discussions attisent, nourrissent malheureusement l'antagonisme des campagnes contre les villes.

Plus je vois, messieurs, avec bonheur les divisions de catholiques et de libéraux, qui ont si profondément remué le pays, disparaître insensiblement, plus je vois avec anxiété poindre un fractionnement qui peut avoir des conséquences non moins fatales. Je vois avec anxiété éclore dans le pays le parti des villes et le parti des campagnes. C'est une situation sur laquelle j'appelle l'attention sérieuse du cabinet. Elle révèle un danger réel; je l'engage à le conjurer de tous ses efforts.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je vous y engage aussi. Ce n'est pas nous qui provoquons cette discussion.

- M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.

M. de Theux. - Dans toutes les questions de tarif, il faut combiner et les leçons de l'expérience et les leçons de la théorie. Mais dans le doute, il faut toujours donner la préférence à celles de l'expérience. Une chose étonne profondément dans ce débat, c'est qu'en Belgique, pays essentiellement agricole, il y ait, pour l'agriculture, plus de difficulté à obtenir une protection modérée que dans le royaume des Pays-Bas. En effet, consultons la législation de ce royaume, soit pendant la réunion de la Belgique avec la Hollande, soit depuis la séparation. Toujours, constamment, nous y trouvons l'agriculture plus protégée qu'elle ne l'est aujourd'hui en Belgique. Et cependant les Pays-Bas sont un pays essentiellement commerçant; sa prospérité repose sur le commerce et la navigation ; l'agriculture y occupe un rang secondaire.

Les étals généraux des Pays-Bas accordèrent un droit sur le froment : en 1822 de fr. 65 c. par 100 kilog., en 1825 de fr. 2 11 et en 1826 de fr. 2 38.

En 1827 il a été également établi des droits considérables sur l*importation de l'orge, de l'avoine et d'autres denrées.

Ces lois subsistèrent, même après la séparation. Ce n'est qu'en 1833 que le commerce l'emporta de nouveau sur l'agriculture. Les états généraux de Hollande réduisirent alors le droit à 25 centimes par 100 kilog. de froment. Mais ce triomphe fut éphémère; il fut suivi d'une réaction plus profonde. La loi de 1835 établit pour les Pays-Bas un droit à échelle mobile. Et ce droit quel est-il? 2 fr. 63 c. par 100 kilog. lorsque le prix est de 16 fr. 94 c. à 11 fr. 85 c.

Ce droit eût été applicable dans les circonstances actuelles, puisque le prix est aujourd'hui de 15 fr. 86 c.

En 1847, au flagrant de la crise alimentaire, alors que l'Angleterre (page 599) venait de modifier si profondément sa législation, demanda-t-on en Hollande, comme en Belgique, la suppression de tout droit sur les céréales?

Non. Un droit de 75 c. sur le froment de 60 c. sur le seigle remplaça l'échelle mobile, établie en 1835.

Et ici, depuis 1845 jusqu'au 31 décembre 1848 la protection fut complètement enlevée à l'agriculture. C'était une concession faite à la nécessité des circonstances.

Mais, qui l'aurait cru? En reconnaissance de ce sacrifice, le gouvernement proposa, pour l'année 1849, quoi? Rien; la continuation du libre-échange. Ce fut en suite d'un vote formel de la chambre qu'il fut établi, pour l'année 1849, un droit de 50 cent. Et pour l'année 1850, que vous propose le gouvernement? Un droit provisoire de 50 c. La section centrale, elle, vous propose un droit également provisoire, mais un droit d'un franc.

Et voilà les propositions que l'on combat avec tant de vivacité.

Il est vrai que les amendements tendent à porter le droit à 1 fr. 50 c. mais aussi comme droit définitif.

En Hollande, les droits fixes sont des droits réellement fixes, c'est-à-dire qu'on ne les supprime pas, quel que soit le prix des denrées alimentaires. Jamais en Hollande, les lois sur les céréales ne sont suspendues ; et jamais l'exportation des céréales n'est interdite.

Vous le voyez donc, à quelque époque que vous preniez la législation hollandaise, elle est infiniment plus protectrice de l'agriculture que ne l'est le système que défend aujourd'hui le gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. de Theux. - Dans la séance du 30 avril 1847, alors que le prix du froment était de 40 fr. l'hectolitre, que vous disait l'honorable M. Rogier?

« Si en 1834 nous étions restés dans le système d'un droit fixe modéré, n'est-il pas évident que le trésor aurait pu, sans que la consommation en eût beaucoup eu à souffrir, recevoir des sommes très considérables?

« Voulez-vous en juger par un exemple? Voyons l'importation de 1845 et 1846.

« En voici le relevé :

« L'honorable M. Osy a donné le relevé en hectolitres ; le voici en kilogrammes, d'après le Moniteur, avec l'indication de ce qu'aurait produit un faible droit de 10 fr. par mille kilog.

« Mais le calcul prouvait qu'il aurait produit 3,789,000 fr., et l'on conviendra, qu'un tel droit de 10 fr. par mille kilog. n'a rien d'exorbitant, et qu'il n'exercerait qu'une très faible influence sur le prix des consommations.

« Ces quantités ont été introduites, et le trésor n'a reçu aucune somme de ce chef; cependant il a grand besoin d'argent. »

Messieurs, je combattis alors cette opinion et je la combats encore aujourd'hui. Quelques reproches qu'on ait adressés plusieurs fois aux 21 membres de l'ancienne chambre qui ont fait la proposition d'introduire en Belgique les droits existant sur les céréales en France, comme constituant une proposition exorbitante, je dois le dire, dans mon opinion, la législation française est, pour le consommateur comme pour l'agriculteur, beaucoup plus favorable que le système d'un droit fixe perçu impitoyablement, quelle que soit l'élévation du prix des denrées alimentaires. J'ai prouvé alors et je le prouverais encore si le temps nous le permettait, que l'introduction de la loi française en Belgique n'avait d'autre but que de parer aux fraudes auxquelles la loi de 1834 permettait encore une ouverture, mais qu'en réalité elle n'aggravait en aucune manière la législation alors existante en Belgique et acceptée pendant longtemps comme bienfaisante pour le pays.

Messieurs, je le dis sans détour, s'il ne s'agissait dans cette discussion que des grands propriétaires et des grands cultivateurs, je me rallierais à l'instant à l'opinion qu'émettait l'honorable M. Rogier dans la séance du 30 avril 1847.

Oui, messieurs, le droit d'un fr. par 100 kilog comme droit permanent, combiné avec la libre exportation subsistant en toutes circonstances, serait un droit suffisamment protecteur pour la classe des propriétaires aisés et des grands cultivateurs. Il ne nuirait non plus en aucune manière au consommateur aisé. Mais cet intérêt, quelque respectable qu'il soit, doit céder devant un intérêt plus grand, celui du grand nombre des cultivateurs qui se trouvent dans une situation peu aisée, et celui du grand nombre de consommateurs qui, eux, n'épargnent pas dans les jours heureux pour les temps de disette.

Rien, messieurs, n'est à redouter pour le petit cultivateur, comme les prix excessivement bas et les prix excessivement hauts des denrées alimentaires. Dans l'une et l'autre situation le petit cultivateur est ruiné. Lorsque les prix sont bas, il ne trouve pas dans la vente de ses grains de quoi payer son loyer qui aujourd'hui est généralement établi en argent. Lorsque les prix sont excessivement élevés, c'est la conséquence de mauvaises récoltes; et alors le petit cultivateur n'a pas une récolte suffisante pour sa propre consommation, l'entretien de son bétail et le payement de ses fermages. La situation est donc également désastreuse pour lui dans l'un et l'autre cas.

Mais le grand cultivateur a toujours un excédant à porter au marché dans les années de détresse, et il a assez de crédit, assez de ressources pour conserver ses grains en greniers dans les années d'abondance.

Le gouvernement, messieurs, ne veut plus de la loi de 1834. Dans son opinion, elle protégeait trop fortement l'agriculture, elle gênait le commerce.

Deux systèmes sont en présence dans cette discussion. Les uns veulent continuer à suspendre la loi de 1834 par une loi temporaire. Telle est l'opinion de la section centrale. Les autres veulent l'abroger définitivement et la remplacer par une autre loi permanente, par un droit fixe.

Le gouvernement aussi, messieurs, nous a proposé une loi provisoire. Mais quant au but, il diffère essentiellement avec la section centrale Le gouvernement vous propose une loi provisoire, afin d'accoutumer le pays à un droit insignifiant qui ne renferme aucune protection pour l'agriculture et à l'abolition duquel il consentirait volontiers dans une autre session. La section centrale vous propose une loi provisoire dans la pensée que l'abaissement du prix des denrées alimentaires n'est pas encore arrivé à son dernier degré et qu'une protection plus forte pourra être obtenue ; et, messieurs, cette opinion a quelque apparence de fondement. Car on voit les prix baisser de mercuriale en mercuriale, et qui nous dit ce qui en adviendra lorsque la navigation sera libre, lorsqu'elle ne sera plus entravée par les rigueurs de l'hiver ?

La loi que nous allons porter, messieurs, sera-t-elle qualifiée de définitive ou de provisoire ? Je n'en sais rien encore ; les opinions ne se sont pas encore assez dessinées à cet égard.

Mais ce que je ne crains pas de dire, c'est qu'alors même que la loi serait qualifiée de définitive, elle ne le sera pas en réalité. Si le prix des denrées alimentaires continue à baisser, si l'on en revient à la situation des années 1822, 1823, 1824, je n'hésite pas à le dire, messieurs, le ministère n'est pas assez puissant dans cette chambre pour arrêter la proposition d'un droit plus élevé. Si, d'autre part, ce qu'à Dieu ne plaise, le prix des blés venait à s'élever comme en 1816 et 1817, comme en 1846 et 1847, le ministère n'aurait pas assez de pouvoir pour maintenir le droit protecteur fixe, fùt-il d'un franc, fùt-il de 1 fr. 50.

Voyons, messieurs, ce qu'il advient des lois que l'on qualifie de définitives et qui établissent un droit fixe. De 1822 à 1847, six lois différentes établissent six droits fixes différents dans le royaume des Pays-Bas. L'échelle mobile, au contraire, établie en 1835, à l'imitation de celle de Belgique établie en 1834, dure douze ans.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Avec douze changements. Il y a eu des changements tous les ans.

M. de Theux. - Messieurs, c'est inexact! Je vous ai cité l'opinion de l'honorable M. Rogier en 1847 sur un droit fixe. J'oubliais de vous parler d'un autre fait, qui est peut-être encore plus important; il concerne la ville de Gand, la métropole industrielle de la Belgique. Vous le savez, messieurs, c'est au nom de l'industrie, c'est dans l'intérêt des ouvriers des manufactures que l'on proteste contre des droits sur les céréales étrangères. Et savez-vous de quel droit est frappée la farine de froment dans la ville de Gand? D'un droit de 1 fr. 70 c. par hectolitre, pesant 80 kilogrammes.

Et sur quel blé frappe ce droit? Est-ce sur le blé étranger? Non, c'est sur le blé indigène. Le ministère repousse toute espèce de recette, ou à peu près, résultant de l'entrée des céréales étrangères, alors même que cet impôt serait payé pour la plus grande partie par le cultivateur français, allemand, russe, américain, peu lui importe; et la ville de Gand n'hésite point à prélever depuis un temps presque immémorial, un droit de 1 fr. 70 cent, sur 80 kilog. de froment. (Interruption.) Cet impôt a été autorisé par le gouvernement des Pays-Bas, et il n'appartient pas au gouvernement, d'après la législation existante, de modifier en aucune manière les octrois des villes lorsqu'ils ont été une fois approuvés.

Et savez-vous, messieurs, à quelle recette donne lieu le droit perçu par l'octroi de Gand? Il donne lieu à une recette d'environ 400,000 fr., à peu près le quart du revenu total de la ville.

Dira-t-on que le froment est une nourriture de luxe? Non, messieurs; dans une ville manufacturière comme la ville de Gand le froment est un objet de première nécessité pour les ouvriers. Le froment est un objet de première nécessité pour les ouvriers industriels, pour les ouvriers des fabriques. Ils ne peuvent point se nourrir de pain de seigle; ils y perdraient la santé.

Ce droit, pensez-vous, messieurs, qu'il ait été suspendu pendant les années calamiteuses de 1846 et 1847? En aucune manière. La question fut agitée au sein du conseil communal, mais le droit fut maintenu.

J'appelle l'attention de la chambre sur le point capital du débat. On a, messieurs, cherché à égarer l'opinion publique sur le vrai point de départ de cette discussion; on a représenté les défenseurs des intérêts agricoles comme demandant une protection nouvelle.

Eh bien, messieurs, tel n'est point l'état de la question : il ne s'agit point d'établir une protection nouvelle, il s'agit de supprimer ou de modifier profondément la protection établie par la loi de 1834.

Cette loi, messieurs, n'est point abolie. J'ai consulté les textes. Vous ne trouverez nulle part la moindre mention de l'abolition de cette loi. Il est vrai que des lois temporaires ont suspendu momentanément la loi de 1834, mais la suspension momentanée cesse ses effets à l'expiration du terme pour lequel elle a été décrétée, et alors la loi permanente reprend toute sa vigueur.

Il s'agit donc, non pas d'établir une protection nouvelle, mais de modifier ou d'abolir la protection établie par la loi de 1834. Le gouvernement lui-même n'a jamais hésité sur cette opinion ; c'est en vertu de cette loi que le Moniteur n'a point cessé de publier les mercuriales officielles.

L'honorable député d'Huy disait : Mais la loi de 1834 n'a guère reçu d'application; les lois de 1822, de 1825 et de 1826 n'ont guère reçu d'application. Messieurs, de 1822 à 1843, c'est-à-dire pendant 25 années, les lois n'ont été suspendues que 3 ans, savoir celle de 1826 depuis (page 600) novembre 1830 jusqu'au mois de mai 1832, et la loi de 1834 pendant une partie de l'année 1838 et en 1839.

Il est vrai que la loi de 1834 a été de nouveau suspendue à la fin de 1845 jusqu'au 31 décembre 1848 et ensuite jusqu'au 31 décembre 1849 par une loi nouvelle qui accordait un droit de 50 centimes en remplacement de l'échelle mobile.

Ainsi, messieurs, il n'est point vrai de dire que la liberté du commerce .des céréales c'est toujours la règle et que les droits d'entrée sur les céréales étrangères sont l'exception. C'est le contraire qui est vrai : c'est la protection qui a toujours été la règle normale et c'est l'absence de .droits qui a été une exception, motivée sur la pénurie des céréales et la cherté des denrées alimentaires.

Eh quoi! messieurs, l'on viendrait argumenter contre l'agriculture précisément des sacrifices auxquels elle a consenti au profit des consommateurs, dans les années calamiteuses! Y aurait-il apparence de justice dans une pareille argumentation?

Nous établissons donc, messieurs, la discussion sur un terrain inébranlable, sur le roc, si solide en ce pays, de la justice distributive.

Toutefois, messieurs, nous ne nous opposerons pas à ce que l'on fasse un nouvel essai du droit fixe. Nous ne demandons point, dans le moment actuel, le rétablissement d'une échelle mobile.

Nous attendrons de nouveau les leçons de l'expérience ; la législation anglaise d'ailleurs nous convie à faire ce nouvel essai, et le commerce le demande avec instance.

il existe peu d'accord parmi nos contradicteurs : les uns, cherchant à apaiser les alarmes des cultivateurs, leur disent : Mais les droits que l’on établirait, alors que les prix sont bas, seraient illusoires, ils ne vous accorderaient aucun avantage; les autres, cherchant à alarmer les habitants des villes, leur disent : Mais quel que soit le prix du blé, vous paierez toujours, en sus du prix véritable, le droit perçu au profit du trésor. Ainsi, messieurs, l'on cherche à abuser les cultivateurs et à exciter, contre ceux qui réclament un droit protecteur, les habitants des villes.

Pour nous, messieurs, nous disons qu'on trompe les uns et les autres ; nous disons aux habitants des villes : « Ne vous faites pas illusion : la ruine de l'agriculture sera votre ruine. » Nous disons aux cultivateurs : « Il faut distinguer dans les assertions qu'on vous adresse. Oui, le droit protecteur, quel qu'il soit, sera insignifiant, s'il n'y a pas d'importation de blés étrangers, si le prix des blés est descendu tellement bas par la concurrence intérieure que toute concurrence étrangère devienne impossible. » Mais nous leur disons aussi : « Le droit protecteur vous viendra grandement en aide, si au bas prix, résultat de la concurrence intérieure, vient s'ajouter un prix encore plus bas, résultant de la concurrence extérieure.

On nous dit : « De quel droit se plaint l'agriculture? Le prix des blés va toujours croissant.»

Messieurs, nous avons dû, en effet, établir ce calcul que de 5 années en 5 années ce prix aurait été croissant. Mais nous dirons qu'on peut user et abuser des chiffres de la statistique, et selon qu'on groupera les chiffres dans un sens ou dans un autre, on leur fera dire blanc ou noir.

Messieurs, il n'y a qu'une manière vraie de s'appuyer sur la statistique : c'est de tenir compte des époques. Et quelles sont les époques naturelles? L'époque de la réunion de la Belgique à la France, l'époque de la réunion de la Belgique à la Hollande, et l'époque de l'indépendance de la Belgique. Vouloir, comme l'honorable M. Prévinaire, rétrogradera à 1785, ne peut avoir rien de sérieux. - Et pourquoi rétrograder à 1785? Pourquoi ne pas retourner de deux, de trois ou de quatre siècles en arrière ?

L'honorable membre a-t-il donc oublié que la révolution française de 1789 a apporté dans les intérêts matériels des changements tout aussi grands que dans les intérêts politiques? Et c'est pourquoi nous remontons, non à 1785, mais à l'époque de la réunion de la Belgique à la France; nous devrions remonter à 1794 pour notre point de départ; mais à cette époque les assignats étaient en cours, et l'on ne peut établir le prix vrai pendant cette époque; nous nous arrêterons donc à 1798; alors les assignats avaient disparu du commerce, alors toutes les choses .avaient repris leur valeur vraie.

Eh bien, de 1798 à 1814 quel a été le prix de l'hectolitre de froment? J'ai puisé mes données dans une statistique française sur le prix moyen de Paris, et ce prix peut être accepté, parce que les approvisionnements de Paris ont toujours été particulièrement soignés par le gouvernement, et que la situation de Paris ne diffère guère de celle de Bruxelles. Eh bien, quel a été le prix moyen de 1790 à 1814? 22 fr. 98 c. l'hectolitre pendant une période de 17 années. Quel a été le prix de la dernière période décennale, 1840 à 1849? 21 francs. Le prix des blés ne va donc pas toujours en croissant.

De 1815 à 1824 le prix du froment a été de 20 fr. 43 ; de 1825 à 1834 de 17 fr. 86; de 1835 à 1844 de 19 fr. 34. Vous voyez donc que si nous reculions à l'époque de la réunion de la Belgique à la France, nous nous plaindrions autrement du prix des blés, tel qu'il existe aujourd'hui.

Mais si nous voulons être vrais, prenons la moyenne des 52 dernières années, et nous aurons 21 francs pour prix de revient de l'hectolitre de froment.

Nous disions que la protection peut être utile à l'agriculture, alors même que les prix des blés sont tombés très bas. Nous allons fournir la preuve de cette assertion. Nous prendrons pour point de comparaison la Belgique et l'Angleterre.

En 1820, le prix du froment en Belgique était de fr. 16-46 ; en 1824 il tomba à fr. 11-09 ; le droit protecteur n'était que de 65 centimes les 100 kilog. En Angleterre, en 1820, le prix du quarter était de 65 schellings 6 deniers; en 1824, il était de 62 schellings. Ainsi, lorsqu'on Belgique le prix du froment tombait de 35 p. c., le prix du Moment ne tombait en Angleterre que de 3 p. c. Voilà ce qu'opérait le droit protecteur.

Toutefois, messieurs, il est loin de ma pensée que le droit protecteur aggrave le prix des denrées de toute sa hauteur. Cela peut être vrai dans quelques circonstances anormales, alors qu'il y a véritablement pénurie; mais cela n'est pas vrai dans les années ordinaires. Le droit protecteur est supporté en partie par l'étranger qui apporte des marchandises et en partie, j'en conviens, par le consommateur. Sinon, il ne serait pas protecteur.

Messieurs, est-il vrai que le fermier, le propriétaire soient en Belgique des gens insatiables? Nous avons fait voir les anciens prix du froment. Loin de nous de demander un prix pareil. Nous considérons aujourd'hui qu'un prix de 20 fr. par hectolitre en moyenne serait suffisamment rémunérateur.

Mais comment se sont conduits ces gens qu'on qualifie d'insatiables, lorsqu'ils avaient la majorité dans le parlement ou dans le gouvernement? Ils ont consenti à la défense de l'exportation de leurs blés, lorsque les denrées étaient à des prix exorbitants ; ils ont suspendu toute espèce de droit protecteur, alors qu'on pouvait craindre que le prix du blé ne s'élevât à un taux trop gênant pour le consommateur. Ils ont fait plus ! En 1831 et en 1832, comme en 1848, ils ont supporté les principales charges du trésor, alors qu'on ne pouvait pas s'adresser à d'autres contribuables.

Non seulement ils ont subvenu aux besoins du trésor, mais ils ont voté des sommes pour l'encouragement du travail industriel. Voilà cette catégorie de citoyens auxquels il faut courir sus, qu'il faut mettre hors la loi, qu'il faut signaler à l'animadversion publique! Mais quelque effort qu'on fasse, le bon sens du peuple belge, le sentiment de justice dont il est animé saura faire à chacun sa part.

On nous dira : Mais si l'absence de protection est nuisible à l'agriculture en certaines circonstances, d'autre part l'agriculture peut profiter aussi du libre-échange. On citera avec avantage, j'en conviens, la période de 1816, 1817 et 1818. Oui, alors le manquant de denrées alimentaires fut infiniment moins grand qu'en 1846 et 1847; par suite de la perte successive des récoltes de pommes de terre et de seigle, le prix du blé s'est élevé à un taux de beaucoup supérieur à celui de ces dernières années. En 1816 le prix moyen du blé a été de fr. 21 85 c, en 1817, de fr. 31 22 c, en 1818 de fr. 35 41 c.

En 1845, il était de 20 fr. 25 c; en 1846, de 24 fr. 37 c, et en 1847, de 31 fr. 34 c.

Cette différence s'explique de la manière la plus naturelle. En Belgique, le commerce peut facilement en très peu de temps réunir une partie considérable de blés, pour les exporter ; c'est ce qui a eu lieu dans le royaume des Pays-Bas; dès que la cherté fut imminente, le commerce s'empressa d'exporter tout ce qu'il put réunir. Aussi ce qui détermina les hauts prix de 1816 et 1817, c'est que la rareté fut constante pendant ces deux années, tandis qu'en 1845, l'exportation ayant été défendue, la rareté ne s'est fait sentir qu'en 1847, alors que les approvisionnements étaient épuisés par la consommation.

Sous le gouvernement des Pays-Bas, quand le commerce eut exporté nos blés, force fut d'en réimporter et nous payâmes cher les opérations du commerce; le gouvernement dut intervenir à grands frais, acheter très cher des denrées à l'étranger les répartir entre les communes pour les vendre à des prix déterminés aux habitants.

Nous ne voulons pas de ces compensations, nous ne voulons pas que les années de gêne résultant des bas prix des céréales soient compensées par les années calamiteuses. Ce que nous demandons, c'est qu'on accorde aux propriétaires, aux cultivateurs, une protection modérée, que dans les années calamiteuses on accorde tous les avantages qu'on peut accorder au consommateur.

Mais, dit-on, de quoi se plaint le cultivateur dans le moment actuel? N'est-il pas constant qu'en 1849 il a eu un excédant considérable de récoltes? Nous répondons que l'excédant des récoltes ne compense pas le déficit dans le prix. D'ailleurs la vente est difficile aux prix actuels; les fermiers moyennes et ceux qui ont obtenu du crédit de leur propriétaire ont encore leurs greniers pic ins de céréales.

Nous disons que cet état de choses dure déjà depuis deux ans, que le cultivateur a perdu l'intérêt qu'il eût pu tirer du produit de ces ventes, de plus qu'il a supporté les détériorations qu'éprouvent les céréales quand on les conserve pendant un temps considérable.

On signale comme un grand bienfait les exportations de blés vers l'Angleterre. Mais ce qu'on ne dit pas, c'est que ce que nous exportons vers l'Angleterre nous est importé de la France et de l'Allemagne, de telle manière que l'ouverture du marché anglais n'a procuré à la Belgique, quant aux céréales, que des avantages commerciaux. [Interruption.)

Oui, il y a un excédant de quelques millions de kilogrammes en froment, mais on nous importe l'équivalent en seigle.

Ici, messieurs, j'arrive à une nouvelle preuve de ce que je disais tantôt en faveur d'un droit protecteur. Le seigle en 1849 a baissé dans une proportion plus forte que le prix du froment. D'où cela provenait-il? De ce que des quantités considérables de seigle nous viennent de l'étranger quoiqu'il en existe de grandes quantités chez nos cultivateurs. Voilà une preuve évidente que, quel que soit le bas prix, l'importation étrangère peut encore contribuer à l'avilir.

(page 601) Pour le bétail, la situation du cultivateur est-elle meilleure? Non, messieurs. Il y a quelques années, sous l'empire de la législation provoquée par mon honorable ami M. d'Huart, la Belgique exportait plusieurs milliers de têtes de gros bétail en sus des importations. En l'année 1849 que voyons-nous? L'importation du gros bétail a surpassé de 1,400 têtes l'exportation.

Autre chose. On dit : Il manque du bétail en Belgique ! Voyons. On croirait que, pouvant acheter des veaux à bas prix en Hollande, le cultivateur va y acheter du bétail jeune et l'élever. Eh bien, ici l'exportation dépasse l'importation de plus de six mille têtes.

Que résulte-t-il de ce fait? Que le cultivateur belge, malgré le bas prix des foins en 1849, a jugé qu'il n'y avait pas pour lui assez de profit pour l'encourager à se livrer à l'élève du bétail. Voilà un fait qu'aucune assertion ne pourra jamais contrebalancer.

Nous avons dit que le prix des blés peut encore baisser; cette opinion, nous la maintenons, et nous la prouvons par un exemple. En 1822 le prix du blé était de 13 fr., en 1823 de 11 fr. 09 c. et en 1825 de 12 fr. 23 c. Cependant en 1822 il y avait un droit protecteur de 65 centimes et le 10 janvier 1825 le droit protecteur avait été porté à 2 fr. 11 c. Dira-t-on qu'à cette époque les bas prix ont résulté de l'abondance des récoltes, en Belgique, et exclusivement de ce fait? Non, messieurs; car il est évident pour tout le monde que les récoltes du royaume des Pays-Bas ne fournissaient pas à la consommation. S'il y a aujourd'hui déficit en terme moyen pour la Belgique, le déficit était bien autrement considérable, lors de la réunion de la Belgique à la Hollande. Il est donc constant que, pendant les années 1822, 1823, 1824 et 1825, il a été importé des blés étrangers, qui ont pu concourir avec nos blés, à des prix si avilis, et qui alarmèrent l'agriculture à tel point que le droit de 1822 fut quadruplé en 1825.

La thèse que nous défendons se fonde avant tout sur la justice distributive. Elle se fonde ensuite sur la protection du travail agricole par le tarif des douanes; elle se fonde sur l'intérêt d'une bonne politique gouvernementale, sur l'intérêt bien entendu des villes et de l'industrie manufacturière.

C'est ce que nous essayerons de vous démontrer.

Les droits proposés par le gouvernement (en admettant que l'hectolitre de froment pèse 80 kilog., et en mettant pour point de départ 20 fr. au lieu de 21 fr., qui est cependant le prix moyen des 52 dernières années) équivalent à 2 p. c. et les amendements ne vont qu'à 7 1/2 p. c.

Voilà les extrêmes en discussion en ce moment.

Mais, à côté de ces propositions, de quelle protection jouit l'industrie en général? Je ne parle pas de certains articles de l'industrie, pour lesquels la Belgique n'est pas en concurrence avec l'étranger; mais je parle des grandes industries de la Belgique : nous trouvons des droits qui vont de 20 à 30 et même 70 p. c., des droits littéralement prohibitifs.

Ainsi pour les produits de l'industrie cotonnière, de l'industrie linière, de l'industrie métallurgique, de l'industrie des houilles et pour d'autres encore que nous pourrions citer, les droits sont en quelque sorte prohibitifs. Et c'est alors qu'on dispute avec tant d'acharnement la faible protection que les plus zélés partisans de l'agriculture réclament aujourd'hui !

Nous disons que la politique suivie par le gouvernement belge n'est suivie par aucun gouvernement : ni par l'Angleterre, ni par la Hollande, ni par l'Allemagne, ni par les Etats-Unis, ni par la France.

On a déjà démontré qu'en Angleterre, en supprimant en très grande partie (ils ne sont pas entièrement supprimés) les droits sur les céréales, on a aussi abaissé considérablement les droits sur les objets manufacturés.

Mais il y a plus : l'Angleterre a abandonné le monopole de ses colonies et de sa marine. Voilà un système complet : plus de monopole en Angleterre, concurrence en tout et pour tout!

En Hollande, peu de droits protecteurs pour l'industrie ; traitement égal pour l'agriculture.

En Allemagne, dans le Zollverein, droit protecteur considérable pour l'agriculture, en rapport avec les droits protecteurs de. l'industrie.

Aux Etats-Unis, droits protecteurs pour l'agriculture de beaucoup supérieurs au maximum des propositions qui vous sont soumises.

Inutile de vous parler de la France. Vous connaissez tous sa législation.

Et quand veut-on établir de par la loi un traitement si différent pour ces deux grands intérêts : l'agriculture el l'industrie? C'est quand la Constitution a aboli tous les privilèges, quand elle a proclamé l'égalité de tous les Belges devant la loi. Eh bien, la Constitution ne serait qu'un mensonge, si le système que nous combattons devait triompher en Belgique.

Poussons plus loin la comparaison entre l'agriculture et l'industrie. L'agriculture rencontre, dans notre propre pays, des tarifs hostiles dans toutes les villes : les octrois rançonnent plusieurs des produits importants de l'agriculture.

Le gouvernement, lui-même, frappe de droits considérables les industries qui reposent sur l'agriculture, ainsi la bière et l'eau-de-vie. Et ces droits, quel en est le résultat? Nécessairement, de diminuer la consommation des denrées agricoles.

Le sol, matière principale et première de l'agriculture, est grevé de droits excessifs, et quoi qu'en ait dit l'honorable ministre des finances, dans la séance d'hier, il est évident, qu'en réunissant aux charges principales qui pèsent sur la propriété foncière les centimes additionnels au profit de l'Etat seulement, on reconnaît que la contribution foncière est augmentée de 1,500,000 fr.

Il est vrai qu'on nous dit, que la contribution foncière est inférieure à la dîme. Mais la dîme ne se percevait pas avec la rigueur qu'on suppose. De nombreuses exceptions étaient apportées à la perception de cette taxe.

Et puis, à cette époque la propriété n'avait pas à supporter des droits élevés de succession, de mutation, de transcription, etc.

Et puis, la propriété ne se trouvait pas menacée d'un droit nouveau, comme elle l'est aujourd'hui, du droit de succession en ligne directe.

Pour l'industrie, au contraire, aucun de ses produits n'est imposé à l'intérieur du pays; ses similaires sont fortement imposés à l'intérieur; des primes d'exportation sont accordées à plusieurs industries, et parmi ces primes, je range en première ligne les droits différentiels.

Le chemin de fer de l'Etat, qui est une charge si pesante pour le trésor, au profit de qui a-t-il été construit? Au profit du commerce et de l’industrie.

- Plusieurs membres. - Et de l'agriculture.

M. de Theux. - Messieurs, l'agriculture ne profite guère du-chemin de fer, veuillez-en être persuades.

J'entends encore les honorables MM. Anspach et de Brouckere nous dire : Mais l'industrie est malheureuse; elle souffre de la protection que vous lui avez accordée. C'a été une grande erreur de votre part.

La concurrence intérieure lui fait un mal très sensible et cette concurrence a été provoquée par la protection.

Nous disons, messieurs, que cette concurrence intérieure eût existé, alors même qu'il n'y eût pas eu de protection, qu'en sus de la concurrence intérieure, l'industrie aurait à supporter la concurrence extérieure, et que ses opérations seraient assises d'une manière beaucoup moins stable qu'elles ne le sont aujourd'hui.

Mais, demande le gouvernement, pouvons-nous abolir du jour au lendemain les droits protecteurs de l'industrie? Non, nous ne demandons pas cela, messieurs. Mais nous demandons qu'on n'abolisse pas non plus du jour au lendemain la protection accordée à l'industrie agricole Si la protection doit être abolie, qu'on le fasse prudemment, qu'on établisse un terme de dix à quinze ans et un abaissement graduel des droits existants. Voilà un moyen que nous offrons à nos contradicteurs, mais ils n'y toucheront pas.

On nous dit: L'industrie est trop souffrante pour songer à apporter quelques modifications au tarif. Voilà déjà la preuve que, dans l'opinion des honorables membres, la protection n'est pas nuisible à l'industrie. Mais, soyez-en certains, messieurs, jamais l'industrie n accusera une situation assez florissante pour permettre de diminuer les droits existants.

On a prétendu que l'intérêt des propriétaires était ici le seul en cause. Si cette assertion était vraie, nous nous bornerions à répondre que mieux vaut pour le pays protéger la propriété indigène que de favoriser la propriété étrangère. Ce n'est pas la propriété étrangère qui achètera nos produits manufacturés, qui fera travailler les ouvriers de la Belgique. Mais, messieurs, l'intérêt des propriétaires est aussi respectable. Il peut éprouver des pertes très sensibles par l'abaissement trop considérable et trop subit de la valeur des propriétés. Ainsi dans le moment actuel, combien de propriétaires qui désireraient réaliser leurs propriétés et qui ne le peuvent pas à des prix convenables! Si ces prix allaient toujours décroissant, ne leur auriez-vous pas porté un préjudice très réel? Et à qui auriez-vous porté ce préjudice? A cette classe de propriétaires qui, quoique possédant beaucoup, sont cependant dénués de fortune, parce que leur fortune a été engagée.

Et le crédit foncier, dont on s'est tant occupé, qu'on nous présente comme une panacée, pensez-vous que vous ne le diminuez pas? Lorsque vous diminuez la valeur de la propriété du sol, le crédit diminue d'autant que diminue le capital de la propriété.

D'ailleurs, en Belgique, la propriété ne constitue pas un privilège ; elle est accessible à tous, et l'expérience vous fait voir que, de jour en jour, elle se divise davantage, elle devient plus mobile.

Le prix des objets manufacturés, nous a dit l'honorable M. Prévinaire, a considérablement baissé. Oui, messieurs, le progrès des sciences a permis de produire à très bas prix. La vapeur sert à la production des objets manufacturés. Mais la vapeur n'est pas jusqu'à présent, que je sache au moins, applicable à l'agriculture.

Contentons-nous donc, messieurs, de l'abaissement des prix que j’ai signalé depuis 1813, comparativement à l'époque de 1798 à 1814, et que l'on ne nous dise pas que l'agriculture est demeurée stationnaire. S'il était vrai qu'elle fut demeurée stationnaire, il serait impossible que la production agricole suffît aujourd'hui à l'augmentation de population qui a été énorme depuis 1798.

Quant aux hauts prix des baux, sont-ils la conséquence de l'élévation toujours croissante du prix des denrées? Mais non; nous avons prouvé que le prix des denrées était plus élevé de 1798 à 1813 que de 1813 à l'époque actuelle ; et cependant c'est dans cette dernière époque que les prix des baux se sont élevés. Pourquoi? Parce que sous l'empire de la bonne vente des denrées alimentaires, le cultivateur a fait des efforts extraordinaires pour faire produire plus à la terre ; c'est que par là on a été à même de payer aussi davantage aux propriétaires. Car je ne pense pas que l'agriculteur, plus que qui que ce soit, veuille travailler à perte. Une autre cause de l'élévation du prix des baux, cause qu'il n'est pas en notre (page 602) pouvoir de détruire, c'est la concurrence; toujours croissante pour les locations, concurrence qui augmentera toujours avec la population.

Mais si la propriété a augmenté de valeur, est-ce que le capital industriel, le capital financier, le capital commercial n'a pas aussi augmenté de valeur? Tous les profits accumulés dans l'espace de 50 ans, dans ces diverses branches de la richesse publique, n'ont-ils pas augmenté le capital dans une proportion plus forte que le capital de la propriété foncière?

Oui, messieurs, nous l'avons démontré dans la discussion de la loi sur les successions en ligne directe. Et sous quelle législation tous ces capitaux ont-ils grandi d'une manière si démesurée? Sous le régime de la protection..

Sans doute, messieurs, personne ne voudrait ramener l'habitant des campagnes à la situation dans laquelle il se trouvait il y a un siècle, pour la nourriture, pour les vêlements, pour le logement, pour l'instruction, pas plus que l'on ne voudrait ramener l'habitant des villes à une situation également beaucoup plus modeste que celle d'aujourd'hui. Ainsi, messieurs, que les défenseurs de l'industrie n'envient pas aux campagnes la part qu'elles ont prise dans les progrès de la fortune publique, mais qu'ils se réjouissent avec nous d'une situation que M. le ministre des finances a qualifiée de prospère, lorsqu'il nous faisait voir que nous pouvions sans inconvénients supporter les dépenses du budget de la guerre.

Quelques membres ont conseillé aux propriétaires l'abaissement de leurs baux. Ils ont donné cette perspective en consolation aux cultivateurs qui se trouvent dans un état de gêne. Mais, messieurs, personne ne peut intervenir dans la fixation du prix des baux, et ensuite si le prix des denrées alimentaires baisse dans une progression plus forte encore que la diminution dans les prix des baux, le cultivateur aura-t-il gagné? Assurément non. Son travail serait moins récompensent ; voilà pour lui le résultat unique du système que l'on préconise en sa faveur.

Pour le simple ouvrier agricole, la situation sera-t-elle meilleure? Mais non. Moins les denrées se placeront à des prix convenables, à des prix suffisamment rémunérateurs, puisque ce mot est en usage, plus le travail sera présenté et la population allant toujours croissant il est évident que la concurrence des travailleurs tendra à faire baisser le prix du travail.

Je sais, messieurs, que la même chose se présente lorsque les prix des denrées s'élèvent d'une manière exorbitante. Alors aussi le travail est plus offert et la situation des travailleurs est plus mauvaise, cela ne fait douter pour aucun homme qui s'est donné la peine d'examiner ce qui se passe dans la société; mais la situation est exactement la même lorsque les prix sont avilis. Ainsi l'on a vu, pour certains travaux publics que le gouvernement faisait exécuter, des coalitions de fils de bons paysans qui offraient leur travail à prix réduit afin d'exclure les travailleurs pauvres. Voilà ce qu'on a vu en temps de grande cherté, mais cela s'est produit également aux époques où les prix étaient avilis.

L'honorable M. de Luesemans a lu à cet égard une lettre dont tous les détails me sont parfaitement connus comme exacts. Ainsi, en 1824, on a vu que dans plusieurs localités de simples journaliers agricoles recevaient une rétribution moindre. Une quantité d'ouvriers étaient sans travail, dans certaines industries les ouvriers étaient payés en nature et partout les classes ouvrières faisaient entendre des cris de détresse.

Voici, messieurs, le coup de massue qu'on a voulu porter au système que nous défendons et que je n'appellerai pas prohibitionniste, car mon système n'a jamais été que modérément protecteur : La mortalité a été effrayante. Les maladies se sont multipliées. Il n'y a plus eu de mariages. Les naissances ont diminué.

Ces faits, messieurs, sont parfaitement vrais et nous les avons déplorés avec vous ; mais dans ces circonstances, réclamions-nous un droit quelconque sur les denrées alimentaires? Mais non, messieurs : nous favorisions autant qu'il était en nous l'importation. Nous défendions la sortie. Le trésor public faisait des sacrifices pour faire affluer les denrées alimentaires sur les principaux marchés de la Belgique. Vous voyez donc bien qu'aucun de nous n'a jamais songé à créer au peuple une situation si difficile.

Messieurs, quelles sont les difficultés que l'on observe à certaines époques? Tantôt c'est la cherté des denrées alimentaires, tantôt c'est l'excès de la population. Il n'y a point excès de population lorsque vous pouvez trouver pour la population un travail convenable; mais lorsque le travail cesse, quelle est la conséquence d'un excès de population? La misère la plus profonde ou l'émigration forcée. Voilà, messieurs, la situation de l'Irlande.

Ce remède de l'émigration a été proposé. Mais, messieurs, comment se réaliserait-il? Certainement à la grande douleur de nos compatriotes qui se trouveraient dans la dure nécessité d'accepter comme soulagement l'abandon de leur chère patrie; ensuite au grand détriment du trésor public qui ne saurait en subir la charge lorsque le pays n'a point de colonies dont il puisse recevoir quelques retours en compensation des frais de transportation des émigrants. Nos colons, messieurs, iraient cultiver un sol étranger, et de cette culture encore il ne nous reviendrait rien. Les frais de transport seraient une perte sèche.

Messieurs, l'absence de protections pour l'agriculture, ou une protection illusoire, qu'est-ce que cela constitue? Cela constitue à la charge de la propriété la taxe des pauvres et plus que la taxe des pauvres, car l'abaissement des prix des denrées alimentaires ne s'opérerait pas seulement au profit des classes indigentes, mais au profit de tous les consommateurs quel que fût leur état d'aisance. Mieux vaudrait donc, si c'était possible, qu'on assurât le prix normal des denrées et qu'on imposât aux propriétaires exclusivement la taxe des pauvres. Alors au moins la charge leur serait imposée uniquement en vue de l'humanité et on n'en verrait pas profiter des personnes aisées.

J'ai cherché, messieurs, à me rendre compte de l'importance du travail agricole et je crois rester dans les limites du vrai et même au-dessous en disant : qu'elle donne lieu à une main-d'œuvre qui s'élève à 400 millions par an, indépendamment du travail relatif au sol boisé.

Ceci vous fait voir, messieurs, toute l'importance de la question.

Ce travail peut s'augmenter encore par le drainage, par les défrichements; mais qui donc ira se lancer dans des opérations de cette nature lorsque l'on a devant soi la perspective de ne trouver aucune récompense de ses frais?

On nous objectera l'exemple de l'Angleterre. L'exemple de l'Angleterre, messieurs, est pour moi d'une grande autorité, parce que ce pays renferme de grands hommes d'Etat, tant au gouvernement que dans le parlement; mais cet exemple est-il bien choisi? L'Angleterre se trouver-t-elle dans la même situation que la Belgique? Assurément non.

En Angleterre, le taux de l'argent est très bas; on n'y perçoit qu'un faible intérêt des fonds publics, et encore cet intérêt est-il sur le point d'être réduit. Que résulte-t-il de cette situation? C'est que le propriétaire, peut se contenter d'un intérêt moindre de sa propriété, comme l'industriel peut se contenter d'un produit moindre de ses usines.

En effet, il est évident que si le propriétaire ne peut placer qu'à 3 p. c. en fonds publics, il peut se contenter de 1 1/2 p. c. comme revenu de ses terres.

Il en est de même de l'industrie dans une juste proportion. Les profits devront même se réduire à une époque qui n'est pas éloignée, pour les professions libérales, pour les fonctionnaires de l'Etat; car, moins il y aura de chances de faire un placement utile de ses capitaux, plus on se jettera avec empressement dans les carrières qui semblent encore offrir des ressources plus avantageuses, et là la concurrence amènera le même résultat : l'abaissement des honoraires dans les professions libérales et l'abaissement des traitements des fonctionnaires publics. Ainsi, toutes les classes de la société se trouveront dans la même situation ; leur capital ne sera pas déprécié, leur revenu ne le sera pas non plus, car le revenu ne s'établit que par la comparaison avec l'existence des autres, du moment qu'on est au-dessus du strict nécessaire à la vie.

L'Angleterre, qu'on a tant citée, comment s'y est-elle prise pour créer son immense capital, cette immense abondance de numéraire qui permet l'abaissement successif de la rente publique et de tous les intérêts des capitaux? L'Angleterre, malgré toutes les guerres auxquelles elle a pris part, malgré les immenses subsides qu'elle a accordés à diverses nations pour faire la guerre, l'Angleterre s'est enrichie...Sous quel régime? Sous celui de la protection.

Qu'on ne nous dise pas que l'agriculture en Angleterre a souffert de la protection ; M. le ministre des finances a essayé de nous le persuader hier. Mais ce qui s'est présenté en Angleterre pour l'agriculture, à certaines époques, s'est aussi présenté pour l'industrie. Et quelles sont les années qui ont amené cette situation fâcheuse pour l'agriculture? Ce sont précisément les années où les denrées alimentaires ayant manqué dans le pays, par suite d'une production insuffisante, le cultivateur n'a pas trouvé dans sa récolte assez de ressources pour payer son propriétaire. (Interruption.)

Je dirai qu’en 1846 et en 1847, la situation des cultivateurs belges a été tellement désastreuse, malgré le haut prix des denrées alimentaires, que la plupart n'ont pas pu conserver le bétail nécessaire pour la bonne culture; et tous les cultivateurs qui n'avaient pas un fonds de réserve, et ils forment l'immense majorité, tous ces cultivateurs se sont trouvés excessivement gênés. Le même fait s'est produit à la suite des années de cherté 1816 et 1818 ; alors aussi un grand nombre de locataires ont été expulsés.

Les années où les blés ont manqué ont toujours été calamiteuses pour le grand nombre de cultivateurs.

En suite de cela, les années d'abondance peuvent encore constituer un état de gêne pour le cultivateur, lorsqu'à cette abondance des produits indigènes vient s'ajouter une importation étrangère qui les déprécie dans une proportion considérable.

Ainsi les enquêtes qui ont commencé en Angleterre en 1821, à l'époque où l'agriculture belge, vivant encore sous le régime du libre-échange, se plaignait avec tant d'amertume que les états-généraux furent obligés de lui accorder une protection, ces enquêtes ne sont nullement probantes pour moi.

J'ajoute qu'on reconnaît généralement que l'agriculture en Angleterre est tellement prospère aujourd'hui qu'elle peut servir de modèle à tous les autres pays; c'est là que nous allons nous-mêmes chercher des modèles pour l'amélioration de notre agriculture.

Je dis donc que si la protection eût été fatale à l'agriculture anglaise, on n'aurait pas vu ses produits augmenter constamment.

On nous objecte encore qu'il y a annuellement en Belgique un manquant de 554,000 hectolitres de froment, ou de leur équivalent : c'est-ce que nous disait l'exposé des motifs du mois de novembre 1848. Ce manquant a été fortement exagéré, car on a fait passer pour équivalents du froment, l'avoine et l'orge; je ne sache pas que ces objets fassent partie de la nourriture de l'homme.

(page 603) Quant à l'orge, elle entre dans la fabrication de la bière; mais tout le monde reconnaît qu'aujourd'hui la fabrication de la bière se fit pur des procédés tellement économiques que la bière ne paye pas à l'Etat le droit qu'elle lui doit; il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter d'un droit quelconque dont l'orge serait frappée.

Ce déficit se réduit donc à 233,000 hectol. de froment, et à 45,000 hectolitres de seigle, soit ensemble 278,000 hectolitres.

Eh bien, en 1848, on nous disait que le déficit était de 750,000 hectolitres, attendu que les pommes de terre n’avaient pas donné un rendement normal. Cet état de choses inspirait au ministère une crainte telle qu’il demandait l’autorisation de défendre, dans certaines éventualités, l’exportation des blés.

Eh bien, on a vu dans l'année 1849 que les importations étaient tant soit peu au-dessous des exportations : preuve que ce déficit de 750,000 hectolitres était purement imaginaire.

Messieurs, le déficit dans les céréales n'est que de 3 p. c.cn moyenne. Or, cette faible disproportion ne peut-elle pas être facilement compensée par les améliorations à introduire dans l'agriculture, notamment par les défrichement ? 'D'ailleurs, nous trouvons, dans un ouvrage protégé par le gouvernement et publié par M. le professeur Morren, que des procédés nouveaux ont été importés en Belgique, au moyen desquels on pourrait économiser 800,000 hectolitres de semence; il y aurait par là possibilité de couvrir le déficit de 278,000 hectolitres, et il y aurait encore un excédant de 500,000 hectolitres. Et que le gouvernement ne croie pas que nous craignons un excédant qui serait la conséquence de procédés nouveaux; nous ne redoutons pas les perfectionnements apportés à l’agriculture ou à l'industrie, quelle que soit l'abondance des produits qui doit en résulter.

Messieurs, je n'insisterai pas sur les considérations politiques qui conseillent à tout gouvernement comprenant bien ses intérêts de ne pas laisser s'amoindrir la population agricole qui fait la force de l'Etat en temps de guerre et lui procure la nourriture en toute circonstance, de ne pas favoriser un système qui établirait la prépondérante exclusive des villes sur les campagnes. Ce que nous voulons, c'est un système qui laisse aux villes et aux campagnes leur développement naturel. Il est évident que l'appauvrissement des campagnes entraîne l'appauvrissement des villes. Il est impossible que nos manufactures, si nombreuses dans les villes, puissent exporter tous leurs produits à l'étranger; leur véritable débouché, c'est le pays même, c'est leur marché principal, leur marché le plus sûr.

L'autorité des exemples n'est pas à dédaigner dans de pareilles questions. Eh bien, aux Etats-Unis le droit sur les céréales par 100 kilog. est de fr. 4-42, cependant aux Etats-Unis les terres sont extrêmement fertiles, il y a un sol immense sur lequel la culture peut s'étendre ; dans le Zollverein, le droit est de fr. 1-60 par 100 kilog., cependant l'Allemagne a un sol moins peuplé que la Belgique, un sol fertile ; en Hollande, le droit est de 73 c. ; en Angleterre, de 54 ; en France c'est l'échelle mobile.

: Vous avez vu que la théorie du libre-échange appliquée aux denrées alimentaires avait succombé en Hollande, malgré l'importance du commerce et de la navigation, devant les réclamations incessantes des cultivateurs, soit pendant la réunion, soit depuis sa séparation de la Belgique. Quant à nous, je pense que nous devons faire quelque chose de plus que la Hollande, car le déficit en céréales est beaucoup moins considérable en Belgique qu'en Hollande; vous comprenez parfaitement bien qu'il est dans ma pensée de laisser combler le manquant, mais non de favoriser une importation excessive hors de proportion avec le manquant, ce qui n'aurait d'autre résultat que l'avilissement des produits de l'agriculture.

On objecte encore le prix de l'importation des denrées alimentaires venant du pays lointain. Je sais fort bien qu'en 1822, 1823 et 1824 quel que fût le prix des céréales dans le pays, on en importait encore. En 1843 et 1844,le prix de revient des blés d'Odessa sur le marché d'Anvers était de 13 à 14 fr.; si vous n'aviez pas eu alors l'échelle mobile, vous auriez en également l'avilissement de vos blés.

Messieurs, quelques mots sur le bétail. Je vous ai déjà dit que le cultivateur était découragé quant à l'élève du bétail, d'une part, parce que les importations excèdent les exportations, contrairement à ce qui s'était passé les années précédentes; d'autre part, parce qu'il est obligé de vendre les veaux en très grand nombre, plutôt, que de les élever, parce que la rémunération de ses frais et peines n'est pas suffisante.

Il est à ma connaissance que des paysans qui, après les travaux des semences, ayant gardé leurs bœufs pour les engraisser, ont été obligés de les vendre au même prix qu'ils en auraient eu avant l'hiver; de sorte qu'ils ont perdu et la nourriture et leurs soins; c'est-à-dire qu'ils n'ont reçu aucune espèce de dédommagement.

L'introduction du bétail de Hollande a lieu avec une réduction de droit considérable, en vertu du traité de 1846; pour certaines catégories le droit a été réduit d'un quart, pour d'autres de la moitié. Ce n'est pas un avantage insuffisant pour le consommateur.

Les céréales par le traité avec la Hollande ont été introduites, par la frontière de la province de Liège, au quart du droit jusqu'à concurrence de 12 millions de kilogrammes. Je suis étonné que ce soit du district de Verviers que nous soit venue une pétition s'opposant à l'établissement des droits à l'entrée des denrées alimentaires.

Un dernier mol sur le seigle. On vous a dit qu'il fallait une grande différence entre le droit sur l'importation du seigle et celui sur l'importation du froment. C'est une erreur. En Hollande, où il existe de grandes distilleries travaillant même pour l'exportation, on a admis le droit de 60 centimes sur le seigle, alors que, pour le froment, il est de 73. La différence n’est donc que d'un septième. Les raisons pour en agir ainsi sont très simples. C’est le sol le moins riche qui est cultivé on seigle.

Il suffit de jeter un instant les yeux sur le tableau qui nous a été présente par le gouvernement pour s'assurer de ce fait; c'est dans certaines parties des provinces d'Anvers, du Brabant, de la Flandre orientale, de Namur, du Limbourg et du Luxembourg que se fait principalement la culture du seigle; elle est indispensable dans ces localités, le seigle fournit le fumier nécessaire pour la culture des terres, pour les entretenir dans un état de fertilité. Quant à nos distilleries, on peut être persuadé qu'il est de leur intérêt que la culture du seigle se maintienne en grand ; il importe pour ces établissements d'avoir toujours des approvisionnements sous la main.

Je termine et je dis que le projet du gouvernement ne peut pas être admis par la chambre, parce que la justice et l'égalité s'y opposent, parce qu'il ne répond pas à l'intérêt général du pays, c'est-à-dire à l'intérêt du travail agricole et du travail industriel, parce qu'il ne répond pas à l'intérêt du trésor qu'alimente non seulement l'impôt foncier, mais les droits de mutation sur le sol qui varient avec la valeur du sol et par cette autre considération, que la propriété est la seule ressource à laquelle le gouvernement puisse avoir recours dans un moment de détresse; j'ajouterai la seule ressource pour un gouvernement constitutionnel, parce que, dans les gouvernements représentatifs, on vote facilement des dépenses tandis qu'on refuse de créer des ressources et que si, d'un côté, on refuse une protection à la propriété foncière et que, de l'autre, on aggrave toujours ses charges, soit par des centimes additionnels, soit par des impôts nouveaux, on n'y trouvera plus les ressources sur lesquelles on croyait pouvoir compter aux jours de danger.

On doit, messieurs, craindre le retour de la situation de 1822,1823 et 1824. Cette situation serait fatale au pays. Une chose nous étonne, c'est qu'il soit plus difficile à l'agriculture d'obtenir une protection en Belgique qu'en Hollande; c'est que l'agriculteur belge ait plus de peine à obtenir d'un gouvernement national la protection qu'il aurait obtenue du gouvernement de la conquête, du gouvernement de l'étranger. On ne cesse de faire un appel à l'union; c'est la devise de notre Constitution; tâchons de ne nous en écarter jamais; mais sachons aussi qu'il n'y aura jamais d'union stable, si elle n'est cimentée par la justice. J'ai dit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, mon intention n'est pas de prolonger outre mesure ce débat, auquel j'ai déjà pris une part très grande. Le discours de l'honorable préopinant me semblerait de nature à abréger de beaucoup la discussion en ce qui touche au droit, si nous n'avions en présence les réserves faites au nom de la section centrale, et par d'honorables orateurs en ce qui concerne l'avenir.

Messieurs, quand nous entendons ces longues lamentations qui échappent de certains bancs, nous nous demandons quelles sont donc, en fait, les grandes différences qui nous séparent. Le gouvernement propose d'établir un droit de 50 centimes par 100 kilog.; on a dit que ce droit de 50 cent, avait été introduit malgré nous, l’année dernière. Ce droit de 50 cent., avait été, avant même la discussion, convenu et arrêté entre le gouvernement et la section centrale.

Mais enfin le gouvernement propose 50 cent. Là-dessus accusation de vouloir ruiner l'agriculture, de traiter la Belgique agricole comme ne la traitait pas le gouvernement de la conquête ; de jeter partout la perturbation, l'épouvante, la désolation!

Et que propose-t-on, messieurs, pour remédier à ce mal immense que la politique du gouvernement va étendre sur tout le pays? Quel est le remède? 50 centimes de plus. L'honorable M. de Theux, dont on ne récusera pas l'autorité en cette matière, vient de vous le dire, un droit d'un franc lui paraît suffisant; il ne demande pas à aller au-delà.

En fait, l'honorable M. de Theux diffère donc de la politique du gouvernement, contre laquelle il vient de prononcer un si énergique plaidoyer ; il diffère de quoi? De 50 centimes par 100 kilog. Telle est la conclusion pratique à laquelle aboutit l'honorable M. de Theux ; et sous ce rapport, je ne puis pas méconnaître que si la discussion a occupé un grand nombre de séances, elle a produit d'heureux résultats.

Je ne puis pas m'empêcher de féliciter l'honorable M. de Theux, et de nous féliciter, nous, partisans du régime libéral, des grands progrès qui se sont opérés dans sa manière de voir, et dans sa conduite parlementaire.

M. de Theux. - Je suis parfaitement conséquent.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'en suis bien convaincu; ce n'est que nous qui sommes inconséquents.

L'honorable M. de Theux, je l’en félicite, j’en félicite la chambre, et vu son importance bien méritée dans son parti, j'en félicite le pays, l'honorable M. de Theux en est venu aujourd’hui à un système que je considère comme modéré, à un système sur lequel on est bien près de s'entendre.

Je n'ai jamais combattu, quant à moi, le droit d'un franc comme un droit exorbitant. Ce que j'ai toujours combattu, c'est le système prohibitif, c’est le réveil du système protectionniste. Voilà ce que j'ai combattu, ce que je combattrai toujours ; que je repousserai et ne ratifierai pas.

(page 604) J'ai commencé par le dire au début de cette discussion : ce n'est pas une différence de 50 centimes par 100 kilog. qui mériterait dix jours de débats; elle ne vaudrait pas une demi-heure de discussion sérieuse. Ce que je combats, ce que je repousse, c'est le système qui se cache derrière cette augmentation de 50 centimes; ce sont les réserves de la section centrale; ce sont les réserves de l'honorable M. de Theux.

Que proposait l'honorable M. de Theux en 1845? Proposait-il 1 fr. à l'hectolitre? 2 fr., 3 fr., 4 fr., 5 fr. ? Non, ce n'était pas assez. 6 fr., 7 fr. ? Non. 8 fr., 9 fr.? Ce n'était pas encore assez. 10 fr. 75 centimes. Voilà quel était le droit protecteur de l'honorable M. de Theux en 1845!

M. de Theux. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà quel était le droit de la proposition des 21 membres en 1845. De 19 à 20 fr., le droit proposé à l'entrée sur le froment était de 4 fr. 75 c; et ce droit augmentait de 1 fr. 50 c. pour chaque franc de baisse. De manière que le froment, arrivé au prix qu'il est aujourd'hui, aurait été frappé du droit minime de 10 fr. 75 c. Voilà, messieurs, comment on peut, en trouvant aujourd'hui un droit d'un franc suffisant, rester parfaitement conséquent avec soi-même.

Je le dis donc, messieurs, et je le dis sans mauvaise intention pour l’honorable M. de Theux, je le félicite des progrès qu'il a faits et nous pourrions tous nous féliciter de cette discussion, malgré sa longueur, si elle a opéré dans un certain nombre d'esprits, la conversion si remarquable qui s'est opérée dans l'esprit, d'ailleurs assez persévérant, de l'un de vos honorables chefs.

Il fallait bien cependant, messieurs, tout en acceptant comme un droit suffisant le droit d'un franc, il fallait bien donner quelques paroles de regret sur cette loi de 1834, sur laquelle on semble avoir pris son parti momentanément.

D'après l'honorable préopinant, la loi de 1834 n'aurait pas mérité le traitement qu'elle a subi. Je ferai observer, en passant, que c'est l'honorable M. de Theux qui lui a porté le premier coup; nous la considérons comme morte et enterrée ; mais, en 1846, quelque temps après la proposition exorbitante dont je viens de parler, l'honorable M. de Theux a aboli lui-même la loi de 1834 et toute espèce de droits.

La loi de 1834, dit-on, a apporté au pays un système stable ; elle est restée intacte jusqu'en 1845? Il n'en est absolument rien : la loi de 1834 a été l'instabilité même; elle a été changée à chaque instant. C'étaient chaque année, des systèmes nouveaux qui se produisaient sous cette malencontreuse loi de 1834.

Ce n'était pas seulement comme établissant des droits élevés, c'était surtout comme entravant les relations commerciales, comme n'offrant rien de fixe à aucun intérêt, comme jetant l'incertitude partout, c'était à ce point de vue que nous combattions la loi de 1834, proposant d'y substituer un droit fixe, modéré. Voilà ce que nous avons demandé de tout temps.

En proposant un droit de 50 c. nous proposons un droit modéré.

Un droit fixe d'un franc, nous le déclarons sans aucun déguisement, constitue encore un droit modéré et nous pourrions le sanctionner, en restant parfaitement d'accord avec nos antécédents.

La stabilité est, sous ce rapport, un immense avantage. Mais nous proposer à titre provisoire, comme essai, comme premier pas vers le système prohibitionniste, le droit d'un franc, voilà ce que nous n'accepterons à aucun prix. Une telle loi, votée contre notre opinion, ne recevrait pas notre signature.

Nous repoussons complètement le droit d'un franc à titre provisoire; nous nous réservons d'examiner s'il nous sera possible de l'accepter comme droit fixe et définitif.

J'hésite à entreprendre la réfutation du discours de l'honorable préopinant et de quelques-uns de ceux qui ont parlé avant lui. La chambre commence à éprouver une fatigue assez légitime. D'un autre côté, un assez grand nombre d'orateurs sont inscrits. Je ne voudrais pas les priver de la faculté d'énoncer leur opinion dans une matière qui les intéresse.

Je laisserai donc parler de nouveaux orateurs. J'aurai sans doute l'occasion de rencontrer de nouvelles observations. Je les comprendrai dans un résumé général, si tant est qu'à la fin de la discussion la chambre soit disposée à me prêter l'attention convenable.

Pour le moment, je crois devoir me borner à bien préciser en fait le point véritable de la discussion, le dissentiment qui nous sépare.

Il s'agit aujourd'hui, entre l'honorable M. de Theux et nous, d'une différence de 50 cent, par 100 kilog. Voilà toute la question, sauf les réserves de l'honorable M. de Theux pour l'avenir. Cela peut contrarier un peu ceux qui voudraient de cette question très simple, très petite, faire une très grande question. Cela peut contrarier ceux qui voudraient faire croire à l'agriculture qu'elle n'a devant elle qu'un gouvernement hostile.

C'est la tactique qu'on emploie aujourd'hui, je ne sais avec quelle chance de succès. Le gouvernement, dit-on aux campagnes, vous traite plus mal que le gouvernement hollandais; il ne veut accorder à l'agriculture aucune espèce de protection. Mais nous, vos représentants, vos défenseurs naturels, nous saurons empêcher ce gouvernement ennemi de nuire à vos intérêts, de vous ruiner.

Eh bien, je ne conteste pas les sympathies de mes honorables adversaires pour l'agriculture. Cette sympathie éclate en fort beaux discours, en paroles très éloquentes. Mais je puis dire que je prouve ma sympathie à l'agriculture autrement que par des discours ; je puis dire que presque chaque pas de notre administration a été marqué par une mesure bienveillante pour l'agriculture.

L'agriculture ne l'ignore pas ; car, chaque jour, elle est avertie, de la sympathie du gouvernement, qui, je le répète, éclate non pas en vaines paroles, mais en actes utiles, en améliorations pratiques.

Quel est notre but, messieurs? Notre but est d'encourager l'agriculture à perfectionner, à multiplier, à varier ses produits. Nous croyons qu'il y a pour l'agriculture la même voie à suivre que celle que l'industrie a suivie. L'industrie s'est successivement perfectionnée en sachant s'emparer de toutes les découvertes modernes, de tous les progrès de la science. L'agriculture, sous ce rapport, est restée en arrière de l'industrie. De là, messieurs, ces grandes différences entre les procédés de l'industrie et ceux de l'agriculture.

Dans l'ordre industriel, qu’est-il arrivé? Tous les produits se sont successivement multipliés sur une immense surface, et en même temps les prix ont baissé dans une proportion énorme. Tel produit, qui valait 20 fr. il y a vingt ans, ne vaut plus que 5 fr. aujourd'hui ; cette étoffe qui coûtait 20 fr. il y a quinze ans, ne coûte plus le quart aujourd'hui.

Il n'en a pas été de même dans l'ordre agricole. Là, le prix des choses est toujours resté à peu près le même. Je parle du prix moyen.

Eh bien, messieurs, est-il vrai de dire qu'en encourageant l'agriculture à produire davantage et à produire à meilleur marché, est-il vrai de dire que par là nous méconnaissons les intérêts de l'agriculture ? Mais l'industrie, qui produit une plus grande quantité de choses et qui vend ces choses à meilleur marché, s'est-elle ruinée à marcher dans cette voie? Dirait-on que l'agriculture se ruinerait si elle multipliait, si elle doublait ses produits et les vendait à meilleur compte de moitié? Eh bien, messieurs, voilà ce que nous voulons obtenir de l'agriculture. Nous voulons l'encourager à produire beaucoup, à étendre dans toutes les directions ses produits; mais en même temps nous voulons l'amener à vendre ses produits à meilleur compte. Dès lors il y aura bien-être pour tout le monde, pour le consommateur et pour le producteur.

Eh bien, messieurs, ce n'est point par des droits de douane que vous conduirez l'agriculture dans cette voie de progrès. Si vous encouragez exclusivement le grain, le cultivateur, trompé par ce bel appât, produira du grain, toujours du grain et toujours le même grain. Voilà quel sera le résultat de vos droits protecteurs.

Si, au contraire, vous n'encouragez pas l'agriculteur par cette espèce de prime spéciale, il variera ses produits. Remarquez, d'ailleurs, combien votre système est inconséquent : vous voulez une protection pour l'agriculture et il y a une masse de produits agricoles que vous ne protégez pas. Avez-vous une protection pour le lin? Avez-vous une protection pour le chanvre? Avez-vous une protection pour le colza? Avez-vous une protection pour le houblon?

Cependant tous ces produits prospèrent et s'exportent. Le cultivateur n'est pas protégé pour ces produits par un droit de 1 fr., de 2 fr. de 10 fr.; ce qui ne l'empêche pas de les cultiver avec avantage et de les exporter, vous l'avez vu, en quantité considérable.

Encouragez donc l'agriculteur dans cette voie. Qu'il produise du grain, mais qu'il produise aussi autre chose, qu'il perfectionne tous ses produits, qu'il augmente sa production et il trouvera, dans les quantités plus considérables qu'il vendra, une compensation du prix moins élevé auquel il vendra. C'est le phénomène qui s'est passé dans l'ordre industriel; il doit évidemment se passer dans l'ordre agricole. Il est faux de dire qu'un pays produit trop, que la Belgique produit trop; on est revenu de cette erreur, puisque l'on a été forcé soi-même de faire entrer en privilège dans certaines provinces une quantité déterminée de céréales, de les faire entrer à un droit réduit.

La production en Belgique est au-dessous de la consommation. Année moyenne, il manque en Belgique 500,000 hectolitres de grains.

Eh, messieurs, est-il exact de dire que tout le monde mange du pain en Belgique? Est-il exact que tous les Belges, pour qui vous demandiez tout à l'heure l'égalité, soient égaux devant le pain? Combien de familles ne mangent pas, je ne dirai pas du pain de froment, mais ne mangent pas de pain du tout. Dans le Luxembourg, est-ce du pain de froment que l'on mange? Est-ce du pain de seigle? Non, messieurs, c'est du pain d'avoine.

Eh bien, messieurs, si les Belges continuent à manger, les uns du pain de froment, les autres du pain de seigle, une troisième catégorie des rations d'avoine sous forme de pain; si, enfin, une quatrième catégorie ne se nourrit que de pommes de terre, ce n'est point là l'égalité. Nous voulons que l'agriculture perfectionne ses produits, qu'elle les multiplie et qu'elle les vende à meilleur compte, qu'elle les mettent autant que possible, à la portée de tous; voilà pourquoi nous prenons tous les jours des mesures efficaces pour l'engager, pour la stimuler dans cette voie.

A ce point de vue, messieurs, serait-il si difficile de nous entendre?

Vous voulez, comme nous, protéger les villes et les campagnes; vous voulez, dites-vous, aussi que les denrées soient abondantes et à bon compte. En principe nous sommes donc parfaitement d'accord. Vous voulez, dites-vous, des droits modérés. Mais quelles sont donc les grandes différences qui nous séparent? Renoncez, messieurs, à ce que nous considérons comme une vieille erreur, erreur à laquelle renoncent ou ont renoncé des peuples plus avancés et plus pratiques que nous. Renoncez à cette erreur de vouloir protéger l'agriculture par des droits qui ne la protègent pas ou qui ne favorisent qu'un petit nombre d'intéressés, et alors nous pourrons réunir tous nos efforts vers un même but, vers une protection véritablement efficace pour l'agriculture.

Vous dites que la Hollande protège plus l'agriculture que ne le fait la Belgique ; cela est encore complètement contraire aux faits. A l'échelle (page 605) mobile dont on a essayé quelques années en Hollande, on a substitué un droit fixe qui est aujourd'hui, je pense, de 63 centimes. ;

M. de Theux. - De 75 centimes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a les centimes additionnels.

- Un membre. - C'est 75 centimes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Soit 75 centimes par 100. kilog.

La Hollande est donc entrée dans le même système que l'Angleterre; c'est ce même système que nous tâchons de faire prévaloir en Belgique.

Messieurs, l'orateur qui a pris aujourd'hui la parole le premier, a dit un mot que je dois relever.

Il a semblé reprocher au gouvernement de provoquer, par sa politique, une lutte entre les villes et les campagnes; de faire succéder cet antagonisme à l'autre lutte qui nous a divisés pendant de longues années et , dont l'honorable représentant de Neufchâteau constate la fin avec un vif plaisir.

Eh bien, nous n'avons pas cherché à faire naître la guerre entre les villes et les campagnes ; ce n'est pas nous qui avons poussé des cris de détresse dans cette enceinte ; ce n'est pas nous qui avons présenté 400,000 ouvriers comme se trouvant sans ouvrage par suite de la politique commerciale du gouvernement.

M. Jullien. - Je n'ai rien dit de semblable.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne dis pas que c'est vous.

Ce n'est pas nous qui avons agrandi à plaisir cette question, qui avons suscité les pétitions, qui avons sonné l'alarme dans les campagnes. Nous proposions une chose bien simple, de continuer pendant une année un système qui dure depuis un an et qui n'était que la continuation d'un régime antérieurement établi. Et si l'on craignait tant de voir naître la guerre entre les villes et les campagnes, il fallait adopter simplement cette loi, il fallait éviter des discussions longues et qui peuvent devenir très irritantes, je ne me le dissimule pas.

Dans cette enceinte, il faut le reconnaître, le débat a été en général calme et modéré; mais hors de cette enceinte, la discussion peut prendre d'autres proportions, recevoir d'autres aliments, il n'est pas bon pour les populations que de pareilles questions soient souvent agitées. Cela n'est bon pour aucune opinion.

Ainsi nous ne pouvons pas accepter le reproche d'avoir suscité une lutte ou une émotion qu'il eût été très facile d'éviter.

Mais il y a plus : au dire de l'honorable député de Neufchâteau, nous aurions menacé la chambre, nous aurions placé la chambre sous une sorte de terreur parlementaire, qui paraît avoir gagné l'honorable député de Neufchâteau, quoique placé à une distance assez respectable du banc ministériel.

Eh bien, est-il interdit au ministère d'avoir une opinion? Ne peut-il exprimer cette opinion, sans avoir l'air de menacer la chambre? La chambre n'est-elle pas libre, indépendante? Ne peut-elle pas combattre toutes les opinions qui émanent du banc ministériel?

Le jour où ces opinions transformées en projets de loi ne conviennent pas à la majorité de la chambre, elle a un moyen très facile de se débarrasser des ministres qui l'épouvantent ; elle n'a qu'à repousser ces projets de loi, voilà tout. Personne au banc ministériel n'a la sotte et vaine prétention d'obtenir des lois par l'intimidation : nous avons trop bonne opinion de la complète indépendance du parlement, tel qu'il est sorti de la réforme électorale que nous avons eu l'honneur de proposer.

M. de Theux (pour un fait personnel). - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur ne me semble pas avoir bien compris ce que j'avais eu l'honneur de dire à la chambre; je croyais cependant m'être expliqué d'une manière assez claire.

J'ai dit que s'il ne s'agissait que de l'intérêt des grands propriétaires, des grands cultivateurs, ayant un capital suffisant en réserve, le droit fixe d'un franc, avec la libre exportation, serait, à mon avis, un droit suffisant. Ce n'est pas la première fois que j'émets cette opinion; je l'ai émise dans une autre circonstance.

J'ai dit en même temps que, dans mon opinion, ce droit était insuffisant, dans le cas d'un grand avilissement des prix, pour la masse des cultivateurs qui n'ont pas de réserve; que, d'autre part, lorsque le prix des denrées alimentaires est trop élevé, le droit d'un franc était onéreux pour la classe si nombreuse des consommateurs qui ne sont pas à l'aise.

Maintenant, pour compléter ma pensée, et pour qu'il ne puisse plus y rester d'équivoque, je dirai que je voterai pour le droit d'un franc 50 centimes, mais avec la pensée d'abolir ou de supprimer ce droit, lorsque le prix des denrées s'élèvera d'une manière exorbitante.

M. le ministre de l'intérieur a parlé du droit que j'avais réclamé en 1845 ; mais l'honorable ministre n'a pas vu qu'à côté de ce droit établi pour les cas où le prix du blé s'avilissait, j'admettais l'importation la plus libre lorsque le prix du blé dépassait un certain taux ; et dans cette catégorie d'idées, je citerai la loi hollandaise de 1835 qui accordait un droit de fr. 7-90 c, lorsque le blé était descendu au prix de fr. 14-82 c, que probablement il atteindra cette année.

Je dirai de plus que, si ma mémoire est fidèle, dans le projet de loi présenté par le ministère de 1840, dont l'honorable M. Rogier faisait partie, il y avait aussi une échelle mobile; en outre, à un certain taux d'avilissement, il y avait prohibition.

Conclura-t-on de là que l'honorable M. Rogier ne voulait à aucun prix de l'importation des blés étrangers? Non, il y aurait à cela injustice; eh bien, il y aurait une injustice égale de la part de l'honorable M. Rogier de conclure de mon opinion de 1845 qu'il fallait des droits très élevés, à mesure que le prix s'abaissait, comme il fallait l'abolition des droits, quand le prix s'élevait.

Voilà, messieurs, la vérité. Je n'ai pas autre chose à dire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Puisqu'on demande la parole pour un fait personnel à propos de chiffres, je la demanderai pour répondre quelques mots.

L'honorable préopinant a dit qu'il n'avait pas trouvé le droit de 1 fr. suffisant ; ou je l'ai bien mal compris, ou il l'a dit positivement; et certes il n'avait pas annoncé qu'il voterait pour le droit de fr. 1-50, il vient seulement de le faire. J'avais été d'autant plus surpris de voir son discours aboutir à la conclusion d'un droit d'un franc que je m'attendais à voir l'honorable membre revenir au moins à la moitié des droits qu'il proposait en 1845. Maintenant c'est à 1 fr. 50 c. qu'il se rallie, je retire sous ce rapport les félicitations que je lui avais adressées après son premier discours. Je vois qu'il n'est pas encore aussi converti que je le croyais.

L'honorable membre veut encore trouver un côté libéral à la proposition des 21. Quand le froment dépassait un certain prix, l'entrée, dit-il, était libre. A 24 fr. le froment entrait au droit de 25 centimes ; au prix de 22 à 23 fr. le droit était de 1-23 fr.; de 21 à 22 fr., il était de 2-25; de 20 à 21 fr., de 3-25. Vous voyez jusqu'où allait la modération de M. de Theux; ce droit, l'avouerait-il encore aujourd'hui et voudrait-il le proposer, malgré toutes les prétendues souffrances de l'agriculture et la sympathie qu'il lui porte ?

M. de Theux. - Je demande la parole pour un fait personnel.

L'honorable ministre de l'intérieur a commis involontairement une omission. Il aurait pu dire quels étaient les droits de sortie quand le prix du froment atteignait une certaine élévation dans le projet de 1845„ Quoi qu'il en soit, j'accepte la responsabilité de la proposition d'alors. Cette législation régit la France depuis un grand nombre d'années et nous ne voyons pas que la population y ait été affamée. Quant à ce que j'ai dit dans mon discours, je ne l'ai pas contredit en parlant sur le fait personnel, je n'ai pas varié, mon discours demande à n'être pas divisé.

J'ai toujours dit que le droit d'un franc, suffisant pour les grands propriétaires et les gros fermiers, serait insuffisant pour les petits cultivateurs, lorsque les prix s'avilissent, et dans certains cas trop onéreux pour la masse des consommateurs. Quelle conséquence y avait-il à tirer de là ? Que ce droit ne me plaisait pas. Je voterai pour le droit de 1-50, sauf à le diminuer ou le supprimer entièrement quand le prix s'élèverait trop haut.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.