(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 217) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à une heure et hernie.
M. A. Vandenpeereboom donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. le président. procède au tirage au sort des sections.
M. de Luesemans présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants d'Aelst demandent le rejet du projet de loi sur les denrées alimentaires, et l'établissement de droits protecteurs.
« Même demande de plusieurs habitants de Halle-Boyenhove. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le conseil communal de Saint-Léonard demande le rejet du projet de loi sur les denrées alimentaires, et une augmentation de droit sur le bétail. »
- Même décision.
« Les administrations communales de Betecom, Tremeloo et Werchter demandent que le crédit de 100,000 francs alloué l'année dernière au budget des travaux publics soit reproduit au budget de 1850, afin de faire cesser les inondations de la vallée du Demer, et d'améliorer la navigation de cette rivière. »
M. de Man d'Attenrode. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics, qui est déjà saisie de la question.
M. de Luesemans demande, en outre, que cette pétition, relative à l'un des plus grands intérêts de l'agriculture, soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget.
- Ces propositions sont adoptées.
M. David (pour une motion d’ordre). - Messieurs, lorsque hier M. le rapporteur de la section centrale déposa le rapport sur le budget de la guerre, un grand nombre de membres demandèrent la lecture des conclusions. M. le rapporteur fit connaître ces conclusions; mais elles ont été rendues d'une manière incomplète par le Moniteur.
M. Manilius. - Je demande la parole.
M. David. - Je demande une rectification que pourra indiquer M. le rapporteur qui vient de demander la parole, et à qui je la cède bien volontiers.
M. Manilius. - Effectivement, comme vient de le dire l'honorable M. David, j'ai remarqué que, dans le compte rendu des Annales parlementaires, il n'est pas fait mention de l'observation que j'ai faite à propos du maintien avec solde entière des officiers qui se trouveraient au-dessus du complet; j'avais ajouté qu'il ne s'agissait que des officiers dans la stricte acception du mot, c'est-à-dire des officiers du premier degré, des officiers subalternes jusqu'au grade de capitaine. Mais je me suis hâté de rédiger un erratum que j'ai remis au Moniteur.
M. le président. - La rectification sera faite. Au reste, les observations qui viennent d'être faites en tiendraient lieu.
M. Manilius. - Au surplus, l'explication se trouve dans le rapport qui est à l'impression et qui sera distribué ce soir ou demain dans la journée.
M. de Luesemans. - Messieurs, j'avais demandé la parole afin de motiver mon vote dans cette grave discussion. Au point où elle est arrivée, je reconnais volontiers qu'il est peu d'arguments qui puissent être de nouveau développés. Je reconnais qu'elle doit se renfermer dans des termes très brefs. Je n'abuserai donc pas des moments de la chambre; je me bornerai à exprimer mon vote, à en énoncer les motifs et à aborder quelques objections qui n'ont peut-être pas encore été suffisamment réfutées.
Mon vote sera approbatif. Messieurs, il est un point sur lequel tout le monde dans cette enceinte est d'accord: c'est sur la nécessité impérieuse de moraliser les classes inférieures, de les exciter à l'épargne.
Je considère cette nécessité comme résultant directement de l'enseignement gratuit que la loi leur accorde.
Il serait on effet inutile, dangereux même d'instruire le peuple, et de ne pas lui donner le moyen d'appliquer les connaissances que vous lui aurez fait acquérir dans les écoles.
Tous ceux qui ont eu avec les ouvriers des rapports quelconques, ont été frappés de cette circonstance, que l'épargne est chez eux la qualité qui est malheureusement le moins développée.
Je sais qu'il est un argument qu'on peut opposer et qu'on oppose souvent à cette réflexion, c'est celui qui est tiré de l'exiguïté du salaire. Mais l'argument ne me paraît pas péremptoire, parce que fâcheusement s'il est vrai de dire que l'ouvrier qui ne gagne pas assez pour pourvoir à ses besoins et à ceux de sa famille est dans l'impossibilité d'épargner, d'autre part il est tout aussi vrai de dire, que les ouvriers qui gagnent amplement de quoi suffire à ces besoins, n'éprouvent pas plus que les autres le besoin d'épargner pour subvenir à des besoins prochains, encore moins aux besoins de leur vieillesse.
Quoiqu'il en soit, sur ce point, tout le monde est d'accord qu'il est urgent d'améliorer le sort des classes laborieuses, et de faire pénétrer le besoin d'ordre et de moralité.
La divergence d'opinions ne commence à naître (l'honorable M. de Liedekerke l'a répété hier dans la discussion) que quand il s'agit de faire l'application du principe.
D'après moi, la crainte manifestée dans cette occasion est exagérée. Cette crainte naît de l'envahissement présumé de l'hydre du socialisme. Tranchons le mot. Il a été assez souvent répété dans cette enceinte pour qu'il nous soit permis, pour que ce soit même une obligation de discuter avec lui. La peur du socialisme, qu'on a présenté comme menaçant d'envahir la société, je la conçois et je la partage.
Mais ce que je ne m'explique pas, c'est que cette peur naisse à propos du projet de loi en discussion ; ou plutôt, messieurs, en cherchant à m'en rendre compte, je ne puis me dispenser de faire remarquer à la chambre que je la crois engendrée par la confusion même qui s'est glissée dans la doctrine des socialistes.
En général, ceux-ci partant d'un fait malheureusement certain, c'est-à-dire des souffrances et des imperfections de la société, prétendent avoir trouvé une panacée universelle pour la guérison de toutes les plaies sociales.
De là, messieurs, naissent plusieurs systèmes qui sont loin de se ressembler tous, mais qui ont ce point commun, c'est qu'ils sont tous indivisibles et qu'ils ne permettent point qu'il en soit rien détaché. Ceux-là confondent donc dans leur imagination et présentent comme remède universel, ce qui est praticable comme ce qui ne l'est point.
Prenant le contre-pied de cette doctrine, que je considère comme erronée, par cela qu'elle est absolue, certains esprits sérieux dans cette chambre et ailleurs, qui se sont occupés des souffrances des classes laborieuses, ont fait la même confusion, et réprouvent à la fois ce qui est utile, moral, d'une application non seulement possible, mais nécessaire, avec ce qui doit être considéré comme des utopies irréalisables, sinon dangereuses.
C'est à tel point que, dans la discussion, un honorable orateur a dit que s'il éprouvait quelque répugnance pour quelques-uns des principes de la loi, c'était par le même motif qui les avait fait adopter dans un autre pays. Il a invoqué ce mot d'un socialiste : « Lorsque la pointe d'une épée est entrée quelque part, le reste ne tarde pas à y entrer. » Eh bien, messieurs, cette citation est, d'après moi, le résultat de la confusion que je viens de signaler.
Je crois que la société peut opposer à cette épée un corps assez dur pour empêcher la lame d'y entrer.
« Il ne faut pas se dissimuler (disait un autre honorable orateur) que le projet de loi cache un droit à l'assistance, qu'il est comme un fragment de l'organisation du travail. » C'est principalement pour relever ce passage, que je considère comme produit par la même erreur, que j'ai attaché une certaine importance à pouvoir motiver mon opinion.
Si le projet en discussion, je le déclare tout d'abord, avait pour résultat de nous conduire soit au droit à l'assistance, soit à l'organisation du travail, comme l'entendent certains socialistes, je n'hésiterais pas à le rejeter. Mais dans ma pensée, il n'y a dans la loi que nous discutons, ni le germe de l'un ni le fragment de l'autre.
La loi ne contient pas le germe du droit à l'assistance. En effet, messieurs, le droit à l'assistance est un droit proclamé en faveur de tous.
D'après les doctrines socialistes, l'Etat doit l'assistance ou devrait l'assistance à tous les ouvriers, à tous les malheureux en général qui se trouvent dans le besoin.
Dans le projet de loi, et d'après ses auteurs, il ne s'agit d'accorder un certain droit qu'à des ouvriers, qu'à des citoyens qui ont eux-mêmes fait les fonds, qui ont eux-mêmes déposé dans les caisses de l'Etat une somme qui, par les intérêts cumulés et composés, finissent par leur assurer, d'après des calculs basés sur les tables de mortalité, une existence heureuse dans leur vieillesse.
Le projet de loi ne contient pas davantage le germe de l'organisation du travail. D'après moi, et c'est là le beau côté de la loi, il n'y a rien qui soit aussi diamétralement opposé à l'organisation du travail que l'organisation d'une caisse d'assurances sur la vie, dans le sens, dans les termes et avec la signification que la loi actuelle consacre.
L'organisation du travail, messieurs, veuillez-le remarquer, dans lois les systèmes, c'est la confiscation des intérêts personnels au profit des intérêts soi-disant généraux. L'organisation du travail, c'est la négation (page 218) de la liberté individuelle et son remplacement par une direction unique résultant de la volonté de tous. Or, messieurs, dans le projet de loi, les intérêts individuels sont si peu absorbés au profit des intérêts généraux, que s'il est un reproche que l’on peut faire à la loi, reproche qui lui a été fait et qui, je l'avoue, m'a assez vivement touché, c'est de trop favoriser les intérêts individuels et de les favoriser même, dans certaines circonstances, au détriment de la famille.
Messieurs, j'espère que les craintes qu'on a manifestées sous ce rapport, et que je partage jusqu'à un certain point, viendront à disparaître, mais je tiens à constater que l'intérêt individuel ne se trouve d'aucune façon absorbé au profit de l'intérêt général. La liberté individuelle qui, dans l'organisation du travail, du moins dans tous les systèmes socialistes, se trouve, elle aussi, sacrifiée, reste ici tout entière.
D'après le projet, l'homme reste libre. Il reste libre de participer ou de s'abstenir. Personne ne l'engage, si ce n'est son intérêt; mais alors aussi sa volonté tiendra la place de la loi.
Je crois donc, messieurs, me résumant sous ce double point de vue, que le projet en discussion n'a pas les inconvénients qu'on a signalés. Je crois que le projet n'aura pas pour résultat de faire naître les inconvénients signalés justement, d'après moi, si la loi n'était autre chose que le droit à l'assistance ou l'organisation du travail.
Messieurs, d'autres orateurs ont déjà répondu en très grande partie à l'objection qui avait été faite et qui consistait à dire que l'Etat faisait par trop sentir sa main; que, dans ce cas, comme dans la plupart des autres, l'Etat ne devait point intervenir, mais qu'il devait laissera l'initiative individuelle le soin d'organiser l'association. Si cet argument, messieurs, avait toute la valeur que, très consciencieusement, leurs auteurs y attachent, il en résulterait, pour en faire l'application au projet qui est en discussion, que les caisses d'assurances sur la vie seraient tout simplement impossibles ; il faudrait renoncer à les établir, car je ne pense pas que l'on puisse jamais espérer que l'initiative individuelle puisse arriver à faire fonctionner une grande institution et à l'appliquer aux participants répandus sur toute la surface du pays.
L'Etat, d'après moi, doit dans cette circonstance comme dans beaucoup d'autres, intervenir à la condition seulement qu'il y ait un grand intérêt social engagé. Alors l'Etat doit prêter la main aux efforts individuels, doit les encourager, doit les coordonner, doit les provoquer par des moyens qui n'engagent pas trop sa responsabilité. C'est ce que fait la loi et c'est encore pour ce motif que je l'adopterai.
Mais y a-t-il un grand intérêt social engagé dans cette question? Je n'hésite pas à le dire, à mon point de vue, il y a dans la question un des plus grands intérêts sociaux qui occupent aujourd'hui tous les philanthropes, toutes les personnes qui ont quelque peu réfléchi à la condition des classes inférieures de la société. Tout le monde sait, messieurs, que les plus grandes commotions politiques sont le résultat des mécontentements quelquefois légitimes, quelquefois injustes des populations. Très souvent, messieurs, les misères trop réelles sont exploitées par quelques soi-disant amis du peuple, qui le poussent dans la rue en se tenant eux-mêmes à l'écart.
Ce qu'il est permis d'affirmer, c'est que si l'Etat parvient à associer les masses à l'ordre, autant qu'elles sont souvent exploitées par l'esprit de désordre, s'il les rattache à la propriété par l'épargne, il aura donné à la société une grande garantie de sécurité, en même temps qu'il aura procuré un grand bien-être à ceux à qui le bien-être était inconnu jusque-là.
N'y a-t-il pas là un grand intérêt social apparent? N'est-il pas évident que l'Etat ne devait point hésiter d'intervenir, alors surtout qu'il a la certitude que les efforts individuels seront à jamais impuissants?
Et, en effet, quels sont les efforts qu'il faudrait ici voir combiner? Les efforts de gens qui n'ont aucune notion d'affaires, aucune notion des éléments constitutifs d'une société, qui ne connaissent pas les calculs auxquels il faut se livrer, qui sont dépourvus complètement des moyens de les faire, qui ne sont mis en rapport ensemble par aucun lien, par aucun élément de cohésion.
Voici comment s'exprimait à cet égard un homme qui s'est beaucoup occupé du sort des classes laborieuses, qui présenta, en 1840, à l'Académie des sciences morales et politiques de France, un ouvrage que cette Académie n'hésita pas à couronner. J'ai déjà nommé Eugène de Buret.
« L'association mutuelle de la misère et de l'ignorance ne produira jamais pour résultat la richesse, l'intelligence et la moralité. »
J'ai dit que l'association n'était pas possible, réduite à ses propres moyens; je dirai que, dans certaines circonstances, elle peut être dangereuse, et qu'elle l'a été dans un des pays qui nous avoisinent.
Je pourrais multiplier les exemples, je n'en citerai qu'un seul.
Tout le monde sait qu'en 1834, il existait à Lyon des sociétés de « mutuellistes » et des sociétés de « ferrandiniers ». Dans le principe, ces associations avaient été formées dans un but de fraternité et de secours mutuels; elles furent généralement approuvées, précisément à cause du but pour lequel elles étaient formées; mais lorsqu'en 1834 la seconde ville de France fut bouleversée par les discordes civiles, l'esprit de parti s'empara de ces associations ; elles furent les premières à descendre dans la rue, et ce fut avec elles que le gouvernement eut d'abord à compter.
Messieurs, je conçois qu'on dise que l'Etat ne doit ni perdre ni gagner. Mais si j'examine la valeur et les noms des personnes qui se sont livrées à des calculs basés sur des faits incontestables, je pense que la chambre doit avoir ses entiers apaisements. Je crois que ces calculs ont été faits de telle sorte que l'Etat ne doit ni perdre ni gagner.
Je dis, messieurs, que les personnes qui se sont livrées à ces calculs doivent nous inspirer toute confiance. En effet, dans tous les discours que nous avons entendus, il n'est aucun membre, quelque compétent qu'il fût, qui ait fait une observation quelconque contre ces calculs; il n'en est aucun qui n'ait rendu un hommage éclatant aux personnes que le gouvernement avait chargées de la mission d'élaborer le projet de loi.
Mais si l'Etat ne doit ni perdre ni gagner, c'est-à-dire si les efforts de la loi doivent chercher à arriver à cette conséquence, que l'Etat ne perde ni ne gagne, je ne puis admettre que l'Etat ne doive pas garantir. Je crois que la garantie de l'Etat doit être, dans cette question, mise sur la même ligne que son intervention ; je crois que sans la garantie de l'Etat, la caisse d'assurances ne peut pas être créée; sans cette garantie, il serait impossible d'inspirer une confiance suffisante pour que des hommes, dont le patrimoine est nécessairement restreint, fussent disposés à engager leur fortune dans une entreprise dont toutes les chances aléatoires devraient retomber sur eux seuls.
La loi a donc, d'après moi, sagement fait de faire intervenir la garantie de l'Etat, et par ce motif encore, je lui donnerai mon assentiment.
Mais la loi, tout en en stipulant que l'Etat serait garant, a également donné à la législature à venir le moyen d'enrayer cette garantie au moment où elle deviendrait fâcheuse. Par cette combinaison, la garantie ne sera d'abord que minime, et elle sera, dans tous les cas, temporaire. Mais en supposant, messieurs, que l'Etat puisse dans un avenir, dans tous les cas très éloigné, avoir à supporter quelque perte du chef de sa garantie, devrait-il reculer? Je ne le pense pas.
Quand nous voyons l'Etat payer pour l'entretien de la justice répressive, autre genre de socialisme, quand nous le voyons payer pour la construction de magnifiques palais destinés aux criminels, des pénitenciers pour les reclus, quand nous le voyons même subsidier les maisons des filles repenties, je crois qu'il doit faire quelque chose pour la justice préventive, pour le succès d'une institution destinée à moraliser le peuple. Je pense que l'Etat ne doit pas attendre que les prisons, les bagnes et les pénitenciers soient remplis pour reconnaître que son action doit commencer. Je pense par suite, non seulement que l'Etat fait sagement d'intervenir, mais qu'il fait sagement aussi de garantir.
Messieurs, un orateur qui siège sur mon banc a cité Michel Chevalier et la loi du 17 juin 1792 de la Constituante.
La discussion s'est engagée sur ce point, et je ne me propose pas d’y revenir; je la crois épuisée; mais qu'à propos de cette citation, il me soit permis d'en faire une autre, empruntée au même auteur, faisant allusion aux mêmes événements. Je prie la chambre de vouloir méditer sur cette citation :
« Actuellement, disait Michel Chevalier, que nous sommes en face de dangers tout autres que ceux dont se préoccupait la Constituante, nous devons agir différemment. Le besoin de commune défense contre la féodalité avait enfanté jadis les corporations exclusives et méfiantes dont la Constituante voulut effacer les derniers vestiges. Le besoin de commune défense contre la misère, contre le paupérisme, contre les bouleversements politiques, nous fait une loi d'entrer à pleines voiles dans les idées d'association.
« Il convient que les associations qui existent actuellement se remanient, qu'elles élargissent leurs cadres, qu'elles se dépouillent de l'esprit de monopole et de sentiments hostiles à d'autres parties de la population, dont elles ont pu être animées. Il convient encore plus que de nouvelles s'organisent. L'association doit être désormais à l'ordre du jour. »
Eh bien, c'est parce que la loi a pour but de mettre en pratique ce conseil de Michel Chevalier, que je lui donnerai de nouveau, par un troisième motif, mon assentiment. Je désire rencontrer encore une objection.
Dans cette discussion comme dans plusieurs autres, on a cité l'exemple de l'Angleterre; l'on a vanté sa puissance matérielle; on a présenté ses développements intellectuels comme excitant l'envie de tous les peuples.
On était dans le vrai. Mais je ne serai pas moins dons le vrai quand je demanderai s'il est un pays où la misère se présente sous des formes aussi hideuses.
Qui ne sait qu'à Londres, à Liverpool, à Leeds, à Birmingham, dans presque tous les grands centres de population, il y a des quartiers immenses dont il est plus difficile de décrire la pauvreté qu'il n'est difficile de décrire la richesse, la superbe magnificence de cet étrange peuple? Ne sait-on pas que l'Angleterre est peut-être de toute la terre le pays où l'on cherche avec le plus de constance, mais avec le moins de succès, depuis des siècles, à trouver un remède à la plaie du paupérisme qui la ronge?
Je ne voudrais pas faire subir à la chambre un cours d'histoire du paupérisme en Angleterre ; mais il me sera permis de dire que le gouvernement anglais, tout en laissant l'action individuelle dans un cercle que j'appellerai fatal, ne s'occupe pas moins avec une grande ardeur des moyens de soulager les besoins de la classe pauvre.
Depuis le statut des ouvriers qui fixe le salaire de tous les métiers jusqu'à la loi d'amendement de 1834, tout prouve que nulle part la misère publique n'a préoccupé les gouvernements comme elle a préoccupé ceux qui se sont succédé dans le gouvernement en Angleterre. Mais je n'entends pas pour cela vanter le système de décentralisation que, jusqu'à présent, on y a employé. Je crois devoir le blâmer énergiquement, au contraire. La taxe des pauvres qui en fait partie n'est-elle pas une (page 219) effrayante contribution prélevée sur les citoyens et qui fut, en définitive, impuissante à empêcher le mal de s'étendre?
Voulez-vous savoir quelle a été la proportion dans laquelle s'est développée cette taxe effrayante imposée aux citoyens anglais?
En 1776 le nombre dos pauvres était de 8,872,980 et la taxe s'élevait à 1,720,316 liv. sterl.
En 1801 la taxe s'élevait à 4,078,852; en 1818 elle s'éleva à 7,870,801, pour 11,978,875 habitants, lorsqu'enfin en 1832 elle s'éleva à la somme effrayante de 8,739,882, près de 200,000,000 de francs pour une population de 14,000,000 d'habitants.
Telle était la situation du paupérisme en Angleterre et des moyens qu'on avait employés pour la combattre avant 1834, et cependant on fut frappé de cette circonstance que l'accroissement des produits de la taxe ne diminuait en rien la misère ; on fut frappé que des moyens aussi héroïques restèrent tous impuissants pour détruire le paupérisme ; c'est que le système était mauvais. Alors parut cette loi d'amendement dont je viens de parler. Savez-vous ce qu'on a fait? On a substitué aux secours en argent les secours en nature ; on a bien fait, mais on a cru trouver la panacée universelle dans l'érection de ces ateliers qu'on appelle « work-houses ». Or savez-vous ce que c'est que ces ateliers?
Ce sont des lieux de refuge où l'on offre au pauvre ouvrier ce qu'il lui faut pour ne pas mourir de faim ; mais on a soin de le séparer de sa femme et de ses enfants; car les âges et les sexes sont séparés, parce qu'on a soin de lui faire comprendre que ces ateliers ne sont que des asiles auxquels il ne faut avoir recours que quand il le faut, pour échapper aux plus horribles souffrances, à la mort même. Voilà pourquoi je ne puis pas approuver le système adopté en Angleterre pour extirper le paupérisme. Voilà pourquoi je préfère le système d'action moralisatrice, d'action préventive. Voilà pourquoi je préfère le système de la loi qui vous est soumise. C'est aussi pour ce motif que l'honorable M. Van Hoorebeke vous a dit, dans une autre séance, que le gouvernement anglais, frappé de l'impuissance, des moyens employés jusque-là, cherchait à relier entre eux les efforts isolés, à les ramener à la centralisation, cherchait à établir sous son œil l'action par trop divisée des efforts individuels.
Je me permettrai une dernière citation ; c'est celle qui, eu égard à l'objet de la discussion, me paraît de l'ordre le plus élevé. Michel Chevalier dit encore, à propos des caisses d'épargne, ce qui est, je crois, complètement applicable aux caisses d'assurances sur la vie :
« Dès qu'il est déposant, dit-il, l'ouvrier acquiert une conduite régulière, s'il ne l'avait déjà, et c'est pour cela qu'un livret à la caisse d'épargne, avec un premier dépôt, est une des récompenses les plus heureusement imaginées que puisse accorder un manufacturier. L'arrivée à la propriété, sous cette forme comme sous toute autre, est pour l'ouvrier ce qu'était pour le géant de la Fable le contact de la terre, elle lui communique une force extraordinaire. De ce moment, il sait ce que c'est que prévoir; l'avenir prend à ses yeux une signification, la vie un but. »
Eh bien, j'espère que dans notre pays aussi où la bienfaisance a pris un si grand développement, nous pouvons compter sur le concours des chefs d'atelier. J'espère qu'après l'institution de la caisse d'assurances, le chef d'atelier donnera comme récompense au zèle et à l'activité de ses ouvriers des livrets de cette caisse, afin que l'homme qui a sacrifié sa vie à concourir à la fortune de son maître puisse se retirer dans sa vieillesse, et avoir, lui aussi, quelques jours de repos et de bonheur. Je termine en me résumant.
J'approuve le principe de la loi; j'approuve la disposition fondamentale. Je me réserve l'examen des détails, dont quelques-uns me semblent susceptibles de modifications.
Telle qu'elle est, je la considère comme un bienfait
Je la considère comme un premier pas dans la voie de l'association libre.
Je considère l'action du gouvernement comme salutaire, chaque fois qu'elle a pour but de provoquer, de coordonner, d'encourager, de diriger l'initiative individuelle, sans engager ni amoindrir les libertés publiques.
Telle qu'elle est réglée, la garantie de l'Etat me semble nécessaire, sans danger.
L'ensemble de la loi me paraît à la hauteur des circonstances où nous nous trouvons; elle est pour moi un gage de sécurité et d'ordre et un moyen efficace de civilisation.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. de Mérode. - J'aurais voulu motiver mon vote. Je n'ai pas un long discours à prononcer. Mais j'aurais voulu faire connaître mon opinion.
M. Le Hon. - Après la clôture prononcée, la discussion de l'article premier, par le principe qu'il pose et qui domine toute la loi, permettra à chaque membre de présenter l'cxplication des motifs de son vote.
M. de Mérode. - Soit! Je demande la parole sur l'article premier.
- La discussion générale est close.
La discussion est ouverte sur l'article premier, ainsi conçu :
« Art. 1er. Il est créé avec la garantie de l'Etat, et sous la garantie du gouvernement, une caisse générale d'assurances sur la vie. Elle fonctionnera à partir de la présente loi, comme caisse de retraite. »
La section centrale conclut à l'adoption de cet article.
M. Dumortier propose à cet article un amendement tendant à supprimer les mots avec la garantie de l'Etat. Cet amendement est appuyé.
M. Pirmez. - Je n'ai pas la prétention de faire changer les convictions et les idées qui donneront à la loi une immense minorité.
Ces idées deviennent de plus en plus un torrent irrésistible qui doit entraîner tous les intérêts de la société et les livrer à un pouvoir arbitraire qu'on nomme l’’Etat.
Je désire seulement, en votant contre la loi, dire que vous n'atteindrez pas le but que vous annonciez d'abord vouloir atteindre, de venir au secours des citoyens les plus nombreux et les plus pauvres, et vous en êtes déjà convenus dans la discussion, mais que vous feriez tout le contraire.
Aujourd'hui, comme toujours, c'est au nom du travail, des travailleurs des ouvriers, que l'on confère à l'Etat de nouvelles attributions.
Dans ce cas-ci, comme dans beaucoup d'autres, ces mots demandent à être définis. Un boutiquier, un médecin, un peintre sont-ils des ouvriers, des travailleurs?
Voire loi n'exclut personne, pas même le rentier, quelque riche qu'il soit, et qui certes n'est pas un travailleur.
Elle procure son bénéfice à quiconque possède une accumulation de valeurs, un capital.
Mais pour user de la loi il faut posséder une accumulation, un capital.
C'est une question de calcul, de convenance dans l'application d'une accumulation.
Or, la grande majorité des citoyens ne possède pas et ne peut malheureusement posséder d'accumulation.
Un orateur éloquent l'a dit dans la discussion, les salaires suffisent à grande peine à l'existence.
Comment donc la grande masse de la population userait-elle de la loi?
Aussi n'attend-il pas grand effet de la loi; il veut d'autres mesures. Mais quelles mesures? Il n'en donne aucune idée.
Un autre orateur, qui a fait un grand éloge de la loi, a dit que le premier était dans l'erreur, et que les salaires étaient normalement suffisants.
C'est le dernier orateur qui est dans l'erreur. Si les salaires étaient normalement suffisants, votre loi pourrait être bonne et la misère disparaîtrait bientôt de la terre.
Non, les salaires ne sont pas suffisants. Mais ils sont beaucoup augmentés depuis l'époque des corporations dont on a l'ait l'éloge.
Dans la discussion, on a cité un fait qui prouve d'une manière irréfragable l'augmentation des salaires.
La durée de la vie humaine s'est accrue et tend encore à s'accroître, cela est vrai.
Cela prouve que les salaires sont plus élevés, c'est-à-dire que les moyens d'existence sont moins difficiles.
Cela prouve qu'entre l'offre et la rémunération du travail la distance est diminuée.
Comparez la durée de la vie au temps des corporations et au temps de libre concurrence ou d'individualisme où nous vivons, vous vous ferez une idée des souffrances relatives des deux époques.
Vous verrez qu'elles étaient bien plus grandes au temps des corporations.
Les corporations étaient oppressives de la masse de la société.
Sans doute elles donnaient l'existence à ceux qui faisaient partie des corporations, mais aux dépens de tout ce qui se trouvait en dehors.
Et cela est si vrai que lorsque la terre est appropriée, vous ne sauriez vous figurer des hommes en corporation sans des hommes en dehors des corporations, mais vous vous figureriez bien des hommes libres sans corporations.
De même, et bien moins encore, vous ne sauriez vous figurer des hommes prenant part au budget sans ceux qui payent au budget.
Comme on croit que les corporations étaient un bien dans certains cas, on veut substituer l'Etat aux corporations.
L'Etat, le gouvernement, sont des mots employés en sens divers, dont le manque de définition jette une grande confusion dans les idées.
Dans le sens que je l'emploie aujourd'hui, l'Etat, le gouvernement, ce sont les hommes qui trouvent leur existence dans le budget.
Avec les idées ou plutôt avec les phrases values et sentimentales qu'on répand sur les obligations et les devoirs de l'Etat, on sent que les hommes existant par le budget doivent se multiplier à l'infini.
Si l'Etat a de nombreux devoirs à remplir, ceux qui existent parle-budget doivent se multiplier en proportion de ces devoirs.
Et ne perdez jamais de vue qu'ainsi que dans les corporations et bien plus encore que dans les corporations, ceux qui se trouvent dans le budget, ne vivent que par ceux qui se trouvent en dehors.
Songez aussi que, bien plus encore que dans les corporations, l'existence se trouve assurée dans le budget, et qu'en dehors elle est livrée à une lutte incessante dans laquelle un grand nombre est exposé à succomber.
Il doit donc chaque jour se produire des efforts incessants pour faire absorber par l'Etat quelque nouvel intérêt, c'est-à-dire pour placer de nouveaux hommes en dehors du travail pénible et chanceux de la libre-concurrence.
Voyez les intérêts que l'Etat a absorbés, c'est-à-dire le nombre d'hommes que vous avez privilégiés! N'êtes-vous pas effrayés du chemin, que nous avons fait depuis 19 ans ?
(page 220) Vous commencez aujourd'hui une nouvelle série d'absorptions. Vous ne vous arrêterez pas, croyez-moi. Il n'y a pas de résistance à la force qui nous entraîne. Aux assurances sur la vie vous joindrez bientôt les incendies, les récoltes, et de libres qu'elles sont, vous les rendrez obligatoires, et nous proclamerons toujours que nous sommes le peuple le plus libre du monde.
La discussion vous a déjà fait convenir que votre loi ne regarde nullement ceux qui ne peuvent faire aucune accumulation, c'est-à-dire la majorité des citoyens. Mais elle sera profitable à d'autres classes, dites-vous!
Où commencent ces classes, où finissent-elles? Vous ne sauriez le dire. Nous ne sommes point divisés en classes.
Mais dans cette opération, il y aura réellement deux classes : ceux qui y prendront part et ceux qui ne voudront ou ne pourront y prendre part.
Le contrat d'assurance est garanti par la nation entière, et en cas de perte, elle sera supportée, comme par les autres citoyens, par ceux qui n'auront pu y prendre part, ceux qui ne peuvent accumuler de capital, et qui, par les impôts de consommation, subviennent aux charges nécessaires pour subsidier les entreprises de l'Etat, et ces charges, comme les autres, doivent être élevées en proportion de l'étendue de ces entreprises.
Vous voyez bien que votre loi n'a pas le caractère philanthropique que vous lui attribuez, et si vous vouliez bien aller au fond des choses, vous reconnaîtriez que l'intervention de l'Etat donne ordinairement par son résultat le contraire de ce qu'elle a promis.
Mais c'est sous le rapport moral que l'absorption des intérêts de la société par l'Etat a surtout un caractère fatal.
Je l'ai déjà démontré, je le démontrerai encore, quand nous aurons plus de temps.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je m'attendais bien à rencontrer le consciencieux député de Charleroy sur le terrain de l'opposition à l'occasion du projet de loi qui vous est soumis. Nos différends sont de longue date sur ces sortes de questions.
L'honorable préopinant a pour système de considérer l'action du gouvernement comme chose nuisible, inutile, dangereuse (interruption), qu'il faut restreindre autant que possible...
M. de Man d'Attenrode. - Qu'il faut limiter.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il faut donc restreindre cette action, autant que possible, parce que, suivant lui, à mesure qu'elle s'étend à de nouveaux objets, elle répand entre autres inconvénients, la démoralisation. Ce point important de son argumentation, il en a réservé les développements pour une meilleure époque; mais il est bien convaincu que plus le gouvernement étend son action, plus il étend aussi les germes de la démoralisation dans le pays. Voilà, je crois, son opinion bien nette et très consciencieuse.
M. Pirmez. - C'est une opinion chez moi très ancienne.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je le sais, mais c'est aussi une opinion que j'ai combattue depuis longtemps.
Messieurs, la discussion a déjà eu de grandes proportions; mon intention n'est pas de l'élever ici à une haute discussion de théorie gouvernementale. Je dirai seulement qu'il y a gouvernement et gouvernement; il y a de bons gouvernements, il y en a de mauvais; il y a des gouvernements qui font bien, il y a des gouvernements qui font mal; il y a des gouvernements qui ne font rien du tout, des gouvernements stériles. Mais supposer une société sans gouvernement, c'est là, je crois, une théorie qui appartient en propre, à l'honorable représentant de Charleroy.
M. Pirmez. - Personne n'a soutenu cette théorie.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement, tel qu'il est organisé en Belgique, rend-il les services qu'on est en droit d'attendre de son organisation et en raison des dépenses qu'il occasionne? Voilà la question.
Faut-il condamner le gouvernement à un rôle complètement inerte? Faut-il restreindre de plus en plus son action, le rendre de plus en plus indifférent aux choses de la société? Je ne le crois pas. Je pense que précisément, parce que le gouvernement coûte au pays certaines dépenses, gouvernement et chambres, car les chambres ne sont pas aussi sans coûter quelque chose au pays, il faut chercher tous les moyens d'utiliser le mécanisme gouvernemental.
En quoi la loi actuelle sera-t-elle onéreuse au pays? Quelle série nouvelle de fonctionnaires publics devra-t-on créer ? Ainsi que je l'ai déjà fait remarquer dans la discussion générale, l'administration financière publique sera mise au service de la nouvelle institution, sans qu'il soit nécessaire de créer de nouveaux fonctionnaires.
J'ai déjà dit que ce serait par l'intermédiaire des receveurs des contributions que se feraient toutes les opérations de la caisse. Aujourd'hui ces fonctionnaires reçoivent des salaires pour percevoir l'impôt. Ils recevront certaine indemnité pour opérer la rentrée des dépôts et le payement des pensions à tous les intéressés. Ce rôle des receveurs, personne ne voudra nier qu'il ne présente un côté très utile; et que c'est là un cumul qu'on peut considérer comme très désirable; on doit désirer de voir l'action des fonctionnaires publics devenir autant que possible bienfaisante aux populations. Je ne crois pas du moins que ce soit là exagérer d'une manière nuisible l'action de ces fonctionnaires.
La loi, dit-on, ne s'adresse pas aux classes les plus pauvres et les plus nombreuses, ainsi qu'on l'avait annoncé.
Personne, messieurs, n'a annoncé que la loi avait pour but de transformer en rentiers les habitants les plus pauvres du royaume.
Nécessairement ceux qui ne possèdent rien ne pourront pas déposer à la caisse de retraite. Mais il faudra qu'ils possèdent bien peu de chose, surtout qu'ils soient bien peu secourus, pour ne pas pouvoir atteindre la hauteur d'une première rente de 24 fr.
Ceux, messieurs, qui possèdent un peu, trouveront dans la charité, et ici son initiative pourra être utile, trouveront dans la charité des autres de quoi suppléer à leur premier versement. Sous ce rapport, la loi aura cet effet moral inévitable de faire sortir de la classe des pauvres secourus par les bureaux de bienfaisance, une certaine catégorie d'habitants, qui par là seront émancipés et qui le seront à la décharge de la charité publique.
Sans doute, messieurs, il est désirable que la caisse de retraite puisse faire descendre ses bienfaits le plus bas possible dans la société. C'est aux hommes charitables, c'est à ceux qui possèdent, à faire en sorte que ceux qui ne possèdent rien puissent, soit par un supplément de ressources, soit par la gratification de versements complets, atteindre aux bienfaits de la caisse de retraite.
Messieurs, n'exagérons pas la pensée de la loi; mais ne la rapetissons pas non plus. La loi sera immensément utile, si la charité s'étend à un grand nombre de participants. Je parle de la charité particulière et, jusqu'à un certain point, de la charité publique. Car il pourra arriver que , dans certaines circonstances , l'autorité publique complète, à titre de gratification, les efforts des particuliers qui, à eux seuls, ne pourraient pas atteindre jusqu'au maximum requis pour obtenir la pension. Il y a, messieurs, mille combinaisons ouvertes à la charité par l'institution de la caisse de retraite.
L'action du gouvernement, je le répète, n'aura pas ici pour effet de multiplier les fonctions publiques. Il donne aux fonctionnaires existants, aux receveurs des contributions de nouvelles attributions. Une commission centrale sera chargée d'administrer la caisse de retraite; mais sa mission sera remplie à titre gratuit, et dans tous les cas les frais en seront payés par la caisse elle-même.
Messieurs, quant à nos projets ultérieurs sur les assurances, ce n'est pas le moment de nous en expliquer. La loi actuelle, pose le principe général de l'assurance sur la vie. Nous commençons à exécuter ce principe par l'établissement d'une caisse de retraite, et j'espère qu'avec le temps, ce principe venant à se développer, le gouvernement pourra se mettre à la tête d'une caisse générale d'assurances sur la vie.
Que les gouvernements, messieurs, ne posent jamais d'autres actes que ceux-là, que les gouvernements n'étendent jamais leurs attributions à d'autres intérêts de la société, et je vous réponds que, loin de voir dans l'avenir les catastrophes se succéder aussi rapidement que nous l'avons vu dans ce siècle, jamais les gouvernements ne seront assis sur des bases plus solides, sur des bases meilleures.
La société moderne, messieurs, change de forme; il faut que la mission des gouvernements change aussi. Les gouvernements, ne sont pas institués seulement pour lever des hommes et de l'argent; il faut que les gouvernements rendent, autant qu'ils le peuvent, compensent, en bienfaits de tous les genres, les sacrifices qu'ils sont obligés d'imposer aux contribuables. Sans doute, à ce point de vue, le rôle du gouvernement s'élargit et s'agrandit. Mais le gouvernement, messieurs, ce ne sont pas les quelques hommes assis sur ces bancs, qui vous parlent comme ministres; le gouvernement, dans un pays constitutionnel , mais c'est vous, tout autant que nous : le gouvernement donne quelquefois l'impulsion , mais il doit aussi la recevoir. Le gouvernement doit marcher avec l'opinion publique; il doit lui résister lorsqu'elle s'est engagée dans une mauvaise voie, mais il doit aussi lui obéir lorsqu'elle n'est que l'expression d'un sentiment juste, d'un besoin généralement senti. Voilà, messieurs, ce que doit faire le gouvernement, et le gouvernement, ce sont les chambres et le ministère, avec la royauté bien entendu.
Occupez-vous, messieurs, de ces lois bienfaisantes; occupez-vous-en avec une certaine prudence, mais ne craignez pas de faire quelques pas dans cette voie, ne vous effrayez pas de ces innovations, par cela seul que des extravagants ou des hommes coupables les auraient gâtées ailleurs par de fausses applications ou de mauvaises passions. Examinons les systèmes en eux-mêmes, sachons y prendre ce qu'ils ont de bon, de praticable et ne nous effrayons pas d'une institution parce qu'elle aurait plus ou moins de parenté avec ce qu'on est convenu d'appeler socialisme.
Je m'aperçois, messieurs, que je suis entré dans des considérations générales, à propos de l'article premier. Mais j'ai été forcé de répondre au discours de l'honorable préopinant qui, à cause des lumières connues de l'honorable membre, aurait pu exercer sur l'esprit de la chambre une influence contraire au projet de loi.
M. de Mérode. - Depuis longtemps, messieurs, j'ai signalé les inconvénients que présente l'intervention de l'Etat dans les choses qui ne sont point de son domaine et qui absorbent une partie trop importante des recettes prélevées sur les contribuables, pour leur assurer le libre emploi de leurs facultés et la sécurité nécessaire aux diverses industries.
Aujourd'hui même, la défense du pays, sur laquelle des circonstances (page 221) impérieuses appellent la vive sollicitude des hommes sérieux, que ne séduisent point des illusions, est mise en doute, parce que les ressources financières de l'Etat ont été sans cesse amoindries, sans cesse détournées de leur véritable destination.
Certes, en dehors du cercle dans lequel il convient que se restreigne l'action administrative, rien ne me semblerait plus digne d'exception spéciale que l'objet de la loi que nous discutons. Cependant, pour qu'elle pût être adoptée sous des conditions prudentes, il faudrait que le trésor public fût traité avec une prévoyance toute autre que celle qu'on a jugé à propos de lui accorder jusqu'à ce jour.
Si j'avais vu ce sentiment de haute sagesse prévaloir, et dans les chambres et dans les ministères qui se sont succédé depuis 1830, je serais plus confiant dans l'intervention financière de l'Etat appliquée à des caisses de prévoyance.
Mais quand je me rappelle que le jour où l'on renversait, en France, le régime constitutionnel pour lui substituer le pouvoir indéfini d'un gouvernement de hasard qui, sans consulter le pays, disposait de son existence; quand je me souviens qu'en ce moment même l'on proposait, à Bruxelles, dans cette enceinte, de grever l'Etat d'un nouvel emprunt de 70 millions, je ne puis croire que ce qu'on a nommé politique nouvelle, alors en vigueur, toute fraîche, nous ramène à plus de prudence, et que l'Etat devienne plus capable d'aller au-delà de sa propre tâche, dont il a déjà tant de peine à remplir financièrement les obligations.
Il est dit quelque part dans le livre le plus respecté du monde civilisé: « Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont tous les deux dans la fosse. » Ne pourrait-on pas poser, en conséquence exacte de cette vérité, la question que voici :
Si un gouvernement qui, loin d'épargner quoi que ce soit dans les moments tranquilles, a toujours anticipé sur ses ressources et n'a préparé pour les jours difficiles aucune réserve, se présente comme le garant des épargnes privées, avant de s'être corrigé lui-même, ne se précipitera-t-il pas dans l'abîme du désordre avec ceux qu'il prétend conduire vers l'économie?
Pour moi, la réponse ne sera pas douteuse ; je dirai donc à ce gouvernement : « Avant de soigner la santé des infirmes, guérissez-vous vous-même ; et lorsque votre cure sera en bonne voie, j'aviserai. »
Jusque-là, je ne puis, en conscience et avec raison, vous livrer la tutelle que vous demandez, pas plus dans l'intérêt des pupilles dont vous prétendez gérer les affaires que dans le vôtre.
En outre, messieurs, lorsque je vois le même gouvernement arrêter l'élan de la charité si nécessaire dans tous les temps; lorsque je le vois imposer à cette vertu si digne d'encouragement la plus étroite servitude par une direction despotique insupportable, qu'elle n'acceptera jamais et dont le maintien vous était encore annoncé il y a deux jours, je me confirme davantage dans l'opinion que je viens d'exprimer; elle se réduit à cette idée parfaitement simple.
« L'imprévoyance n'est pas plus faite pour engendrer la prévoyance et garantir ses épargnes que l'abus des menottes et du ficelage arbitraire pour développer la bienfaisance et l'exercice de la plus louable des libertés, celle qui consiste à assurer sous diverses formes, dans un long avenir, un soulagement aux souffrances corporelles des malheureux, et le remède aux maladies de leurs âmes, dont la bureaucratie administrative sera toujours peu capable de connaître et de comprendre les besoins. »
Comme je l'ai dit en commençant, messieurs, sous d'autres auspices, j'adopterais une exception au principe de non intervention du gouvernement dans les affaires privées, pour l'objet qui est en cause.
J'ai cherché constamment à raffermir la position financière de l'Etat; ce n'est pas ma faute s'il est aussi faible, à ce point de vue, qu'il pourrait être fort, et s'il n'a donné qu'un mauvais exemple aux communes et aux particuliers.
Tout en étant d'accord avec l'honorable M. Pirmez, sur son opinion que le gouvernement ne doit pas être un factotum universel, je ne pense pas, comme lui, que la vie soit plus facile aujourd'hui qu'elle ne l'était autrefois; car, dans presque toutes les communes, la quantité des pauvres s'est énormément accrue et l'on ne sait qu'inventer pour les occuper; mais les connaissances hygiéniques et curatives sont beaucoup plus grandes, et bien des maladies, incurables jadis, se guérissent avec facilité maintenant, ce qui prolonge la vie.
Prenons garde d'attribuer certains effets à des causes qui ne sont point les véritables; ce serait là une source d'erreurs à laquelle, en économie sociale, il faut bien se garder de puiser.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je n'avais point l’intention de prendre la parole dans cette discussion, après les raisons qui ont été données à l'appui du projet de loi par tant d'honorables orateurs et par mon honorable collègue, le ministre de l'intérieur. C'est le discours beaucoup plus spirituel que sérieux que vient de prononcer l'honorable comte de Mérode qui m'engage à prendre la parole.
L'honorable membre veut écarter le projet de loi par cette considération surtout, que les finances de l'Etat pourraient être exposées s'il était adopté. L'honorable membre vous dit à ce sujet que le gouvernement, qui est un aveugle, a le tort de vouloir conduire un autre aveugle, qui est le pauvre, et qu'ils sont tous deux exposés à tomber , dans l'abîme.
Messieurs, le gouvernement n'est pas, je pense, un aveugle. Le gouvernement doit conseiller à tous la prévoyance; il doit faire en sorte que la situation morale et matérielle des classes pauvres soit améliorée. Doux moyens se présentent pour y arriver : ou bien faire une large dotation à la bienfaisance publique, telle qu'elle est organisée aujourd'hui, c'est-à-dire étendre et perpétuer l'aumône, ou bien faire en sorte qu'à l'aide des plus minimes épargnes on puisse, dans un avenir assez éloigné, assurer le sort d'individus voués au travail. C'est le deuxième moyen auquel s'arrête le gouvernement. Le premier paraît être choisi par l'honorable membre : l'honorable membre ne voit de salut que par la charité aumônière, si dangereuse parfois dans ses bons sentiments, qui favorise tant d'abus et qui démoralise si souvent. (Interruption.)
L'honorable membre n'admet, je le répète, que la charité aumônière. Il prend même texte de la loi actuellement en discussion pour soulever de nouvelles récriminations contre le système suivi par le gouvernement en matière de bienfaisance publique ; il répète, ce qui n'a été dit que trop souvent, que le gouvernement veut entraver la charité. (Interruption.) Le gouvernement veut, au contraire, développer, favoriser, surexciter la charité. (Nouvelle interruption.) Le gouvernement, je le répète, veut favoriser, développer, surexciter la charité. Le gouvernement le veut par les moyens que la loi met à sa disposition ; le gouvernement ne le veut pas par des moyens qui engendreraient de graves abus. Le gouvernement ne confond pas comme vous confondez à dessein, dans des vues de parti...(interruption) comme vous confondez, à dessein dans des vues de parti, la charité privée, qui est un acte individuel, un acte émanant de la liberté personnelle, avec la charité légale, qui est légale dès qu'elle émane d'institutions publiques.
La charité privée est illimitée; qui songe à y mettre un frein? Signalez des mesures par lesquelles le gouvernement ait voulu limiter d'une manière quelconque la charité privée. Le gouvernement a exécuté la loi comme elle doit être exécutée, la loi telle qu'elle est, telle qu'elle a été constamment appliquée, si ce n'est par nos prédécesseurs; mais nous sommes venus précisément pour faire autre chose que ce qui a été fait par nos prédécesseurs. (Applaudissements dans les tribunes.)
M. le président. - Je dois rappeler aux tribunes que toute marque d'approbation ou d'improbation est sévèrement interdite et que je regretterais de devoir recourir aux mesures de rigueur que le règlement met à ma disposition.
M. de Theux. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Si le moindre signe d'approbation ou d'improbation se manifeste encore dans les tribunes, je demanderai à M. le président l'exécution du règlement, c'est-à-dire l'évacuation des tribunes. Non, messieurs, aussi longtemps que j'aurai l'honneur de siéger dans cette enceinte, je ne consentirai jamais à l'asservissement de la tribune parlementaire, et nous ne serions plus libres si nous devions délibérer ici sous l'influence des tribunes ou sous la pression de discours de membres de cette chambre.
M. Lelièvre. - Aucune fraction de cette chambre n'a certes jamais songé à porter atteinte à la liberté de la discussion. Les interruptions des tribunes sont étrangères à chacun de nous.
M. le président. - Je n'ai pas attendu l'observation de l'honorable comte de Theux pour rappeler aux tribunes qu'il ne leur est pas permis de prendre part à nos discussions et que j'étais décidé à empêcher toute marque d'approbation ou d'improbation par la stricte exécution du règlement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je répète donc, messieurs, que le gouvernement veut que la charité privée se développe autant que possible, mais qu'il ne confond pas la charité privée avec la constitution de personnes civiles de par la volonté d'un testateur. Voilà toute la différence. Aucun de vous n'a le droit de constituer une personne civile, et vous prétendez que tout testateur a ce droit ! Vous voulez que la puissance qui n'appartient pas à un homme vivant soit conférée à tout homme à son lit de mort! Voilà, je pense, tout ce qui nous divise. La position est nettement tracée.
Maintenant j'en reviens à ce que disait l'honorable M. de Mérode, touchant la situation financière.
En quoi, je vous prie, messieurs, peut-elle être atteinte par l'opération qui vous est actuellement proposée? De quoi s'agit-il? Il s'agit de constituer une institution particulière, appelée caisse de retraite. Cette institution fera l'acquisition de rentes qui sont sur le marché et les percevra à son profit. La somme que l'Etat paye actuellement aux porteurs de ces rentes, il les payera à la caisse.
Est-ce que la situation financière de l'Etat a été mise en péril le jour où l'on a déclaré que les caisses des veuves et orphelins des divers départements ministériels constitueraient les retenues en fonds publics dont elles font journellement l'acquisition? En quoi le sort de l'Etat sera-t-il aggravé, lorsqu'au lieu de payer la rente à des individus, il la payera à une institution déterminée, à la caisse de retraite?
L'honorable membre me paraît s'être fait cette idée de la loi, qu'elle avait pour objet d'attribuer à l'Etat, par la réception de toutes les épargnes, l'obligation d'inscrire dans son grand-livre de nouvelles dettes résultant de ces épargnes. C'est là une erreur complète; rien de semblable n'est proposé.
Il ne s'agit que d'une acquisition de rentes qui se trouvent sur le marché. Il y aura à cela un très grand avantage pour le crédit public, pour l'industrie, le commerce et l'agriculture.
Supposé que l'institution réussisse complètement, il y aura, par conséquent, une foule de petits capitaux disséminés, jusque-là sans emploi, souvent divertis, qui tourneront, par cette institution, vers la dette (page 222) publique. Il y aura, par cela même, une réduction dans l’intérêt, car s’il y a une grande concurrence pour l’achat des rentes, l’intérêt tendra à diminuer, et si l’intérêt tend à diminuer pour les placements en fonds publics, il diminuera inévitablement pour tous les autres emplois des capitaux.
Si la rente était à un taux inférieur à celui où elle se trouve aujourd'hui, les particuliers, pour l'agriculture, pour le commerce et pour l'industrie, trouveraient des capitaux à un intérêt d'autant plus bas, car si deux placements se présentent, l'un à un intérêt minime, l'autre à un intérêt élevé, le dernier est naturellement préféré. Sous ce rapport donc, les objections de l'honorable préopinant n'ont aucun fondement.
Il en est une autre, elle est formulée dans un amendement déposé par l'honorable M. Dumortier ; elle consiste à dire qu'il faut faire disparaître la garantie de l'Etat. (Interruption de M. Dumortier.) Ainsi nous sommes d'accord au fond, avec l'honorable membre : il faut que la garantie existe, mais il ne faut pas l'écrire dans la loi.
La garantie de l'Etat est positive, et on sait à quoi l'on s'engage. Entendons-nous bien. On dit : L'Etat garantit que toutes les rentes acquises sous l'empire du tarif seront acquittées. A un moment donné, l'Etat remarque-t-il qu'il peut être entraîné à payer une fraction de rente supérieure à celle qui résulte des tarifs, on modifiera les tarifs... (interruption) Non certainement pas pour le passé; on les modifiera pour l'avenir, et toutes les chances que l'Etat court dans cette hypothèse, c'est de payer annuellement, mais pendant un temps limité, une certaine quotité qui sera un peu supérieure à celle qui résulte du calcul des tarifs. Maintenant si les tarifs ont été bien faits, si la mortalité a été bien calculée, la perte n'est guère possible.
Une institution de ce genre peut-elle être faite autrement que par l'Etat? Peut-elle être dirigée, garantie autrement que par l'Etat? Cela est impossible. Et je m'étonnais lorsque, dans les séances précédentes, d'honorables orateurs prétendaient que le malaise croissant de la société actuelle résulte principalement de ce que les liens anciens ont été dissous, de ce que toutes les associations qui existaient ont disparu ; je m'étonnais, dis-je, de les voir combattre la loi, en exprimant de pareilles opinions; mais il me semble qu'ils auraient dû, au contraire, l'appuyer; car la loi qui vous est soumise, qu'est-ce autre chose que l'association? C'est l'association constituée de par l'Etat, dans l’intérêt de tous; c'est la loi de solidarité qu'invoquait l'honorable M. Dedecker; on s'unit, on s'associe; pour des œuvres de ce genre, le pourrait-on sans l'intervention de l'Etat? Le pourrait-on avec sécurité? Il faut donc que la caisse soit régie, surveillée, protégée, garantie par l'Etat, pour qu'elle produise les bienfaits qu'on est en droit d'en attendre.
M. le président. - Avant de donner la parole aux honorables orateurs qui se sont fait inscrire sur l'incident, je dois répéter que je regrette que cet incident, qui peut nous mener loin, vienne interrompre la discussion d'une loi aussi importante que celle de la caisse d'assurances générales sur la vie. Toutefois, comme l'incident s'est produit, il ne m'est pas permis d'y mettre fin. En présence d'une attaque, la défense est de droit. Je dois donc accorder la parole aux honorables membres qui l'ont demandée; mais je ne puis m'empêcher de les engager, dans l'intérêt de nos travaux, à ne pas prolonger cette discussion outre mesure.
M. de Theux. - La recommandation de M. le président sera respectée de ma part. Je dirai, d'ailleurs, que je ne crois pas m'être jamais écarté des convenances parlementaires, ni avoir porté aucune atteinte au règlement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La provocation n'est pas venue du banc ministériel.
M. de Theux. - Nous eussions pu demander la parole pour un fait personnel, lorsque nous avons entendu M. le ministre des finances dire qu'on faussait, qu'on interprétait à dessein les actes du gouvernement dans un esprit de parti; ces paroles n'étaient pas parlementaires, nous eussions été en droit, aux termes du règlement, de réclamer ; nous avons préféré attendre notre tour de parole.
Ce n'est pas dans cette discussion que j'ai critiqué la conduite du gouvernement. Je l'ai fait dans les sessions antérieures, à d'autres occasions. Plusieurs de mes honorables amis l'ont fait aussi à diverses reprises, et nous avons été tous compris globalement dans l'accusation de M. le ministre des finances. Nous pourrions nous borner à faire cette simple observation : que M. le ministre des finances rentre dans le fond de sa conscience, et qu'il se demande s'il a été sans esprit de parti dans cette discussion !
Le gouvernement, dit M. le ministre, n'a fait qu'exécuter les lois. Ses prédécesseurs, au contraire, avaient violé les lois.
Messieurs, je proteste contre la double assertion et je dis : Non; parmi les prédécesseurs du ministère actuel qui ont posé des actes que le cabinet considère comme contraires à la loi, se sont trouvés des hommes dont la magistrature et l’enseignement public se sont toujours fait honneur.
Je dirai de plus que l'interprétation donnée par les cabinets précédents était conforme avec l'interprétation que les mêmes lois ont toujours reçue de leurs auteurs tant eu France qu'en Belgique.
Pour moi, je persiste à soutenir que le gouvernement est en dehors de la loi dans plusieurs actes qu'il a posés relativement à des fondations de charité. Je n'entrerai pas en ce moment dans des développements à cet égard; le temps presse, et si nous voulions approfondir la question, nous devrions y consacrer plusieurs séances, parce que la discussion amènerait nécessairement des répliques.
M. de Haerne. - Moi aussi, messieurs, j'ai demandé la parole quand j'ai entendu M. le ministre des finances nous dire qu'en matière de bienfaisance le gouvernement n'avait posé aucun acte de nature à apporter des entraves à l'élan de la charité. Ne croyez pas, messieurs, que je veuille le moins du monde entraver l'action du gouvernement en ce qui concerne sa haute mission sous le rapport de la bienfaisance ; je me hâte de dire que, quant au projet de loi qui nous occupe, je me rallie à l’idée du gouvernement, à l'idée fondamentale du projet, sauf à voir quelles seraient les modifications, les améliorations de détail qu'on pourrait apporter au projet.
Oh ! je ne suis pas de ceux qui pensent que l'action du gouvernement est inutile en matière de charité; je vais jusqu'à soutenir qu'il peut rendre d'immenses services, non seulement à la charité publique, mais à la charité privée, en lui donnant de grands et salutaires exemples, en lui donnant une judicieuse impulsion, par une noble initiative, par une haute et sage direction. C'est parce que je professe ces principes et que ma conviction à cet égard est profonde, que je viens protester contre la conduite du gouvernement en matière d'institutions de charité. Qu'on ne vienne pas dire qu'on n'entrave pas les institutions de charité, par les actes qu'on a posés ; les faits sont là qui protestent hautement du contraire? N'y a-t-il pas des donations importantes tenues en suspens à cause des entraves administratives? Je pourrais citer de nouveau les faits qui ont été allégués plus d'une fois dans cette enceinte: mais c'est inutile, ils sont présents à votre mémoire. Je pourrais en ajouter d'autres; mais je craindrais de m'écarter des bornes dans lesquelles doit se renfermer la discussion d'un incident. Que dit-on pour justifier la théorie d'après laquelle on agit ? On dit : Vous voulez créer autant de personnes civiles que de testateurs. Ce sont les paroles de l'honorable M. Frère. Mais non, messieurs, telle n'est pas notre idée. Ce que nous demandons, c'est qu'on accorde au testateur la liberté de faire exécuter sa volonté telle qu'il l'a formulée ; mais en subissant le contrôle de l'administration, de manière que les institutions particulières, en conservant leurs formes spéciales, aboutissent à un centre commun et se réunissent, pour ainsi dire, en une seule personne civile. C'est dans cette position, où nous respectons la légalité, que nous demandons que le gouvernement veuille conserver à la charité la liberté de ses élans philanthropiques.
Il y aurait, dit-on, des abus! Mais des abus, n'y en a-t-il pas partout? Si je voulais scruter l'administration, je pourrais facilement vous prouver que, dans les institutions de bienfaisance légalement constituées, il se rencontre parfois des abus. Vous ne les supprimerez jamais; mais pour les restreindre autant que possible, je vous accorde d'abord une grande latitude; je veux que les institutions charitables, quelles qu'elles soient, soient placées sous le contrôle de l'administration des hospices ou des bureaux de bienfaisance. Je craindrais bien plus les abus dans le système ministériel qui force la charité à prendre des voies secrètes ; tandis que dans notre système on l'engage à agir au grand jour, tout en la laissant suivre ses prédilections.
Vous ne pourrez pas forcer les cœurs généreux à suivre vos fantaisies, votre système uniforme; il faut qu'ils aient toute latitude, toute liberté, qu'ils puissent agir tantôt dans un sens, tantôt dans un autre ; ce n'est pas à vous qu'il appartient d'intervenir dans les secrets de la conscience, vous devez laisser entièrement libres les communications de la conscience avec le ciel en matière de charité, comme en toute autre chose. Si vous comprimez ses élans, vous étoufferez la charité dans son principe, dans sa source la plus sacrée.
J'ajouterai encore un mot : si des scrupules de légalité vous arrêtent, il est facile de porter remède au mal. Le remède a déjà été indiqué; qu'on vienne nous proposer une modification à la loi. Je ne soutiens pas que le gouvernement se roidit à plaisir contre la liberté que nous réclamons en faveur des institutions charitables; je sais qu'une commission a été nommée pour examiner la question. Cela me ferait croire qu'au moins un doute est entré dans l'esprit du ministère, si je n'avais pas entendu hier sortir de la bouche de plusieurs ministres la déclaration que tous sont d'accord sur ce principe.
Je dois m'élever contre cette doctrine, protester de toutes mes forces contre une administration qui entrave évidemment l'élan de la charité privée ; je n'en respecte pas moins la charité publique , et je donnerai toujours les mains à la création de toutes les institutions réellement bienfaisantes, comme celle dont il s'agit dans le projet qui nous est soumis.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je tiens à bien préciser ce qui a donné lieu à l'incident qui se poursuit en ce moment. Nous avons été provoqués et nos intentions ont été incriminées. On peut accuser les ministres d'avoir l'intention de comprimer, de restreindre la charité...
M. de Mérode. — Je n'ai pas dit que vous vouliez restreindre la charité... j'ai dit que vous le faisiez.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si du banc ministériel on se défend et qu'on prétende qu'on veut développer, étendre la charité, si l'on repousse d'injustes accusations, cela devient une insulte contre laquelle on proteste avec beaucoup d'énergie.
Je ne veux pas rentrer dans le fond de la discussion. Les opinions du cabinet ne sont pas équivoques; et elles ont été soutenues par l'immense majorité de cette chambre depuis 1847.
(page 223) Plus d'une fois, quand nos actes étaient attaqués, nous avons dit : Il s'agit ici d'une question de droit civil; les tribunaux sont là pour vous rendre justice; si vous croyez que nous avons tort, adressez-vous à eux. Nos instances ont été inutiles; pas une seule action n'a été portée devant eux; on s'est abstenu. On a continué à prétendre que la loi était violée par nous, mais on s'est bien gardé de s'adresser à ceux qui sont chargés d'appliquer la loi. Pourquoi donc s'abstient-on, pourquoi n'ose-t-on pas se présenter dans le sanctuaire de la justice, près des hommes impartiaux qui, à l'abri de toute influence rectifieront les décisions du gouvernement si elles sont erronées?
C'est qu'on sait que lorsqu'on s'est pourvu devant les tribunaux contre certains actes de nos prédécesseurs, les tribunaux, gardiens vigilants de la loi et impartiaux, ont solennellement condamné ces actes.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'avais demandé la parole pour faire l'observation que vient de faire mon honorable collègue des finances. Je n'aurai donc que quelques mots à ajouter à ce qu'il vient de dire.
Je crois pouvoir porter à l'honorable M. de Haerne le défi de citer aucun acte posé par le gouvernement, qui ne soit complètement justifié par les dispositions de la législation existante. Nous sommes prêts à démontrer à la chambre, lorsqu'elle voudra aborder cette discussion, que toutes les décisions qui ont été prises sont conformes en tout point au texte et à l'esprit de la loi.
Déjà plusieurs contestations, concernant des questions de cette nature, ont été portées devant les tribunaux, et chaque fois l'on a donné raison au système du gouvernement; chaque fois l'on a sanctionné les doctrines qu'il professe et qu'il a constamment appliquées depuis qu'il est au pouvoir.
Quelques questions restent à décider encore. Déjà à diverses reprises, j'ai invité nos honorables contradicteurs à faire porter devant les tribunaux toutes celles de ces questions sur lesquelles nous ne sommes pas d'accord. Jusqu'ici, ils n'en ont rien fait, parce que probablement l'on se défie de la justice du pays. Quant à nous, nous ne nous en défions pas; nous attendons, au contraire, avec une entière confiance le jugement impartial qu'elle peut être appelée à rendre sur la valeur de tous les actes posés en cette matière par le gouvernement.
M. Dedecker. - Pas plus que M. le ministre des finances, je n'ai l'intention d'entrer dans le fond de la question qui vient d'être soulevée. Nous nous réservons, à une autre occasion, de traiter la question de la liberté de la charité, d'une manière approfondie, avec tous les développements que le sujet nécessite.
La provocation, dit M. le ministre des finances, ne vient pas du gouvernement. La provocation, en effet, je l'avoue, vient de moi. Déjà, dans la session précédente, c’est moi qui ai soulevé cette question ; c'est moi qui, seul avec l'honorable M. Moncheur, ai voté contre le budget du département de la justice, en raison de cette même question. C'est moi qui, à la séance d'hier, ai provoqué encore une explication à cet égard. Je l'avoue, et je m'en honore, parce qu'en agissant ainsi, j'ai cru servir une cause noble et grande, une cause à laquelle se rattachent les intérêts les plus sérieux, la cause de l'humanité.
Mais si je m'honore d'avoir provoqué un débat dont la solution touche à de si graves intérêts que, sans le vouloir peut-être (car je n'ai attaqué que le fait), le système du gouvernement compromet, si je m'honore, dis-je, d'avoir provoqué ce débat, je me défends avec non moins de chaleur contre le reproche, qui vient de m'être adressé, d'avoir agi sous l'impression de passions politiques, par esprit de parti.
Je vous le demande, messieurs, et j'invoque à cet égard le témoignage de la chambre tout entière : s'il est un membre de cette assemblée qui, en toute circonstance, ait donné des garanties de bonne foi et d'impartialité, qui ait eu le courage de s'élever parfois au-dessus des préjugés de son parti (car dans tous les partis il y a des préjugés), ce membre n'est-ce pas moi?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais ce n'est pas l'honorable membre qui a provoqué cé débat.
M. Dedecker. - Pardon, c'est moi, si pas aujourd'hui, du moins hier. Je dois donc prendre ma part des accusations que vient de formuler M. le ministre des finances; je dois donc aussi protester, pour ma part, comme au nom de mes amis, contre les intentions qu'on nous prête.
Je ne veux pas, je le répète, entrer dans le fond de la question. Je me bornerai à une simple interpellation. Si le gouvernement a des opinions si arrêtées, un système si tranché, je demande pourquoi il a nommé une commission chargée d'examiner la question qui nous divise. Pourquoi consulter une commission, lorsqu'on a un système arrêté? De deux choses l'une: ou la nomination de cette commission est une dérision pour ceux qui en font partie, ou c'est un leurre pour la nation.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. Dedecker demande pourquoi nous avons nommé une commission. La réponse est facile à faire. Le gouvernement n'a pas de système absolu dans la matière dont il s'agit. Un seul principe le dirige; ce principe consiste dans la stricte application des lois. A cet égard, il soutient qu'il n'est pas sorti de la législation existante, qu'il en a fait, ainsi qu'il devait le faire, une application exacte, rigoureuse.
Cependant l'on a prétendu que cette législation ne suffisait plus aux besoins de notre époque, qu'il fallait faire quelque chose de plus en faveur de la bienfaisance, qu'il fallait étendre l'action de la charité privée, et accorder aux bienfaiteurs, pour eux et leurs héritiers, une part plus grande dans l'administration dos fondations créées par eux et dans la distribution de leurs libéralités.
C'est dans ce but que nous avons institué une commission, afin d'examiner toutes ces questions. Nous avons déjà déclaré à la chambre que tout ce qu'il serait possible de faire pour favoriser l'essor de la charité privée, et pour la rattacher plus intimement, s'il est possible, à la charité légale, nous le ferions, sans déroger toutefois aux grands principes que nous devons maintenir, et spécialement au principe de l'indépendance du pouvoir civil et du maintien des droits du gouvernement sur tout ce qui a pour objet l'administration des biens des pauvres, celle du temporel du culte et les fondations d'instruction publique.
M. de Luesemans. - Messieurs, membre de la commission instituée près du ministère de la justice, je crois de mon devoir de déclarer que le premier jour de la réunion de la commission, le jour même de son installation, M. le ministre de la justice a tenu le même langage que celui qu'il vient de tenir dans cette chambre, c'est-à-dire que le gouvernement n'avait pas d'opinion arrêtée sur ce qu'il y avait à faire; qu'il croyait qu'il y aurait lieu à élargir le cercle légal de la bienfaisance publique, et qu'il engageait la commission à examiner toutes les questions qui se rattachent aux fondations d'instruction et aux fondations charitables, sans aucune préoccupation extérieure. Le commission a accepté ce mandat; elle n'en aurait pas accepté d'autre.
Maintenant, messieurs, j'exprimerai un regret. Je regrette que cette discussion ait eu lieu; elle peut, d'après moi, produire un fâcheux effet dans le pays.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. de Luesemans. - Je crois que cette discussion peut produire un fâcheux effet, parce qu'elle peut être envenimée par l'esprit de parti, qui n'a rien à y voir, et qu'il est indispensable que la question soit examinée, tant par la commission que par la chambre, avec une entière liberté d'esprit; c'est là, d'après moi, une condition d'impartialité.
M. le président. - L'incident est vidé. La chambre reprend la discussion sur l'article premier.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau :
1° Un projet de loi ayant pour objet d'accorder au département de la justice des crédits supplémentaires pour les exercices 1847, 1848- et 1849 et d'annuler des crédits non employés jusqu'à concurrence de la-même somme ;
2° Un projet de loi portant révision de la première partie du Code pénal sous le titre des peines ;
3"Un projet de loi portant abolition immédiate de la peine de la flétrissure.
Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi. Ils seront imprimés et distribués.
M. Van Hoorebeke. - Messieurs, je proposerai de faire, pour le-projet de loi portant révision du premier livre du Code pénal, ce qu'on a fait pour le projet de loi portant révision de la législation sur les faillites, c'est-à-dire de le renvoyer à une commission. Il s'agit ici encore d'un projet qui rentre dans des études spéciales.
- La proposition de M. Van Hoorebeke est adopté. En conséquence, le projet de loi portant révision de la première partie du Code pénal est renvoyé à l'examen d'une commission spéciale qui sera nommée par le bureau.
Les deux autres projets sont renvoyés à l'examen des sections.
M. De Pouhon. - J'ai l'honneur de formuler en amendement une observation que fit hier l'honorable comte de Theux. Il consiste à remplacer les mots « caisse d'assurances générales » par ceux de « caisse centrale de retraite ».
En effet, messieurs, l'institution qu'il s'agit de fonder n'est qu'une division de l'une des branches d'assurances sur la vie.
Dans l'exposé des motifs, le gouvernement promet de saisir ultérieurement la chambre de propositions relatives aux autres combinaisons du système des assurances sur la vie. Je suis persuadé qu'il est bien résolu à poursuivre la voie dans laquelle il fait un premier pas, mais je désire que ses haltes ne soient pas trop longues. Je l'engage surtout à entrer, plus largement dans le système des assurances par l'Etat.
La caisse de retraite en discussion est destinée aux personnes qui vivent dans une position modeste, puisqu'elle ne tend qu'à leur assurer une rente de 1,200 ou de 900 fr. C'est cette considération qui vous engagera, messieurs, à charger l'Etat du soin de l'accumulation des économies sans y chercher une source de profits, en l'exposant même à des mécomptes possibles.
Je m'unis de cœur à cette intention, quoique la combinaison par laquelle on nous propose de débuter dans le système ne soit point celle qui doive séduire le plus. - De 18 à 30 ans on ne fait pas de marché de 30 à 40 ans avec la mort, c'est un trop gros jeu, si surtout on y expose le capital entier sans réversion. - Je voterai donc le projet de loi. Je pense toutefois qu'il conviendra de consacrer la révision annuelle de la base de la pension de retraite, sans que cette révision puisse, bien entendu, pour sur les contrats existants.
(page 224) Mais l'utilité d'une caisse de pensions s'étend à d'autres classes de citoyens. Il est, en fait d'institutions de prévoyance, d’autres besoins répandus dans la société entière; la sollicitude paternelle, celle du frère, celle de l'amitié ou de tout autre sentiment en enfantent beaucoup.
Le partage des patrimoines crée des existences difficiles; les enfants ne peuvent jouir de l'aisance dans laquelle ils ont été élevés et ne se résignent pas facilement à y renoncer. L'assurance sur la vie y pourvoit jusqu'à certain point. Par elle, pères et mères, à la naissance de leurs enfants, assurent une dot aux filles, un remplaçant aux fils, un capital ou une rente à certain âge de leur vie. Les applications du système seraient trop longues à énumérer.
Il part annuellement, de Belgique, des sommes considérables qui vont à l'étranger se déposer ou payer des primes pour ces sortes d'assurances. Une plus grande confiance dans les assureurs accroîtrait encore le nombre des citoyens belges qui recourent à eux.
Ces assurances, messieurs, l'Etat doit les entreprendre. Il le doit, dans l'intérêt de ceux qui en font usage et dans son propre intérêt.
Les individus sont impuissants pour parer aux besoins de leur prévoyance; ils sont obligés de recourir aux associations qui se forment à l'étranger et qui se réservent de grandes chances de bénéfices en dehors des frais considérables d'administration et d'agences. Les fonds versés sont employés dans les rentes de ces pays, ordinairement plus chères et moins solides que les nôtres.
Il faut que l'Etat se charge de cette mission, qu'il réalise les bienfaits de la mutualité, non pas seulement en vue de protéger les intérêts individuels, mais encore pour recueillir les bénéfices que nos concitoyens payent aux sociétés étrangères.
L'Etat y trouvera un autre avantage, dont vous ne méconnaîtrez pas l'importance.
Si tout l'argent qui part de Belgique pour se placer, par l'intermédiaire des sociétés d'assurances, dans les fonds publics étrangers, entrait dans la dette nationale, il étayerait puissamment le crédit de l'Etat et avancerait l'époque où des réductions d'intérêt seront possibles.
Je toucherai ici à une allusion qui s'est produite dans les séances précédentes.
La révolution de 1789 a renversé les associations qui existaient sous différentes dénominations. C'était, sans doute, un bienfait, car ces associations, bonnes à leur origine, avaient, à la suite des siècles, dégénéré en un ordre de choses plein d'abus.
L'individualisme, créé par l'assemblée constituante, ne sera-t-il pas lui-même une source de vices, qui diviseront la société et l'affaibliront ? Un ordre social quelconque ne demande plus des siècles pour être poussé dans toutes ses conséquences.
L'Europe en est arrivée au régime démocratique. Cette forme de gouvernement est sans doute la meilleure, puisqu'elle garantit le mieux les droits et la dignité de l'homme. Mais elle doit être tempérée par les institutions, car sa puissance d'initiative est trop grande pour que son action ne devance pas la diffusion de la raison et de la vérité, et pour qu'elle n'occasionne point de tiraillements.
Il faut donc s'attacher à ressouder les liens sociaux. Quel moyen plus efficace pourriez-vous trouver, messieurs, que d'établir une sorte de mutualité sous la direction de l'Etat, pour la satisfaction de besoins qui tiennent intimement au sort des citoyens et qui ne peut se réaliser que par l'association? Ce serait ainsi rattacher les existences individuelles à la fortune publique et cimenter leur union.
N'allez pas croire, messieurs, que je veuille faire de l'Etat un entrepreneur de beaucoup de choses. Je le considère comme tout à fait inhabile pour tout maniement d'intérêts variables; mais les assurances sur la vie ou contre l'incendie sont une affaire de simple administration. Les tarifs une fois fixés, l'assurance fonctionne aussi machinalement que la confection des timbres.
Dans les temps dont nous avons rappelé le souvenir, des institutions de la nature de colles que je convie le gouvernement à fonder n'auraient point été réalisables. On n'aurait pas voulu confier à l'Etat de l'argent destiné à la prévoyance pour être dépensé suivant le caprice du souverain. Mais à présent que le peuple est admis à gérer, à contrôler par ses représentants, l'emploi de ses fonds, il n'a plus le même motif d'hésitation, car il se prête à lui-même et il ne faillira pas à ses engagements.
Je termine, messieurs, en disant que je voterai le projet de loi avec plaisir, mais comme un jalon posé dans le système des assurances par l'Etat.
M. le président. - La parole est à M. Dumortier.
M. Dumortier. - M. le président, il est assez difficile de prendre en ce moment la parole ; la chambre n'est même plus sur ses bancs.
M. le président. - Il n'est que quatre heures. Il ne serait pas possible d'activer nos travaux, si nous n'avions que deux heures de séance par jour. J'engage MM. les membres à rester à leurs bancs.
M. Dumortier. - Messieurs, le projet de loi en discussion rencontre chez moi une véritable sympathie. Venir au secours des classes malheureuses, c'est toujours une belle, une excellente intention.
Toutefois, messieurs, je ne me fais nullement illusion sur les résultats de cette loi. Je pense que, pour les classes malheureuses, pour les prolétaires, ses effets se borneront à bien peu de chose, si tant est qu'elle produise quelque effet.
Dans l'exposé des motifs du gouvernement, je lis que « tous ceux qui ont étudié l'état moral et matériel des classes ouvrières ont signalé, comme une des mesures les plus efficaces pour l'améliorer, l'établissement d’une institution qui offrirait à ceux qui vivent du produit de leur travail le moyen de se ménager une vieillesse à l'abri du besoin.»
Le but avoué du projet de loi est donc de venir au secours des classes ouvrières et des parties de la société qui vivent du produit de leur travail. Or, dans mon appréciation, la loi n'atteindra pas ou presque pas ces classes si respectables de la société. Permettez-moi, messieurs, de vous développer les motifs de cette opinion.
L'homme ne commence à sentir le besoin de s'assurer un avenir pour sa vieillesse que lorsqu'il a passé l'âge des plaisirs. Dans la jeunesse, tout homme, spécialement chez les classes ouvrières, cherche à employer ses bénéfices pour se donner des satisfactions, des jouissances. Ceux qui économisent alors, le font, non pas dans le but de se procurer une pension dans leur vieillesse, mais dans celui de se procurer un placement lorsqu'ils pourront se marier. Les ouvriers qui feront des économies ne les mettront jamais, dans les premières années de leur existence comme travailleurs, à une caisse de pension pour leur vieillesse ; ils les mettront à une caisse d'épargne pour se procurer les moyens de s'établir au jour de leur mariage.
Voilà, messieurs, la vérité; et il ne faut pas ici confondre la caisse de retraite avec la caisse d'épargne. Toul ouvrier, dans les dix ou quinze premières années de son travail, n'économise, lorsqu'il le fait, que pour se marier ; il n'économise pas pour se faire une pension quand il sera vieux.
Le motif, messieurs, en est excessivement simple : c'est qu'il compte sur ses forces, c'est qu'il compte sur le produit de son travail, sur le produit de son union.
Ainsi il faut croire que l'on ne verra pas ou presque pas d'ouvriers, de prolétaires, mettre à la caisse de retraite avant l'âge de trente ans.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous rentrez dans la discussion générale. La question est de savoir si l'Etat doit garantir la caisse.
M. Dumortier. - Mais je puis parler comme vous l'avez fait. Vous avez dit beaucoup de choses étrangères à la loi, et je vous ai écouté avec attention.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous sommes à l'article premier; vous avez à développer votre amendement.
M. Dumortier. - Je parle en faveur d'un amendement qui tend à limiter l'article premier. J'ai des observations à faire, et j'entends avoir le droit de les présenter.
Je dis donc, messieurs, que l'observation de la classe ouvrière doit nous donner la certitude dès maintenant que la caisse dont il s'agit ne servira que très médiocrement à l'ouvrier dans ses premières années de travail, et que si l'ouvrier vient mettre à la caisse de retraite lorsqu'il commencera à avancer en âge, il lui sera de toute impossibilité de réunir les sommes nécessaires pour arriver à une existence indépendante. En examinant la question sans préoccupation, il est évident qu'avant l'âge de 30 ans, l'ouvrier n'usera pas de la caisse de retraite. Supposons un ouvrier, arrivé à l'âge de 30 ans, qui veuille se procurer à 55 ans une pension d'un franc 30 cent, par jour, et certainement la loi est faite pour qu'on arrive à pouvoir vivre au moyen de ses épargnes; eh bien, les calculs que j'ai faits à cet égard ont pour résultat que cet ouvrier devra verser, à 30 ans, dans le premier semestre, 28 francs 16 centimes, dans le deuxième semestre, 29 francs, pour obtenir 24 francs; et que, arrivé à l'âge de 40 ans, il devra payer 107 fr. par an ; à l'âge de 45 ans, 150 fr., et à celui de 50 ans, la somme de 200 fr..
M. T’Kint de Naeyer, rapporteur. - Permettez-moi de faire une rectification. C'est une erreur de fait.
M. Dumortier. - J'ai fait mes calculs d'après les tableaux annexés à la loi. (Interruption.) Les ouvriers ne pourront pas faire les versements qui sont exigés, à moins que l'honorable M. T'Kint de Naeyer ne veuille bien leur donner la somme.
M. T’Kint de Naeyer, rapporteur. - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Je dis, messieurs, que les sommes à verser pour arriver à un résultat efficace, seront telles que les ouvriers ne pourront pas les réunir jusqu'à concurrence d'un chiffre suffisant pour avoir droit au maximum de 500 fr. de pension. Or, se procurer à la fin de son existence une rente de 12 ou 15 fr., cela n'assistera pas beaucoup l'ouvrier.
Dans la séance d'hier, M. le ministre de l'intérieur, lui-même, a reconnu la vérité de ce que j'avance : il a dit que la loi ne s'adressait point aux personnes secourues par les bureaux de bienfaisance, que la caisse ne s'adressait qu'à une certaine classe d'ouvriers indépendants. (Interruption.) Ce sont les propres expressions de M. le ministre de l'intérieur.
Je dis donc, messieurs, qu'il ne faut pas se faire illusion sur la portée de la loi quant à la classe ouvrière ; elle est impuissante, inefficace. Mais la loi aura un résultat, et ce résultat pourra être très considérable, au point qu'il sera peut-être funeste au trésor public. Qui est-ce qui versera à la caisse de retraite? Les personnes aisées, celles qui ont le moyen de faire des épargnes; car il n'y aura que les personnes qui peuvent faire des épargnes, qui auront le moyen de se procurer une pension de quelque valeur. Voilà où la loi arrivera ; elle arrivera non pas à l'ouvrier, au travailleur, mais aux personnes aisées qui peuvent très bien faire leurs affaires par elles-mêmes, mais qui trouveront beaucoup plus commode de les faire faire par une commission du gouvernement, sous la garantie de l'Etat.
Maintenant, comme ces personnes ont plus ou moins de fortune, chacune d'elles cherchera à avoir le maximum de la pension, et je suis bien (page 225) convaincu que, si la loi est votée, la majeure partie des membres de cette chambre en profiteront pour assurer le maximum de la pension viagère à leurs enfants.
- Un membre. - Ils feront très bien.
- Un autre membre. - Ce sera un très bon exemple.
M. Dumortier. - Sans doute ils feront très bien dans leurs intérêts. Quand on a une caisse qui offre tant d'avantages, on aurait bien tort de ne pas en profiler.
Mais, messieurs, quel sera le résultat de cette affluence à la caisse, de personnes aisées? C'est que les calculs de la commission seront renversés. Les tables de la mortalité sont faites pour la population tout entière, et la classe ouvrière, qui en forme la partie la plus considérable, se trouve précisément, à cause de sa situation misérable, n'avoir pas une longévité aussi grande que les classes aisées.
Il en résultera que vos tables de mortalité vous feront défaut, que vos calculs seront faussés et qu'il y aura déficit pour le trésor. Voilà ce qui est inévitable, parce que l'opération s'appliquera non pas aux personnes auxquelles vous la destinez, mais à des personnes qui, par leur position aisée, jouissent de conditions de vitalité beaucoup plus favorables.
Messieurs, j'ai toujours eu fort peu de désir de voir l'Etat s'ingérer dans l'administration de la fortune des particuliers. Je désire que l'Etat, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, vienne en aide aux classes ouvrières, mais je ne me soucie nullement de voir l'Etat gérer la fortune des personnes aisées qui peuvent très bien la gérer elles-mêmes. Nous avons déjà plus d'un exemple des résultats que peuvent avoir pour le trésor public de pareilles entreprises. L'entreprise du chemin de fer est un exemple fatal à nos finances. Une caisse de retraite a été instituée autrefois pour les employés de l'administration des finances; cette opération était aussi basée sur les tables de mortalité. Eh bien, qu'est-il arrivé? C'est que, il y a dix ans peut-être, la chambre devait voter chaque année un demi-million pour couvrir le déficit.
Voilà, messieurs, où nous pouvons arriver, et à un chiffre beaucoup plus élevé encore.
Remarquez, messieurs, que l'opération est d'autant plus singulière de la part de l'Etat que s'il doit payer le déficit, il lui est interdit de profiter du bénéfice que l'opération pourrait présenter; car M. le ministre des finances a dit tout à l'heure que s'il y a un bénéfice, ce bénéfice sera acquis à la caisse. Ainsi, dans ce contrat léonin, l'Etat intervient pour la perte, mais il n'intervient pas pour le bénéfice. Eh bien, c'est là un système que je ne puis pas accepter. Dans toute opération celui qui a les chances de perte doit aussi avoir les chances de gain. Quand nous faisons nous-mêmes une opération pour notre propre compte, nous cherchons d'abord à apprécier quel bénéfice ou quelle perte elle peut présenter ; eh bien, je dis qu'il n'y a pas un seul membre de la chambre qui puisse se rendre compte des chances que l'Etat courra dans l'affaire dont nous nous occupons.
On dit, messieurs, que lorsque la caisse sera en déficit, on modifiera le tarif. A cela, je répondrai par deux observations : La première, c'est que cette modification n'aura pas d'effet rétroactif, que les pensions accordées resteront accordées et que le déficit existant restera à la charge de l'Etat. En second lieu, lorsqu'il s'agira de modifier le tarif, on arrivera, comme dans toutes les questions analogues, avec des considérations de philanthropie, on viendra dire : Mais il est déplorable de voir réduire l'intérêt des malheureux; on viendra dire : Mais il n'est pas juste que la veuve et les orphelins soient privés du capital de la rente, on du moins d'une partie de celle-ci. On viendra émettre toutes ces idées généreuses, j'en conviens, mais généreuses aux dépens du trésor public, qui déjà ne peut suffire aux besoins urgents de l'Etat, à l'armée, à la défense du territoire.
Sous ce rapport donc, messieurs, nous ne savons pas, encore une fois, où l'opération dont il s'agit peut nous conduire, et je regarde dès lors la garantie de l'Etat comme éminemment dangereuse, comme devant être retranchée de la loi.
Par l'amendement que j'ai proposé, j'entends conserver pour l'État la garantie des dépôts ; il en sera responsable comme dépositaire. Le gouvernement doit sa garantie pour les sommes qu'il a reçues, cela est évident, mais comme servant les intérêts, je ne veux pas que l'Etat aille au-delà du service de la caisse elle-même ; je veux que l'opération soit une tontine, une opération en participation, mais je ne veux pas qu'elle soit une caisse au détriment de l'Etat, dans une hypothèse quelconque.
Que si ces observations n'étaient pas admises, alors il resterait un autre moyen, ce serait de limiter la caisse aux personnes désignées dans l'exposé des motifs pour y participer, aux ouvriers, porteurs de livrets et qui vivent du produit de leur travail. Si on veut la limiter à ces personnes, je la voterai immédiatement, même avec la garantie de l'Etat, mais je ne puis consentir à ce que cette garantie s'étende à saisir les intérêts des personnes aisées.
J'ai la conviction que la caisse, telle qu'on veut l'instituer, sera livrée aux personnes aisées qui peuvent fort bien gérer elles-mêmes leurs intérêts; la garantie de l'Etat, en pareil cas, me paraît très dangereuse, en ce sens qu'elle peut devenir une source de ruine pour le trésor public.
Je terminerai ici mes observations ; la chambre est fatiguée; mais, messieurs, vous voudrez bien reconnaître que, dans les considérations que je viens d'avoir l'honneur de présenter à la chambre, je n'ai eu en vue qu'une seule chose, c'est de sauvegarder le trésor public exposé, dans le système que je combats, à subir les pertes de l'opération, sans pouvoir en toucher le bénéfice.
M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, si l'honorait M. Dumortier, quand je l'ai interrompu, avait bien voulu me permettre de lui donner une explication, je lui aurais probablement épargné une assez longue argumentation.
L'honorable membre a fait une addition, et c'est sur le résultat de cette addition qu'il a bâti la plus grande partie de son discours. Dans son opinion, la caisse ne sera pas accessible aux classes ouvrières, les versements semestriels sont trop considérables. Se référant ensuite au tarif A, qui est annexé au projet de loi, il a, si j'ai bien compris, additionné les chiffres qui déterminent la progression mensuelle des versements.
Or, il s'agit dans ce tarif de l'augmentation que le prix de chaque rente doit nécessairement subir, selon que l'achat a lieu dans le premier le deuxième ou le troisième mois de l'année et ainsi de suite. La caisse n'exige ni des versements semestriels ni des versements continus d'aucune espèce.
Ainsi, d'après le tarif A, pour acquérir une rente de 12 francs, si l'ouvrier est âgé de 18 à 19 ans et s'il fait l'acquisition pendant le premier mois de l'année, il aura à payer une seule fois pour jouir de la pension à 55 ans, 13 fr. 28 c, à 60 ans 8 fr. 8 c., à 63 ans, 4 fr. 53 c. D'après cela il est facile d'évaluer l'étendue du sacrifice que la caisse exigera de l'assuré.
Un mot encore, messieurs, relativement à une objection qui se reproduit constamment, je veux parler de la perte que l'Etat peut éventuellement subir, si l'on admet en principe que la révision des tarifs n'aura pas d'effet rétroactif. L'honorable M. Ch. de Brouckere vous l'a dit hier, quel est l'administrateur qui songerait à acheter un fonds qui peut être converti ? Le 2 1/2 p. c, le 3 p. c. au cours actuel, ne présentent aucun danger de perte.
M. Dumortier. - L'honorable préopinant ne doit que prendre les annexes de son rapport, et il verra que je ne me suis pas trompé; il s'est placé dans une fausse supposition ; il avait prétendu que j'avais dit qu'on devait verser tous les mois, tandis que j'ai calculé les versements par semestre et de manière à former une rente de 490 fr. ou de 1 fr. 35 par jour. J'ai fait les calculs depuis 30 ans jusqu'à 50 ans, et je suis arrivé aux résultats que j'ai indiqués à la chambre. Je n'en donnerai pas lecture pour ne pas fatiguer l'assemblée; je les imprimerai au Moniteur.
Quant à ce qu'il a dit du 3 p. c., il doit savoir que cet emprunt ne représente jamais 5 p. c. d'intérêt et que dès lors sa base sur ce point est encore inexacte.
M. Moncheur. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à l'article premier un amendement ainsi conçu :
« Il est créé avec la garantie de l'Etat, et sous la direction du gouvernement, une caisse centrale de retraite pour la vieillesse. »
C'est un principe admis que les mots inutiles doivent disparaître d'une loi, car s'ils y restent, ils peuvent être dangereux. Or puisque la chambre est saisie d'un projet de loi établissant une caisse de retraite, il faut, à mon avis, ne rien dire d'autre dans l'article premier si ce n'est qu'il est fondé une caisse de retraite ; il ne faut pas commencer par dire qu'il est fondé une caisse générale d'assurances sur la vie.
Messieurs, lisez l'article premier et vous verrez que le second paragraphe semble n'être que l'application, à un objet déterminé ou spécial, d'un principe plus général qui serait adopté. Or, je ne veux pas, quant à moi, préjuger un principe qu'on pourrait appliquer à d'autres choses encore qu'à ce qui fait l'objet spécial de la loi en discussion. Je ne veux donc pas qu'on vienne dire plus tard : « Par le premier paragraphe de l'article premier, vous avez adopté le principe d'une caisse générale d'assurances sur la vie, applicable, par exemple, à la fondation de rentes pour les veuves ou pour les enfants des personnes qui auront fait des dépôts, donc il ne s'agit plus que de l'organiser sous ce rapport. » C'est pourtant ce qui résulterait de la contexture de l'article, tel qu'il est; eh bien, je demande que, pour la sincérité du vote de la chambre, il n'y ait aucun doute à cet égard ; si plus tard la chambre est saisie d'autres projets de loi que celui dont elle est saisie en ce moment, elle les discutera. Je demande (page 226) qu'il me soit question aujourd'hui que de la caisse de retraite. J'ajoute dans mon amendement les mots pour la vieillesse, parce que je crois que c'est rendre encore d'une manière plus exacte la pensée de la loi. C'est aussi l'expression qui se trouvait dans le projet de loi présenté en France.
- L'amendement est appuyé.
M. de Man d'Attenrode. - Je demande le renvoi des divers amendements à la section centrale.
M. Toussaint. - J'appuie ce renvoi, parce qu'il serait impossible de voter sérieusement, après une discussion générale qui n'aurait pas été complète, les divers systèmes résumés dans les amendements présentes à l'article premier.
M. le président. - La discussion générale est close.
M. Toussaint. - J'invoque le précédent de la discussion du projet de loi concernant les faillites et les sursis.
M. Le Hon. - J'aurais compris la demande de renvoi à la commission quand M. Cools a présenté la série de ses amendements; mais après la longue discussion qui a embrassé tout à la fois les principes de la loi, les articles et les amendements; en présence surtout des deux seuls amendements proposés à l'article premier, qui viennent d'être également discutés, l'un portant sur la garantie de l'Etat, l'autre sur la limite de la disposition, j'avoue que je ne conçois pas ce que la commission aurait à examiner en dehors de ces débats. Il me semble que toute discussion nouvelle est devenue inutile, qu'il y a lieu de voter aujourd'hui.
M. Mercier. - Si le gouvernement s'oppose à l'amendement de M. Moncheur, je l'appuierai de quelques considérations; mais si, comme je le pense, le gouvernement l'adopte, je renoncerai à la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement a déposé, dans l'article premier du projet, un principe général, la base d'un système complet; Ce système ne se trouve appliqué qu'en partie par la loi que nous discutons.
Je reconnais que l'article premier pourrait énoncer purement et simplement l'objet de la loi ; le principe général y a été déposé pour faire connaître le système entier.
Cela entendu, je ne fais pas difficulté et je pense, que M. le rapporteur de la section centrale est de cet avis de retrancher le paragraphe 2. Quant aux mots : « de retraite pour la vieillesse », nous ne pouvons pas les admettre, car nous prévoyons des pensions acquises à l'âge de 55 ans, et de plus, à l'article 8, nous prévoyons des retraites pour d'autres que pour des vieillards, pour ceux qui par accidents ont été réduits à l'incapacité de travail.
M. le président. - L'article serait alors ainsi rédigé: « Il est créé, avec la garantie de l'Etat et sous la direction du gouvernement, une caisse centrale de retraite. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne vois pas d'avantage à substituer le mot « centrale » au mot « générale », qui est dans le projet du gouvernement.
M. Moncheur. - Si on adopte mon amendement au fond, je ne tiens pas à ce que le mot « centrale » soit substitué au mot « générale », car mon amendement, auquel M. le ministre vient de se rallier, limite l'objet de la loi.
Le mot « générale » aurait eu une signification plus vague et que je n'aurais pas pu admettre, si l'article du gouvernement avait été maintenu. Avec la rédaction nouvelle, le mot « générale » ne peut signifier qu'une chose, c'est que la généralité des dépôts sera concentrée dans la caisse de retraite, de sorte qu'elle sera nécessairement centrale. Je puis donc, dans ce sens, admettre indifféremment le mot auquel tient M. le ministre.
Quant aux mots « de la vieillesse », je n'insiste pas.
M. Mercier. - Je ne tiens pas à l'insertion des mots « de la vieillesse » dans l'article, mais je fais mes réserves pour l'article 8.
- La chambre consultée ferme la discussion sur l'article premier et les amendements qui s'y rattachent.
L'amendement proposé par M. Dumortier, consistant à supprimer les mots : « avec la garantie de l'État », est mis aux voix.
Il n'est pas adopté.
M. De Pouhon renonce à son amendement qui consistait à substituer les mots « caisse centrale » à ceux-ci : « caisse générale ».
M. le président. - Je mets aux voix l'article premier qui serait ainsi conçu :
« Il est créé, avec la garantie de l'Etat et sous la direction du gouvernement, une caisse générale de retraite. » Le deuxième paragraphe serait supprimé.
- Cet article, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à 5 heures.