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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 11 décembre 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 180) M. Dubus procède à l'appel nominal à deux heures et quart.

La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de Montenaeken prient la chambre de modifier le projet de loi sur les denrées alimentaires. »

« Plusieurs habitants de Bommershoven demandent le rejet de ce projet de loi et l'établissement de droits protecteurs ».

« Même demande de plusieurs habitants de Berloz, de Viemme et de Gingelom. »

-Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.


« Plusieurs décorés pour actes de courage et de dévouement demandent que le gouvernement leur accorde le droit de porter le ruban sans la médaille, et les honneurs du port d'armes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les huissiers audienciers attachés à la chambre correctionnelle et à la cour d'assises de la province d'Anvers, demandent qu'il leur soit accordé une somme fixe, à titre de traitement ou d'indemnité, pour le service des audiences correctionnelles et de la cour d'assises. »

- Même renvoi.


« Le sieur Honoré, vérificateur des douanes pensionné, prie la chambre de lui faire obtenir une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Tarte prie la chambre d'accorder au sieur de Gobart la concession d'un port à Blankenberghe et celle d'un chemin de fer et d'un canal de cette ville à Bruges, et demande, pour lui, la concession du canal maritime de Bruges à l'Escaut. »

M. Sinave. - Messieurs, cet objet est très intéressant pour les Flandres. Je proposerai le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« L'administration communale d'Anvers réclame l'intervention de la chambre pour obtenir l'exécution d'un jugement rendu contre l'Etat, et demande qu'il soit alloué au budget de la guerre un crédit pour satisfaire au payement des sommes auxquels l'Etat a été condamné. »

M. Veydt. - Messieurs, cette pétition est urgente. Puisqu'elle signale un fait qui se rattache au département de la guerre, je demanderai qu'elle soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le budget de ce département.

- Cette proposition est adoptée.


M. Lebeau informe la chambre qu'une indisposition l'empêche de prendre part à ses travaux.

- Pris pour information.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Rapport de la section centrale

M. Rousselle. - Messieurs, privée du concours éclairé de son rapporteur, l'honorable M. Tesch, la section centrale du projet de loi sur les denrées alimentaires m'a chargé de présenter son rapport. J'ai l'honneur de le déposer sur le bureau.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. Quel jour la chambre veut-elle le discuter ?

- Des membres. - Après-demain.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Après la discussion de la loi dont nous allons nous occuper.

M. Loos. - Il reste un chapitre de la loi sur les faillites. Le rapport sera présenté demain. Je crois qu'il faudrait terminer ce projet de loi avant d'aborder le projet de loi sur les denrées alimentaires.

M. le président. - Nous aurons donc à l'ordre du jour : l° le projet de loi sur l'établissement d'une caisse de retraite ; 2° la loi sur les faillites; 3° la loi sur les denrées alimentaires.

- M. Verhaegen remplace M. Delfosse au fauteuil.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Ansiau dépose plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

M. de Luesemans (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'avais communiqué à M. le ministre des travaux publics mon intention de lui adresser aujourd'hui une interpellation; je pense qu'une indisposition l'empêche d'assister à la séance; je demanderai à la chambre la permission d'adresser cette interpellation à M. le ministre des travaux publics, soit aujourd'hui quand il viendra, soit au commencement de la séance de demain.

Projet de loi relatif à l’institution d’une caisse générale d’assurances sur la vie

Discussion générale

M. le président. - Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur si le gouvernement se rallie au projet de la section centrale?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. le président, nous indiquerons dans le cours de la discussion les articles auxquels le gouvernement se rallie.

M. le président. - La discussion s'ouvre donc sur le projet du gouvernement. La parole est à M. de Perceval.

M. de Perceval. - C'est une discussion d'une importance incontestable que celle que nous ouvrons sur le projet d'institution d'une caisse générale d'assurances sur la vie.

L'amélioration du sort des classes laborieuses vient occuper aujourd'hui l'attention de la législature, et la loi proposée par le gouvernement mettra en application, en faveur des ouvriers, de salutaires dispositions dont le pays ne tardera pas à ressentir l'heureuse influence. Sans porter aucune atteinte à la famille, sans encourager l'égoïsme au foyer domestique, la création d'une caisse de retraite pour le travailleur est une chose utile, opportune, surtout dans les temps où nous vivons; car nous intéressons ainsi directement à l'ordre une classe nombreuse de la société, et nous enlevons, par ce moyen, à l'esprit de révolte, au parti démagogique, qui tente quelquefois d'en exploiter les souffrances, son plus fort et, il faut le dire malheureusement, son habituel contingent.

Quand vous aurez donné à l'ouvrier l'éducation et l'instruction; lorsque vous lui aurez inculqué les idées de prévoyance, d'épargne et d'économie, vous n'aurez plus à craindre le désordre; car l'édifice de la Paix ne demande à s'élever que sur deux assises : l'Education et l'Epargne.

Je vois avec satisfaction que le cabinet comprend les besoins de l'époque actuelle; je le suivrai dans la voie où il marche, parce que j'ai la conviction que le bien-être du pays en dépend, dans une forte et large mesure.

Ce n'est point parce que de coupables tentatives contre la société ont été commises dans quelques contrées qui nous entourent, que nous ne devons pas nous préoccuper de l'amélioration du sort matériel et de la condition morale des ouvriers. Au contraire, dans notre pays, cette classe nombreuse de la société est digne, à tous égards, de la sollicitude bienveillante delà législature, car elle nous a donné, elle nous donne encore tous les jours des gages précieux et consolants de son amour pour la tranquillité publique et de son attachement aux institutions qui nous régissent.

Les mesures proposées par le gouvernement sont sagement conçues; je les approuve, en général, car elles découlent d'un principe dont la bonté ne saurait être mise en doute.

Organiser, réglementer l'épargne de l'ouvrier, sous la sauvegarde de l'Etat, c'est non seulement introduire, asseoir et encourager l'esprit d'économie dans la classe ouvrière, mais c'est encore alléger, diminuer les charges si lourdes, de nos jours, des comités de charité et des bureaux de bienfaisance.

Il est cependant quelques dispositions de la loi qui pourraient, à mon avis, subir des modifications. Je les désignerai, je les analyserai succinctement; et je désire que la discussion me démontre que c'est à tort que je les considère comme vicieuses; qu'elles ont, au contraire, leur côté utile.

Une disposition du projet de loi veut que les fonds versés pour l'acquisition de rentes soient convertis en achats d'inscriptions sur le grand-livre de la dette publique. Cette disposition constitue, d'après ma manière de voir, un non-sens. Elle paraît introduite dans le but de donner à l'acquéreur de rentes une garantie nouvelle, autre que celle qui lui est donnée par l'article premier du projet de loi; et, en réalité, elle n'ajoute rien à cette dernière. Quel sera, d'après la loi nouvelle, le débiteur de rentes de la caisse d'assurances générales sur la vie? L'Etat. Quel est le débiteur de la dette publique? Encore l'Etat.

L'Etat donnera donc aux rentiers assurés, pour leur servir de garantie, des titres qu'il doit lui-même, et dont il doit lui-même servir les intérêts. Ce n'est pas là ce que l'on peut nommer une garantie, dans la véritable et rationnelle acception du mot.

La dette publique est soumise aux fluctuations de la spéculation, de l'agiotage, de la guerre, des commotions politiques, et convient-il d'enchaîner à de pareilles fluctuations l'avenir de l'ouvrier, le pécule péniblement amassé du pauvre artisan?

Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, la caisse d'épargne de la Banque de Belgique doit, d'après ses statuts, convertir ses dépôts en titres de la dette publique. Qu'en est-il résulté? C'est que les déposants, qui ont eu besoin de leur argent dans l'année qui a suivi les événements de février 1848, ont été forcés d'accepter en payement et au pair des titres qui valaient parfois 50, parfois 60 p. c, suivant les oscillations de la bourse.

Quel serait donc l'emploi le plus rationnel que l'Etat devrait faire du capital déposé par l'ouvrier? Acheter des fonds publics, abstraction faite des chances d'un pareil mode de placement, n'est point, pour moi, une opération très sage.

Pour rendre la garantie de l'Etat plus sérieuse, plus efficace, le gouvernement ne pourrait-il pas, au moyen des fonds qui seront placés entre ses mains, diminuer son passif, amortir sa dette. Et si, comme j'en ai la conviction intime, vous inspirez de la confiance à la classe ouvrière, vous finirez par rembourser votre dette publique, et vous la remplacerez par une dette naturelle, respectable, qui ne sera pas aussi lourde pour le pays que ces emprunts qu'une impérieuse nécessité nous a fait quelquefois contracter.

Voilà les seules considérations, je devrais plutôt dire les seules appréhensions que j'avais à soumettre à la chambre. Elles se résument dans un doute qui m'assiège sur la saine application d'une mesure financière. A part cette disposition, tous les autres articles ont mon assentiment.

(page 181) Cette loi, je le déclare en terminant, est aussi utile que bonne. La création d'une caisse générale d'assurances sur la vie est une pensée heureuse, et je sais gré au gouvernement de nous avoir présente une loi à l'effet, de l'instituer dans notre pays. C'est à l'aide d'institutions semblables qu'on moralise les masses, qu'on les intéresse à l'ordre et à la paix publique, et que la législature prouve surtout sa sollicitude pour les besoins, si dignes d'intérêt, des classes laborieuses.

M. de Liedekerke. - Messieurs, je réclamerai l'indulgence de la chambre pour les observations que j'aurai l'honneur de lui présenter, car le sujet est vaste ; il est d'un très haut intérêt ; et le projet de loi ne nous ayant été remis qu'à notre rentrée, je n'ai pas pu lui donner toute l'attention, toutes les méditations qu'il mérite.

Toutes les questions qui intéressent les classes ouvrières sont dignes de fixer la sollicitude des membres de cette chambre, d'attirer leurs sympathies ; mais l'on ne saurait user d'assez de prudence dans la solution qu'on leur donne, car les intérêts présents et futurs de la société y sont éminemment engagés.

Sans doute ce n'est pas toujours vers les sommets de la société qu'il faut diriger ses regards, mais bien vers ses profondeurs à l'effet d'y découvrir la misère, la détresse, les plaies souvent sanglantes qu'on y trouve et d'y apporter tous les remèdes compatibles avec l'ordre public.

Il ne faut pas se dissimuler, et je désire que ce mot ne soit pas pris dans un sens exagéré, mais il ne faut pas se dissimuler que le projet de loi en discussion cache comme un droit à l'assistance, qu'il est comme un fragment de l'organisation du travail.

Puisque j'ai prononcé ce mot : « organisation du travail », qu'il me soit permis de dire ce que je comprends par ce mot : « organisation du travail ».

Le mot est nouveau, et la chose est vieille. L'organisation du travail n'est au fond que le rapport, la relation de ceux qui ont les instruments du travail, le capital, par exemple, avec ceux qui n'ont que le capital de leur intelligence ou de leurs bras.

Une certaine organisation du travail a toujours existé. Dans les sociétés antiques, l'esclavage était une organisation du travail; sous la féodalité, avec le servage, c'était encore une organisation du travail. Car, évidemment, là il faut que le propriétaire entretienne son serf, lorsqu'il n'a plus de quoi vivre.

Avant la révolution, sous les jurandes, sous l'empire des maîtrises , c'était encore une organisation du travail. Effectivement le travail y était limité et contenu dans d'étroites bornes. Celui qui était ouvrier ne devenait maître qu'à des conditions dures et difficiles. Lors de la révolution de 1789, qu'est-il arrivé? On a passé d'un extrême à l'autre; de l'absence de toute rivalité, de toute liberté, on est tombé dans l'excès de la concurrence, on y est arrivé sans transition, sans nuance aucune. De sorte qu'on est arrivé à la libellé absolue, liberté qui a abouti à développer à la fois le génie de la production et la concurrence, et à développer ce génie dans des proportions effrayantes.

Trop frappé d'une réaction possible, préoccupé de la pensée de maintenir cette liberté entière, qu'a fait le législateur de 1789? Voulant rendre impossible toute tentative de retour vers l'ancien ordre de choses, qu'a-t-il décrété dans sa loi du mois de juin 1791 ? Il s'est exprimé ainsi :

« Art. 2. Les citoyens de même état ou même profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers ou compagnons d'un art quelconque ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble, se nommer ni président, ni secrétaire, ni syndic,' i tenir registre, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs. »

Qu'était-ce? C'était là couper court aux associations, frapper de mort la pensée de la prévoyance qui ne se réalise que par elles; de sorte que tandis qu'on donnait la liberté la plus entière, la plus absolue au travail, on la ravissait au travailleur lui-même.

En même temps qu'on donnait le plus grand essor au travail, qu'on le livrait à des excès qui pouvaient amener des conséquences excessives, on étouffait imprudemment à son berceau même la prévoyance qui, se fondant par l'association, pouvait seule porter secours à l'ouvrier et le soutenir dans les désastres causés par la concurrence illimitée. Ce qui a donc manqué alors, ce qui a échappé à l'instinct du législateur, c'est la prévoyance développée par l'association et par la solidarité. Ajoutez-y le naufrage de tous les grands établissements de charité privée et de bienfaisance religieuse, et vous aurez, à mon sens, trouvé la double source de la misère, de l'abandon, de la détresse qui a tant et si gravement pesé sur les classes ouvrières !

J'ai cité la loi de 1791, bien que le droit d'association existe en Belgique, parce que nous avons vécu sous l'empire de cette loi jusqu'en 1830 et que, depuis, l'influence de cette législation a continué à s'y faire sentir.

Au milieu des théories contradictoires qui nous ont affligés, épouvantés, indignés, une grande vérité me semble s'être maintenue, c'est que la liberté du travail est synonyme de responsabilité individuelle, et que l'une ne peut exister sans l'autre. Quelle en est le légitime et indispensable corollaire? Ici je parle de tout le monde : capitalistes, industriels, négociants, manufacturiers, simples ouvriers. Chacun dans le cercle où il se trouve, dans la sphère où il peut se. mouvoir, a sa part de responsabilité, comme il a sa part des nobles jouissances de liberté,

Vous ne pouvez, messieurs, vouloir réunir les deux extrêmes; vous ne pouvez exiger la liberté dans la bonne fortune et répudier ensuite la responsabilité au jour du malheur et de la détresse.

Permettez-moi de vous citer de belles paroles de Michel Chevalier : « On ne cumule pus, dit-cet homme éminent, la sécurité sans noblesse qui résulte d'une étroite dépendance avec la généreuse fierté que l'indépendance inspire. On n'est pas au même instant majeur et mineur. »

Ce qui paraît donc à mes yeux découler logiquement de cette situation et des principes que j'ai exposés, c'est le devoir de l'initiative individuelle et personnelle. C'est à elle à agir, à se concerter pour amener des résultats efficaces et salutaires ; c'est dans cette initiative que les classes souffrantes trouveront le premier, le plus constant soulagement à leurs maux.

Je touche ici à l'intervention de l'Etat : il y a deux partis, deux principes opposés : les uns voudraient que l'Eta intervînt beaucoup, qu'il fût, pour ainsi dire, le tuteur universel; d'autres voudraient qu'il s'abstînt le plus possible.

Messieurs, il me paraît qu'il y a une certaine contradiction à vouloir que les citoyens soient politiquement libres, politiquement émancipés de l'Etat, du gouvernement ou du pouvoir, appelez-le comme vous voudrez.

Dans nos sociétés modernes, avec nos lois si libérales, les devoirs de l'homme, par rapport à lui-même, se sont agrandis, et la principale responsabilité de son avenir, de sa destinée, repose avant tout sur lui-même.

Ainsi, je conçois que l'Etat se charge de certaines entreprises, qui, par leur grandeur, dépassent les forces individuelles, qui sont de véritables besoins sociaux, des besoins généraux.

Je conçois que l'Etat intervienne temporairement pour remédier à des crises passagères, qu'il soutienne le crédit, qu'il défende les capitaux de toute atteinte, qu'elle vienne d'en haut ou d'en bas; qu'il prévienne des écarts dangereux et irréfléchis. Mais ce que je vous demande, c'est de n'en faire ni un banquier, ni un commanditaire.

S'il en est autrement, si vous entrez dans cette voie, si vous suivez des errements que je considère comme déplorables, qu'arrivera-t-il? Il arrivera que l'action gouvernementale exagérée et continue affectera les ressorts de l'énergie individuelle, qu'elle dégradera, et je vous prie de ne pas vous méprendre sur la valeur de ce mot, les populations en leur ravissant leur spontanéité, l'initiative de leur volonté, et jusqu'à un certain point la capacité de s'assurer par eux-mêmes un sort et un avenir, il arrivera encore que l'Etat, impuissant à démêler les intérêts vrais des intérêts faux, ira tout aussi bien vers le mal que vers le bien.

Une foule de réclamations s'élèveront, l'embarrasseront, le gêneront, l'entraveront. Chacun se croira des droits à l'invoquer; tout le monde aura des prétentions, et chacun s'appuiera sur des considérations particulières, sur des calculs trop souvent en complet désaccord avec l'intérêt général, et auxquels on ne cède que trop souvent par une sorte d'impuissance de résistance.

Si je voulais achever ce tableau et y ajouter quelques traits pour le compléter, que verrions-nous? Que verrions-nous? La multiplicité des lois, la surabondance des règlements, des difficultés administratives incessantes, l'accroissement des fonctionnaires, des impôts nouveaux, nouveaux, un budget intolérable et une gêne financière inévitable. Eh quoi! nous avons à nos portes un pays qui gémit depuis cinquante ans sous cette influence funeste de la centralisation! Qu'y a-t-on fait pendant ce demi-siècle ? On a rivé plus étroitement les chaînes de la centralisation! Chacun des pouvoirs qui s'y sont succédé a cru bien faire pour son avenir en servant de son mieux la classe des intéressés de la nation, qui le soutenaient d'une manière plus énergique plus directe.

Sous l'empire, c'étaient les instincts guerriers auxquels on s'adressait ; sous le gouvernement de juillet, c'était aux intérêts matériels, financiers, industriels.

Qu'est-il arrivé? C'est que quand ces intérêts collectifs ont été en désaccord avec l'opinion publique, quelques jours, quelques heures souvent, ont suffi pour renverser ces gouvernements devenus isolés et les balayer de la surface de la société.

Sans doute on me fera des objections : les partisans de l'intervention continue, suivie de l'Etat, me feront cette réponse. Ils me diront : Mais que devient l'influence, l'action de l'Etat? A quoi se réduira-t-elle? On demande quelles fonctions je lui donne. Mais, messieurs, je ne suis guère embarrassé. N’est-il pas le défenseur intéressé du progrès national, le régulateur des besoins de toutes les classes, le directeur de l'ensemble des intérêts moraux et matériels du pays?

J'ose croire que sa tâche est assez glorieuse, que ses devoirs sont assez vastes, en face de ces intérêts souverains d'une nation dont la gestion tout entière lui est dévolue.

Voyez les Etats-Unis; voyez l'Angleterre. Où la centralisation règne-t-elle moins? Où la puissance matérielle, où les développements intellectuels ont-ils pris des proportions plus grandes, plus dignes d'envie, plus magnifiques?

Messieurs, j'arrive enfin à la question spéciale qui nous occupe, dont ces considérations générales m'avaient un peu écarté.

On vous propose donc de fonder avec la garantie et sous la direction du l’Etat, une caisse générale d'assurances sur la vie, qui fonctionnera d'abord comme caisse de retraite.

J'y vois plusieurs dangers. Le premier, c'est celui de mettre en contact trop direct le gouvernement avec les classes ouvrières; c'est de (page 182) corroborer, de fortifier cette idée que le gouvernement peut tout et qu'il doit tout. Vous allez étendre ses devoirs milieu de les restreindre; vous aller engager plus avant sa responsabilité, déjà trop grande. Ce premier pas fait, vous devrez forcément avancer. Car vous aurez posé des précédents qu'on invoquera et dont la pression sera toujours plus intolérable! De nécessité en nécessité, d'obligation en obligation, d'exigence en exigence; vous arriverez à une sorte de gouvernement universel, de gouvernement providentiel, composé d'éléments terrestres et qui succombera sous le fardeau intolérable que vous aurez mis sur ses épaules.

Vous me direz sans doute que j'exagère, que je grossis infiniment trop cette éventualité. Mais, messieurs, on s'aveugle facilement sur le point de départ, qui devient insensiblement la source de difficultés imprévues et inextricables. Car une fois sur cette pente fatale, c'est souvent eu vain qu'on veut enrayer. Il est dans l'ombre des agents mystérieux qui surexcitent l'opinion publique et qui la poussent, en dehors de vous, malgré vous, autour de vous, aux extrémités de la logique la plus périlleuse.

Ainsi donc ma première objection découle de l'aggravation de responsabilité que vous allez faire peser sur l'Etat.

Ma seconde objection est puisée dans l'universalité même de cette caisse. En effet, comment la constituez-vous? Vous la constituez en faveur de tous les ouvriers sans aucune distinction.

Mais, messieurs, ne comprenez-vous pas qu'il en résultera les plus étranges inégalités? Ne savez-vous pas que la mortalité est différente dans les différentes classes d'ouvriers; qu'elle est inégale suivant la variété des métiers auxquels se livre le travailleur, et qu'il arrivera que certains ouvriers jouiront plus vite que d'autres de la pension de retraite, qu'ils poursuivent au prix de sacrifices souvent si durs ? Ainsi certaines catégories d'ouvriers et leurs familles se trouveront imposées au profit d'autres, et sans compensation aucune pour eux.

Enfin, l'acquisition irrévocable par la caisse de retraite des fonds qui lui auront été confiés, et cela non seulement après l'époque fixée pour la jouissance de la pension, mais même avant, et pour tous les versements qui auront été faits, me paraît devoir produire les effets les plus déplorables. Jamais vous ne pourrez convaincre les familles des ouvriers décédés que ces fonds confisqués et absorbés par l'Etat ne sont pas une véritable confiscation opérée à leur détriment; que ce ne soit pas là une combinaison fiscale avant tout.

Messieurs, pareille chose n'existe, ni en Angleterre, ni en France. En Angleterre on restitue les fonds des versements qui ont été faits, si le décès arrive avant l'époque de la jouissance de la pension. En France, il en est de même; seulement on y restitue à la famille les fonds même après le décès de celui qui avait commencé à jouir de la pension.

Quant à l'article 3, dont je parlerai d'une manière plus détaillée quand nous en serons à la discussion des articles, il me paraît bouleverser complètement l'esprit de notre Code civil et porter atteinte au sentiment, à l'esprit du mariage religieux. En effet, quel est le système de notre législation? C'est la communauté; c'est d'établir, au point de vue civil et au point de vue religieux, la communauté d'efforts, la communauté d'avantages, la communauté de souffrances, en un mot l'association perpétuelle pour la bonne et pour la mauvaise fortune.

Par l'effet de votre loi, vous scindez le mariage, vous donnez des intérêts divers au mari et à la femme, vous permettez de faire appel à un pouvoir étranger, au juge de paix, et vous blessez ainsi les plus justes, les plus nobles susceptibilités domestiques.

Ici encore, messieurs, je trouve la comparaison tout au désavantage du projet ministériel. Dans la loi française, le placement fait par la femme est en même temps fait pour le mari, et le placement du mari est partagé entre lui et sa femme.

Maintenant, messieurs, on dit que le gouvernement ne s'engage à rien, que le gouvernement sait nettement où il va. Eh bien, je soutiens parfaitement le contraire. Le gouvernement ignore à quoi il s'engage, à quelle limite il s'arrêtera. Et je suis fortifié dans ce doute par le rapport de l'honorable M. T'Kint. En effet que porte ce document? J'y lis, page 7 : « Les tarifs pourront toujours être révisés par la loi, en cas de perte comme en cas de gain, sans effet rétroactif sur les contrats antérieurs. »

Ainsi donc, l'Etat, à l'égard de certains contractants, doit perdre ou doit gagner; l’aveu est clair : s'il a gagné, son gain lui restera; s'il a perdu, il continuera à perdre à l'égard de certaines catégories, parce qu'il n'y a pas rétroactivité dans les mesures qui pourraient venir modifier l'organisation de la caisse.

Quant à l'article 8, messieurs, il appartient beaucoup plus à une association de secours mutuel qu'à une caisse de retraite fondée pour les vieillards et les infirmes. L'article 8 donne au déposant une indemnité anticipée lorsque, par suite d'un accident, il devient incapable de travailler, et il vous prépare des charges dont vous ne sauriez prévoir le montant; et que dit l'honorable rapporteur, dont l'esprit droit cède à l'évidence des faits. Il dit « que les données nécessaires pour les évaluer font défaut jusqu'à présent, » et puis il ajoute : « qu'il suppose, au dire du gouvernement, qu'elles ne seront pas considérables. »

Mais enfin, on ne sait pas où elles s'arrêteront ! il y a donc ici vague, incertitude, doute.

Je sais bien qu'on cite l'Angleterre. On dit qu'en Angleterre une caisse de retraite a été établie en 1833 ou en 1834. Cela est vrai: mais j'emprunte au rapport de l'honorable M. Benoist d'Azy, qui, lui-même, l'a emprunté au rapport de M. Pinède, envoyé en Angleterre pour examiner ces questions; j'y vois que le gouvernement anglais a surtout établi cette caisse de retraite, parce qu'il y trouvait un moyen de réduire la « dette fondée ». C'était, donc une ressource financière que le gouvernement anglais employait.

« Le gouvernement (dit M. Benoist d'Azy) a calculé, en effet, que les fonds versés seraient pour lui un moyen de réduire la dette fondée. Il n'y a pas eu jusqu'ici grand empressement à user de cette faculté ; mais cela se comprend facilement quand on songe, comme nous l'avons déjà dit dans le cours de ce rapport, que déjà les caisses de secours, qui comprennent près de deux millions de membres, assurent des retraites, que les compagnies d'assurances sur la vie, qui ont pris en Angleterre un immense développement, font des conditions aussi favorables que celles de la loi. »

Maintenant, quant à la caisse de retraite elle-même, voici le nombre d'annuités inscrites :

Le nombre d'annuités immédiates viagères est de 5,237, s'élevant à la valeur de 2,577,915 fr., tandis que le nombre d'annuités viagères, différées, correspondant à celles dont le germe est déposé dans notre loi, est en valeur de 500 et quelques mille francs; le chiffre m'échappe,

M. Pinède ajoute : « Ces dépôts, il faut le dire, ne comprennent qu'un petit nombre d'ouvriers. »

Il me paraît donc, messieurs, que l'exemple de l'Angleterre ne peut pas être invoqué par les partisans du projet de loi.

M. T’Kint de Naeyer. - Il serait plus exact de dire que la taxe des pauvres, qui assure des secours à la vieillesse, a entravé le développement de la caisse de retraites en Angleterre.

M. de Liedekerke. - Mais, messieurs, si par ces considérations, j'écarte la pensée d'une caisse générale de retraite, telle qu'on la propose, est-ce à dire que je répudie le bienfait d'institutions de ce genre, ou même que je veuille paralyser, par l'effet d'une rigueur exagérée, toute participation restreinte, limitée, de l'Etat? Non, messieurs, je crois qu'il est bon, qu'il est très salutaire de fonder d'aussi utiles, d'aussi nobles institutions, appelées à secourir l'homme épuisé par le travail. Je crois que les principes de liberté, proclamés en 1789, par les hommes illustres de l'assemblée constituante, que cette liberté ne sera véritablement complète que lorsque la prévoyance et la solidarité seront venues y ajouter les bienfaits dont elle manque aujourd'hui.

Et qui donc, messieurs, permettez-moi d'aborder d'une manière plus directe celle question, qui donc a le plus vif, le plus immédiat intérêt dans l'objet qui nous occupe? Je le dirai sans détour, sans hésitation : c'est le manufacturier, l'industriel, le capitaliste. C'est d'eux surtout que doit venir l'initiative de cette belle œuvre. Je dirai plus, ce sont eux seuls qui peuvent utilement l'organiser. Ce sont eux, messieurs, qui tirent parti, en temps de prospérité, des bénéfices produits par le travail industriel : ce sont eux qui doivent inspirer ces institutions: des caisses de retraite, afin qu'aux jours du malheur, aux jours de la vieillesse et de la décrépitude, l'ouvrier qui les a servis dans la prospérité trouve un dernier refuge contre les calamités qui l'accablent.

Trois grands malheurs peuvent accabler l'ouvrier ; le chômage; des infirmités accidentelles, passagères ou permanentes.; l'incapacité de travail occasionnée par la simple vieillesse.

Pour le chômage, il faut bien le dire, je crois profondément qu'il n'y a aucun remède à y apporter; lorsqu'une fois il s'établit, en grand, vous aurez beau y appliquer toutes les ressources de la nation, vous épuiserez en vain son trésor, vous n'y remédierez pas.

Nous avons vu ces hommes téméraires et imprudents qui ont pu, pendant quelques mois, gaspiller la fortune de la France; nous les avons vus voulant établir le travail sans chômage, le travail assuré d'une manière continue. Eh bien, le dernier débris de cette organisation informe vient d'expirer. Elle s'était maintenue dans l'atelier de tailleurs de Clichy; il est fermé, et les membres qui le composaient ont reconnu que le salaire égal, qui devait prévenir tous les désastres et préserver leur sort de toute secousse, était une impossibilité; que l'ouvrage non seulement était mal fait, mais qu'aucun ouvrier, aucun talent ne recevait sa juste rétribution.

Pour les infirmités accidentelles, l'association des secours mutuels y correspond. Eh bien, je dois le dire, le projet du gouvernement, dans le sens de ses auteurs, au point de vue de ses principes, ne pouvait être complet que si on avait rattaché à la loi qu'on fait passer sous nos yeux, un projet d'association mutuelle, du moins un règlement pour les associations mutuelles qui pourraient se fonder. C'est ainsi qu'en France au projet d'une caisse de retraite soumis à l'assemblée nationale, vous voyez succéder un règlement d'association mutuelle, et l'honorable rapporteur, M. Benoist d'Azy ajoute que, dans sa pensée, la caisse de retraite ne peut jamais régulièrement fonctionner si elle n'a pas , comme corollaire indispensable et immédiat, l'association des secours mutuels.

À qui s'adresseront surtout les caisses de retraite? Elles s'adressèrent surtout aux centres d'industrie et aux populations industrielles; car, messieurs, veuillez remarquer que les cruautés de la misère ne sont jamais si vives dans les parties agricoles du pays; dans ces parties, la vie est rude, elle est dure, je le confesse, il y a certainement de grandes épreuves.

Mais l'association mutuelle n'a pas besoin de venir fonctionner dans les campagnes; là il y a une association fraternelle entre tous les habitants; jamais le propriétaire, ni même le simple fermier, ne refuseront la nourriture et le chauffage à ceux qu'ils ont l'habitude d'employer dans des temps plus prospères. Soyez persuadés que les associations mutuelles et les caisses de retraite conviennent surtout aux centres industriels et manufacturiers, et auront peu de retentissement et d'écho dans les campagnes.

(page 183) Je me permettrai de citer, à cet égard, un nouveau passage de M. Michel Chevalier.

« C'est moyennant le rapprochement personnel entre les chefs d'industrie ou les hommes les plus éclairés et les plus généreux des classes riches et les ouvriers, qu'on verra les institutions bienfaisantes, progressives et conservatrices, se répandre et se multiplier. »

Je vais citer à l'appui de ces paroles deux exemples que je trouve très marquants et qui prouvent ce que les chefs d'industrie peuvent faire en faveur des ouvriers en dehors même de leur salaire.

L'un de ces exemples est emprunté à la compagnie d'Orléans, et l'autre, à un industriel de Paris qu'on nomme M. Leclaire.

La compagnie d'Orléans, à la tête de laquelle est un homme éminent par sa capacité et par ses sentiments (M. Barthélémy), admet ses employés au partage des bénéfices, après leur avoir donné une rétribution fixe, égalé à celle qui ailleurs forme la rémunération entière des services semblables. Une fois prélevés les intérêts et l'amortissement, évalués ensemble à 8 p. c. du capital, elle répartit entre ses agents 15 p. c. du reste. La somme distribuée ainsi en 1846 n'a pas été moindre de 500,000 francs; en 1847 elle a été d'environ 360,000 francs. La compagnie se proposait de faire jouir ultérieurement de cette participation les simples ouvriers de ses ateliers, mais elle avait jugé convenable de procéder par degrés... Seuls seize agents supérieurs reçoivent la totalité de leur part en espèces. Pour tous les autres, la moitié est placée d'office par la compagnie à la caisse d'épargne de manière à leur former un capital. Ce placement s'est élevé, en 1846, à 120,162 francs.

M. Leclaire qui a un établissement bien moins considérable que la compagnie d'Orléans, mais aussi qui est seul maître chez lui et peut disposer de ses bénéfices comme il lui plaît, en fait profiter ses ouvriers dans une proportion beaucoup plus marquée que celle qu'a établie le conseil d'administration du chemin d'Orléans. Chez lui, le principe est que, tous frais payés, y compris l'intérêt du capital, le reste se partage entre les collaborateurs au nombre desquels il figure lui-même comme directeur. Le partage se fait proportionnellement à la somme des salaires obtenus dans l'année.

Messieurs, je ne dis pas que les exemples que je viens de citer soient exactement applicables à la matière que nous discutons ; seulement, je veux prouver qu'en dehors du salaire donné à l'ouvrier, le manufacturier, l'industriel peut concourir sans gêne à une fondation qui soulagera l'infortune ou la vieillesse de l'ouvrier.

Je pourrais encore citer l'exemple de ce qui se fait à Gand, où l'on m'a dit qu'une caisse de retraite a été fondée par une grande maison industrielle. Je pourrais rappeler les institutions du Hainaut dont M. Wolowski fait un grand éloge. Car nous avons, je prie la chambre de le remarquer, autour de nous des exemples qui sont la preuve évidente que nous pouvons arriver à l'organisation d'une caisse de retraite et d'associations mutuelles, sans que le gouvernement se pose en directeur ou en garant suprême. N'avez-vous pas l'industrie métallurgique ? Vous dira-t-on que cette industrie n'a pas de proportions considérables. Ne serait-il pas possible de réaliser pour elle, en sa faveur, ce qui se fait pour l'industrie des mines dans le Hainaut ?

Pour moi, je ne me soumettrais pas aisément à l'idée que les caisses de prévoyance, qui ont été instituées en faveur des ouvriers mineurs, ne puissent pas s'étendre à d'autres industries; je crois, au contraire, qu'elles réussiraient parfaitement et qu'elles fonctionneraient à merveille.

Ainsi, surveillance du gouvernement dans l'intérêt de tous, approbation par lui des statuts des différentes sociétés qui viendraient à se fonder, afin d'empêcher les abus; encouragement restreint, mais possible dans certains cas donnés et soumis à l'appréciation législative, voilà jusqu'où je pourrais aller; mais au-delà, je vois des dangers sérieux, et c'est cette perspective qui me fait combattre le projet tel qu'il nous est présenté.

J'y découvre un autre inconvénient, c'est que ce projet paraît n'être qu'une avant-garde, un détachement d'un projet beaucoup plus considérable qui nous est prophétisé.

Eh bien, prenons y garde, messieurs, nous ne saurons plus où nous irons, ou plutôt, où nous nous arrêterons!

Vous fondez, en effet, aujourd'hui une caisse de retraite, et demain on proposera des associations mutuelles ; un peu plus tard, on vous proposera une loi nouvelle provoquée par des exigences nouvelles et qu'on vous dépeindra comme le complément des mesures précédentes.

Ainsi, vous vous saisirez insensiblement de la direction de tous les intérêts matériels du pays, et toutes les classes ouvrières se trouveront sous la tutelle, sous le contrôle du gouvernement qu'elles considéreront comme leur sauveur ou leur oppresseur, selon qu'elles seront ou ne seront pas soulagées par son intervention.

Messieurs, daignez y réfléchir, vous devez avant tout équilibrer tous les intérêts. L'honorable rapporteur nous donne à entendre qu'ici vous ne faites qu'un premier pas, et j'avoue que cet aveu soulève en moi de nouvelles craintes, des alarmes fondées.

Sans doute, l'humanité doit vivifie nos cœurs; mais il y a quelque chose de plus élevé encore : c'est la justice qui doit nous guider dans toutes les résolutions que nous prenons et qui peuvent intéresser le présent et l'avenir de la communauté.

Messieurs, c'est avec un profond regret que je ne puis voter le projet de loi, tel qu'il nous est présenté, à moins que des amendements, qui me sont inconnus dans ce moment, n'en atténuent la portée. Je comprime mon cœur, je fais violence à son entraînement naturel, mais si quelque chose peut l'adoucir, c'est l'espérance que la discussion éveillera les différents intérêts, c'est qu'elle excitera l'attention publique et que cette pensée généreuse pourra se réaliser sous l'influence d'autres principes.

Une dernière réflexion me frappe, et c'est par celle-là que je termine: Nous avons su associer la liberté et l'ordre; que dis-je? Nous avons même étendu l'empire de la liberté, tandis que le reste de l'Europe semblait fléchir sous ses malheurs. Eh bien, que cela donne une énergie nouvelle à la nation tout entière.

Oui, réalisons d'autres bienfaits, fondons chacun selon notre capacité, dans la mesure de nos forces, par notre exemple, dans le rayon où nous pouvons agir, dans la sphère où nous pouvons nous mouvoir, fondons l'avenir, la tranquillité, la sécurité de l'ouvrier; fondons-la pour le moment où ses bras défaillants lui refuseront le travail; laissons s'échapper de notre âme, de nos cœurs ces torrents de la bienfaisance, de la charité chrétienne qui déjà une fois a régénéré le monde, et nous aurons conquis une double gloire, une gloire pure et digne d'une nation éclairée, libre, économe et religieuse !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable orateur a eu raison de donner à la loi en discussion une grande portée ; j'ai écouté avec beaucoup d'attention les considérations que lui a inspirées le projet de loi ; je crois l'honorable membre beaucoup trop alarmé; j'aime à croire que les craintes qui l'agitent ne seront pas partagées par l'assemblée; j'aime à croire que lui-même, en y réfléchissant, éclairé par la discussion, verra qu'il s'est exagéré de beaucoup la portée dangereuse qu'il attribue au projet de loi.

L'honorable préopinant croit qu'il y a danger pour l'Etat, à se trouver en contact plus ou moins immédiat avec les classes inférieures de fa société.

Nous professons une opinion diamétralement contraire. Le danger pour les Etats modernes, c'est précisément l'isolement où se tiendrait le gouvernement vis-à-vis des classes inférieures; c'est ce rôle qui consisterait pour le gouvernement à n'aller trouver les classes inférieures que pour leur demander des sacrifices, que pour leur demander, comme dans d'autres temps, des hommes et de l'argent, sans jamais leur apporter en compensation les bienfaits de l'administration publique.

Voici quel doit être, dans les Etats modernes, le rôle des gouvernements; il doit se mettre en rapport avec les diverses classes de la société et particulièrement avec les classes déshéritées, avec les classes souffrantes, pour tâcher de leur apporter plus de bien-être, de moralité et d'allégement à leurs maux.

De cette façon, loin de tenir ces populations à l'état de défiance, d'hostilité, permanente contre le gouvernement, que les ennemis de la société leur représentent toujours comme un être malfaisant, on modifiera les passions, les idées des classes populaires qui, au lieu de voir dans le gouvernement un être malfaisant, y trouveront un ressort utile, une action bienfaisante.

Loin de nous l'idée d'absorber dans l'action exclusive du gouvernement toutes les forces vitales de la société ! A chaque loi que nous sommes venus présenter pour étendre l'action de l'Etat, nous avons eu soin de faire des réserves en quant aux devoirs des citoyens.

Loin de vouloir absorber toutes les initiatives individuelles, nous avons provoqué sans cesse l'initiative des individus associés ou isolés.

D'après l'honorable préopinant, la société n'a pas à intervenir dans les intérêts individuels, parce que la grande révolution de 1789 a brisé la forme des anciennes sociétés, a émancipé les individus. Il faudrait dès lors abandonner les individus à leurs forces personnelles, leur défendre de s'associer, et défendre surtout au gouvernement de mêler son action à l'action des particuliers.

M. de Liedekerke. - Je demande la permission de répondre un mot à M. le ministre.

M. le président. - Vous aurez la parole pour répondre.

M. de Liedekerke. - C'est une rectification que je voudrais faire pour n'avoir pas besoin de prendre la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai pris des notes pendant que l'honorable membre parlait ; il a été jusqu'à dire que le concours du gouvernement dégradait l'initiative individuelle.

Nous ne sommes pas d'accord; nous croyons-que, tout en laissant une large part d'action aux individus, il faut que le gouvernement intervienne dans une certaine mesure.

Le système de l'honorable préopinant non seulement serait la condamnation du projet que nous avons eu l'honneur de vous soumettre et des autres projets qui, je l'espère, vous seront encore soumis dans cet ordre d'idées, mais il serait la condamnation de la charité publique telle qu'elle est organisée aujourd'hui.

Qu'est-ce que les bureaux de bienfaisance, les hospices, si ce n'est l'action collective officielle au service des individus? De la même manière que vous ne pourriez prétendre que chaque individu doit pourvoir à sa subsistance, réparer à lui seul les injustices, les inégalités du sort qui l'accueille à son entrée dans le monde, et que dès lors l'action des bureaux de bienfaisance est inutile; de la même manière, vous devez admettre l'action du gouvernement, dans certaines limites, comme représentant en grand l'action des bureaux de bienfaisance.

(page 184) Il y a deux modes d’exercer la bienfaisance publique, les bureaux et les hospices ; l’exercent-ils toujours d’une manière efficace, remplissent-ils toujours leur mission avec intelligence ? C’est là une question que nous ne voulons pas aborder dans ce moment. Mais les bureaux tels qu’ils sont organisés, sont insuffisants ; divers intérêts sociaux, précisément à cause de leur importance leur échappent, telles sont l'institution des caisses de retraite, celle des assurances sur la vie. Pour que de semblables institutions aient quelque chance de succès et de vie, il faut qu'elles soient établies sur une grande échelle.

Il y faut un très grand nombre de participants. C'est parce que la plupart de ces institutions n'avaient pas un nombre de participants, qu'elles n'ont jamais obtenu un résultat favorable, et l'insuccès de ces institutions sur une échelle restreinte a nui beaucoup et nuit encore beaucoup, dans certains esprits, à l'organisation de pareilles institutions sur des bases plus grandes.

On a cité les auteurs. Je pense que la plupart des écrivains qui se sont occupés de ces questions ont reconnu que de pareilles institutions ne pouvaient prospérer et être convenablement administrées que par l'intervention, par les soins du gouvernement.

On a cité M. Michel Chevalier. Mais on ne l'a pas cité tout entier ; car si j'ai bonne mémoire, M. Michel Chevalier réserve précisément à l'action de l'Etat l'administration des caisses de retraite en faveur des classes ouvrières. Il fait à cet égard des réserves expresses, tout en rendant hommage, ainsi que nous le faisons, aux résultats qu'on peut obtenir de l'initiative individuelle, convenablement dirigée.

On a cité l'Angleterre. Mais on a perdu de vue qu'en Angleterre le gouvernement a fait de très grands efforts pour venir au secours des classes ouvrières, qu'il ne cesse d'en faire, qu'il y consacre des sommes très considérables.

Au contraire, dans le projet qui nous occupe le gouvernement n'apporte que son concours moral à l'institution , le concours de son administration. La caisse doit se suffire à elle-même. Du jour où elle ne se suffira pas, des mesures seront prises par la législature, afin que le trésor public n'ait pas à subir de pertes de ce chef.

Le projet qui nous occupe a été rédigé avec le plus grand soin, avec la plus grande circonspection par des hommes pratiques, des hommes spéciaux.

Ailleurs où l'on s'occupe des mêmes questions avec moins de succès peut-être qu'ici, il a reçu un hommage que je reporte bien volontiers aux auteurs du projet. Les hommes d'Etat des autres pays ont félicité le gouvernement belge du projet qui vous est soumis.

Ils l'ont proclamé rédigé avec beaucoup de prudence , reposant sur de justes bases et ne pouvant donner lieu aux inconvénients qu'on a signalés dans institutions analogues établies jusqu'à ce jour.

L'honorable comte de Liedekerke craint que le projet ne soit qu'un premier pas dans une voie périlleuse, et que, de conséquence en conséquence, nous ne soyons entraînés beaucoup trop loin. En même temps que l'honorable membre adresse ce reproche à ce projet, il le trouve insuffisant à d'autres égards ; car il aurait voulu qu'on pût y joindre les associations mutuelles. Ici l'honorable membre, qu'il me permette de le lui dire, est en contradiction avec lui-même; car si déjà le projet l'effraie par son étendue, à plus forte raison encore doit-il l'effrayer si nous y joignons les assurances mutuelles.

Du reste, nous ne refusons pas de faire examiner la question (c'est ce que la commission s'est réservé de faire) de toutes les associations, qui, indépendamment des caisses de retraite, peuvent être organisés dans le pays, avec ou sans l'intervention de l'Etat.

Je ne puis laisser passer sans une courte réponse quelques-unes des critiques adressés à diverses dispositions.

D'abord, où est-il écrit dans la loi que la femme, comme le mari, ne participera pas à la caisse de retraite ? Il n'y a, à cet égard, aucune défense dans la loi. Je suis convaincu que, dans tous les bons ménages, le mari et la femme s'associeront pour jouir du bienfait de la caisse des retraites.

Mais il y a de mauvais ménages. C'est précisément pour cela qu'il faut que la femme puisse, pour ses vieux jours, se garantir contre les prodigalités, contre les effets de la vie déréglée de son mari. Sous ce rapport, la loi a un caractère très marqué de moralité, qui ne peut échapper à personne. Je crois au surplus que ce qui arrivera le plus fréquemment, ce sera le concours de la femme et du mari à la caisse de retraite.

La caisse de retraite, dit-on, ne servira qu'aux habitants des villes.

Mais n'eût-elle que cette destination, n'eût-elle pour but que de mettre à l'abri de la misère dans leur vieillesse les nombreux ouvriers manufacturiers de nos villes, serait-ce une raison pour la rejeter? Ne serait-ce pas déjà un motif pour l'accueillir, si elle doit faire renaître à l'espérance d'un avenir meilleur sur cette terre des cœurs ulcérés par la souffrance, ou par de détestables conseils ?

Pourquoi, d'ailleurs, l'habitant des campagnes ne pourrait-il pas participer à la caisse de retraite? Il a l'habitude de l'épargne; son malheur c'est qu'il ne sait comment placer le produit de ses épargnes. Il est obligé souvent de cacher ses capitaux dont il ne peut tirer parti. Mais lorsque, grâce à la garantie de l'Etat , l’habitant des campagnes, au lieu d'enterrer ses capitaux sous coffre, ou sous terre, verra qu'il peut s'assurer pour la vieillesse une retraite, une position meilleure; l'habitant des campagnes viendra vers-la caisse de retraite comme l'habitant des, villes; il y viendra d'autant plus qu'il aura sous la main le moyen immédiat de placer son argent.

Car voici encore, au point de vue politique, un des bons résultats de la loi : le receveur des contributions va jouer un rôle nouveau. Aujourd'hui le receveur des contributions, qu'est-il aux yeux du peuple ? Mais c'est un fonctionnaire peu populaire, qui ne se présente au peuple que pour lui demander son argent, que sous la forme de contraintes ou de garnisaires, alors que le contribuable est en retard de payer. Eh bien! messieurs, et cette considération a son importance, le percepteur des contributions ne sera plus seulement un receveur, il deviendra aussi un payeur. Et voici, messieurs, ce qui justifie encore l'intervention du gouvernement en ces sortes de matières. C’est que le gouvernement, par sa grande organisation, est réparé, est monté, en quelque sorte, pour rendre de pareils services, sans qu'il ait pour cela un surcroît de sacrifices à faire; c'est que le receveur des contributions notamment, moyennant une légère indemnité, juste récompense des peines nouvelles qu'il va se donner, sera appelé, dans cette grandes organisation, à jouer un rôle nouveau très utile.

C'est ici aussi que l'initiative des individus pourra exercer une grande influence; c'est ici que, notamment dans les campagnes, les propriétaires eu lieu de jeter la défiance, la désaffection sur de pareilles institutions, feront bien d'éclairer les habitants, de les provoquer à se rendre à ces caisses de retraite, de leur dire que le gouvernement est le meilleur des assureurs; qu'un gouvernement ne fait pas faillite et que de toutes les dettes, remarquez-le bien, messieurs, qu'aucun Etat pourra jamais contracter, la dette inscrite au nom des caisses de retraite sera toujours, de tous temps, la plus inviolable. Est-il quelqu'un de vous qui puisse dire que, dans les circonstances les plus malheureuses, les plus désastreuses par où le pays puisse passer, les caisses de retraite ne restent pas toujours, aux yeux de tous, des ennemis intérieurs comme des ennemis étrangers, un dépôt sacré, un dépôt inviolable, le plus sacré, le plus inviolable des dépôts de la dette publique?

Voilà, messieurs, où l'initiative individuelle peut jouer un rôle utile, et voilà les recommandations qui, j'espère, seront faites à toutes les classes inférieures par les classes supérieures, dont l'intervention, du reste, peut, dans cette circonstance, exercer une action utile, comme elles peuvent aussi, dans beaucoup d'autres circonstances, jouer un rôle qu'elles ne remplissent pas toujours aujourd'hui.

M. Dedecker. - Et M. de Haussy?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Car, messieurs, loin de nous de repousser l'initiative de ceux qui peuvent quelque chose ! Nous les convions, nous les provoquons de tous nos efforts. Chaque jour nous engageons ceux qui sont quelque chose dans la société à venir en aide, autant qu'ils le peuvent, à ceux qui ne sont rien.

M. de Liedekerke. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - A entendre les paroles de l'honorable préopinant, il faudrait deux choses : il faudrait que le gouvernement se croisât les bras et laissât faire la société, la laissât marcher à l'aventure sans aucune espèce de direction, abandonnée aux efforts, aux instincts individuels. Puis, il faudrait qu'au lieu de faire des lois, nous fissions dans cette chambre des discours, des dissertations, des leçons d'économie politique sans doute. Cela, suivant l'honorable membre, vaudrait mieux que faire des lois. Il croit même qu'il serait bon de rejeter la loi et de se borner pour toute besogne à en avoir plus ou moins éloquemment disserté dans cette enceinte Eh bien! encore ici-je ne suis pas de son avis.

Je crois que le pays, que les classes inférieures surtout, ont assez de beaux discours, de beaux sentiments, de belles dissertations ; qu'il leur faut des actes tangibles et visibles, de la bienfaisance réelle en chair et en os, et non pas ces belles paroles dont on les a longtemps bercées et qui, en définitive, n'ont concouru qu'à accroître leur mécontentement et leurs prétentions.

Messieurs, éclairons nos discussions, approfondissons nos débats. Ce sont des questions graves, les plus graves, je dirai même les plus belles de celles que nous puissions agiter dans cette enceinte; mais aboutissons à des résultats. Prononçons des discours, mais posons des actes. Messieurs, je ne mets pas en doute que la chambre ne posera, sans hésiter, le grand acte que nous venons provoquer de son patriotisme.

M. de Liedekerke. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Interruption.)

M. le président. - La parole est à M. de Liedekerke, mais exclusivement pour an fait personnel.

M. de Liedekerke. - Messieurs, les dernières paroles de M. le ministre de l'intérieur s'adressent infiniment moins à la discussion qu'elles ne s'adressent à moi.

Assurément, je ne suis pas entré dans cette enceinte pour faire un cours de rhétorique, ni pour y faire entendre des phrases éloquentes ; (page 185) et, sous ce rapport, je renvoie le reproche à M. le ministre de l'intérieur, dont la carrière politique est beaucoup plus longue que la mienne.

Quant au dévouement aux classes intérieures, je n'avais pas besoin des excitations de M. le ministre de l'intérieur pour leur porter une sollicitude qui jamais ne leur fera défaut chez moi, et qui se confond avec les plus chers, les plus invariables sentiments de mon âme !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'avoue que je ne comprends pas pourquoi l'honorable préopinant s'attribue à lui exclusivement ce que j'ai dit. Je veux bien déclarer que je n'ai entendu faire aucune allusion personnelle.

Je n'ai pas plus voulu le proclamer éloquent que je n'ai voulu le proclamer malveillant pour les classes inférieures. Je rends hommage au discours consciencieux de l'honorable M.de Liedekerke, et je n'ai nullement songé à faire une allusion qui lui fût désagréable.

M. Jullien. - Messieurs, j'applaudis à la pensée philanthropique qui a inspiré le projet soumis aux délibérations de cette chambre. Toutefois, messieurs, je ne puis le considérer comme propre à réaliser cette pensée. Qu'il me soit permis, messieurs, de vous livrer quelques réflexions pour motiver mon vote.

En principe, le contrat d'assurance est, de son essence, un contrat purement aléatoire; aléatoire pour l'assureur, aléatoire pour l'assuré. Il offre des chances de gain et de perte pour l'une et l'autre parties. Ces chances de gain, ces chances de perte tiennent à des événements complètement incertains, à des circonstances accidentelles, à des circonstances fortuites qui échappent aux prévisions humaines, quelle que soit l'exactitude que l'on ait apportée dans les tableaux statistiques qui leur servent de base.

Quels sont, messieurs, les caractères du contrat d'assurance sur la vie tel qu'il est consigné dans le projet que nous discutons?

Ce contrat d'assurance sera, à mon avis, un véritable jeu de hasard formé de deux mises.

La mise de l'assuré consiste dans le dépôt d'un capital qu'il s'expose à perdre avec tous les intérêts qu'il aura produits, lorsque le déposant viendra à mourir avant une époque déterminée. Elle entraîne, en tous cas, consentement à la perte du capital par l'assuré et sa famille, dès l'instant de la mort de l'assuré, La mise de l'assureur est représentée par une promesse de rente viagère que l'assureur prend l'engagement d'acquitter à l'assuré, si celui-ci atteint un âge donné et aussi longtemps qu'il restera en vie. Eh bien, messieurs, un semblable traité, reposant sur les engagements que je viens de signaler, peut devenir ruineux pour l'une ou l'autre des parties contractantes. Il peut devenir ruineux pour l'ouvrier déposant, s'il meurt avant qu'il ait pu recueillir le bénéfice de la rente; il peut lui devenir, si pas ruineux, au moins préjudiciable, s'il meurt avant qu'il ait pu jouir assez longtemps de la rente peur rentrer dans son capital et les intérêts qu'il aurait dû produire, à partir du versement.

Est-il bien prudent, messieurs, de convier l'ouvrier à jouer ainsi son capital, quelque minime qu'il soit?

Ce capital, remarquez-le bien, n'est pas toujours le produit exclusif des économies de l'ouvrier déposant; il est, d'ordinaire, le fruit des économies de la famille entière. Et cependant ce capital qui forme, en quelque sorte, un pécule commun, ce capital pourra être déposé par un seul membre de la famille, qui en recueillera seul, individuellement, à une époque reculée, les avantages.

Pensez-vous, messieurs, que ce soit une mesure sage que d'ouvrir à l'un des agents producteurs de cette propriété commune, une voie de l'engager dans une opération toute de hasard, et d'en empêcher la réversibilité sur la tête des autres membres de la famille à la mort du déposant?

N'y a-t-il pas là une cause possible d'affaiblissement des liens de la famille elle-même?

Si le contrat d'assurance sur la vie peut avoir de mauvais côtés pour l'ouvrier déposant, la partie de jeu que le gouvernement engage dans ce contrat peut lui devenir également fatale. Oh, messieurs, s'il était vrai que le gouvernement, comme l'a dit tout à l'heure M. le ministre de l'intérieur, ne dût apporter qu'un concours purement moral à l'institution de la caisse d'assurances sur la vie, oh, certes, je ne viendrais pas chercher à établir que le contrat peut entraîner une lésion considérable pour l'Etat assureur.

Mais, messieurs, ce n'est pas seulement un concours moral que le gouvernement apporte à l'institution, c'est la garantie réelle que les rentes viagères seront servies aux déposants jusqu'au jour de leur mort, s'ils ont acquis des droits à en jouir.

Est-ce là une simple garantie morale? N'est-ce pas au contraire une garantie réelle qui pèse sur l'Etat et peut avoir des conséquences graves au point de vue de son avenir financier? En effet, cette garantie ne sera-t-elme point désastreuse pour l'Etat lorsque l'intérêt, qu'il doit servir sur le pied de 5 p. c, viendrait à décroître, et à baisser jusqu'à 4 ou 3 p. c? Evidemment il y aurait là une perte certaine.

La commission, qui a été chargée du travail qui sert de base au projet de loi, a admis parmi ses prévisions qu'il pourrait arriver que le gouvernement, à une époque donnée, eût à servir des rentes dont le chiffre s'élèverait à 15 millions.

Au sein de la section centrale, on s'est demandé quelle serait, dans cette hypothèse, la perte du gouvernement, si l'intérêt venait à baisser de 1 p. c. et l'on a trouvé que la perte en ce cas dépasserait 3 millions!

Voilà, messieurs, un résultat qui démontre qu'il y a un certain danger pour l'Etat à engager sa garantie pour l’institution d'une caisse d'assurances sur la vie.

Mais là n'est pas seulement la source des pertes que peut essuyer l'Etat; il en essuiera si la longévité du grand nombre des assurés dépasse le terme des présomptions de mortalité qui servent de type aux calculs du projet de loi. Il en essuiera surtout encore si vous admettez le principe du projet de loi qui dote d'une pension tout assuré qui deviendrait infirme avant même de pouvoir recueillir le bénéfice de la rente viagère.

Qu'on ne dise donc point, messieurs, que le gouvernement n'entourera, que d'un concours purement, moral l'institution de la caisse de retraite. Qu'on ne dise point que cette caisse devra toujours se suffire à elle-même^ Il arrivera forcément un moment où le gouvernement devra en combler le déficit.

Sans doute, vous aurez pour vous la ressource de lois qui viendront réglementer cette caisse, en en modifiant les bases, mais le passé resterai intact, les engagements antérieurs subsisteront, et ces engagements vous auront entraînés dans une perte qui grèvera le trésor.

Messieurs, je le reconnais, il faut moraliser l'ouvrier, il faut développer en lui la sentiment de l'épargne; mais les caisses d'épargne, les caisses de prévoyance ne sont-elles pas autant de moyens d'atteindre ce but? L'organisation des caisses d'épargne laisse à désirer; mais qu'on améliore cette institution, et vous pourrez donner à la classe ouvriers des garanties plus larges que celles que lui accorde le projet de loi actuel.

Dans le système de ce projet, l'ouvrier aliène irrévocablement son capital, il s'en dépouille à tout jamais sans espoir de retour pour sa famille ; eh bien, en serait-il de même s'il déposait son capital dans une caisse d'épargne, qui ne lui donnerait que la latitude d'en retirer une partie? Ne pensez-vous pas qu'une caisse d'épargne qui fonctionnerait, sous la garantie de l'Etat, de manière à ne permettre à l'ouvrier que de retirer une partie de son capital, en l'obligeant à laisser l'autre partie pour produire intérêt à charge de la caisse, ne remplacerait pas avantageusement la caisse d'assurances qu'il s'agit d'instituer aujourd'hui ? Le capital nouveau, augmenté des intérêts, pourrait être restitué à l'ouvrier pendant le cours de sa vieillesse; il pourrait l'être par des annuités successives, qui lui tiendraient lieu de la rente viagère que vous voulez lui donner, et si l'ouvrier n'avait obtenu, au moyen de ces annuités, le remboursement du capital, sa famille, à sa mort, se trouverait en droit d'en exiger le remboursement.

C'est dans ce sens que je voudrais voir une amélioration introduite, avec l'intervention du gouvernement, dans l'organisation des caisses d'épargne; il y aurait ainsi un complément de garanties nouvelles dans l'intérêt des chefs de famille, appartenant aux classes ouvrières, et un gage d'un fonds de réserve en faveur de la famille elle-même.

J'appelle l'attention bienveillante de la chambre sur ce système que je ne fais qu'indiquer.

Messieurs, quelques autres considérations me déterminent encore à émettre un vote défavorable au projet de loi qui nous est soumis.

On a critiqué à bon droit la disposition de ce projet qui accorde à la femme, même mariée sous le régime de la communauté, le droit de se créer des rentes propres, avec les valeurs de la communauté même.

Il ne vous aura pas échappé que le projet investit la femme de la faculté d'opérer des versements à la caisse d'assurance sous l'autorisation de son mari, ou contre le gré de son mari, moyennant l'autorisation du juge de paix.

Ce projet déclare en même temps que les rentes afférentes à la femme lui seront propres et que seule elle aura qualité pour les toucher.

Mais c'est là, messieurs, le renversement complet du régime de la communauté, c'est là une substitution du régime de la séparation des biens au régime de la communauté.

Pouvons-nous admettre qu'une femme ait le pouvoir de puiser dans la communauté, d'en distraire, furtivement peut-être, des valeurs pour se créer des rentes à elle propres, parfois même au détriment des créanciers qui en auront fourni les deniers à la communauté? Pouvons-nous admettre que la femme, mariée sous le régime de la communauté, acquière, à l'exclusion de son mari, le droit de toucher les rentes créées au moyen des fonds de la communauté même?

Mais si vous sanctionnez ce système, c'est en réalité la négation du régime de la communauté. Voyez où pourraient conduire les conséquences du principe érigé par le projet de lui?

Sous la législation actuelle, les donations entre-vifs entre époux, constant le mariage, sont essentiellement révocables. Le législateur a eu de graves raisons pour consacrer la révocabilité de ces sortes de donations pendant le mariage.

Selon le projet de loi, désormais il n'en sera plus ainsi ; la femme, sans l'autorisation de son époux, déposera un capital, ce capital lui donnera droit à une rente qui sera à tout jamais la propriété de la femme; le mari sera désarmé, il sera dans l'impossibilité de retirer une libéralité qu'il aura faite à la femme par cette voie indirecte!

Je ne puis croire que le gouvernement ait voulu aller aussi loin ; je ne puis croire que le gouvernement, au moyen des dispositions qui nous sont soumises, ait voulu porter une atteinte aussi profonde aux principes de l'association conjugale elle-même.

Eh! messieurs, sous l'autorisation de qui, au refus du mari, la femme pourra-t-elle déposer un capital qui devra lui assurer une rente viagère (page 186) propre? Sous l'autorisation du juge ordinaire chargé de statuer sur les conflits entre le mari et la femme? Non, messieurs, ce sera sous l'autorisation d'un juge de paix, sur la simple ordonnance de ce magistral, qui ne sera pas même d'après le projet, susceptible de recours ni d'appel.

N'est-ce pus mépriser encore les règles de la compétence civile? N'est-ce pas les mettre complètement à l'écart? N'est-ce pas saper d'un trait le droit que la loi qui nous régit confère aux tribunaux civils d'accorder à la femme l'autorisation de contracter lorsque cette autorisation lui est refusée par le mari? N'est-ce pas, dans tous les cas, augmenter d'une manière exorbitante les attributions des juges de paix? Peut-on oublier qu'après des discussions approfondies, les chambres se sont arrêtées devant un chiffre de 200 fr., comme limite de la juridiction de ces magistrats?

Peut-on oublier que leurs décisions sont susceptibles d'appel, lorsqu'elles portent, en matière purement personnelle, sur une valeur de 100 à 200 francs?

N'y aurait-il pas un bouleversement des règles de cette compétence ainsi fixée si le juge de paix , d'après le projet, avait le pouvoir d'autoriser une femme à déposer un capital qui plus tard pourra lui donner une rente viagère de 900 francs, selon les propositions de la section centrale, et de 1,200 francs, selon le projet du gouvernement ? ;

Pour moi, je ne puis accorder des pouvoirs aussi étendus, aussi arbitraires à un simple juge de paix. Quelque confiance que m'inspire la juridiction des justices de paix, je ne puis consentir à les investir du droit de conférer à la femme mariée sous le régime de la communauté une autorisation qui liera le mari jusqu'à concurrence d'un capital donnant ouverture, soit à 900, soit à 1,200 fr. de rente. En vain le mari voudrait-il s'élever contre cette autorisation. Il doit, aux termes du projet, respecter les droits acquis à la femme ; le droit de révocation que ce projet lui réserve ne peut atteindre que les versements qui seraient opérés après l’octroi de l'autorisation.

Il me reste une dernière observation à vous soumettre; c'est que, abondant dans les termes et dans l'esprit du projet, vous croyez pouvoir maintenir à la femme mariée sous le régime de la communauté, le droit d’opérer des versements qui lui constitueraient des rentes propres, tout au moins déclarer que ce ne sera que pour l'avenir; ne portez pas atteinte à des droits antérieurement acquis. Des mariages ont été contractés sous la foi d'une législation, sous la foi de contrats, qui donnent au mari seul le droit exclusif d'administrer la communauté. Cette législation, ces conventions anténuptiales, d'où naissent des droits sacrés, vous devez les respecter, vous ne pouvez disposer que pour l'avenir, à moins de poser le principe de rétroactivité que vous avez tant de fois condamné.

M. Cools. - Messieurs, la loi que nous discutons en ce moment, à part quelques imperfections faciles à faire disparaître, dénote de la part de ses auteurs une étude intelligente des besoins de notre époque. Elle évite avec soin, et c'est là un de ses premiers mérites, d'avoir des points de contact avec ces utopies irréalisables que nous avons vues éclore par centaines depuis une couple d'années. Développer l'esprit de prévoyance dans les couches inférieures de la société, imprimer une sage direction aux efforts individuels, exercer une sorte de patronage bienveillant sur les associations d'hommes la plupart illettrés, associations qui presque toujours, l'expérience l'a démontré, sont incapables de se diriger elles-mêmes, c'est là une noble mission que le gouvernement s'est imposée; à mes yeux, c'est un problème qu'il a eu raison de chercher à résoudre dans la limite de ses facultés.

Je ne puis que savoir gré à M. le ministre de l'intérieur de nous avoir saisis de ce projet.

Mais si j'accorde mon appui au projet, c'est cependant à la condition que le trésor public sera hors de cause, que la caisse d'assurance ne sera pas subsidiée par l'argent des contribuables, en un mot, que le gouvernement n'interviendra que comme tuteur bienveillant. C'est là, il est vrai, la pensée du gouvernement, la pensée de tous les auteurs du projet, seulement il m'a paru que le texte laissait quelque chose à désirer et que cette pensée, si on n'y prend pas garde, pourrait très bien être perdue de vue dans l'exécution.

On dit que tous les calculs sont faits pour que la caisse se suffise à elle-même. Cependant, on le reconnaîtra, à cet égard tout est dans le vague : on n'a pu baser les calculs que sur des probabilités, et encore sur des probabilités en petit nombre, applicables seulement à une partie des dépenses; ainsi s'emparant des tables de mortalité, on a déterminé le quantum des payements à exiger à des époques données pour se trouver en mesure d'acquitter une rente déterminée au bout d'un certain nombre d'années, mais on a dû laisser en dehors des calculs l'article 8 qui dit que l'assuré jouira anticipativement (sans qu'on puisse préciser aucune époque) de la rente, si tel ou tel événement survient; on a dû laisser encore de côté l'article 10 relatif aux frais des funérailles.

- Quelques voix. - Non! non!

M. Cools. - Je le prouverai lorsque nous en viendrons aux articles, on a dû laisser cet article de côté, parce qu'il est impossible de préjuger ce que coûteront les funérailles dans toutes les paroisses où elles seront célébrées.

D'ailleurs, il y a encore un autre point assez important pour lequel on a dû se livrer à de simples suppositions, ce sont les frais de gestion que coûtera la caisse. Personne ne peut le dire. On calcule à raison de 5 p. c: cela dépendra des mesures administratives à prendre par le gouvernement, puisque c'est lui qui organisera le service; il fixera le chiffre du personnel et personne ne peut dire s'il se tirera d'affaire avec 4, 5 ou 6 p. c. à prélever sur les recettes.

Toutes ces questions ne pouvaient être résolues d'avance, je n'en fais pas un grief à la commission qui a élaboré le projet, mais il n’en est pas moins vrai qu'il lui a été de toute impossibilité de garantir l'exactitude des calculs. Pour le quantum de de la rentrée on se base sur les tables de mortalité. Dans l'expose des motifs, l'observation a déjà été fa i te que la mortalité varie à l'infini, non-seulement d'après le nombre relatif d'hommes et de femmes qui feront partie de l'association, mais d'après les professions exercées par les assurés : dans telle profession on est menacé d'une mort prématurée, tandis que dans telle autre, la vie se prolonge davantage, et cependant tout le monde indistinctement est appelé à prendre part à l'assurance. Ainsi, sous tous les rapports, on se trouve en présence de l'inconnu.

Or, dans le cas où on reconnaîtrait que les calculs sont erronés, qu'il y a un déficit quelconque, je demande, la loi à la main, quelle garantie a-t-on que la caisse de l'Etat ne devra pas subvenir? Je vois bien, dans l'exposé des motifs, de vagues déclarations du gouvernement et des commissions; des promesses de révision. Mais dans les articles du projet je n'en vois aucun qui garantisse que l'Etat ne sera pas constitué en perte.

Je prends l'article 19; je vois que là la section centrale a essayé timidement d'introduire une sorte de garantie dans le projet; mais quand on y regarde de près on voit que cette garantie réellement n'en est pas une; l'article 19 contient un amendement de la section centrale portant que tous les trois ans le gouvernement présentera un rapport détaillé sur la situation de l'institution; il y a là une espèce de mise en demeure, une obligation de dire à la chambre : Il y a ou il n'y a pas déficit. Mais quand ces explications seront données, on ne voit pas ce qui s'ensuivra.

Le gouvernement aura la faculté de soumettre ou de ne pas soumettre un projet de loi de révision aux chambres. Or, nous ne savons ce qui peut se passer dans quelques années; seulement nous connaissons les difficultés que rencontre la révision de toute loi quelconque. Les prétextes d'ailleurs ne manqueront pas pour se dispenser d’aggraver la position des intérêts. D'abord on alléguera que l'institution n’a pas encore pris racine. Gardons-nous, dira-t-on, de jeter de la défaveur sur elle. La perte n'est pas encore bien forte : attendons encore un peu.

On attendra donc.

Plus tard d'autres motifs seront mis en avant.

On dira : Si vous changez le tarif de manière à combler tout le déficit vous devrez faire payer trop tout d'un coup à chaque nouveau versement.

Il en résultera que les nouveaux assurés payeront pour les autres si l’arriéré est trop considérable.

Voilà quelques-unes des raisons qu'on pourra alléguer pour ne pas réviser la loi, elles choses continueront à marcher comme auparavant.

J'ai cherché des garanties.

Je crois qu'au moyen de quelques changements nous pouvons les trouver. C'est ce qui m'a fait vous saisir d'un système d'amendements.

Je n'entre pas dans les détails. Nous y arriverons lorsque viendra la discussion des articles. Cependant, je tiens à dire un mot du principe de mes amendements; car il se rattache à l'un des principes essentiels de la loi, l'administration de la caisse ; et son examen rentre, à tous égards, dans la discussion générale.

Je demande que la direction de la caisse soit confiée à l’administration de la caisse d'amortissement. De cette manière nous avons la garantie que les fonds seront confiés à un agent responsable-vis-à-vis de la chambre; et de plus, je veux qu'on lui impose une mission déterminée par la loi elle-même.

Nous choisirons pour directeur de la caisse celui qui, par la nature antérieure de ses fonctions, est aujourd'hui constamment en garde vis-à-vis du trésor public ; celui qui doit s'appliquer sans cesse à veiller à ce qu'on applique aux dépenses générales de l'Etat des fonds ayant une destination spéciale. Le directeur de la caisse d'amortissement est donc l'agent qui tout naturellement devait être chargé de la gestion de la caisse dont nous nous occupons.

L'idée en a surgi déjà au sein de la section centrale. Il n'y a qu'un scrupule qui a empêché la section de faire à cet égard une proposition formelle.

M. le ministre des finances auquel l'idée a été soumise a fait des objections qu'il n'a pas nettement formulées. En effet je lis dans le rapport.

« M. le ministre des finances ne verrait pas d'inconvénient à adopter la mesure proposée, si les attributions de l'administration de la caisse d'amortissement n'étaient pas circonscrites et limitées par la loi de son institution. Les achats d'obligations pour le compte de la caisse de retraite se feront par les soins de l'administration du trésor, ainsi que cela a lieu pour l'emploi des fonds appartenant aux caisses, des veuves et orphelins, des militaires et des fonctionnaires publics. »

Voilà la seule observation qu'ait faite M. le ministre, dans cette conversation, au sein de la section centrale. Mais jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas fait opposition à ma proposition. L'objection n'est pas très forte et je ne pense pas que le gouvernement y tiendra ; je crois même avoir déjà lu dans des documents que l'idée première du ministre qui a soumis à la chambre le projet de loi portant organisation de la caisse d'amortissement, était de la charger également de la direction de la caisse des retraites. Mon projet a donc déjà été au moment de recevoir son exécution de la part du gouvernement.

Ensuite, si la loi première a déterminé les attributions de la caisse (page 187) d'amortissement, rien n'empêche de les modifier. Déjà, la caisse d'amortissement a une double mission : la mission de s'occuper de l'amortissement, puis celle de recevoir les consignations, Ce sont des attributions complètement distinctes qui n'ont pas ensemble le moindre rapport.

Pourquoi ne pourrait-on pas donner une nouvelle extension à des attributions qui sont déjà multiples? Ainsi, rien ne s'oppose à ce que nous modifiions la loi et les attributions de la caisse d'amortissement. Dès lors toute objection disparaît.

Maintenant, je veux introduire dans la loi une garantie de plus. Je veux qu'on détermine dans quel esprit la caisse sera dirigée. Je demande que tous les trois ans l'administration de la caisse fasse une proposition pour que le tarif des rentes soit révisé, au besoin, dans le double but d'assurer le service des arrérages et de mettre le trésor public à couvert de toutes les avances quelconques.

Ainsi, du moment qu'il y aura quelque perte, il faudra que le tarif soit révisé. Si nous avons cette garantie, il est impossible que l'Etat y perde.

Puisque l'occasion s'en présente, je répondrai un mot à ce qu'a dit l'honorable député de Neufchâteau, qui, en ce qui concerne les fonds de l'Etat, a exprimé les mêmes craintes que moi, mais qui, je le crois, est allé un peu loin. L'honorable M. Jullien s'est demandé ce qui arriverait, si l'intérêt des fentes de l'Etat baissait, et si, au moyen de ces intérêts, il n'était plus possible de faire le service de la caisse. Il y aurait toujours perte pour le passé, a-t-il dit ; car on ne pourrait modifier le tarif que pour l'avenir.

Je crois cette observation complètement erronée. Jamais dans l'administration des caisses de retraite, on n'a entendu les choses de cette manière. Tous payent pour tous, en ce sens que si, dans le passé, il y a insuffisance pour une cause quelconque, on ne fait à la vérité pas payer davantage à celui qui est assuré, parce qu'il y a à son égard des engagements pris qui doivent être tenus; mais pour les assurances futures, on force un pour les cotes afin de combler le déficit que présente le passé. Si j'étais dans l'erreur, il conviendrait que le gouvernement s'en expliquât. Si l'honorable M. Jullien avait raison, il pourrait y avoir danger pour le trésor.

Mais je crois ses craintes tout à fait dénuées de fondement.

Je crois que, dans les caisses de retraite, en modifiant le tarif on fait une cote mal taillée et que les nouveaux versements doivent couvrir les pertes du passé.

Je n'en désire pas moins que sur ce point des explications soient données par le ministère, car c'est là un point important.

Du moment que nous avons la certitude que l'on révisera le tarif tous les trois ans, je désire que la révision se fasse par arrêté royal. Tout ce qui concerne le tarif est une simple mesure d'exécution. La loi porterait que tous les trois ans, sur la proposition de l'administration de la caisse, la commission de surveillance préalablement entendue, le tarif des rentes serait révisé dans le double but d'assurer le service des arrérages et de mettre le trésor public à couvert de toutes les avances quelconques. Le reste est une mesure d'exécution. Nous pouvons l'abandonner au gouvernement, et dire que la révision se fera par arrêté royal. La responsabilité du gouvernement est engagée. Le législateur lui impose une obligation formelle. Il faut qu'il la remplisse. Cette garantie est plus forte pour moi que celle qui dépendrait des chances d'un vote subséquent des deux chambres.

Ne croyez pas, messieurs, qu'ainsi la chambre n'intervienne pas dans la surveillance de la caisse. La chambre aura un œil constamment ouvert sur la gestion de la caisse. D'abord, je propose d'en confier la surveillance à la commission instituée auprès de la caisse d'amortissement. Je reconnais que c'est là un point secondaire, et que l'on pourrait permettre au gouvernement de nommer une commission spéciale, comme il le propose; mais je crois qu'il est préférable d'employer la commission qui existe déjà.

Je dis que c'est un point secondaire. Cependant si l'on confie la surveillance de la caisse à la commission actuelle, nous aurons toujours dans la commission un représentant; le sénat y aura également un de ses membres.

Mais, à part cela, le gouvernement est dans l'obligation de nous faire tous les ans un rapport sur la gestion de la caisse. Si un membre de la chambre trouve que les choses ne se font plus convenablement, tous les ans, lorsque le gouvernement nous fera son rapport, ce membre pourra faire usage de son initiative. Je crois donc que nous avons toute garantie pour nous réserver une surveillance convenable sur l'action du pouvoir exécutif.

Voilà ce que j'avais à dire en ce qui concerne le système de mes amendements pour la direction de la caisse. Je crois pouvoir borner là mes observations.

J'ai encore déposé un autre amendement, mais il concerne un article spécial, l'article 8. Le gouvernement et la section centrale se proposent de faire jouir l'assuré, dans certains cas donnés, d'une rente anticipée. Nous sommes en dissentiment sur le quantum de cette rente. Mais c'est là un détail qui s'éloigne complètement des considérations générales dans lesquelles je suis entré.

Je demande la permission à la chambre de prendre la parole sur ce point lorsque nous en viendrons à l'article 8.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère des affaires étrangères

Dépôt

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer deux projets de loi relatifs à des crédits supplémentaires à ouvrir au département des affaires étrangères. L'un est relatif au payement des primes pour construction de navires, l'autre à quelques dépenses effectuées pendant les exercices 1847, 1848 et 1849.

- La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi, dont elle ordonne l'impression, la distribution et le renvoi aux sections.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ferai remarquer à la chambre qu'il y a urgence pour les crédits relatifs à l'exercice 1847. Cet exercice se trouve clos à la fin de l'année. Du reste, ces crédits sont compensés par des allocations qui ont excédé les dépenses.

Je demande un prompt examen.

M. le président. - Les sections seront convoquées immédiatement.

- Sur la proposition de M. le président, la chambre ordonne l'impression de deux amendements au projet de loi en discussion, déposés par M. Lelièvre.

- La séance est levée à 4 heures et demie.