(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 153) M. Dubus procède à l'appel nominal à deux heures et quart.
La séance est ouverte.
M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants de Rosoux-Crenwick demandent le rejet du projet de loi sur les denrées alimentaires. »
« Même demande des administrations communales d'Ophoven et Kessenich, et de plusieurs propriétaires et cultivateurs à Maeseyck, qui prient la chambre de remplacer le projet de loi par la législation française sur les céréales ou par des droits suffisamment protecteurs. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Plusieurs cabaretiers, boulangers et boutiquiers à Pepinghe demandent qu'il soit interdit au bourgmestre de cette commune d'exercer le commerce. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La nommée Marie-Thérèsc-Nicoladine Bergmans, indigente, à Sainte-Willebroed, née à la Brielle (Pays-Bas), demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Dom, artiste musicien, réclame l'intervention de la chambre pour qu'il soit interdit aux musiciens militaires de faire des entreprises de bals et de soirées musicales. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs cultivateurs du canton de Looz prient la chambre de rejeter le projet de loi sur les denrées alimentaires et demandent un droit d'octroi d'au moins 2 p. c. par 100 kil. pour les céréales, et de 30 et 50 fr. par tête de gros bétail. »
- Sur la proposition de M. Julliot, renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Plusieurs cultivateurs de la commune de Fresin présentent des observations contre le projet de loi sur les denrées alimentaires et demandent l'assurance contre l'incendie par l'Etat, et un droit d'accise sur les tabacs. »
- Même renvoi.
M. le ministre des finances transmet à la chambre 120 exemplaires du Tableau général du commerce de la Belgique avec les pays étrangers pendant l'année 1848. »
- Distribution aux membres.
M. Dubus, qu'une indisposition oblige à quitter la séance, demande un congé.
- Le congé est accordé.
M. Tesch adresse la lettre suivante à M. le président : « La mort subite du colonel Motte, mon proche parent, ne me permettant pas d'assister, pendant quelques jours, aux séances de la chambre, je vous prie d'en faire part à mes honorables collègues, et d'agréer, etc. »
M. le président. - C'est d'autant plus fâcheux que M. Tesch est rapporteur de la section centrale, chargée de l'examen du projet de loi relalif aux denrées alimentaires. La section centrale devra probablement se réunir pour lui désigner un suppléant.
La discussion est ouverte sur l'article 569, ainsi conçu :
« Art. 569. Pendant quinzaine après l'adjudication, toute personne aura le droit de surenchérir. La surenchère ne pourra être au-dessous du dixième du prix principal de l'adjudication ; elle sera faite par exploit d'huissier, notifie au notaire qui aura procédé à l'adjudication et dénoncé aux curateurs et à l'adjudicataire. L'adjudication par suite de surenchère sera faite à la requête des curateurs sans autorisation ultérieure, par le même officier public et de la même manière que la première adjudication.
« Toute personne sera admise à concourir à cette adjudication, qui demeurera définitive et ne pourra être suivie d'aucune autre surenchère. »
- La commission s'exprime en ces termes au sujet de cet article :
« Art. 569. L'honorable M. Lelièvre propose de terminer l'article 569 par les mots suivants : « même de la part des créanciers inscrits ». Votre commission pense que cet article, en déclarant que l'adjudication sur surenchère demeurera définitive, et qu'elle ne pourra être suivie d'aucune autre surenchère, consacre assez expressément le principe que « surenchère sur surenchère ne vaut », et rend suffisamment l'idée que l'honorable M. Lelièvre veut faire entrer dans le texte de la loi. La commission n'admet donc pas l'amendement.
« Mais en examinant de nouveau, par suite de cet amendement, les articles 568 et 569, la commission s'est demandé s'il n'était pas indispensable de faire connaître à tous les créanciers inscrits le jour de la vente, afin qu'ils puissent y assister s'ils le jugent convenable, et qu'ils connaissent ainsi le délai endéans lequel ils devront faire leur surenchère ; car il est à remarquer que, sous l'empire de la législation actuelle, le délai pour surenchérir ne court qu'à dater du jour de la signification que l'acquéreur fait de son titre. La commission a résolu cette question affirmativement; et elle vous proposera, au second vote, de modifier le paragraphe 3 de l'article 568 de la manière suivante :
« Ils feront, dans ce cas, notifier au créancier poursuivant, au domicile de son avoué et au failli, au moins huit jours avant la vente, les lieu, jour et heure auxquels il y sera procédé.
« Semblable notification sera faite, dans le même délai, à tous les créanciers inscrits, en leur domicile élu dans le bordereau d'inscription. »
M. Lelièvre. - Le but de mon amendement était de préciser clairement que les créanciers inscrits ne pourraient plus, en vertu de leurs droits hypothécaires, requérir de nouveau la mise aux enchères de l'immeuble. La commission étant d'accord avec moi sur ce principe et proposant même, pour le sanctionner, une disposition additionnelle, je ne puis que m'y rallier.
- L'article 569 est adopté.
Conformément à la décision prise par la chambre, la discussion est ouverte sur le chapitre X du titre premier relatif à la revendication.
M. Lelièvre. - Le projet du gouvernement et celui de la commission proposent de rejeter d'une manière absolue le principe de la revendication en matière commerciale. Je viens m'opposer à l'adoption de ce système que je considère comme blessant toutes les notions de justice et d'équité, contraire aux principes d'une saine législation et portant atteinte à la sécurité des opérations commerciales.
Qu'on ne le perde pas de vue, il s'agit d'un droit que presque toutes nations commerçantes ont admis dans leurs statuts, d'un droit que le législateur français, après un examen attentif, a maintenu en 1838, d'un droit qui forme l'essence même du contrat de vente.
Le vice fondamental du système que nous combattons consiste à supposer que la revendication est une exception aux principes du droit commun. C'est une erreur, la revendication est admise par l'article 2102 du Code civil, et M. le ministre de la justice en propose lui-même le maintien dans le projet de révision du régime hypothécaire.
En matière civile, le droit de revendication peut même être exercé pendant huit jours, à dater de la livraison, si l'objet vendu se trouve encore en la possession de l'acheteur. La revendication a encore son fondement dans le droit de résolution qui, à défaut de payement du prix, appartient au vendeur de tout effet mobilier, droit écrit formellement dans l'article 1654 du Code civil.
Je le demande, y a-t-il un motif fondé de soustraire la revendication en matière commerciale aux règles du droit commun? Le contrat de vente entre négociants n'est-il pas régi par les mêmes principes que ceux qui dominent les contrats en général? Quelle raison prépondérante milite donc pour introduire une disposition nouvelle qui attribue à l'acheteur la chose vendue sans en payer le prix? Pour moi, messieurs, je n'en aperçois aucune. Loin de là, le système auquel je résiste est repoussé par l'intention commune qui a présidé à la vente.
N'est-il pas évident, que le vendeur n'a expédié la chose que sur la condition formelle d'en recevoir le prix ? Par conséquent, si, avant que les marchandises n'entrent dans les magasins de l'acheteur, les choses ne sont plus entières, si l'acheteur a cessé ses payements, s'il est certain dès lors que le vendeur ne sera pas satisfait, il est clair que les conditions sous lesquelles le vendeur a expédié les marchandises sont venues à faillir, et que dès lors, on ne peut, sans méconnaître la volonté commune, base du contrat de vente, autoriser l'acheteur ou ses ayants cause à se saisir d'une marchandise alors qu'il est certain que la condition de l'expédition ne sera pas remplie.
Le système qui exclut la revendication consacre une injustice saillante. Quoi! la masse créancière profile de l'objet vendu sans en payer le prix, l'avoir du failli est augmenté au détriment du vendeur qui est spolié de sa chose et la masse jouit de la chose et du prix ! Il y a plus, on autorise l'acheteur à dire au vendeur : Je prends possession de votre marchandise quoique je sois dans l'impossibilité absolue de la payer. Messieurs, un système pareil est trop injuste pour être admis par vous.
Mais la sécurité n'est-elle pas la base des négociations commerciales? Eh bien, que deviendra cette sécurité, lorsqu'une loi aura décrété qu'on refuse au commerce les garanties qui d'après le droit ordinaire ne sont pas déniées au vendeur du plus chétif objet mobilier, lorsqu'on met le commerce hors la loi commune et que, par une spoliation inconcevable, on autorise une masse créancière à s'enrichir au détriment de l'expéditeur ?
Les principes développés par le gouvernement et la commission nous paraissent singulièrement erronés, il ne faut pas seulement considérer ce qui se passe lors du contrat, mais il faut aussi envisager le moment de son exécution. La vente s'exécute lorsque l'acquéreur prend possession de la chose, au moment où les marchandises entrent dans ses magasins. Eh bien, si alors il se trouve dans l'impossibilité de satisfaire à ses obligations, si à ce moment il est placé dans une position telle que jamais le vendeur n'a pu vouloir stipuler avec lui, les principes qui règlent tout (page 154) contrat bilatéral exigent que le vendeur ait de son côté le droit d'arrêter l'exécution d'une convention qui est sapée dans sa base.
Du reste, telle est la législation de presque toutes les nations avec lesquelles nous entretenons des relations commerciales. Pour ne pas affaiblir ces relations, nos lois doivent autant que possible se rapprocher de celles de nos voisins, il est nécessaire qu'il y ait réciprocité d'avantages, il faut que les parties se trouvent dans une position égale. Or tandis que les vendeurs belges jouiraient à l'étranger du bénéfice de la revendication, ne serait-il pas injuste d'en priver chez nous l'étranger, qui, sous la foi de ce privilège, nous expédie ses produits? Si nos voisins étaient à cet égard trompés dans leur juste attente, n'en doutons pas, leur confiance dans la bonne foi et la loyauté belges serait fortement ébranlée et nos relations d'affaires en éprouveraient une atteinte fâcheuse.
Messieurs, la Belgique s'est acquis une réputation de probité commerciale devenue proverbiale en Europe. Ne la démentons pas en inscrivant dans une loi un principe qui est réprouvé par le droit et l'équité.
Ma proposition est ainsi conçue.
« Nous proposons à la chambre de décider que le droit de revendication sera maintenu, en principe, dans la loi sur les faillites.
« Par suite, nous demandons le renvoi du chap. X à la commission pour que celle-ci propose les articles réglementaires du droit en question. »
M. Loos. - Messieurs, tous les pays avec lesquels la Belgique a des relations commerciales, ont admis le droit de revendication.
La France, comme nous, a révisé sa législation sur les faillites, et a maintenu, après une longue discussion à la chambre, le droit de revendication , bien que là, comme ici, le gouvernement proposât de l'annuler. Tous les hommes pratiques qui se trouvaient à la chambre ont reconnu qu'admettre les propositions du gouvernement, ce serait frustrer l'étranger de certaines garanties dont il a joui jusqu'à présent, et la chambre, à une assez grande majorité, a maintenu le droit de revendication.
Dans les Pays-Bas, nation éminemment commerciale, le Code de commerce a fait aussi l'objet d'une discussion récente. Le droit de revendication, au lieu d'y être aboli, comme on le propose ici, a été largement étendu.
Ce n'est pas seulement pendant le voyage, avant que la marchandise ne soit livrée, qu'il y a faculté de revendication, mais c'est alors même que la marchandise est en magasin et se trouve entamée en partie.
Messieurs, il n'est donc pas de principe de droit commercial plus universellement admis que le droit de revendication. Le supprimer en Belgique serait évidemment offrir au commerce étranger une garantie de moins; ce serait en quelque sorte lui enlever une ancre de salut dans les circonstances fâcheuses qui peuvent se présenter.
Je me suis demandé, messieurs, si la Belgique avait quelques graves motifs pour enlever de notre législation le droit de revendication. Evidemment on ne prétendra pas qu'en Belgique il y ait plus de faillites, plus de désastres commerciaux que dans d'autres pays.
Pourquoi la Belgique offrirait-elle moins de garanties à l'étranger que les autres nations? Evidemment, il n'existe pour cela aucun motif. Je ne sache pas qu'il y ait en Europe une place de commerce où les faillites soient plus rares que dans la métropole du commerce belge.
J'ai recherché, messieurs, quels pouvaient être les motifs qui avaient guidé la commission spéciale qui avait été chargée de l'examen de la loi sur les faillites, et j'ai cru remarquer qu'elle n'avait considéré la question qu'au point de vue du commerce intérieur; et que si elle n'a pas admis le droit de revendication, c'est parce qu'elle a cru que, le plus généralement, ce droit ne trouverait pas à s'exercer. La commission le dit, du reste, en toutes lettres dans son rapport. Voici ce que j'y lis :
« Nous comprenons qu'autrefois, avant la multiplication des routes, avant la construction des chemins de fer, alors qu'un assez long délai pouvait séparer l'expédition de la marchandise de son arrivée à destination, le droit de revendication ait été considéré par le commerce comme une garantie; le vendeur pouvait souvent, pendant cet intervalle, recevoir des renseignements sur le compte de son acheteur, retarder ou arrêter la marchandise en route ; mais aujourd'hui qu'il n'y a plus de distance, qu'hommes et marchandises se transportent en quelques heures d'une extrémité du pays à l'autre, nul ne peut plus faire entrer dans ses prévisions, comme garantie, en cas de non payement, un droit de suite sur des objets qui arriveront souvent le soir dans les magasins de celui qui les a commandés le matin. »
Vous voyez donc, messieurs, que les considérations que fait valoir la commission ne se rapportent qu'au commerce de l'intérieur. Pour les marchandises qui doivent arriver d'outre-mer, rien n'est changé dans la situation que la commission envisageait comme favorable au droit de revendication. Il est certain que si vous enlevez au commerce étranger le droit de revendication, vous mettant, en quelque sorte, en dehors du droit commun des nations, l'étranger devra prendre à votre égard des mesures qui certainement ne pourraient être que compromettantes pour le crédit et la considération de notre commerce.
J'ai entendu dire que dans certains cas le droit de revendication ne pourrait que difficilement s'exercer ou s'exercerait d'une manière injuste soit pour la masse, soit pour des tiers. On a dit aussi que ce changement dans notre législation n'aurait aucune influence sur la confiance de l'étranger. J'aborderai en premier lieu cette dernière objection.
Je l'ai déjà dit, messieurs, vous mettant en dehors du droit commun, vous vous attireriez nécessairement des mesures de rigueur.
Ainsi, par exemple, dans le commerce qui se fait avec les pays lointains, les payements doivent se faire soit à Londres, soit à Amsterdam, soit à Paris. Aujourd'hui, pour un grand nombre de maisons de Belgique et principalement d'Anvers, le remboursement de valeurs reçues des colonies se fait avec une très grande facilité; les maisons chez lesquelles doivent se faire les remboursements acceptent les traites fournies sur elles, payables à 90 jours. Le connaissement est transmis immédiatement à l'acheteur. D'autres fois, et le plus généralement, on n'opère avec les colonies qu'au moyen de crédits confirmés, c'est-à-dire qu'un banquier de Londres, de Paris ou d'Amsterdam annonce aux maisons des colonies que telle maison peut disposer sur lui pour une somme déterminée. Ainsi les maisons des colonies expédient avec une double garantie : la garantie du banquier et la garantie de l'acheteur.
Le banquier qui accepte et qui est plus rapproché du continent, peut parer aux conséquences de certains événements qui se présentent quelquefois en Europe et se trouve à même de pouvoir exercer le droit de revendication. En dehors de ce banquier, beaucoup de maisons des colonies possèdent sur le continent des agents qui, eux aussi, sont à même d'exercer, pour leur compte, la revendication des marchandises non livrées. Eh bien, messieurs, si vous faites cesser ce droit, il est évident que les maisons de Londres, d'Amsterdam ou de Paris n'accepteront plus avec la même facilité; peut-être même jugeront-elles prudent de conserver devant elles les connaissements qui leur seront transmis, jusqu'à l'échéance des traites qu'elles auront acceptées, ou du moins jusqu'à ce qu'elles en auront été couvertes. Ces mesures ne s'appliqueront pas, sans doute, aux maisons de premier ordre ; mais elles frapperont les maisons de deuxième et de troisième rang, ces maisons en faveur desquelles on s'efforce d'organiser des moyens de crédit, tels que l'institution des warrants et autres.
Elles adopteront d'autres moyens qu'il serait très difficile d'indiquer quant à présent; toutefois elles chercheront à sauvegarder leurs intérêts, à remplacer la garantie qui leur serait enlevée et dont elles ont joui jusqu'ici. Et vous comprenez que toute mesure prise en faveur de leur sécurité, doit être infailliblement nuisible au crédit des maisons de commerce de la Belgique.
Il serait difficile de déterminer jusqu'à quel point ces mesures seront préjudiciables pour nous; mais évidemment en l'absence du droit de revendication, les mesures qui seront arrêtées par le commerce étranger seront dans un sens restrictif du crédit dont nous jouissons actuellement.
Messieurs, j'ai entendu dire qu'il y aurait injustice. On a supposé deux maisons qui, des colonies, expédient, le même jour, une cargaison à un même acheteur en Belgique; une de ces maisons trouverait, en cas de faillite, à exercer le droit de revendication, et l'autre ne, le trouverait pas. La cargaison, a-t-on dit, qui arriverait à un jour où l'acheteur n'est pas encore en état de faillite, viendrait augmenter l'actif de la masse; l'autre cargaison, arrivant huit jours et même un jour après, serait revendiquée par le vendeur. Voyez l'inégalité des deux positions.
Mais, messieurs, n'en est-il pas ainsi tous les jours dans d'autres circonstances? On a fait, je suppose, pendant dix ans des affaires importantes avec une maison de banque qui jusqu'alors avait joui d'un grand crédit; des doutes s'élèvent sur sa solvabilité et on se retire des affaires qu'on faisait. Un autre, moins vigilant, moins bien placé ou renseigné continue à traiter avec elle un jour de plus et se trouve compromis pour une partie de sa fortune. Dans ces sortes d'occasions, on ne pourra jamais s'en prendre qu'à soi-même, de n'avoir pas fait les diligences nécessaires pour se tenir au courant du crédit de cette maison et de sa valeur commerciale.
Une autre objection qui a été faite est celle-ci; on dit : « Comment! vous voulez que le vendeur puisse revendiquer sa marchandise, tandis qu'elle a voyagé aux risques et périls de l'acheteur ! Si la marchandise avait péri, l'acheteur seul serait responsable, et la masse devrait payer. Si, au contraire, la marchandise ne périt pas, le vendeur peut la revendiquer. Il y a là une position injuste pour la masse. »
D'abord, je dois répondre ceci, c'est que depuis qu'il existe des compagnies d'assurance partout, la marchandise ne voyage jamais sur mer sans être assurée. La marchandise étant assurée et venant à périr, c'est la masse qui en touche la valeur, et le vendeur devient, pour le montant de sa facture, dans la masse, l'égal de tous les autres créanciers. Ici le droit de revendication ne pourrait pas s'exercer, et si le failli a fait assurer la marchandise, comme on le fait généralement, je ne pense pas qu'il y ait en Belgique des maisons qui se livrent aux affaires lointaines et ne fassent pas assurer les cargaisons qu'on leur adresse, je ne puis donc pas admettre que, dans une circonstance semblable, le principe ne puisse être appliqué en toute équité.
Mais on dit encore : Le droit de revendication ne peut pas s'exercer si, en définitive, l'acheteur est de mauvaise foi et ne le veut pas ; car, ayant devant lui le connaissement et la facture, il peut vendre la marchandise avant son arrivée dans le port.
Sans doute cela peut arriver ; mais malgré tous ces désavantages, le commerce a toujours tenu en Belgique, comme chez toutes les autres nations commerçantes, à être en possession du droit de revendication.
On peut rencontrer un créancier malhonnête, mais ces circonstances se présentent rarement, surtout, en Belgique, et ce ne serait pas un motif, parce qu'il y a un risque à courir, qu'il faudrait enlever tout à fait le droit.
(page 155) La considération qui m'a dominé dans l'examen de cette question, c'est celle que j'ai indiquée en commençant, c'est que la Belgique jouit d'une réputation de probité chez toutes les autres nations, elle on a donné suffisamment de preuves jusqu'à présent; ce n'est pas dans votre législation sur les faillites qu'il faudrait faire une exception en supprimant des garanties que nous trouvons à l'étranger et dont nous avions toujours offert la réciprocité.
Remarquez que ce n'est pas seulement chez les nations européennes qu'on admet le principe de revendication ; il est admis par les nations d'outre-mer, dans les pays les moins civilisés ; à Haïti même, le droit de revendication existe; je crois que la Belgique ne voudra pas, dans une question d'équité, faire moins que Faustin Ier.
M. Cans. - Messieurs, le rapport de l'honorable M. Tesch résume d'une manière si complète tous les arguments qui peuvent être produits pour et contre la revendication, qu'il doit être facile à chacun de nous de se faire une opinion sur ce point remis en question par la pétition du tribunal et de la chambre de commerce d'Anvers. Je me bornerai à quelques observations à ce sujet.
La revendication est un ancien usage du commerce qui s'est établi à une époque où les voies de communication n'avaient pas pris les développements qu'elles ont aujourd'hui, tant sous le rapport de l'étendue, que du nombre et de la rapidité des moyens de transport. Autrefois elle s'exerçait non seulement sur les marchandises qui n'étaient pas encore arrivées à destination, mais encore sur celles qui se trouvaient déjà dans les magasins du failli.
C'était une faveur injuste, parce que le droit ne pouvait être exercé également par tous les créanciers; il dépendait souvent du failli de favoriser l'un au détriment des autres. C'était, de plus, et c'est encore aujourd'hui une source de difficultés qu'il faut tarir; en général, les revendications ne sont admises par les syndics qui veulent mettre leur responsabilité à couvert, qu'après un procès.
Quand le législateur touche aux lois existantes pour les réviser, pour les améliorer, il doit surtout s'attacher à les ramener aux vrais principes, il doit tenir compte des changements qui sont survenus dans la situation des intérêts auxquels il s'agit de pourvoir.
C'est ce qui a été tenté en France à deux reprises : d'abord en 1807, lors de la discussion du premier Code de commerce. Les jurisconsultes éminents chargés de la rédaction du projet, avaient proposé de n'admettre aucune revendication, quoique ce privilège fût généralement reçu en France à cette époque, mais à des conditions diverses, suivant les localités.
Ce système ne prévalut pas. Cependant, afin de ne pas délaisser entièrement les principes et par une sorte de transaction, on adopta un terme moyen qui, restreignant l'usage établi, limita le droit de revendication aux marchandises qui n'étaient pas encore entrées dans les magasins du failli.
Il y avait lieu d'espérer que lors de la révision du Code de commerce, on ferait un pas de plus dans la bonne voie. Le projet du gouvernement, soutenu par les jurisconsultes les plus estimés des deux chambres, supprimait le droit de revendication. Les partisans de l'abolition de ce droit avaient obtenu une première victoire par la suppression du privilège et de la revendication résultant, en cas de faillite, du n°4 de l'art.2102 du Code civil, mais ils succombèrent à propos de la revendication des marchandises.
La première commission de la chambre des députés et ensuite la chambre des pairs, maintinrent en 1835 la revendication. L'ensemble du projet n'ayant pas été adopté à cette époque, la question se représenta en 1838, et le même système ayant prévalu dans les chambres, le gouvernement, de guerre lasse, n'insista plus.
Si j'entre dans ces détails, c'est pour rappeler à l'attention de la chambre que le système proposé par le gouvernement, et adopté par la commission, n'est pas nouveau, et qu'il a pour lui la sanction des meilleurs jurisconsultes.
Voici comment s'exprime à ce sujet M. Henouard dans son Traite des Faillites :
« Je pourrais dire que, dans mon opinion personnelle, on s'est exagéré les avantages commerciaux de cette revendication et les inconvénients pratiques de son abolition : je pourrais insister sur les arguments par lesquels on s'est appliqué à démontrer que cette abolition d'un ancien usage était la conséquence juste et logique de principes de droit que l'on n'a pas contestés. Mais les longues citations que j'ai faites suffiront... »
On invoque la législation étrangère ; elle ne présente guère d'uniformité sur la question qui nous occupe et même dans les pays qui admettent la revendication, les lois contiennent des dispositions telles que le principe en est complètement modifié.
En consultant les lois qui régissent les faillites aux Etats-Unis et en Prusse, je n'y ai rien trouvé relativement à la revendication.
A Hambourg, où les faillites sont régies d'après un règlement de 1753 encore en vigueur, les marchandises peuvent être revendiquées même dans les magasins du failli ; mais il est à remarquer que cette revendication ne peut s'exercer que dans un délai fort court : il est de quatorze jours après la vente.
Si l'on se reporte à l'époque où le règlement de 1753 a pris naissance, les difficultés, les lenteurs des communications ne permettaient de revendiquer leurs marchandises qu'aux créanciers qui habitaient Hambourg ou un rayon très borné autour de cette ville.
Dans le royaume des Pays-Bas, le Code de commerce fut, comme en France, révisé en 1838. Plusieurs dispositions anciennes y furent rétablies.
On ne se contenta pas du système mixte proclamé par le Code do 1807 quant à la revendication; elle fut admise, non plus seulement pour les marchandises encore en route, mais aussi pour celles qui seraient entrées : dans les magasins du failli, lors même qu'elles auraient été déballées, remballées ou diminuées en quantité. On n'exige donc plus ici une condition qui était autrefois requise en France avant l'adoption du Code de 1807, celle de l'identité de l'emballage et des marques de la marchandise.
Mais, en Hollande comme à Hambourg, la revendication ne peut être faite que dans un certain délai : moins rigoureux qu'à Hambourg, il est d'un mois à compter du jour où les marchandises sont entrées dans les magasins du failli.
En Portugal, des dispositions semblables ont pris place dans le Code, mais le délai n'est que de dix jours. Je me demande, messieurs, quels avantages cette clause restrictive offre au commerce étranger, au commerce d'outre-mer surtout, et si elle n'équivaut pas à leur égard à l'abolition de la revendication, tandis qu'elle est exclusivement réservée au commerce local. Dans mon opinion, l'abolition de toute revendication est plus loyale, elle a de plus l'avantage d'être conforme aux principes du droit.
Peut-on dire qu'en Hollande, depuis 1858, les affaires avec les pays d'outre-mer aient diminué par suite de la juste défiance que le commerce étranger aurait pu concevoir de la modification introduits à l'égard de ! la revendication? Le droit de revendication illusoire pour les créanciers étrangers a-t-il empêché le commerce de Hambourg de prospérer?
J'aime toujours à pouvoir appuyer mon opinion sur des chiffres, quand cela est possible. J'ai consulté les tableaux statistiques des faillites déclarées à Anvers, de 1830 à 1844. Pendant cette période de quinze années, il n'y a eu que trois déclarations de faillite de négociants laissant un passif de plus de 50,000 francs. On peut juger d'après cela combien le droit de revendication doit avoir peu d'influence sur les affaires.
Je pense avec les pétitionnaires qu'il ne faut pas exciter de défiances de la part du commerce étranger. Mais évidemment, et les chiffres que j'ai cités le prouvent, le crédit ne repose pas sur une base aussi fragile. Malgré la haute opinion que j'ai de l'expérience et des lumières des auteurs de la pétition, je ne puis pas partager leurs craintes, parce que le crédit dont jouit à juste titre la place d'Anvers dans le monde commercial s'appuie sur de meilleurs fondements, c'est-à-dire sur la sagesse et la prudence qui préside à toutes ses opérations.
M. De Pouhon. - Je me permettrai de dire quelques mots sur la question qui nous occupe.
La première chose à examiner, c'est de savoir si la revendication est morale. Cela ne fait pas de doute, selon moi. La non revendication est une source d'abus de confiance, elle peut améliorer la situation de la masse des faillites aux dépens des négociants de bonne foi.
La moralité de la revendication étant admise, il ne reste plus qu'à examiner l'utilité de son adoption. Eh bien, là encore il ne peut y avoir de doute. Rejeter le droit de revendication, c'est repousser les affaires.
Aux considérations que l'honorable M. Loos a fait valoir, j'ajouterai que la question a une gravité toute particulière dans les circonstances où nous nous trouvons depuis 20 mois. L'Europe est sur le qui-vive, se demandant chaque jour ce qui arrivera dans la huitaine? En octobre, un coup d'Etat était annoncé dans un pays voisin, beaucoup y croient encore. Dans cette expectative, le crédit en Europe est très limité, on traite à peine des affaires à quinze jours.
Ces impressions, ces appréhensions se transportent au-delà de l'Atlantique; elles y acquièrent de la vivacité en raison de l'éloignement. Comment voulez-vous que le négociant américain accorde une confiance de 2, 3 ou 4 mois, selon les distances, quand ici on ne donne pas un crédit de 15 jours ?
Une maison de Belgique, par exemple, connue par ses correspondants d'outre-mer pour mériter un crédit considérable, leur donne un ordre, d'achat, avec invitation de se rembourser du montant sur Londres ou Paris. Pouvez-vous admettre que ces correspondants n'hésitent point, sous l'empire des nouvelles d'Europe, à exécuter cet ordre et à accorder une grande confiance à une maison dont la position pourrait changer d'une manière absolue, par suite des événements annoncés comme probables?
Non, messieurs, ils ne le feront que si leur agent en Europe a la faculté d'arrêter la remise de la marchandise avant le déchargement du navire.
Cela vous dit suffisamment, messieurs, que refuser le droit de revendicaion, c'est poser un obstacle à des rapports de commerce éminemment utiles.
Si je m'étais attendu à prendre la parole dans la question, je me serais préparé à vous fournir des arguments nombreux, de nature à vous déterminer à maintenir le droit de revendication.
M. H. de Baillet. - La commission n'a pas critiqué d'une manière absolue le droit de revendication, car elle dit : « Votre commission ne se serait pas arrêtée devant une exception à des principes trop rigoureux du droit civil, ni devant les inconvénients des contradictions que nous venons de signaler, si l'intérêt du commerce, la sécurité des transactions commerciales lui avaient semblé exiger le maintien du droit de revendication. »
Eh bien, la chambre et le tribunal de commerce d'Anvers, qui certes (page 156) sont compétents dans ces matières, puisqu'ils sont composés, l'un et l'autre hommes pratiques, déclarent que supprimer ce droit ce serait léser les intérêts du commerce, jeter la méfiance à l'étranger sur le commerce belge, qui a joui jusqu'ici d'une grande réputation de loyauté et enfin éloigner des affaires les négociants de second ordre.
Cet avis doit avoir d'autant plus de poids dans notre délibération qu'il s'étaye sur ce qui se pratique dans tous les pays commerciaux avec lesquels nous sommes en relations, et sur l'opinion des cours d'appel de Gand et de Liège, qui, consultées par le gouvernement, ont conclu au maintien de la revendication.
En présence de ce fait, il est permis de penser que la suppression du droit de revendication nuirait aux intérêts du commerce que le gouvernement fait tous ses efforts pour développer, et qu'il n'y a pas lieu de supprimer ce droit consacré par des habitudes séculaires.
M. Dumortier. - Je viens me joindre aux orateurs qui m'ont précédé pour combattre les dispositions qu'on vous propose et qui auraient pour effet de supprimer le droit de revendication. Le droit de revendication est le droit de nos anciennes coutumes ; depuis un temps immémorial, ce droit régit nos provinces. C'est donc un système entièrement nouveau qu'on vous propose ; c'est une chose qui n'a jamais existé en Belgique. Il pourrait donc en résulter une perturbation de nos relations commerciales. De telles mesures ne peuvent être prises à la légère. Avant de faire prévaloir un système nouveau, en opposition avec celui qui nous régit depuis des siècles, il faut avoir mûrement étudié la question sous toutes ses faces.
Quel est le but qu'on se propose dans les faillites? Evidemment, que les créanciers puissent se partager entre eux ce qui est en réalité l'avoir du failli. Evidemment, le but de la faillite n'a jamais pu être d'enrichir les créanciers au détriment de ceux qui ne sont pas encore créanciers. Or, ce serait le résultat inévitable de la suppression de la revendication.
En Belgique, autrefois, le droit de revendication était poussé à ce point qu'il s'exerçait même sur les marchandises en magasin, pourvu qu'elles fussent encore sous cordes et emballage. Dans le système de la commission, le droit de revendication ne pourra plus s'exercer non seulement sur les marchandises en magasin, sous cordes et emballage, mais même sur les marchandises qui font route. Ce système est entièrement nouveau, il rompt avec toutes les habitudes commerciales, il pourrait avoir des résultats fâcheux pour les ports des mer et surtout pour le port d'Anvers.
La Belgique, après avoir subi la fermeture de l'Escaut pendant des siècles, n'a pu, depuis 30 ans qu'il est rouvert, retrouver son antique prospérité commerciale. Quelque degré de prospérité que la Belgique ait atteint, depuis la révolution, nous n'avons pu jusqu'ici nous créer ces immenses relations que nous avions avant le traité de Munster. Ce ne peut être que l'œuvre du temps. La suppression de la revendication serait un coup mortel porté à nos relations commerciales avec les pays lointains. Cela se conçoit aisément. On y regardera à deux fois avant d'expédier des marchandises, si l'on ne peut les revendiquer pendant la durée du trajet qui est souvent de plusieurs mois.
Je le répète, la revendication est l'ancien droit de la Belgique. Jamais il n'a donné lieu à aucun inconvénient; il régit tous les Etats qui nous avoisinent; c'est ce qu'a reconnu l'honorable M. Cans lui-même, lorsqu'il a soutenu que l'exercice de ce droit se réduit à peu de chose. Ce droit existe à Hambourg, en Angleterre, en France, et enfin en Hollande où il est porté à ce point qu'on peut revendiquer les marchandises en magasin, alors même qu'elles ne sont plus sous cordes. Et vous supprimeriez le droit de revendiquer les marchandises qui font route! Vous jetteriez ainsi la perturbation dans les affaires commerciales.
Le plus sage est de maintenir ce qui est sanctionné par l'expérience des siècles; le pays entier pourra s'en féliciter.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - En présentant le projet de loi qui avait été élaboré par une commission spéciale, projet qui a aboli le droit de revendication établi par le Code de commerce, et qui a proclamé le retour en cette matière aux principes du droit commun, j'ai fait suffisamment connaître que mon opinion personnelle était contraire au principe de la revendication. Cette opinion n'a pas varié. Je pense encore que les partisans du privilège de la revendication s'abusent sur ses avantages, et qu'ils s'exagèrent l'influence qu'il peut exercer sur le crédit et la prospérité du commerce belge.
Cependant le commerce d'Anvers, représenté par ses organes naturels (la chambre de commerce et le tribunal de commerce d'Anvers), soutenu, nous venons de le voir, par plusieurs honorables membres de cette chambre, réclame avec tant d'instance pour le maintien de ce droit dans notre législation commerciale, que je crois qu'on ne peut lui refuser au moins d'examiner de nouveau la question sous toutes ses faces et avec la plus sérieuse attention.
J'abonderai donc, messieurs, dans le sens de la proposition de l'honorable M. Lelièvre qui tend à renvoyer à la commission le titre entier de la revendication, afin d'examiner s'il y a lieu d'introduire dans le projet le principe qui en a été écarté par ses auteurs et par les membres de la commission spéciale nommée dans le sein de cette chambre.
Messieurs, il serait possible qu'il résultât de cet examen qu'il y a quelque chose à faire pour concilier les deux systèmes. Ainsi par exemple, les inconvénients de la revendication existent principalement vis-à-vis du commerce intérieur. Or, on reconnaît, et les pétitionnaires eux-mêmes en conviennent, que le droit de revendication n'est plus aujourd'hui d'aucune utilité réelle pour l'intérieur du pays. Mais ils soutiennent qu'il est nécessaire encore dans l'intérêt du commerce lointain, du, commerce maritime avec l'étranger.
Il n'y a donc peut-être que quelques légères modifications à faire subir au projet pour faire disparaître en grande partie les inconvénients et les abus du droit de revendication, tout en conservant les avantages que ce droit peut offrir au point de vue du commerce avec l'étranger.
Peut-être encore y aurait-il un autre moyen de rétablir ce droit dans la loi actuelle ; ce serait de le produire sous la forme d'une disposition de réciprocité internationale, en accordant le droit de revendication vis-à-vis des nations seulement qui l'ont consacré dans leur législation.
Il y a plusieurs pays, messieurs, où le droit de revendication n'existe pas. Dans les pays voisins, je dois le reconnaître, et chez la plupart des nations commerçantes, ce droit a été admis. Eh bien, il y a lieu d'examiner si nous devons l'admettre maintenant d'une manière générale, ou si l'on doit le restreindre dans certaines limites.
Vous voyez donc, messieurs, que la question mérite d'être étudiée et que ce ne serait pas immédiatement et aujourd'hui même qu'il serait possible de formuler un nouveau projet pour remplacer les cinq articles qui composent le titre de la revendication.
Il n'est pas douteux d'ailleurs, messieurs, que si le principe de la revendication doit être admis dans la loi, d'une manière générale et restreinte, le projet ne doive subir d'autres modifications, et qu'il ne faille coordonner plusieurs de ses dispositions avec les dispositions nouvelles que l'on veut y introduire, et surtout qu'il ne faille prendre des mesures pour ne pas détruire les principaux avantages du projet actuel, avantages inappréciables et qui consistent surtout dans la prompte et facile liquidation des faillites.
Or le principal inconvénient de la revendication, c'est de prolonger indéfiniment cette liquidation, c'est de susciter de nombreux et d'interminables procès qui finissent par consommer en frais l'actif du failli. Car, comme l'a dit l'honorable M. Cans, il n'arrive presque jamais, en matière de revendication, que les syndics prennent sur eux d'accueillir les demandes qui leur sont faites, presque toujours c'est la justice qui doit en décider, et de là des lenteurs et des frais considérables au préjudice de la masse créancière.
Ces considérations prouveront, je pense, à la chambre, qu'il convient de renvoyer le titre de la revendication à la commission, à l'effet d'examiner s'il y a lieu de rétablir dans la loi, ainsi que paraissent le désirer beaucoup de membres de cette chambre, le droit de revendication, et de quelles restrictions ce droit devrait être entouré pour en prévenir l'abus.
M. le président. - Je ferai remarquer à M. le ministre de la justice que les auteurs de l'amendement ne demandent pas le renvoi pur et simple à la commission. Ils proposent à la chambre de se prononcer d'abord pour le maintien du droit de revendication et de renvoyer ensuite le chapitre X à la commission pour qu'elle formule des mesures réglementaires.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). Je ne m'oppose nullement à ce que le principe soit admis par la chambre. Mais je voudrais que la commission conservât une certaine latitude, à l'effet de restreindre ce principe dans de justes limites, de manière à prévenir les abus et à pouvoir le concilier avec les autres dispositions du projet.
M. de Luesemans. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Messieurs, il résulte de l'adhésion donnée par M. le ministre de la justice à la proposition de MM. Lelièvre et Loos, que la discussion ne peut guère se prolonger. La commission sera donc saisie de nouveau. J'ai, pour ma part, une entière confiance dans les lumières et l'impartialité de MM. les membres de la commission; ils présenteront un rapport qui sera le fruit d'un examen sérieux et approfondi. Mais pour que leur délibération aboutisse à un résultat vraiment utile, il me semble qu'il serait convenable qu'un débat contradictoire pût s'établir entre les membres qui professent une opinion favorable au principe de la revendication, et la commission qui jusqu'à présent n'a pas partagé cette opinion.
Je propose à la chambre de décider que les honorables auteurs de la proposition soient adjoints à la commission.
M. Manilius. - Je pense qu'on ne peut pas adjoindre à la commission les membres qui ont fait la proposition. Mais d'après le règlement, ces membres ont le droit de faire valoir leurs motifs dans le sein de la commission. L'auteur d'une proposition peut toujours se faire entendre dans le sein de la commission ou de la section centrale qui examine cette proposition.
Je pense que cette explication doit satisfaire l'honorable M. de Luesemans.
M. de Luesemans. - Tout ce que je désire c'est que, outre le droit que le règlement leur donne, ils soient prévenus du jour de réunion de la commission, ce qui n'a ordinairement pas lieu. Je n'insiste pas autrement.
M. le président. - Il est certain que si l'amendement est renvoyé à la commission, celle-ci en entendra les auteurs.
M. Jullien. - Messieurs, si la revendication doit être reconnue en principe, elle doit l'être pour le commerce intérieur comme pour le commerce extérieur. Je ne puis admettre, sous ce rapport, aucune distinction; il faut que le commerce intérieur jouisse des garanties dont vous entourerez le commerce extérieur.
(page 157) Moi aussi, messieurs, je reconnais que la revendication doit être consacrée pour les marchandises faisant route et non encore entrées dans les magasins de l'acheteur. Sans cela, comme vous l'a dit avec beaucoup de raison l'honorable M. Dumortier, vous jetteriez une perturbation profonde dans tous les usages du commerce. Or, messieurs, ces usages, en matière de revendication, ont en quelque sorte l'autorité de la loi.
Je dis, messieurs, que ces usages en matière de revendication sont d'une grande autorité, parce que la législation civile consacre textuellement ce principe.
Témoin l'article 2102, n°4, du Code civil, où on lit ce qui suit : « Il n'est rien innové aux lois et usages du commerce sur la revendication. » Il faut donc consulter les usages du commerce. Nous ne pouvons nous en écarter sans de graves et puissantes raisons.
On a signalé, messieurs, les abus de la revendication. Elle en présente sans doute, mais elle n'en présente, comme on le faisait observer dans l'exposé des motifs du Code de commerce actuel, que lorsqu'elle met le sort des créanciers à la merci du failli; que lorsque le failli peut, arbitrairement, favoriser un créancier, sacrifier l'autre, en conservant ou en dénaturant les signes qui constatent l'identité de la marchandise. Or, cela ne s'applique qu'au cas où la marchandise est entrée dans les magasins de l'acheteur, lorsque son identité est contestable, confondue qu'elle est avec d'autres marchandises de la même espèce ; mais cet inconvénient n'existe réellement pas et ne peut se produire aussi longtemps que la marchandise fait route et qu'elle est accompagnée des signes annonçant le lieu d'origine et constatant qu'elle est expédiée par celui qui la revendique.
Aux observations péremptoires, développées par quelques-uns de nos honorables collègues, j'ajouterai que la commission, en proposant le rejet du principe de la revendication pour les marchandises expédiées aux risques et périls de l'acheteur, et non encore entrées dans ses magasins, vous a soumis, en même temps, une disposition qui, à mes yeux, constitue une anomalie véritable, en présence de l'exclusion du droit de revendication.
En effet, on vous propose, dans l'article 570, d'accorder au vendeur d'une marchandise non livrée, vendue même à terme, le droit de retenir la marchandise, lorsque l'acheteur est tombé en faillite depuis la vente. Ainsi celui qui n'a pas expédié la marchandise parce qu'il a découvert la faillite, celui-là pourra se mettre à l'abri des conséquences de cet événement en retenant la marchandise devers lui, et celui qui, de bonne foi, dans l'ignorance de la faillite, aura expédié la marchandise, celui-là sera victime de son ignorance de l’état de déconfiture de l'acheteur. N'est-ce pas là une anomalie flagrante ? N'est-ce pas admettre d'une part le droit de revendication sous la forme du droit de rétention et le refuser d'un autre côté à un vendeur en faveur duquel militeront des considérations déduites de la bonne foi, base des transactions commerciales?
Voyez, messieurs, jusqu'où l'on pourrait pousser les conséquences du principe consacré par l'article 570 : un vendeur traite avec un individu qui n'est pas encore en état de faillite, il lui vend des marchandises qu'il doit expédier dans un délai convenu, il n'exécute point cette stipulation, il n'expédie point la marchandise dans ce délai, la faillite éclate et ce vendeur, parce qu'il n'a pas rempli ses engagements vis-à-vis de l'acheteur et vis-à-vis de la masse, ce vendeur pourra retenir la marchandise en se plaçant sous l'égide du droit de rétention autorisé par l'article 5701 Ainsi, messieurs, celui qui aura violé ses engagements pourra ne pas expédier, il pourra se mettre à l'abri de toute perte, et le négociant scrupuleux qui pour remplir loyalement sa promesse aura expédié dans le délai stipulé la marchandise vendue, celui-là sera privé du droit de revendiquer, que vous accordez à l'autre par l'exercice du droit de rétention ! Signaler une conséquence aussi bizarre, aussi injuste, c'est signaler le vice de l'article 570; aussi je n'hésite pas à me joindre à mes collègues qui ont combattu le rejet du principe de la revendication, pour demander que ce principe soit expressément proclamé pour le cas où la revendication sera exercée relativement à des marchandises faisant route, qui ne seront pas encore entrées dans les magasins de l'acheteur, et sur l'identité desquelles aucun doute ne sera possible.
M. Lelièvre. - Il est inutile, ce me semble, de prolonger le débat. Tous nous sommes d'accord sur l'adoption du principe consacrant le droit de revendication. Il ne s'agit que de prononcer le renvoi à la commission pour s'occuper des mesures d'exécution.
En conséquence, je demande que la chambre statue immédiatement sur le renvoi, comme le demande lui-même M. le ministre de la justice.
- Le renvoi à la commission est ordonné.
A l'article 578, la commission propose la rédaction suivante :
« Pourront être condamnés aux peines de la banqueroute simple : les gérants des sociétés anonymes qui n'auront pas fourni les renseignements qui leur auront été demandés, soit par le juge-commissaire, soit par le curateur, ou qui auront donné des renseignements inexacts.
« Il en sera de même de ceux qui, sans empêchement légitime, ne se seront pas rendus à la convocation du juge-commissaire ou du curateur.»
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ferai observer que cet article n'a été renvoyé à la commission que pour en améliorer la rédaction. La rédaction proposée est parfaitement convenable.
- L'article est adopté tel qu'il a été rédigé par la commission.
L'article 581 était ainsi conçu :
« Dans les cas prévus par les articles 577, 579 et 580, la cour ou le tribunal saisis statueront lors même qu'il y aurait acquittement :
« 1° D'office sur la réintégration à la masse des créanciers de tous biens, droits ou actions frauduleusement soustraits:
« 2°" Sur les dommages-intérêts qui seraient demandés et que le jugement ou l'arrêt arbitrera.
« Les conventions seront, en outre, déclarées nulles à l'égard de toutes personnes et même à l'égard du failli.
« Le créancier sera tenu de rapporter à qui de droit les sommes ou valeurs qu'il aura reçues en vertu des conventions annulées. »
M. Lelièvre avait demandé la suppression des deux derniers paragraphes.
La commission n'a pas admis cet amendement.
M. Lelièvre. - Messieurs, les explications de la commission ont fait connaître que les jugements et arrêts prononçant la nullité des conventions ne pourront jamais profiter ou nuire qu'aux parties qui figureront en cause.
L'article ainsi entendu, la rédaction proposée par le gouvernement me paraît préférable, elle est plus simple et moins obscure.
D'un autre côté, le système de la commission me paraît opposé aux principes admis par la législation en matière répressive. En effet, tandis que le juge criminel ne peut statuer sur des intérêts civils et n'accorde des réparations qu'au profit des individus lésés par le crime ou le délit, le projet propose de conférer à la cour d'assises le droit d'annuler des contrats et conventions au profit du failli même, au profil de ses parents et de tiers que le fait délictueux n'a pas eu pour objet d'atteindre, individus qui, bien loin de pouvoir se constituer parties civiles, ont concouru soit directement, soit indirectement, au délit. Pareille attribution sort des limites étroites tracées par la législation au juge criminel en matière d'intérêts civils. Cette considération me détermine à repousser le projet de la commission et à proposer l'adoption du projet du gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). M. Lelièvre dit qu'il préfère la rédaction du gouvernement à celle que la commission y a substituée. Je crois aussi que la rédaction du gouvernement aurait pu être maintenue, mais je m'étais rallié à celle de la commission qui ne fait que reproduire, en les réunissant, les textes des articles 595 et 598 de la loi française de 1838. Toutefois, si la chambre préférait la rédaction du gouvernement, je proposerais alors de la modifier légèrement et de remplacer les mots « dans les cas de complicité de banqueroute frauduleuse » par ceux ci : « dans les cas prévus par l'article 580. » Ce serait rendre la rédaction plus simple et plus coulante.
Du reste, messieurs, je crois que l'on peut adopter indifféremment, soit la rédaction du gouvernement, soit celle de la commission.
M. le président. - M. Lelièvre, faites-vous une proposition formulée?
M. Lelièvre. - Si M. le ministre ne soutient pas son projet, je ne le soutiendrai pas non plus.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne puis pas contredire M. Lelièvre lorsqu'il émet l'opinion que ma rédaction vaut mieux que celle de la commission, mais je dois expliquer pourquoi je me suis rallié à cette dernière, et le motif c'est que je n'y ai pas aperçu de différence essentielle et que l'une me paraissait à peu près aussi convenable que l'autre.
- La discussion est close.
L'article 581, tel qu'il a été proposé par la commission, est mis aux voix et adopté.
« Art. 605. L'avis du tribunal, ainsi que toutes les pièces relatives à la demande, seront transmis, dans les trois jours, au procureur général près la cour d'appel du ressort, qui les soumettra avec ses conclusions au premier président; celui-ci commettra un conseiller sur le rapport duquel la cour statuera dans la huitaine de la réception des pièces. »
M. Dumortier a proposé d'ajouter à cet article un paragraphe additionnel ainsi conçu :
« Les créanciers opposés au sursis pourront s'adresser à la cour par voie de requête, dans le délai précité et sans que cette production puisse retarder la décision de la cour. »
La commission a proposé le rejet de cet amendement.
M. Dumortier. - Messieurs, je dois maintenir l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter, et je ne vois pas pour quels motifs il ne serait pas admis.
En effet, on a paru généralement d'accord que le droit de sursis est un droit très dangereux ; beaucoup de personnes ont même exprimé le vœu de voir supprimer cette faculté dans la loi que nous votons.
Messieurs, vous vous souviendrez à quelles vives réclamations les sursis ont donné lieu dans le pays. Sous le gouvernement hollandais, il y avait eu des abus, et c'est pour parer à ces abus que, dans la Constitution, on a stipulé que le pouvoir législatif pourvoirait dans le plus bref délai à la législation sur les sursis.
Il est tel sursis qui a été accordé, même sur la demande de presque tous les créanciers, et qui n'a produit exactement rien à la masse créancière.
Et pourquoi? Parce que toutes les fois qu'une faillite se déclare (et les personnes qui ont vu les opérations de faillite en pareil cas, le reconnaîtront avec moi), le failli est toujours au-dessus de ses affaires. Le premier bilan présente toujours un bénéfice. Puis vient un second bilan ; celui-là commence à accuser une petite perte; vient un troisième bilan qui en accuse une plus grande; au quatrième ou au cinquième bilan, il y a à peine quelque chose pour les créanciers, et souvent il n'y a plus rien.
Or, c'est précisément sur le premier bilan, toujours (page 158) extraordinairement enflé, que s'appuie la demande de sursis; vous devez comprendre qu'à l'égard de cette demande un grand nombre de négociants seront trompés par l'examen du premier bilan. Il y aura un avocat très habile qui représentera le failli et qui persuadera à tels créanciers qu'ils n'ont rien à perdre. Maintenant ces créanciers se laisseront prendre, comme on l'a vu trop souvent, et les hommes qui voient clair en affaires et qui sont en minorité dans tous les pays du monde, seront forcés de subir la loi des majorités moins clairvoyantes.
Eh bien, je désire que les négociants clairvoyants, qui sont à même de voir, dès l'abord, quel sera le résultat de la faillite, puissent, sans entraver les opérations, présenter leurs observations à l'autorité qui décide de la question du sursis. Je ne vois pas quel inconvénient il peut y avoir à cela. Il s'agit uniquement ici d'une requête. Quel mal y a-t-il à ce qu'avant de statuer sur le sursis, la cour puisse entendre la voix des négociants qui y sont opposés?
On dira peut-être : « Ces négociants viennent au tribunal de première instance. » Mais, messieurs, veuillez remarquer que ce n'est pas le premier jour qu'on découvre le défaut de la cuirasse ; ce n'est qu'après un certain temps que les vices d'un bilan se révèlent. Il faut donc laisser jusqu'au dernier moment à celui qui est exposé à perdre sa fortune, à faillir peut-être lui-même, à cause d'un sursis ; il faut, dis-je, lui laisser jusqu'au dernier moment la faculté de faire valoir ses motifs contre la demande des sursis. Or, ce que je réclame par un amendement, n'est autre chose que le droit, pour ces négociants, de se faire entendre, sans retarder en rien les opérations. Il ne s'agit pas ici de plaidoiries, mais simplement d'observations par voie de requête.
Je persiste donc dans mon amendement, et je crois qu'il serait très déplorable qu'il fût écarté.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, à en croire l'honorable M. Dumortier, il semblerait que les créanciers qui voudront s'opposer au sursis ne seraient pas entendus et que la cour d'appel serait appelée à se prononcer sur la demande de sursis, sans qu'ils aient pu produire leurs moyens d'opposition. Mais, messieurs, que l'honorable membre veuille bien jeter les yeux sur les diverses dispositions qui précèdent l'article 605 qu'il veut amender, et il se convaincra que toutes les précautions ont été prises pour que toutes les oppositions des intéressés puissent se produire avec la plus grande liberté; les formalités les plus scrupuleuses sont prescrites pour l'instruction de ces affaires, devant le tribunal de commerce qui en est chargé; les créanciers sont individuellement convoqués par le juge-commissaire, la convocation est insérée dans les journaux ; au jour indiqué, le juge-commissaire fera son rapport en présence des créanciers ou de leurs fondés de pouvoirs; les créanciers seront entendus contradictoirement avec le débiteur, ils feront connaître le montant de leurs créances et déclareront s'ils adhèrent à la demande de sursis; enfin il sera dressé de tout cela un procès-verbal détaillé, auquel seront annexées les pièces qui auraient été produites par toutes les parties intéressées, et le tribunal y joindra son avis motivé.
Ne voilà-t-il pas des garanties suffisantes pour qu'aucun intérêt ne puisse rester en souffrance ? Faut-il, quand la demande de sursis arrive devant la cour chargée de statuer sur l'instruction faite par le tribunal de commerce, faut-il que les intéressés puissent présenter de nouvelles requêtes, de nouveaux mémoires? La commission ne l'a pas pensé. Les sursis sont des affaires urgentes et sommaires de leur nature sur lesquelles la cour doit prononcer dans la huitaine de la réception des pièces.
Si de nouvelles requêtes, si de nouveaux mémoires peuvent lui être adressés, la cour devra en quelque sorte recommencer l'instruction ; si elle y aperçoit des faits et des moyens nouveaux, elle devra peut-être appeler les créanciers qui ont adhéré au sursis, afin que ceux-ci puissent s'expliquer à leur tour, et de là peut résulter la prorogation obligée de la décision à intervenir sur la demande. Ce n'est pas là ce que la loi a voulu. Le projet de loi qui vous est soumis veut que l'instruction soit complète devant le tribunal de commerce et que la cour, quand l'affaire lui arrive, soit nantie de toutes les pièces nécessaires pour prononcer en connaissance de cause, ce qui exclut la production de nouveaux documents qui n'aboutiraient qu'à prolonger l'instruction.
M. Dumortier. - M. le ministre m'a opposé une objection à laquelle j'avais répondu d'avance. Le tribunal de commerce, dit-il, interrogera les créanciers; j'ai fait remarquer que ce n'est pas une réponse, car on ne découvre les défauts d'une faillite que quelques jours après qu'elle est déclarée; et qu'il faut toujours que les négociants opposés à la demande de sursis puissent faire entendre leur voix. Cela va retarder la concession du sursis ! Qu'importe? je ne veux pas que les sursis soient accordés à la pointe de l'épée. D'ailleurs il y va de l'existence de beaucoup de citoyens.
Dans l'industrie manufacturière, quels sont les individus qui font faillite ? Ce sont ceux qui font la concurrence aux autres, ceux qui veulent faire tomber les négociants qui exercent la même industrie qu'eux, en vendant à moindre prix. Ne peut-on pas dire que le sursis ne fait que prolonger la crise de l'industrie parallèle? A mon sens, la majeure partie des sursis est une fatalité pour les industries parallèles. Je répète qu'il ne faut pas permettre qu'on puisse les emporter à la pointe de l'épée.
La justice ne peut pas être trop éclairée en pareille matière. Si nous étions en France, je n'insisterais pas sur mon amendement, car en France, les magistrats reçoivent les intéressés et les admettent à leur exposer leur affaire; en Belgique, la justice procède avec une sévérité plus grande; les juges refusent leur porte à ceux qui viennent leur parler des affaires de la justice; il faut que la loi protège le négociant qui a des raisons bonnes ou mauvaises à donner contre une demande de sursis. Si elles sont mauvaises, la cour passera outre ; si elles sont bonnes, on refusera le sursis et on rendra un véritable service au pays.
Il est inutile de dire que ce sera aux frais du requérant. Cela va de soi.
- Après une première épreuve douteuse, l'amendement de M. Dumortier est adopté.
L'ensemble de l'article est ensuite adopté.
« Art. 607. La cour, en accordant un sursis, en fixe la durée, qui ne pourra excéder douze mois.
« Elle nommera un ou plusieurs commissaires chargés de surveiller et de contrôler les opérations du débiteur pendant toute la durée du sursis.
« Le sursis peut être prolongé. Aucune prolongation ne sera accordée pour plus de douze mois. Le bénéfice du sursis ne pourra, dans aucun cas, exister pendant plus de deux ans au profit du même débiteur.
« Toute prolongation du sursis devra être précédée d'une information faite de la manière prescrite par les article 600 et suivants.
« Le rejet de la demande emporte, de plein droit, révocation du sursis provisoire.
« Le bénéfice du sursis ne passe pas aux héritiers du débiteur auquel il a été accordé, sauf le cas d'acceptation de la succession sous bénéfice d'inventaire. »
- Cet article a été renvoyé à la commission.
La commission propose d'effacer dans la troisième ligne, paragraphe 3 de l'article 607 les mots : « dans aucun cas », et d'ajouter un paragraphe qui prendrait place entre le troisième et le quatrième, et qui serait ainsi conçu :« Néanmoins, il pourra être accordé une dernière prolongation d'un an au plus, au débiteur qui justifiera avoir liquidé pendant les sursis précédents au moins 60 p. c. de son passif. »
L'honorable M. Lelièvre propose également d'amender l'article 607. Il demande qu'on termine le paragraphe 5 par les mots « qui ne pourra, du reste, jamais être obtenu après un premier sursis définitif. »
La commission repousse cet amendement.
M. Lelièvre. - En proposant divers amendements, j'ai eu pour but de signaler les lacunes que présentaient le projet du gouvernement et celui de la commission. Mon intention a été de prévenir les difficultés auxquelles le silence de la loi aurait nécessairement donné lieu. C'est ainsi qu'en l'absence de toute disposition contraire, un sursis provisoire n'aurait pu être accordé avant l'obtention d'un second sursis définitif. La commission propose d'établir le système contraire. Je vous avoue, messieurs, que je ne vois pas un grand inconvénient à adopter cette opinion, mais au moins qu'on la formule en termes clairs et positifs de manière à exprimer en termes non équivoques l'intention du législateur.
D'un autre côté, il est entendu que si la cour accorde un nouveau sursis définitif, elle devra tenir compte de la durée du sursis provisoire, de manière que la durée simultanée des sursis définitifs et provisoires ne puisse jamais excéder deux années. C'est cette pensée qui doit être exprimée dans le projet. En conséquence, je propose d'énoncer le paragraphe 3 de l'article 607 en ces termes :
« Le bénéfice des sursis provisoires et définitifs ne pourra dans aucun cas exister pendant plus de deux ans au profit du même débiteur. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Cet amendement explique d'une manière plus claire la pensée de la commission. Il est entendu que dans aucun cas les sursis réunis ne peuvent excéder deux ans.
- La suppression des mots : « dans aucun cas », proposée par la commission, est mise aux voix et prononcée.
L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix et adopté.
Le paragraphe nouveau, proposé par la commission, est mis aux voix et adopté.
L'ensemble de l'article, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.
« Art. 620. En cas de faillite du débiteur, dans les six mois qui suivront l'expiration du sursis, l'époque de cessation de payement, par dérogation à l'article 442, remontera de plein droit au jour de la demande du sursis.
« Indépendamment de la nullité prononcée par l'article 445, sont nuls et sans effet, tous les actes faits par le débiteur, sans l'autorisation des commissaires surveillants, dans les cas où cette autorisation est requise. »
M. Lelièvre propose d'ajouter à cet article une disposition additionnelle ainsi conçue : « Aucun créancier ne pourra, pendant la durée du sursis, acquérir hypothèque judiciaire sur les immeubles du débiteur. »
La commission en propose le rejet ; elle propose on outre, comme paragraphe additionnel à l'article 611, la disposition suivante, destinée à remplacer cet amendement :
« Toutefois, il ne pourra être pris, pendant la durée du sursis provisoire et définitif, aucune inscription hypothécaire sur les immeubles du débiteur en vertu de jugements rendus durant les mêmes périodes. »
M. Lelièvre. - Mon amendement est ainsi conçu :
« Aucun créancier ne pourra, pendant la durée du sursis, acquérir hypothèque judiciaire sur les immeubles du débiteur. »
La commission propose une disposition entièrement identique, les expressions seules sont changées. En effet, l'amendement proposé porte : « Toutefois il ne pourra être pris, pendant la durée du sursis provisoire (page 159) et définitif, aucune inscription hypothécaire sur les immeubles du débiteur en vertu de jugements rendus durant les mêmes périodes. »
M’attachant au fond des choses et non pas aux mots, je n'hésite pas à me rallier au changement qu'on vous propose.
- L'amendement proposé par la commission est adopté comme paragraphe additionnel à l'article 611.
L'article 620 est adopté.
La chambre passe à la discussion sur l'article 621 nouveau, proposé par M. le ministre de la justice, dans les termes suivants :
« Le sursis de payement pourra être accordé aux propriétaires d'établissements industriels qui ne sont pas réputés commerçants par la loi.
« Toutes les dispositions du présent titre sont applicables à ce sursis, à l'exception du premier paragraphe de l'article 620. »
La commission admet à l'unanimité le principe de cet article, mais elle modifie la rédaction du deuxième paragraphe de l'article proposé, en effaçant les mots : « du premier paragraphe », et elle ajoute un paragraphe 3 ainsi conçu:
« Si, à l'expiration de ce sursis, il y a déconfiture ou cession de biens, les hypothèques prises en vertu de jugements rendus pendant sa durée, ainsi que tous les actes faits par le débiteur sans l'autorisation des commissaires-surveillants, dans le cas où cette autorisation est requise, seront nuls et de nul effet. »
M. Lelièvre. - L'amendement proposé par M. le ministre de la justice ne me paraît pas admissible. Le sursis introduit en faveur des négociants est une mesure assez exorbitante pour ne pas l'étendre à des associations purement civiles. Les établissements non commerçants ne méritent pas plus de faveur que les particuliers, et nous n'apercevons cas de motif qui justifie un privilège à leur égard. Ce qui, du reste, démontre, de plus en plus, que l'amendement ne saurait être accueilli, c'est qu'il bouleverse l'ordre des juridictions. Ainsi, tandis que les membres des sociétés dont il s'agit ne relèvent que des tribunaux civils, ce sera le tribunal de commerce qui procédera à leur égard, entendra les créanciers et accordera le sursis provisoire, comme s'il était question de négociants. On étend à des sociétés civiles des règles qui ne sont applicables qu'à des commerçants. C'est là une anomalie que je ne saurais admettre.
A mon avis, d'ailleurs, c'est déjà trop que d'établir la mesure du sursis en faveur des négociants, de sorte que, sous aucun rapport, je ne saurais admettre l'extension qu'on veut introduire par amendement.
Je viens maintenant à mon sous-amendement, que je ne propose que subsidiairement. Je prétends qu'il est impossible de déférer le sursis aux tribunaux de commerce. En effet, les établissements dont il s'agit, constituant des associations purement civiles, ne relèvent que des tribunaux civils ; les tribunaux de commerce ne peuvent par conséquent s'immiscer dans des mesures qui tendent à suspendre l'exécution d'obligations civiles, que la juridiction consulaire ne peut apprécier sans s'ingérer dans un ordre de choses sortant de ses attributions.
Je propose donc la disposition additionnelle suivante à l'article 621 proposé par M. le ministre de la justice :
« Toutefois, les pouvoirs attribués par les dispositions précédentes au tribunal de commerce seront, en ce qui concerne ces établissements, dévolus au tribunal civil de leur situation. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne pensais pas que l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer, et qui a été adopté par la commission avec une modification à laquelle je me rallie, put être sérieusement contesté.
Vous savez, messieurs, que les établissements dont il est question dans cet article sont en réalité des établissements industriels et que si la loi ne les a pas réputés commerçants, c'est parce que les propriétaires de ces établissements exploitent leur propre fonds.
A cela près, ces établissements se livrent à des opérations commerciales de la même manière à peu près que les autres établissements industriels.
Ainsi, messieurs, les grands établissements de houillères qui exploitent leurs propres mines, font le commerce des charbons; il en est de même des établissements de carrières. d'ardoisières et autres. Ne pas accorder des sursis à ces établissements dans les mêmes circonstances où la loi permet d'en accorder aux autres industriels, ce serait les placer souvent dans la position la plus fâcheuse. Les sociétés charbonnières, par exemple, que l'on a eu spécialement en vue en proposant cette disposition, sont presque toujours en rapport avec des usines voisines, avec de grands établissements métallurgiques, auxquels elles livrent des quantités considérables de combustible.
Eh bien! si l'un de ces établissements voisins, qui sont réputés commerciaux, vient à obtenir un sursis, comment voulez-vous que l'établissement houiller qui se trouve à côté et qui est quelquefois le principal créancier, n'obtienne pas un sursis à son tour? Ce serait, dans une foule de circonstances, proclamer et décréter la ruine de cet établissement, que de refuser de l'assimiler à l'établissement industriel auquel ses intérêts sont intimement liés.
Et je dois le dire, messieurs, si la mesure du sursis a été utile dans ces dernières années, c'est principalement aux grands établissements industriels du pays qu'elle a profité. Il y en a plusieurs qui se sont soutenus et qui ont repris aujourd'hui honorablement le cours de leurs affaires, après avoir eu besoin d'un sursis momentané pour traverser les crises financières et politiques que le commerce a eu à subir.
J'insiste donc tout particulièrement avec votre commission pour que vous vouliez bien adopter l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous proposer de concert avec elle.
Sans cette disposition, les bienfaits de la loi actuelle seraient perdus pour les établissements qui sont le plus souvent en droit d'en profiter.
Je dois répondre maintenant à l'objection de l'honorable M. Lelièvre, qui prétend que les tribunaux de commerce devront être déclarés incompétents pour instruire sur les demandes en sursis formées par les établissements industriels auxquels s'applique l'article additionnel que nous discutons.
Messieurs, cette question a été mûrement examinée par votre commission et par le gouvernement, et nous avons pensé que la compétence du tribunal de commerce, qui ne statue pas d'ailleurs sur les sursis qui ne fait qu'instruire sur les demandes, pouvait être admise pour toutes les demandes en sursis, alors même qu'elles seraient formées par des établissements que la loi ne répute pas commerciaux. En voici la raison: c'est que lorsqu'un établissement, du genre de ceux dont je parle, a besoin d'un sursis, généralement il se trouve en rapport avec tous créanciers commerçants. Or, les intérêts mêmes des créanciers avec lesquels ces établissements sont en rapport demandent d'être examinés, pesés et discutés devant le tribunal de commerce. La juridiction consulaire est donc plus propre que la juridiction civile à instruire sur ces sortes de demandes.
Nous avons donc pensé qu'il fallait ici établir une règle uniforme et faire une exception aux principes ordinaires de la compétence en décidant que toute demande quelconque en sursis, alors même qu'elle serait formée par un établissement réputé non commerçant, serait instruite devant les tribunaux de commerce.
J'insiste, messieurs, pour l'adoption de l'article que j'ai proposé avec le nouveau paragraphe formulé par la commission.
M. Lelièvre. - Messieurs, il m'est impossible d'adhérer aux motifs déduits par M. le ministre de la justice. Les sursis constituent une mesure exceptionnelle et exorbitante, dont l'expérience a révélé les graves inconvénients; nous savons combien il est facile d'en abuser; sous ce rapport, loin de l'étendre outre mesure, il faut, au contraire, le restreindre à des cas excessivement rares. Or, si on devait rendre la mesure applicable à des non commerçants, certes, il faudrait se garder de comprendre dans la disposition des établissements industriels comme le3 houillères, et autres de même nature. En effet, on épuise chaque jour la propriété même de la mine que le débiteur peut ainsi facilement soustraire à l'action des créanciers. L'expérience a prouvé que c'est surtout en pareille occurrence que le sursis présente des dangers réels, le débiteur profitant du terme du sursis pour anéantir le gage qui forme le seul espoir de ceux envers lesquels il a contracté des obligations. Mais, messieurs, si l'on devait accorder des sursis à des individus non commerçants, à quel titre les établissements énoncés à l'amendement de M. le ministre jouiraient-ils d'un privilège que mériteraient certes mieux de simples particuliers qui se trouveraient dans un état momentané de gêne? Pour moi, messieurs, je considère le sursis comme portant, en général, atteinte à la foi des contrats, et sous ce rapport je repousse toute extension que l'on voudrait donner aux articles du projet qui me paraît déjà trop large en cette partie.
Mais si, contre mon opinion, vous admettiez la proposition du gouvernement, je persisterais dans mon sous-amendement. Il est impossible de déférer aux tribunaux de commerce la connaissance d'affaires purement civiles, et, quoi qu'on dise M. le ministre de la justice, l'article proposé par lui n'attribue pas seulement au tribunal de commerce l'instruction de l'affaire, ce qui déjà serait intolérable, mais il lui confère même le droit d'accorder un sursis provisoire, c'est-à-dire le pouvoir de suspendre momentanément l'exécution d'obligations purement civiles.
Eh quoi, messieurs, si les établissements industriels en question étaient poursuivis en payement devant la juridiction consulaire, celle-ci devrait se déclarer incompétente, et aujourd'hui, par une innovation bizarre, vous saisiriez cette juridiction du droit de s'occuper d'affaires à l'égard desquelles son incompétence est radicale, vous lui concéderiez le pouvoir d'accorder aux débiteurs et par mesure générale des délais de payement ! C'est, à mon avis, troubler l'ordre des juridictions qui est, comme l'on sait, d'ordre public, et l'on ne peut sanctionner dans nos lois pareille anomalie.
M. Toussaint. - J'appuie, messieurs, la proposition qui vous est faite, de ne pas appliquer le droit d'obtenir des sursis aux établissements non commerçants. J'engage la chambre à ne pas accorder ce décret, dans l'intérêt même de ces établissements. Car j'ai l'expérience, et une expérience assez longue, que la possibilité du sursis, que la crainte du sursis est un obstacle au crédit de la maison à laquelle le sursis peut s'appliquer.
On se place trop au point de vue du débiteur et de la facilité qu'il y a pour lui de surseoir à ses payements. A ce point de vue, tout le monde, commerçants ou non commerçants, trouverait très-commode de ne pas payer ses dettes. Mais que cette suspension de payement s'étende de proche en proche, on arrive à la suspension de la vie civile. Il faut donc y regarder de très près.
Je dis que la crainte du sursis est un obstacle au crédit, et j'en ai autour de moi une multitude d'exemples. J'en ai encore dans ce moment-ci. Je connais des personnes qui ont des propriétés foncières considérables, qui sont au-dessus de leurs affaires et qui n'obtiennent pas de crédit, parce qu'on craint qu'un sursis ne vienne suspendre le payement des (page 160) intérêts et priver celui qui aurait l'imprudence de traiter, de la jouissance du produit de la somme prêtée.
Je dis donc qu'il faut, non pas se mettre uniquement au point de vue du débiteur, mais se mettre au point de vue de la société et se demander s'il y a avantage pour la société à étendre, autant qu'on le propose, la faculté d'accorder des sursis ; or, je dis que, dans l'intérêt de la société, il! faut restreindre cette faculté.
On a dit : Mais il s'agit d'établissements industriels quasi commerciaux qui fournissent à des établissements qui sont réellement commerçants, et qui peuvent obtenir un sursis. Il faut donc qu'ils puissent aussi obtenir un sursis. Mais vous allez augmenter la difficulté ; car pour les créanciers de ces établissements civils auxquels vous voulez accorder le sursis, la difficulté se présente aussi. Ces personnes, ces particuliers à qui la houillère doit, tombent également dans la gêne; et pour être logiques, de proche en proche, vous devrez accorder un sursis à tout le pays. Or, comme je l'ai dit, c'est là la suspension de la vie civile.
Dans l'intérêt de tous, il faut que les liquidations soient promptes. Il faut que toute personne qui pose des actes de la vie civile, commerçante ou non commerçante, sache à quoi elle s'engage et qu'elle agisse en conséquence. Mais ce n'est pas à nous à donner un bill d'indemnité anticipé a toutes les personnes qui se livreront à des opérations mal calculées.
Je m'oppose à l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, qui aurait pour effet, en admettant le principe, d'apporter une modification à la compétence établie. Je m'oppose à toute extension des sursis aux établissements non commerçants, quels qu'ils soient.
M. Bruneau. - L'honorable M. Toussaint vient de faire le procès au principe du sursis, qui est déjà adopté par la chambre, et je pense qu'en cela la chambre a bien fait.
Nous sommes d'accord, messieurs, que le sursis est un malheur; mais je crois que c'est un malheur moins grand que la faillite. Or, dans la question qui nous occupe, il s'agit de savoir s'il vaut mieux avoir un sursis qu'une faillite.
Faut-il étendre la faculté du sursis à des établissements industriels de fait, mais qui ne sont pas rangés par la loi dans la catégorie des établissements industriels?
Je respecte la loi, mais il peut paraître étrange qu'un établissement qui produit du charbon n'est pas considéré comme négociant tandis qu'un établissement qui produit du fer est considéré comme négociant. Dans la vie réelle que se passe-t-il? C'est que ces deux espèces d'établissements subissent au même degré les conséquences des révolutions et des crises industrielles. Les établissements houillers sont même sujets à d'autres vicissitudes encore. Je suppose le cas où une houillère reçoit un coup d'eau; elle est momentanément inondée : il est évident que la société ne peut pas faire face à ses engagements, bien que son avoir soit puisque suffisant pour couvrir ses dettes; il y aura déconfiture et il pourra être pris certains arrangements qui favoriseront quelques créanciers au détriment des autres. Il me semble qu'il est bien préférable que la loi mette tous les créanciers sur la même ligne en permettant d'accorder un sursis qui ne diminue en rien l'actif, mais qui laisse au débiteur le temps de réaliser convenablement cet actif et de payer ses créanciers.
L'honorable M. Lelièvre dit : « Laissez au moins subsister la juridiction. » M. le ministre de la justice a déjà fait observer que la juridiction n’est pas changée; en effet, les tribunaux de commerce ne font qu'une instruction, et ils la font parce qu'ils sont le plus à même de connaître la situation du débiteur et des créanciers, mais c'est la cour d'appel qui statue, la cour d’appel juge naturel de tous les particuliers, des établissements civils comme des établissements commerciaux.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. de Theux. - Je demande le renvoi à demain.
M. Lebeau. - C'est un amendement; il sera soumis à un second vote.
M. Coomans. - L'article est trop important pour être voté par une chambre qui n'est pas en nombre.
- Des membres. - On est en nombre.
- D'autres membres . - L'appel nominal !
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'article de la commission.
51 membres seulement sont présents.
En conséquence, il n'y a pas de résolution.
M. Le Hon. - Messieurs, je regrette que l'appel nominal ait été provoqué par quelques-uns de nos honorables collègues, et ait eu pour effet de constater que la chambre n'était pas en nombre à 5 heures moins un quart. Il ne faut pas cependant que le pays ignore que plus de quatre-vingts membres ont été présents pendant presque toute la séance.
Il est plus de 4 heures et demie, et plusieurs de nos honorables collègues qui viennent de sortir, ont pu croire qu'il n'y aurait plus de vote aujourd'hui.
M. de Theux. - Ce qu'il y avait de mieux à faire, c'était de remettre le vote à demain ; mais il est évident que, dans aucune circonstance, la chambre ne peut émettre un vote, si elle n'est pas en nombre. C'est là un principe constitutionnel qui n'admet pas d'exception.
- La séance est levée à 5 heures moins dix minutes.