(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 128) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à deux heures et quart.
- La séance est ouverte. ;
M. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Luesemans communique l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Tits demande qu'il soit interdit à un vérificateur de deuxième classe de l'enregistrement et des domaines, à St-Trond, de cumuler ses fonctions avec celles d'agent d'une compagnie d'assurances générales contre les risques d'incendie et sur la vie. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vande Voorde, commissaire de police de la ville d'Alost, demande une indemnité du chef des fonctions de ministère public qu'il remplit près le tribunal de simple police. »
- Même renvoi.
« Le sieur Van Bauwel, commissaire de police à Turnhout, demande que sa juridiction soit étendue à toutes les communes du canton, et qu'il lui soit accordé une indemnité du chef de surcroit de travail que lui occasionnent ses fonctions de ministère public près le tribunal de simple police. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport, sur la demande de M. Dubus.
M. le président. - M. le rapporteur a la parole pour présenter le rapport sur les amendements renvoyés à la commission.
M. Tesch, rapporteur. - La commission n'a pas complètement terminé son travail ; le rapport ne pourra être présenté que demain ou après-demain.
M. le président. - La chambre en était restée au titre IV, Des sursis de payement.
« Art. 599. Le sursis de payement n'est accordé qu'au commerçant qui, par suite d'événements extraordinaires et imprévus, est contraint de cesser temporairement ses payements, mais qui, d'après son bilan dûment vérifié, a des biens ou moyens suffisants pour satisfaire tous ses créanciers en principal et intérêts.
« En cas de décès d'un commerçant, le sursis au payement de ses dettes pourra être accordé à ses héritiers bénéficiaires, pour les causes et dans les conditions déterminées au paragraphe précédent. »
M. Coomans. - Messieurs, j'attendais que des jurisconsultes plus habiles que moi soulevassent la question de savoir s'il convient d'admettre dans notre législation le principe des sursis. Voyant que personne ne demande la parole, je crois devoir appeler l'attention de la chambre sur ce principe, sur cette innovation que je trouve d'autant plus grave qu'elle sort du droit commun.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur la concession du sursis. Je ne puis toucher sommairement qu'à quelques points. C'est, prétend-on, dans l'intérêt du commerce qu'elle a lieu; il semble au contraire que le sursis est anti-commercial et destructif du crédit. La prévision des sursis diminue naturellement le crédit de tous les négociants, en affaiblissant les gages des créanciers.
Voilà quant au commerce.
Quant au droit commun, il est assez étrange que l'autorité intervienne dans des affaires civiles pour rompre, pour modifier, ou du moins ajourner l'exécution d'engagements civils.
Il y a aussi quelque injustice à accorder le sursis, malgré la volonté des créanciers, quand ceux-ci pourraient en devenir victimes. Les gros créanciers, qui ne sont pas gênés, qui peuvent attendre, accorderont la plupart du temps le sursis; mais les petits créanciers, qui ont besoin de la rentrée de leurs fonds et peuvent être menacés de tomber en déconfiture faute de recevoir les valeurs qu'ils attendent à jour fixe, éprouvent un dommage injuste. On dit que le nombre décidera. Mais en matière de justice, les questions de majorités sont d'une nature fort équivoque. Le nombre ne saurait prévaloir contre le droit.
Je voudrais que le principe des sursis fût consacré au moins avec les restrictions suivantes, d'abord que les sursis ne fussent accordés que pour un temps assez restreint, six mois par exemple ; ensuite qu'ils ne fussent pas prolongés, à moins que tous les créanciers n'y consentissent.
Enfin n'y aurait-il pas moyen, dans le cas où la majorité des créanciers voudrait accorder le sursis, qu'ils fussent forcés d'indemniser les créanciers opposants? Si la majorité des créanciers trouve le failli tellement solvable qu'il n'y a pas de dommages à craindre, n'est-il pas équitable qu'ils indemnisent ceux qui n'auront pas eu la même confiance dans le failli?
J'ajouterai que presque tous les négociants sérieux blâment le sursis, et que si le sursis était bon en matière de commerce, il n'y aurait pas de raison pour ne pas l'étendre à toutes les catégories de citoyens.
Je me borne à ces observations qui ont surtout pour but d'appeler l'attention de la chambre sur le principe en discussion.
M. Tesch, rapporteur. - Je répondrai, eu quelques mots, aux observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Coomans. Comme la discussion ne paraît pas devoir s'étendre, pour le moment, au-delà des objections qu'il a faites, je me bornerai à y répondre.
L'honorable M. Coomans dit d'abord que le sursis est anti-commercial. Cela me paraît tant soit peu paradoxal. Je ne vois pas en quoi le sursis serait plus anti-commercial que le concordat.
M. Coomans. - La plupart des commerçants repoussent les sursis.
M. Tesch. - C'est qu'ils sont frappés des abus qui ont eu lieu sous une législation vicieuse. Il y a réaction contre les sursis, en raison de l'abus exagéré qu'on a fait du principe.
Pour en revenir au premier argument de l'honorable membre, il prétend que le sursis est anti-commercial. Mais je suppose que vous n'ayez pas les sursis, qu'aurez-vous? Vous aurez la faillite. C'est évident.
Eh bien, si vous avez la faillite, la même majorité réclamée par la disposition qui vous est présentée, la majorité en nombre représentant les trois quarts des créances imposera à la minorité, sous la forme de concordat, des conditions plus dures peut-être que celles qui auront été offertes par voie de sursis.
Vous dites que le sursis est contraire au droit commun. Vous ne voyez pas pourquoi l'autorité s'immisce dans les affaires privées. Mais vous avez dans le Code civil un article qui permet aux tribunaux d'accorder des délais en matière civile. Nous étendons aux matières commerciales ce principe qui est de droit commun.
M. Coomans. - C'est exorbitant.
M. Tesch. - C'est l'opinion de l'honorable membre. Il ne s'ensuit pas que tout le monde soit de cet avis.
Je dis qu'il est juste, légitime, lorsqu'un homme est surpris par des événements extraordinaires, par des circonstances qu'une prudence ordinaire ne peut prévoir, que la législation lui tende une main secourable.
M. Coomans. - Evidemment il y a eu abus.
M. Tesch. - Je ne puis discuter avec l'honorable membre les inconvénients d'une législation vicieuse, je le répète, et que nous sommes occupés à réviser précisément en raison de ses imperfections, des abus auxquels elle a donné lieu.
Discutons le principe. Je suis prêt à suivre l'honorable membre sur ce terrain. Discutons les garanties dont la législation proposée entoure les sursis. Je déclare qu'elles sont suffisantes. Mais alors que le gouvernement accordait des sursis, sans être obligé de suivre l'avis des créanciers, alors qu'il pouvait dispenser de la surveillance de commissaires la personne qui avait obtenu un sursis, évidemment il a dû y avoir des abus, qui, après l'adoption du projet, ne pourront se reproduire.
Enfin, l'honorable M. Coomans nous a dit qu'ici la question de majorité ne prouve pas grand-chose, que les petits créanciers seront sans influence. Il oublie que la majorité en nombre des créanciers est indispensable, que la majorité en nombre a été introduite dans la législation pour sauvegarder les droits des petits créanciers.
D'un autre côté, la majorité en somme devra être des trois quarts. Je le demande, cette proportion n'est-elle pas suffisante pour donner une garantie à tous les intérêts?
L'honorable M. Coomans voudrait un nouveau système de sursis, le sursis pour six mois. C'est-à-dire qu'à peine le sursis aura été accordé, qu'il sera expiré. Or, je demande si une liquidation est possible endéans six mois, alors que le plus souvent les événements qui auront été la cause de la demande de sursis, pourront durer pendant plus de six mois. Nous en avons eu un exemple très récent à propos des événements de 1848, par suite desquels les affaires n'ont pas encore repris aujourd'hui.
On demande s'il n'y aurait pas moyen de forcer les créanciers qui accordent le sursis d'indemniser ceux qui n'y consentent pas. Je doute qu'une semblable disposition puisse jamais être acceptée, et je trouve qu'elle serait déraisonnable. Il se peut très bien qu'on soit dans le cas d'attendre pour sa propre créance, sans que pour cela on ait assez d'argent pour payer les créances d'autrui.
Ce sont là toutes les objections qui ont été faites. Je crois les avoir rencontrées. J'attendrai celles qui pourraient se produire ultérieurement.
- L'article 599 est mis aux voix et adopté.
« Art. 600. Le débiteur s'adressera par requête simultanément au tribunal de commerce dans l'arrondissement duquel il est domicilié et à ta cour d'appel du ressort.
(page 129) Il joindra à sa requête :
« 1° l’exposé des événements sur lesquels il fonde sa démarche ;
« 2° l’état détaillé et estimatif de son actif et de son passif ;
« 3° la liste nominative de ses créanciers, avec l’indication de leur domicile et du montant de leurs créances.
« La requête adressée à la cour d'appel sera communiquée par le premier président au procureur général ; elle devra être signée par un avoué près de cette cour. »
- Adopté.
« Art. 601. La requête adressée au tribunal de commerce sera remise au greffier, qui en donnera récépissé sans en dresser acte de dépôt.
« Sur cette requête, le président fixera les lieu, jour et heure auxquels, dans la quinzaine, les créanciers seront convoqués, et il indiquera les journaux dans lesquels, outre le Moniteur belge, la convocation sera insérée.
« Le tribunal, convoqué, s'il y a lieu, extraordinairement, nommera un ou plusieurs experts, qui procéderont à la vérification de l'état des affaires du débiteur, et commettra un de ses juges pour en surveiller les opérations.
« Le tribunal pourra, soit immédiatement, soit dans le cours de l'instruction, accorder au débiteur un sursis provisoire. »
- Adopté.
« Art. 602. Les créanciers seront individuellement convoqués par le juge-commissaire et par lettres recommandées et remises au bureau des postes huit jours au moins avant celui qui aura été fixé pour la réunion; la convocation sera, en outre, insérée à trois reprises différentes dans le Moniteur belge, ainsi que dans les journaux désignés par le juge-commissaire.
« Un exemplaire des journaux dans lesquels la convocation aura été insérée, sera déposé au greffe avant la réunion des créanciers.
« Le débiteur déposera la somme présumée nécessaire pour couvrir les frais de ces convocations et insertions entre les mains du greffier par les soins duquel elles seront faites. »
- Adopté.
« Art. 603. Au jour indiqué, le juge-commissaire fera son rapport au tribunal en présence des créanciers ou de leurs fondes de pouvoirs.
« Les créanciers ou leurs fondés de pouvoirs seront entendus contradictoirement avec le débiteur; ils déclareront individuellement le montant de leurs créances et s'ils adhèrent ou n'adhèrent pas à la demande.
« Il sera dressé du tout un procès-verbal détaillé, auquel seront annexées les pièces qui auraient été produites tant par les créanciers que par les débiteurs.
« Le tribunal y joindra son avis motivé. »
- Adopté.
« Art. 604. Lorsque, en vertu de la disposition de l'article 399, le tribunal accordera un sursis provisoire, il nommera un ou plusieurs commissaires chargés de surveiller et de contrôler les opérations du débiteur pendant toute sa durée.
M. Tesch, rapporteur. — Messieurs, le chiffre 599 qui se trouve dans cet article doit être remplacé par celui de 601.
Je proposerai ensuite de substituer aux mots : « pendant toute sa durée » ceux-ci : « pendant toute la durée de ce sursis. » Le mot « sa » qui se rapporte à « sursis », s'en trouve trop éloigné.
- L'article est adopté avec les modifications proposées par M. Tesch.
« Art. 605. L'avis du tribunal, ainsi que toutes les pièces relatives à la demande, seront transmis, dans les trois jours, au procureur général près la cour d'appel du ressort, qui les soumettra, avec ses conclusions, au premier président ; celui-ci commettra un conseiller, sur le rapport duquel la cour statuera dans la huitaine de la réception des pièces. »
M. Dumortier. - Je ne vois pas, messieurs, dans cet article, que les créanciers opposants au sursis seront entendus. Cependant il me semble juste qu'on les entende, car, ainsi qu'on l'a dit, le sursis est une chose extrêmement grave: presque toujours quand un négociant demande un sursis et qu'il se trouve dans les conditions déterminées par la loi, il ne lui reste souvent, pour tout avoir, que l'avoir de ses créanciers. C'est donc la fortune des créanciers qui est ici en jeu, beaucoup plus la plupart du temps, que celle du failli lui-même.
Souvent, messieurs, les sursis se prolongent indéfiniment par des renouvellements successifs; il est tel sursis en Belgique qui dure depuis dix ans.
M. Tesch, rapporteur. - Ce ne sera plus possible.
M. Dumortier. - Le sursis pourra encore durer pendant 2 ans. Eh bien, tel commerçant, créancier de la personne qui a obtenu un sursis, pourrait se trouver lui-même en état de faillite, faute de pouvoir rentrer dans ses fonds, car il y a une grande différence entre le sursis et le concordat, c'est que celui qui a obtenu le sursis ne liquide pas.
Il me semble donc, messieurs, qu'il est désirable que les créanciers qui s'opposent au sursis puissent être entendus devant la cour d'appel, s'ils le désirent. C'est ici une lutte entre le débiteur d'une part, et ceux qui s'opposent au sursis d'autre part; il faut donc que ces derniers soient entendus comme le débiteur lui-même est entendu.
M. Tesch, rapporteur. - Messieurs, la commission et le gouvernement, je pense, n'entendent nullement contester aux créanciers le droit de se faire entendre devant la cour d'appel; il leur sera libre de s'y faire représenter, de produire leurs raisons et de discuter les motifs allégués à l'appui de la demande de sursis. Après cela, la cour statuera.
Voilà, messieurs, comment nous avons entendu l'article, et je pense que le gouvernement l'a entendu de la môme manière.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, évidemment les créanciers conservent le droit de produire devant la cour d'appel tels mémoires ou requêtes qu'ils jugeront convenables; mais le plus souvent ils n'en feront rien, parce que tout aura été fait devant le tribunal de commerce où l'instruction doit être complétée, en vertu des articles 602 et 603 du projet.
M. Lelièvre. - Aux termes de l'article 603, les créanciers sont entendus en première instance, devant le juge-commissaire. Le projet est muet sur la question de savoir si l'instruction sera contradictoire en appel; en conséquence, si l'on autorise les créanciers à intervenir en appel, il est essentiel que la loi renferme une disposition expresse à cet égard; sans cela, on prétendra avec quelque raison que, d'après la teneur du projet, il n'y a pas lieu à les entendre.
M. Tesch, rapporteur. - Messieurs, il faut faire une distinction entre l'obligation d'entendre les créanciers en appel et la faculté qui' leur est laissée de se faire représenter, et de produire à la cour leurs observations ou les raisons de leur opposition au concordat. Nous ne voulons pas dire que nécessairement la cour d'appel devra entendre les créanciers; mais par notre silence, nous leur laissons la faculté de constituer un avoué qui défendra leurs intérêts.
M. Dolez. - Messieurs, je crois également qu'il importe que les créanciers puissent être entendus en appel ; mais je ne crois pas que cette faculté doive aller jusqu'à autoriser de véritables plaidoiries devant la cour ; telle n'est pas sans doute la pensée de la commission. Qu'on autorise les créanciers à produire des mémoires, des requêtes signées d'un avoué, je le conçois ; mais qu'on fasse un véritable procès, avec instruction, plaidoiries sur une demande de sursis, non seulement je. ne les comprends pas, mais cela ferait naître des abus qu'il importe de prévenir. Nos cours sont déjà surchargées de travaux, et si vous leur donniez des débats publics pour de pareilles discussions, elles n'en finiraient pas.
Je demande que l'observation faite par M. Dumortier soit déférée à la commission, pour nous présenter une rédaction à cet égard.
M. le président. - Voici l'amendement qui vient d'être déposé par M. Dumortier :
« Les créanciers opposés au sursis pourront s'adressera la cour par voie de requête dans le délai précité, sans que cette opposition puisse retarder la décision de la cour. »
- L'amendement est appuyé.
La chambre le renvoie à l'examen de la commission ; elle tient en réserve l'article 605.
« Art. 606. La cour ne peut accorder de sursis, alors même que l'actif suffira pour couvrir le passif, que si la majorité des créanciers représentant par leurs créances les trois quarts de toutes les sommes dues, ont adhéré expressément à la demande.
« Les majorités du nombre des créanciers et des créances s'établiront sans compter les créances et les personnes des créanciers non comparants, dont la résidence à l'étranger serait trop éloignée du lieu de la réunion pour qu'ils aient pu s'y rendre ou s'y faire représenter au jour fixé.
« Ne compteront pas non plus les créances déclarées privilégiées par l'article 612, ni les personnes auxquelles ces créances sont dues. »
- Adopté.
« Art. 607. La cour, en accordant un sursis, en fixe la durée, qui ne pourra excéder douze mois.
« Elle nommera un ou plusieurs commissaires chargés de surveiller et de contrôler les opérations du débiteur pendant toute la durée du sursis.
« Le sursis peut être prolongé. Aucune prolongation ne sera accordée pour plus de douze mois. Le bénéfice du sursis ne pourra, dans aucun cas, exister pendant plus de deux ans au profit du même débiteur.
« Toute prolongation du sursis devra être précédée d'une information faite de la manière prescrite par les articles 600 et suivants.
« Le rejet de la demande emporte, de plein droit, révocation du sursis provisoire.
« Le bénéfice du sursis ne passe pas aux héritiers du débiteur auquel il a été accordé, sauf le cas d'acceptation de la succession sous bénéfice d'inventaire. »
M. Dolez. - Le projet de la commission introduit une amélioration réelle dans le régime des sursis, en prenant des mesures pour qu'on ne puisse pas les rendre perpétuels en déclarant que le régime du sursis ne peut exister plus de deux ans au profit du même débiteur.
Cependant je pense que la disposition telle qu’elle est formulée a un caractère trop absolu qui pourrait aller contre l'intérêt de tous les créanciers. Si, après deux années, un débiteur qui a obtenu un sursis n'a rien fait ou n'a fait que très peu de chose pour la liquidation de ses dettes, il me paraît légitime de lui refuser radicalement la continuation du bénéfice du sursis; mais il serait injuste de mettre sur la même ligne le débiteur qui serait parvenu à liquider une grande partie de son passif. Je pense qu'il conviendrait d'introduire dans la disposition une exception en faveur du débiteur qui aurait, après les deux ans, déjà distribue à ses créanciers un minimum de 50 p. c. de leurs créances.
Je demanderai le renvoi de l'article 607 à la commission, afin d'y (page 130) comprendre la pensée que je viens d'exprimer, si tant est que la commission l’adopte et que la chambre l'approuve.
J'ai encore une remarque à faire; la disposition dont je viens d'entretenir la chambre s'appliquera-t-elle aux débiteurs qui sont en ce moment en état de sursis, ou seulement au sursis à accorder à l'avenir? Je pense que c'est seulement dans ce dernier sens que la disposition doit être entendue; sans cela, vous imprimeriez un véritable caractère rétroactif à votre loi.
Je demanderai à M. le rapporteur et à M. le ministre de la justice une explication catégorique qui lève toute espèce d'incertitude à cet égard.
M. le président. - Un amendement a été déposé par M. Lelièvre.
- M. le président donne lecture de cet amendement.
M. Lelièvre. - Cet amendement est renvoyé à la commission.
M. Tesch. - Je demande la parole pour répondre à la dernière partie des observations de M. Dolez relativement à l'interprétation de l'article 607. Dans mon opinion, tous ceux qui sont en possession d'un sursis pourront encore en obtenir la prolongation pendant deux années ; mais le renouvellement devra être accordé avec les formalités tracées et avec les garanties introduites par la nouvelle loi.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - J'adhère entièrement aux explications de l'honorable rapporteur, qui ne sont que la consécration du principe de la non rétroactivité des lois. Je pense que la loi nouvelle ne pourra jamais être appliquée aux sursis actuellement existants.
- Le renvoi à la commission de l'article 607 et des amendements qui s'y rattachent est ordonné.
« Art. 608. Le jugement qui aura accordé un sursis provisoire ou l'arrêt qui aura accordé un sursis définitif ou une prolongation de sursis, sera, à la diligence des commissaires surveillants, et dans le trois jours de sa date, affiché dans l'auditoire du tribunal de commerce et publié dans le Moniteur belge, et dans les journaux désignés par le président, en vertu de l'article 601.
- Adopté.
« Art. 609. Les experts vérificateurs et les commissaires surveillants sont choisis parmi les personnes domiciliées dans l'arrondissement et qui, dans le cours de leur carrière, ont donné des preuves d'activité, de délicatesse et de désintéressement.
« Avant d'entrer en fonctions, les experts vérificateurs prêteront, entre le mains des juges-commissaires, le serment de bien et fidèlement remplir leur mission.
« Les commissaires surveillants prêteront le même serment entre les mains du président du tribunal de commerce.
« Leurs honoraires seront taxés par le tribunal de commerce, d'après la nature et l'importance des affaires du débiteur, ils seront, ainsi que les déboursés, payés par privilège.
« Les créanciers du débiteur, qui auront été nommés commissaires, n'auront pas droit à des honoraires. »
- Adopté.
« Art. 610. Le payement des créances existant au moment de la demande ne peut être fait, pendant la durée du sursis, qu'à tous les créanciers proportionnellement à leurs créances.
« Le débiteur ne pourra, sans l'autorisation des commissaires surveillants, aliéner, engager ou hypothéquer ses biens, meubles ou immeubles, plaider, transiger, emprunter, recevoir aucune somme, faire aucun payement, ni se livrer à aucun acte d'administration. »
M. Tesch, rapporteur. - La commission, d'accord avec le gouvernement, propose à cet article un paragraphe additionnel ainsi conçu :
« Lorsqu'il y aura des créances contestées, il sera procédé conformément à l'article 566 du présent Code. »
- L'article 610 avec l'amendement est adopté.
« Art. 611. Pendant la durée du sursis, aucune voie d'exécution ne peut être employée contre la personne ou les biens du failli. La contrainte par corps ou les saisies pratiquées avant le sursis demeureront en état, mais le tribunal pourra, selon les circonstances, en accorder mainlevée après avoir entendu le débiteur, le créancier et les commissaires surveillants.
« Le sursis ne suspend pas le cours des actions intentées ni l'exercice d'actions nouvelles contre le débiteur, à moins que ces actions n'aient pour objet la demande de payement d'une créance non contestée. »
M. Tesch, rapporteur. - Je propose de substituer, à la troisième ligne, au mot « failli » le mot « débiteur ».
- L'article 611 ainsi amendé est adopté.
« Art. 612. Le sursis ne s'applique qu'aux engagements contractés antérieurement à son obtention. Il ne profite point aux codébiteurs, ni aux cautions qui ont renoncé au bénéfice de discussion. Il est sans effet relativement:
« 1° Aux impôts et autres charges publiques, ainsi qu'aux contributions pour les digues et polders ;
« 2° Aux créances garanties par des privilèges, hypothèques ou nantissements;
« 3° Aux créances dues à titre d'aliments;
« 4°'Aux fournitures de subsistances faites au débiteur et à sa famille, pendant les six mois qui ont précède le sursis.
M. Coomans. - Il est dit, dans le remarquable rapport de l'honorable M. Tesch, que, « parmi les créances reprises sous le n° 2 il faut comprendre les salaires d'ouvriers. » Si la commission et le gouvernement l'entendent ainsi, je n'ai pas d'observations à faire.
M. Tesch, rapporteur. - Dans la loi sur les faillites, nous avons déclaré que ces créances sont privilégiées. Elles sont donc dans la catégorie des créances garanties par des privilèges, dont il est question au n°2.
C'est, du reste, pour qu'il n'y ait aucun doute à cet égard que la commission l'a dit dans le rapport.
- L'article 612 est adopté.
« Art. 613. Les créanciers hypothécaires ou privilégiés ne pourront, pendant la durée du sursis, faire procéder à la saisie ou à la vente des immeubles et de leurs accessoires nécessaires à l'exercice de la profession ou de l'industrie du débiteur, pourvu que les intérêts courants des créances garanties soient exactement payés. »
- Adopté.
« Art. 614. La révocation du sursis pourra être demandée par un ou plusieurs créanciers ou par les commissaires surveillants, si le débiteur s'est rendu coupable de dol ou de mauvaise foi, s'il a contrevenu à l'article 610, ou s'il apparaît que son actif n'offre plus de ressources suffisantes pour payer intégralement toutes ses dettes.
« La demande de révocation sera adressée au tribunal de commerce, qui, après avoir entendu le débiteur, statuera, s'il s'agit d'un sursis provisoire, ou émettra son avis, s'il s'agit d'un sursis définitif.
« Tout arrêt ou jugement portant révocation de sursis, sera publié et affiché de la manière et dans les lieux prescrits par l'article 608. »
- Adopté.
« Art. 615. Tout retrait d'une demande de sursis sera adressé tant à la cour d'appel qu'au tribunal de commerce.
« Il en sera donné acte sur la production de la preuve qu'un avis annonçant la demande du retrait, a été publié préalablement dans la forme prescrite par l'article 601.
- Adopté.
« Art. 616. Le jugement qui aura accordé, refusé ou révoqué un sursis provisoire, ne sera susceptible ni d'opposition, ni d'appel.
« Le débiteur pourra toutefois former opposition au jugement portant révocation du sursis provisoire, si, par suite d'un empêchement légitime, il n'a pas été entendu.
« Les arrêts rendus en matière de sursis pourront être déférés à la cour de cassation. »
- Adopté.
« Art. 617. Tous actes, pièces ou documents tendant à éclairer la religion du tribunal et de la cour d'appel, sur les demandes de sursis, pourront être produits et déposés par le débiteur, les créanciers ou les commissaires surveillants, sans qu'il soit nécessaire de les faire revêtir préalablement de la formalité du timbre ou de l'enregistrement.
« Seront enregistrés au droit fixe de 3 francs, les jugements portant concession, prorogation ou révocation de sursis provisoires. »
- Adopté.
« Art. 618. Le débiteur sera puni de la même peine que le banqueroutier simple :
« 1° Si, pour déterminer ou faciliter la délivrance du sursis, il a, de quelque manière que ce soit, volontairement dissimulé une partie de son passif ou exagéré son actif ;
« 2° S'il a fait ou laissé intervenir aux délibérations relatives à la demande de sursis un ou plusieurs créanciers supposés, ou dont les créances, à raison desquelles ils ont pris part aux délibérations, ont été exagérées. »
- Adopté.
« Art. 619. Seront punis de la même peine ceux qui, sans être créanciers, auraient pris part aux délibérations relatives à la demande de sursis, ou qui, étant créanciers, auraient frauduleusement exagéré les créances à raison desquelles ils ont concouru à ces délibérations. »
- Adopté.
« Art. 620. En cas de faillite du débiteur, dans les six mois qui suivront l'expiration du sursis, l'époque de cessation de payement, par dérogation à l'article 442, remontera de plein droit au jour de la demande du sursis.
« Indépendamment de la nullité prononcée par l'article 445, sont nuls et sans effet, tous les actes faits par le débiteur, sans l'autorisation des commissaires surveillants, dans les cas où cette autorisation est requise. »
M. Lelièvre. - Je propose à cet article un amendement ainsi conçu :
« Art. 420. Aucun créancier ne pourra, pendant la durée du sursis, acquérir hypothèque judiciaire sur les immeubles du débiteur. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Ce n'est pas sur l'amendement de l'honorable M. Lelièvre que j'ai demandé la parole. C'est pour présenter, au nom du gouvernement, un amendement qui formerait l'article 621, lequel serait placé immédiatement avant la disposition transitoire.
Cet amendement, sur lequel je me suis mis d'accord avec la commission à laquelle il a été communiqué, est ainsi conçu :
« Le sursis de payement pourra être accordé aux propriétaires d'établissements industriels qui ne sont pas réputés commerçants par la loi.
« Toutes les dispositions du présent titre sont applicables à ce sursis, à l'exception du paragraphe premier de l'article 620. »
(page 131) La chambre comprendra quel est le but de cet amendement. Il s’applique surtout aux propriétaires des grands établissements de mines, houillères et carrières, qui ne sont pas considérés comme commerçants d'après la loi et qui doivent être admis à la faveur du sursis, puisqu'ils sont principalement en rapport avec d'autres établissements métallurgiques ou industriels qui peuvent obtenir cette faveur.
Je demande, au surplus, le renvoi de l'article nouveau à la commission.
- La chambre renvoie à la commission l'article 620, l'amendement qu’y a proposé M. Lelièvre et l'article 621 nouveau présenté par M. le ministre de la justice.
« Les faillites déclarées antérieurement à la publication de la présente loi continueront à être régies par les anciennes dispositions du Code du commerce, sauf en ce qui concerne la réhabilitation et l'application de l'art. 559.
« Les demandes de «sursis sur lesquelles les cours d'appel n'auront pas émis leur avis à la même époque, seront instruites et décidées conformément aux dispositions nouvelles. »
- Adopté.
« Art. 69. Tout époux, séparé de biens ou marié sous le régime dotal, qui embrassait la profession de commerçant postérieurement à son mariage, sera tenu de faire pareille remise dans le mois du jour où il aura ouvert son commerce ; à défaut de cette remise, il pourra être, en cas de faillite, considéré comme banqueroutier simple. »
- Adopté.
« Art. 635. Les tribunaux de commerce connaîtront de tout ce qui concerne les faillites, conformément à ce qui est prescrit au livre III du présent Code. »
- Adopté.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, deux articles n'ont été réservés que parce qu'on ne voulait rien préjuger sur le principe relatif aux sursis; ce sont les articles 439 et 474. Je demande que la chambre veuille bien les voter.
- Cette proposition est adoptée.
« Art. 439. Les demandes de sursis seront formées, et il y sera statué conformément aux dispositions du titre IV ci-après. »
- Adopté.
« Art. 474. Si un débiteur, en faisant l'aveu de sa faillite, a déclaré que son actif est plus que suffisant pour payer toutes ses dettes, et s'il a demandé un sursis, le tribunal de commerce, sans arrêter la marche de la faillite, pourra ordonner la vérification immédiate de l'état de ses affaires par un ou plusieurs experts; et si, d'après le résultat de cette vérification, il reconnaît que l'actif du débiteur dépasse réellement son passif, il ordonnera la convocation immédiate des créanciers, et il sera procédé comme il est dit au titre IV. »
- Adopté.
M. le président. - Il ne reste plus à discuter que les articles sur lesquels il y a des amendements et qui sont renvoyés à l'examen de la commission.
A quel jour peut-on fixer la continuation de cette discussion?
M. Tesch, rapporteur. - Je pense qu'on peut la fixer à samedi; à lundi au plus tard.
M. Lelièvre. - Il vaudrait mieux remettre la suite de la discussion à lundi. Il n'est pas certain que le rapport sera prêt samedi.
M. Allard. - Je propose de ne fixer le jour de la reprise de la discussion que lorsque le rapport sera déposé.
- Cette proposition est adoptée.
M. Liefmans, rapporteur. - « Par pétition sans date, quelques habitants de la ville de Huy demandent que la garde civique soit divisée en deux bans. »
« Même demande de quelques habitants de Louvain. »
« Un grand nombre d'habitants de la ville de Roulers demandent que la garde civique soit divisée en deux bans, et que le premier ban, composé de célibataires et de veufs sans enfants, soit seul astreint, en temps de paix, aux obligations imposées par la loi sur la garde civique. »
« Plusieurs habitants de Louvain demandent que les hommes mariés et ceux qui sont âgés de plus de 35 ans soient exemptés du service du la garde civique. »
Messieurs, par différentes pétitions adressées à la chambre par plusieurs habitants de la ville de Louvain, pétitions conçues dans des termes plus ou moins inconvenants, on demande que la garde civique soit divisée en deux bans.
Un grand nombre d'habitants de Roulers et quelques personnes de la ville de Huy forment la même demande.
Les habitants de la ville de Huy n'invoquent aucune considération en faveur de leur demande.
Ceux de Roulers désirent que le premier ban, composé de célibataires et de veufs sans enfants, âgés de moins de 35 ans, soit seul tenu de se procurer l'uniforme et de faire le service actif en temps ordinaire. Ils font observer que les pères de famille doivent se livrer constamment aux soins de leur négoce ou de leur travail, et que, pour plusieurs d'entre eux, les dépenses occasionnées pour l'habillement forment une charge bien lourde.
Ils ajoutent à ces considérations, que l'on peut regarder comme étant celles de l'intérêt particulier, le montant des dépenses dans lesquelles l'Etat se trouve entraîné pour l'acquisition des armes et de l'équipement nécessaires. Ces dépenses nécessiteront, d'après les pétitionnaires, des sacrifices nouveaux à supporter par les communes, qui sont tellement obérées qu'elles ne peuvent même pas suffire à l'entretien de leurs indigents.
Votre commission a cru, messieurs, qu'elle ne pouvait pas, en connaissance de cause, se prononcer sur le mérite des observations avancées par les réclamants, que le gouvernement était mieux à même de juger du mérite de la demande, et c'est pour cette raison que votre commission a l'honneur de proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
M. Rodenbach. - Je demande la parole pour appuyer la pétition des habitants de Roulers.
Ils vous signalent une grande vérité, c'est que les frais d'habillement constituent pour les gardes civiques une charge très lourde, alors surtout qu'ils viennent après plusieurs années d'un grand malaise.
Je sais qu'il y a aujourd'hui de l'amélioration dans la situation des populations de cette contrée; mais on ne doit pas oublier que les bureaux de bienfaisance se sont endettés et que les trois quarts des notables ont fait d'immenses sacrifices.
A mon avis, les hommes mariés ne devraient, dans aucun cas, faire partie de la garde civique. Au lieu de se livrer à des exercices, il serait plus utile qu'ils s'occupassent de leur commerce et de l'entretien de leur famille. A cet égard, je crois être l'organe fidèle de l'opinion de tout le district de Roulers.
- Le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur est ordonné.
M. Liefmans, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 29 avril 1849, le sieur Jacquemin, ancien militaire, décoré de la croix de fer, prie la chambre de lui accorder une pension civique.»
Par pétition datée de Bruxelles, le 29 avril 1849, le sieur Jacquemin, ancien militaire, décoré de la croix de fer, prie la chambre de lui accorder une pension civique. Il invoque à l'appui de sa demande les services qu'il a rendus, en sa qualité de soldat au 65ème de ligne, pendant la campagne de Russie, ainsi que la conduite qu'il a tenue lors des événements de 1830. En France, il obtint la croix de juillet, pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet. En Belgique, des actes de bravoure lui valurent la croix de fer.
Aujourd'hui, il se trouve dans le besoin. Il a cependant obtenu une pension de cent francs, dont il jouit encore en ce moment, à ce qu'il paraît. Mais, atteint d'une maladie chronique, il se voit dans l'impossibilité de se livrer à un travail quelconque. La pension ne suffit pas à ses besoins. Aussi passe-t-il sa vie en partie dans les hôpitaux et en partie dans le dépôt de mendicité. De nombreux certificats prouvent que cet homme s'est toujours distingué par sa bonne conduite et par des actes de bravoure. Il s'est adressé à différentes reprises au gouvernement, à l'effet d'obtenir des secours. M. le ministre lui a toujours répondu qu'aucune loi ne lui permettait d'accueillir favorablement sa demande. C'est pour ces motifs qu'il demande une pension civique.
Votre commission, messieurs, tout en reconnaissant que le nommé. Jacquemin a quelques droits à la bienveillance du gouvernement, ne croit pas cependant qu'il convienne de lui accorder une faveur tout à fait exceptionnelle, une pension civique. Aussi se borne-t-elle à renvoyer la demande à M. le ministre de l'intérieur.
M. Allard. - Je propose l'ordre du jour. Le pétitionnaire a rendu des services à la révolution de juillet; ce n'est pas à la Belgique à le récompenser.
M. Liefmans, rapporteur. - Il a la croix de fer.
M. Allard. - Alors il a la pension de 100 francs qu'on accorde aux décorés de la croix de fer.
M. Bruneau. - Je crois que quelques mots suffiront pour appuyer l'ordre du jour.
M. le rapporteur vient de nous faire connaître que le pétitionnaire s'était adressé à M. le ministre de l'intérieur, et que ce fonctionnaire lui avait répondu qu'il ne pouvait lui accorder sa demande parce qu'il n'y avait pas de loi qui le lui permît.
La commission reconnait elle-même qu'il n'y a pas lieu de présenter un projet de loi spécial en faveur du pétitionnaire. A quoi bon alors le renvoi à M. le ministre de l'intérieur ? Il devrait répondre ce qu'il a déjà répondu, qu'aucune loi ne l'autorise à faire droit à la demande du pétitionnaire.
M. de Haerne. - Je reconnais que ce serait poser un acte probablement inutile, que de renvoyer la pétition à M. le ministre de l'intérieur, puisqu'il a déjà fait connaître qu'il ne pouvait être satisfait à la demande du pétitionnaire; mais je ferai remarquer que l'ordre du jour que l'on propose a quelque chose de déshonorant...(interruption),quelque chose de désobligeant, si vous le voulez; et comme il s'agit d'un homme qui a rendu des services au pays, qui s'est signalé pendant la révolution, je ne puis adopter l'ordre du jour. Je propose le dépôt de la pétition au bureau des renseignements. Il est vrai que le pétitionnaire demande implicitement une nouvelle loi. Je ne pense pas qu'on puisse proposer une (page 132) loi à cet égard, mais enfin, on pourrait ordonner le dépôt au bureau des renseignements pour que plus tard on puisse la consulter si l'occasion s'en présente.
M. Liefmans, rapporteur. - Peu de mots me suffiront, messieurs, pour justifier les conclusions de la commission et les faire adopter.
Il est à remarquer que le sieur Jacquemin s'est réellement distingué dans plusieurs circonstances. Ce n'est pas seulement dans la révolution de Juillet qu'il s'est signalé, mais c'est également ici, en 1831, dans la campagne que nous avons eu à soutenir contre le gouvernement des Pays-Bas. Il a obtenu la croix de Fer, mais il paraît qu’il n’a pas toujours résidé dans le pays ; il avait joui d’un subside, mais il est retourné en France, et je ne sais pas si, par suite de son départ, il n'a pas perdu ce subside, qui était de 100 fr. par an. Nous avons cru devoir proposer le renvoi au ministre de l'intérieur pour qu'il examine s'il n'y a pas lieu d'accorder au pétitionnaire la pension de 100 fr. dont il a déjà joui précédemment; mais ce n'est nullement que nous doutions le moins du monde de la sollicitude de M. le ministre pour le pétitionnaire.
M. Bruneau. - Les explications que l'honorable rapporteur vient de donner changent un peu la nature des conclusions; il m'avait paru d'abord que la commission, tout en reconnaissant que le pétitionnaire est digne de faveur, croyait cependant qu'il n'y avait rien à faire. Maintenant il me semble que l'on peut voter le renvoi au ministre de l'intérieur; je n'insiste plus pour l'ordre du jour.
M. Allard. - Je n'insiste pas non plus.
- Le renvoi au ministre de l'intérieur est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Avant de continuer, il serait bon de fixer l'ordre du jour de demain. Pour permettre aux sections d'activer leurs travaux, ainsi qu'à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur les faillites, je proposerai à la chambre de fixer l'ouverture de la séance publique de demain, à 3 heures. Nous aurons à l'ordre du jour des feuilletons de naturalisation et des rapports de pétitions.
- Cette proposition est adoptée.
M. Liefmans, rapporteur. - « Par pétition datée de Loenhout, le 14 avril 1849, le sieur Van Beeck, contrôleur des douanes pensionné, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le remboursement des retenues que lui a fait subir l'administration des contributions directes et indirectes. Il demande le payement de la somme de 799 fr., ou bien de la somme de 568 fr. 59 c, dont il s'est vu privé par suite d'actes illégaux et arbitraires, selon lui.»
D'après les explications qui se trouvent jointes à la demande, le pétitionnaire a été suspendu de ses fonctions de contrôleur à Brasschaet, vers la fin du mois de juillet 1847. Des actes d'insubordination et le refus de résider à Brasschaet ont motivé la suspension.
L'arrêté de suspension porte que le pétitionnaire passait une partie de son temps à Loenhout, où se trouvait sa famille, et qu'il dirigeait constamment ses tournées vers cette localité; qu'il négligeait parla la surveillance d'autres postes de son contrôle, et que, nonobstant les injonctions de la part de ses supérieurs, ce fonctionnaire a continué d'habiter Loenhout.
L'arrêté de suspension porte, en outre, que le contrôleur Van Beeck ne tenait aucun compte des lettres de rappel que son inspecteur lui adressait. Le sieur Van Beeck a rédigé un mémoire dans lequel il essaye de se justifier. Mais ses allégations n'ont pas été accueillies; la suspension a été maintenue jusqu'au 1er novembre 1847, époque à laquelle la pension du sieur Van Beeck, mis à la retraite, fut liquidée. Le sieur Van Beeck soutient que le gouvernement n'avait pas le droit de le suspendre et de le priver ainsi de son traitement. Il prétend qu'on devait lui laisser la jouissance de son traitement, ou bien lui donner la pension. L'arrêté de suspension pris à sa charge, il le considère comme nul. Votre commission, messieurs, a cru, en présence des faits signalés dans l'arrêté de suspension , que la réclamation du pétitionnaire n'était pas fondée. En effet, durant le temps de sa suspension, on ne pouvait allouer au contrôleur Van Beeck le traitement d'activité, et on n'était pas obligé de lui payer une pension de retraite. Aujourd'hui, le pétitionnaire jouit de la pension qu'un arrêté royal lui a accordée postérieurement ; le pétitionnaire se plaint de ce que cet arrêté ne stipule que pour l'avenir. Il ne paraît point que le gouvernement se trouve obligé de prendre, en faveur d'un fonctionnaire suspendu, un arrêté qui donne à ce fonctionnaire une pension de retraite à dater du jour même de sa suspension. C'est pour ces motifs que votre commission a cru pouvoir conclure à l'ordre du jour.
- L'ordre du jour est mis aux voix et adopté.
M. Liefmans, rapporteur. - Par différentes pétitions adressées à la chambre, en 1847, 1848 et 1849, le sieur Le Fevere de Marneghem a réclamé l'intervention de la chambre pour obtenir la liquidation d'une engagère, s'élevant à la somme de 181,405 fr. 88 c. Cette somme avait été fournie comme le prix d'achat de l'office du receveur général héréditaire du pays de Waes. La commission de liquidation a été saisie de la demande du sieur Le Fevere de Marneghem; mais, ainsi que cela résulte d'une lettre adressée au pétitionnaire par M. le ministre des finances, en date du 6 février 1847, les prétentions du sieur Le Fevere ont été déclarées inadmissibles, par la raison que l'engagère réclamée constituait le prix d'achat d'un office et ne tombait par conséquent pas dans la catégorie des engagères dont l'article 62 du traité du 5 novembre 1842 a stipulé la liquidation. En 1847, le rapporteur des pétitions a conclu au dépôt de la pétition au bureau des renseignements; en février 1848, les mêmes conclusions furent prises. Depuis cette époque, messieurs, il ne paraît pas qu'il soit intervenu un changement, ni au sujet de la question, ni au sujet de la position des parties. On se trouve toujours en présence d'une décision prise par la commission de liquidation. Cette décision est-elle souveraine et n'admet-elle aucun recours contre elle? L'opinion que M. le ministre des finances a émise et défendue dans la séance du 21 avril dernier est favorable à ce système. S'il fallait admettre ce système, la chambre se trouverait devant la chose jugée, et comme le respect de la chose jugée est une des règles que la chambre doit suivre invariablement, la pétition du sieur Le Fevere ne saurait être accueillie.
A la même séance du 21 avril, l'opinion émise par M. le ministre des finances a été combattue. Je ne parlerai pas de tous les moyens qu'on croit pouvoir faire valoir contre les décisions de la commission de liquidation. Le recours devant les tribunaux ordinaires, par exemple, n'a pas été admis par la cour d'appel de Bruxelles, ni par la chambre, lors de la discussion du 21 avril dernier ; l'arrêt de la cour d'appel que M. le ministre des finances avait rappelé n'a pas été critiqué. Cependant des orateurs ont combattu le système avancé par M. le ministre des finances ; ils n'ont pas voulu reconnaître l'omnipotence de la commission de liquidation. Ils ont soutenu que les décisions étaient susceptibles d'appel. L'honorable M. Osy et M. Moncheur ont été d'avis que la partie qui se croyait lésée par une décision de la commission de liquidation pouvait se pourvoir ou auprès du gouvernement ou auprès de la commission mieux informée. M. Henri de Brouckere semble avoir partagé cette dernière opinion. Si elle est fondée, messieurs, la pétition du sieur Le Fevere de Marneghem se trouverait écartée par une espèce de fin de non-recevoir. En effet, s'il reste au pétitionnaire un degré d'appel, s'il lui est loisible de se pourvoir encore devant la commission de liquidation mieux informée, c'est devant cette juridiction, mais nullement devant la chambre, que le sieur Le Fevere doit poursuivre ses droits.
Votre commission, messieurs, n'a pas, dans l'état où se trouve la question que la pétition du sieur Le Fevere soulève, cru devoir se prononcer en faveur de l'une opinion plutôt que de l'autre; elle n'a pas cru devoir déclarer que les décisions de la commission de liquidation étaient souveraines ; elle n'a pas voulu déclarer non plus qu'elles ne l'étaient pas. Elle a en cela suivi l'exemple des commissions des pétitions qui ont eu antérieurement à statuer sur la demande identique du sieur Le Fevere. Antérieurement cependant la commission des pétitions a toujours conclu au dépôt sur le bureau des renseignements. Mais ce dépôt n'a pas contenté le pétitionnaire puisqu'il vient de s'adresser de nouveau à la chambre, à l'effet d'obtenir une autre décision. Votre commission, messieurs, estimant que cette affaire est une de celles qui devraient recevoir une solution définitive, et que le gouvernement seul se trouve à même de l'instruire suffisamment, a cru pouvoir vous proposer le renvoi à M. le ministre des finances.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Liefmans, rapporteur. - « Par pétition datée de Gand, le 20 avril 1849, les époux Vogelsang prient la chambre de les relever de la déchéance qu'ils ont encourue aux termes de la loi du 8 février 1844, en laissant expirer le délai fixé pour réclamer la liquidation des créances mentionnées à l'article 64 du traité du 5 novembre 1842. »
Les pétitionnaires se sont adressés à M. le ministre des finances le29 décembre 1847, à l'effet d'obtenir la reconnaissance de leur titre de créance; à cette époque, le délai fixé par la loi du 8 février 1844 était expiré. M. le ministre des finances ne pouvait, par conséquent, donner aucune suite à la demande. Aujourd'hui. les époux Vogelsang réclament en leur faveur une disposition législative qui les relèverait de la déchéance qu'ils ont encourue. Votre commission, messieurs, n'a pas cru pouvoir prendre l'initiative d'une pareille mesure, et elle s'est bornée à conclure au renvoi à M. le ministre des finances.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Liefmans, rapporteur. - « Par pétition du 1er avril 1849, plusieurs propriétaires et négociants des contrées riveraines de la Lys prient la chambre de voter les fonds nécessaires pour la construction du canal de Bossuyt et d'une écluse au barrage de Vive-Saint-Eloy. »
Ils demandent, en outre, que le gouvernement fasse disparaître les entraves apportées dans la Flandre orientale à la libre navigation de la Lys.
Ils se plaignent vivement et à bon droit, paraît-il, des nombreux abus et des vexations que commettent en quelque sorte impunément les haleurs dits les francs de Gand; ces haleurs semblent même être soutenus par quelques administrations communales de ces localités. Ils se déclarent privilégiés, et s'imposent aux bateliers jusqu'au nombre de 14 à 16 hommes, exigent quatre francs par tête et réclament de la bière à chaque cabaret. Les bateliers quelquefois se sont vus contraints, même lorsque les bateaux n'avaient qu'un tirant d'eau de 1 mètre 5 centimètres, de prendre jusqu'à dix-huit hommes, et de payer ainsi jusqu'à plus de quatre-vingts francs. Si la navigation était libre, six hommes suffiraient et ces six hommes n'exigeraient que 1 fr. 75 pour chacun d'eux. Il arrive même que les francs de Gand se font remplacer par d'autres haleurs auxquels ils ne payent que 50 ou 60 centimes.
Ces exactions exercent une grande influence sur le prix des charbons. Les négociants des environs d'Harlebeke et de Courtray ont beaucoup de peine à soutenir la concurrence avec les marchands mêmes des environs de Bruges. A Courtray, par exemple, qui est de 2/5 plus près des (page 133) fosses d'extraction que Bruges et Ostende, les charbons coûtent 12 c. de plus qu'en ces deux villes.
Il résulte de ces abus, disent-ils, une diminution considérable dans la navigation sur la Lys. Ainsi en 1847, il est passé à l'écluse d'Harlebeke 1,560 bateaux, tandis qu'en 1848 ce chiffre est tombé à 1,076.
Les pétitionnaires demandent en outre qu'il ne soit point donné suite à l'arrêté des états députés de la Flandre orientale, en date du 15 juillet 1829, arrêté qui fixe le tirant d'eau sur la Lys à 1 mètre 49 centimètres en été, à 1 mètre 75 centimètres en hiver. L'exécution de cet arrêté, qu'on semble vouloir poursuivre, empêcherait les bateliers de charger sur leurs bateaux plus de 2,200 hectolitres de charbon, tandis que maintenant ils en transportent jusqu'à 2,800. Cet arrêté n'avait jamais reçu d'exécution avant 1846, époque à laquelle quelques bateliers furent poursuivis et condamnés par suite d'un procès-verbal dressé par le nommé Geeraerts, sous-conservateur des rivières à Gand.
Les pétitionnaires réclament en outre une réduction de la moitié des droits perçus à l'écluse d'Harlebeke. Ils fondent leur demande sur cette considération que la Lys est peut-être la seule rivière qui rapporte plus au trésor qu'elle n'occasionne de dépenses.
Votre commission, messieurs, ne s'est pas trouvée en présence de renseignements suffisants pour se prononcer en parfaite connaissance de cause sur le fondement de cette pétition. Cependant, plusieurs points lui ont paru mériter d'être pris en sérieuse considération. Ils ont pensé que les faits exposés étaient dignes de toute l'attention de M. le ministre des travaux publics, et c'est pour ces motifs qu'ils ont l'honneur de conclure au renvoi à son département.
M. de Haerne. - Messieurs, il a déjà été plusieurs fois question, dans cette chambre, de l'objet qui est traité dans cette pétition. Moi-même j'ai appelé plusieurs fois l'attention de l'assemblée sur cette question. Aujourd'hui, j'ai encore eu l'occasion d'en parler dans la section dont je fais partie et qui s'occupe en ce moment de l'examen du budget des travaux publics.
Comme le dit M. le rapporteur, une commission a été nommée par M. le ministre des travaux publics pour examiner la question; je puis donc insister moins vivement pour qu'une solution favorable soit donnée à la demande des pétitionnaires. Cependant je me permettrai de faire une observation, c'est que la pétition signale un cas tout à fait particulier, tout exceptionnel, qui constitue un véritable abus, et les règlements généraux qui interviendront en faveur du halage ne pourront pas, je pense, obvier à l'inconvénient qui se présente. Une corporation de haleurs, « les francs de Gand » de vrye schiptrekkers van Gend, exige une rétribution beaucoup plus forte que celle qu'on devrait payer à tous autres haleurs et cette corporation prétend conserver le privilège dont elle jouissait autrefois. Depuis longtemps nous demandons que l'autorité prenne des mesures à cet égard et l'autorité a toujours promis de le faire mais d'après des renseignements, très exacts, que j'ai reçus, cet abus continue malgré toute la vigilance du gouvernement. On a voulu confier le halage à d'autres personnes, mais les haleurs qui se prétendent privilégiés en sont venus à des voies de fait et le sang même a coulé dans plus d'une circonstance.
Il résulte de tout cela, messieurs, une surcharge considérable pour la navigation belge qui peut d'autant plus difficilement soutenir la concurrence contre la navigation qui se fait par les canaux et rivières canalisées du département du Nord.
Je vois avec plaisir que M. le ministre des travaux publics vient d'entrer. Il pourra vous donner quelques éclaircissements. Je lui ferai remarquer que l'abus dont se plaignent les pétitionnaires est fondé: ainsi, par le halage des corporations, les frais de traction reviennent à 272 fr. par bateau, tandis que si le halage était libre, ils pourraient se réduire à 108 fr. On prendrait huit hommes par bateau, à 2 fr. 50 c. chacun, et aujourd'hui on vous en impose treize à 4 fr. par tête. Il est connu que les hommes appartenant aux corporations privilégiées ne font pas toujours le halage eux-mêmes; ils ont des remplaçants qu'ils couvrent de leur prétendu privilège, auxquels ils accordent un beau salaire et sur lesquels ils prélèvent un bénéfice de 75 p. c.
Cet abus, qui est né depuis la révolution, comme une protestation vivante contre nos idées de liberté en fait de commerce, est vraiment intolérable. Il est plus que temps qu'on fasse cesser ce scandale. J'espère que M. le ministre, dont les excellentes intentions nous sont connues, s'empressera d'y porter remède.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, la question dont l'honorable M. de Haerne vient de vous entretenir est de la nature la plus grave et la plus délicate. Elle touche au droit constitutionnel en même temps qu'à l'intérêt du commerce et à la sûreté de la navigation fluviale. En arrêtant en dernier lieu le règlement pour la navigation de la Lys, j'ai réservé la question du service du halage, dont l'examen a été confié à une commission instituée depuis plus de six mois.
Qu'il y ait abus dans le privilège exploité par la corporation des haleurs, que le commerce ail eu à souffrir de ses exactions, je ne veux pas le contester ; mais que cette corporation soit inutile, qu'elle ne soit pas propre à rendre au commerce des services réels et sérieux, je ne puis le reconnaître.
Au surplus, il serait oiseux de discuter aujourd'hui la question sous toutes ses faces ; je le répète, une commission est instituée ; elle est composée de négociants choisis pur des chambres de commerce des deux provinces, d'ingénieurs, de magistrats, de jurisconsultes dont les lumières ne sauraient être contestées, et elle a pour président le gouverneur de la Flandre orientale On peut donc compter que tous les intérêts seront sauvegardés.
M. de Haerne. - Je remercie M. le ministre des travaux publics des explications qu'il vient de donner. Mais je ferai une remarque : je n'ai pas prétendu que la corporation fût inutile, mais j'ai soutenu que la corporation n'a pas le droit de s'imposer, parce qu'il y a liberté pour l’industrie de la navigation comme pour toute autre industrie. Or cette corporation s'impose, sans en avoir le droit. Qu'elle existe, bien ; qu'elle rende des services, je l'admets dans certains cas; mais elle n'a pas le droit de s'imposer, et en s'imposant, d'exiger des salaires doubles ou triples de ceux qu'exigent les autres haleurs.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, l'honorable M. de Haerne veut-il que je lui indique le point délicat de la question? Je vais le satisfaire. A coup sûr, l'industrie est libre, sous l'empire de notre Constitution : on ne peut créer ni privilège ni monopole; mais personne, jusqu'à ce jour, n'a songé à soutenir que la liberté du commerce et la Constitution sont violées, parce que, dans l'intérêt de la sûreté de la navigation de mer, le gouvernement accorde à une corporation spéciale, à une administration qu'on appelle l'administration du pilotage, le droit de s'imposer aux capitaines de navires.
Or, si ce droit existe d'une manière incontestable à l'entrée de nos ports et sur nos côtes, on comprend qu'il peut exister également et par les mêmes raisons de sûreté et d'intérêt public sur nos rivières et nos fleuves.
M. Dumortier. - Messieurs, les observations présentées par M. le ministre des travaux publics sont pleines de justesse. Je sais bien qu'en Belgique il ne peut plus exister de corporation, mais il est également certain que, pour la navigation des rivières où il existe des atterrissements, la faculté de se passer de pilotes peut engendrer d'immenses inconvénients. Que par l'absence d'un pilote reconnu, un navire vienne à échouer dans un fleuve, voilà la navigation interrompue pour une semaine, pour un mois peut-être. Il ne faut pas exposer le commerce à de semblables entraves.
M. de Haerne. - Messieurs, je ne veux pas contester les observations qui ont été présentées par M. le ministre des travaux publics et par l'honorable M. Dumortier; mais je persiste à croire qu'il y a ici un très grave abus qu'il faut faire disparaître. Je crois que cette corporation peut exister, mais je ne crois pas qu'elle puisse exister sur le pied actuel, c'est-à-dire qu'on ne peut pas lui octroyer les privilèges qu'elle prétend posséder.
Et puisqu'on fait une comparaison entre le pilotage et le service du halage des rivières, j'admettrai la comparaison, et je dirai que, dans ce cas, il faudrait, à mon avis, un règlement général. Car remarquez que ce halage ne se fait pas partout de la même manière ; c'est particulièrement sur une partie du parcours de la Lys, entre Gand et Vive-St-Eloy ; mais sur d'autres points, cette corporation n'existe plus ; là existe une véritable concurrence. Avec un règlement général, vous auriez des salaires raisonnables.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Erreur complète.
M. de Haerne. - Ce n'est pas une erreur; c'est exact pour le taux des salaires, et c'est là qu'est l'abus. Il en résulte qu'on a de la peine à soutenir la concurrence contre la navigation qui se fait dans le département du Nord, parce que les prix sont moins élevés sur les canaux et les rivières canalisées de ce département. Voyez, messieurs, le grave inconvénient qui en résulte pour la navigation nationale. Ainsi la chaux se vend à Ostende, à 20 lieues de Tournay, à 1 fr. l'hectolitre ; tandis qu'à Courtray, à cinq lieues de Tournay, elle se vend à 1 fr.50. La même proportion existe à peu près pour les autres produits du Hainaut.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - L'honorable préopinant se donne une peine inutile pour soutenir qu'il est nécessaire de faire un règlement, puisque je lui ai formellement déclaré qu'une commission est instituée pour l'élaborer.
M. Liefmans, rapporteur. - Messieurs, la commission a examiné cette pétition avec beaucoup de soin; elle a reconnu que la question est très grave; mais c'est précisément parce que le ministre des travaux publics a institué une commission, pour préparer une solution, que nous avons conclu au renvoi de la pétition à ce ministre.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - J'ai pris l'initiative de l'institution de la commission, et je lui ai indiqué les points sur lesquels je désirais qu'elle fixât son attention, avant qu'aucune demande ne m'eût été adressée à cet effet.
- La chambre, consultée, renvoie la pétition à M. le ministre des travaux publics.
La séance est levée à 4 heures.