(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)
(page 1737) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à midi et demi.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur François Perlau, chef de l'administration de comptabilité au ministère de l'intérieur, sollicite la place de conseiller vacante à la cour des comptes. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Le sieur Vloeberghs demande l'ajournement de la discussion de la loi de l'enseignement supérieur jusqu'à ce que les pharmaciens aient pu faire connaître leurs idées sur les dispositions qui les concernent. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
M. le gouverneur du Hainaut adresse à la chambre 109 exemplaires du rapport annuel de la députation permanente sur la situation administrative de la province pendant l’année 1848.
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
Par dépêche du 28 juin, M. le ministre des finances transmet à la chambre les explications demandées sur la pétition du conseil communal de Straimont, qui prie la chambre d'ordonner le versement dans la caisse de cette commune des impositions sur les propriétés de l'Etat pour la répartition des chemins vicinaux en 1846, 1847 et 1848.
- Dépôt au bureau des renseignements.
Par dépêche du 30 juin, M. le ministre des travaux publics adresse à la chambre 110 exemplaires de l'instruction relative à la réforme postale. »
- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
Il est fait hommage à la chambre, par M. Decq, d'un exemplaire des débats de l'assemblée nationale de Francfort sur les questions de l'Eglise et de l'instruction publique, traduits par M. Reyntiens.
- Dépôt à la bibliothèque.
- M. H. de Brouckere remplace M. Delfosse au fauteuil.
M. le président. - La parole est à M. Delfosse, rapporteur de la section centrale, pour faire un rapport.
M. Delfosse, rapporteur. - Messieurs, la section centrale a eu fort peu de temps pour examiner les amendements que vous lui avez renvoyés hier. Elle s'est d'abord occupée des trois articles nouveaux qui ont été présentés par M. le ministre de l'intérieur et qui remplaceraient les articles 19, 20 et 21 du projet de loi. Ces articles ont été imprimés et distribués et chacun de vous en a connaissance.
On remplacerait l'inscription obligatoire pour chaque cours compris dans l'examen par une inscription générale qui serait de 250 fr. pour la faculté de droit et de 200 fr. pour les autres facultés. La section centrale s'est livrée à quelques calculs dont il résulte que, par la proposition do M. le ministre de l'intérieur, les élèves auraient, en général, moins à payer que par le projet primitif du gouvernement. Les élèves en philosophie, en sciences et en médecine auraient moins à payer; les élèves en droit seuls payeraient à peu près la même somme, sur l'ensemble des cours qu'ils ont à suivre pour arriver au grade de docteur. Mais ils auraient tous cet avantage, qu'ils ne seraient tenus à prendre qu'une seule inscription; la marche à suivre serait plus simple, moins compliquée. A ce point de vue, la section centrale n'a pas hésité à se rallier à la nouvelle proposition de M. le ministre de l'intérieur.
Envisagée au point de vue des professeurs, la proposition produit d'abord ce résultat, que les professeurs recevront moins qu'ils n'auraient reçu, si le projet primitif du gouvernement avait été adopté; les professeurs recevront moins, mais il ne faut pas perdre de vue que l'innovation, qui consiste à rendre l'inscription obligatoire, leur est très avantageuse.
La proposition de M. le ministre de l'intérieur pourrait toutefois produire cet inconvénient, qu'elle enlèverait beaucoup à certains professeurs pour donner plus à d'autres. Mais M. le ministre de l'intérieur nous a donné l'assurance que le gouvernement tiendrait compte de ce fait dans la répartition qu'il serait autorisé à faire.
Le gouvernement demande à pouvoir partager entre les professeurs le produit des inscriptions d'après les bases qu'il déterminerait. Le gouvernement prendra naturellement des mesures pour que certains professeurs ne soient pas trop lésés par suite de la nouvelle proposition qui nous est soumise.
La section centrale, mue par les considérations que je viens de vous exposer en peu de mots, s'est ralliée à la proposition du gouvernement, à la majorité de 4 voix contre 2. Ces deux membres avaient voté dès le principe pour le maintien de l'ancienne législation.
La section centrale vous propose donc l'adoption des trois articles nouveaux présentés par M. le ministre de l'intérieur, sauf quelques changements de rédaction. Ils seraient rédigés comme suit :
« Art. 19. L'étudiant porté au rôle prend une inscription générale pour tous les cours relatifs aux matières de l'examen qu'il a l'intention de subir.
« Il paye, pour cette inscription, 250 francs par an, pour la faculté de droit, et 200 francs pour les autres facultés.
« Le gouvernement, sur l'avis de la faculté, peut autoriser l'inscription, isolée à certains cours. Il fixe dans ce cas le taux des rétributions. »
« Art. 20. L'étudiant qui a payé une inscription annuelle peut suivre pendant plusieurs années les cours pour lesquels cette inscription a été prise. »
« Art. 21. Le produit des inscriptions est partagé entre les processeurs et les agrégés qui ont donné les cours, d'après les bases à déterminer par le gouvernement.
« Le gouvernement fixe, s'il y a lieu, les rétributions à payer pour les leçons de manipulation et d'opération. Ces rétributions sont perçues au profit de ceux qui ont donné ces cours. »
M. Delfosse, rapporteur. - J'arrive aux amendements qui concernent les candidats-notaires.
M. le ministre de l'intérieur a proposé de remplacer au paragraphe 3 de l'article 68 les mots : « un examen sur le droit civil élémentaire, » par ceux-ci : « un examen sur le droit civil mis en rapport avec un cours d'un an. »
M. Deliége a proposé de substituer à l'examen sur le droit civil élémentaire un examen sur les principes généraux du droit civil et la science du notariat.
La section centrale s'est mise en rapport avec M. le ministre de l'intérieur, et avec M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice nous a fait connaître que le projet de loi sur le notariat est prêt et qu'il pourrait d'ici à peu de temps être soumis à la chambre. M. le ministre de la justice pensait, en conséquence, qu'on aurait pu ajourner à la discussion de ce projet spécial la disposition qui fait l'objet des amendements de M. le ministre de l'intérieur et de M. Deliège. La section centrale n'a pas cru pouvoir se prononcer pour cet ajournement; elle a pensé qu'il était utile d'imposer, dès à présent, par le projet de loi en discussion, aux candidats-notaires certaines études et notamment celles du droit civil; la présentation prochaine du projet de loi spécial que M. le ministre de la justice nous annonce n’a pas suffi pour engager la section centrale à ajourner la disposition relative au notariat qui se trouve dans le projet de loi sur l'enseignement supérieur. Ce projet de loi peut être présenté prochainement, mais qui sait quand il pourra être discuté par les deux chambres et converti définitivement en loi?
Comme personne ne conteste que l'étude du droit civil, des lois organiques du notariat et des lois financières qui s'y rattachent, soit utile, nécessaire même au candidats notaires, la section centrale a pensé qu'il fallait, dès à présent, dans la loi que nous discutons, leur imposer l'obligation d'étudier ces matières.
Mais une difficulté s'est offerte à la section centrale. On exige ici des candidats-notaires la connaissance de certaines lois sur lesquelles ils seraient examinés par le jury de la candidature en droit. Ce jury ne serait pas apte à interroger les candidats sur la partie pratique du notariat, sur la rédaction des actes. Il faudrait donc maintenir à côté de la disposition qui concerne les candidats-notaires, dans la loi sur l'enseignement supérieur, les dispositions de la loi de ventôse qui exigent un certificat délivré par la chambre des notaires. On a fait ressortir, dans la séance d'hier, les inconvénients qu'il y aurait à exiger ce certificat de capacité de celui qui aurait subi un examen devant le jury de la candidature en (page 1738) droit. Pour que l’on puisse n'imposer au candidat qu'un seul examen, pour qu'on puisse le dispenser de l’examen de capacité requis par la loi de ventôse an XI, la section centrale a décidé qu'elle proposerait de substituer au jury pour la candidature en droit, un jury spécial dans lequel le gouvernement ferait naturellement entrer quelques notaires, et qui pourrait interroger les candidats non seulement sur le droit civil, les lois organiques du notariat et les lois financières qui s'y rattachent, mais aussi sur la rédaction des actes. La section centrale a cru entrer par là dans les vues qui ont engagé l'honorable M. Deliége à présenter son amendement. L'article serait ainsi conçu :
« Nul ne peut être nommé notaire si, indépendamment des autres conditions requises, il n'a subi, devant un jury spécial, un examen sur le droit civil, les lois organiques du notariat et des lois financières qui s'y rattachent, ainsi que sur la rédaction des actes. »
Si cet amendement était adopté, il y aurait à insérer dans la loi une disposition par laquelle les articles 43 et 46 de la loi de ventôse an XI seraient abrogés.
M. Delfosse, rapporteur. - Il me reste à parler du dernier amendement renvoyé à l'examen de la section centrale, celui qui a rapport à l'article 59, réglant l'indemnité pour frais de déplacement et de séjour des membres des jurys d'examen. La section centrale n'a pas cru pouvoir introduire dans la loi une disposition qui permettrait aux membres de l'ordre judiciaire appelés à faire partie du jury d'examen, de toucher de ce chef une indemnité ; la loi de 1845, qui fixe le traitement des membres de l'ordre judiciaire, porte en ternes formels qu'ils ne pourront recevoir aucune espèce d'indemnité; la section centrale n'a pas cru devoir toucher à cette loi qui touche elle-même de très près à la Constitution.
Mais, pour faciliter autant que possible, sans déroger à cette loi, l'admission des magistrats dans les jurys d'examen, la section centrale vous propose de modifier l'article 59 en ce sens que si les sommes payées par les élèves ne suffisaient pas pour couvrir les indemnités et les frais de séjour et de déplacement, la réduction à opérer devrait porter en premier lieu sur l'indemnité allouée par élève.
La réduction ne porterait sur les frais de déplacement et de séjour que quand l'indemnité serait épuisée. Il y aurait ainsi pour les magistrats appelés à faire partie du jury la garantie qu'il toucheraient au moins sans réduction les frais de déplacement et de séjour.
Une autre modification est encore proposée par la section centrale, c'est que le président du jury puisse recevoir des frais de déplacement plus élevés que les autres membres du jury. Voici quelle serait la rédaction;
« Il pourra être alloué par le gouvernement au président du jury 25 francs par jour pour frais de déplacement et de séjour. »
La somme allouée aux autres membres est de 20 francs. Cette mesure serait conforme à ce qui se passe dans toutes les administrations; les frais de séjour et de déplacement sont en général d'autant plus considérables que le fonctionnaire occupe un rang plus élevé dans la hiérarchie administrative.
Voilà, messieurs, quels sont les résultats des délibérations de la section centrale sur les amendements que vous avez renvoyés à son examen.
La chambre met en délibération l'article 19 avec la rédaction proposée par la section centrale à laquelle M. le ministre de l'intérieur se rallie. (Voir plus haut.)
M. Orts. - Ce n'est pas pour m'opposer le moins du monde à la disposition que je demande la parole; je la trouve très bonne. M. le ministre a déclaré que l'idée de la mesure première avait été empruntée par lui à la pratique des universités libres. Je ferai remarquer à M. le ministre de l'intérieur qu'il existe dans les universités de l'Etat une faculté qui devrait, je crois, être introduite également dans les universités de l'Etat. Il peut être difficile pour certaines personnes qui ont leurs enfants à l'université de payer en une seule fois 250 fr. Aussi les universités libres ont-elles autorisé leurs administrations à répartir cette somme sur les deux semestres. C'est une affaire de ménage, d'intérieur, que la loi ne doit pas régler. Toutefois, je ne pense pas que le gouvernement entende exiger des élèves, sans exception, dès leur entrée, les 250 fr. J'attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur ce point, afin que son silence soit pas interprété dans le sens le plus rigoureux du texte de la loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La loi n'exige pas le versement, en une fois, des 250 fr. C'est une affaire d'administration.
- L'article, rédigé comme le propose la section centrale, est adopté.
« Art. 20. L'étudiant qui a payé une inscription annuelle, peut suivre (gratuitement), les années suivantes, les cours à la fréquentation desquels cette inscription lui donnait droit. »
La section centrale propose la rédaction suivante :
« L'étudiant qui a payé une inscription peut suivre, pendant plusieurs années, les cours pour lesquels cette inscription a été prise. »
- La rédaction de la section centrale, à laquelle se rallie M. le ministre de l'intérieur, est adoptée.
« Art. 21. Le produit des inscriptions est partagé entre tous les professeurs et agrégés qui ont donné les cours, d'après les bases à déterminer par le gouvernement.
Le gouvernement fixe, s'il y a lieu, les rétributions à payer pour les leçons de manipulation et d'opération. Ces rétributions sont perçues au profit de ceux qui ont donné ces cours.
- La section centrale propose la suppression du mot « tous », avant les mots « les professeurs ».
- L'article ainsi modifié est adopté.
La chambre décide qu'elle s'occupera maintenant de l'article 59.
« Art. 59. L'article 59 est remplacé par le suivant :
« Chaque membre des autres jurys reçoit cinq francs par élève examiné, et vingt francs par jour de séjour ou de voyage, s'il y a lieu à déplacement, sauf réduction proportionnelle si les sommes payées par les récipiendaires ne suffisent point pour couvrir cette dépense. »
- La section centrale propose d'ajouter à cet article les deux paragraphes suivants :
« La réduction portera en premier lieu sur l'indemnité accordée par élève.
« Il pourra être alloué, par le gouvernement, au président du jury, 25 fr. par jour de séjour et de voyage. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cette rédaction devant donner lieu à un second vote, je puis m'y rallier provisoirement.
L'intention du gouvernement, messieurs, est de faire en sorte qu'il ne lui soit pas interdit d'appeler, dans les jurys d'examen, des magistrats. L'université de Bruxelles aurait grandement à souffrir si on appliquait d'une manière absolue une disposition qui interdirait aux magistrats de recevoir une indemnité alors qu'ils siègent comme jurés ; plusieurs des professeurs de l'université de Bruxelles appartiennent à la magistrature et ne pourraient pas être appelés en qualité de jurés si ce n'est à titre gratuit, ce qui serait une sorte d'injustice, d'inégalité pour eux.
Quant à la question des représentants, je ne crois pas qu'il faille la soulever dans cette chambre. On ne conteste pas au gouvernement le droit d'appeler au jury des membres de la chambre des représentants. Si cela était contesté, il y aurait une nouvelle difficulté, car plusieurs professeurs de l'université de Bruxelles sont membres de la chambre des représentants.
M. Orts. - Cinq.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sous ce rapport, l'université de Bruxelles se trouverait également lésée. La même chose pourrait arriver à l'université de Louvain, si Louvain nous envoyait des professeurs.
Je le répète, messieurs, je ne pense pas que, relativement aux représentants, la question doive être soulevée. Quant aux magistrats, d'ici au second vote nous examinerons si nous pouvons définitivement accepter l'amendement proposé. Moyennant cette réserve, je ne m'oppose pas à ce qu'il soit adopté.
M. le président. - Je mettrai aux voix la rédaction de la section centrale. Il est bien entendu qu'on pourra y revenir au second vote.
- La proposition de la section centrale est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Nous passerons maintenant à la disposition de l'article 65, qui concerne le notariat.
Dans le projet primitif cette disposition était ainsi conçue:
« Nul ne peut être nommé notaire, si, indépendamment des autres conditions requises, il n'a subi, devant un jury de candidature en droit, un examen sur le droit civil élémentaire et sur les lois organiques du notariat et les lois financières qui s'y rattachent (cours de notariat).
« Est dispensé de cet examen celui qui, avant la promulgation de la présente loi, a obtenu le titre de candidat-notaire. »
La section centrale avait proposé la suppression de ce dernier paragraphe.
M. Deliége a proposé l'amendement suivant :
« Substituer à l'examen sur le droit civil élémentaire, un examen sur les principes généraux du droit civil et la science du notarial. »
La section centrale propose la rédaction suivante :
« Nul ne peut être nommé notaire, si, indépendamment des autres conditions requises, il n'a subi, devant un jury spécial, un examen sur le droit civil, les lois organiques du notariat et les lois financières qui s'y rattachent (cours de notariat), ainsi que sur la rédaction des actes. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je me rallie à cette rédaction.
M. Deliége. - Je m'y rallie également.
- La rédaction de la section centrale est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Il reste trois paragraphes de l'article qui avaient été tenus en suspens jusqu'à ce que la section centrale eût fait son rapport sur la disposition relative au notariat. Ces paragraphes sont les suivants :
« Le droit commercial ;
« La science du notariat ;
« (Lois organiques du notariat et lois financières qui s'y rattachent).
- Ces paragraphes sont adoptés.
Article 33
M. le président. - Nous reprenons l'article 33 qui est ainsi conçu :
« L'article 33 est remplacé par ce qui suit : Soixante bourses de 400 francs peuvent être décernées annuellement par le gouvernement à de jeunes Belges, élèves des universités de l’Etat, peu favorisés de la fortune et qui, se destinant aux études supérieures font preuve d'une aptitude dûment constatée.
« Elles sont décernées ou maintenues sur l'avis des autorités académiques. »
M. Julliot a déposé l'amendement suivant :
(page 1739) « Les bourses universitaires à charge de l’Etat sont supprimées. Néanmoins, celles qui, en ce moment, sont occupées par des élèves ne seront supprimées qu'au fur et à mesure de la cessation des études de ces boursiers. »
M. Julliot. - Messieurs, par l'article 33 le projet de loi décide que les bourses qui, depuis la loi de 1835 sont données aux élèves sans distinction des établissements où ils font leurs études, seront affectées à l'avenir aux seules universités de l'Etat.
L'exposé des motifs explique ces modifications en ces termes : « Il est libre aux particuliers d'instituer des bourses pour les établissements qu'ils fondent, pourquoi le gouvernement n'aurait-il pas le même droit? »
Voilà, messieurs, le motif unique que le gouvernement donne comme péremptoire en faveur de la création ou du maintien de ces bourses, car il n'en donne pas d'autre. Ce système est préconisé avec loyauté et sincérité, les plus méfiants n'y trouveront pas de restriction mentale ; mais à moi il faut des motifs plus sérieux pour voter une dépense; car il me sera permis de déduire de ces prémisses les conséquences qui en découlent naturellement en bonne logique et nous verrons où nous allons aboutir. Eh bien, messieurs, si vous acceptez ce motif donné sans limite aucune, vous devez reconnaître le droit au particulier de rétorquer l'argument et de dire : Il est libre au gouvernement de poser tel acte, pourquoi le particulier, vivant dans un pays libre, n'aurait-il pas le même droit? L'un pourquoi a autant de force et de logique que l'autre.
Non, messieurs, cent fois non, l'un n'a pas du tout le droit de faire ce que fait l'autre, car valider ce raisonnement, c'est jeter la confusion dans les idées, la perturbation dans le mécanisme de notre société. Il est tracé un cercle d'action pour l'Etat, il en est tracé un autre pour le particulier; le particulier ne peut gouverner, mais il peut user et abuser de ce qui est sa propriété, il peut employer ses fonds à toutes les dépenses que ses besoins, ses goûts et ses fantaisies lui dictent de faire.
Le cadre du gouvernement dépositaire du trésor public est tout autre; il est l'économe de cette société dont le grand nombre de membres s'impose des privations pour fournir sa quote-part au fonds commun ; cet être fictif, l'Etat ne peut avoir ni sympathies ni antipathies ; il est préposé au maintien de l'ordre public et à l'égale, la juste, l'uniforme distribution des consommations publiques; l'Etat est mal venu, chaque fois qu'il fait des dépenses au profit de quelque intérêt privé; ce n'est plus de l'égalité, ce n'est pas de la fraternité, c'est le droit défunt d'aînesse écrit jadis dans la loi, remplacé par un droit de sympathie de privilège arbitraire en faveur de quelques-uns de la grande famille à votre choix ou à celui de vos agents subalternes.
L'Etat, messieurs, doit se borner à sa mission d'intermédiaire impartial entre la levée des impôts et les consommations faites dans l'intérêt de la généralité. Tout ce qu'il ne peut donner au nom de la société à tous ceux qui ont les mêmes droits, les mêmes besoins, il ne doit pas le donner du tout; il ne peut quitter cette neutralité qu'en créant chaque fois un favori et dix mécontents, faits défavorables à cette même société qui en paye les frais.
C'est ainsi, messieurs, que d'après l'exposé des motifs de l'article 33, reconnaître à l'Etat, comme le soutient le gouvernement, le droit de créer des fondations dans des édifices à la création desquels il a participé, c'est s'exposer à voir un jour remplacer les oraisons funèbres officielles, par des « obit » gouvernementaux, temporaires ou à perpétuité, pour le repos des âmes de tous les corps qui auront pris part au budget.
Il y a trois jours, messieurs, cette comparaison aurait pu paraître un peu hardie; mais si, hier, j'ai bien compris l'honorable ministre de l'intérieur (et, si je me trompais, je suis prêt à revenir de mon erreur), on nous propose un projet de loi pour l'érection d'une tontine gouvernementale, dont un des articles consacre explicitement le principe que l'Etat se charge de l'enterrement et de l’ « obit » des membres décédés dans le giron, non pas encore dans celui du budget, mais déjà dans celui de la tontine. Je crois donc que ma comparaison tombe d'aplomb sur le projet. Je pense que si le gouvernement s'abstenait de faire ce que font les particuliers, il ferait moins de mécontents et les choses n'iraient que mieux. Messieurs, si je mets de la ténacité à préconiser la non-intervention de l'Etat dans les intérêts privés, je suis de bonne foi ; je suis convaincu que si on n'y arrive pas par principe, on y viendra par la force des choses, car la lourde question de l'impôt me donne foi dans mes idées. Je veux empêcher l'Etat d'avancer dans cette direction pour qu'il ait d'autant moins à reculer.
A la session prochaine vous serez obligés de voter de nouveaux impôts ou de forcer le gouvernement à retirer ses mains de toutes les opérations qui, proprement dit, ne sont pas gouvernementales, et alors nous verrons auquel des deux systèmes vous vous sentirez entraînés à donner la préférence. Dans le système qui nous est présenté, l'Etat se pose en père de famille; eh bien, je dénie à ce père de famille l'aptitude à choisir, dans un demi-million de jeunes gens sans fortune, quels sont ceux qui, par leur dénuement pécuniaire et les dispositions de leurs facultés intellectuelles, ont le plus de droit aux bourses universitaires.
Je sais, messieurs, que l'Etat ne sera pas embarrassé, et s'il ne lui est pas donné de démêler le vrai et le juste, il trouvera toujours de quoi débiter ses bourses. C'est ainsi qu'il découvrira, par exemple, quelques intelligences supérieures dans ses jeunes délinquants contrits de Ruysselede; il leur créera des bourses de collège; celles-ci les feront arriver aux bourses universitaires, lesquelles bourses universitaires les mettront dans le cas de pouvoir se caser honorablement dans la société. Voilà donc autant d'hommes sauvegardés. Jusque-là tout est bien.
Je sais, messieurs, que vous pouvez me répondre, et ici je vais vous faire une concession bien large. Ce jeune délinquant, que l'Etat par son intervention fait fonctionnaire ou industriel, serait probablement dans votre système, qui n'admet ni Ruysselede ni le maintien des bourses, un habitant de la Cambre ou dé Saint-Bernard. Oui, messieurs, la chose serait possible. Mais remarquez que votre délinquant, en s'élevant, aura pris la place d'un autre, qui probablement aura pris la sienne. Or, où est le bénéfice? Deux hommes auront permuté d'emploi, rien de plus, rien de moins.
Mais, messieurs, j'ai des raisons de croire qu'on a d'autres motifs qu'on ne donne pas; il est évident que dans le système de luxe de deux universités médiocres au lieu d'une seule ayant plus de valeur que les deux réunies, il faut peupler ces deux établissements, c'est-à-dire que quand l'Etat entretient un trop grand nombre d'établissements, il faut encore qu'il paye pour qu'on les fréquente , et que 60 bourses donneront inévitablement 60 élèves de plus, chez lesquels on reconnaîtra, il ne faut pas en douter, 60 intelligences supérieures.
Non, messieurs, je ne puis approuver cette générosité d'un gouvernement qui n'a d'autres ressources que celles qu'il puise dans le travail du peuple. Cette distribution de privilèges sous toutes les formes et sur tous les points du pays, c'est la charité organisée aux dépens du public. Je dirai plus, vous organisez un atelier intellectuel. Ce désir erronément philanthropique de soulager et d'élever tout le monde, consiste exclusivement à spolier les uns au profit des autres. Pour un que vous espérez élever, vous en abaissez dix ou vingt.
Vous ne tenez pas compte que, dans le nombre de vos subsidiés, il y en a ira de moins pauvres que la pluralité de ceux à qui vous demandez le concours à ce subside et dont l'intelligence dépasse peut-être celle de vos protégés.
Messieurs, je pense vous l'avoir déjà dit : en fait de niveau social, il n'y a pas à choisir; l'Etat, par ses interventions, a la puissance de le baisser; je lui dénie complètement celle de l'élever.
C'est par le mérite de l'enseignement que l'Etat doit s'attacher à soutenir la concurrencent non pas en distribuant de l'argent, que nous, chambres, nous sommes obligées d'arracher à toutes les exigences, quelque précaires qu'elles soient.
D'ailleurs, messieurs, une intelligence supérieure, pourra se passer de vos 400 fr., elle ne les obtiendrait qu'en qualité d'élève universitaire et, arrivée là, elle saura se faire jour, non pas peut-être dans la carrière libérale, mais dans toute autre bien plus profitable au pays et à elle-même; cette intelligence fera promptement un fructueux emploi de ses forces, et où, s'il vous plaît, est le mal? Le premier besoin des familles peu aisées, dans leur mouvement ascensionnel, n'est-il pas de se créer une fortune? N'est-ce pas raisonnablement par là qu'elles doivent commencer? Car trouvez-vous très utile au pays, d'inspirer à tout le monde le goût aristocratique, qu'il ait le moyen de le satisfaire ou non? Est-il sage de provoquer de fortes consommations chez l'individu dépourvu de fortune, qui ne rendra à la société que des services très-problématiques et peut-être contestables?
Ces généreuses inspirations qui tendent à voir arriver le plus grand nombre possible aux professions libérales, ces inspirations, que je crois malheureuses au point de vue social, n'auront-elles jamais de bornes? Ces professions ne sont-elles pas encore assez encombrées par le cours naturel des choses? Devez-vous toujours aggraver, la situation, par la création factice de nouveaux producteurs intellectuels, qui exigeront à juste titre la satisfaction d'une ambition, que vous aurez fait naître?
Ne craignez-vous pas, messieurs, de préparer, chez quelques-uns de ceux que vous allez déclasser artificiellement de leur famille, les souffrances morales et physiques qu'éprouve l'homme lettré, alors qu'il est sans ressources, méconnu ou incompris ? Ne courez-vous pas le risque, sans le vouloir, de faire de ces hommes, des ennemis dangereux et acharnés de cette société qui les aura trompés? A moins qu'à l'aide de vos généreuses illusions et de vos bourses, vous ne croyez pouvoir vous attendre à l'apparition supplémentaire et forcée de 80 hommes de valeur? Eh bien, soit, mais alors encore ils ne pourraient parvenir qu'en terrassant 60 autres hommes qui, s'ils ne sont pas vos Benjamins, ont cependant des droits incontestables à votre neutralité.
Messieurs, que doivent penser de notre intervention les parents qui, après s'être imposé les plus pénibles privations pour l'éducation et l'instruction de leur fils, voient la place de leur enfant prise par un élève factice, né de sympathies aussi irréfléchies pour les uns qu'elles sont hostiles aux autres?
Quand votre police trouve deux hommes luttant dans la rue, a-t-elle pour consigne d'abattre l'un au profit de l'autre? Je ne le pense pas. Vous reculeriez devant l'idée inhumaine, injuste, de vous rendre complices pour détruire l'un au profit de l'autre.
Pourquoi donc, alors que la lutte physique individuelle vous fait respecter la neutralité, fades-vous si bon marché de ce même principe, appliqué à la noble, la libre lutte de l'intelligence ? Quelle satisfaction vous reste-t-il d'avoir contemplé votre favorisé, alors que vous êtes obligés de tourner la tête, quand passe celui que vous avez sacrifié, votre victime?...
Ne croyez pas, messieurs, que j'aie le cœur plus étroit qu'un autre, ce serait une erreur de votre part, ce malheur ne m'accable pas; je comprends ce qu'il y a de sublime dans les sentiments généreux et philanthropiques, je m'associe de grand cœur à vous, en présence du vos idées ; je puis avoir les apparences contre moi, mais j'en repousse la réalité de toutes mes forces. Imposons-nous les sacrifices dont nous pouvons disposer, comme nôtres ; venons en aide à ceux qui souffrent, mais que ce soit à nos dépens; n'employons pas les fonds publics pour faire du dons qui tournent contre (page 1740) la grande partie de ceux qui les ont fournis. C'est par la tête qu'on gouverne l'Etat, c'est dans le cœur que l'individu est en droit de puiser les inspirations pour se gouverner lui-même.
Messieurs, vous ne pouvez voter ces fonds qu'en fermant les yeux sur la lutte naturelle qui existe et doit exister sur le terrain de la liberté.
Vous ne pouvez voter les bourses, qu'en niant qu'alors que, dans une église remplie de monde, vous retenez gratis 60 chaises pour des privilégiés, vous ne soyez cause que 60 autres fidèles ne se trouvent obligés de s'agenouiller à terre, quand il n'y a pas de chaises pour tout le monde. Mais, quand même je me placerais sur votre terrain, que je penserais qu'il est utile de créer des bourses pour produire de grands hommes, je ne pourrais encore partager vos espérances sur les résultats; je me croirais obligé de me contenter de moins, car la collation de bourses n'est pas un fait nouveau; indépendamment de celles conférées depuis longtemps par le gouvernement, il en existe un nombre infini en vertu de fondations privées, et cependant il faut l'avouer, c'est triste mais c'est vrai, les inventions modernes les plus ingénieuses se sont bornées chez nous au perfectionnement des tunnels là où ils ne sont pas nécessaires; la déviation de la ligne droite de l'artère principale de notre chemin de fer, pour rechercher un vallon poétique, un terrain ingrat, dangereux et une dépense inutile d'une vingtaine de millions. Et je pense que notre dernière invention a été celle d'éveiller une profitable émulation entre deux voies navigables, en creusant l'une littéralement à côté de l'autre! que de bourses, messieurs, on eût pu créer pour absorber tous ces millions perdus ! Mais ces millions sont passés à l'histoire, il ne nous reste pour consolation que d'en payer l'intérêt.
Quand, messieurs, vous méditez sur le jeu de nos institutions , sur nos mœurs, sur nos usages, nos besoins et nos ressources, ne découvrez-vous pas que notre gêne provient en grande partie, non pas de ce qu'on ne travaille pas assez, car tout le monde travaille en Belgique, mais parce qu'on s'est trop attaché à la production de services immatériels, éphémères, qui disparussent au moment où ils sont rendus, services, dis-je, qui, au lieu de favoriser l'épargne, l'absorbent par des consommations improductives. Et pour mieux me faire comprendre, je dis que la Belgique ne donne pas assez de produits matériels, d'un débit facile, ayant une valeur échangeable de tous les instants et dans tous les pays, pour pouvoir rémunérer tout ce qui est produit chez nous par l'imagination, l'art et la plume.
Je soutiens que nous ne vivons pas assez de la vie positive et réelle. Peu d'exemples, que je crois assez saisissants, vous convaincront que je suis dans le vrai.
Que deux travailleurs se présentent au marché pour obtenir du beurre, que l’un offre à la fermière, en échange de sa marchandise, un chapeau de paille, l'autre un morceau d'administration, il est évident que le fabricant de chapeaux obtiendra la marchandise et que l'administrateur s'en ira les mains vides.
Cette expression, messieurs, peut paraître triviale, mais je l'ai trouvée dans les écrits d'un savant célèbre en économie politique, qui malheureusement n'est plus, ce n'est pas elle qui l'a tué
Qu'un fabricant de toile accompagné d'un littérateur se présentent dans un hôtel pour échanger leurs produits contre un mots d'abonnement, pas de doute pour moi, que la pièce de toile ne soit agréée et la gazette repoussée.
Un avocat ayant rédigé un avis qui n'est pas demandé d'avance ne trouvera pas à se loger, tandis que le fabricant de lampes, en offrant son produit, recevra bon accueil.
Je me résume en deux mots. Vous voyez donc, messieurs, qu'il y aurait imprudence à vouloir augmenter encore par des sacrifices la concurrence des producteurs littéraires, alors que déjà ceux qui existent ne trouvent pas tous à se sustenter.
Mais reconnaissez tous avec moi qu'en Belgique on ne fabrique pas assez de chapeaux, de toile et de lampes, mais qu'on y fait trop d'administration, trop de gazettes et trop d'avis d'avocat. Je voterai donc contre toute collation de bourses; qu'elles soient données aux élèves ou aux universités, et je maintiens mon amendement.
M. Pierre. - Comment doit-on vouloir la liberté d'enseignement? Ne devons-nous pas la vouloir loyale, sincère, entière? Devons-nous lui assigner d'autres limites que les exigences impérieuses de l'ordre, de la moralité publique et de la stricte légalité? Si nous la voulons ainsi, et à cet égard il n'y a aucune dissidence d'opinion, ne devons-nous pas la vouloir .et la consacrer pour le pauvre comme pour le riche? Cette liberté précieuse, si belle en théorie, est sans doute infiniment plus belle encore en pratique.
Pour ma part, je ne puis admettre une théorie diamétralement opposée à cette pratique.
La disposition qui tend à ne plus conférer de bourses d'études qu'aux élèves des universités de l'Etat, n'appartient-elle pas à une théorie de cette nature? Est-elle bien conforme au principe de rigoureuse impartialité qui doit nous guider? Je ne le pense pas. Je suis tenté de croire que l'on a en cela perdu de vue pour un instant la noble vérité énoncée dans l'exposé des motifs du projet : « C'est par le mérite de l'enseignement que l'Etat doit s'attacher à soutenir la concurrence des institutions privées. »
S'il est vrai, comme le dit ailleurs le même exposé, que l'Etat ne doit aux institutions privées rien autre chose qu'une liberté franche, complète, il n'est pas moins vrai de dire que l'Etat doit à chaque citoyen belge, individuellement, cette même liberté.
Or, en admettant le système d'exclusion de bourses, où sera, pour le jeune homme privé de fortune, la liberté du choix de l'établissement qu'il désirera fréquenter ? Cette liberté restera pour le riche, à celui-là vous ne pouvez la ravir; pour celui qui ne l'est pas, elle disparaîtra, vous la lui aurez enlevée!
Mon honorable collègue et ami M. Lelièvre a mis à ce propos en avant une doctrine que je ne puis partager. Il a dit que dans la loi en discussion nous n'avions pas à nous occuper des études faites dans des établissements particuliers, ni de l'enseignement privé en général, que nous fassions cette loi uniquement, exclusivement pour l'enseignement donné aux frais de l'Etat. C'est là, selon moi, une grave erreur. Le caractère et le texte même du projet le prouvent.
En effet, si vous n'aviez pas, comme vous le dites, à vous occuper des études privées ou faites dans des établissements particuliers, pourquoi stipulez-vous que dans la composition du jury, en aucun cas les professeurs appartenant aux universités de l'Etat ne pourront être en majorité? N'est-ce point là une preuve évidente, palpable, que vous avez eu à vous occuper d'autre chose que de l'enseignement donné aux frais de l'Etat ? Le changement de rédaction, proposé par M. le ministre, n'en est-il pas une preuve nouvelle? N'en résulte-t-il point que vous avez dû sauvegarder les droits des élèves qui ont fréquenté les cours des établissements libres ou qui se sont livrés à des études privées?
Vous avez jugé convenable, juste de leur accorder une telle garantie; vous ne pouviez, du reste, la leur refuser sans méconnaître les exigences d'une consciencieuse équité. Pourquoi ne sauvegarderiez-vous point également, au profit des parents et des élèves peu favorisés de la fortune, la liberté du choix des établissements à fréquenter?
M. le ministre, lors de la discussion générale, a dit : « Il y a des antécédents, des autorités qui doivent nous faire croire que nous sommes dans la bonne voie en réservant, dans une loi sur l'enseignement de l'Etat, l'argent de l'Etat pour les élèves qui suivent ses établissements. La ville de Bruxelles, la province de Brabant ont créé des bourses universitaires. Je ne pense pas que les jeunes gens qui demandent ces bourses à la province ou à la ville aient la faculté d'aller étudier dans une université de l'Etat. Il y a plus. Je ne pense pas qu'ils aient la faculté d'aller étudier dans leur province même, avec la bourse provinciale, à une autre université que celle de Bruxelles. Trouve-t-on que cette manière de distribuer les bourses provinciales blesse la liberté ? » Telles sont textuellement les paroles de M. le ministre. Je vais essayer d'y répondre.
Je dirai d'abord qu'effectivement je ne trouve pas que le mode de distribution des bourses communales ou provinciales blesse le moins du monde la liberté. Prenons-y toutefois garde, et n'admettons pas cette comparaison sans réserve. En thèse absolue, toutes les comparaisons sont plus ou moins imparfaites, inexactes. Celle-ci me paraît pécher essentiellement sous ce rapport. En voici les motifs : Quelle est la mission d'un conseil provincial? Agir avant tout dans l'intérêt provincial, dans l'intérêt de tous les administrés de la province? Quelle est la mission d'un conseil communal? Agir avant tout dans l'intérêt communal, dans l'intérêt de tous les administrés de la commune.
Ni l'un ni l'autre de ces corps n'ont à se préoccuper, soit d'une autre province, soit d'une autre commune. Chacun d'eux doit rester dans ces limites, dans ce cercle restreint, que sa mission spéciale, circonscrite, lui a tracé et ne lui permet point de franchir. N'est-il pas évident que cette mission étroite, bornée, ne peut être comparée à celle de l'Etat? Celle-ci peut-elle s'arrêter devant d'autres limites que les frontières du pays? Tous les enfants de la Belgique ne sont-ils pas en droit de revendiquer une part égale de la sollicitude, de la générosité de l'Etat, qui, lui, ne peut admettre de distinction entre les diverses provinces et communes du royaume? Ces dernières, en obligeant leurs enfants à fréquenter l'établissement existant chez elles, obéissent à un sentiment de susceptibilité locale, qui se comprend et s'explique parfaitement, comme nous obéissons à un sentiment de susceptibilité nationale, en ne permettant pas aux jeunes Belges d'aller à l'étranger faire, au moyen des bourses que nous leur conférons, leurs études universitaires.
Les secours pécuniaires qui leur sont alloués pour se rendre dans des pays étrangers n'ont, on le sait, d'autre destination que celle de voyages scientifiques, à titre de complément de hautes études très distinguées qu'ils ont faites et dont ils ont dû donner des preuves.
L'exemple invoqué ne prouve donc rien en faveur du système du projet, il prouverait plutôt contre lui, puisque, comme je crois l'avoir suffisamment démontré, l'action de l'Etat n'a point d'analogie avec celle du conseil communal de Bruxelles , pas plus qu'avec celle du conseil provincial du Brabant. Ces deux assemblées n'avaient à poser qu'un acte restreint d'administration; ce qu'elles ont fait, chacune dans sa sphère. D'ailleurs, cet acte ne se justifie-t-il pas, d'une manière fort rationnelle , abstraction faite de tout mobile politique et en l'examinant au seul point de vue administratif? Le conseil communal de Bruxelles, en bon administrateur, pouvait-il affecter les secours dont il disposait à toute autre université qu'à celle établie en cette ville? Le conseil provincial du Brabant, de son côté, pouvait-il, en bon administrateur également, ne pas vouloir conserver les deux universités existant dans cette province? le voulant, ne devait-il pas réserver les avantages pécuniaires à sa disposition au profit de l’université qu'il savait pertinemment en avoir le plus besoin pour se soutenir et prospérer, tandis qu'il savait, et qu'il était de notoriété publique que l'autre université pouvait, sans inconvénient aucun, se passer de son assistance, qu'elle avait déjà par devers elle assez de ressources pour se suffire à elle-même et prospérer? On le voit encore une fois, il n'y a aucune espèce de ressemblance possible à établir entre un semblable rôle et celui auquel l'Etat est appelé. Ne (page 1741) doit-il pas, lui, se placer à un point de vue tout différent et autrement élevé?
Ce principe d'affectation spéciale de bourses que l'on nous propose peut-il se concilier avec une vraie liberté ? Rentre-t-il bien dans l'esprit du libéralisme digne, grand, généreux, que nous voulons professer? Ce principe, en un mot, est-il démocratique? A mon avis, non. Quel est votre but en donnant une bourse d'étude à un élève ? N'entendez-vous pas réparer, pour la société tout entière et en son nom, le tort qu'a eu envers ce jeune homme l'aveugle fortune en lui refusant les moyens d'exploiter la mine de science, dont la nature plus généreuse s'est plu à le gratifier? Votre but ne peut être autre. Imposer tel ou tel établissement à cet élève et le priver ainsi de la liberté du choix, n'est-ce point enlever une grande partie du mérite de la réparation sociale que vous lui accordez ? N'est-ce point amoindrir, dénaturer cette réparation ? N'est-ce point lui ôter ce qu'elle a de plus beau : son caractère bienfaisant et généreux, et la réduire, la rapetisser aux mesquines proportions d'une sorte de marché ? Ne doit-il pas peu vous importer qu'un élève que vous subsidiez d'une bourse la dépense à fréquenter telle ou telle école existant dans le pays pourvu qu'il devienne un savant ?
Je sais fort bien, messieurs, qu'aucun principe ne doit être entendu, appliqué d'une manière absolue, qu'à toute règle on doit admettre des exceptions. Ainsi donc, pour dire ici toute ma pensée, s'il m'était démontré que la collation de bourses, comme elle se fait aujourd'hui, est préjudiciable, funeste au libéralisme et qu'elle tourne au profit d'un parti en opposition avec lui, oh! alors, je n'hésiterais pas un instant à accepter la modification proposée.
Précédemment, dans une autre enceinte, je me suis fait un devoir de voter dans ce sens. Mais, loin qu'un semblable résultat me soit démontré dans l'état de choses actuel, je crois que nous y arriverions, bien plutôt fùt-ce par la mesure proposée.
L'honorable rapporteur de la section centrale a dit : « N'était-il pas étrange qu'une partie des bourses conférées par l'Etat fût attribuée à l'université de Louvain, déjà si richement dotée? » Moi je dirai : « N'est-il pas étrange que vous vouliez priver de bourses l'université de Bruxelles, qui, vous le savez, ne se soutient qu'au prix de grands sacrifices? Ne mérite-t-elle point, elle aussi, d'être citée, d'être tenue en ligne de compte? Doit-elle être de la sorte passée sous silence et n'a-t-elle point droit à notre sollicitude, alors que nous réglons tout ce qui touche au haut enseignement?
La main sur la conscience, pourrions-nous dire que le libéralisme ne lui doit rien? Pourrions-nous dire qu'il ne lui doit pas, au moins en partie, son avènement au pouvoir? Cet établissement n'a-t-il pas répandu, depuis sa création, dans les rangs de la société, une foule de jeunes gens, qui ont, par leur prosélytisme, puissamment aidé au triomphe des opinions que nous professons? N'oublions pas que cet établissement a été créé quelques mois après celui dont vous vous préoccupez d'une manière regrettable, parce qu'elle est exclusive et que vous n'envisagez dès lors les choses que sous une seule face. N'oublions pas qu'il a été créé pour lui faire contrepoids, qu'il a été élevé comme une sorte de digue contre l'envahissement d'une opinion dont nous combattions les tendances, et il y avait d'autant plus de mérite de la combattre à cette époque, qu'elle était plus puissante.
Gardons-nous de payer aujourd'hui un tel service, rendu alors au pays, par de l'ingratitude. Faut-il qu'après la victoire les vainqueurs se divisent en deux camps, tandis que, les vaincus, plus adroits ou plus rusés, restent unis, serrés en un seul? N'y a-t-il pas là pour nous un utile enseignement, une grande leçon? Ne devrions-nous pas imiter cet exemple?
Au fond, nous ne pouvons-nous dissimuler une chose, c'est que l'innovation dont il s'agit, fût-elle même bonne en principe, sera malheureuse dans ses effets. Elle ne nuira point à l'université de Louvain, riche assez pour se suffire à elle-même ; elle nuira, au contraire, à l'université de Bruxelles, que nous devrions avoir à cœur d'encourager plutôt. C'est un aveu pénible à se faire, il en sera cependant ainsi. Pour ce qui me concerne, malgré mon vif regret de me trouver, sous ce rapport, en dissidence avec le gouvernement et la section centrale, je déclare ne pouvoir m'associer à une mesure consistant en définitive à faire forger par le libéralisme des armes contre lui-même.
L'idée d'attribuer les bourses d'études exclusivement aux élèves fréquentant les universités de l'Etat n'est pas nouvelle, elle s'était fait jour en 1834. Le gouvernement l'avait introduite dans le premier projet de loi sur l'instruction publique. La section centrale, saisie de l'examen du projet repoussa ce système. Elle lui en substitua une autre plus large, plus libérale C'est celui qui existe maintenant et que l'on veut changer. Le gouvernement s'y rallia et les deux chambres l'adoptèrent à l'unanimité.
On sait que le libéralisme avait alors cependant des organes, des représentants dans la législature. Comment se fait-il qu'il n'ait pas même songé à réclamer la consécration du système que le gouvernement abandonnait après l'avoir proposé? Comment n'a-t-il point fait sien ce système qu'on préconise tant aujourd'hui, que l'on regarde comme le seul bon?
Il est néanmoins hors de doute qu'il est resté exactement ce qu'il était à cette époque. Il n'est devenu ni pire, ni meilleur; seulement l'expérience a révélé un vice dans l'autre système.
Ce vice, quel a-t-il été? Une des quatre universités était beaucoup plus favorisée que les trois autres. Pourquoi? La seule cause en était la préférence marquée qu'elle rencontrait dans les hommes au pouvoir. Cette cause n'était nulle part ailleurs. Elle résidait uniquement dans une application fausse, mauvaise, partiale de la loi. Ce serait en vain que l'on chercherait cette cause dans la disposition de la loi elle-même. Qu'y avait-il à faire pour remédier à cet état de choses anormal, regrettable? Appliquer la loi avec plus d'équité distributive, et le vice, dont on avait à se plaindre, disparaissait. Que nous propose-t-on, au contraire? Pour retirer les bourses à un établissement qui en avait trop, l'on veut du même coup les enlever à un autre établissement qui, lui, n'en avait pas assez! En vérité, ce remède me paraît fort étrange. Je suis tenté de me demander s'il vaut mieux que le mal.
Tout en désirant la continuation de l'état de choses actuel, quant à la collation des bourses, une observation me paraît convenable. Il semblerait rationnel, juste que le gouvernement, sans priver les élèves de l'université de Louvain de cette faveur, tînt compte des autres avantages de même nature dont jouit déjà cet établissement. Ne conviendrait-il pas que le gouvernement, ayant égard à toutes les circonstances qui ne peuvent échapper à son appréciation éclairée, maintint un équilibre désirable entre les divers établissements du pays, pour la distribution de ces bourses?
Pour me résumer, je ne voudrais pas que l'on insérât dans la loi aucune disposition qui pût donner aux établissements libres le droit de revendiquer ces bourses. Je désirerais que le gouvernement conservât pour cette collation son libre arbitre, sans aucune restriction; ce serait pour lui une faculté et non une obligation. Nous avons tout lieu de croire qu'il en userait avec sagesse et impartialité.
Un des effets du système d'affectation spéciale de bourses, auquel on n'a peut-être pas songé, c'est que les jeunes gens de Bruxelles et de Louvain, sièges des deux universités libres, ne pourront plus désormais demander de ces bourses.
Quel est le père de famille, qui pour obtenir un tel subside, en faveur de son fils, se déterminera à ce prix à l'envoyer à Liége ou à Gand? Ce secours lui imposerait évidemment une condition trop onéreuse, sous le rapport pécuniaire seul, pour qu'il pût songer à la solliciter. Je laisse encore à part l'avantage que présente aux parents la précieuse faculté de pouvoir élever sous leurs yeux leurs enfants, de les tenir sous leur surveillance de tous les jours, de tous les instants, et de diriger, en un mot, leur éducation par eux-mêmes, sans avoir besoin de confier à autrui ce soin paternel et salutaire : avantage immense auquel les parents se résignent difficilement à renoncer
Je ne serai point suspecté de prévention favorable ou partiale, je l'espère, en revendiquant des avantages au profit de ces deux grandes villes. Je vous avoue que je les trouve déjà assez largement dotées sous tant d'autres rapports, la première surtout. Ces avantages grandissent encore à mes yeux, lorsque ma pensée se reporte vers la malheureuse province que j'ai l'honneur de représenter. Mais là n'est pas la question. Pourquoi priver Bruxelles et Louvain des bourses d'études auxquelles la jeunesse studieuse de ces deux villes a droit de prétendre tout aussi bien que celle des autres parties du pays ?
Et il est impossible de ne pas reconnaître que de fait vous les en priverez. Cela est de la dernière évidence.
Un autre effet du système proposé a également échappé jusqu'ici à la discussion. Il n'en reste du moins aucune trace dans le rapport de la section centrale.
Comment agirez-vous à l'égard des boursiers actuels des universités de Bruxelles et de Louvain?
La plupart seraient dans l'impossibilité de continuer leurs études sans ces bourses. Votre intention est-elle de les leur retirer immédiatement,, c'est-à-dire à la fin de l'année académique ? C'est ce qui résulterait du projet. Quoique les bourses ne s'octroient que pour un an, il est d'usage à peu près constant de les continuer aux titulaires jusqu'au parachèvement de leurs études universitaires, quand ils n'ont point démérité.
Il est hors de doute que l'on n'a point réfléchi à la perturbation fâcheuse que l'on jetterait par là dans les études de ces jeunes gens, en les forçant à quitter brusquement les cours d'une université.
Je crois inutile de m'étendre plus longuement à ce sujet. Chacun de vous reconnaîtra la justesse de cette observation.
En cas d'adoption de l'article, j'y proposerai un amendement dans ce sens, pour remédier à l'inconvénient que je viens de signaler.
Je ne répondrai pas à l'honorable M. Julliot, qui demande la suppression des bourses. Une telle proposition a trop peu de chances de succès, pour qu'il me paraisse être nécessaire de la combattre.
Quelle que soit la décision à laquelle la chambre s'arrête, je ne puis me dispenser de signaler à son attention une chose, dont on ne s'est point non plus occupé. Je veux parler du taux des bourses. Ce taux, messieurs, n'est point assez élevé. Je me bornerai à dire quelques mots pour vous le démontrer.
Le montant actuel des bourses constitue environ le tiers de la dépense annuelle d'un élève. Cette évaluation est, à mon avis, très modérée. Il en résulte que la classe en quelque sorte moyenne est seule appelée à jouir de cet avantage. Un père de famille, surtout si sa famille est nombreuse, ne pourra assurément en profiter pour ses fils, à moins qu'il ne se trouve déjà placé dans une certaine aisance. Or, messieurs, puisqu'en touchant à la loi qui nous occupe, nous en trouvons une occasion propice, n'hésitons point à y introduire un système de secours plus démocratique. Etendons les effets de la bienfaisance publique au profit de l'intelligence. Rendons ces effets accessibles à des rangs de la société moins aisés.
Pour atteindre ce noble but, auquel, j'en suis certain d'avance, vos sympathies seront acquises, portons le taux des bourses à 600 fr. Cette amélioration amènera un surcroît de dépenses de 12,000 fr. Quoique partisans des plus sévères économies, comme je l'ai prouvé par tous mes votes, je (page 1742) me fais un devoir de vous présenter cette proposition et de vous convier vivement à l'adopter. J'ose espérer que le gouvernement, en sa haute sollicitude pour l'enseignement en général et pour les classes inférieures de la société en particulier, - et le projet de loi dont nous avons entendu hier la lecture en est une nouvelle preuve très honorable, - s'y associera volontiers.
J'ai donc l'honneur de vous proposer de fixer les bourses à 600 fr., au lieu de 400 fr., taux actuel.
(page 1745) M. de Luesemans. - Messieurs, les deux honorables orateurs qui ont pris la parole avant moi se sont placés, dans cette discussion, à des points de vue entièrement différents.
L'honorable M. Julliot ne veut pas de bourses, par le motif que, conséquent avec un système qu'il a déjà eu occasion de développer dans plus d'une circonstance, il ne veut pas de l'intervention de l'Etat, pas plus dans les affaires morales qu'il n'en a voulu dans les affaires matérielles.
Je crois que ce système, emprunté à une école qui fort heureusement a peu de sectateurs, ne peut pas être admis dans une chambre belge. Je crois que les principes de fraternité, les principes de bonne solidarité qui doivent exister entre nous tous, nous empêchent d'adopter une proposition qui conduirait à ce résultat, que chacun vivrait pour lui-même et ne s'occuperait en rien des misères et des infortunes de ses semblables. Je déclare donc repousser ce système a priori.
Quant au système de l'honorable M. Pierre, je dois dire que j'admets les principes de l'honorable membre, tels qu'il les a développés. Je voudrais, avec lui, qu'il fût possible d'augmenter dans une juste limite les subsides accordés à la jeunesse studieuse. Cependant je crains que la position financière du pays ne nous empêche de songer, d'ici à quelque temps, à ce moyen d'accroître le bien-être des classes inférieures de la société.
Messieurs, je dis que j'adopte le système développé par l'honorable M. Pierre. Je demanderai à la chambre la permission de lui exposer les raisons qui dictent mon opinion.
L'article 33 de la loi de 1835 portait :
« Soixante bourses de 400 fr. peuvent être décernées annuellement par le gouvernement à de jeunes Belges peu favorisés de la fortune, et qui, se destinant aux études supérieures, font preuve d'une aptitude extraordinaire à l'étude.
« Elles sont décernées ou maintenues sur l'avis du jury d'examen.
« Elles n'astreignent pas les titulaires à suivre le cours d'un établissement déterminé. »
Le gouvernement et la section centrale suppriment cet article et le remplacent par l'article suivant :
« Soixante bourses de 400 fr. peuvent être décernées annuellement par le gouvernement à des élèves des universités de l'Etat peu favorisés de la fortune, et qui, se destinant aux études supérieures, font preuve d'une aptitude dûment constatée.
« Elles sont décernées ou maintenues sur l'avis des autorités académiques. »
Vous avez déjà compris, à la simple lecture de ces deux articles, que le système suivi jusqu'aujourd'hui et celui proposé par le gouvernement diffèrent radicalement entre eux.
Pour justifier ce changement radical, le gouvernement dit dans son exposé des motifs :
« Aux institutions privées, l'Etat doit une liberté franche et complète; mais il ne leur doit que la liberté. Il est libre aux particuliers d'instituer des bourses pour les établissements qu'ils fondent ; l'une de nos universités privées en possède de considérables. Pourquoi le gouvernement n'aurait-il pas le même droit? N'est-il pas juste, d'ailleurs, que, lorsque l'Etat donne des subsides aux jeunes gens pour faire leurs études universitaires dans le pays, il exige d'eux qu'ils étudient dans les établissements sur lesquels il a une action et dont, par conséquent, l'instruction lui offre des garanties ? »
La majorité de la section centrale fait ce raisonnement sien ; je dis la majorité, car vous vous rappelez que deux membres de la section centrale n'ont pas cru devoir s'y rallier; elle le transcrit dans son rapport, et elle ajoute :
« N'était-il pas étrange qu'une partie des bourses conférées par l'Etat fût attribuée à l'université de Louvain, déjà si richement dotée? »
Le raisonnement du gouvernement fait également les frais du discours de l'honorable M. Lelièvre. L'honorable membre n'y ajoute qu'un mot qui semble caractériser le point de vue auquel il s'est placé pour examiner la question dont il s'occupe :
« L'enseignement privé, dit l'honorable membre, doit, comme toute entreprise industrielle et individuelle, se passer des faveurs du gouvernement. A ce prix seul, il conserve une indépendance qui fait toute sa valeur. »
Messieurs, je sais depuis longtemps que la liberté d'enseignement a été diversement commentée.
Pour les uns, elle n'est, comme le dit l'honorable M. Lelièvre, qu'un droit semblable à celui d'élever un établissement industriel ; pour ceux-là non seulement le gouvernement ne doit ni sa sollicitude, ni ses subsides aux études libres, absolument comme si les jeunes gens qui fréquentent les établissements privés n'étaient pas les fils de nos concitoyens, et comme si leurs parents ne contribuaient pai eux-mêmes à alimenter les caisses de l'Etat. Mais il semble que la mission du gouvernement doit s'étendre plus loin ; il semble que le gouvernement a l'obligation d'organiser contre cette entreprise, comme ils l'appellent, une concurrence industrielle qui tende incessamment à ruiner tout établissement qui oserait songer à s'élever à l'abri de notre Constitution. Telle n'est pas la pensée du gouvernement ; mais sans la déclaration de MM. les ministres bien des gens auraient pu croire que c'est là l'idée qui a présidé à la proposition du gouvernement et de la section centrale.
Je ne méconnais point ce qu'il y a de strictement fondé dans le raisonnement du gouvernement ; mais je ne puis adopter, pour ma part, son système, parce je ne lui trouve pas l'élévation qui convient au sujet, ensuite parce que je le considère comme contraire à l'esprit même de nos institutions démocratiques. Je ne le crois pas à la hauteur du sujet : ce serait, d'après moi, étrangement se tromper, messieurs, de croire que la liberté d'enseignement n'a point été proclamée dans l'intérêt des pères de famille et dans celui de la jeunesse studieuse.
Dans cet ordre d'idées, messieurs, la mission du gouvernement est, d'après moi, de se placer à la tête de l'instruction, d'élever les études aussi haut qu'elles peuvent atteindre, de donner à son enseignement toutes les conditions d'ordre, de moralité, de force, qui lui concilient toutes les adhésions, et de défier les établissements libres sur le terrain de la science.
C'est là une mission que, je suis heureux de le dire, M. le ministre de l'intérieur a noblement comprise, et qu'il s'applique à remplir partout et toujours.
Ce que je voudrais, messieurs, c'est que le gouvernement dédaignât, en outre, ce moyen que je considère comme faux et artificiel, de créer la prospérité de ses établissements moyens, qui consisterait à les remplir d'élèves subsidiés par les fonds du trésor; ce que je voudrais, c'est qu'il ajoutât à tous les titres qu'il a déjà conquis dans le domaine de l'instruction, celui de ne jamais chercher la gloire des établissements de l'Etat, que dans la supériorité de leur enseignement.
Alors, messieurs, l'enseignement de l'Etat serait arrivé à sa plus haute expression et dans la lutte incessante de l'intelligence qui ne manquerait pas de naître, l'infériorité réelle serait condamnée à l'expiation.
A Dieu ne plaise, que, comme le disait le premier orateur que vous avez entendu, messieurs, vous ne proscriviez la création de bourses d'études. Je me borne à croire que le mode exclusif qui est préconisé est contraire à l'élévation du sujet, j'ai ajouté que je le crois, en outre, contraire à l'esprit de nos institutions et à nos mœurs démocratiques; c'est ce qu'il me reste à démontrer :
Je crois, messieurs, que l'Etat doit des bourses à certaines catégories d'élèves pour deux motifs :
1° Parce qu'ils sont doués de facultés extraordinaires, d'une aptitude hors ligne;
2° parce qu'ils sont pauvres, et que, sans la bourse, il leur est impossible de fréquenter les établissements d'enseignement supérieur.
A cette double condition, le gouvernement veut en ajouter une troisième, celle de la fréquentation d'une université de l'Etat. Cette troisième condition, je la crois antidémocratique.
Messieurs, dans ma pensée, la liberté d'enseignement ne comprend pas seulement pour tous les citoyens la liberté d'enseigner ; mais elle comprend pour tous, pour les pauvres comme pour les riches, la liberté de choisir le mode et l'établissement d'instruction.
Or, dans le projet du gouvernement et de la section centrale, on arrive à cette conséquence qu'en fait les jeunes gens qui se trouvent dans une position aisée, quel que soit leur degré d'aptitude ou de capacité, auront seuls le choix de l'établissement, parce que le hasard de la fortune les aura placés dans des conditions d'indépendance, et que les pauvres, qui auront besoin de secours publics pour développer leurs facultés, leur aptitude extraordinaires à l'étude, ne pourront, eux, faire leur choix. Ils se trouveront, dans certains cas, obligés, ou bien de violenter leurs opinions, leur préférence qui peut être légitime, et jusqu'à leurs convenances personnelles, pour se rendre à l'une des universités de l'Etat, ou bien, en renonçant aux subsides, ils se verront réduits à abandonner les études vers lesquelles leurs dispositions particulières les appelaient. Je crois, messieurs, qu'un système qui nous conduit à cette conséquence est contraire aux principes d'égalité, aux principes démocratiques qui font la base de nos institutions ; je ne puis donc lui donner mon adhésion.
Ce n'est pas tout, messieurs ; les bourses que l'on se propose de créer sont le produit des impôts. Chacun y a donc un droit égal. Or, par le fait, des jeunes gens peu fortunés, appartenant aux deux villes principales du Brabant, seront exclus de la participation aux bourses, parce que les frais d'un déplacement ne seront pas pour eux compensés par l'indemnité à laquelle ils pourraient participer. Et quand je limite cette exclusion à deux villes, messieurs, je reste au-dessous de la réalité; je pourrais presque affirmer que toute la province du Brabant se trouvera exclue du bénéfice des bourses créées avec l'argent de tous les contribuables.
Voilà un troisième motif que je soumets à l'impartialité de la chambre.
Mais, dit-on, l'université de Louvain ne peut se plaindre. Il serait souverainement étrange que l'on continuât à attribuer une partie des bourses conférées par l'Etat à l'université de Louvain, déjà si richement dotée.
Messieurs, quoique j'aie l'honneur de représenter dans cette enceinte l'arrondissement de Louvain, je déclare, sans aucune peine, que je ne plaide point la cause de l'université. Certes, l'université de Louvain doit être considérée comme un établissement dont la prospérité se lie intimement à celle du chef-lieu de mon arrondissement; mais, d'une part, l'intérêt matériel attaché à cette question ne peut, à mon avis, faire fléchir ni d'un côté ni de l'autre l'importance du principe qu'elle renferme; ; d'autre part, messieurs, je m'opposerais à ce que l'on inscrivît dans la loi, ou à ce que l'on imposât au gouvernement, même moralement, l'obligation (page 1746) d’une répartition quelconque, Non, messieurs, établir des bourses au profit de jeunes Belges peu favorisés de la fortune, cela ne veut pas dire qu’il sera fait une répartition égale entre tous les établissements, cela veut dire uniquement, d'après moi : Quand il y aura quelque part en Belgique un jeune homme doué de facultés extraordinaires, mais à qui les moyens pécuniaires de ses parents ne permettent pas d'aborder les études supérieures, l'Etat lui viendra en aide ; il le soutiendra, il le conviera à l'élever au-dessus de la sphère dans laquelle il semblait condamné à vivre. Il ne lui demandera pas : Où vous instruisez-vous? Mais que savez-vous? Et, pas plus qu'en utilisant plus tard ses services, l'Etat ni la société ne s'informeront des moyens qu'il aura employés pour devenir un homme capable; pas plus l'Etat ne cherchera à contrarier ses dépositions naturelles par l'indication d'un établissement hors duquel l'enseignement lui sera déclaré suspect, dans tous les cas défendu.
Je ne sais, messieurs, si je m'abuse; mais cette politique me semble plus libérale que l'autre, et je la préfère, quel qu'en doive être le résultat pour l'université de Louvain. Je poursuis ici un principe que j'ai professé quand, au sujet du subside accordé à l'université de Bruxelles, je combattais mes adversaires politiques, qui s'opposaient à tout subside à donner à l'université libre. Je n'ai pas abandonné ma conviction; au contraire, messieurs, elle se trouve fortifiée depuis que nous avons inscrit quelque part, dans une charte libérale que je ne déserterai jamais, l'amélioration des classes laborieuses.
Eh bien, messieurs, je ne désespère pas de voir des jeunes gens, appartenant à ces classes, venir demander au gouvernement leur part au subside que nous allons voter, et je ne puis admettre qu'il soit libéral de leur offrir le bien-être en les privant d'une de leurs libertés constitutionnelles.
Messieurs, j’ai entendu dire que le principe de l'article en discussion avait été tranché par le vote sur l'article 40. Si j'ai bien compris le vote, messieurs, c'est le contraire qui est arrivé.
En effet, messieurs, qu'avez-vous décidé? Que l'on n'insérerait pas dans la loi un droit pour les universités, en général, à être représentées dans le jury d'examen.
Or, si ce qui a été décidé par cette résolution peut avoir une influence quelconque sur la décision que la chambre va prendre, il faut en conclure que le droit exclusif de jouir des bourses à créer ne doit pas plus être inscrit dans la loi au profit des établissements d'enseignement public qu'au profit des établissements d'enseignement privé.
Le gouvernement, qui a le droit de former le jury comme il l'entend, doit, ce me semble, avoir le droit de décider à quels jeunes gens il accordera la préférence pour la collation des bourses. Voilà ce que je demande, sans m'attacher au bénéfice qui peut en résulter pour un établissement plutôt que pour un autre.
On a souvent cité dans cette discussion, messieurs, l'opinion de notre honorable président ; à mon tour, je me permettrai de l'invoquer.
Dans la section centrale, si je suis bien informé, il a soutenu l'opinion que je défends, et dans le discours prononcé par lui lors de la discussion de l'article 40, il a toujours soutenu que les universités de l'Etat et les universités libres devraient admises sur la même ligne.
« Parler dans le texte de la loi des universités de l'Etat, disait-il, alors qu'on se tairait complètement sur les universités libres, c'est relever les unes et abaisser les autres, alors que toutes prennent naissance dans le même principe. »
Ce langage, messieurs, je suis assuré que notre honorable président l'applique aux bourses, et là comme dans la formation du jury, je suis persuadé qu'il viendra dire avec nous : qu'il ne faut pas plus parler des universités de l'Etat que des universités libres; qu'il ne faut pas relever les unes et abaisser les autres, puisque toutes prennent naissance dans le même principe.
M'appuyant sur cette opinion et sur les considérations que j'ai fait valoir, messieurs, je ne pourrai, pour ma part, voter pour l'article 33 tel qu'il se trouve dans le projet qui nous est soumis.
Mais là se ne borne pas le devoir que j'ai à accomplir, messieurs, au sujet des bourses d'étude.
Comme nous l'avons vu plus haut, le gouvernement et la section centrale se sont appuyés sur cette circonstance, que l'université de Louvain était déjà si richement dotée qu'il y aurait quelque chose d'étrange à la doter encore davantage.
S'il en était ainsi, je ne m'opposerais pas à ce que cette circonstance fût prise en considération par le gouvernement ; ce serait là un fait qui ne devrait en rien altérer le principe que je défends; mais la section centrale ne se borne pas à constater ce fait pour en tirer la conséquence que le gouvernement ne doit plus rien à l'université de Louvain : elle semble contester à celle-ci tout droit de participation aux bourses d'anciennes fondations; elle semble croire que ce qui existe à Louvain est contraire aux lois, au droit et à la jurisprudence des tribunaux, elle semble enfin tout près de conclure que l'Etat doit s'emparer des bourses d'anciennes fondations comme de choses lui appartenant.
Puisque la section centrale a cru devoir devancer l'avis de la commission qui a été nommée par le gouvernement pour rechercher tous les documents relatifs aux fondations de bourses, puisqu'elle est entrée vigoureusement au cœur de la question, et que je crois son opinion erronée en fait et en droit, il ne m'a pas été possible, messieurs, de laisser la chambre sous l'impression du rapport de la section centrale.
La chambre me tiendra compte, j'espère, de ma position toute particulière dans cette discussion.
Voici, messieurs les propositions formulées par la section centrale.
1° C'est l'université de Louvain qui jouit en grande partie de ces bourses auxquelles elle n'a pas droit.
2° La même université de Louvain était une université de l'Etat. L'université actuelle de Louvain ne la représente pas; elle en a le nom, mais elle n'en a pas les droits. Un arrêt rendu par la cour d'appel de Bruxelles a décidé la question dans le même sens.
3° L'ancienne université de Louvain avait une existence civile, les biens qu'elle possédait ont été naturellement dévolus à l'Etat. L'Etal n'a pas voulu en changer la destination. Il a bien fait. Mais pourquoi les bourses de l'ancienne université de Louvain sont-elles données à l'université de Louvain plutôt qu'aux autres universités? Pourquoi a-t-on arrangé les choses de telle sorte que les administrateurs des anciennes fondations de bourses les adjugent presque toutes à l'université de Louvain?
4° L'université de Louvain, n'a pu se constituer en personne civile, mais on a érigé à côté d'elle une infinité de petites personnes civiles qui la fortifient aux dépens des autres établissements d'enseignement supérieur.
A ces faits dont les uns me semblent un peu hasardés, les autres un peu confus, les autres encore un peu erronés, je m'efforcerai de faire une réponse qui sera, j'espère, claire, nette et suffisamment explicite. Autant que personne j'ai hâte d'en finir; je répondrai donc :
1° Il est fort douteux que l'ancienne université ait jamais été considérée comme une université de l'Etat ;
2° Si certains biens que possédait l'ancienne université de Louvain ont été dévolus à l’Etat, ainsi que les biens des anciens collèges établis près de l'université de Louvain, et qui formaient des personnes civiles séparées, il n'est pas du tout reconnu qu'il en ait jamais été de même des bourses;
3° Ceux qui ont érigé à Louvain les personnes civiles dont parle le rapport, ce sont tes anciens fondateurs. C'est le roi Guillaume, que je puis citer, parce qu'on ne le soupçonnera pas de complicité avec l'université catholique de Louvain, et c'est un peu aussi le gouvernement provisoire de la Belgique, comme nous le verrons bientôt;
4° Il est loin d'être démontré que l'on donne à Louvain les bourses de préférence aux élèves fréquentant l'université de Louvain; il est même très douteux que les élèves de l'université en obtiennent le plus grand nombre; la chambre en jugera.
Si je prouve ces quatre points, j'espère, messieurs, que la chambre se montrera moins rigoureuse envers l'enseignement libre, puisque j'aurai, du moins, fortement réduit.
L'une des principales objections, à savoir la riche dotation de l'université de Louvain.
Je me permets de réclamer un peu la bienveillante attention de la chambre en faveur d'un sujet aride, mais qui ne manque pas d'un certain intérêt.
Premier point :
Il est fort douteux que l’ancienne université de Louvain ait jamais été une université de l'État.
Voici, messieurs, quelques renseignements sur l'origine de l'université de Louvain qui pourront, je pense, jeter du jour sur la question.
Ceux qui s'occupent de l'histoire de notre pays, et des troubles qui ont signalé la fin du XIVème siècle, connaissent l'épisode fameux de l'histoire de Louvain, où treize patriciens accusés d'avoir favorisé l'assassinat de l'échevin Vanderleyen, furent eux-mêmes assassinés et jetés mutilés, du haut des fenêtres de l'hôtel de ville sur les piques des gens du peuple qui, n'ayant pu pénétrer à l'intérieur, attendaient dehors l'occasion d'assouvir leur vengeance.
Cette boucherie des patriciens amena, comme on sait, une terrible réaction de la part des nobles.
Afin de terminer ces sanglantes représailles, le duc de Brabant, Wenceslas, résolut d'intervenir. Son intervention fut rigoureuse. Elle aboutit à des châtiments terribles. L'ordre prévalut, mais au prix de la prospérité de la ville de Louvain.
Ce qui porta un coup fatal à la population, ce fut le bannissement ou la dispersion des ouvriers drapiers, auteurs présumés de la révolte, qui transplantèrent leur industrie en Angleterre et en Hollande.
Le magistrat de Louvain, désirant réparer, autant que possible, les pertes que la ville venait d'éprouver, sut profiler habilement des bonnes dispositions du duc Jean IV, l'un des successeurs de Wenceslas, afin d'obtenir de lui l'élection à Louvain d'une école des arts et des sciences, comme indemnité des pertes que les actes du gouvernement lui avaient fait éprouver.
Outre le consentement du chef de l'Etat, il fallait encore à cette époque, comme ou sait, celui du souverain pontife.
Pour l'obtenir on envoya à Rome l'écolâtre de St-Pierre (qui fit le voyage aux frais de la ville), afin de solliciter l'érection canonique.
Le pape Martin V accueillit la demande, et donna la bulle d'érection en 1425.
Le duc Jean accorda ses lettres de placet le 18 août 1426 ; elles furent apportées à Louvain par son secrétaire Edmond de Dynter dont la ville de Louvain supporta encore les frais de voyage.
Il ne résulte pas de ces documents que l'université de Louvain ait été considérée connue une dépendance ou école de l'Etat. Il semble, bien au contraire, que le souverain, sous le rapport scientifique et sous le rapport de l'existence politique ou civile, ait voulu faire un établissement appartenant au monde par la science, et à lui-même par sa constitution privée.
C'est dans le premier de ces buts que le duc Jean s'adressant aux rois, (page 1747) princes, archevêques, évêques, ducs, marquis, comtes, parents, alliés et amis, les invita à permettre dans leurs Etats la publication de tout ce qui concerne l'université, et de protéger par tous les moyens possibles, les docteurs, professeurs, licenciés, écoliers cl étudiants su rendant à Louvain avec leurs familles et leurs propriétés.
C'est dans le second de ces buts que les successeurs de Jean IV accordèrent à l'université ou à la ville des immunités et des privilèges exceptionnels de toute espèce. Privilèges pour les personnes, exemptions de tonlieux et de péages, assimilation des enfants naturels aux légitimes pour les actes de la vie civile permis seulement à ces derniers, privilèges de juridiction, etc., etc.
Tous les documents de l'histoire nous enseignent que cette université avait un caractère particulier et indépendant, qu'elle jouissait de plus que de la liberté, puisqu'elle avait une autorité et une juridiction particulière, que les princes et le pape de qui elle relevait, lui avaient abandonné une portion de leur puissance, et qu'elle en usait d'une manière fort large.
Je ne veux pas dire qu'elle était indépendante de l'Etat, puisque le temps en temps les souverains intervenaient quand les intérêts majeurs de l'université le réclamaient, témoins la (erratum, page 1758) mémorable visite d'Albert et d'Isabelle, témoin quelques mesures prises longtemps après par Marie-Thérèse; mais ce que je crois incontestable, c'est que loin d'être une université de l'Etat dans le sens que nous attachons à ce mot, elle était plutôt un institut européen d'enseignement supérieur, érigé en personne civile pour son administration matérielle et intérieure, et en personne publique pour son administration politique et scientifique, ne recourant au prince et au pape que pour la solution des difficultés avec des tiers non soumis à sa juridiction, et recevant toujours d'eux un une extension nouvelle à ses droits déjà considérables, ou tout au moins une solution favorable à ses prétentions.
Sous ce rapport, l'honorable M. d'Elhoungne était dans le vrai quand il disait qu'entre l'ancienne université de Louvain dont la gloire appartient à toute la Belgique, et il aurait pu ajouter à toute l'Europe, et l'université catholique la filiation était douteuse. »
Mais aussi, messieurs, pour continuer le langage de cet honorable membre, si pour s'emparer de ce qu'il appelle la succession en déshérence de l'université de Louvain, il faut être son héritière légitime, c'est-à-dire l'héritière de sa gloire, de son renom, de son pouvoir et de son éclat, soyons tous modestes, messieurs, et avouons en toute humilité que la succession est toujours vacante, ou que tout au moins l'héritière légitime est à peine conçue.
Le rapport de la section centrale dit qu'un arrêt de la cour de Bruxelles a décidé que l'université actuelle de Louvain n'était pas la continuation de l'ancienne université ; mais il importe de faire remarquer que dans l'espèce sur laquelle cet arrêt a été rendu, il ne s'agissait pas des droits, (erratum, page 1758) des institués à la collation des bourses, mais uniquement du droit de collation lui-même.
L'arrêt de la cour n'a donc jamais eu à décider qui avait droit à la jouissance, mais qui avait droit à la collation des bourses, ce qui est bien différent; et l'arrêt a décidé que lorsque l'acte de fondation conférait ce droit à un professeur de l'ancienne université, les professeurs de l'université actuelle n'étaient pas habiles à le remplacer.
Il est à remarquer que dans cette affaire le gouvernement avait désigné le commissaire d'arrondissement pour remplacer le collateur défaillant.
Mais les motifs de l'arrêt, messieurs, confirment précisément ce que je disais tout à l'heure, c'est à dire que l'université de Louvain constituait un corps dans l'Etat, y ayant (erratum, page 1758) une certaine autorité.
« Attendu, dit l'arrêt, que l'ancienne université de Louvain insinuée par une bulle du pape, de concert avec l'autorité du souverain, formait un corps reconnu dans l'Etat, ayant différentes attributions dont plusieurs même lui étaient déléguées par le pouvoir civil, et que l'université actuelle est un établissement privé en dehors de toute action du pouvoir, et sans autorité dans l'Etat. »
Cet arrêt fut déféré à la cour de cassation, et confirmé comme il devait l'être; il est évident que devant le principe de la liberté d'enseignement, les anciens professeurs, espèce de fonctionnaires publics, ne peuvent pas être considérés comme remplacés par des professeurs de l'enseignement libre.
Mais il est tout aussi évident pour moi, que par l'application des mêmes principes de la liberté d'enseignement, il doit être décidé que le jeune homme réunissant les autres conditions voulues par l'acte de fondation, doit pouvoir invoquer devant les collateurs, sa qualité d'étudiant à l’université de Louvain, tout comme il invoquerait sa qualité d’étudiant à l’une des trois autres universités et même sa qualité d'étudiant faisant des études privées. C'est là une simple question de fait à vérifier par les collateurs.
Or, c'est là précisément ce qui a lieu: les élèves de tous les établissements sont admis à la jouissance de la bourse; il n'y a que de très rares exceptions, et c'est dans le cas où la fondation a été créée plutôt en vue de l'habitation à Louvain que de l'étude à l'université.
Hors de là, messieurs, il importe qu'on le sache bien, et l'on ne peut pas trop le répéter, l'université de Louvain ne peut invoquer que le bénéfice du droit commun. L'on me fait remarquer à côté de moi qu'elle n'invoque pas d'autre droit; je puis dire, messieurs, que cela m'a été attesté par les autorités de l'université.
Or, je ne pense pas qu'il entre dans les intentions de la chambre d'exclure l’université du bénéfice du droit commun.
« Mais, dit-on, et c'est le second point de ma réponse, ces bourses ont cependant cessé d'être des propriétés de famille, puisqu'elles ont fait partie des biens possèdes par l'université; or, les biens ont été dévolus à l'État. L'Etat peut donc en disposer comme il l'entend.
Messieurs, ce raisonnement repose sur une erreur trop généralement répandue, erreur très compréhensible si l'honorable rapporteur de la section centrale, n'a vu que certaines autorités qui le prétendent ainsi, mais erreur évidente devant les faits judiciaires que nous allons faire connaître.
La chambre me permettra d'initier dans cette grave question qui fait l'objet des débats actuels devant la cour de cassation, ceux de nos collègues qui ont trop longtemps partagé une erreur commune.
Messieurs, on sait que la création des mainmortes n'est pas une invention récente. Nous les devons à cette législation romaine, à laquelle nous devons d'ailleurs tant de monuments impérissables. C'est cette législation qui a fait de tout fondateur un législateur particulier.
Cependant, messieurs, avant la création de l'université de Louvain, les fondations en faveur de l’instruction n'étaient que peu connues. Mais depuis lors il s'en est créé un grand nombre.
Elles avaient lieu de deux manières :
Ou l'on créait des collèges, c'est-à-dire des établissements destinés à recevoir, nourrir, loger et entretenir certains jeunes gens désignés ;
Ou l'on affectait, sous le nom de bourses, un capital dont le revenu annuel servait à subvenir aux besoins (erratum, page 1758) des jeunes gens de certaines catégories.
Lors de la réunion de la Belgique à la France, cet état de choses existait encore sans altération.
Cependant, messieurs, plusieurs lois de la République française concernant la nationalisation des biens de mainmorte, furent successivement publiées en Belgique; mais, chose étrange, la loi qui nationalisait les bourses d’études, ne fut point publiée, soit par inadvertance, soit volontairement. Aussi, messieurs, malgré l'opinion infiniment respectable des savants publicistes belges, malgré l’opinion émise par l'honorable rapporteur de la section centrale, la jurisprudence belge, par trois arrêts successifs, savoir, des 30 juin 1839, 11 janvier 1848 et 11 janvier 1849, de la cour de Bruxelles, s'est prononcée pour la non-nationalisation des biens de fondations de bourses.
Je puis d'autant mieux vous en parler, messieurs, que ce système, s'il n'est pas réformé, condamne la ville de Louvain envers ces mêmes fondations de bourse, à de sommes considérables. La loyauté m'oblige à dire qu'il y a pourvoi en cassation contre ce dernier arrêt; je ne puis donc rien dire sur les chances de ce pourvoi qui est pendant devant la cour.
Quoi qu'il en soit, la jurisprudence actuelle se fonde sur cette circonstance que le décret du 8-10 mars 1795, ordonnant la vente des biens des collèges, des bourses, et de tous les autres établissements d'instruction publique, inspectés jusqu'alors, n'a pas été publié en Belgique, et que partant, les bourses n'ont pas cessé d'avoir leur caractère et leur destination particulière.
Cette circonstance, messieurs, nous met immédiatement en mesure de répondre à la section centrale qui désire savoir pourquoi on a érigé à côte de l'université de Louvain une infinité de petites personnes civiles (erratum, page 1758) qui la fortifient aux dépens des autres établissements d'enseignement supérieur ? Pourquoi on a arrangé les choses de telle sorte que les administrateurs des anciennes fondations du bourses les adjugent presque toutes à l’université de Louvain ?
Ce sera l'objet du n°3° de ma réponse.
Il est bien évident, messieurs, que si le décret du 8-10 mars 1795 avait été publié en Belgique, les biens des bourses eussent été nationalisés; l'Etat en serait devenu le propriétaire, et pouvait en disposer dans les termes des lois postérieures. D'après ces loi postérieures, messieurs, la République française s'était bornée à supprimer la mainmorte, à ordonner la vente des biens, mais (erratum, page 1758) elle n'avait pas supprimer les bourses elles-mêmes; elle les maintenait, au contraire, comme encouragement à donner à la jeunesse studieuse. Les bourses cessaient d'être des propriétés de famille, consacrées aux avantages particuliers des institués, elles n'étaient plus consacrées à des études spéciales et déterminées; l’Etat s'emparait des fonds et en faisait des récompenses nationales; la volonté du donateur était remplacée par (erratum, page 1758) la munificence.
Dans cette hypothèse, l'honorable rapporteur de la section centrale a raison; mais aussi, pour qu'il ait raison, il faut que l'hypothèse se soit réalisée.
Mais si le décret n'a pas été publié, s'il est une lettre morte pour la Belgique, les choses changent complètement de face; les fondations restent ce quelles étaient; elles conservent leur caractère particulier ; elles ne deviennent pas propriété de l'Etat. La législation antérieure leur est applicable, à moins qu'une législation postérieure ne vienne en changer la nature; et si cette législation postérieure n'existe pas, si loin de détruire les fondations d'instruction, la législation postérieure les a, au contraire, rétablies, le système de l'honorable rapporteur de la section centrale ne peut se soutenir.
Or, messieurs, s'il faut en croire la jurisprudence que je viens de citer, c'est là ce qui est arrivé, comme nous n'aurons aucune peine à le démontrer. Voici l'état de la législation antérieure : Avant cette loi de mars 1793, la haine de la mainmorte avait atteint presque toutes les personnes civiles, mais elle avait formellement respecté les fondations d'instruction. La loi du 12 juillet-24 août 1790, nous en fourmi un bien remarquable exemple :
(page 1748) Après avoir aboli tous les titres, offices, bénéfices et prestimonies quelconques autres que ceux compris dans la nouvelle organisation, l'article 25, titre I, réserve ce qui pourrait intéresser l'instruction : il le fait dans les termes suivants :
« Les fondations faites pour subvenir à l'éducation des parents des fondateurs, continueront d'être exécutées conformément aux dispositions écrites dans les titres de fondations. »
Cet article est remarquable, avons-nous dit, et en effet, il sanctifie la bienfaisance, parce que jusque-là la constituante française ne s'est attaquée qu'aux abus ; il respecte expressément les droits de la famille dans la volonté d'un testateur qui n'est plus, parce que dans ce moment les droits de la famille brillent encore de tout leur éclat.
Voici maintenant ce qui eut lieu postérieurement :
La non publication du décret du 8-10 mars 1795 amena d'assez singulières anomalies ; la législation suivant le cours de ses idées, et procédant comme si cette loi avait été rendue commune aux départements réunis, agit en conséquence. S'apercevant qu'elle avait méconnu le principe même de la fraternité inscrit sur son drapeau, la république française ne voulut point persévérer dans une voie où la bienfaisance recevait de si cruelles atteintes.
Elle revint bientôt à des sentiments meilleurs; ainsi, et pour nous expliquer le système adopté plus tard par le roi Guillaume, en ce qui concerne l'administration des biens, des fondations d'instruction, les lois des 2 brumaire an IV, 16 vendémiaire, 7 frimaire et 20 ventôse an V, reconstituèrent les hospices et bureaux de bienfaisance, en leur attribuant la propriété de tous les biens qui avaient été anciennement affectés à la charité; c'était la une première réparation pour cette catégorie de propriétés.
Mais là ne se bornait pas la restitution : une loi du 25 messidor an V déclara les dispositions de la loi du 16 vendémiaire an V, qui conserve les hospices civils dans la jouissance de leurs biens, communes aux biens affectés aux fondations de bourses dans tous les ci-devant collèges de la république; voilà une deuxième réparation.
« Le motif qui a fait réunir lesdits biens à ceux des hospices mérite d'être remarqué (dit M. Tielemans, le savant auteur du Recueil du droit administratif), c'est que les fondations de bourses, tant d'après leurs titres, que d'après l'emploi constant des fonds, doivent être considérée comme œuvres de bienfaisance. »
Et en effet, messieurs, telles sont les expressions des considérants de la loi.
Ce sont donc des œuvres de bienfaisance, et comme telles nous verrons que tous les législateurs les ont respectées depuis, et que les tribunaux ont refusé jusqu'ici de porter la moindre atteinte à la volonté des fondateurs et aux droits de ceux qu'ils gratifiaient de leurs libéralités.
Poursuivons :
Je passe le reste de la législation française, messieurs, ce n'est pas le moment de l'analyser davantage.
J'arrive bien vite à l’arrêté royal du 26 décembre 1818, le plus spécial en première ligne que nous ayons à rencontrer.
On a vu que, conformément à la loi française, les établissements de charité avaient été mis en possession des bleus des bourses, et les administraient comme dépendances de leurs propriétés.
Le roi Guillaume, qui déjà antérieurement, et dès 1816, avait résolu le principe de la restitution des bourses particulières à leur destination primitive, décida par l'article premier de l'arrête du 26 novembre 1818, qu'à compter du 1er janvier 1819, l'administration des domaines, les bureaux de bienfaisance et les commissions des hospices cesseraient d'avoir droit à la jouissance de biens, bois et rentes appartenant aux fondations de bourses ou de collèges.
Les articles 5 et 6 de cet arrêté méritent l'attention toute particulière de la chambre, les voici :
« Art. 5. L'administration de tous les biens, bois et rentes, mentionnés dans les articles précédents, et généralement de tous ceux qui proviennent de fondations de bourses que l'on pourra découvrir par la suite, sera rendue, autant que possible, à ceux qui ont été nommés à cet effet dans les actes de fondation. Les dispositions de ces actes seront, autant que faire se pourra, scrupuleusement observées dans tous les points.
« Art. 6. Dans le cas où la volonté des fondateurs ne pourrait plus être suivie, en tout ou en partie, notre ministre susdit nous proposera les moyens d'y suppléer, qui toujours devront cire analogues au but que les fondateurs se sont proposé. »
Voilà, je crois une première réponse à l'une des questions que s'est posées la section centrale : « Comment a-t-on érigé à côté de l'université de Louvain une foule de petites personnes civiles qui la fortifient aux dépens des autres établissements? »
On voit que c'est la nature des choses qui a fait que le siège des administrations annexées aux ci-devant collèges, fut établi à Louvain, puisque l'administration des biens des fondations devait être rendue autant que possible à ceux que les actes de fondations avaient désignés.
Tous les administrateurs existaient encore pour la plupart à Louvain ;
C'était donc à Louvain que les personnes civiles devaient être rétablies pour les bourses particulières, de la même manière que pour les autres bourses, on en a rétabli le siège dans les villes ou les endroits où résidaient les fonctionnaires qui devaient les administrer.
C'est ici le moment de faire remarquer que sur les 412 bourses qui existent à Louvain, 21 seulement ont été rétablies par des actes postérieurs à la création de la nouvelle université. Les 591 autres l'ont été par des arrêtes antérieurs.
Mais ce n'est pas tout:
Un autre arrêté du roi Guillaume, du 2 novembre 1823, est plus explicite et plus circonstancié; il organise complètement les fondations de bourses, leur administration, leur collation.
Il fait plus, il subordonne la décision des difficultés qui pourraient survenir, soit relativement au droit à faire la collation, soit à la manière dont la collation doit avoir lieu, à un triple degré de juridiction, aux députations permanentes, au gouvernement, et en dernier lieu aux tribunaux.
On peut donc dire que tous les droits sont sauvegardés, et que si une collation est indûment faite, un triple recours, dont les deux premiers se font sans frais, est ouvert aux prétendants qui se croiraient lésés dans leurs droits.
Messieurs, je n'ignore pas que les arrêtés du roi de Hollande ont été souvent critiqués; la moindre critique qui s'est élevée contre eux n'est pas celle d'inconstitutionnalité ; mais ici encore à l'autorité considérable de publicistes éminents, il faut bien opposer celle de nos cours. La question d'inconstitutionnalité de ces arrêtés a été portée devant elle, et elle a été écartée ; elle a été non seulement écartée par les tribunaux, et notamment par la cour de Liège, mais déjà par l'un de ses premiers actes, le gouvernement provisoire de la Belgique avait préludé à la reconnaissance de la constitutionnalité de ces arrêtés, en déclarant dans son arrêté du 7 janvier 1831, que la disposition de l'article premier de l'arrêté du 2 décembre 1823, était applicable, comme tous les autres articles de cet arrêté, aux fondations de bourses qui étaient annexées aux anciens collèges de l'université de Louvain, comme à toute autre fondation de bourses pour les études.
Je me résume, messieurs, sur ces points, et je dis :
Les fondations d'instruction annexées aux anciens collèges établis près de l'ancienne université de Louvain par des fondateurs particuliers, ont été érigées, maintenues, rétablies et reconnues :
1° Par la législation romaine qui a été la cause première du développement excessif des mainmortes ;
2° Par la république française, qui n'a pas voulu porter la main sur cette œuvre de bienfaisance;
2° Par le roi Guillaume, dont l'administration n'était pas irréprochable, mais qui n'a pas non plus voulu que le principe qui avait précédé à la fondation fût altéré;
4° Et enfin par le premier gouvernement créé pour détruire les abus de l'administration précédente, par le gouvernement provisoire de la Belgique, qui n'a pas même hésité là où d'autres doutaient, et qui a reconnu et déclaré que tout l'arrêté du roi Guillaume du 2 décembre 1823,qui est en quelque sorte la charte des fondations des bourses, était applicable aux bourses annexées aux collèges établis près de l'ancienne université de Louvain.
Messieurs, il me reste à prouver qu'il n'est pas exact de prétendre que la préférence soit donnée aux élèves fréquentant l'université de Louvain; qu'il n'est pas davantage démontré que ceux-ci en aient obtenu le plus grand nombre. C'est la quatrième démonstration que j'ai entreprise.
Dans l'état actuel de la législation, messieurs, les choses doivent se passer le plus régulièrement du monde, et je m'expliquerais assez difficilement que des abus nombreux pussent se glisser dans les collations, à moins de trouver la complicité dans les autorités les moins soupçonnables.
Voyons comment les choses se passent.
Une bourse devient vacante :
Dès qu'une bourse devient vacante, dit l'article 22 de l'arrêté du 2 décembre 1823, les collateurs l'annonceront par des insertions dans l'une des feuilles publiques les plus répandues des provinces où sont présumés se trouver les intéressés.
« Ils préviendront en outre l'autorité municipale des lieux dont les habitants sont spécialement appelés par le fondateur, ou de ceux où l'on présume que se trouvent les membres appelés de la famille du fondateur, le tout sans préjudice de publications particulières qui peuvent être prescrites par les fondateurs. Ils indiqueront en même temps le délai dans lequel les prétendants devront se présenter. »
Or, messieurs, ces formalités sont religieusement observées. Nous pouvons nous assurer tous que le Moniteur contient régulièrement cet appel qui se fait et dans les autres journaux désignés et dans des publications particulières, dont je soumets le dernier spécimen, celui de 1849 à l'inspection des membres de la chambre.
Une fois ce fait posé, messieurs, il n'est du moins plus possible d'accuser les collateurs de reculer devant la publicité ; mais aussi une fois cette publicité acquise, les yeux de tous les intéressés sont ouverts.
Tous les prétendants ont droit de se présenter, et il faut supposer qu'ils se présentent devant les collateurs, munis de leurs titres.
« Les collateurs, dit l'article 23, se conformeront scrupuleusement aux conditions et règles établies par les fondateurs pour juger de l'habileté des candidats et du choix à faire parmi eux. »
Les collateurs s'érigent dès lors en véritables juges de famille, formant un premier degré de juridiction, et doivent juger comme des magistrat le feraient, sur les pièces et documents produits, quel est celui des réclamants qui a le plus de droit à la collation, sans égard à l'établissement d’instruction supérieure dans lequel celui-ci fait ses études.
Ce système est-il bon? convient-il de le remplacer par un autre, offrant plus de garanties ? faut-il que la législature fasse ce que le gouvernement français avait omis de faire pour la Belgique, ce que le gouvernement des Pays-Bas s'est bien gardé de faire, c'est-à-dire, faut-il nationaliser le» propriétés restées jusqu'ici propriétés de famille?
(page 1740) Alors que la loi communale a déclaré que dans d'autres cas où la bienfaisance publique est également en jeu, il ne serait pas dérogé par les dispositions de l'article 84 aux actes de fondations qui établissent des administrateurs spéciaux, convient-il d'abroger les arrêtés du roi Guillaume et de réorganiser les fondations d'instruction sur d'autres bases ? C'est ce que la chambre ne voudra pas faire, je pense ; du moins pas actuellement, elle attendra, et je crois qu'elle fera bien, que la commission instituée par le gouvernement lui ait fourni son avis, et formulé des propositions que le gouvernement pourra soumettre à la législature, s'il le juge convenable.
En attendant, messieurs, je crois que l'on peut s'en remettre aux collateurs actuels du soin de continuer comme par le passé.
Mais ces collateurs n'est-ce pas l'université elle-même ? et n'est-ce pas elle qui dispose des bourses d'ancienne fondation, bien entendu à son profit exclusif?
C'est une erreur ; messieurs, l'université n'est point érigée en personne civile, comme l'a fort bien dit l'honorable rapporteur de la section centrale.
Les collateurs sont d'abord les personnes désignées par les actes de fondations, si elles existent encore.
Si elles n'existent plus, messieurs, les collateurs sont, en général, des hommes peu suspects ; c'est d'abord M. le ministre de l'intérieur, chargé en outre de « désigner, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 2 décembre 1823, sur l'avis de la députation permanente, près ou à proximité du siège de la fondation, une autorité publique qui paraîtra la plus propre à en exercer les fonctions.»
C'est ensuite M. le ministre de la justice, le commissaire d'arrondissement, le procureur du roi, le juge de paix. Et ici, messieurs, je dois rectifier un fait qui m'a été communiqué par un de nos honorables collègues, c'est-à-dire que le gouvernement n'aurait que la collation de (erratum, page 1758) 3,000 francs environ, parmi les bourses annexées aux anciennes fondations, et si j'ai bien vérifié, c'est environ 50,000 francs qui sont à la collation du gouvernement et de ses agents directs ; pour n'en citer qu'une seule, c'est celle qui est indiquée, au tableau, sous le n°394, instituée pour l'enseignement primaire, et qui est de 8,364 fr. 85 c.
Ces fonctionnaires sont-ils tous atteints ou convaincus de partialité? Mais alors il est une catégorie de personnes que l'on ne peut soupçonner, ce sont les réclamants déboutés.
Pour ceux-là tout n'est pas dit quand un tribunal de collateurs a prononcé, ils ont leur recours devant la députation permanente, devant le ministre, et enfin devant les tribunaux.
Et ces garanties, messieurs, qui sont déclarées suffisantes pour les miliciens indûment appelés sous les armes pendant les huit plus belles années de leur vie, pour les citoyens indûment omis sur les listes électorales ou contre ceux qui y auraient été indûment portés, qui sont suffisantes pour la garantie de la fortune entière et de l'honneur de tous les citoyens sans distinction, ne le seront-elles pas, je vous le demande, contre des résolutions mal prises des collateurs de bourses ?
Poser la question, n'est-ce pas la résoudre?
« Mais comment se fait-il que la plupart de ces bourses sont cependant attribuées aux élèves de l'université de Louvain ? »
Messieurs, cela serait, que déjà vous aurez remarqué, que sans que l'université y eût mis la main, cela se ferait assez naturellement. C'est qu'apparemment le plus grand nombre d'ayants droit préféreraient étudier à l'université de Louvain, ou en retournant la proposition, que les élèves fréquentant cette université se trouvent en majorité parmi les ayants droit.
Cela pourrait encore tenir à ce que, dans la plupart des bourses, les jeunes gens pauvres de Louvain sont appelés en deuxième ou troisième ordre, a défaut de ceux qui les précèdent.
S'il en était ainsi, messieurs, il n'y aurait, ce me semble, qu'à appliquer ce brocard :
« Que celui qui use de son droit ne fait du tort à personne. »
Mais enfin, messieurs, si mes renseignements sont exacts, voici quelques aperçus sur lesquels je vous prie de méditer :
Conformément à la législation que j'ai eu l'honneur de rappeler plus haut, Louvain est redevenu le siège de 412 bourses d'anciennes fondations. C'est ce qui résulte d'un travail soumis à la chambre, par M. le ministre de la justice, et dont il est parlé dans le rapport de la section centrale.
Je prie la chambre de remarquer que, à quelques très rares exceptions près, les 412 bourses sont restées des bourses de famille; celles qui ne sont pas des bourses de famille sont toutes ou presque toutes, des bourses de bienfaisance, fondées au profit (erratum, page 1758) de jeunes gens peu fortunés et bien spécifiées dans les actes de fondation.
J'ai dit que dans plusieurs de ces actes, les jeunes gens pauvres de Louvain sont appelés en deuxième, troisième ou quatrième ligne.
Ces bourses n'ayant pas été nationalisées, n'ayant donc jamais appartenu à l'Etat, n'ayant jamais changé de caractère, sont divisées comme suit :
290 bourses affectées ou spécialement à la théologie, sans pouvoir être transférées à d'autres études, ou à la théologie au principal, et subsidiairement à d'autres sciences.
Celles-là, on peut, je crois, les mettre hors de cause, l'Etat ne voudra probablement pas les détourner de leur destination.
83 bourses sont affectées à l'enseignement primaire, aux humanités, aux écoles dominicales ou n'ont aucune désignation.
Celles-là n'appartiennent pas au sujet qui nous occupe.
Huit bourses sont affectées exclusivement au droit.
Sept à la médecine.
Les 31 autres sont assez vaguement déterminées.
Voici le tableau des bourses affectées au droit.
(Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée)
Total : 2,016 fr. 72
Les sept bourses fondées spécialement pour la médecine sont les suivantes :
(Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée)
Total : 2,489 fr. 48
On voit, messieurs, que les études spéciales du droit et de la médecine (erratum, page 1758) n'ont pas été très largement partagées ; je pense d'ailleurs que les collateurs offrent toutes les garanties d'impartialité désirables.
Afin de m'assurer si les faits correspondaient avec les indications du travail publié par M. le ministre de la justice, j'ai désiré savoir quel était l'état de répartition des bourses dans ce moment.
Je me suis adressé à celui de messieurs les administrateurs receveurs qui a plus spécialement dans ses recettes les bourses de droit et de médecine, et celles qui peuvent être distraites de la théologie, sans contrarier la volonté des donateurs.
Voici, messieurs, les renseignements qui m'ont été fournis, je les livre à la chambre, tels qu'ils ont été pris sur les livres du receveur principal.
Le revenu des fondations administrées par ce receveur s'élèvent de 60,000 à 70,000 francs, moyenne 65,000 francs.
Voici comment les bourses sont actuellement partagées :
Un tiers de la somme totale de la recette environ est payé à des élèves en théologie, suivant les actes de fondation, et la volonté expresse, des auteurs de la libéralité, soit, fr. 19,257.
La plus grande partie des élèves qui jouissent de ces bourses étudient dans les séminaires.
Il est payé ensuite à des élèves fréquentant des établissements d'enseignement de la Belgique autres que ceux de Louvain, fr. 16,301 fr.
Quelques bourses sont conférées, toujours suivant des actes de fondation, à des étrangers ayant droit, qui étudient en Belgique, dans des établissements de leur choix : fr. 5,524.
Les jeunes gens fréquentant l'université de Louvain, n'en ont obtenu que pour une somme de fr. 14,715.
Total des bourses conférées, fr. 55,796.
Le restant, soit environ 9,000 francs, n'a pas été conféré faute d'ayants droit et attend sa destination.
J'ai parlé un peu plus haut, messieurs, de l'état des bourses vacantes au 18 juin 1849. J'ai sous les yeux l'état de répartition qui a été fait et je puis dire que la même proportion a été suivie.
Du reste, messieurs, s'il y avait abus dans les collations ou dans la comptabilité, les personnes civiles dont il est ici question ne sont en aucune façon soustraites au contrôle de l'autorité; celle-ci est loin d'être désarmée contre les abus ou les irrégularités que les administrateurs de fondations pourraient commettre dans l'exercice de leurs fonctions.
Tous les ans leur compte est adressé à la députation permanente qui (page 1750) l'arrête et fait chaque année, dans le courant du second trimestre, un rapport au gouvernement. (Article 6 de l'arrêté du 2 décembre 1823.)
Indépendamment de ce contrôle, il y a près le département de l'intérieur un comité consultatif pour les affaires des fondations d'instruction publique, et le chef de ce département décide sur son rapport tous les points qui lui sont réservés par l'arrêté. (Article 30.)
Enfin, le chef dudit département fait faire, à des époques indéterminées et lorsqu'il le juge utile, des inspections à l'effet de s'assurer de la bonne administration des fondations et de l'exécution des dispositions auxquelles elles sont soumises. (Article 31.)
Je viens, messieurs, de mettre sous les yeux de la chambre ce que l'on appelle les pièces du procès. J'ai essayé de le faire le plus complètement qu'il m'a été possible. Je prie la chambre de croire que je n'ai commis aucune erreur volontaire, que je ne lui ai rien caché, que je lui ai dit tout ce que j’avais pu recueillir. Je suis prêt à admettre toutes les rectifications, car si je m'étais trompé, messieurs, c'est que j'aurais été moi-même induit en erreur. Mais si les choses se passent ainsi que je l'ai dit, ne suis-je pas maintenant autorisé à dire que l’université de Louvain n'est pas dotée comme on l'a assez généralement cru, c'est-à-dire qu'elle ne jouit pas exclusivement des bourses fondées près des anciens collèges supprimés, et si tous les jeunes gens étudiant dans tous les établissements d'instruction du pays ont le droit incontesté de participer aux bourses établies à Louvain, n'est-il pas juste que ceux qui étudient dans les établissements libres participent aux bourses à créer par la loi ? Ou serait-il vrai que l'on voudrait non seulement exclure les jeunes gens de Louvain des bourses à créer, (erratum, page 1758) mais encore leur enlever (erratum, page 1758) toute participation aux bourses d'ancienne fondation?
Je ne puis le croire, messieurs; mais alors, moi, qui n'ai aucune mission pour défendre l'uuiversité de Louvain, moi qui vous parle en qualité de représentant d'une des villes les plus patriotiques de la Belgique, me sera-t-il permis, pour désarmer une rigueur que je crois injuste, de vous dire un mot de cette ville, qui n'a pas toujours été bien traitée par le pays?
Pendant que d'autres localités demandent ou désirent des millions pour dériver de grandes rivières, construire des canaux et des chemins de fer directs; pendant qu'elles obtiennent des abaissements de tarifs et des réductions sur les péages, la ville de Louvain, qui se trouve en définitive sous le coup des menaces de la section centrale, quand elle a voulu avoir une voie de navigation qui la mît en rapport avec l'Escaut et le port d'Anvers, l'autorité d'alors lui concéda le droit de la construire à ses frais.
Elle l'a construite, messieurs, et c'est pour l'avoir fait qu'elle courbe aujourd'hui sous la dette qu'elle contracta envers les mêmes fondations de bourses; veut-on aujourd'hui mettre la main sur des sommes dont quelques-unes, obtenues par des jeunes gens étudiants Louvain, servent en partie de compensation bien faible aux énormes sacrifices que la ville s'est imposés dans le temps de sa prospérité, pendant que d'autres s'opposent avec un honorable patriotisme à la réunion des deux universités de l'Etat en une seule, par le motif que l'université qu'ils possèdent a poussé dans leur sol des racines longues de trente années à peine; et qu'ils prétendent avoir acquis un titre imprescriptible à leur conservation, me sera-t-il permis de rappeler deux faits qui prouveraient qu'en matière d'établissements publics, la ville de Louvain semble destinée à n'être jamais que la dupe ou la victime des événements politiques?
Qui ne se rappelle ce fameux collège philosophique créé, en 1825, par le roi Guillaume, approprié par la ville en partie avec les fonds qui lui furent prêtés par l’Etat?
Qui ne se souvient qu'après deux années environ d'existence cet établissement fut supprimé?
M. Rodenbach. - On a bien fait.
M. de Luesemans. - Je ne le conteste pas, mais voici qui n'est plus si bien, c'est que le gouvernement réclame de la ville de Louvain la restitution des sommes avancées pour la création d'un établissement, qui fut presque aussitôt supprimé qu'érigé. N'était-ce pas plutôt une indemnité qu'il aurait fallu lui donner pour la perte de ses propres capitaux engagés dans la dépense? Eh bien, messieurs, c'est un procès qu'on t'oblige à soutenir.
Vous parlerai-je aussi de l'université de Louvain, messieurs ? La chambre a-t-elle oublié qu'un jour, dans cette même enceinte, sans respect pour quatre siècles d'existence pendant lesquels ses racines avaient poussé dans toute l'Europe, il fut décidé que la cognée serait portée sur cet arbre immense, dont les rameaux s'étendaient jadis non sur quelques provinces, mais sur tous les pays civilisés? Et pourtant le sacrifice fût consommé, messieurs ; l'union si nécessaire en tous temps, entre tous les enfants de la Belgique, n'empêcha pas la chambre de traiter la ville de Louvain comme si elle n'était pas aussi un des enfants légitimes du pays.
Et maintenant que le vieil arbre est mort, et bien mort, faudra-t-il encore qu'à chaque instant nous soyons menacés de nous voir enlever un à un les quelques rares drageons qu'il a laissés dans notre sol?
Que si vous n'avez pas oublié, comme je l'espère du moins, les faits contemporains, laissez-moi croire, messieurs, que vous ne refuserez pas à nos enfants pauvres la participation à vos subsides, dans la proportion que le gouvernement jugera équitable, qu'il fixera non d'après l'importance des établissements, mais d'après les besoins de ceux qui les fréquent, et leur aptitude spéciale aux études.
(page 1742) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi qui a pour objet d'attribuer aux tribunaux de commerce la connaissance des contestations qui s'élèvent au sujet des transports effectués par le chemin de fer de l'Etat.
- Il est donné acte à M. le ministre des travaux publics de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué.
M. Orts. - Je demande que ce projet de loi soit renvoyé à une commission de sept membres, nommée par le bureau.
- Cette proposition est adoptée.
Sur la proposition de M. le président, la chambre s'ajourne à mardi, 3 juillet, à deux heures.
La séance est levée à 3 heures et demie.