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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 28 juin 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1711) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et demie.

- La séance est ouverte.

M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs négociants à Gand demandent une nouvelle répartition entre les bureaux intéressés de la quantité de cafés que la Hollande est admise à introduire annuellement en Belgique. »

M. T'Kint de Naeyer. - Cette pétition est très importante, elle est relative à la répartition inégale des 7 millions de kil. de cafés à recevoir de la Hollande à droits réduits. Je demande, messieurs, que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport sur cet objet.

- Adopté.


« Le sieur Dufries propose des modifications au budget des voies et moyens pour l'exercice 1850. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner ce budget.


M. de Bourdeaud'huy demande un congé pour cause d'indisposition.

- Accordé.


M. Maurice Block fait hommage à la chambre de sa traduction des lois belges sur les mines.

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi qui modifie la loi du 27 septembre 1835, sur l'enseignement supérieur

Discussion générale

Titre III. Des grades des jurys d'examen et des droits qui sont attachés aux grades

Chapitre I. Des grades et des jurys d'examen
Article 45

M. Delfosse, rapporteur. - La section centrale s'est réunie pour examiner les trois amendements déposés dans la séance d'hier en ce qui concerne la langue flamande.

L'amendement de l'honorable M. Orts, qui laisse le choix entre la traduction du flamand, de l'allemand ou de l'anglais, a été rejeté à l'unanimité.

Favorable en apparence aux provinces flamandes, cet amendement leur serait en réalité nuisible ; les récipiendaires flamands n'étudieraient ni l'allemand ni l'anglais, langues dont on suppose la connaissance utile.

L'amendement de l'honorable M. Veydt a été aussi rejeté à l'unanimité; on ne pourrait, d'après cet amendement, obtenir la distinction sans connaître la langue flamande. Comme il n'y a pas de récipiendaire qui ne désire obtenir la distinction, l'étude de la langue flamande deviendrait en quelque sorte obligatoire.

Le premier paragraphe de l'amendement de l'honorable M. de Haerne a été adopté à l'unanimité avec une légère modification, on retranche de ce paragraphe les mots du français.

Le deuxième paragraphe a été rejeté à l'unanimité moins un membre qui s'est abstenu. La section centrale pense que, dans l'intérêt même des récipiendaires flamands, on ne peut pas les dispenser de la composition française ; la langue française est un lien commun entre les diverses parties du pays, et le Flamand qui passerait aux études supérieures sans bien connaître cette langue serait dans un état d'infériorité regrettable.

La section centrale, à la majorité de quatre voix contre deux, a substitué à ce paragraphe la disposition suivante :

« Lorsque le récipiendaire se sera soumis à un examen sur deux des langues flamande, allemande ou anglaise, il en sera spécialement fait mention dans le certificat. »

Un membre avait proposé qu'outre la mention spéciale il fût tenu compte de ce fait dans l'appréciation du degré de mérite de l'examen.

La section centrale a rejeté cette proposition à la majorité de quatre voix contre deux, comme présentant à un degré moindre, il est vrai, les mêmes inconvénients que la proposition de M. Veydt.

(page 1712) M. le président. - La discussion continue sur l’article 45 et les amendements.

M. de Haerne. - Messieurs, j'ai un autre amendement à présenter à l'article 45 ; je regrette de ne pas l'avoir proposé hier; nous sommes arrivés un peu précipitamment à la discussion de l’article. 45; je ne m'attendais pas à voir soulever à la séance d'hier toutes les questions qui se rattachent à cet article; tout à coup est survenue la question flamande toute palpitante d'intérêt; j'ai dû y porter mon attention, c'est ce qui m'a fait perdre de vue l'amendement que je voulais proposer à la chambre. Mon but est d'entrer plus avant dans l'intention louable annoncée par M. le ministre de l'intérieur, à savoir de fortifier les études moyennes dans la partie principale, dans celle qui jusqu'ici, de l'aveu de tous les hommes compétents, a été considérablement négligée, et qui a besoin de grands encouragements, je veux parler de l'étude des langues anciennes.

J'ai déjà eu l'honneur d'avancer dans cette enceinte qu'à mes yeux le grade d'élève universitaire pouvait porter des fruits très utiles dans le cas où le jury serait composé comme je le désirais, et où le programme renfermerait des garanties suffisantes en faveur d'un bon enseignement moyen; c'est sur cette dernière considération que je prends la liberté d’appeler votre attention. L'innovation proposée par la création du grade d'élève universitaire doit avoir un double but : d'abord le but de dédoubler les matières de la candidature en philosophie et ensuite celui de fortifier les études moyennes.

Je pense que cette innovation peut atteindre ce double but, si en établit les conditions nécessaires à cette fin, notamment un programme mieux spécifié et qui assure des études complètes en fait d'instruction moyenne.

Pour ce qui regarde le premier but, il est rempli de soi-même (cela va sans dire) par l'institution seule du grade.

Quant au deuxième but, le programme, tel qu'il est formulé dans le projet de lui, me paraît insuffisant. L'abus dont on s'est plaint jusqu'ici (comme je viens d'avoir l'honneur de le dire) consiste surtout en ce que beaucoup d'élèves de l'enseignement moyen, pour se rendre à l'université, sautent les classes supérieures. C'est un fait très fréquent, et auquel il faut tâcher de porter remède; ils le font pour raccourcir leurs études, et souvent aussi pour jouir de plus de liberté. Il n'en est pas moins vrai que les études moyennes en souffrent considérablement. Par le programme tel qu'il est proposé, ce fait me semble pouvoir se perpétuer; car je soutiens qu'un bon élève de troisième, un peu plus avancé en mathématiques qu'on ne l'est ordinairement dans celle classe (il y a des élèves dans ce cas) pourrait satisfaire au programme, par conséquent être admis au grade d'élève universitaire sans avoir fait ses classes supérieures.

C'est un danger que je dois signaler à la chambre. J'ajoute que ce que je viens de dire, quant à la possibilité de la continuation de cet abus, n'est pas une pure supposition, mais une réalité qui s'est déjà présentée par suite de la supposition que le projet de loi aurait été adopté cette année, et mis à exécution à la fin des cours scolaires. Je connais des élèves qui, à la vue du programme, tel qu'il est formulé dans le projet de loi, ont quitté le collège en se déclarant prêts à subir l'examen d'élève universitaire, ils attendent la création du jury qui donnera les diplômes de ce grade. Ce fait s'est présenté pour un certain nombre d'élèves.

Le danger est donc évident; il est reconnu par une foule de professeurs d'athénées et de collèges.

Pour fortifier les études de collège, il faut qu'on oblige l'élève à faire ses classes supérieures. C'est le seul moyen pratique d'y réussir.

C'est le but de l'amendement que je viens de déposer. Il est très court ; il consiste à dire qu'outre les matières assignées, on interrogera l'élève sur les matières qui se rattachent aux classes supérieures de l'enseignement moyen.

C'est surtout l'étude des langues anciennes que je désire fortifier. On doit reconnaître que l'étude du grec et du latin a fortement baissé depuis un certain nombre d'années dans la plupart des pays, et notamment en Belgique.

Ce n'est pas le moment d'examiner quelles ont été les causes qui ont amené cette décadence regrettable. Cela se rapporte à la discussion du projet de loi sur l’enseignement moyen. Ici, je m'attache à stipuler dans le projet de loi les conditions qui, selon moi, seraient nécessaires pour combattre cette décadence, pour en arrêter le progrès.

Loin de moi l'intention de diminuer l'importance des langues vivantes, surtout au point de vue commercial. Personne n'est plus convaincu que moi de l'utilité de ces langues pour la jeunesse : on doit nécessairement les introduire dans un système complet d'enseignement moyen.

Les langues vivantes, les langues nationales, sont le véhicule des relations sociales et commerciales; elles servent de lien aux nations civilisées, les langues vivantes littéraires doivent être admises aussi dans un cours complet d'études moyennes. Mais, selon moi, toutes ces langues, à part la langue nationale, ne doivent figurer qu'au second plan, c'est-a-dire que l'étude de ces langues ne doit être admise que comme facultative; que des cours doivent être institues autant que possible à cet effet et attachés aux établissements d'instruction moyenne. Les langues vivantes étrangères doivent occuper le premier rang dans d'autres institutions, dans les institutions industrielles et commerciales. C'est là qu'elles sont évidemment les plus importantes. Elles doivent être classées, dans ces derniers établissements, parmi les matières nécessaires. Mais quant à l'enseignement proprement dit, c'est-à-dire l'enseignement qui est le vestibule de l'enseignement universitaire, ce sont évidemment les langues anciennes qui doivent être placées en première ligne. (Réclamation.) Je n'aurai pas de peine à le prouver.

Messieurs, c'est ainsi qu'on comprend les études moyennes dans tous les pays qui nous entourent. C'est ainsi qu'on les comprend en France, en Allemagne, en Angleterre, en Hollande. Je citerai à ce sujet un ouvrage remarquable qui a paru il y a quelques années en langue allemande, l'ouvrage d'un philologue très éclairé d'Allemagne, M. Thiersch. Il expose l'état actuel de l'enseignement dans les principaux pays de l'Europe, et il constate ce fait que je viens d'avancer, que les langues anciennes occupent le premier rang dans tous les établissements d'enseignement moyen dignes de ce nom.

On conteste bien souvent l'utilité des langues anciennes ; mais je crois que c'est faute de les considérer à un point de vue assez général, à un point de vue assez élevé et assez philosophique.

Le latin et le grec, comme largues mortes, nous initient à une civilisation qui n'est plus, je dois l'avouer, et qui diffère, sous plusieurs rapports, complètement de la nôtre. Mais c'est précisément pour ce motif que l'étude des langues anciennes exerce bien plus que celle des langues modernes le jugement de l'élève. Tous les grands littérateurs modernes, les romantiques, aussi bien que les classiques, depuis le Tasse et le Camoens jusqu'à Racine et Bossuet, depuis Dante et Shakespeare jusqu'à Schiller et Gœthe, tous les grands écrivains ont été profondément versés dans la connaissance des langues anciennes.

Comment comprendra-t-on l'esprit des classiques modernes, si l'on ne connaît pas les anciens? Nos langues, nos mœurs, nos usages sont imprégnés du génie de l'antiquité classique. Nous sommes à moitié Grecs et Romains.

Les sciences empruntent une foule de termes techniques aux langues savantes de l'antiquité. La connaissance des racines dispense souvent de recourir à des définitions longues et difficiles à saisir.

De même que, pour bien connaître un homme, il ne suffit pas de l'avoir vu, mais qu'il faut avoir conversé avec lui, avoir pénétré ses sentiments, son caractère, et savoir lire dans son cœur et son âme : de même pour connaître les Grecs et les Romains, qui ont joué un si grand rôle dans le monde que rien de ce qu'ils ont fait ou pensé ne peut nous être indifférent, il ne suffit pas de les avoir vus dans le tableau que nous en présentent les historiens modernes; mais il faut les avoir étudiés dans l’histoire telle qu'ils l'ont écrite eux-mêmes, il faut être entré dans leur vie intime que nous révèle leur langue, il faut posséder leur littérature qui est l'expression de leur société. Négliger le grec et le latin c'est faire, en matière de littérature, ce qu'on ferait en matière d'art si l'on brisait le Laocoon et l'Apollon du Belvédère ! ce serait du vandalisme.

Le grec est la langue de la poésie et de la philosophie par excellence ; le latin, la langue du droit, la langue qui reflète la majesté du peuple-roi, la langue de la foi, de la religion.

Ce sont deux flambeaux que la Providence a placés dans la nuit des temps, pour éclairer les nations à travers les siècles.

L'étude de ces langues doit être favorisée et encouragée plus qu'elle ne l'a été jusqu’ici.

Tel est le but de mon amendement.

On dira peut-être, messieurs, que cet amendement parait un peu vague et que, par là, il peut prêter à l'abus; mais il y prête moins que les termes mêmes du projet, termes qui sont fort élastiques et dont le jury pourrait également abuser, s'il n'était pas impartial, s'il n'avait pas en vue, avant tout, d'examiner la capacité de l'élève et de lui rendre justice.

Ainsi, quant à la désignation des auteurs grecs et latins, on dit dans le projet que le récipiendaire sera examiné sur ces auteurs; eh bien, ces termes sont très vagues, et si l'on veut eu abuser, on peut interroger l'élève sur les auteurs les plus difficiles, sur Pindare comme sur Platon, et rendre l'examen tellement difficile qu'aucun récipiendaire ne pourrait y satisfaire.

De même la trigonométrie rectiligne est comprise parmi les branches sur lesquelles on doit être interroge pour obtenir le grade d'élève universitaire. Eh bien, il serait très facile de subtiliser l’élève; on n'aurait, par exemple, qu'à lui faire chercher des logarithmes, au lieu de le laisser recourir aux tables; sur dix élèves, neuf échoueraient. Et cependant la théorie des logarithmes est la base de toutes les opérations trigonométriques.

Je pense donc qu'on ne doit pas s'arrêter devant le vague de l'amendement, vague que je crois inévitable, parce qu'il serait impossible d'exprimer autrement la pensée, qui me paraît devoir être déposée dans le projet. On ne peut supposer d'ailleurs que le jury veuille en abuser. Je trouve donc, messieurs, que la chambre peut sans inconvénient adopter mon amendement. En l'adaptant, elle rendra un véritable service aux études de l’enseignement moyen.

- L'amendement est appuyé.

M. Dedecker. - Messieurs, j'ai remis les quelques observations que j'ai à soumettre à la chambre sur la question flamande, jusqu'après l’examen des amendements par la section centrale.

Messieurs, il y a une remarque préalable qu’il importe de présenter pour bien faire comprendre la portée des amendements; car il est échappé à M. le ministre de l'intérieur un mot qui prouve que lui-même ne comprend pas toute l'importance de la question. Il a parlé des susceptibilités des populations; il y a plus que des susceptibilités; il y a un droit, le droit le plus sacré, celui de conserver intacte la langue de ses pères.

Devant quel fait sommes-nous en Belgique? Devant une division profonde des populations en deux races. (Interruption.)

M. Lebeau. - Je demande la parole.

M. Dedecker. - Personne plus que moi ne désire l'union la plus intime entre tous les citoyens belges. Mais je me borne à constater un fait qui est incontestable: c'est qu'en Belgique il y a deux races distinctes, parlant (page 1713) deux langues différentes, appartenant à deux ordres différents de civilisation. Il est impossible de nier ce fait.

Eh bien, chacune de ces populations a sa langue nationale; cette langue est aussi respectable chez les Flamands que chez les Wallons, et la langue flamande, au point de vue de la Constitution, a autant de droit que la langue française au respect du gouvernement et de la législature.

Nous avons donc tous intérêt à introduire l'étude de chacune de ces deux langues dans ‘enseignement.

Examinons maintenant, après ces observations essentielles, l'article 45 de la loi.

Quel est le but de cet article que nous discutons? On veut s'assurer qu'un jeune homme, avant d'être admis à l'université, connaisse d'abord une langue étrangère; c'est pour cela qu'on dit qu'il faudra une traduction de l'allemand et de l'anglais. Le flamand pour les Flamands n'est pas une langue étrangère; pour les Wallons, c'est une langue étrangère.

Eh bien, nous demandons que pour les Wallons il soit loisible d'être interrogé sur l'allemand, l'anglais ou le flamand. La section centrale admet cette idée. Nous voilà d'accord. Nous avons intérêt à ce que le Wallon soit engagé à étudier le flamand, qui doit lui servir et pour les recherches scientifiques et pour les relations commerciales. Voilà la première partie de l'amendement de M. de Haerne.

La deuxième partie concerne le deuxième paragraphe, l'élève fera une composition latine et une composition française ou flamande.

Quel but se propose-t-on par ce deuxième paragraphe? On veut que l'élève connaisse non seulement une langue étrangère ; mais on veut aussi qu’il connaisse avant tout sa langue maternelle. Jusqu'à présent rien n'est fait pour constater que l'élève des provinces flamandes connaît sa langue maternelle; c'est pour cela que j'appuie la deuxième partie de l'amendement : et que je voudrais exiger une composition française ou flamande.

L'honorable M. Delfosse se trompe quand il croit que le français est introduit comme langue scientifique, comme langue de la civilisation ; il y aurait lacune dans la loi, si vous ne preniez aucune précaution pour vous assurer que l'élève des provinces flamandes sait sa langue maternelle. Cette lacune disparaît en disant : une composition française ou flamande.

Des personnes pensent qu'il suffit d'encourager l'étude du flamand pour le Wallon, cela ne suffit pas ; il faut s'assurer que cette langue est étudiée par les Flamands ; c'est un point essentiel.

S'il y avait dans la décision de cette question le moindre danger au point de vue national, je serais le premier à combattre les amendements. C’est dans l'intérêt de la fusion ce que je fais; nous aurons fait chose utile dans l'intérêt national en respectant jusqu'au scrupule la langue des populations flamandes.

Je ne sais si vous voyez les événements contemporains comme je les vois : dans le mouvement qui s'opère en Europe, ce sont les races qui protestent contre les divisions diplomatiques; partout, dans tous les pays la première chose qu'on demande, c'est le libre usage et le respect pour sa langue ; la première chose qu'on promet, c'est le respect de cette langue. Je demande dans l'intérêt des populations flamandes, dans l'intérêt national, que le droit des populations flamandes soit respecté.

M. Lebeau. - J'ai demandé la parole pour combattre surtout l'amendement de M. Veydt, s'il n'y renonce pas.

M. Veydt. - Je n'y renonce pas.

M. Lebeau. - Je voudrais m’exprimer avec la plus grande réserve sur les inconvénients qui résulteront de la proposition. Je reconnais qu'il y a sur cette question des susceptibilités on ne peut plus honorables, et j'aurais un regret extrême de les blesser. Si j'ai pris la parole, c'est surtout en présence des prétentions révélées par plusieurs amendements, et notamment par celui de M. Veydt, qui est maintenu par son auteur.

C’est encore et surtout parce que je regarde comme empreints de grandes exagérations certains discours, prononcés à cette occasion, spécialement le discours de l'honorable M. de T’Serclaes; c'est, en outre, par suite du langage que je viens d'entendre de la part de l'honorable M. Dedecker. Je ne veux en aucune façon exagérer la portée de ses paroles, il a pris soin de les expliquer; il a dû s'apercevoir néanmoins, malgré le correctif, combien a été pénible pour une grande partie de la chambre, le simple énoncé de cette division du pays en deux races, autrement que comme un fait historique et matériel, laissant supposer un antagonisme actuel. La chambre, sans une seule exception, est, quant au langage, quant à l'idiome, à ce qui fait le fond de la discussion, la chambre ne parle qu'une langue et n'est animée que d'un seul esprit, tous deux image de l'unité nationale.

Il faudrait donc protester contre la division imaginée par l'honorable M. Dedecker, si on lui accordait un autre sens qu'une signification purement historique, une acception d'antiquaire.

Aucun de nous ne vient rappeler dans cette enceinte, par son langage, cette division d'origine; nous parlons tous ici, Flamands ou Wallons, Teutons ou Romans, la même langue, la langue française. Celui qui essayerait d'en parler une autre, je le dis sans intention blessante, mais pour caractériser l'étrangeté du fait, provoquerait infailliblement les rires bruyants de la chambre et des tribunes. Il en serait immédiatement fait justice involontairement par ceux-là même, et je suis du nombre, qui seraient disposés à reconnaître qu'on userait d'un droit incontestable.

Je le demande, messieurs, car ici il s'agit principalement d'une question pratique, d'une question de fait, quel est barreau de nos grandes villes où l'on emploie le flamand? quel est le conseil provincial où, sauf quelques essais qui n'ont pas été heureux, l'on parle une antre langue que la langue française, la langue des affaires publiques, la langue politique, la langue administrative. Cette différence de race qu'attesterait encore la diversité de langage, n'est-elle pas complètement effacée et de la manière la plus brillante par des Flamands de pur sang? Je ne sache pas que les Wallons, les descendants de la race romane, aient la prétention de parler mieux le français ici que plusieurs de nos collègues, que, par exemple, M. d'Elhounghe, M. Rolin, M. Devaux et tant d'autres, qui sont cependant des Flamands de pur sang.

Nos journaux (dans la plupart de nos villes, même de deuxième ordre) sont écrits en français et en très-bon français.

M. de Haerne. - Il y a 70 journaux flamands.

M. Lebeau. - Dans les grandes villes, dans les localités où les journaux ont la prétention de se faire lire au-delà des limites de leur district, les journaux sont écrits en français.

Je reconnais tout ce qu'il peut y avoir de louable dans les efforts de beaucoup de nos honorables collègues pour maintenir et propager même l’étude de langue la flamande. Je reconnais que, dans une partie de nos provinces, il peut être utile de propager la littérature flamande, il peut être dans l'intérêt de la moralité et des plaisirs de nos populations flamandes, d'encourager dans une certaine mesure la littérature flamande.

Mais il ne faut pas se faire illusion; de plus en plus, la lingue de la science, de la philosophie, de la politique, de l'administration, de la civilisation en Belgique, ce sera la langue française. Cela arrivera par le seul effet du temps et de la liberté, par cette puissante raison que la connaissance exclusive du flamand laisse une partie de nos concitoyens isolée en Europe, tandis que la connaissance de la langue française les met en relation avec l'Europe entière.

Ce n'est pas, en effet, seulement en France qu'on parle français ; c'est partout. La langue des hommes de science, la langue de la philosophie, la langue des hommes d'Etat, la langue des relations sociales, c'est presque partout le français. On parle français dans les salons de Vienne, de Berlin, de Francfort, de Saint-Pétersbourg, tout autant qu'à Bruxelles et à Paris.

On opposera quelques travaux littéraires en langue flamande, quelques travaux poétiques, dont j'ai entendu faire un grand éloge, éloge que j'admets volontiers sur parole; car je me déclare complètement incompétent pour en juger. Mais j'opposerai à mon tour des travaux littéraires dus à des Flamands de pur sang et qui sont écrits dans la langue des provinces wallonnes. Vous avez vu surgir du sein même des Flandres des essais poétiques, remarquables par le style et l'imagination, empreints d'un profond sentiment national et écrits en français. Qui n'a lu ce charmant recueil dû à des élèves de l'université qui siège dans la métropole de nos provinces flamandes?

Un poète flamand, le premier peut-être du pays, celui dont nous déplorons la perte récente, Weustenraad, dans quelle langue a-t-il écrit ces vers où respire, à côté de l'éclat du style, un si profond sentiment national, ces vers que tous les amateurs de bonne littérature savent pour ainsi dire par cœur? En français.

On ne peut donc réellement regarder la langue française comme celle d'une fraction de la Belgique. A beaucoup d'égards et sans vouloir blesser personne, on pourrait dire peut-être que c'est bien la langue nationale.

Je crois que l'honorable M. Dedecker, qui fait également honneur à notre littérature, a publié ses ouvrages en français.

M. Dedecker. - Qu'est-ce que cela prouve? Que je n'ai aucun motif d'avoir le moindre préjugé contre la langue française. Personne ici n'attaque le français; on défend les droits de la langue flamande.

M. Lebeau. - La liberté donc pour le flamand, comme pour le français. Mais la liberté seulement.

Quant aux encouragements, s'ils étaient dirigés par une pensée aveugle, exclusive, ils auraient un résultat que je n'hésite pas à dire funeste pour la véritable civilisation, pour l'unité, pour la fusion nationale.

N'attachons pas trop d'importance au rapport du sentiment national avec la langue parlée dans un pays. Lors des événements de 1830, il y avait une sorte de communauté de langage entre les provinces flamandes et la Hollande. Je n'hésite pas à dire cependant que l'opposition au gouvernement néerlandais a été peut-être plus vive, malgré cette apparence de communauté, dans les provinces flamandes, que dans les provinces wallonnes. Est-ce que, par suite de l'identité de langage, l'antagonisme entre l'Autriche, la Prusse et la Bavière est prêt à cesser ? Est-ce qu'on est disposé à devenir Français à Genève, à Lausanne, parce qu'on y parle français? Est-ce que les Anglais et les habitants des Etats-Unis d'Amérique, issus de la même race, et parlant la même langue, sont prêts à se fondre dans une même unité politique? Les populations flamandes et les populations hollandaises ont-elles l'une vers l'autre des aspirations bien vives? Rien de semblable.

N'attribuons donc pas, je le répète, une trop grande portée à cette conformité absolue de langage, comme destinée à effacer le type national. Il n'en est rien. Dans les relations de société, dans le monde savant, dans le monde politique, dans le monde administratif, la langue française devient de plus en plus la langue de tous. Cela devient vrai, même pour toutes les classes de la population.

Je crois donc qu'il y a beaucoup d'exagération dans ce qui a été dit par d'honorables membres; je crois, de plus, qu'il y a du danger et de l'injustice dans la proposition de l'honorable M. Veydt.

(page 1714) C'est uniquement contre de telles exagérations, et non pas contre un droit incontestable, contre des susceptibilités que je serais désolé de blesser, que j'ai voulu protester par les observations que j'ai l'honneur de soumettre à la chambre.

M. de Theux. - Je demande le retranchement dans l'amendement de M. de Haerne des mots : « en langue maternelle ».

D'après l'amendement de M. de Haerne, on pourrait croire qu'il suffirait que le récipiendaire eût son domicile dans une province flamande pour être obligé de composer en flamand. Cette prétention serait inadmissible.

En effet, voyez la province de Liège où l'on parle français et la province de Limbourg où l'on parle flamand. Il est évident qu'une personne élevée dans la province de Liège peut être accidentellement domiciliée dans le Limbourg. On ne peut dire que sa langue soit le flamand. Sa langue est évidemment le français.

L'amendement, tel qu'il est rédigé, présente une équivoque. Moyennant la suppression de ces mots, je ne vois aucune difficulté à l'adoption de l'amendement de l’honorable M. de Haerne.

Je vais justifier mon opinion en très peu de mots.

Il n'est pas dans ma pensée que l'élève universitaire puisse ignorer le français. Il est impossible de suivre avec fruit les cours d'une université, lorsqu'on ignore le français.

Mais la suppression que je propose a de l'importance. En effet, que veut-on constater par une composition? Le talent du jeune homme en matière de composition. Laissez à un Flamand la faculté de faire preuve de génie et d'un talent extraordinaire dans une composition faite en sa langue maternelle, ou en français, ou même en allemand. S'il compose avec distinction il a, à mon avis fait preuve d'un talent de composition, et il mérite, quant à ce point, d'être admis au grade d'élève universitaire.

Mais ne pensez pas qu'un jeune homme ignorera le français lorsqu'il aura fait une bonne composition en flamand. La supposition de l'ignorance du français de la part de l'élève universitaire est une supposition absurde, impossible en fait.

Je ne vois donc pas, quant à moi, le moindre inconvénient à l'admission de l'amendement de l'honorable M. de Haerne. Il me suffit que le jeune homme fasse preuve d'un talent de composition dans l'une ou l'autre langue, soit le français, soit le flamand, soit l'allemand. Lorsqu'il aura fait preuve d'un talent de composition, il aura convenablement répondu à l'attente de l'examinateur.

Je demande donc la suppression des mots : « en langue maternelle, savoir » et alors le paragraphe serait rédigé comme suit : « le récipiendaire fera de plus une composition latine et une composition en français, en flamand ou en allemand, etc. » Par là il est satisfait à toutes les exigences , à toutes les susceptibilités et à l'intérêt des études.

M. Delfosse. - Les mots langue maternelle se trouvent aussi dans le premier paragraphe.

M. de Theux. - Ici, c'est un cas différent ; c'est à l'exclusion de la langue maternelle. Le jeune homme déclare quelle est sa langue maternelle et il ne s'agira pas de faire une traduction en cette langue.

(page 1720) M. de T'Serclaes. - Messieurs, l'honorable M. Lebeau s'est complètement mépris sur la pensée des orateurs qui, dans la séance d'hier, ont pris la parole en faveur de la langue flamande. Tout ce que nous avons demandé hier, tout ce que nous demandons encore aujourd'hui à la justice, à l'impartialité de la chambre et du pays, c'est que, lorsque l'on s'occupe d'enseignement, l'on ne passe pas sous un dédaigneux silence la langue d'une grande partie de la nation belge ; c'est que l’on reconnaisse au flamand une position franche, une position respectable dans nos lois et dans l'instruction publique.

Voilà tout ce que nous avons demandé; c'est à cela que se bornent nos prétentions. Il n'est venu à l'esprit d'aucun des signataires de l'amendement de l'honorable M. Van Hoorebeke, de personne d'entre nous, l'idée qu'il fallait enseigner, dans les provinces flamandes, le flamand exclusivement, et encore moins imposer de vive force à la partie wallonne la connaissance de l'idiome néerlandais. Non, jamais cette idée n'a été la nôtre, et c'est tomber dans une étrange erreur que de nous l’attribuer.

L'honorable M. Lebeau a prétendu que les paroles que j'avais prononcées hier étaient empreintes d'exagération. Il a fait les mêmes reproches aux discours de mes honorables amis MM. de Decker et Veydt : mais l'honorable membre a négligé d'expliquer sur quoi ce reproche était fondé.

Qu'ai-je dit dans la séance d'hier? J'ai dit qu'il n'y avait rien de plus vivace chez une nation que la langue maternelle; j'ai dit que la moitié des Belges ne parlent et ne comprennent que le flamand ; que jamais l'on ne parviendra à extirper cette langue ; qu'elle avait acquis aujourd'hui un développement remarquable; qu'elle est cultivée par les classes instruites, et exclusivement parlée, dans plusieurs provinces, par les classes pauvres de la société ; lequel de ces faits peut être contesté ?

Extirper le flamand de nos provinces, le remplacer dans toutes les localités par le français, est chose impossible. Est-il quelqu'un qui veuille l'essayer dans cette chambre? Personne assurément ne le tentera, nul d'entre nous n'en a la volonté, nul n'en a le pouvoir. Eh bien, si vous ; admettez ces prémisses, et elles sont irréfragables, vous êtes obligés de protéger, d'enseigner, d'ennoblir la langue flamande.

Je soutiens que relativement aux classes éclairées et instruites de la population, il est d'une bonne politique, il est de l'intérêt de la civilisation et de la société, qu'elles ne deviennent point étrangères par la langue aux classes inférieures.

Nous manquerions à notre devoir d'hommes d'Etat si nous laissions une partie de la nation se séparer en deux camps, les pauvres d'un côté parlant l'idiome germanique et les riches de l'autre ne connaissant pas la langue qui est la plus répandue dans le pays même qu'ils habitent. Relativement aux pauvres, j'affirme qu'il est du devoir de l’Etat de donner aux classes inférieures une instruction convenable dans leur langue, de leur fournir la nourriture intellectuelle qui leur manque aujourd'hui. Est-il possible de trouver dans ces idées la moindre arrière-pensée? Est-celà de l'exagération ?

Assigner au flamand une simple valeur archéologique, l'importance plus ou moins futile d'un souvenir de notre ancienne histoire, c'est une erreur profonde et dangereuse par ses conséquences. Une langue qui est parlée par le peuple, par les pauvres, une langue qui est le seul organe de la pensée de bien plus de 2 millions de nos concitoyens, n'est point une chose sans valeur, une curiosité d'antiquaire. L'idiome germanique est non seulement le seul des classes pauvres de cinq sur neuf de nos provinces, mais il y est usuel dans toutes les relations de la vie domestique, de la bourgeoisie, et fréquemment employé par les classes riches et élevées de la société. Je connais des familles du premier, rang où l'on parle le flamand dans l’intérieur, et le nombre de ces familles est plus grand qu'on ne le croit. Beaucoup de Brabançons, de Flamands, de Limbourgeois des classes éclairées, quoique imprégnés depuis plus de 30 ans de la langue et des idées françaises, n'en restent pas moins, dans l'intimité du foyer domestique, attachés de cœur à la langue du pays.

Il est bien facile de s'en convaincre, même dans cette enceinte, lorsque l'on prête la moindre attention à l'accent et aux tournures de phrases de plusieurs de nos collègues les plus instruits, les plus capables, les plus intelligents.

Certes, ce n'est pas moi, Flamand, qui leur en fais un reproche; au contraire, je les honore à ce titre, je les honore doublement et d'être restés en communauté de langage avec le peuple, et d'employer le français comme lien commun et fraternel de tous les Belges.

Non, non, plusieurs d'entre nous se méprennent étrangement, messieurs, sur l’importance de cette question. Le flamand fait son chemin dans le peuple, il récupère insensiblement le terrain perdu chez les classas aisées, il a de vaillants, de vigoureux champions dans la littérature et dans la presse; il ne lui manquait plus qu'une solennelle consécration de la loi, et grâce à la noble impartialité qui se manifestera ici hautement, j'en ai la confiance, il l'obtiendra dans la présente discussion. Si, ce que je ne puis supposer, le parlement belge lui fermait la porte, permettez-moi de le dire, les élections se chargeraient de justifier nos prévisions ; il entrerait par la brèche, et bientôt, la tête haute et le drapeau déployé.

On s'est beaucoup récrié tout à l'heure, lorsque mon honorable ami, M. Dedecker, a dit qu'il y avait deux races en Belgique; une espèce de clameur s'est élevée dans la chambre. Mais je le demande; quel avantage f a-t-il à nier un fait évident, une réalité qui fait le plus grand honneur à l'esprit patriotique de la Belgique, puisqu'elle a renfermé dans son sein des hommes de langages différents, unis à jamais par une longue communauté de malheurs et de gloire? Depuis la réunion des provinces des Pays-Bas, sous la maison de Bourgogne, cette différence de races a-t-elle eu la moindre conséquence fâcheuse, pour nos destinées, pour notre nationalité ? Il s'en faut de beaucoup.

J'irai plus loin, messieurs, et je n'hésiterai à dire que cette dualité de races est un bonheur pour la Belgique, si l’on sait en tirer parti avec sagesse, que c'est un élément très puissant de civilisation. Je vais expliquer ma pensée.

Quel est en Europe le pays le plus éclairé, le plus riche, le plus influent de tous, eu égard à son étendue territoriale restreinte et à sa population fort petite? N'est-ce pas la Suisse?

Eh bien! que voyons-nous dans-ce pays ?-Pas une, pas deux, mais trois races et trois langues juxtaposées, dont chacune respecte les droits de ses sœurs, qui tous vivent dans une concorde parfaite : par les Allemands, la Suisse communique avec tous les peuples qui parlent la langue germanique, avec les Anglais, les Danois; par les Français de Genève, elle se concilie les sympathies de la France; par les Italiens du Tessin, elle n'est point étrangère aux destinées de la Péninsule : à côté de Jean-Jacques, l'un des princes de la littérature française, elle a produit des savants et des littérateurs allemands du plus grand mérite.

Les trois races distinctes par leur origine, se servent mutuellement de stimulant les unes aux autres et font servir leurs avantages et leurs qualités particulières, à la nationalité commune, à la gloire et à la défense de tous. Il en a été de même chez nous jusqu'à présent, et il en sera de même à l'avenir, si les grands pouvoirs de la nation, en respectant les faits, savent les faire tourner à l'avantage commun et à la prospérité de tous.

L'opinion que je viens dénoncer, messieurs, sur les avantages de la dualité des races, je ne suis pas le seul à l'émettre. J'ai pour l'appuyer des hommes de talent de la partie wallonne. Je regrette que le temps ne vous permette pas d'entendre la lecture d'un passage de l'ouvrage de MM. Casterman et Olivier dont je parlais hier, mais je ne résisterai point à la tentation de le faire insérer au Moniteur. (voir ci-dessous).

(page 1721) Je reconnais avec l'honorable M. Lebeau que, dans notre pays, la langue de l'administration, jusqu'à un certain point, que la langue de la science presque toujours que la langue de la politique dans les chambres et les journaux les plus influents, c'est le français.

Mais je n’admets point que le français soit l'instrument par excellence de la civilisation. Le français occupe un rang éminent parmi les langues modernes de l'Europe, il s'est propagé dans le monde entier; mais soutenir que c'est le seul élément réel de civilisation, est à mes yeux un inconcevable paradoxe; Comment ! et l’allemand, je vous prie; et l'italien qui domine sur toute la Méditerranée; et l'anglais compris dans les cinq parties du monde, par150 millions d'hommes, vous n'appelés pas cela les langues de la civilisation? En vérité cela n'est pas soutenable.

Je reconnais qu'en Belgique le français est une langue nécessaire, qu’on ne peut, dans notre pays, parvenir à quelque chose sans connaître le français; aussi je veux qu'il soit enseigné dans tous les collèges, je désire que tous les gens instruits en Belgique apprennent et sachent parler et écrire le français; mais je nie haut et ferme que cette langue soit le seul élément de notre civilisation. Admettre cette prétention ce serait condamner à l'abrutissement, à la sauvagerie, la moitié de la nation, qui ne connaît et ne connaîtra jamais que le flamand.

Le français nous met en relation avec un grand Etat voisin; mais le flamand nous met aussi en relation avec beaucoup d'autres pays; il nous facilite la connaissance de l'anglais; de l'allemand, de toutes les langues germaniques. Si j'osais vous donner pour preuve ce qui m'est arrivé à moi-même, je dirais que j'ai appris l'allemand en huit jours à l'aide du flamand.

(page 1720) (Extrait de l’ouvrage de MM. Casterman et Olivier : « On voit que nul peuple n'est placé aussi avantageusement que le Belge pour apprendre en se jouant, pour ainsi dire, un grand nombre de langues, comme le font les enfants dans les villes de grand commerce; et cet avantage, nous l'avons bien négligé, nous Wallons particulièrement. Plongés dans uneinconcevable torpeur, nous n'avons pas même de notion du flamand qui tous les jours résonne à nos oreilles, et qu'il nous est si facile d'étudier et de pratiquer sans frais, sans déplacement. Il est vrai que nous avons été longtemps sous l'empire d'un fâcheux préjugé qui l'appelait, sans le connaître, un jargon dépourvu de toute espèce de portée. Refoulé violemment par les idées (page 1721) étrangères, il ne savait comment se défendre; mais aujourd'hui que des champions valeureux ont restauré sa gloire, nous serions inexcusables d'ignorer plus longtemps cette langue, qui a été parlée par les plus grands hommes dont notre patrie s'honore ; qui a conservé la noble étincelle du caractère belge sous les cendres que les siècles avaient accumulées sur nous ; qui vit aujourd'hui plus prospère et plus chérie que jamais chez nos frères, dont le cœur se serre à chaque nouvelle preuve de notre insouciance. Que le flamand soit en honneur dans toutes nos écoles, ou ne parlons plus de nationalité!

« Comment, en effet, opérer une fusion harmonieuse entre les fractions du peuple belge, et faire qu'on ne voie pas chez nous des soldats incompris de leurs chefs, des malades de leurs médecins, ces clients de leurs avocats? Est-ce en cherchant à affaiblir un élément pour l'absorber dans l'autre, à détruire les ressorts dès qu'on éprouve quelque difficulté à les faire concourir à l'action commune ? Ah! si telle était notre pensée, oublions donc des siècles de gloire et d'infortune, où nous avons combattu, souffert, espéré ensemble; donnons la patrie à quelque nation puissante, qui aura bientôt écrasé sous son pied les germes précieux et profondément nationaux dont nous semblons si embarrassés! » Casterman Olivier, p. 55. »)

(page 1714) M. de Haerne. - Messieurs, je n'ai pas l'intention de rentrer dans le débat; je désire seulement donner quelques explications sur l'amendement que j'ai présenté hier. (Interruption.) Je m'étonne, messieurs, qu'on soit tellement pressé qu'on ne veuille pas me laisser la parole pendant quelques minutes pour expliquer mon amendement, qui a été évidemment mal compris.

- La clôture est demandée.

M. Devaux (sur la clôture). - Messieurs, je désirerais proposer une addition à l'amendement de la section centrale.

- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas prononcée.

M. de Haerne. - Messieurs, je dirai d'abord que je consentirais volontiers au retranchement des mots : « langue maternelle », proposé par l'honorable M. de Theux, si j'en comprenais la nécessité; mais voici dans quelles vues j'ai introduit ces mots dans mon amendement. Je vous prie de remarquer que les deux paragraphes de ma proposition sont corrélatifs, et dans ma pensée l'élève déclare lui-même quelle est sa langue maternelle.

Après cette déclaration il est évident qu'il ne peut plus faire sa composition dans une autre langue; mais alors il doit bien posséder la langue qu'il déclare être sa langue maternelle, puisqu'au deuxième paragraphe j'exige qu'il fasse une composition dans cette langue.

Ainsi, messieurs, mon amendement ne peut donner lieu à aucun abus, et d'un autre côté en disant la langue maternelle j'obvie à un inconvénient qui a été signalé hier par l'honorable M. Orts, lorsqu'il a dit que l'élève pourrait se trouver dans une fausse position, que l'élève né Wallon pourrait se trouver accidentellement dans un établissement d'une province flamande.

Il y a une autre raison pour laquelle j'ai cru devoir rester dans le vague. Par l'article 40 tous les jeunes gens, non seulement les Belges mais même les étrangers, sont admis à se présenter pour l'obtention des grades académiques. Eh bien , je pense que pour la même raison, dans un même but, dans une même pensée de générosité nationale, vous devez admettre les jeunes gens, n'importe la localité à laquelle ils appartiennent, au grade d'élève universitaire. Eh bien, en admettant l'expression que consacre mon amendement vous ouvrez la voie de l'égalité à tous les jeunes gens. Je suppose un Anglais...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ils y sont déjà.

M. de Haerne. - Oui: mats ils n'ont pas la même facilité que les indigènes. D'après mon amendement les étrangers se trouvent, quant aux langues vivantes, sur la même ligne que les Belges. C'est là un avantage, et il me semble qu'il n'y a aucun inconvénient à attirer les jeunes gens étrangers dans le pays, pour ce qui regarde les éludes.

La langue flamande doit être encouragée, mais non imposée. C'est la langue usitée dans un grand nombre de conseils communaux, dans des actes publics; c'est la langue qui nous initie à la civilisation du Nord; elle appartient à l'élément teutonique qui s'est mêlé à l'élément latin pour former les langues du Midi.

M. Devaux. - Messieurs, je propose d'ajouter quelques mots à l'amendement de la section centrale. Lorsqu'un élève se soumet à un examen, par exemple sur l'anglais et en même temps sur l'allemand ou le flamand, il est juste que, comme récompense et comme encouragement, cela soit inscrit dans son diplôme; mais je demande quelque chose de plus, sans cependant aller aussi loin que l'honorable M. Veydt. Je proposerai donc de dire :

« Lorsqu'un élève se soumettra à un examen sur deux des trois langues : allemande, anglaise et flamande, le jury en tiendra compte dans l'appréciation du degré de mérite de l'examen et il en sera fait mention dans le certificat d'admission. »

Remarquez, messieurs, que cet amendement ne s'applique pas seulement aux Flamands, mais aussi aux Anglais et aux Allemands, qui passent leur examen à la fois sur l'allemand et le flamand ou sur l'anglais et le flamand. Je demande que dans ce cas, non seulement le certificat d'admission en fasse mention, mais que le jury en tienne un certain compte dans l'appréciation du degré de mérite du récipiendaire, c’est-à-dire lorsqu'il accorde le diplôme avec distinction, avec grande distinction ou avec la plus grande distinction. Je ne demande pas que la connaissance de deux des trois langues dont il s'agit entraîne nécessairement une distinction, mais je demande qu'elle soit prise en considération.

On m'a dit, messieurs, qu'il y aura inégalité parce que le Flamand sait la langue flamande sans se donner de peine. Il y a deux réponses à faire à cette objection : la première, c'est que le Flamand, pour parler correctement sa langue, pour prouver qu'il la connaît, doit l'avoir apprise grammaticalement tout aussi bien que celui qui est étranger à cette langue. Il a plus de facilité; mais, d'un autre côté, le Wallon a bien moins de peine pour apprendre le français qui est imposé à tous.

Il me semble donc que l'amendement ne peut pas soulever d'objections sous ce rapport. (Interruption.) L'amendement est très exécutable; le jury aura ses règles; il pourra facilement fixer que pour avoir subi son examen d'une manière satisfaisante sur le flamand ou sur l'anglais, on aura un tel nombre de points.

- Le sous-amendement proposé par M. Devaux est appuyé.

M. de Theux. - Messieurs, je pense que dans le sous-amendement proposé par l'honorable M. Devaux, il faudrait dire : « Il pourra être tenu compte », au lieu de : « Il sera tenu compte. »

Je dirai encore un mot sur l'amendement que j'ai présenté.

L'examen, en ce qui concerne les langues pour la composition, porte sur deux objets d'un ordre tout à fait distinct; il exige de l'élève la connaissance de deux langues, sa langue maternelle et une langue étrangère. Voilà le premier point.

Un autre point : on désire de la part de l'élève universitaire un talent de composition. Quant à ce dernier point, je demande qu'il soit entièrement libre à l'élève de composer dans la langue qu'il préfère. C'est pour ce motif que j'insiste de nouveau sur la suppression de ces mots: « langue maternelle ».

M. Delfosse, rapporteur. - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. de Haerne est inacceptable, il va contre le but de son auteur. Quel est le but de l'honorable M. de Haerne? C'est que le flamand prenne une place dans l'examen. Eh bien, d'après l'amendement de l'honorable M. de Haerne, non seulement le flamand, mais même l'allemand, mais même l'anglais pourrait en être exclu. L'honorable M. de Haerne veut que le récipiendaire indique lui-même quelle est sa langue maternelle; s'il en est ainsi, l'élève wallon pourra dire : Ma langue maternelle est le flamand ; et comme il aura le choix entre les trois autres langues, il choisira naturellement le français; et s'il le veut il n'étudiera ni le flamand, ni l'allemand, ni l'anglais? Est-ce là le but que l'honorable .M. de Haerne veut atteindre?

Voilà un premier inconvénient que présente l'amendement de l'honorable M. de Haerne.

Un second inconvénient, c'est que l'élève flamand pourrait, s'il le voulait, ne pas être interrogé du tout sur la langue française. Et cependant l'honorable M. de T'Serclaes, qui est un bon Flamand, reconnaît que la langue française est nécessaire à tous les Belges indistinctement. Je ne puis admettre la distinction que l'on fait entre les Belges. Nous ne sommes pas plus français que vous. Vous êtes Flamands et nous sommes Wallons. Le français n'est pas plus la langue maternelle des Wallons qu'elle n'est celle des Flamands. Chez nous le peuple parle le wallon, comme il parle chez vous le flamand. Mais chez vous comme chez nous, les hommes qui ont fait des études, ceux qui ont un certain degré (page 1715) d'intelligence, parlent le français. La division n'est donc pas aussi radicale que vous le dites.

D'après l'honorable M. de T'Serclaes, l'étude de la langue française est nécessaire aux flamands comme aux Wallons. Eh bien, si l'amendement de l'honorable M. de Haerne était, adopté, les récipiendaires flamands pourraient ne pas être interrogés sur le français, car pour la traduction ils auraient le droit de choisir l'allemand ou l'anglais; et pour la composition ils pourraient choisir le flamand; l'élève flamand serait ainsi dispensé de l'étude de la langue française, sur l'utilité de laquelle nous sommes tous d'accord, et qui est surtout nécessaire aux Flamands.

Nous avons voulu, messieurs, faire quelque chose pour des convictions qui nous ont paru respectables, nous avons voulu tenir compte de l'attachement qu'une grande partie de nos collègues portent à la langue flamande. On se trompait, lorsqu'on a dit que la langue flamande était exclue de la loi : la langue flamande figurait dans le projet primitif au nombre des cours universitaires. Elle avait donc déjà une place dans la loi; nous proposons de lui en donner une autre, car nous sommes animés d'un désir sincère de conciliation. Nous adoptons le premier paragraphe de l'honorable M. de Haerne; nous retranchons seulement les mots du français, et voici pourquoi : si le récipiendaire flamand avait le choix entre le français, l'allemand et l'anglais, il choisirait probablement le français; l'allemand et l'anglais se trouveraient exclus par le fait des matières de l'examen. Aucune de ces deux langues ne serait étudiée dans les provinces flamandes. Et cependant vous devez reconnaître que l'étude de l'une de ces deux langues est aussi nécessaire aux provinces flamandes qu'aux provinces wallonnes.

La conséquence de l’amendement tel que nous le modifions, c’est que l’élève flamand ne pouvant être interrogé sur sa langue maternelle, aura le choix entre l’allemand, l’anglais, tandis que l’élève wallon pourra opter entre le flamand, l'allemand ou l'anglais. Ce sera un encouragement à l'étude de la langue flamande.

Or, la langue flamande se répandra peut-être un peu plus dans les provinces wallonnes, et ce sera un bien ; mais personne ne sera forcé de l'étudier. Si vous voulez forcer les Wallons à apprendre le flamand, de préférence à l'anglais ou à l'allemand, vous ferez renaître un des griefs qui ont contribué à la révolution de 1830.

La section centrale n'admet pas le second paragraphe de l'amendement,

Par la raison que j'indiquais tantôt, c'est qu'il est nécessaire que les Flamands étudient le français. Si on les autorisait à faire au choix une composition flamande ou française, l'étude de la langue française serait fort compromise.

Si j'étais Flamand, je ne voudrais pas que mes compatriotes fussent dans une position d'infériorité; je voudrais les rendre capables d'aborder avec fruit les études supérieures, chose impossible dans notre pays à ceux qui connaissent mal la langue française.

Messieurs, nous ne pouvons admettre le sous-amendement de l'honorable M. Devaux, ni celui de l'honorable M. de Theux. Les deux sous-amendements sont de la même famille que l'amendement de l'honorable M. Veydt. L'honorable M. Veydt demande qu'on ne puisse obtenir la distinction sans connaître la langue flamande.

La section centrale a été unanime, et remarquez que les Flamands y sont en majorité, pour rejeter cette proposition, parce qu'elle rendrait l'étude de la langue flamande obligatoire, à l'exclusion de l'allemand et de l'anglais. Il n'y a pas d'élève qui ne désire obtenir la distinction; s'il faut pour l'obtenir connaître la langue flamande, on étudiera forcément cette langue. (Interruption.) Je suis charmé d'entendre l'honorable M. de Dedecker dire qu'il repousse, comme moi, la proposition de M. Veydt; il doit alors repousser aussi celle de M. Devaux qui demande qu'il soit tenu compte de la connaissance de la langue flamande dans l'appréciation du degré de mérite de l'examen; toute préférence résultant de a connaissance de cette langue doit être bannie de la loi. La chambre fera sagement de s'en tenir à la proposition de la section centrale.

M. Ch. de Brouckere. - L'honorable rapporteur vient de rencontrer l'amendement de M. Devaux. Cet amendement contient autre chose qui me le fait repousser ; il étend l'examen ; c'est une matière de plus qu'il introduit. Toutes les fois que vous multipliez les matières, vous manquez le but. L'objet principal de l'examen doit être la connaissance des langues anciennes. Aucun élève ne devrait pouvoir fréquenter les universités sans connaître les langues anciennes. Aujourd'hui pour devenir candidat en sciences, il faut passer un examen préparatoire qui comprend six matières dont le grec et le latin font partie.

Savez-vous ce que font les jeunes gens qui ont négligé les langues par penchant pour les sciences? ils passent l'examen de candidat en philosophie, qui comprend treize matières, dont le grec et le latin font aussi partie, mais ne sont que les 2/13ème, tandis qu'ils comptent pour les 2/6ème de l'examen préparatoire du candidat en sciences. Je pourrais citer 15, 20 jeunes gens qui n'ont jamais dépassé la troisième ou la quatrième, qui n'ont fait que la première année des humanités et deviennent candidats en philosophie et lettres, par la raison que cet examen comprend treize matières. Ils ne sont pas aptes à passer le simple examen préparatoire pour les sciences, parce que le grec et le latin y dominent. Le mathématicien devient ainsi légiste force. Je crains qu'on ne noie encore le latin et le grec, pour faire apprendre aux élèves deux ou trois langues vivantes, dont ils ne tireront généralement qu'un fort faible parti dans les carrières du barreau, de la magistrature ou de l'administration.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La section centrale m'ayant admis dans son sein, nous sommes tombés d'accord sur la rédaction adoptée pur elle. Je me rallie donc à cette rédaction. Je me suis empressé d'applaudir à la pensée de faire figurer le flamand dans le programme de l'examen de l'élève universitaire. Déjà le flamand occupe une grande place dans le programme de l'enseignement moyen; il est mis sur la même ligne que la langue française. La composition des élèves de rhétorique pour le concours peut être faite en français ou en flamand. Qu'arrive-t-il cependant? C'est qu'il est très rare, je crois que cela n'est arrivé qu'une fois, que le concours présente des compositions flamandes; toujours elles ont été faites en français. Distinguons bien entre les deux positions. Il s'agit ici d'ouvrir la carrière universitaire, il faut donc examiner les choses d'un point de vue plus général.

Je crois qu'en tenant compte du flamand comme on le fera, si l'amendement de M. de Haerne, tel qu'il est modifié, est adopté, on aura assez fait, les élèves de l'enseignement moyen seront mis à même d'étudier la langue flamande ; là elle peut être encouragée d'une manière spéciale; le concours peut faire une large part à l'enseignement flamand, c'est ce qu'il fait; parcourez le programme du concours de 1849, vous verrez qu'il est largement tenu compte, dans les établissements qui concourent, de la langue flamande. Nous pensons qu'il est utile que cette langue se propage, mais par la persuasion, par des encouragements indirects. Vous seriez les premiers à repousser l'introduction de la langue flamande par voie coercitive d'une manière directe ou indirecte. Les amendements de MM. Veydt et Devaux présentent ce caractère de coercition que nous ne voulons pas admettre.

Il ne faut pas forcer les élèves à étudier le flamand par la perspective d'une place, pas plus que par celle d'une distinction. Je pense que la chambre aura donné satisfaction aux justes prétentions des partisans de la langue flamande, aux représentants de l'élément flamand, en adoptant la proposition de M. de Haerne, modifiée par la section centrale.

J'ai été en rapport avec des littérateurs qui s'occupent avec zèle et sympathie de la langue flamande ; ce qu'ils demandent, c'est qu'elle figure dans la loi, qu'il en soit fait mention. Du moment qu'il en est fait mention, que la loi tient compte de l’existence de la langue flamande, ils m'ont paru disposé à accepter une pareille disposition.

- Plusieurs voix. - La clôture! la clôture!

M. de Mérode. - J'ai un mot à dire en faveur de l'amendement de M. Devaux, et je demande qu'on me permette de le faire.

M. Coomans. - Je ne veux pas prolonger la discussion; mais je voudrais répondre un mot à une argumentation dont on a tiré parti contre nous; je m'oppose fortement à la clôture.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. Veydt. - Je me rallie à l'amendement de M. Devaux.

Le sous-amendement de la section centrale, tendant à retrancher dans paragraphe premier de l'amendement de M. de Haerne les mots « du français », est mis aux voix et adopté.

Le paragraphe premier de l'amendement de M. de Haerne est mis aux voix et adopté en ces termes :

« § 1er. Des explications d'auteurs grecs et latins; une traduction du flamand, de l'allemand ou de l'anglais, au choix du récipiendaire, à l'exclusion de sa langue maternelle, etc. *

L'amendement de M. Devaux à la proposition de la section centrale avec le sous-amendement de M. de Theux auquel M. Devaux se rallie est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Il est procédé au vote par appel nominal sur le troisième paragraphe de l'amendement de M. de Haerne, avec la suppression des mots « en langue maternelle », proposée par M. de Theux, à laquelle M. de Haerne se rallie, et rédigé dans les termes suivants : « Le récipiendaire fera de plus une composition latine et une composition en français, en flamand ou en allemand, etc. »

En voici le résultat :

88 membres prennent part au vote.

37 votent pour l'amendement.

51 votent contre.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption : MM. de Theux, de T'Serclaes, Dumortier, Jacques, Julliot, Mercier, Moncheur, Orts, Osy, Peers, Rodenbach, Thibaut, Van Cleemputte, Vanden Brande de Reeth, A. Vandenpeereboom , Van Hoorebeke , Van Iseghem , Van Renynghe, Vermeire , Veydt, Vilain XIIII, Boulez, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, de Breyne, Dechamps, de Decker, de Denterghem, de Haerne, de Liedekerke, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester et de Mérode.

Ont voté le rejet : MM. Devaux, d Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, G. Dumont, Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Le Hun, Lesoinne, Liefmans, Laos, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Pierre, Pirmez, Reyntjens, Rogier, Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Dequesne, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Allard, Ansiau, Anspach, Boedt, Bruneau, Cans, Dautrebande, David, H. de Baillet, de Bocarmé, C. de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, de Renesse, de Royer, Destriveaux et Verhaegen.

M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de la section centrale.

L'appel nominal est demandé.

(page 1716) 86 membres répondent à l'appel.

78 votent pour l'amendement.

8 votent contre.

En conséquence, l’amendement est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. de Theux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, G. Dumont, Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon, Liefmans, Loos, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Sinave, Thibaut, Thierry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Dequesne, Van Cleemputte, Vanden Brande de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Ansiau, Boedt, Boulez, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, David, B. de Baillet, de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Denterghem, de Haerne, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Perceval, De Pouhon, de Renesse, de Royer, Destriveaux et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. Dolez, Lesoinne, Allard, Anspach, Dautrebande, C. de Brouckere, Delescluse et de Pitteurs.

M. le président. - Vient l'amendement de M. de Haerne, qui consiste à ajouter, à la fin du paragraphe 2, les mots : «et particulièrement les matières qui se rattachent aux classes supérieures de l'enseignement moyen. »

- Cet amendement n'est pas adopté.

L'article 45, tel qu’il a été amendé par la section centrale, est adopté.

Article 46

« Art. 46. L'article 46 est remplacé par ce qui suit :

« L'examen, pour la candidature en philosophie et lettres, préparatoire à l'étude du droit, comprend :

« L'histoire de la littérature française ; l'histoire de la littérature ancienne ; l'histoire politique de l'antiquité ; l'histoire politique du moyen âge; l'histoire politique de la Belgique; la logique, l'anthropologie et la philosophie morale; les antiquités romaines envisagées au point de vue des institutions politiques.

« L'examen de candidat en philosophie et lettres, préparatoire au doctorat dans la même faculté, comprend, en outre, des exercices philologiques sur la langue grecque et la langue latine.

« L'examen pour le doctorat en philosophie et lettres comprend :

« La littérature latine;

« La littérature grecque ;

« Les antiquités grecques ;

« La métaphysique générale et spéciale ;

« L'histoire de la philosophie ancienne et moderne.

« Le récipiendaire est interrogé d'une manière approfondie à son choix, soit sur la métaphysique générale et spéciale, soit sur la littérature latine et la littérature grecque. »

« La section centrale propose la rédaction suivante :

« Art. 46. L'article 46 est remplacé par ce qui suit :

« L'examen pour la candidature en philosophie et lettres, préparatoire à l'étude du droit comprend :

« L'histoire de la littérature française ; des exercices philologiques et littéraires sur la langue latine; l'histoire politique de l'antiquité; l'histoire politique du moyen âge; l'histoire politique de la Belgique ; la logique, l'anthropologie et la philosophie morale; les antiquités romaines envisagées au point de vue des institutions politiques.

« L'examen de candidat en philosophie et lettres, préparatoire au doctorat dans la même faculté, comprend, en outre, des exercices philologiques sur la langue grecque.

« L'examen pour le doctorat en philosophie et lettres comprend :

« La littérature latine;

« La littérature grecque ;

« L'histoire de la littérature ancienne ;

« Les antiquités grecques;

« La métaphysique générale et spéciale ;

« L'histoire de ta philosophie ancienne et moderne;

« Le droit constitutionnel belge.

« Le récipiendaire est interrogé d'une manière approfondie, à son choix, soit sur la métaphysique générale et spéciale, soit sur la littérature latine et la littérature grecque. »

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il à cette rédaction ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui, M. le président.

M. Moncheur. - Messieurs, j'adopte l'article 46 tel qu'il est présenté par la section centrale, mais avec une exception, je vois en effet avec surprise que l'économie politique ne figure pas au nombre des matières d'examen pour le doctorat en philosophie et lettres ; je crois que c'est une lacune qui doit être comblée. L'économie politique, ainsi que toutes les sciences nouvelles, a eu du mal à se classer: placée sur la limite des sciences morales et des sciences publiques et administratives, elle touche à chacune d'elles, mais sans se confondre avec elles. Le projet du gouvernement, comme celui de la section centrale, range l'économie politique dans la faculté de philosophie et lettres. Elle peut être convenablement placée, dans cette faculté, mais quelque place qu'elle occupe, elle sera toujours extrêmement importante. Au temps où nous vivons, cette science est indispensable à tout homme qui veut se livrer à l'enseignement en général, ou qui veut entrer dans une carrière administrative ou politique quelconque.

Eh bien, je ne puis concevoir qu'on puisse être reçu docteur dans la faculté de philosophie et lettres, dont l'économie politique forme une des branches principales, sans avoir été interrogé une seule fois sur cette science.

Si l'on croit que l'examen de docteur est déjà assez chargé, il me semble qu'au nombre des matières qui figurent dans l'article, il en est qui pourraient disparaître sans inconvénient et être très utilement et très convenablement remplacées par l'économie politique.

Par exemple, il est utile, sans doute, que le docteur en philosophie et lettres connaisse les antiquités grecques pour bien comprendre les auteurs grecs, et la civilisation grecque, cette connaissance n'est certainement pas aussi nécessaire que l'économie politique.

Si donc, on doit faire un choix entre cette branche et celle que je propose, il me semble que ce choix doit tomber sur une science pratique, utile, nécessaire, plutôt que sur une science qui n'a certainement pas ces différents caractères.

Ainsi, messieurs, sans préjuger le point de savoir si les antiquités grecques seront éliminées du programme pour faire place à l'économie politique, je propose d'ajouter après: « L'histoire de la philosophiez ancienne et moderne, » les mots : « L'économie politique.»

M. Coomans. - Messieurs, j'avais rédigé, avec d honorables amis, un amendement tendant à faire comprendre dans les matières obligatoires de l'examen pour la candidature en philosophie et lettres, l'histoire de la littérature flamande, à côté de l'histoire de la littérature française ; mais le vote que la chambre a émis tout à l'heure me persuade que cet amendement n'a pas de chance de succès. Je m'abstiens donc de le présenter. Cependant j'engagerai M. le ministre de l'intérieur à tenir la main à ce que des cours de littérature flamande qui figure au programme universitaire, soit convenablement et régulièrement donné.

Messieurs, il existe dans cette enceinte et au dehors de fâcheux, d'incontestables préjugés contre la langue et la littérature flamandes; je viens d'en avoir une preuve remarquable. Un de mes honorables collègues de la province de Namur m'a dit tout à l'heure : Mais pourquoi voulez-vous donner un caractère officiel à un patois qui n'a pas de grammaire, qui n'en aura pas, qui ne peut pas en avoir? Cet honorable membre oublie, ou n'a pas su (je ne lui en fais pas un grief) que la langue flamande a été écrite, a eu un caractère littéraire avant la langue française, et qu'elle est assise sur des bases si fixes qu'elle a beaucoup moins varié depuis six à huit siècles que la langue française. Il nous paraissait donc que pour détruire ou au moins pour affaiblir les préjugés dont notre langue est l'objet, il était utile de déployer aux yeux des élèves les richesses de cette langue ; les phases historiques véritablement glorieuses qu'elle a traversées depuis le XIIème siècle jusqu'à nos jours.

Du reste, messieurs, je profite de cette occasion pour relever un mot de l'honorable M. Lebeau qui a dit que nous n'oserions pas parler flamand dans cette enceinte, sans nous exposer au ridicule dont l'assemblée nous couvrirait.

Messieurs, j'augure trop bien et de l'esprit et du patriotisme de l’honorable M. Lebeau pour croire qu'il a parlé sérieusement : Si nous ne nous exprimons pas en flamand ici, c'est par respect pour nos honorables collègues, par politique, par délicatesse ; nous savons qu'il est impoli de parler dans une assemblée une langue que tout le monde ne comprend pas. Je ne serais jamais honteux, pour ma part, de parler la langue de Charlemagne et de Charles-Quint, cette vieille et riche langue flamande qui a retenti avec honneur dans des assemblées non moins solennelles que celle-ci.

Un mot encore, et je termine sur la question de la langue flamande, pour n'y plus revenir, du moins dans la session actuelle.

On m'a reproché de vouloir imposer l'étude de la langue flamande ; cela n'est pas. J'ai même regretté la présentation de l'amendement de l'honorable M. Veydt; j'ai voté contre l'amendement de l’honorable M. Devaux ; mais non par les mêmes raisons qu'a fait valoir l'honorable M. Delfosse; j'ai voté contre ces amendements, parce qu'ils créaient une sorte de privilège d'inégalité entre les récipiendaires. L'étude obligatoire du flamand ne me paraît pas nécessaire; c'est pourquoi je ne la demande pas. Mais il ne serait pas plus inconstitutionnel de forcer la moitié de nos compatriotes à étudier le flamand, qu'il ne vous paraîtrait inconstitutionnel de les forcer à mâcher du grec ou du latin.

La Constitution n'a rien à voir ici. Vous pourriez obliger tous les Belges (pour la collation des grades et des emplois, bien entendu) à subir un examen sur le flamand, puisque vous leur imposez le fiançais, l'allemand et l'anglais.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je viens appuyer l'amendement de l’honorable M. Moncheur. J'ai peu de mots à dire pour faire voir l'importance de cet amendement.

On acquiert ordinairement le titre de docteur en philosophie et lettres, parce qu'on veut devenir professeur des langues anciennes. Or, tous les auteurs anciens pullulent d'idées antiéconomiques et funestes à la société actuelle. Eh bien, je crois que celui qui est destiné à élever les jeunes gens et qui les élève au moyen de livres dont presque toutes les doctrines sont contraires aux saines doctrines de l'économie politique, doit au moins être prémuni, avoir sur lui un contre-poison, pour inspirer les saines doctrines à ses élèves, tout en traduisant les auteurs grecs et latins.

(page 1717) J'insiste donc fortement pour que l'économie politique fasse partie des matières d'examen pour le doctorat en philosophie et lettres.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, un des buts de la loi, c'est de simplifier les programmes des examens. Ces programmes sont déjà trop chargés. Les connaissances que l'on exige de l'aspirant au grade de docteur en philosophie et lettres forment presque une encyclopédie. La section centrale a ajouté à ces connaissances le droit constitutionnel belge. Il est sans doute très utile de connaître le droit constitutionnel belge, mais je ne vois pas que, pour être docteur en philosophie et lettres, il soit indispensable d'être interrogé sur le droit constitutionnel belge, dont chacun d'ailleurs est présumés avoir une connaissance pratique suffisante.

Quant à l'économie politique dont nous devons faire un très grand cas, je ne pourrais pas admettre l'amendement. Ce serait ajouter à un programme, déjà très étendu une matière qui par elle-même est tellement importante qu'elle mériterait en quelque sorte un examen spécial.

Déjà le nombre des jeunes gens qui aspirent au grade de docteur en philosophie et lettres est très-restreint : on en compte un ou deux par an. Si vous surchargez le programme, vous allez éloigner davantage les aspirants qu'il faut cependant encourager dans l'intérêt de l'enseignement moyen.

Je ne puis donc admettre l'économie politique dans le programme de docteur en philosophie et lettres. La place de cette science est dans le programme des examens en droit. D'ailleurs, le cours d'économie politique se donne dans les universités. Les aspirants au grade de de docteur en philosophie et lettres pourront suivre ce cours; mais ils ne doivent pas être obligés de répondre sur cette science, quand ils subiront leur examen en philosophie.

M. Julliot. - Messieurs, je viens appuyer l'amendement de l'honorable M. Moncheur ; j'irai même plus loin.

Je déplore que le projet de loi tienne si peu compte de la haute importance attachée à l'enseignement de l'économie politique. Le cours obligé de cette science est-il assez long, est-il assez élevé, tel qu'il est écrit dans le projet, pour produire quelque résultat? Je ne le pense pas. Cependant, n'est-il pas impérieusement nécessaire que le haut enseignement donne un cours approfondi d'économie politique alors que cette science est la seule: qui puisse initier l'homme aux faits sociaux, et lui apprendre comment les peuples se civilisent, comment ils s'enrichissent, comment ils s'appauvrissent? On dirait, en réalité, que cela n'est pas digne d'émouvoir.

Cette science qui renferme dans son sein les questions les plus ardues : du paupérisme, de la théorie de l'impôt, de banque de crédit, de fonds publics, de distribution des richesses, du commerce et de la moralité, ne doit-elle pas être consultée pour constater tous les faits qui se passent journellement autour de nous et qui doivent guider ceux auxquels les destinées des peuples sont confiées ?

Messieurs, je ne crois faire tort à personne en déclarant que, si nous tous, nous eussions fait un cours d'économie politique approfondie nous, ne serions pas divisés en protectionnistes et libre-échangistes à principes plus bâtards les uns que les autres. Nous ne verrions pas des hommes soutenir de la meilleure foi du monde la libre entrée des céréales, alors qu'ils demandent la prohibition pour tout autre produit qui les touche de plus près.

On ne verrait pas naître, par exemple, l'idée peu substantielle et qui a été près de se produire, à savoir, de nourrir l'armée deux jours de la semaine au stokfisch ou à la morue, pour protéger le travail national.

On ne verrait pas des esprits élevés, des caractères bien trempés faire dans cette science un écart aujourd'hui pour revenir en enfant prodigue à la bonne route le lendemain, et abjurer leurs erreurs de la veille.

On ne verrait pas des hommes à idées hardies, pures et nettes sur la liberté nécessaire à la frontière, rapetisser ces idées, passer même à côté d'elles alors qu'il s'agit de la libre concurrence à l'intérieur, en d'autres termes de la non-intervention de l'Etat dans tout ce qui n'est pas gouvernement. Je soumets à l'appréciation du ministère les considérations que je viens d'énoncer. Il est temps encore d'écrire dans la loi la création d'un cours d'économie politique approfondie qui ne s'y trouve pas.

M. Moncheur. - M. le ministre de l'intérieur n'a rien dit qui détruise au fond l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer. En effet, il fait, dit-il, le plus grand cas de l'économie politique, et son unique objection consiste à dire que déjà les matières de l'examen de docteur en philosophie et lettres sont assez nombreuses. Mais M. le ministre de l'intérieur a répondu lui-même à sa propre objection, en signalant une des matières introduites par la section centrale et qui pourrait être éliminée et remplacée par celle que j'ai eu l'honneur de proposer. Cette matière, c'est le droit constitutionnel. Je dirai avec M. le ministre, qu'il est impossible de supposer qu'un aspirant au doctorat en philosophie et lettres ne connaît pas notre droit constitutionnel. Cette matière est donc inutile, et d'un autre côté, elle pourrait amener certaine difficulté dans la composition du jury pour le doctorat en philosophie et lettres, puisqu'il faudrait probablement introduire dans ce jury un professeur de la faculté de droit.

J'ai indiqué une autre matière qui peut être éliminée de l'examen de docteur en philosophie et lettres : ce sont les antiquités grecques.

Je crois que l'utilité, postérieure à l'examen (si je puis m'exprimer ainsi) de l'économie politique, l'emporte de beaucoup sur celle des antiquités grecques. S'il fallait donc opter entre l'une ou l'autre de ces branches de la faculté de philosophie, l'économie politique devrait de préférence figurer au programme de l'examen.

Il faut être conséquent avec vous-mêmes : vous mettes l'économie politique au nombre des branches de l'enseignement de la faculté de philosophie et lettres, et vous la déclarez très importante; or, s'il en est ainsi, il serait ridicule qu'on put obtenir le grade de docteur dans cette faculté en ignorant une de ses matières les plus importantes. Cela ne serait rien moins que logique. Les considérations qu'a fait valoir M. di Brouckere sont très justes; il est inutile d'insister sur la nécessité qu'un homme qui se voue à l'enseignement soit imbu des vrais principes d'économie politique et puisse prémunir ses élèves, au moins en passant, contre les erreurs en cette matière.

J'avoue, messieurs, que je n'ai considéré l'absence de cette branche de l'enseignement pour l'examen de philosophie et lettres que comme le résultat d'une erreur, d'une inadvertance, tout comme c'est sans doute par inadvertance que, d'après les propositions de la section centrale, on pourrait devenir docteur en sciences politiques et administratives sans même avoir été interrogé une seule fois sur l'économie politique.

M. Delfosse. - C'est une faute d'impression.

M. Moncheur. - Alors nous sommes d'accord quant à ce point ; mais la même lacune existerait quant à l'examen dont il s'agit dans l'article en discussion, et mon amendement a pour but de le réparer.

M. Ch. de Brouckere. - Je vais ajouter quelques mots encore. M. le ministre de l'intérieur a dit que l'économie politique figure dans l'examen du doctoral en droit; mais je ferais plus volontiers le sacrifice de l'économie politique dans le doctorat en droit que dans le doctorat en philosophie et lettres. On peut être fort bon avocat ou magistrat, sans avoir étudié l'économie politique; mais je conteste qu'on puisse être un fort bon professeur de langues anciennes sans connaître l'économie politique. L'étude du grec et du latin constitue la base de l’éducation; mais on n'étudie pas seulement pour savoir le grec et le latin, c'est pour faire une éducation. Je dis que celui qui est chargé de faire l'éducation des adolescents doit semer de bonnes doctrines économiques dans l'esprit de ceux qui passent six ans avec lui.

Les jeunes gens qui sortent des collèges et assistent à un cours d'économie politique sont tout étonnés de ne plus entendre préconiser la pauvreté, cette vertu de Lacédémone, et d'entendre dire qu'il faut consommer, quand ils croyaient que la société la plus parfaite serait celle où l'on ne consommerait rien.

Je le répète, je ferais volontiers le sacrifice de l'économie politique au doctorat en droit, si je devais le faire quelque part.

On dit qu'il y a trop de matières ; c'est de tous les examens le moins chargé, il ne comprend que six matières, entre autres la littérature grecque et la littérature latine.

On commence, pour être élève universitaire, par donner des preuves que l'on sait ces deux langues; pour la candidature on passe de nouveau un examen sur la littérature grecque et latine. On est dans le grec et le latin depuis neuf ans ; par conséquent, l'examen sur ce point ne signifie pas grand-chose en lui-même.

Il reste trois autres matières qui, malgré leur importance, ne demandent pas une bien longue étude.

L'histoire de la philosophie, quand on a bien étudié la philosophie, est un jeu, et l'on ne peut éprouver beaucoup de mal à passer un examen; c'est de tous les examens celui qui a le moins de matières, l'examen le plus facile, quand on a passé un bon examen de candidat.

J'insiste de nouveau pour que l'amendement de M. Moncheur soit adopté.

M. Devaux. - Je prie la chambre de remarquer qu'il s'agit ici d'un grade très peu ambitionné, auquel très peu d'avantages sont attachés, qui n'est guère recherché que par des personnes qui se destinent à l'enseignement. Je ne suis pas si on fait deux docteurs en philosophie et lettres par an. Si vous voulez que ce grade ne soit pas abandonné tout à fait, il ne faut pas le surcharger, il ne faut pas porter forcément ceux qui se livrent aux études littéraires dans des choses en dehors de leurs occupations habituelles. La loi a pour but de simplifier les matières d'examen : on a reconnu qu'il y en avait trop, que cela nuisait aux études ; si la chambre ne se met pas en garde contre l'extension des examens, on rétablira les matières que le projet de loi a pour but de supprimer. En voilà deux qu'on représente.

Voilà le droit constitutionnel qu'on veut imposer au docteur en philosophie et lettres, au docteur en sciences, au docteur en médecine, au docteur en sciences naturelles, partout le droit constitutionnel. Voici l'honorable M. de Brouckere et l'honorable M. Moncheur qui veulent introduire l'économie politique dans l'examen du doctorat en philosophie et lettres. Je ne conteste pas à l'honorable professeur que cette science soit très importante, comme la connaissance du droit constitutionnel ; sous ce rapport, tout ce qu'on pourrait dire sera vrai, incontestable; mais prenez garde, certaines personnes qui s'occupent d'ordinaire d'une science sont tellement pénétrées de son importance, qu'elles voudraient la placer partout. C'est tellement vrai, que l'insertion du droit constitutionnel a été demandée par une personne qui s'occupe habituellement du droit constitutionnel, de même que l'économie politique est proposée par une personne qui s'occupe habituellement d'économie politique.

Je leur rends parfaitement justice. C'est très légitime; c'est très naturel. Mais il faut prendre en considération la portée qu'aurait sur les examens l'article tel qu'on propose de le modifier.

(page 1718) S'il y dans cette assemblée prêts à prendre part à la discussion, des médecins, ils vous diraient, comme vient de le faire l'honorable M. de Brouckere : Vous ne demandez pas au docteur en philosophie les moindres notions d'hygiène ni d'anatomie. Voilà des jeunes gens qui gouverneront un collège, et qui ne savent pas comment on aère un appartement, quelles sont les conditions d'hygiène que doit remplir un collège.

M. Ch. de Brouckere. - Allons donc !

M. Devaux. - C'est très important. L'honorable membre qui m'interrompt le sait bien ; il le prouve par la manière dont il remplit ses fonctions de bourgmestre de Bruxelles.

On vous dira aussi : Comment ! des professeurs chargés de diriger l'éducation de la jeunesse ne connaîtraient pas l'anatomie ! Ces jeunes philosophes qui savent tout ce qui s'est fait dans le passé ne sauront pas ce qui se passe en eux, pas un mot d'anatomie ; ils ne sauront pas ce qui se passe en eux!

Il faut sans doute encourager les sciences. Mais quand il s'agit d'imposer des études à des jeunes gens qui se destinent au professorat, je crois qu'il ne faut pas ôter à ces études leur caractère spécial. Ces jeunes gens étudient la philosophie et les lettres !Ce sont des études assez vastes.

On dit qu'il n'y a que six branches dans cet examen. Mais c'est beaucoup.

La métaphysique, par exemple ? n'est-ce pas une branche assez vaste pour absorber l'esprit d'un élève pendant une année. Et la littérature latine, la littérature grecque, l'histoire de la littérature ancienne, les antiquités grecques, l’histoire de la philosophie ancienne et moderne, ne sont-ce pas des branches d'étude assez vastes pour absorber l'esprit des étudiants? L'histoire de tous les systèmes de philosophie ancienne et moderne ! N'y a-t-il pas là de quoi occuper un jeune homme pendant une année?

Cet examen est spécial ; je crois qu'il faut lui conserver ce caractère.

Encore une fois ce grade mène à de très faibles avantages ; il n'est recherché que par les jeunes gens qui se destinent à l'enseignement. Si vous rendez l’examen très difficile, ce grade sera aussitôt abandonné.

La section centrale, sauf qu'elle a ajouté le droit constitutionnel, ne demande que ce que propose le gouvernement. Le gouvernement a voulu simplifier cet examen. Si nous remplaçons par d'autres les matières qu'il a supprimées, mieux vaudrait maintenir les matières spéciales que contenait la loi de 1835.

Quant à l'économie politique, ne croyez pas qu'elle soit rayée du programme. Vous la retrouvez à la candidature eu droit, grade qu'obtiennent les administrateurs, les magistrats, qui arrivent en grand nombre à la chambre, aux conseils provinciaux. Les docteurs en sciences morales et politiques, voilà ceux qui devront étudier l'économie politique.

Quant au droit constitutionnel, ils pourront l'étudier plus tard. Il est naturel qu’ils connaissent nos institutions ; mais l'étude approfondie du droit constitutionnel et l'étude nécessaire pour exercer ses droits de citoyens, c'est tout autre chose. Je crois qu'il est impossible qu'un homme qui a fart des études en philosophie ne connaisse pas l'esprit de nos institutions.

M. Moncheur. - Je ferai observer que l'économie politique figure déjà dans l'article 46 de la loi de 1835 comme matière de l'examen pour le grade de docteur en philosophie et lettres; je ne proposer rien de nouveau.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sans doute, et il en est de même d'autres branches qui ne figurent plus dans le programme de l'examen d'après le projet en discussion. J'ai dit pourquoi. J'ai dit qu'un des buts du projet de loi était de débarrasser les examens de matières qui les chargeaient trop et qui empêchaient les jeunes gens de faire les études nécessaires pour l'obtention du grade de docteur. Les chiffres sont là. Il est superflu d'ajouter de nouvelles matières, cela ne fera pas un savant de plus. Il en résultera seulement que les jeunes gens renonceront à obtenir le grade de docteur en philosophie.

La loi de 1835 comprenait encore parmi les matières de cet examen l'archéologie, l'introduction à l'étude des langues orientales, l'histoire des littératures modernes, le droit naturel, la statistique, la géographie physique et ethnographie. Toutes ces connaissances sont intéressantes; mais elles ne sont plus comprises dans l'examen. J'ai dit pourquoi. Il est inutile de le répéter à satiété.

Si vous voulez sérieusement créer le grade de docteur en philosophie, il faut au moins qu'on puisse l'obtenir. C'est parce que presque personne le recherche aujourd'hui, que nous avons supprimé certaines matières d'examen. Ces matières figurent dans le programme général des études parce qu'elles doivent être comprises dans l'enseignement supérieur; mais elles ne peuvent être comprises dans l'examen de docteur en philosophie pour lequel on requiert un examen d'une nature spéciale.

J'ai besoin d'ajouter un mot. Nous faisons un grand cas de la science assez récente connue sous le nom d'économie politique. Nous croyons qu'il est très utile que les études universitaires contiennent cette branche importante des connaissances humaines ; mais nous voulons maintenir l'enseignement littéraire dans les matières littéraires proprement dites.

Sans doute, je l'ai déjà dit, nous ne voulons pas faire de tous nos jeunes gens des docteurs en latin et en grec; mais il ne faut pas non plus éloigner les esprits de l'étude des lettres, il faut qu'un certain nombre de jeunes gens s'y attachent. C'est un élément de civilisation que nous devons conserver à notre pays.

Réglons donc les matières d'examen du doctorat en philosophie et lettres de manière à fortifier ces études.

Pour ma part j'estime beaucoup l'économie politique, je fais grand cas du droit constitutionnel, mais je crois qu'il faut écarter ces matières de l'examen du docteur en philosophie. Il saura toujours assez de droit constitutionnel pour exercer ses droits de citoyen.

Les branches qui restent sont peu nombreuses, mais elles ont une grande étendue, Elles sont à elles seules capables d'occuper l'intelligence d'un jeune homme pendant plusieurs années.

M. le président. - Ainsi M. le ministre ne se rallie pas à l'amendement de la section centrale?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Non, M. le président.

M. Delfosse, rapporteur. - C'est une erreur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La section centrale a introduit dans cet article le droit constitutionnel. J'ai demandé une explication sur cette innovation, mais je ne m'y suis pas définitivement rallié.

M. Dumortier. - Qu'est-ce qui est en discussion? Est-ce l'amendement? ou est-ce l'article?

M. le président. - M. le ministre ne se rallie pas à l'amendement de la section centrale; il ne consent pas à l'addition des mots : « le droit constitutionnel ».

Voici un amendement déposé par M. Devaux :

« Je propose la suppression des mots : le droit constitutionnel. »

M. Destriveaux. - Je vous avoue que je suis très étonné de l'opposition que rencontre l'insertion des mots : « le droit constitutionnel » dans les matières de l'examen qui conduit au doctorat en philosophie.

Je conçois que dans le commerce ordinaire de la vie, et lorsque l'opinion ne conduit à aucune espèce de responsabilité que celle de la conversation, on puisse donner à la science à laquelle on s’est surtout livré une préférence sur les autres. Mais lorsqu'une opinion entraîne responsabilité, de pareilles oppositions doivent nécessairement s'effacer.

Je respecte beaucoup la science. La science littéraire forme, comme on l'a dit anciennement, l'esprit et le cœur. Mais il ne faut pas oublier la nécessite où l'on se trouve de former l'esprit et la conviction du citoyen. Je ne connais pas de science qui puisse remplacer la connaissance nécessaire, indispensable de la situation du citoyen et des obligations que cette situation entraîne avec elle.

La science ancienne, la littérature ancienne, la littérature grecque et la littérature latine, la connaissance de l'histoire ancienne, tout cela est extrêmement utile. La connaissance de la métaphysique est très utile; il faut du temps pour l'approfondir, et encore très souvent est-ce quelque chose comme le tonneau des Danaïdes; après l'avoir longtemps approfondie, on trouve que c'est une science à peu près sans fond.

La science du droit constitutionnel est autre chose. C'est la science de tout ce qui nous entoure politiquement; c’est la science de la vie habituelle du citoyen, et je ne connais rien, dans un pays constitutionnel, qui puisse dominer la nécessité de connaître cette science, non pas dans une théorie très élevée, mais de connaître au moins l’ensemble des lois qui nous régissent dans toutes les conditions de notre vie : à notre naissance, lorsque nous nous livrons à nos études, et ensuite dans tous les temps de notre existence de citoyen.

Les sciences abstraites entourent ceux qui les approfondissent d'un grand éclat. La science du citoyen est une science pratique qui doit toujours être raisonnée.

On a dit : Mais ceux qui auront étudié de manière à subir l'épreuve du doctorat en philosophie seront censés connaître les lois de leur pays, le droit constitutionnel. Ainsi donc, vous établissez une hypothèse, au lieu d'une réalité nécessaire! Ainsi vous supposez que ceux qui ont passé une partie de leur vie à étudier les anciens, qui l'ont absorbée pour ainsi dire dans cette étude qui demande, non pas seulement de l'intelligence, mais de l'esprit et souvent du génie, vous croyez que sortant de pareils travaux, par une inspiration particulière, par une espèce de bénédiction politique, ils auront compris, saisi, deviné l'ensemble des institutions au milieu desquelles, sous la garantie desquelles ils vivent ; qu'ils en connaîtront la nature, qu'ils en connaîtront la puissance pour les protéger, qu'ils en connaîtront la puissance pour les obliger!

Ainsi vous exigerez des examens pour des matières peu importantes; et lorsqu'il s'agira d'assurer la vie politique du citoyen, quand il s'agira de s'assurer de l'aptitude que les citoyens out à remplir leurs devoirs publics, on se contentera d’une présomption, tandis que ceux à qui l'on devra donner le titre de docteur en philosophie, de savant dans l'antiquité, d'homme profond dans la métaphysique, on leur demandera une foule d'épreuves, qui fassent constater leur talent, qui le rendent indubitable.

Ainsi vous aurez des citoyens par supposition ; j'entends par citoyens, non pas ceux qui sont capables par le cœur de dévouement à la patrie, mais ceux qui connaissent leurs droits et leurs devoirs, qui savent pourquoi ils sont libres et comment il faut qu'ils fassent pour le rester toujours.

Ce n'est pas, messieurs, en étudiant la pauvreté de Lacédémone, ce n'est pas en étudiant la mobilité des Athéniens, que l'on apprend comment on doit se gouverner dans le monde où l'on vit. Cela peut laisser des souvenirs, cela peut produire des entraînements dont on doit si voir se défendre, mais ce ne sont pas toujours de véritables leçons de pratique dans l'ordre de choses au milieu desquelles nous, Belges, avons le bonheur de vivre aujourd'hui.

(page 1719) Voilà comment je comprends la nécessité d'exiger que l'on donne des garanties que l'on connaît au moins les lois de son pays.

Un docteur en médecine, un docteur en philosophie, un docteur en sciences, ont bien assez à faire des études qui leur ont été imposées !

Ont assez à faire; oui, pour la science. Mais ils n'ont pas fait assez pour leurs connaissances civiques. Je reviens souvent là-dessus, parce que tout me presse; parce que nous vivons au milieu d'une atmosphère constitutionnelle, parce qu'il faut que notre vie de citoyen réponde aux conditions de notre existence de citoyen.

Avec peu d'étude on sera bien instruit de tous ses droits ; nos institutions sont faciles à comprendre. Mais c'est une raison pour ne pas y refuser l'accès. Plus il sera facile de comprendre nos institutions, moins on devra se plaindre de ce qu'on doit les étudier, moins on aura lieu de se plaindre des épreuves prescrites pour savoir si on les connaît.

Un docteur en philosophie, qui a des goûts modestes, se livrera à l'enseignement. Ainsi il y a un enseignement qui pourra être donné par celui qui ne connaît pas le premier des enseignements. Un médecin sera dispensé de le connaître; un physicien, un métaphysicien sera dispensé de le connaître. Mais ils le connaîtront. Le physicien le découvrira.

Le chimiste, au fond de ses creusets, d'autres à travers la poussière de l'antiquité. Messieurs, cela se présume, mais cela ne sera jamais prouvé.

On dit qu'il n'y a pas d'inconvénient à interroger les élèves sur cette science, qu'ils répondront facilement. Messieurs, s'ils sont si pleins de leur sujet, pourquoi repousser un examen qui se terminera en une simple conversation?

Mais ne rencontrons-nous pas tous les jours, même dans le monde, dans la conversation, des hommes réputés savants et dont la science s'arrête devant le seuil de la Constitution ?

Qu'est-ce donc que le droit constitutionnel? Messieurs, l'honorable membre qui tout à l'heure le demandait, le sait bien mieux que moi. Il sait mieux que moi comment, laissant à part, si l'on veut, toutes les profondeurs du droit public en théorie, toutes les combinaisons du droit des gens, on peut étudier notre droit constitutionnel, comment on peut être conduit à la connaissance de nos lois organiques et apprécier ce qui sort d'ici par nos travaux.

C'est ainsi, messieurs, que l'on empêche les gens, même instruits, de mal comprendre ce que l'on fait dans cette enceinte; je ne dirai pas de le calomnier, mais de le juger mal, de le juger d'une manière incomplète et souvent injuste. Voilà ce que l'on peut gagner à de pareils enseignements.

L'assemblée étant fatiguée, je bornerai là mes observations.

M. Dumortier. - Messieurs, la section centrale introduit dans le programme : « Des exercices philologiques et littéraires sur la langue latine. » Je dois combattre cet amendement et le motif en est bien simple: nous avons, tout à l'heure, voté le grade de candidat universitaire qui repose sur un dédoublement de l'examen de philosophie et lettres. Nous avons admis pour ce grade certaines matières et nous en avons réservé d'autres pour l'examen du doctorat en philosophie et lettres. Eh bien, comprendre encore dans cet examen ce qui a déjà fait partie de l'examen pour le grade de candidat universitaire, c'est tout simplement un double emploi. C'est forcer l'élève à continuer ses études dans une branche où il a déjà fait ses preuves.

Le but du gouvernement dans l'ensemble du projet de loi, que je trouve, sous ce rapport, extrêmement louable, c'est la simplification des matières d'examen. On veut arriver à des études plus fortes, et on a parfaitement raison; on veut, d'un autre côté, dispenser les élèves d'étudier une foule de choses complètement inutiles. Eh bien, pourquoi, dès lors, la section centrale veut-elle introduire dans l'examen de la candidature en philosophie et lettres une branche sur laquelle le récipiendaire a déjà fait ses preuves dans l'examen pour le grade de candidat universitaire ?

Veuillez remarquer, messieurs, que l'examen pour le grade de candidat en philosophie et lettres est déjà bien chargé; on examinera l'élève sur neuf matières différentes, parmi lesquelles il s'en trouve qui sont certainement très ardues, très difficiles; je citerai l'histoire politique du moyen-âge, qui est des plus ingrates, des plus compliquées; l'histoire politique de l'Angleterre, qui est encore excessivement compliquée, car il faudra que l'élevé réponde sur l'histoire politique de Sparte, d'Athènes, de Rome, des Perses, des Mèdes, des Assyriens et des Egyptiens; eh bien, surchargera-t-on encore cet examen de matières sur lesquelles l'élève a déjà été interrogé? Messieurs, travaillons un peu dans l'intérêt de la jeunesse studieuse qui a déjà fait preuve de savoir en latin et qu'il est parfaitement inutile d'interroger encore sur cette langue. Quand un jeune homme a répondu sur le latin, si vous exigez qu'un ou deux ans après il vienne encore répondre, vous le forcez à suivre les cours latins à l'université, et le temps qu'il y consacrera, il pourrait l'employer d'une manière beaucoup plus utile.

Messieurs, je trouve que le programme est trop charge, et dès lors je ne proposerai pas d'y faire des additions; mais s'il est une matière que je voudrais y voir introduire, c'est l'archéologie du moyen âge. Nos magistrats municipaux, nos bourgmestres de village, laissent souvent, par ignorance, détruire des édifices, soit civils soit religieux, qui font admirer la Belgique des étrangers; si, au lieu de s'occuper exclusivement de l'antiquité, on s'occupait aussi un peu du moyen âge et des monuments qu'il nous a légués, nous verrions moins de dévastations, moins d'actes de vandalisme. Je dis, moi, que l'on ne saurait être bon bourgmestre ni même bon conseiller communal, sans connaître l'archéologie. (Interruption.) Je dis qu'il est déplorable de voir à chaque instant détruire des édifices qui présentent un véritable intérêt pour la science et cela par l'ignorance profonde où l'on est de l'archéologie.

On sait fort bien comment l'on construisait des monuments à Rome et Athènes, mais on laisse détruire les monuments les plus précieux qui nous restent du moyen âge.

Je regrette vivement, messieurs, que la matière dont je viens de parler ne puisse pas en remplacer une autre; je voudrais pouvoir faire comprendre à l'assemblée l'importance de l'archéologie et l'amener à remplacer dans le programme un objet secondaire, par une matière d'une utilité si pratique.

D'ailleurs, l'histoire de l'archéologie du moyen âge, c'est l'histoire de la civilisation du moyen âge. (Interruption.) Je ne fais pas de proposition, mais ce que je dis tend à faire admettre le retranchement que j'ai proposé.

Je dis que l'on s'occupe beaucoup trop des Grecs et des Latins et que l'on ne s'occupe pas assez de ce qui est réellement d'utilité pratique.

Je demande la suppression des mots que la section centrale a intercalés dans le projet du gouvernement. (Interruption.)

Voici le projet du gouvernement :

« L’examen pour la candidature en philosophie et lettres, préparatoire à l'étude du droit, comprend :

« L'histoire de la littérature française, l'histoire de la littérature ancienne, etc. »

Eh bien, messieurs, la section centrale a intercalé entre ces deux matières : « des exercices philologiques et littéraires sur la langue latine. »

M. Delfosse et M. Orts. - C'est une erreur.

- L'amendement n'est pas appuyé.

M. Lebeau. - Messieurs, je dois rappeler les motifs principaux qui ont présidé à la rédaction et à la présentation de cette loi.

Cette loi est intervenue à la suite de réclamations annuelles très pressantes sur ce qu'il y avait de dommageable et pour la science et pour la santé des élèves dans l'exagération du nombre des matières sur lesquelles portaient les examens universitaires.

Il me semble que dès l'abord on perd de vue ce principal objet de la loi nouvelle.

Au nom de la science, on a demandé, pour substituer des examens sérieux à des examens superficiels, on a demandé la simplification des matières.

On l'a demandée, au nom d'un intérêt non moins puissant, au nom de la santé des jeunes gens que les études actuelles déciment en quelque sorte : les études actuelles, telles que les formule l'ancienne loi, sont véritablement l'effroi de la plupart des pères de famille.

Eh bien, dès l'abord, nous devons nous mettre en garde contre l'extension qu'on veut donner au programme des matières.

Je suis très partisan de l'économie politique, je voudrais la voir enseigner non seulement dans les universités, mais encore dans les collèges, et même, sous la forme la plus élémentaire possible, dans les écoles primaires; et cependant je n'en veux ni pour la candidature, ni pour le doctorat en philosophie et lettres. Je veux l'économie politique, mais ailleurs, mais pas là.

Je veux moins encore, pour ces grades, le droit constitutionnel belge, quoique je prise cet amendement fort haut et que je voulusse en voir donner des notions dans l'enseignement moyen et, s'il se peut, dans l'enseignement primaire.

Prenez-y garde, messieurs, si dans l'article 46 on donne droit d'entrée à l'enseignement du droit constitutionnel belge, je ne sais pas où nous allons être conduits.

On trouve encore le droit constitutionnel belge dans le doctorat des sciences physiques, dans celui des sciences naturelles; on le trouve dans les examens de médecine, à côté des accouchements et de l'hygiène... (Interruption.)

Je conçois la sympathie, la prédilection même qu'un honorable collègue, vétéran de l'enseignement, éprouve pour cette science qui a fait l'objet de ses études et qu'il a professée avec tant de distinction. Mais cependant il faut convenir que c'est pousser cette prédilection un peu loin que de vouloir imposer ce cours à des docteurs en pharmacie, des docteurs en médecine, des docteurs en accouchements; il serait bizarre de leur voir subir un examen sur le droit constitutionnel belge !

Je ne sais pas même, à moins d'envoyer d'abord les membres du jury d'examen à l'université, comment les jurés, nos professeurs et nos docteurs en médecine, pourraient interroger les récipiendaires sur cet objet, car probablement les examinateurs n'en sauraient pas plus, pas autant même que les examinés. (Interruption.)

Je demande donc qu'en retranche de l'article le droit constitutionnel et l'économie politique. Ces sciences trouveront leur place plus loin.

M. Delfosse, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier est dans l'erreur, lorsqu'il suppose que la section centrale a chargé le programme de l'examen de candidat en philosophie et lettres de plus de matières qu'il n'y en avait dans le projet primitif. Les exercices philologiques et littéraires ne sont pas ajoutés aux autres matières, mais substitués à l’histoire de la littérature ancienne.

L'honorable M. Dumortier fail observer que les élèves ont déjà subi un examen sur la langue latine; cela est vrai. Mais dans ce premier examen, on s'est borné à leur faire expliquer quelques passages d'auteurs latins. Les exercices philologiques et littéraires supposent une connaissance plus élevé de la langue latine.

Nous prétendons rendre l'examen plus facile en le faisant porter sur le (page 1720) latin que les récipiendaires connaissent déjà, plutôt que sur l'histoire de la littérature ancienne, que nous réservons pour le grade de docteur en philosophie et lettres.

Notre but est le même que celui de l'honorable M. Dumortier. Comme lui, nous voulons rendre l'examen plus facile. Ce but est atteint par la substitution d’exercices philologiques et littéraires sur la langue latine, à la science très vaste de l'histoire des littératures, anciennes.

L'amendement de l'honorable M. Dumortier n'a pas été appuyé; je tenais néanmoins à lui i répondre, pour que l'erreur dans laquelle notre honorable collègue est tombé ne s'accréditât pas.

Messieurs, le rapport vous a fait connaître en quelques mots pour quelle raison la section centrale a compris le droit constitutionnel belge dans les matières du doctorat en philosophie. La section centrale a admis ce changement, sur la proposition de l'honorable M. Destriveaux qui attache avec raison beaucoup d'importance à l'étude du droit constitutionnel belge; la section centrale a pensé, comme cet honorable collègue, que celui qui aspire à un grade aussi .élevé que le grade de docteur en philosophie et lettres ne pouvait convenablement ignorer les principes de notre Constitution.

M. le ministre de l'intérieur s’était d'abord rallié à cette proposition, et je, regrette qu'il change maintenant d'avis.

Je comprends que l’on hésite à comprendre le droit constitutionnel belge dans l'examen des docteurs en sciences ou en médecine, et que l'on ne suive pas la section centrale jusque-là ; mais on peut, sans trop d'exigence, imposer cette branche de l'enseignement au docteur en philosophie et lettres.

D'après la loi de 1835, l'examen du doctorat en philosophie et lettres portait entre autres matières sur l’économie politique et sur le droit naturel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai eu des relations officieuses avec l'honorable rapporteur, nous avons causé de la proposition de la section centrale, j'ai demandé des explications sur la proposition dont il s'agit, mais je n'ai pas déclaré en séance publique que je m'y ralliais.

M. David (pour une motion d’ordre-. - Il est dans les intentions de beaucoup de membres de terminer samedi, mais d'après les développements qu'a pris la discussion, nous devrions renoncer à l'espoir de terminer samedi si nous n'avions pas recours aux séances du soir. Je ferai la proposition d'en avoir dès aujourd'hui.

M. Delfosse. - C'est impossible pour aujourd'hui ; beaucoup de nos collègues qui sont partis ne seraient pas prévenus, nous ne serions pas en nombre. J'engagerai M. David à renouveler sa motion demain.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.