(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1687) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Gilkinet, pharmacien à Ensival, demande que les pharmaciens du plat pays puissent être admis à obtenir un diplôme de pharmacien de ville, et que les pharmaciens actuels jouissent des mêmes prérogatives que ceux qui obtiendront ce grade sous l'empire de la loi nouvelle sur l'enseignement supérieur. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur.
« Plusieurs élèves du doctorat en droit de l'université de Liège demandent que le projet de loi sur l'enseignement supérieur contienne une disposition qui leur permette de subir l'examen du doctorat tel que l'a fixé la loi de 1835, sauf à en retrancher les matières que supprime le projet de loi. »
- Même décision.
« Plusieurs habitants de Namur demandent que toutes les marchandises transportées sur la Sambre canalisée soient soumises à un péage uniforme. »
M. Lelièvre demande le renvoi de cette requête à la commission, des pétitions, avec prière d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. Desoer informe la chambre qu'une indisposition l'empêche d'assister à la séance.
- Pris pour information.
M. Thiéfry. - MM. de Baillet-Latour et Vilain XIIII m'ont prié de demander à la chambre un congé de 24 heures, une affaire urgente les ayant appelés aujourd’hui à Tournay. Des lettres de faire part que vous recevrez probablement demain ou après-demain vous en indiqueront les motifs.
- Ce congé est accordé.
(page 1688) M. Julliot. - Messieurs, les sieurs Gorlier et Pirotte, candidats avoués à Liège, demandent quelta qualité d'avoué soit conférée après l'épreuve d'un examen devant le jury, et que les candidats avoués, porteurs d'un diplôme de capacité, soient exempts de cette formalité. »
J'ai cru devoir faire rapport sur cette pétition pour qu'elle n'arrive pas trop tard. Les pétitionnaires se plaignent de ce que, dans le projet de loi en discussion on n'ait pas eu les mêmes égards pour leur qualité de candidats avoués qu'on a eus pour les candidats notaires, puisque pour les derniers la loi se contente d'un examen de candidature, tandis que des candidats avoués la loi demande beaucoup plus, en leur imposant le doctorat en droit. Ils demandent qu'on tienne compte de leurs droits acquis et que la loi à intervenir ne statue que pour l'avenir. La commission est favorable à cette demande parce qu'elle la trouve juste.
Elle vous propose le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. David. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie sur une pétition des industriels et blanchisseurs de toile d'Anvers, de Roulers, de Turnhout, de Tournay, etc.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.
La discussion continue sur l'article 40.
M. Moxhon. - Je n'abuserai pas des moments de la chambre; je n'ai demandé la parole que pour motiver mon vote sur la loi qui nous occupe, l'article 40 m'en présente l'occasion.
Quelques orateurs ont soutenu que l'Etat, en établissant des écoles dirigées et subventionnées par lui, portait atteinte à la liberté d'enseignement. Je ne puis admettre cette manière de voir ; selon moi, le gouvernement doit l'enseignement; il doit veiller à ce qu'il soit fort et que ses établissements soient organisés de manière à soutenir toute concurrence. Mais à côté des universités de l'Etat, qu'il soit libre à chacun d'ériger des écoles indépendantes, corrigeant le mal ou l'erreur des écoles du gouvernement.
Or, comme la formation du jury d'examen tel que le présente le gouvernement, et tel qu'il est amendé par la section centrale, me paraît rentrer dans le principe que je viens d'exposer, ce projet aura mon assentiment. J'ai assez de confiance dans les gouvernants pour être rassuré sur les craintes que l'on a voulu faire naître dans vos esprits.
M. Lelièvre. - Les considérations que j'ai développées dans la discussion générale indiquent clairement le vote que j'émettrai sur l'article que nous discutons. Je crois devoir, en cette occurrence, me borner à une observation qui me semble dominer le débat.
Il est essentiel de déterminer nettement la position légale de ce qu'on appelle universités libres, établissements privés.
Messieurs, on nous parle constamment de l'université de Louvain, de l'université de Bruxelles, dont il est indispensable de sauvegarder les intérêts. Ces dénominations sont inconnues dans le langage légal; elles expriment une pensée qui ne peut être la nôtre.
Que rencontrons-nous à Bruxelles et à Louvain ? Il existe des individus qui se livrent à l'instruction de la jeunesse. La loi ne reconnaît que des individus qui n'existent que comme individus et qui n'ont des droits qu'en cette seule qualité.
Ces droits ne diffèrent en rien de ceux d'un simple professeur de l'enseignement privé, et la raison de ce principe est saillante.
Ce n'est pas la réunion des individus qui change la position légale de ceux-ci. Des personnes associées pour donner le haut enseignement ne sont pas de meilleure condition qu'une personne isolée.
Je conçois donc qu'on cherche à garantir l'enseignement privé en général, mais non pas des établissements particuliers considères comme corps, que la loi ne reconnaît pas, et qui, à ses yeux, n'ont pas d'existence.
L'exposé de ces principes met à nu le vice du système de ceux qui combattent l'amendement de M. le ministre de l'intérieur. Du moment que vous faites mention dans la loi, soit de l'université de Louvain, soit de l'université de Bruxelles, soit des établissements libres, vous créez un être moral auquel vous accordez des droits. Vous créez, en d'autres termes, une personne civile; car, remarquez-le bien, une personne civile est un être moral auquel des droits légaux sont attribués; il est indifférent qu'elle ait plus ou moins de droits, plus ou moins de prérogatives; or, dans l'espèce vous lui conférez celle d'être représentée dans le jury d'examen. L'être moral ou fictif est tellement créé par l'ordre de choses auquel je résiste, que les établissements dont il s'agit jouiront du droit qu'on veut leur attribuer, alors même que leur personnel sera complètement changé ou renouvelé.
Il est impossible ne sanctionner pareille énormité.
La loi ne reconnaît que des individus, eux seuls peuvent avoir des droits.et les droits individuels, peuvent seuls être garantis par la loi. Sous le coup de ces observations tombe l'amendement de l'honorable M. de Haerne, et je repousse comme inconstitutionnel le système où il tend à établir.
Mais, messieurs, ce système aurait pour conséquence un état de choses peu équitable.
Les droits des professeurs dirigeant un établissement qui compte moins de 200 élèves sont sacrifiés; mais sur quel principe repose semblable exclusion, qui atteint même les universités de l'Etat, et lorsqu'on prône si haut les principes démocratiques et la liberté illimitée de l'enseignement, est-on fondé à formuler une proposition introduisant un privilège directement contraire à la liberté que l'on invoque ?
L'amendement de M. de Haerne porte atteinte à l'égalité de droits que peuvent, à juste titre, réclamer tous les professeurs de l'enseignement privé ; sous ce rapport il est éminemment illibéral, et je le repousse avec énergie.
(page 1696) M. Devaux. - Messieurs, je désire me borner à quelques observations sur les effets pratiques de deux systèmes de jurys. Je veux comparer entre eux ce qu'on appelle le système du jury central et le système que j'appellerai des jurys combinés, c'est-à-dire celui que se propose de mettre à exécution le gouvernement, d'après l'expose des motifs du projet de loi.
Je ne remonterai pas, messieurs, à des considérations bien élevées, ni à des principes généraux. Car je puis admettre indifféremment la plupart des principes et des prémisses de ceux qui soutiennent le système du jury central que je veux combattre. En effet, je veux arriver au même but qu'eux. Des deux systèmes je veux celui qui est le plus favorable aux universités libres; je veux celui qui offre le plus de garantie à l'enseignement privé.
Messieurs, il se passe dans cette discussion un fait très singulier, que je ne me charge pas d'expliquer : c'est que ceux qui devraient combattre le jury central, sont ceux qui le produisent et le soutiennent; ceux qui devraient appuyer le plus le système du gouvernement sont précisément ceux qui s'y opposent.
Je conçois un dissentiment d'opinions sur beaucoup de questions qui concernent l'enseignement supérieur, comme sur beaucoup de questions que nous débattons tous les jours : je conçois un dissentiment d'opinions sur le point de savoir si un système tout entier de jurys avec toutes les mesures réglementaires doit ou non être inséré dans la loi, s'il faut laisser un pouvoir discrétionnaire au gouvernement, ou restreindre ce pouvoir. Mais je liens que la question de savoir lequel des deux systèmes (système du jury central, ou système des jurys combinés) est le plus favorable à l'enseignement privé, aux universités libres. Je soutiens que cette question n'a besoin que d’être comprise pour être résolue, qu'elle est tellement claire, tellement facile à trancher, que si on veut se donner la peine de comprendre les deux systèmes, il ne peut subsister le moindre doute. A cet égard la supériorité des jurys combines est si décidée qu'elle peut pour ainsi dire se démontrer mathématiquement.
Je vous demande la permission d'aborder cette démonstration; je n'y aurai pas grand mérite, tant la tâche est facile, et il a fallu qu'on fût sous l'empire d'une grande prévention pour ne pas mieux se rendre compte de ce que le gouvernement propose.
Le système de l'exposé des motifs n'a évidemment pas été bien compris hier par plusieurs de ceux qui ont pris la parole pour le combattre.
Pour plus de clarté, supposons les deux systèmes mis à exécution, et rendons-nous compte de la composition du jury dans l'un et dans l'autre système.
Je prends d'abord le jury central. J'avais demandé qu'on voulût bien le formuler d'une manière précise, ceux notamment qui avaient parlé dans la discussion générale. Je n'ai pas été assez heureux pour qu'on répondît à cet appel. Je vais donc prendre les éléments de ce jury dans des discours. Si je me trompe, on me rectifiera.
Je crois que l'on en est venu à consentir à ce que le jury central soit nommé par le Roi, et qu'on veut de plus que le jury soit composé :
1° D'un président étranger aux universités ;
2° Et de deux professeurs de chacune de nos universités.
Ainsi, en fait, le jury, dans ce système, se trouvera composé de neuf membres, savoir :
Un président.
Deux membres de l'université de Liège.
Deux membres de l’université de Gand.
Deux membres de l’université de Bruxelles.
Deux membres de l’université de Louvain.
Voilà, si je ne me trompe, ce qu'on veut.
On a parlé de l'adjonction de professeurs ou d'autres personnes chargées de représenter les études extra-universitaires. J'y reviendrai plus tard.
Je passe à la composition du jury, dans le système du gouvernement.
Je ne m'occuperai d'abord que des jurys universitaires proprement dits, ceux qui sont composés exclusivement de professeurs d'universités. Je vais laisser de côté, pour un moment, le jury destiné plus particulièrement aux études extra-universitaires et que le gouvernement pour plus d'impartialité veut établir en faveur des jeunes gens qui n'ont pas suivi les cours des universités.
Le principal intérêt des universités libres, aux garanties desquelles je m'attache en ce moment, se lie surtout à la composition des premiers.
Qu'est-ce qu’un jury dans le système des jurys combinés? C'est d'abord un président ; c'est ensuite un certain nombre de professeurs appartenant à une université de l'Etat, plus un même nombre de professeurs appartenant à une université libre.
Il y a deux de ces jurys pour chaque grade. Dans chacun des deux, il y aura un président, n'appartenant à aucune université, plus un certain nombre de professeurs qui n'est pas déterminé, parce qu'il varie suivant les matières sur lesquelles porte chaque examen. Le gouvernement veut que toutes les branches d'examen soient représentées par chaque université dans le jury ; le nombre des professeurs composant chaque jury est donc indéterminé et varie, suivant les grades. Il pourra y avoir pour chaque université quatre, cinq ou six professeurs; mais admettons quatre.
Supposons que l'université de Liège siège avec l'université de Bruxelles et que l'université de Gand siège avec l'université de Louvain. Il y aura un président, quatre professeurs de l'université de Liège et quatre professeurs de l'université de Bruxelles. Voilà un jury. Il y aura un autre jury composé d'un président, de quatre professeurs de l'université de Gand et de quatre professeurs de l’université de Louvain.
Eh bien, comparons ces jurys combinés avec le jury central. Des deux côtés, je vois 9 membres. Dans le jury central, vous avez un président nommé par le gouvernement, et 4 professeurs des universités de l'Etat ; dans le jury combiné, je vois un président nommé par le gouvernement et quatre professeurs d'une université de l'Etat. Ainsi, la part du gouvernement est exactement la même dans les deux systèmes; sur 9 membres, le gouvernement en désigne 4 et nomme le président. Mais voici la différence :
Dans le système du jury central, combien de voix à l'université de Louvain sur neuf? Deux. Dans le système du jury combiné, combien de voix à l'université de Louvain ? Quatre sur neuf.
Dans le système du jury central, combien de voix a l'université de Bruxelles ? 2 sur 9 ; dans le système du jury combiné, combien de voix a l'université de Bruxelles ? 4 sur 9.
Une université n’est-elle pas dans une position plus favorable lorsque sur 9 voix elle en a 4 que lorsqu'elle en a 2, toutes choses égales d’ailleurs ? Oui, messieurs, la question est aussi claire, aussi simple que cela, et à moins qu'on ne me démontre que 2 vaut autant que 4 et que 4 ne fait pas plus que 2, je dis qu'il ne peut subsister de doute sur la question de savoir lequel des deux systèmes donne plus de garanties aux universités privées.
Messieurs, on a déjà dit dans le jury central. Qu'arriver a-t-il, si les deux universités de l'Etat sont un jour réunies en une seule ? Et à cela on n'a pu répondre qu'une chose : C'est qu'il faudrait changer la loi, sans cela toute espèce d’équilibre entre l'enseignement public et l'enseignement privé serait rompu ; on a demandé aussi ce qui arriverait de cet équilibre, si une troisième université libre venait à être fondée. On répond que cela n'arrivera pas ; soit, mais peut-on répondre qu'il n'en tombera pas une des deux qui existent ; et quelle sera alors dans le jury central la position de celle qui restera devant un nombre double des professeurs des universités de l'Etat? Dans le système du gouvernement, les professeurs des (page 1697) universités libres, quel que soit le nombre de ces établissements, ne peuvent jamais se trouver qu’en face d'un nombre égal des professeur des universités de l'Etat.
Mais je n'ai pas besoin de supposer qu'une université vienne à naître ou à mourir pour montrer les inconvénients du jury central. Nous avons quatre universités en Belgique; je ne sais pas si dans ces quatre universités il est un seul professeur qui ne pense pas que ces établissements soient en trop grand nombre. Et certes, l'intérêt de chacun de ces établissements serait de réduire le nombre de ses concurrents. Cela étant, n'est-il pas vrai que le jury central, dans lequel ces établissements ont chacun deux représentants, présentent le danger incessant d'une ligue de trois universités contre une, ligue qui n'aurait pas besoin d'être expressément convenue, qui pourrait exister tacitement et sans même qu'en la pratiquant on se l'avouât à soi-même? Elle pourrait même avoir lieu, sous l'influence de sympathies ou de répugnances diverses, et aussi bien contre l'une que contre l'autre des deux universités libres. En effet, trois universités pourraient s'unir contre une quatrième, suivant les circonstances et les passions du jour, tantôt à raison d'une certaine communauté d'opinions libérales, tantôt au nom de certaines opinions conservatrices. Contre ce danger quelle garantie avez-vous dans le système du jury central ? Aucune.
Les universités auraient beau se combattre, se liguer, s'entre-détruire, le gouvernement serait obligé de les laisser faire; de par la loi, les trois universités liguées seraient en possession dans le jury de six voix, et leur commune ennemie resterait impuissante avec sa minorité de deux voix.
On a parlé de la possibilité d'adjoindre au jury central deux membres chargés de représenter plus spécialement les intérêts des études extra-universitaires; mais cela n'améliorerait guère la position de chacune des deux universités libres. Au lieu d'avoir chacune dans le jury deux voix sur neuf, elles n'en auraient que deux sur onze.
Vous remarquerez, messieurs, que cette ligue de 3 contre une ne peut jamais se reproduire dans le système des jurys combinés ; là, il n'y a jamais que deux universités en présence, il peut y avoir lutte entre elles mais jamais ligue contre une troisième. Ainsi, messieurs, de tous les systèmes proposés, il n'y a que celui du gouvernement qui maintienne les diverses universités dans une position constamment égale. Là aucune n'a à faire à plus fort que soi et elles ne sont jamais en face l'une de l'autre qu'avec des forces égales. Si, outre les représentants des deux universités en nombre égal, il y a dans chaque jury un président, c'est qu'il a bien fallu qu'il y eût quelqu'un pour les départager.
Messieurs, il semble qu'on ait perdu la mémoire du passé, car c'est précisément cette position dangereuse dans laquelle le jury central place chaque université libre, qu'on a objectée dès 1835 contre ce système du jury central qu'on veut aujourd'hui. Lorsqu'on proposait de faire nommer, soit par élection, soit par le Roi, car ces deux systèmes pour moi reviennent à peu près au même, deux membres ou un membre de chaque université pour chaque jury, il y avait une opinion qui répondait : Cette égalité n'est qu'apparente; vous vous mettez trois contre un. Et en réalité il y avait quelque chose de plausible dans l'objection.
Aussi, dès 1835, j'ai essayé de proposer un moyen d'obvier à cet inconvénient. C'est ce qu'a rappelé l'honorable M. Orts, et je dirai, en passant, que si je l'ai interrompu en ce moment, c’était parce qu'il me semblait qu'il rapprochait trop ce que j'ai proposé alors du système que le gouvernement propose aujourd'hui. Mais ce n'est nullement que je décline aucune responsabilité dans le système que le gouvernement indique dans l'exposé des motifs, système qui a été proposé par une commission dont je faisais partie. J'accepte à cet égard ma part de responsabilité, quelque grande qu'on veuille la faire.
Messieurs, en 1844, ceux qui proposent aujourd'hui le système du jury central nommé par le gouvernement dans les diverses universités, le combattaient de toutes leurs forces, et il me semble qu'ils devraient savoir quelque gré au gouvernement de ne pas leur avoir représenté un système qu'ils avaient repoussé avec une telle énergie que pour le rejeter ils ont failli renverser un ministère qui avait leur appui et l'ont accablé de déconsidération. Il me semble qu'une espèce de point d'honneur d'opinions devait défendre de revenir de sitôt à ce qu'on avait combattu par de tels moyens et que le gouvernement méritait quelque reconnaissance pour avoir choisi une autre solution.
Je crois, messieurs, que si le système du jury combiné est mis à exécution, l'enseignement libre, lorsqu'il l'aura vu mis en œuvre; saura bientôt l'apprécier ; mais que si on adoptait le jury centrai il se passerait peu de temps sans que l'on en eût des regrets d'un côté ou de l'autre, et peut-être des deux côtés à la fois.
On ne peut pas nier que le système du jury central n'est pas impartial envers les études extra-universitaires; et en fait d'impartialité, il me semble qu'un gouvernement ne peut pas faire les choses à demi; dans une question comme celle-ci, une question si irritante, une question qui a dominé si longtemps notre politique, il faut être complet, il faut être franc, il faut n'avoir pas de petites restrictions; il faut l'impartialité tout entière. Eh bien, cette impartialité ne peut être entière. qu'alors que vous ne placez pas les études extra-universitaires devant des juges qui ont intérêt à les condamner.
Car il est certain que faire comparaître les élèves des études extra-universitaires devant des professeurs d'université, siégeant exclusivement ou en majorité dans un jury, c'est les faire comparaître devant des hommes qui peuvent être très honorables sans doute, très impartiaux, très indépendants, mais sont placés entre leur intérêt et leur devoir; c'est les faire comparaître devant des hommes qui ont intérêt à ce qu'ils soient condamnés, à ce qu'ils ne soient pas acceptés, à ce que les études privées ne fleurissent pas.
C'est précisément pour parer à cet inconvénient qu'on a ajouté un troisième jury siégeant à Bruxelles, et dans lequel les professeurs des universités siègent comme contrôle, c'est-à-dire comme garantie que les examens seront une vérité, mais ne siégeant qu'en minorité; et pour que nous nous rendions compte encore d'une manière précise de la composition de ce jury, voici comment je l'entends. J'entends que ce jury spécial sera composé de trois, quatre ou cinq professeurs appartenant à l'enseignement universitaire, et de trois, quatre ou cinq personnes étrangères à l'enseignement; plus un président. Si l'amendement présenté par M. le ministre de l'intérieur est accepté, il faudra que les professeurs universitaires siégeant dans ce jury soient en nombre pair, afin qu'on puisse y placer un égal nombre de professeurs de l'enseignement de l'Etat et de professeurs de l'enseignement privé. Mais toujours on leur accolera un certain nombre de personnes qui ne font pas partie de l'enseignement. De ce jury ne peuvent pas faire partie les professeurs des études extra-universitaires, parce que, comme le gouvernement ne peut pas les placer tous dans ce jury, ceux qui y siégeraient seraient trop avantagés et attireraient un trop grand nombre d'élèves aux dépens de leurs collègues qui n'y siégeraient pas.
Messieurs, je n'ai parlé jusqu'à présent que de l'impartialité du système du gouvernement. Il y a une autre face de la question, très importante aussi, c'est l'influence scientifique du jury. Eh bien, messieurs, sons ce rapport, une supériorité réelle me paraît appartenir aussi à l'institution du jury combiné. C'est le seul qui permette de faire représenter par chaque université toutes les matières de l'examen dans le jury.
Dans le système du jury central, où toutes les universités siègent ensemble dans le même jury, il faut arriver pour chacune à une délégation très peu nombreuse. Vous ne pouvez pas, sous peine de rendre votre jury trop nombreux, y faire entrer un grand nombre de professeurs de chaque université. Dans le système du gouvernement, au contraire, rien n'empêche de faire siéger quatre, cinq, six, sept professeurs d'une même université dans un jury. De cette manière, toutes les matières qui font partie de l'examen peuvent être représentées par chaque université.
De cette manière, l'élève peut retrouver à l'examen tous les professeurs qui l'ont instruit ; il peut, par conséquent, être interrogé sur toutes ces matières par ses professeurs. C'est là un immense avantage scientifique.
Comme le dit l'exposé des motifs, confier l'examen principal de l'élève à son professeur, c'est le seul moyen de faire que la véritable étude de la science reprenne la place que, sous le système actuel, a trop souvent usurpée la mnémotechnie. Si nous voulons que l'élève étudie scientifiquement, il ne faut pas le condamner à ignorer d'après quel système il sera interrogé, à ne pas savoir si les plus petites questions, les misères de la science, ne lui seront pas soumises comme des questions importantes. C'est ce qui arrive quand l'élève n'est pas interrogé par ses professeurs, parce que évidemment le côté important de la science n'est pas le même pour tous les professeurs.
S'il fallait l'expérience des faits, vous n'aurez qu'à vous faire soumettre les questions posées par les jurys depuis un certain nombre d'années. Vous verriez que s'il y en a de très importantes, il en est sur lesquelles on n'aurait pas dû être interrogé, sur lesquelles cependant on a dû être préparé. Le seul moyen pour que l'élève ne se laisse pas absorber par les petites choses, par conséquent pour qu'il ait le temps et la force d'attention nécessaires pour étudier les grandes, c'est qu'il soit interrogé par ses professeurs. Sans cela, il faut qu'il soit préparé à toutes les éventualités, qu'il soit prêt surtout, qu'il ait un mot à dire sur tout.
On a été, m'a-t-on dit, en histoire, jusqu'à interroger l'élève sur les dispositions des armées dans telle ou telle bataille du moyen âge. N'est-il pas vrai que si l'élève, faute de connaître d'avance la manière de voir de son interrogateur, doit se préparer à répondre à de telles questions, il faut qu'il y consacre beaucoup de temps, parce que, à raison même de leur peu d'intérêt, elles se gravent plus difficilement dans la mémoire.
Tel a été l'effet du jury central d'examen: l'enseignement s'est trouvé tellement rapetissé qu'il y a telle université où aujourd'hui presque tous les cours sont dictés, ou bien s'ils ne sont pas dictés, le professeur parle assez lentement pour qu'on puisse le suivre, la plume à la main. La dictée c'est la mort, c'est la mort de l'enseignement oral. Introduire la dictée comme règle générale dans l'enseignement, c'est ôter à l'enseignement oral tout ce qu'il a de plus utile, sa vivacité, son attrait, son action sur les esprits.
Voilà où conduit le système des questions qu'on ne peut prévoir : par conséquent des questions nombreuses et rapetissées, usurpant la place de véritables questions scientifiques.
Qu'arrive-t-il quand l'enseignement se trouve réduit à une petite dictée tous les jours? Que les dispositions que l'élève apporte à la leçon sont très peu favorables à l'étude; qu'il y assiste avec sa plume plutôt qu'avec son intelligence; qu'il en sort, persuadé qu'il a toute la science du professeur sous son bras, dans son cahier; que, pendant les sept premiers mois de l'année scolaire, on n'étudie pas, qu'on ne s'y croit pas obligé. Les trois derniers mois, on prépare son examen : on apprend le questionnaire et les cahiers par cœur.
Voilà, messieurs, ce qui se passe, non pas généralement, car il y aura toujours de bons élèves, mais ce qui risque de s'étendre de plus en plus.
Messieurs, ce système d'un jury central qui force de faire interroger l'élève par d'autres que ses professeurs pèse de tout son poids non seulement sur l'élève, mais aussi sur le professeur. On parle beaucoup (page 1698) de liberté d'enseignement en Belgique, mais il n'est peut-être pas de pays où les professeurs de l'enseignement supérieur sont réellement moins libres : ils sont sous le joug des examens, il faut qu'ils enseignent, non comme ils le veulent, mais comme le veulent les examinateurs.
Toute individualité, toute spontanéité, tout mouvement leur est interdit, s'ils se trouvent le moins du monde en contradiction avec les exigences des examens. Les choses en sont à ce point que vous venez de voir une pétition des élèves de l'université de Bruxelles qui (si j'ai bien entendu) conclut à quoi? A ce qu'il y ait des programmes officiels pour tous les cours.
Ainsi, messieurs, il y aurait un programme obligé pour chaque cours, pour toutes les universités. Tous les professeurs seraient uniformément condamnés à parcourir pas à pas le même cercle, les mêmes questions. S'il est possible de tuer, d'anéantir la liberté de la science, on le ferait bien certainement par ce moyen-là. Eh bien, voilà où conduit le système du jury central. C'est de faire peser le joug de la majorité du jury sur tous les professeurs , d'anéantir cette indépendance de l'esprit qui fait la vie même de l'enseignement scientifique.
Il faut, messieurs, rendre la liberté aux professeurs, et pour cela il faut leur rendre l'examen de leurs élèves. Or pour donner sans danger l'examen aux professeurs, pour l'entourer de certaines précautions, il n'y a pas de meilleur moyen que le système développé dans l'exposé des motifs, c'est-à-dire, deux universités se contrôlant mutuellement, l'une interrogeant principalement, l'autre n'interrogeant que d'une manière accessoire et pour contrôler la première.
Messieurs, j'ai cherché les objections; je désire de les rencontrer toutes; si j'en omets, ce sera involontairement.
D'abord on dit que faire interroger l'élève par son professeur, c'est asservir l'élève au maître, le faire jurer in verba magistri.
Messieurs, ce qu'on demandera à l'élève, ce n'est pas d'adopter l'opinion de son professeur; mais on lui demandera une chose bien naturelle, c'est de connaître cette opinion. Il me semble que quand l'élève ou ses parents auront eu toute liberté de choisir entre quatre universités, entre tous les de professeurs de l'enseignement privé, c'est bien le moins que l'élève sache ce que le professeur, qu'il a choisi librement, enseigne. On ne lui demande pas, je le répète, d'adopter l'opinion de soc professeur, de s'y lier à jamais, de ne point en proposer d'autre; on lui demande seulement de la connaître. Exiger qu'il connaisse tous les systèmes, qu'il puisse répondre sur tous les systèmes, c'est beaucoup plus vaste incontestablement; mais je dis que c'est exiger l'impossible.
Ne nous faisons pas illusion, messieurs; on ne fait pas des savants dans les universités, on s'y borne à initier les jeunes gens à la science. Ce n'est pas dans les universités qu'on fait les jurisconsultes, les grands médecins, les historiens, les philosophes ; c'est à l'université qu'ils commencent leur instruction, et qu'ils deviennent aptes à la développer par la pratique, par l'étude solitaire. Exiger, par exemple, qu'un élève connaisse tous les systèmes de philosophie, c'est vouloir l'impossible ; c'est vouloir qu'il ne sache sur chaque système que quelques phrases stéréotypées qui d'un manuel seront passés dans sa mémoire, sans aucun profit réel pour son instruction.
Messieurs, on a dit que la diversité des jurys entraînait la diversité de jurisprudence, et que c'était un inconvénient. Je vous avoue que je ne puis pas apprécier cet inconvénient. D'ailleurs, avec le système d'un jury central, vous n'arrivez pas à un jury inamovible : le jury change tous les ans, et on a si bien compris qu'il devait changer, qu'en 1846 on a fait une loi tout exprès pour amener la mobilité du jury. Or, la mobilité du jury entraîne nécessairement la mobilité de la jurisprudence. A mes yeux, c'est là bien plutôt un avantage qu'un inconvénient.
Je crois, messieurs, que l'on a dit que par suite de la différence des diplômes, donnés les uns à Gand, les autres à Louvain, les autres à Bruxelles ou à Liège, il y aurait des docteurs brabançons, des docteurs wallons, des docteurs flamands, et qu'il en résulterait des divisions locales. Je suis, moi, docteur de Liège, j'ai siégé ici pendant 19 ans, avec des docteurs de Gand, avec des docteurs de Louvain, et je dois déclarer qu'à ce titre je n'ai jamais vu qu'il y eut entre nous la moindre division à raison de l'origine de nos diplômes. La seule division qui pourrait naître proviendrait bien plutôt de la diversité d'écoles que de la diversité des diplômes et des lieux où ils sont délivrés : elle résulte de la liberté d'enseignement. Si elle a des inconvénients elle a aussi de très grands avantages.
On a reproché au système des jurys combinés, d'obliger les professeurs à faire des voyages. Je dirai que ceci n'est pas un point essentiel de ce système; si c'était un inconvénient, rien n'empêcherait de faire siéger les jurys combinés à Bruxelles. Mais n'est-il pas assez naturel de ne pas forcer les jeunes gens qui étudient à Liège, à Louvain, à Gand de venir à Bruxelles, alors qu'ils peuvent être interrogés dans la ville où la moitié des membres du jury a son domicile.
Aujourd'hui même les professeurs des universités doivent se déplacer, et se rendre de Gand, de Liège et de Louvain à Bruxelles. La différence, c'est qu'aujourd'hui ils y viennent pour plusieurs mois. Mais dans le système qui est proposé par le gouvernement, comme il y a trois jurys pour chaque grade, chaque jury n'a à juger en moyenne que le tiers des élèves que le jury central examine aujourd'hui. Comme les professeurs d’une université ne se déplacent que pour juger les élèves de l'université qui est accolée à la leur, ce tiers se réduit encore au système quant au déplacement. Les déplacements seront donc de peu de durée. Il y aura à la vérité une innovation : c'est que les professeurs de l'université de Bruxelles, qui ne voyageaient pas, seront désormais sur le pied d'égalité avec les autres.
Un honorable membre a dit hier qu'on faisait faire des promenades aux élèves, dans le système du gouvernement ; mais l'honorable membre s'est trompé ; on ne fait faire aucune promenade aux élèves, dans le système du gouvernement; au contraire, on leur épargne tout déplacement; on fait voyager le jury tout exprès, pour ne pas forcer inutilement les élèves de se déplacer.
Et quant au déplacement des professeurs, j'ajoute que ce qu'on propose n'est pas nouveau. Cela se pratique sans inconvénients, en France pour les élèves qui entrent à l'école polytechnique, à l'école normale et à plusieurs autres écoles spéciales. Des commissions d'examen se rendent sur divers points du territoire, dans les villes qu'on appelle villes d'examen, et y procèdent à l'interrogatoire des jeunes gens qui veulent entrer dans une de ces écoles.
Messieurs, on gagne encore ceci à diviser les jurys : c'est qu'aujourd'hui les sessions sont d'une longueur qui entrave singulièrement l'enseignement. Les sessions du jury, à raison du grand nombre d'élèves qu'il a à examiner, se prolongent tellement que les professeurs principaux sont souvent éloignés de leurs chaires pendant un ou deux mois, en dehors du temps des vacances; en réalité, les vacances se prolongent d'un mois ou de six semaines. Dans le système du gouvernement, les élèves étant interrogés simultanément par trois jurys, les sessions seront beaucoup moins longues, les professeurs moins retenus, moins longtemps loin de leurs chaires, et élèves les pourront se mettre régulièrement à l'étude dès l'ouverture légale des cours.
Messieurs, parlerai-je du président du jury et des pouvoirs que le projet du gouvernement lui donne? On s'est récrié contre ces pouvoirs, parce qu'on les a faits plus grands qu'ils ne le sont dans le projet de loi.
Que voulait le gouvernement? Que le président, pour empêcher, soit une entente trop grande entre deux universités et des examens trop faciles, soit une hostilité trop grande entre les deux universités; que le président eût la faculté de suspendre dans ces cas une décision, jusqu'à ce qu'un nouvel examen eût lieu. En d'autres termes, le pouvoir conféré au président était celui d'un ministère public, le pouvoir d'appeler et de suspendre l'exécution du premier jugement pendant l'appel.
Du reste, le président ne pouvait prononcer de décision d'aucune espèce que conformément à l'avis du jury, mais la section centrale a fait observer avec raison que le gouvernement, ayant le droit de nommer ou de ne pas nommer des professeurs, avait une action suffisante pour prévenir les conflits, pour empêcher les ententes frauduleuses; que du moment où l'on laissait au gouvernement la nomination des professeurs sans condition, il était inutile d'aller jusqu'au vote suspensif pour les pouvoirs du président. Je pense que le gouvernement ne verra pas de difficulté de se ranger, sous ce rapport, à l'avis de la section centrale.
Si cependant on obligeait le gouvernement à nommer dans les universités, si les universités avaient le droit absolu de se faire représenter, je crois qu'il serait nécessaire de prévenir, par un moyen quelconque, les inconvénients qui pourraient résulter du mauvais vouloir de ceux de ces établissements sur lesquels le gouvernement n'a pas d'action.
Messieurs, je comprends, je l'ai déjà dit, qu'on puisse être en dissentiment sur la question de savoir s'il faut ou non écrire des garanties complètes dans la loi. Cependant, je crois qu'il faut se garder, de part et d'autre, d’un danger. A mon avis, il faut en laisser toute la responsabilité au gouvernement, ou la lui enlever tout entière par la loi; il faut ou écrire le système avec toutes ses conditions dans la loi, ou laisser une grande latitude au gouvernement. Car prenez garde à ceci : c'est que si vous écriviez plusieurs garanties partielles dans la loi, dès que le gouvernement aura satisfaite ces garanties partielles, sa responsabilité sera à couvert. Or, malgré toutes les garanties partielles écrites dans la loi, si le gouvernement ne veut pas être impartial, il ne le sera pas.
M. le ministre de l'intérieur a présenté dernièrement un amendement; si les honorables membres qui défendent les intérêts des universités libres avec tant de chaleur croient que cet amendement est utile, je suis prêt à l'appuyer. Mais dire qu'il faut placer dans le jury un égal nombre de professeurs des universités de l'Etat, et un égal nombre de professeurs de l'enseignement privé, ce n'est pas empêcher la partialité contre l'un ou l'autre établissement libre. Si le gouvernement veut être partial contre l'une des deux universités libres, il n'aura qu'à prendre un plus grand nombre de professeurs dans l'autre. C'est ce que l'amendement n'empêche pas.
Je crois donc qu'il faut ou laisser toute responsabilité au gouvernement, ou mettre l'organisation complète du jury dans la loi. Vous avez le choix entre ces deux systèmes. Quant à moi, le système proposé par le gouvernement me suffit. Je crois que le système contraire rencontrerait dans cette chambre de grands obstacles, à raison de la nécessité de reconnaître certains droits à des établissements particuliers. Il est utile d'ailleurs que le gouvernement, dans l'expérience qu'il veut faire d'un système nouveau, ait tout au moins au début une certaine liberté dans les moyens de porter remède aux inconvénients imprévus. Les pouvoirs que la section centrale accorde au gouvernement sont limités à un terme de trois ans.
L'expérience n'est pas très longue, et d'ailleurs si, avant l'expiration de ce terme, une partie de cette assemblée découvrait que le gouvernement a abusé du pouvoir que la loi lui donne, la question pourra vous être soumise, soit à l'occasion du budget, soit sous forme d'interpellation, soit de plusieurs autres manières. La chambre, à cet égard, peut agir en parfaite sécurité.
(page 1688) M. Dechamps. J'aurai à apprécier tout à l'heure l'amendement présenté par M. le ministre de l'intérieur dans une séance précédente, et à indiquer les lacunes qu'il renferme, selon moi, pour remplir les intentions manifestées par M. Rogier ; mais je dois déclarer que cet amendement a fait faire un pas à la discussion, et que désormais nous pouvons espérer, si l'on est conséquent avec les idées que l'on a mises en avant, de pouvoir nous rencontrer sur un terrain commun.
L'honorable M. Devaux vient de dire, et je le reconnais avec lui, qu'au fond nous voulons tous, ou presque tous, atteindre le même but dans l'application, c'est l'impartialité du jury. Ainsi, en général, ou reconnaît que pour que cette impartialité existe, il faut deux choses : que les universités libres soient également représentées dans le jury concurremment avec les universités de l'Etat, non seulement quant au personnel, mais quant à l'importance des matières d'enseignement ; on reconnaît qu'en dehors des universités, il faut des garanties sérieuses pour les études qu'on a appelées isolées.
Voilà les principes que presque tous nous proclamons. Je reconnais que le système de l'exposé des motifs dont l'honorable M. Devaux vient de présenter un commentaire lucide, est celui qui, au point de vue de la liberté d'enseignement, présente le plus de garantie; mais il me reste, même après le discours de l'honorable membre, des doutes sérieux sur la question de savoir si ce jury combiné, comme il l'a appelé, donne autant de garanties qu'un jury central, à la force des études, au progrès de la science, à l'avenir de l'enseignement supérieur en Belgique.
Mais la question qui a fait le fond de la discussion générale n'est pas précisément celle-là. Quel a été le dissentiment entre nous ?
L'honorable M. Devaux vient de l'indiquer; c'est la question de savoir s'il faut inscrire dans la loi les précautions, les garanties qui nous préoccupent, ou s'il faut laisser au gouvernement la faculté qu'il a demandée de régler l'organisation du jury par voie administrative. Tel est le point de dissentiment entre nous.
L'honorable M. Devaux vient de faire un beau plaidoyer en faveur des avantages qui, selon lui, résultent du système de jurys combinés, par comparaison avec un jury central.
Malheureusement on ne nous demande pas notre avis sur ce jury central ou ce jury combiné ; nous ne sommes nullement appelés pour émettre un vote sur ces systèmes ; le gouvernement réclame pour lui et ses successeurs un blanc-seing pour choisir celui qu'il préférera, il réclame une véritable délégation du pouvoir législatif. Le discours de M. Devaux aurait beaucoup d'intérêt pour nous, si nous avions à adopter le système qu'il a défendu, mais cela nous est refusé.
L'amendement de M. Rogier vaut mieux que celui de la section centrale qui ne mentionnait que les universités de l'Etat, en s'abstenant de mentionner même l'enseignement libre. Le principe de l'amendement est, à mots couverts, celui que nous avons nous-même professé, celui de l'égale représentation des établissements.
M. Delfosse. - Il ne s'agit pas d'établissements.
M. Dechamps. - Il s'agit des établissements indirectement ; en parlant d'enseignement privé, M. le ministre comprend nécessairement les universités libres, son exposé des motifs et sa déclaration sont là pour le prouver.
J'aurais voulu que l'honorable M. Devaux, qui s'est beaucoup étendu sur un système qui n'est pas réellement en discussion, eût développé un peu plus son opinion sur la question qui nous divise, sur la faculté à accorder au gouvernement de tout nommer, de tout organiser sans limites ni garanties. Il s'est borné à nous dire qu'il fallait laisser une complète responsabilité au gouvernement ou bien l'assumer nous-même tout entière, en déterminant dans la loi le système qu'on préfère avec toutes les garanties, toutes les précautions possibles. C'est précisément ce que nous demandons. Je ferai remarquer à l'honorable M. Devaux que ce que nous voulons obtenir, ce n'est pas seulement l'impartialité de fait, l'impartialité présumée, mais c'est surtout ce que j'appellerai l'impartialité légale, celle qui résulte des institutions.
L'honorable M. de Brouckere l’a dit hier avec beaucoup de raison : si la loi garantit l'existence et l'avenir des universités de l'Etat et ne garantit pas de la même manière l'existence et l’avenir des universités libres, si est incontestable que les familles seront souvent forcées de donner la préférence aux établissements dont l'avenir est garanti et d'abandonner ceux dont l'avenir ne le sera pas. Les établissements libres se trouveront compromis » ils ne seront pas peut-être atteints immédiatement, mais on peut craindre qu'ils ne soient destinés à périr lentement. Voilà ma conviction ou plutôt mes craintes. Nous avons insisté sur la nécessité de garanties légales ; si elles ne sont pas légales, elles ne sont pas des garanties. Nous demandons que l’on écrive dans la loi les principes que l'on proclame et le système que l'on veut appliquer.
(page 1689) Il y a dans la loi d'enseignement supérieur deux choses : les unes concernent les matières d'enseignement, les autres sont relatives au jury d'examen.
On reconnaît notre aptitude à décider les unes, les moins importantes; on dénie cette aptitude à décider les autres, celles qui ont dominé tous les débats. Nous sommes appelés à décider si les cours seront semestriels ou annuels ; si le maximum de la durée des cours sera de 3 ou de 4 heures ; si l'on comprendra la littérature orientale, l'archéologie, la docimasie, ou si ne les comprendra pas dans les matières d'examen; s'il y aura un inspecteur, ou deux inspecteurs-administrateurs; si les étudiants payeront leurs inscriptions par semestres ou par année. Tout cela, on le soumet à nos votes; il le faut, puisque la Constitution prescrit que l'enseignement de l'État doit être réglé par la loi.
Mais toutes ces matières sont accessoires et de bien peu d'importance relativement à celle du jury d'examen.
Nous devons résoudre ces questions de détails pour lesquelles notre aptitude est pour le moins douteuse, et on nous refuse le droit de résoudre les questions :
Du jury central ou des jurys combinés;
Du nombre et de la division des jurys;
De sa mission ;
Du mode de nomination ;
Des garanties qui doivent entourer ces nominations.
On nous demande de nous reconnaître incapables de trancher ces questions importantes, de la solution desquelles la liberté d'enseignement doit dépendre, et on nous permet de nous occuper sérieusement et gravement de tous les détails réglementaires de la loi.
On a fait une objection. C'est la seule qui ait arrêté plusieurs membres. L'honorable M. Lelièvre vient de la reproduire. Vous ne pouvez, a-t-il dit, reconnaître dans la loi les universités libres ; vous en feriez des personnes civiles. J'avoue que cette objection ne me paraît pas sérieuse.
Pour qu'il y ait une personne civile, il faut reconnaître à un établissement nominativement désigné tous les droits qui constituent une personne civile, et parmi ces droits figure en tête celui d'acquérir.
Ici, il n'y a rien de cela. D'abord, il est facile de ne pas désigner les établissements libres, on peut les définir d'une manière générale ; de sorte que la définition s'applique non seulement aux établissements existants, mais à ceux qui pourraient être créés dans l'avenir.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment?
M. Dechamps. - Il suffirait (rien ne serait plus facile) de dire dans la loi : les établissements privés, ayant un enseignement supérieur conforme au programme du projet de loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Avec cette disposition je me charge de supprimer les établissements libres.
M. Dechamps. - Il faudrait agir de bien mauvaise foi; cela est impossible; il n'y a, il n'y aura vraisemblablement que deux universités libres, constituées avec quatre facultés, avec un enseignement conforme au cadre indiqué par la loi.
Voulez-vous ajouter un nombre déterminé d'élèves ou mieux encore une certaine durée d'existence ? On le pourrait, mais le programme d'enseignement suffit.
L'amendement de M. le ministre de l'intérieur me paraît renfermer un principe juste, celui de l'égalité de représentation dans le jury, entre l'enseignement de l'Etat et l'enseignement libre.
Voilà le principe, mais l'honorable M. Devaux vient de le reconnaître, il y a lacune évidente dans la rédaction. J'avais cru hier, avec l'honorable M. de Brouckere, que l'amendement de M. le ministre de l'intérieur était inconciliable avec le système défini dans l'exposé des motifs. L'honorable M. Rogier nous a donné hier des explications. Il nous a déclaré que son amendement était compatible avec ce système qu'il maintenait.
Je le reconnais, mais s'il permet au ministre de le réaliser, il ne l'y oblige pas. Le gouvernement, après que nous aurons adopté cet amendement, peut faire ou ne pas faire, il peut être impartial ou ne l'être pas. Il peut sauver ou compromettre la liberté d'enseignement.
Je vous le demande, messieurs, pourquoi ne pas écrire dans la loi la déclaration même faite hier par l'honorable ministre de l'intérieur? Je crois qu'il est possible de le faire en tenant même compte des scrupules, selon moi bien mal fondés, dont on a parlé tout à l'heure.
Je regarde ces scrupules comme mal fondés, et j'insiste encore un moment sur ce point. L'honorable M. de Brouckere a dit hier : De quoi s'agit-il? Il s'agit de reconnaître aux universités libres, quel droit? non pas le droit à être personne civile, je l'ai démontré, mais le droit à l'existence. Car selon que le jury d'examen sera composé d'une manière partiale ou d'une manière impartiale, les universités libres existeront ou disparaîtront. C'est donc bien leur droit à l'existence que l'on demande de consacrer; ce droit, c'est la Constitution qui l'a créé et le silence de la loi ne peut l'enlever.
Messieurs, tout à l'heure, pendant que l'honorable M. Devaux parlait, et en l'écoutant religieusement, j'écrivais, pour ainsi dire sous sa dictée, le système dont il nous a donné les développements.
La formule est facile à trouver et je vais l'indiquer. Je ne présente pas cette rédaction comme amendement; mais je veux prouver que cette déclaration du ministre il est possible de l'écrire dans la loi, tout en tenant compte d'objections que je regarde comme peu sérieuses. On pourrait dire :
. « Il y a deux jurys combinés par adjonction d'universités. Les professeurs de chaque établissement adjoint seront pris en nombre égal et de manière que chaque établissement soit représenté quant à l'importance des matières.
« Il y a en outre un jury central dans lequel les professeurs des universités de l'Etat ne seront pas en majorité. »
Voilà le système écrit tout entier et conformément à la déclaration de M. le ministre. Dans ce système, on ne nomme pas même les établissements privés. On ne les désigne pas autrement que dans l'amendement du ministre : car il est bien certain que M. le ministre de l'intérieur, en parlant de l’enseignement privé, y comprend pour une grande part les universités existantes.
Messieurs, permettez-moi de le dire, on a singulièrement exagéré la question des études privées, faites isolément. Certainement il faut des garanties pour ces études privées. Mais chacun sait quelle en est l'importance. La chambre comprendra qu'il est impossible, à moins qu'on ne soit un de ces rares génies qui apparaissent tous les siècles, de parfaire les études universitaires seul. Cela est possible tout au plus pour les études de philosophie et lettres ; mais pour le droit, pour la médecine, les études supérieures supposent un enseignement universitaire complet.
On a dit, messieurs, que 400 élèves s'étaient présentés depuis 14 ans devant le jury, comme ayant fait des études privées. Mais de ces 400 élèves, 300 au moins étaient sortis des universités du pays. Ce sont ordinairement des élèves qui n'ont pas satisfait aux conditions exigées par les universités, et qui ne sont pas reconnus par elles. Ainsi, en fait, comme cela doit être, du reste, ces études privées dont on parle avec une si ardente sympathie, c'est une très rare exception. Pour cette exception, il faut des garanties, je le reconnais avec vous; mais il ne faut pas s'armer, je n'ose pas dire de ce prétexte, pour amoindrir les droits des universités libres.
Le grand fait de la liberté d'enseignement en Belgique, le fait normal, c'est la création des deux grandes universités libres ; voilà ce qu'il faut surtout respecter et maintenir. Prétendre défendre l'intérêt accessoire de la liberté d'enseignement, les études isolées, pour s'en faire une arme contre les droits des universités libres qui forment l'intérêt dominant, c'est renverser les idées et les faits, c'est pour éviter un monopole à quatre, comme on l'a dit, constituer un monopole à deux.
Messieurs, je crois donc, soit que la chambre veuille un jury central, soit qu'elle veuille se rallier au système de l'exposé des motifs, au système du jury combiné, je crois qu'il faut une rédaction qui sauve les droits de l'enseignement libre en général et surtout ceux des universités que la liberté d'enseignement a enfantées. Que l'on prenne des précautions dans la rédaction, pour ne pas effrayer certains esprits, je le veux bien. Mais il ne faut pas que les universités de l'Etat aient d'autres droits, aient plus de garanties que les universités libres.
Messieurs, il me reste à répondre à une objection toute personnelle que l'honorable M. Delfosse m'a adressée dans une séance précédente. Je regrette de ne pas m'être trouvé dans la chambre au moment où il a terminé son discours ; j'aurais répondu immédiatement.
L'honorable M. Delfosse m'a objecté que j'étais en contradiction avec moi-même en me ralliant à un système consistant à faire représenter dans un jury les quatre universités d'une manière égale ; que j'avais soutenu d'autres principes en 1835 et en 1844.
D'abord je reconnais qu'en 1835 je me suis rallié au système qui a prévalu à cette époque ; je craignais alors que le système de la délégation des universités pour la formation d'un jury central n'amenât la coalition de trois contre un. L'expérience a complètement dissipé ces craintes.
Mais en 1835, les universités libres venaient de naître. Ces universités n'avaient pas même un cadre complet d'études et n'avaient qu'un nombre insuffisant d'élèves.
Or, le système qu'on proposait, celui de l'honorable M. de Brouckere, consistait à définir les universités libres par le cadre des matières d'enseignement et le nombre des élèves.
Qu'ai-je dit alors? J'ai dit : Les universités libres sont de création trop récente pour atteindre, dès leur début, ce nombre d'élèves. Elles auront donc leur existence compromise. Je disais que ce système, dont je reconnaissais les avantages, il y avait impossibilité de l'exécuter, et c'est à cette impossibilité et à ce point de vue que j'appliquais le mol d'absurde. Quoi qu'il en soit, je reconnais que je n'ai plus les opinions que j'avais en 1835 et j'ai cela de commun avec beaucoup de nos collègues.
L'honorable M. Delfosse dit qu'en 1844 j'ai eu horreur du système d'égale représentation dans le jury des quatre universités. Mais l'honorable M. Delfosse sait aussi bien que moi que je n'ai pas combattu le système de I honorable M. Nothomb à cette époque, parce que cette garantie était écrite dans son projet; qu'au contraire je trouvais cette garantie insuffisante encore et que je combattais le système parce qu'il remettait la nomination du jury au gouvernement.
J'étais d'ailleurs d'accord, en principe, avec l'honorable M. Delfosse à cette époque et si quelqu'un de nous a changé, ce n'est pas moi, c'est lui.
L'honorable M. Delfosse, à cette époque, critiquait le système de l'honorable M. Nothomb, non pas parce que des garanties y étaient insérées, mais uniquement parce que la nomination du jury était dévolue au gouvernement : « J'ai écouté, disait-il, la discussion avec une attention religieuse. Elle m'a donné cette conviction que la vérité et l'erreur se trouvent mêlées à doses à peu près égales dans les deux opinions qui divisent la chambre (la nomination par le gouvernement et la nomination par les chambres).
(page 1690) « Le vice fondamental de ces deux systèmes, ajoutait M. Delfosse, est que dans l'un comme dans l'autre la politique joue un trop grand rôle. »
Eh bien, en 1844 j'ai défendu exactement, identiquement la même idée, comme je l'ai défendue dans une séance précédente. Je ne voulais pas, comme je ne veux pas aujourd'hui, d'un jury politique. M. Delfosse n'en voulait pas alors, du moins dans son discours; il en veut aujourd'hui ; qui a changé ?
Du reste, messieurs, je n'indique pas ceci pour avoir le plaisir de mettre mon honorable collègue en contradiction avec lui-même : il n'est pas un membre de cette chambre qui ait assisté aux discussions de 1835, de 1844, et à la discussion actuelle, et qui n'ait pas modifié les opinions, non pas une fois, mais deux et trois fois. Comment! on a vécu de provisoire, d'essais, d'expériences, et après 14 années, on nous propose un nouveau provisoire et une nouvelle expérience, tellement cette question est entourée de difficultés pratiques, et on voudrait qu'il ne fût pas permis de modifier son opinion? Je dis que personne ne peut prétendre à l'infaillibilité dans une pareille question. Je n'y prétends aucunement, mais j'ai voulu prouver que l'honorable M. Delfosse ne peut pas y prétendre davantage.
M. Delfosse, rapporteur (pour un fait personnel). - Messieurs, si j'ai rappelé, il y a quelques jours, certains antécédents de l'honorable m. Dechamps, qui sont (je le maintiens, et il n'y a qu'à consulter le Moniteur pour s'en assurer), qui sont en contradiction manifeste avec les opinions qu'il exprime maintenant et avec le vote qu'il se propose d'émettre; si j'ai rappelé ces antécédents, c'est que l'honorable M. Dechamps avait pris l'initiative d'attaques de ce genre contre quelques honorables collègues, et, entre autres, contre l'honorable M. Rogier.
L'honorable M. Dechamps se permet de dire qu'en 1844 nous étions, lui et moi, parfaitement d'accord, et qu'il n'a pas changé depuis. M. Dechamps a voté en 1844, pour l'intervention des chambres; aujourd'hui il propose un tout autre système! Comment ai-je voté, moi, en 1844? J'ai voté pour la nomination temporaire par le Roi; c'est ce que je propose encore aujourd'hui. Nous n'étions donc pas d'accord, et c'est M. Dechamps seul qui a changé.
Il est bien vrai que j'ai dit en 1844 qu'il y avait un vice dans les deux systèmes, en ce qu'ils ne plaçaient ni l'un ni l'autre la science en dehors de la politique; c'est encore mon opinion. Je voudrais qu'on pût découvrir un système plaçant la science en dehors de la politique et donnant en même temps des garanties à la société. Mais c'est ce que l'imagination fertile de M. Dechamps, qui est depuis longtemps à la recherche de tant de systèmes, n'a encore pu trouver; d'autres n'ont pas été plus heureux; je dois donc aujourd'hui, comme en 1844, voter, faute de mieux, pour le système de la nomination du jury par le gouvernement, en bornant les pouvoirs du gouvernement à trois années. De cette manière je reste parfaitement d'accord avec mes antécédents, à la différence de l'honorable M. Dechamps qui a constamment varié.
Je regrette que la revue rétrospective que l'honorable membre s'est permise pour la deuxième fois, m'ait amené à rappeler de nouveau ses antécédents qui sont, je le répète, tout à fait contraires aux opinions qu'il a défendues dans cette discussion, et au vote qu'il se propose d'émettre; le Moniteur est là pour le prouver.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu tout à l'heure l'honorable M. Dechamps préconiser un système que, toutefois, il n'a pas traduit en amendement, mais qui se trouve résumé dans la proposition de l'honorable M. de Haerne.
Je ne veux pas, messieurs, entrer fort avant dans ce débat. Je crois que la question est à peu près épuisée. Je crois que la chambre est impatiente de clore cette discussion. Toutefois, que l'on me permette de dire quelques mots pour justifier l'interruption dont l'honorable M. Dechamps a été l'objet de ma part.
Messieurs, je proteste d'abord de mes intentions, des intentions du gouvernement, qui sont avant tout favorables au double principe écrit dans la Constitution : d'une part, la liberté d'enseignement ; d'autre part, l'enseignement donné aux frais de l'Etat. Nous voulons que la liberté soit réelle, sérieuse, efficace, comme nous voulons que l'enseignement public soit sérieux, réel, efficace.
Nous trouvons beaucoup plus d'avantages que d'inconvénients dans le système de la liberté de l'enseignement. Nous déclarons bien haut que nous tenons pour chimériques toutes les craintes qui ont été manifestées lorsque ce principe a été proclamé. L'expérience a démontré qu'il y a plus d'avantages dans la pratique de la liberté d'enseignement, que dans la suppression de cette liberté. Nous voulons l’enseignement par l'Etat, parce que c'est là une grande garantie contre les abus possibles de la liberté de l'enseignement. L'enseignement donné par l'Etat, réglé par la loi, c'est le programme que l'enseignement libre doit s'attacher à dépasser, à perfectionner s'il le peut. C'est, pénétrés de cette conviction, décidés à la faire prévaloir, que nous avons étudié avec le plus grand scrupule les divers systèmes qui pouvaient être produits pour garantit ce double intérêt dans le jury d'examen.
Messieurs, la conséquence rigoureuse, absolue de la liberté d'enseignement, serait peut-être la suppression des brevets.
Nul n'y pense, nul ne le demande d'aucun côté de cette chambre. On comprend que, dans l'état actuel de nos mœurs, de nos habitudes, de nos préjugés même, il est impossible d'aller jusque-là. On admet donc qu'il faut chercher quelque moyen de donner des garanties à la société dans la délivrance des brevets de capacité.
Je reconnais bien volontiers qu'à l'aide de ce moyen, si on ne l'employait pas avec bonne foi, avec impartialité, ou pourrait nuire à l'un ou à l'autre intérêt, on pourrait nuire à l'enseignement donné par l'Etat comme on pourrait nuire à l’enseignement libre. On a nui, au moins on a essayé de nuire longtemps à l'enseignement donné par l'Etat: eh bien, nous ne voulons pas, aujourd'hui que le pouvoir est dans nos mains, retourner contre nos adversaires l'arme dont ils nous ont frappés, parce que nous avons des principes, parce que nous voulons les appliquer. S'ils ont abusé de leur force, il ne nous convient pas de les imiter.
Nous le disons franchement, loyalement, la liberté doit être pratiquée, il faut des garanties pour la liberté.
Mais qu'est-ce ici que la liberté? Est-ce un établissement dénommé? Est-ce une université? Est-ce l'université catholique? Est-ce l'université libre? Non. des droits pour l'université libre ou pour l'université catholique, ce n'est point la liberté ; c'est un monopole, un privilège; concéder des droits à un établissement déterminé, passer les autres sous silence, ne tenir aucun compte du droit individuel, c'est évidemment exclure la liberté.
Messieurs, prenez-y garde, si des droits existent pour les établissements d'instruction supérieure, ils existeront pour les établissements d'instruction moyenne; et s'il faut inscrire dans la loi le droit des universités libres, il faudra, pour le jury relatif au grade d'élève universitaire y inscrire le même droit pour chaque établissement d'instruction moyenne. Il est impossible que vous n'admettiez pas cette conséquence. Or, cela seul nous démontre que le système est absolument inadmissible.
Mais, en principe, pourrait-il être admis? Comment reconnaître des droits à des établissements privés, sans leur donner la capacité civile, sans en faire des personnes civiles? C'est impossible. La raison se refuse à comprendre qu'une collection d'individus ait un droit quelconque sans que, par cela même, cette collection d'individus ne forme un être de raison, une personne civile. Je suppose que ces établissements, que vous aurez dénommé dans la loi, veuillent agir en justice, est-ce qu'ils ne seront pas reçus devant les tribunaux en cette qualité que vous leur aurez attribuée ? Comment les tribunaux refuseraient-ils de reconnaître cette qualité, alors que vous, législateurs, vous aurez dit: Il y a une université catholique, une université libre? Cela me paraît impossible. Mais, en supposant même que cette thèse soit erronée, pouvons-nous donner des droits à des établissements, sur lesquels nous n'avons pas d'action, que nous ne pouvons point contrôler, qui ne contracteront envers nous aucune espèce d'obligation; car on ne veut pas, j'imagine. que l'Etat ait quelques droits vis-à-vis des universités libres? On ne veut pas que nous puissions aller inspecter l'université libre, l'université catholique, que nous puissions leur retirer le droit si nous reconnaissions qu'elles ne remplissent pas certaines conditions à déterminer. On veut que le droit de ces établissements soit plein, entier, absolu, sans contrôle, et que l'Etat soit obligé envers eux ! ils veulent être libres vis-à-vis de l'Etat, à la condition que l'Etat ne le soit pas vis-à-vis d'eux ! En vérité, c'est là la prétention la plus extraordinaire que l'on puisse imaginer!
Messieurs, songez-y bien, la prétention que l'on annonce, c'est précisément la même que vous combattez en matière d'enseignement primaire. Vous éclairez pour l'enseignement primaire (c'est l'opinion de l'immense majorité de cette chambre) : Le clergé n'interviendra pas à titre d'autorité dans l'enseignement primaire. Qu'est-ce que cela veut dire? Que le clergé, n'étant point constitué en autorité, ne peut avoir de droits par la loi, car vous n'excluez pas l'intervention du clergé comme élément religieux, vous désirez au contraire que le prêtre remplît librement sa mission; mais vous excluez le clergé parce qu'il est sans titre, sans qualité, comme corps, pour avoir des droits par la loi. Eh bien, voici que précisément, on veut vous faire décider ce principe que certains établissements ont des droits, qu'ils interviennent à titre d'autorité dans l'enseignement supérieur.
Je ne comprends point que les honorables membres qui, comme notre honorable collègue M. Orts et notre honorable. collègue M. H. de Brouckere, professent le principe que je viens d'énoncer, à l'égard de l'enseignement primaire, s'en éloignent, l'abandonnent, le désertent, dès qu'il s'agit de l'enseignement supérieur.
C'est ce que notre honorable président a très bien compris; il est ainsi parfaitement conséquent avec l'opinion qu'il a exprimée à l’égard de l'enseignement primaire; il a voté l'amendement proposé par M. le ministre de l'intérieur, il a voté cet amendement qui garantit suffisamment les intérêts de la liberté et ceux de l'Etat. Il serait en contradiction avec lui-même, s'il demandait à titre de droit, à titre d'autorité, pour les établissements d'instruction supérieure ce qu'il sera obligé de repousser, quant au clergé pour les établissements d'instruction primaire.
Mais l'honorable M. Dechamps nous a dit :« Evitez l'objection, tournes la difficulté. » C'est aussi ce que déclarait hier l'honorable M. Henri de Brouckere : « Dans les établissements libres qui réunissent telle ou telle condition, seront représentés dans le jury d'examen. » C'est, en un mot, l'amendement de l'honorable M. de Haerne. On semble n'en pas demander davantage. Tout est bien dans cette formule ; la liberté est sauve, tous les intérêts sont garantis 1 Hélas! vous vous trompez étrangement.
Vous craignez la partialité du gouvernement, et c'est par ce motif que vous lui refusez la nomination du jury dans les termes indiqués par M. le ministre de l'intérieur. Vous n'en voulez pas, parce que vous craignez que, partial dans les choix, partial quant à la représentation des matières, il ne tue les établissements libres; et vous qui avez ces défiances, vous qui manifestez ces craintes, vous voulez laisser au gouvernement le pouvoir absolu de décider que tels ou tels établissements sont (page 1691) dans la loi ou hors la loi! (Interruption,) Apparemment, il faudra bien que quelqu'un reconnaisse que l'établissement privé remplit les conditions voulues ; il faudra bien que ce soit le gouvernement, à moins que vous ne constituiez un jury particulier pour vérifier le fait (Interruption.) Ce sera donc le gouvernement.
Si vous avez assez de confiance dans le gouvernement pour être assurés qu'il n'écartera pas les établissements libres sous prétexte qu'ils ne remplissent pas réellement les conditions requises, pourquoi ne pas avoir en lui la même confiance lorsqu'il s'agira de constituer le jury? Tout cela ne se justifie en aucune manière. Dans le premier cas, les preuves du fait qui donnera naissance au droit seraient facilement récusées ; dans le deuxième, il s'agit simplement d'hommes à choisir ; l'acte qui les admet ou qui les exclut n'est pas sujet à controverse.
En vain, vous essayez de jeter du doute sur l'impartialité du gouvernement. L'impartialité du gouvernement dans les choix est obligatoire, c'est en quelque sorte une question de probité administrative.
Et vous avez beau dire que vous n'avez aucune garantie dans l'opinion publique, dans la presse. Erreur; c'est grâce à cette garantie que, malgré une loi à l'ombre de laquelle une majorité irresponsable faisait de la partialité d'une manière systématique, les universités de l'Etat ont été préservées; c'est par la force de l'opinion publique qu'elles ont été défendues, et assurément elles l'ont été plus par la presse que par la majorité parlementaire, ou par les ministres qui, prétendument, ramenaient l'équilibre dans le jury au profit des universités de l'Etat. Je dis prétendument, car si la pondération des membres qui ne cessent de parler de la représentation des matières devront avouer que cette représentation a été constamment méconnue.
D'ailleurs, quel que soit le système que l’on adopte, du moment où l'on est obligé de faire intervenir certaines autorités, les chambres, les corps savants, les cours, on peut faire les mêmes objections, on peut toujours redouter soit les coteries, soit la partialité.
Il faut, dans toutes les hypothèses, arriver à confier à des hommes le soin d'organiser le jury.
Or, quels sont ceux qui, aux yeux de la chambre, doivent présenter le plus de garanties? Ce sont évidemment les ministres qui ont constamment à répondre devant vous de leurs actes.
Et les établissements libres pourront-ils si facilement être sacrifiés? A la différence des établissements de l'Etat, ils trouveront ici des représentants pris dans leur sein. Croyez-vous qu'impunément on aurait cherché à ruiner les établissements libres, et que personne ne se lèverait dans cette enceinte pour dénoncer des manœuvres ayant pour résultat, en fait, de porter atteinte à la liberté de l'enseignement?
Croyez-vous que jamais le bon sens, la justice, l'équité ne se révolteraient contre des actes de cette nature?
Il faut un peu compter sur la puissance de l'opinion publique, il faut compter sur l'action de la presse, il faut même compter sur les protestations légitimes des minorités; car ce sont là des éléments qu'un gouvernement ne méconnaît jamais en vain.
M. de Luesemans. - Je conçois l'impatience de la chambre. Au point où en est arrivée la discussion sur la question du jury, je reconnais que les arguments pour ou contre le système du gouvernement sont épuisés. Cependant, il paraît que des membres de la chambre ont l'intention de présenter des amendements. Je crois que, pour faire aboutir la discussion, ceux de nos honorables collègues qui ont cette intention devraient déposer immédiatement et développer leurs amendements. Ces amendements, s'ils sont appuyés, feront partie de la discussion. De cette manière, nous n'aurons pas à recommencer la discussion, à la présentation de chaque amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je pense avec l'honorable préopinant qu'il est temps que les amendements soient déposés. Voilà bientôt dix jours de discussion générale. Je crois que les amendements ont eu tout le temps nécessaire pour se former et pour se produire.
J'insiste donc avec l'honorable M. de Luesemans, je l'ai déjà fait à diverses reprises, pour que l'un ou l'autre des systèmes qui ont été mis en avant se produisent; nous pourrons les saisir et les combattre.
M. Delehaye. - Répondant à la motion de l'honorable M. de Luesemans, après lequel je suis inscrit, je demande la permission de vous soumettre de nouveau le projet que j'avais formulé en 1844. Je le fais avec d'autant plus de confiance que les reproches adressés à tous les systèmes qui ont été produits ne sont pas applicables à celui que je propose.
Nous sommes tous d'accord sur ce point, que les élevés, quelles que soient les universités d'où ils sortent, quel que soit l'établissement d'instruction public ou privé où ils ont puisé leur instruction, ont droit à l'impartialité du jury. Il faut que le jury soit composé de manière que les élèves des divers établissements privés puissent sr présenter avec la même confiance.
Je dis que lorsque vous laissez la nomination des membres du jury au gouvernement, il est impossible que M. le ministre de l'intérieur, par cela seul qu'il est en quelque sorte le grand maître des universités de l'État, présenter le même degré de confiance aux élèves qui sortent des universités libres qui ceux qui sortent des universités de l'Etat. On vous a dit qu'il faudrait, pour qu'un jury fût complètement impartial, qu'il fût composé en nombre égal de membres pris dans les établissements de l'Etat et en dehors.
Je dirai, l'expérience m'a servi de guide, que cela fait, vous n'auriez pas encore acquis une garantie suffisante d'impartialité. Ce n'est pas le nombre mais l'influence des membres du jury qui peut faire qu'un jury sera partial ou impartial.
Ne pourrait-il pas se faire que M. le ministre de l'intérieur, tout en sauvant les apparences, en donnant la majorité numérique à une université, agisse de la manière la plus partiale eu faveur d'une autre université, en faisant représenter l'une par des hommes peu considérables, de peu d'importance, exerçant peu d'influence, tandis que telle autre université ne sera représentée que par peu de membres, mais d'une grande importance? Ne vaudrait-il pas mieux appartenir à une université représentée par un seul homme considérable, qu'à une autre qui serait représentée par un nombre double d'hommes sans influence aucune?
Permettez-moi de vous dire ce qui s'est passé à un des derniers examens. J'ai entendu des jeunes gens dire qu'ils ne voulaient pas se présenter aux examens parce que l'université à laquelle ils appartenaient était représentée par des hommes peu capables de défendre leur opinion. Quand une université est représentée par des membres n'ayant aucun ascendant, ils subissent l'influence de membres d'une autre université et sont dans l'impossibilité de soutenir leur thèse malgré leur nombre.
Je dis que le ministre, tout en manifestant l'intention la plus formelle d'être favorable à une université, en lui donnant une représentation plus nombreuse, peut en favoriser une autre qui ne serait représentée que par un nombre moitié moindre.
Mais, dit M. le ministre, je ne veux pas livrer à nos adversaires les armes dont ils se sont servis pour nous battre. Je trouve précisément qu'en laissant au gouvernement la nomination des jurys vous laissez, pour un moment donné, des armes à vos adversaires.
En effet, êtes-vous sûrs que vous resterez au pouvoir, que l'opinion qui a triomphé au 8 juin continuera à l'emporter? Moi aussi j'ai été un des vainqueurs le 8 juin. Sommes-nous bien certains que la victoire nous sera facile? N'avons-nous pas fait des fautes dont nos adversaires ont profité? Le gouvernement a-t-il été prudent, a-t-il su maintenir sur tous les points du territoire l'influence de l'opinion libérale? Ceux qui ont été terrassés au 8 juin ne commencent-ils pas à lever la tête?
Je fais de l'histoire; nos adversaires ont habilement profité de nos fautes ; ils ont été très adroits. Ils ont su, tout en caressant certaines idées agréables au pouvoir, profiter habilement de toutes ses avances. Mais nous ne sommes pas certains que l'opinion qui a triomphé au 8 juin ne sera pas vaincue aux prochaines élections. Supposons que l'opinion vaincue revienne au pouvoir, ne pourra-t-elle pas abuser de votre loi, ne pourra-t-elle pas abuser de cette arme? Il en est beaucoup qui donnent leur assentiment à la loi et qui le refuseraient si un autre ministère existait.
Si nous ne voulons pas qu'un ministère hostile à notre opinion ait une arme qu'il puisse retourner contre nous, faisons une loi qui ne puisse servir à aucun parti, qui satisfasse tout le monde, dans laquelle le pouvoir soit hors de cause; car si le pouvoir est aujourd'hui pour nous, il peut être contre nous demain, et nous pourrions nous retrouver dans la même position qu'en 1844.
J'ai fait alors ma proposition, c'est le gouvernement qui n'en a pas voulu.
- Un membre. - C'est tout le monde.
M. Delehaye. - Qu'il me soit permis d'invoquer une opinion émise au Moniteur. L'honorable président a dit qu'il ne prenait pas ma proposition parce qu'il voyait bien que le gouvernement n'en voudrait pas. Un honorable ami m'a indiqué les défauts qu'elle contenait, je les ai corrigés ; quelques membres ont appuyé le projet de M. Roussel, ce n'est que le développement des propositions que j'ai faites en 1844. Voici mon système il est à l'abri de tout reproche, il donne des garanties d'aptitude, de capacité et d'impartialité.
Je voudrais que le jury d'examen fût composé de cinq membres ; que les matières d'examen fussent divisées en cinq parties principales, comprenant toutes les branches sur lesquelles l'élève doit faire preuve d'aptitude. Ces cinq parties seraient numérotées et tirées au sort. Le sort indiquerait pour quelle partie chaque université nommerait un candidat.
Je ne recule pas devant l'espèce d'épouvantail dont on a parlé souvent, j'aime beaucoup la loyauté etl la franchise. Je ne vois pas comment on reculerait devant l'insertion dans une loi d'un principe sur lequel nous sommes tous d'accord. M. le ministre nous dit : « Les universités seront représentées. » Et vous ne voulez pas insérer cela dans la loi ! Faut-il reculer devant l'insertion d'un principe que vous reconnaissez vous-mêmes? Quel sera le droit que vous accorderez aux universités ? Le droit d'être représenté. Je ne conçois pas comment les universités pourraient inférer de là une prétention à un autre droit. Ainsi cet épouvantail ne m'arrête pas.
Je demande que chaque université nomme deux candidats pour chaque branche d'enseignement.
Comme avocat, j'indiquerait la division des matières pour le doctoral en droit. Voici quelles seraient les cinq parties :
Droit public;
Pandectes;
Droit civil;
Droit criminel;
Économie politique.
Vous comprenez que je ne tiens pas à ces cinq parties. Le ministère pourrait les modifier comme il l'entendrait. Chaque université nommerait 2 candidats pour chacune de ces branches.
(page 1692) Quand le sort aurait déclaré que l'université de Gand serait représentée pour le droit publie, le sort indiquerait qui serait titulaire, qui serait suppléant ; y aurait-il là une seule difficulté? Il n'y a pas là matière à tous les reproches qu'on a faits.
Il est incontestable qu'en composant le jury de cette manière, vous échapper à tout reproche d'inhabileté; car, les universités sont évidemment capables d'apprécier l'aptitude des candidats aux grades.
Vous échappez au reproche de partialité, puisque c'est le sort qui décide.
Le gouvernement est hors de cause; il ne sera plus sollicité pour la composition du jury de telle ou telle manière.
Aucun membre des universités n'est intéressé à lancer des jeunes gens dans la société, avec des diplômes qu'ils n'auraient pas mérités.
Mais, dit-on, l’enseignement privé doit aussi être représenté; je suis de cet avis. N'avons-nous pas des corps qui présentent toutes les garanties scientifiques, et qui représenteraient convenablement l’enseignement privé?
Nous avons :
Pour le droit, la cour de cassation.
Pour la médecine, l'Académie de médecine.
Pour la philosophie, l'Académie des sciences et des lettres.
Pour les sciences, idem.
N'avons-nous pas là toutes les garanties désirables !
Je n'appelle, comme vous le voyez, à composer les jurys qui examineront les jeunes gens sortis des universités et les jeunes gens qui ont fait des études privées, que des hommes intéressés, comme vous, au triomphe de la science.
Je n'y appelle pas le gouvernement, parce que le gouvernement, quel qu'il soit, fût-ce même celui que nous avons maintenant, subira toujours plus ou moins la pression de la majorité qui l'appuie. Et quel que soit notre désir de bien faire, nous ne sommes pas infaillibles.
Le gouvernement ne fera plus de mécontents, en cherchant à faire quelques heureux. Il n'interviendra plus.
Je vous ai déjà indiqué les bases de ma proposition ; en voici les termes:
« Art. 1er. Il y a quatre jurys d'examen :
« Le jury de philosophie et lettres; il est subdivisé en deux sections :
« La première section fait l'examen de l'épreuve préparatoire;
« La deuxième section fait les examens de candidat et de docteur en philosophie et lettres.
« Le jury des sciences; il fait les examens de candidat et de docteur, tant pour les sciences naturelles que pour les sciences physiques et mathématiques.
« Le jury de droit; il est subdivisé en deux sections :
« La première section fait l'examen de candidat en droit;
« La deuxième section fait l'examen de docteur en droit.
« Le jury de médecine; il est subdivisé en trois sections :
« La première section fait l'examen de candidat en médecine;
« La deuxième seetion fait le premier et le deuxième examen de doctorat en médecine ;
« La troisième section fait les examens de docteur en chirurgie et de docteur en accouchements.
« Art. 2. Chaque section du jury se compose de cinq membres titulaires et de cinq suppléants désignés par la voie du sort parmi les candidats présentés par chacun des corps mentionnés à l'article 4.
« Art. 3. Le ministre de l'intérieur fera classer en cinq branches principales, par numéro d'ordre, les matières qui, aux termes de la loi du 27 septembre 1835, doivent faire partie des examens.
« Art. 4. Pour chacune de ces branches, les quatre universités actuellement existantes, l'Académie royale des lettres et sciences, pour les deux sections de philosophie, la cour de cassation, pour les deux sections du jury de droit, et l'Académie royale de médecine, pour les trois sections du jury de médecine, présenteront chacune deux candidats.
« Art. 5. Un mois avant l'ouverture de chaque session, le sort indiquera la partie des examens pour laquelle chaque corps sera représenté au jury.
« Art. 6. Les membres du jury ne seront nommés que pour une seule session.
« Nul ne pourra faire partie du jury pour la même section pendant plus de deux sessions consécutives.
« Art. 7. Un arrêté royal fixera le jour et le lieu où se fera le tirage au sort, qui aura lieu en présence des délégués de chacune des universités. »
M. le président. - M. de Mérode vient de déposer l'amendement suivant :
« Art. 1er. Le jury chargé pour chaque faculté des examens de candidat et de docteur sera composé de neuf membres.
« Chacune des facultés attachées aux universités de Bruxelles, Gand, Louvain et Liège, déléguera à cette fin et pour chaque jury deux jurés titulaires et deux suppléants.
« La cour de cassation, pour le droit, l'Académie de médecine, pour les sciences médicales, la section des lettres, pour la faculté de philosophie, la section des sciences de la même compagnie, pour la faculté des sciences, délégueront chacune aux mêmes fins et pour chaque jury un titulaire et un suppléant.
« Art. 2. Huit jours au moins avant la prochaine session de 1849, M. le ministre de l'intérieur procédera à la répartition en quatre parties des matières afférentes à chaque espèce d'examen, et à l'assignation de l'une de ces quatre parties à chacune des universités.
« La présente loi ne sera obligatoire que pour la session à tenir encore en 1849 et pour les sessions de 1850. »
M. de Mérode. - Messieurs, pendant treize ans le jury nommé par les trois pouvoirs politiques a été impartial. C'est un fait acquis, parce que pendant toute cette période, malgré la liberté la plus complète de la presse, aucune plainte n'a en lieu sur la conduite équitable des jurés.
L'accusation portée contre la majorité de la chambre des représentants, d'avoir été partiale dans l'exercice de son droit de nomination, n'est donc fondée que sur une apparence, à moins qu'on ne prouve que la composition complète du jury ne se faisait pas d'accord avec elle.
S'il ne s'agissait que d'une seule année, la supposition que la chambre ignorait le résultat final des nominations d'ensemble ne semblerait pas impossible ; mais elle devient inadmissible lorsque le système a été mis en pratique pendant douze ans. La majorité de la chambre avait des sympathies, je ne le nie pas (toutes les chambres en ont et tous les ministères également), elle assurait à ces sympathies leur part dans la composition du jury d'examen ; mais ne nommant que deux septièmes des jurés, elle ne voyait pas d'inconvénient nuisible aux élèves dans la manière dont s'appliquait son droit. Il y avait, en effet, entre la chambre et le ministère convention tacite sur la formation définitive de tout le jury, et si cette convention tacite n'eût pas existé, n'eût pas été mise en pratique, jamais je n'aurais concouru aux nominations que faisait la chambre.
Cependant, il ne suffit pas de vouloir être juste en fin de compte, il faut éviter de paraître partial même pendant quelques jours; et c'est parce que la chambre se donnait cette apparence, qu'en 1844 je demandai avec insistance, qu'en attendant mieux, elle nommât, ainsi que le sénat, un délégué qui ferait avec le ministre une nomination combinée d'un seul jet.
Voulant éviter, enfin, tout à fait le jury formé par les pouvoirs politiques, j'adhère au projet de M. le professeur Adolphe Roussel, parce qu'il nous tire, comme je l'ai dit, de cette ornière et que l'on aura l'avantage de tenter un essai véritablement nouveau.
Le ministère nous dit : Je suis bon prince, je serai bon prince; mais la Constitution n'admet pas cette sorte de raison : aussi parmi ceux qui veulent attribuer au gouvernement toute la nomination du jury d'examen, plusieurs n'ont pas même voulu lui laisser la nomination des bourgmestres dans la commune, bien que la Constitution, par un article spécial, autorise la législature à lui donner ce pouvoir.
M. le président. - M. de T'Serclaes présente l'amendement suivant :
« L'article 40 est remplacé par ce qui suit :
« § 1er. Les examens pour le grade d'élève universitaire et de candidat sont faits par les universités.
« Le gouvernement procède à la formation de jurys spéciaux chargés des examens pour le grade de docteur. Il prend les mesures réglementaires nécessaires.
« § 2. Cette disposition, etc.
» § 3. Le gouvernement compose chaque jury d'examen pour le grade de docteur, de telle sorte que, etc.
« § 4. Toute personne peut, etc. (comme à l'amendement de M. le ministre de l'intérieur.)
« § 5. Le jury d'examen pour le grade de docteur vérifie au préalable les titres des Belges qui se présentent munis de certificats ou de diplômes d'élèves universitaires et de candidats qui n'ont point été délivrés par les universités de l'Etat ; il les admet aux épreuves de l'examen doctoral par une délibération motivée, et peut, pour des motifs graves, les renvoyer à une autre session. »
La parole est à M. de T'Serclaes pour développer son amendement.
M. de T'Serclaes. - Messieurs, je reconnais d'avance que mon amendement, qui diffère complètement des systèmes discutés jusqu'aujourd'hui, a peu de chances de succès; mais j'obéis à une conviction profonde en le soumettant à l'assemblée ; je regretterais que cette grande et solennelle discussion se terminât sans que l'on rappelât, au moins pour mémoire, une idée sérieuse et pratique, qui s'est déjà présentée devant vous dans d'autres circonstances.
Cet amendement ne détermine point le mode de formation du jury universitaire. J'adopterai, à cet égard, la combinaison qui me paraîtra la plus favorable à la liberté d'enseignement et aux intérêts de la science. Son but est d'établir une distinction entre les grades préparatoires et les grades définitifs. C'est, en d'autres termes, le système dont il est parlé à la page 5 de l'exposé des motifs, celui qui a été formulé par la quatrième section, à la page 22 du rapport de l'honorable M. Delfosse.
Seraient considérés comme grades préparatoires, celui d'élève universitaire, et celui de candidat dans les diverses branches d'enseignement, soit que le grade de candidat serve d'acheminement à celui de docteur dans la même faculté, soit qu'il ait pour but spécial de préparer l'élève aux études dans une autre faculté; ces grades seraient conférés par les universités elles-mêmes et sous leur propre responsabilité; toutefois d'après un mode qui serait ultérieurement réglé pour les universités de l'Etat par le gouvernement.
Comme grade définitif, je n'admets que celui de docteur de plein exercice, tel qu'il est établi dans les divers ordres de la science par la loi ; ce grade serait le seul qui serait conféré par le jury national; on adopterait à cet effet le système proposé par M. le ministre de l'intérieur, ou tout autre que la présente discussion fera naître.
Les dispositions des articles 36 à 40 et toutes celles du chapitre premier, titre III, seraient virtuellement applicables aux élèves des universités libres, aux récipiendaires formés par l'étude solitaire comme à tous les autres, et (page 1693) nul ne serait admis aux épreuves de l'examen doctoral à moins d'être muni d'un certificat d'élève universitaire, et des divers diplômes de candidats prescrits par la loi. Le paragraphe 5 de l'amendement a pour but de donner une sanction à ces (erratum, page 1707) dispositions légales, il oblige tous ceux qui n'ont point fait leurs études dans les universités de l'Etat, à soumette leurs titres à l'examen préalable du jury, et il autorise ce dernier en cas de suspicion légitime ou par des motifs graves, de différer pendant une session l'admission du récipiendaire aux épreuves finales.
Si l'on trouvait que cette règle ne laissait pas assez de latitude aux études privées proprement dites, il serait facile d'écrire dans la loi, de quelle manière, par exception, les candidats de cette catégorie pourraient suppléer aux épreuves prescrites par les articles 36 à 40.
Tel est, messieurs, en peu de mots, le sens des dispositions dont M. le président vient de donner lecture. Séparation des examens et des grades en deux classes : l'examen pour le grade définitif, final, celui qui produit des effets civils, qui permet d'exercer la profession, lequel serait subi par tous les récipiendaires devant le jury national seul, et les examens préparatoires académiques, lesquels seraient subis dans les universités.
L'examen définitif donnerait le titre de docteur avec le droit de pratiquer; les examens préparatoires académiques donneraient les grades de candidat ou même, conformément à l'article 6, de docteur, mais sans droit d'exercice. Pour les grades préparatoires, l'amendement restitue à l'enseignement supérieur le droit de se juger lui-même; pour les grades définitifs, il conserve les garanties que la société entière a le droit d'exiger : le jury de quelque manière qu'il soit formé ou organisé, resterait la clef de voûte du système, et nul ne serait admis à utiliser ses connaissances sans avoir subi le contrôle de ce juge suprême.
Ce n'est pas une émancipation complète du haut enseignement que je propose, émancipation qui, je l'avoue, pourrait présenter des inconvénients ; mais ce serait un grand pas de fait dans la voie qui doit mener à rendre aux professeurs des universités cette noble indépendance, ce respect, cette confiance qu'ils ont mérités par leur enseignement depuis 14 ans; aux études elles-mêmes, cette spontanéité dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Devaux, cette liberté d'allures, ce zèle de la science qui leur manquent aujourd'hui.
N'est-il pas visible, messieurs, que, depuis longtemps déjà, nous sommes sur cette pente? Personne ne veut plus aujourd'hui d'un jury politique, sous quelque forme qu'il se déguise; tout le monde est frappé de la direction fâcheuse que prennent les études : elles n'ont plus désormais pour but d'acquérir la science, mais de farcir péniblement la mémoire des élèves des notions indispensables aux épreuves des grades.
Le projet du gouvernement lui-même, remarquez-le bien, qu’est-ce en définitive, si ce n'est de constituer les facultés académiques en jury d'examen avec le contrôle passif d'une autre faculté rivale? Ces idées, que je ne fais qu'indiquer ici, ont été développées avec un talent remarquable dans la brochure de M. Roussel.
Un mot sur les précédents de la question ; dès 1835, j'en ai fait la remarque hier, MM. de Theux, Ernst, Dechamps, Jullien, Delehaye, Gendebien et une foule d'autres ont prévu que ce système pourrait triompher dans l'avenir. Il a été introduit jusqu'à un certain point dans le projet de loi rédigé par la section centrale de la chambre des représentants, le 24 mai 1842, sous le ministère de M. Nothomb. Il a été admis avec toutes ses conséquences par le conseil académique de l'université de Gand en 1836.
Dans la discussion de 1844, plusieurs voix se sont élevées en sa faveur, celles entre autres de nos honorables collègues MM. Delehaye et Dechamps.
Dans la discussion actuelle la question n'a point été approfondie.
Deux objections principales peuvent être faites contre cette combinaison.
1° La facilité dans la collation des grades préparatoires et par suite le rabaissement des études ;
2° Les abus qui ont été constatés avant la mise en vigueur de la loi de 1835.
Je répondrai en premier lieu que le gouvernement aura le droit d'assurer par des règlements dans les universités de l'Etat une juste sévérité dans les examens, et que, par les moyens dont il dispose, il pourra toujours maintenir son enseignement à un point supérieur, sinon égal, à celui donné par les établissements libres. L'Etat conservera ainsi son véritable rôle et ses établissements resteront ce qu'ils doivent être, un modèle et un stimulant pour les autres. Si les universités libres montraient une indulgence déraisonnable dans les grades inférieurs, elles eu seraient sévèrement punies devant le jury national.
D'ailleurs, nous avons sous les yeux la pratique de l'enseignement moyen ; depuis 20 ans il est abandonné à lui-même, il n'est astreint à aucune mesure d'administration; qui oserait soutenir cependant que, par une loyale concurrence, il n'a pas réalisé dans notre pays d'immenses progrès?
Quant aux abus que l'on a remarqués dans la collation des grades avant 1835, il y a plusieurs moyens d'y remédier. Le paragraphe 5 de l'amendement en renferme un. Le gouvernement peut régler le mode de payer les rétributions universitaires ; il peut nommer des commissaires; il peut enfin, en faisant usage de la faculté si grande que lui laisse l'article 17 de la Constitution , proposer une loi répressive des délits en matière d'enseignement.
En fait, l'enseignement donné depuis 14 ans, tant dans les universités de l'Etat que dans les autres, a prouvé que ces établissements ont rendu des services au pays à des titres divers, qu'ils sont fortement constitués, qu'ils méritent la confiance des pères de famille et du pays: ne serait-ce pas le moment de leur donner une marque de cette confiance par la loi? On a beaucoup exagéré les abus commis dans la collation des grades par les universités du royaume-uni des Pays-Bas. J'attribue à la circonstance d'avoir remporté la palme plusieurs fois dans les concours généraux des sept universités l'avantage d'avoir été en rapports intimes avec les professeurs de ce temps ; je les ai fréquentés jusqu'à la fin du régime hollandais, et je dois à la reconnaissance et à la vérité de déclarer que jamais je n'ai entendu parler ni de ventes de diplômes, ni aperçu une entente coupable entre les examinateurs et les élèves. C'est un hommage que je rends ici de grand cœur à des hommes qui ont conservé mon estime. Il y a eu des abus réels, mais c'est principalement pendant l'époque de perturbation qui a suivi immédiatement les événements de 1830, alors que les universités dispersées, incomplètes, se sont vues assaillies par une foule d'aspirants aux grades: ces abus, je les ai constatés moi-même en qualité de chef d'administration dans une des villes universitaires, mais tout le monde conviendra qu'ils sont impossibles aujourd'hui.
La chambre a hâte d'en finir; d'ailleurs, je ne me dissimuleras que mon amendement n'est qu'une simple pierre d'attente; je résume, en quatre lignes les avantages qui peuvent résulter du système de la quatrième section.
Il atteint complètement le but que se propose le gouvernement, de rétablir les rapports si nécessaire, entre l'élève et le professeur.
Il sauvegarde par l'émancipation des universités, mieux que tout autre peut-être, la liberté d'enseignement.
Il débarrasse à jamais les chambres de questions irritantes dont la solution satisfaisante n'est point encore trouvée.
Enfin il amène dans les frais une diminution notable; et certes ce n'est point là un objet à dédaigner.
J'ai dit.
M. le président. - Voici l'amendement déposé par M. le Bailly de Tilleghem :
« Supprimer dans le premier paragraphes les mots : et prend les mesures réglementaires que leur organisation nécessite. »
M. le Bailly de Tilleghem. - Messieurs, malgré les modifications apportées à l'article 40, je regrette de ne pouvoir y donner mon assentiment.
Pour moi, il est évident, malgré tout ce que l'on a soutenu pour prouver le contraire, qu'en attribuant la nomination des jurys des examens universitaires selon les termes que comporte l'article 40, le principe constitutionnel de la liberté de l'enseignement est sapé dans sa 'base.
Selon moi, l'existence de l'enseignement libre, subordonnée ainsi à l'arbitre du pouvoir gouvernemental, est compromise à son degré le plus important, du moment où le ministère, quel qu'il soit, est investi du droit d'organiser à son gré le corps chargé de conférer les grades académiques ; car on défère à un ministre une partie de la puissance législative, dont les trois grands corps de l'Etat sont seul et solidairement investis par la Constitution.
Faites-y bien attention, messieurs ! De quoi s'agit -il ?
Mais il s'agit d'une délégation absolue, sans restriction, sans contrôle, que le gouvernement réclame.
Il n'est pas seulement question de la nomination des personnes appelées à faire partie du jury.
La délégation comprend tout à la fois : et la nomination des jurés et l'organisation des jurys eux-mêmes.
Il s'agit enfin de conférer au chef d'un département ministériel le droit d'interpréter à sa guise, d'amender, ne modifier, les dispositions essentielles de la loi, en ce qui concerne son objet capital, à savoir l'organisation des jurys d'examens.
Vous avez tous, messieurs, pris une parfaite connaissance de l'exposé des motifs de la loi nouvelle.
Vous êtes à même d'apprécier toute l'étendue du sens qu'il faut attacher à l'article 40.
Le système proposé étant nouveau, dit l'exposé des motifs, il peut n'être pas inutile de mettre le gouvernement à même d'obvier aux inconvénients qui n'auraient pas été prévus.
Et pour ce motif on vous demande pour le ministre la faculté de pouvoir organiser de son propre chef les jurys par des dispositions réglementaires, selon le besoin des choses, du temps et des circonstances, de modifier, de réformer cette organisation comme il pourrait le juger plus ou moins opportun (administrativement) par des arrêtés ; finalement, avec le droit, le pouvoir d'amender, d'interpréter à sa guise les dispositions essentielles de la présente loi, en ce qui touche son point vital, l'organisation des jurys.
Finalement avec la faculté de réformer la loi nouvelle, si le gouvernement le croit utile.
Mais, messieurs, la liberté d'enseignement, ce principe fondamental, parut d'une si hante valeur, qu’on ne se contenta pas d'en confier le maintien à la puissance législative.
On voulut encore en faire l'objet d'un dogme constitutionnel.
On porta la prudence en cette matière jusqu’au point de décider que l'instruction donnée aux frais de l'Etat serait réglée par une loi.
Eh bien, qu'il me soit permis de le demander :
(page 1694) Est-ce que des dispositions aussi sages, aussi opportunes, ne seraient point au moment de disparaître en droit, si les chambres adoptent l'article 40 dans un sens aussi absolu, qu'il confère au ministre la faculté exorbitante de procéder à la formation des jurys, en prenant les dispositions réglementaires pour leur organisation, en un mot, en attribuant aussi au département de l'intérieur la juridiction suprême ?
Mais, messieurs, la Constitution qui soumet à une loi le règlement de l'instruction donnée aux frais de l'Etat, s'oppose à ce qu'une mesure ministérielle ou même royale puisse restreindre d'une manière générale, et permettez-moi l'expression, et en quelque sorte jusqu'à l'anéantissement, la liberté de l'enseignement, de l'existence des universités libres.
On peut m’objecter avec raison qu'il ne serait pas exact de dire qu'en adoptant l'article 40, on s'en prend explicitement à la liberté de l'enseignement.
Mais peut-on méconnaître qu'on y parvient indirectement par voie administrative?
Selon moi, il est impossible d'adopter un tel système.
D'ailleurs, je pense qu'on ne pourrait l'admettre sans ouvrir la porte à d'incessants abus ;
Sans provoquer peut-être une confusion regrettable entre les pouvoirs de l'Etat;
Sans faire naître de nombreux conflits d'attribution.
En réalité, messieurs, il ne serait pas possible de se refuser à en faire l'application à toutes les lois nouvelles, chaque fois que l'on voudrait se prévaloir du précédent adopté dans la loi actuelle.
On dirait comme aujourd'hui : qu'en raison des innovations que les lois tendent à consacrer, il convient de laisser au ministre dont elles émanent, et à ses successeurs quels qu'ils soient, le droit de les réglementer, de les altérer selon ses convictions ou son bon plaisir.
Messieurs, la nomination de tous les membres des jurys des examens universitaires est donc délaissée d'une manière absolue du pouvoir ministériel, c'est le principe fondamental du nouveau système.
En adoptant l’article 40, c'est accorder un blanc-seing au gouvernement.
Je pense qu'on ne peut le faire sans remettre entre les mains du ministre la liberté de l'enseignement supérieur.
Par le système de la loi nouvelle, on réduit l'enseignement libre au système des arrêtés royaux du gouvernement précédent.
On anéantit toute garantie légale. De quelque manière qu'en envisage la question, tant sous le point de vue du ministère actuel que sous celui d'un autre ministre, successeur de l'honorable M. Rogier, et qui faisant l'application du droit de composer et de modifier l'organisation du jury, voulût assurer une prédominance exclusive aux universités libres par opposition à l'enseignement des universités de l'Etat, qu'arriverait-il?
Eh bien ! n'est-il pas évident qu'il y aurait privilège? C'est-à-dire qu'on établirait réellement un principe pratique de monopole officiel par la voie des grades académiques?
Cette déduction est peut-être trop rigoureuse, toutefois elle en dit assez, je pense, pour ne plus recourir à d'autres démonstrations et pour prouver que le système de la lui nouvelle n'est pas admissible.
M. le président. - Un amendement déposé par M. Van Cleeputte est ainsi conçu :
« Remplacer l'article 40 du projet de loi par l'article 40 de la loi de 1835.
« Substituer à l'article 41 du projet la rédaction suivante :
« § 4. Comme à l'article 41 de la loi de 1835.
« § 2. Chaque jury d'examen est composé de neuf membres.
« § 3. Huit membres sont nommés, par proportions égales, parmi les professeurs de nos quatre universités; le neuvième membre sera étranger à l'enseignement universitaire.
« § 4. Les nominations à faire parmi les professeurs de nos universités auront lieu par le gouvernement, et se feront, pour les titulaires et leurs suppléants, sur une liste triple, qui sera présentée par chaque université.
« § 5 La nomination du membre extra-universitaire et de son suppléant se fera directement, pour le droit, par la cour de cassation, pour la médecine, par l'académie de médecine, pour les autres branches de l'enseignement, par l'académie des sciences et des lettres. »
M. Van Cleemputte. - Messieurs, mon amendement a beaucoup d'analogie avec d'autres amendements déjà présentés. Les motifs par lesquelles je voulais l'appuyer, ont été en partie produits dans la discussion. Je ne vous donnerai donc pas lecture des développements que je me proposais de donner à mon amendement; je vous demanderai l'autorisation de les faire imprimer au Moniteur. (Adhésion.)
Les différentes propositions qui viennent d'être faites nécessitent, d'ailleurs, un examen consciencieux, approfondi et la chambre ne pourra passer au vote aujourd'hui.
M. le président. - Nous avons donc :
L'amendement de M. le ministre de l'intérieur;
L'amendement de la section centrale;
L'amendement de M. de Haerne;
L'amendement de M. Jacques;
L'amendement de M. Delehaye ;
L'amendement de M. de Mérode;
L'amendement de M. de T'Serclaes ;
L'amendement de M. le Bailly de Tilleghem;
L’amendement de M. Van Cleemputte.
M. Delfosse, rapporteur. - M. le président vient de parler de l’amendement de la section centrale. La section centrale a déclaré se rallier au dernier amendement de M. le ministre de l'intérieur, comme M. le ministre de l'intérieur s'est rallié à la partie de l'amendement de la section centrale qui limita la durée des pouvoirs du gouvernement.
Messieurs, tous les amendements qui viennent d'être présentés reposent sur des principes qui ont été produits et réfutés dans la discussion générale. On ne pourrait que répéter ce qui a été dit depuis huit jours.
La chambre se trouve sans doute assez éclairée pour passer au vote. Voilà huit jours que nous discutons. La grande question est de savoir si l'on reconnaîtra par la loi des droits aux universités. Chaque membre doit être prêt à répondre oui ou non sur cette question.
M. le président. - Il y a encore huit orateurs inscrits.
M. Orts. - Messieurs, je n'avais demandé la parole que sur l'ordre de la discussion. Je crois qu'il s'agit, en présence de ces amendements, de toute autre chose que de la question posée par l'honorable M. Delfosse. Avant de savoir si l'on donnera des garanties aux universités libres, il s'agit de savoir ce que supposent presque tous les amendements, s'il y aura dans la loi le principe d'un jury central ou si la loi donnera au gouvernement la faculté de créer un ou plusieurs jurys. Il me semble donc qu'il faut d'abord statuer sur la question de savoir s'il y aura un ou plusieurs jurys.
M. Delfosse. - J'ai indiqué la question principale, celle sur laquelle le dissentiment a surtout porté. Il va sans dire qu'il y en aura d'autres à poser, entre autres celle dont l'honorable M. Orts vient de parler : y aura-t-il un jury central, ou préférera-t-on le système des jurys combinés?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ignore si la série des amendements à proposer est épuisée, mais je dirai en peu de mots que le cercle parcouru par les auteurs de ces amendements avait été parcouru par le gouvernement et par tous ceux aux lumières desquels il a eu recours. Tous ces amendements, en termes plus ou moins différents, ont été successivement examinés et discutés. Ils l'avaient été précédemment dans les régions parlementaires. Ceux de ces amendements que l'on présente aujourd'hui en première ligne avaient déjà été discutés, jugés et condamnés par les chambres. Après avoir parcouru le cercle de toutes ces combinaisons, le gouvernement est arrivé en quelque sorte forcément au système qu'il vous présente, système qui, sous le rapport de la science et sous le rapport de la liberté dont les intérêts nous sont également chers à tous, lui a paru offrir le plus de garanties. Je crois, messieurs, et j'espère que la chambre, après avoir parcouru le cercle de ces divers amendements, aboutira aussi au point où le gouvernement est arrivé.
Messieurs, le gouvernement est protecteur des universités de l'Etat, c'est son droit, c'est sa mission de les défendre; mais il ne veut pas pour cela laisser à d'autres le monopole de la défense de la liberté. Le gouvernement est préposé à la défense de la liberté, tout autant que les chambres, et il ne souffrirait qu'il y fût porté atteinte, ni par la loi ni par l'exécution de la loi. Nous souhaitons aux établissements de l'Etat des destinées prospères. Nous faisons tous nos efforts pour que l'enseignement de l'Etat fleurisse; mais, messieurs, la concurrence que nous faisons aux établissements libres nous la voulons loyale; la prééminence que nous ambitionnons nous comptons la trouver surtout dans la bonté des études, le choix des professeurs, l'excellente direction donnée à l'enseignement; nous ne voulons pas du tout la trouver dans une guerre sourde et mesquine faite à la liberté de l'enseignement. Nous croyons que pour faire prospérer l'enseignement de l'Etal, il faut que la liberté de l'enseignement soit sérieusement garantie et le système que nous avons développé est le meilleur, suivant nous, pour assurer des garanties aux établissements libres.
On a parlé, messieurs, tout à l'heure de fautes commises. Celui qui a parlé de fautes commises, j'ignore s'il a voulu faire une confession personnelle ou une confession collective; je suis porté à croire qu'il s'agit purement et simplement d'une confession personnelle; mais enfin, messieurs, je crois que les partisans de l'enseignement libre commettraient une faute grave s'ils repoussaient aujourd'hui le système présenté par le gouvernement, système qui est tout en faveur de l'enseignement libre, qui fait plus que ce qui a été jamais fait pour l'enseignement libre. Jamais l'enseignement libre n'aura été aussi complètement représenté dans le jury, qu'il le sera à la suite de l'exécution de la loi d'après le système que nous avons annoncé et que nous nous proposons de mettre en pratique.
Je n'ai pas cherché, messieurs, à limiter en aucune manière ces débats; mais je pense qu'après la longue discussion à laquelle nous nous sommes livrés, après tous les antécédents législatifs de la question, l'opinion de la majorité de la chambre doit être faite et qu'il est temps qu'elle se manifeste.
- La clôture est demandée.
M. de Haerne (contre la clôture). - Messieurs, en présence d'un si grand nombre d'amendements, je pense qu'on ne peut pas prononcer la clôture. Il me semble qu'il serait plus naturel de faire imprimer les amendements et de donner à la chambre le loisir de les examiner dans leur ensemble. On a beau dire qu'il ne s'agit ici que de quelques grands principes qui ont été, j'en conviens, suffisamment développés dans la discussion. Pour bien fixer les opinions, il faut aussi entrer dans les détails. Quant à moi, il me serait difficile de déclarer en ce moment quel est l'amendement auquel je donne la préférence.
Je demande la continuation de la discussion.
- M. Destriveaux remplace M. Verhaegen au fauteuil.
M. de Luesemans. - Messieurs, je crois avoir prouvé que je n’ai pas du tout l’intention de prolonger les débats outre mesure. Je pense que l’invitation faite tout à l’heure aux membres de la chambre, de (page 1695) produire les amendements qu'ils auraient à présenter, que cette invitation a considérablement abrogé la discussion; mais je crois que la discussion ne peut pas être close immédiatement, parce que, pour me servir d'un terme de palais, la question n'est pas en état. On ne pourrait voter maintenant que sur cette question : Y aura-t-il un jury central? C'est le résumé de la discussion au point où elle se trouvait lorsqu'on a demandé la clôture.
Je pense, messieurs, que, comme dans toutes les grandes discussions, il est indispensable de voter sur des questions de principes. Lorsque ces questions seront posées, la chambre pourra décider si elle continuera à discuter, ou si elle ira aux voix.
Voici l'ordre dans lequel je pense que logiquement il faut procéder « Première question : Le gouvernement nommera-t-il les membres du jury?
«. Deuxième question : Le gouvernement du jury sera-t-il déterminé par la loi? ou sera-t-il abandonné au gouvernement ? »
Si la chambre décide que le mode d'organisation du jury sera inscrit dans la loi, alors viendra logiquement la question de savoir s'il y aura un jury central.
« Troisième question : Y aura-t-il un jury central?
« Quatrième question : Les établissements libres seront-ils représenté dam le jury? »
Voilà les questions de principe qui me semblent résulter et du projet de loi et des amendements et du rapport de la section centrale, questions sur lesquelles je suis prêt à voter,
M. Verhaegen. - Messieurs, je regrette beaucoup de ne pas pouvoir me rallier à la demande de clôture. Dans l'intérêt de vos travaux, je n'ai pas voulu me faire inscrire au début de la discussion, je suis donc inscrit un des derniers.
Je désire, messieurs, faire connaître les motifs de mon vote qui sera favorable au projet du gouvernement, modifié par M. le ministre de l'intérieur, en ce qui concerne le jury d'examen.
Si j'obtiens mon tour de parole, je démontrerai que le projet, tel qu'il a été amendé, est beaucoup plus favorable à l’enseignement libre que toutes les propositions qui ont surgi, et je pense que sur ce point je suis même d'accord avec l'honorable M. Dechamps; je démontrerai en même temps qu'en votant de cette manière, je ne suis nullement en désaccord avec mes précédents.
Je désire donc que la chambre veuille bien ne pas clore la discussion. D'ailleurs, les nombreux amendements qui viennent d'être présentes diffèrent sur plusieurs points essentiels, et l'objet est assez important pour que l'on continue le débat à demain.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.