(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1609) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à deux heures et quart.
- La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants d'Ouckene présentent des observations contre la demande tendant à ce que cette commune soit séparée du canton de Hooglede pour être réunie à un canton de l'arrondissement de Courtray. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Rodenbach. - Je demande qu'il soif fait un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Fourdrain demande que les chirurgiens-dentistes, qui veulent obtenir le grade de docteur, soient assimilés aux candidats en médecine. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur.
Le sénat informe la chambre qu'il a adopté les projets de loi relatifs aux objets suivants :
« 1° Valeurs mises à la disposition du gouvernement ;
« 2° Crédit extraordinaire d'un million au département de l'intérieur ;
« 3° Débit des boissons distillées ;
« 4° Droit d'accise sur les sucres ;
« 5° Budget du département de la justice, exercice 1850;
« 6° Budget des finances, exercice 1850.
- Pris pour information.
Par message du 16 juin, le sénat transmet un projet de loi relatif au jury d'examen pour les grades académiques, projet qu'il a adopté dans sa séance du même jour. Ce projet a pour objet d'étendre à la deuxième session de 1849 du jury d'examen, les effets de la loi provisoire qui a été adoptée pour la première session.
M. le président. - Comment la chambre veut-elle examiner ce projet de loi, dû à l'initiative du sénat?
M. Delfosse. - Messieurs, je crois que, pour le moment, nous devons nous borner à prendre ce message du sénat pour notification ; nous verrons plus tard ce qu'il y aura à faire; cela dépendra de la marche ultérieure de nos travaux.
M. Rodenbach. - Je demanderai que M. le ministre de l'intérieur veuille bien déclarer s'il désire qu'on discute le projet du sénat, avant de s'occuper de la loi sur l'enseignement supérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai eu l'honneur de m’expliquer très clairement devant le sénat. J'ai jugé le projet de loi inutile. Le sénat a cru qu'il était convenable qu'il y eût un projet de loi préparé pour le cas où la loi sur l'enseignement supérieur ne serait pas votée; mais il a été entendu que ce projet n'avait nullement pour but d'entraver la discussion.
Je crois que, dans l'état actuel des choses, on peut se borner à adopter la proposition qui a été faite par l'honorable M. Delfosse.
M. de Mérode. - Messieurs, on a signalé comme urgent de changer le programme des matières des examens. A ce point de vue, il peut être pressant de discuter le projet de loi sur l'enseignement supérieur pour ne pas laisser les élèves dans l'ignorance sur leur avenir quant aux études. Mais quant à la question de la formation définitive du jury, il me semble qu'on pourrait adopter la proposition du sénat, en se hâtant toutefois de régler le programme des études.
Messieurs, nous sommes dans des circonstances très sérieuses; j'invite tous les membres de cette chambre à examiner avec attention ce qui se passe dans les pays qui nous entourent, à se demander s'il y a bien lieu à modifier le moins du monde des institutions dont nous jouissons depuis 18 ans. (Interruption.) C'est une observation qui me paraît assez opportune, eu égard à l'état actuel de tous les pays qui nous environnent et particulièrement de celui qui, par sa position, nous intéresse le plus.
M. le président. - Personne ne demande plus la parole ?
M. Vilain XIIII. - Messieurs, j'ai cependant une observation à faire. Je ne demande pas qu'on prenne immédiatement une résolution sur le projet de loi qui nous a été envoyé par le sénat. Mais il faudra pourtant que la chambre statue sur ce projet de loi ; la chambre ne peut pas ensevelir dans ses cartons un projet de loi qui lui est envoyé par le sénat ; il faut que ce projet de loi soit l'objet d'un rapport et d'un vote. Je ne m'oppose pas à ce que la discussion du projet de loi de la section. centrale, dont M. Delfosse a été nommé rapporteur, commence immédiatement ; mais après avoir adopté ou modifié le projet présenté par le gouvernement, il faudra prendre une résolution sur celui que nous a envoyé le sénat ; nous ne pouvons pas nous borner à le prendre pour notification et l'ensevelir dans les cartons de la chambre ; il faudra que ce projet soit l'objet d'un rapport quelconque, et ensuite adopté ou rejeté par la chambre.
Je propose d'en ordonner l'impression et le renvoi aux sections.
M. Delfosse. - Je ne m'oppose pas à l'impression du projet de loi, mais je m'oppose pour le moment au renvoi aux sections. Un projet de loi transitoire ne serait utile qu'autant que le projet définitif ne pourrait être voté dans cette session. Ce n'est que dans la supposition qu'on ne pourrait pas voter le projet définitif que le sénat nous a transmis un projet transitoire. Si nous faisons la loi définitive, le sénat, je n'en doute pas, accomplira son devoir comme nous aurons accompli le nôtre, et alors le projet de loi transitoire serait sans utilité; je persiste à demander qu'on se borne à le prendre pour notification, nous verrons plus, tard ce qu'il y aura à faire.
- La discussion est close.
La chambre ordonne l'impression du projet.
M. le président. - M. Vilain XIIII a proposé en outre le renvoi aux sections.
M. Vilain XIIII. - Je retire cette proposition.
M. de Theux. - Il sera statué ultérieurement sur le mode d'examen.
- La chambre décide ensuite que le projet de loi est pris pour notification.
« Le secrétaire de l'association pharmaceutique de Belgique adresse à la chambre 110 exemplaires d'une pétition que l'association a récemment adressée à M. le ministre de l'intérieur. »
- Distribution aux membres de la chambre.
« Le collège des bourgmestre et échevins de Gand adresse à la chambre six exemplaires d'un rapport adopté par le conseil communal de cette ville, dans sa séance du 12 juin courant. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le ministre de l'intérieur a adressé à la chambre 110 exemplaires d'une brochure contenant des observations sur l'enseignement industriel' en Prusse.
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambres.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 85 membres qui y prennent part, un membre (M. Desoer) s'étant abstenu, parce qu'il n'a pas assisté à la discussion.
Ont pris part au vote : MM. Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, de Royer, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dumortier, Frère-Orban, Dumon (Auguste). Jacques, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Loos, Maintins, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Schumacher, Thibaut, Thiéfry, T’Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Dequesne, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem et Verhaegen.
M. le président. - Le second objet à l'ordre du jour est le vote relatif à la prise en considération de la demande en naturalisation du sieur Radou.
M. Delfosse. - On a présente cette affaire comme urgente. Mais le sénat n'étant pas réuni, nous ne gagnerons pas de temps en nous en occupant aujourd'hui. La prise en considération d'une demande de naturalisation est une opération fort longue.
Je crois que ce qu'il y a de mieux, c'est de passer au troisième objet à l'ordre du jour.
(page 1610) M. Osy. - Je ne m'oppose pas à ce qu'on passe immédiatement au troisième objet à l'ordre du jour. Mais je crois qu'on pourrait s'occuper de cette prise en considération entre les deux votes du projet de loi sur l'instruction supérieure.
M. Deliége (motion d’ordre). - Suivant la convention de février dernier, conclue entre le gouvernement et la compagnie du chemin de fer de Liège à Namur, les travaux devaient s'exécuter en même temps sur les deux rives de la Meuse.
Jusqu'à présent la compagnie n'a rien fait sur la rive gauche, où, comme on le sait, il existe beaucoup d'établissements industriels Les propriétaires de ces établissements et le public se préoccupent de ce que jusqu'ici les travaux ne sont pas commencés sur cette rive.
Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si son intention est de laisser livrer à la circulation la ligne de la rive droite avant qu'il n'y ait des travaux importants exécutés sur la rive gauche.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - La compagnie du chemin de fer de Namur à Liège a contracté, en effet, l'engagement d'exécuter simultanément le chemin de fer sur les deux rives. Cette obligation lui a été rappelée à l'occasion du dernier emprunt. La promesse a été renouvelée à cette époque de la manière la plus expresse, et je puis dire qu'elle a reçu un commencement d'exécution. Une partie du chemin de fer est exécutée du côté de Chokier. La compagnie s'est engagée à me fournir le tableau des acquisitions de terrains qu'elle a faites sur la rive gauche.
Le gouvernement est fermement intentionné de s'opposer, autant qu'il est en lui, à l'exploitation sur la rive droite avant que le chemin de fer ne soit complètement achevé sur les deux rives.
M. Deliége. - Je remercie M. le ministre des explications qu'il a bien voulu me donner. Elles sont de nature à me satisfaire complétement.
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur se rallie-t-il aux amendements de la section centrale ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La section centrale n'a pas apporté de modifications graves au projet du gouvernement. Ce qu'elle propose, le gouvernement pourra s'y rallier en partie. Je demande cependant que la discussion s'établisse sur le projet du gouvernement. Je ferai connaître successivement les modifications auxquelles nous pouvons nous rallier.
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur le projet du gouvernement.
M. Lelièvre. - Messieurs, de toutes les questions que vous êtes appelés à résoudre, celles que soulève le projet soumis à vos délibérations sont certainement les plus importantes. Il s'agit de tracer les limites de la liberté de l'enseignement, de définir les droits qui en résultent pour les établissements libres et de les concilier avec les attributions de l'Etat relatives à l'instruction publique. Il s'agit, messieurs, de prendre des mesures qui, en sauvegardant l'une des plus précieuses libertés sanctionnées par le congrès en 1831, maintiennent intacte la haute mission du gouvernement dans un pays civilisé. Certes, messieurs, il est peu de débats qui méritent à un si haut degré toute votre sollicitude.
Sous le régime détruit en 1830, le gouvernement s'était arrogé le monopole de l'enseignement; lui seul en avait la direction exclusive, et à l'aide de la disposition de la loi fondamentale énonçant que l'instruction était l'objet constant de ses soins, il prétendait façonnera son gré même l'enseignement privé. Cet état de choses souleva de nombreuses et légitimes réclamations. On revendiquait à juste titre pour le père de famille le droit de donner à ses enfants l'éducation qu'il jugeait convenable ; on se récriait contre la prétention tyrannique de vouloir sur ce point lui imposer des lois au sein du foyer domestique. On disait que la liberté de l'enseignement était une conséquence de la liberté de la presse et qu'à tout citoyen appartenait le droit incontestable de communiquer sa pensée non moins par l'instruction que par toute autre voix de publicité.
C’est sous l’impression de ces idées que la constitution belge a vu le jour. Consacrant les principes qui avaient présidé à la révolution, elle décréta la liberté de l’enseignement, c'est-à-dire les droits des individus de pouvoir librement se livrer à l'éducation de la jeunesse; mais à côté de cette disposition protectrice des droits individuels, elle consacre ceux de l'Etat concernant l'instruction publique et consistant dans la direction exclusive de celle-ci, en vertu de sa mission gouvernementale. Cet ordre de choses si sage, si éminemment libéral était de nature à satisfaire à toutes les exigences légitimes, mais bientôt un parti s'imagina que la liberté n'était faite que pour lui; il crut que la liberté de l’enseignement n'était autre chose que l'exploitation qu'il en ferait à son profit. On vit alors se produire la singulière doctrine que l Etat ne doit s'occuper de l'instruction que pour pourvoir à l'insuffisance des établissements libres, de sorte que le gouvernement devait, en cette matière importante, se résigner à un rôle purement passif. Ou ne prenait pas même le soin de dissimuler ses vues, on n'attendait que le moment où devaient tomber définitivement les athénées et collèges publics que les différents ministères qui se succédaient laissaient végéter misérablement; les universités de l’Etat elles-mêmes n'avaient qu'une existence nominale, elles n'avaient plus rien de commun avec les établissements si brillants existant avant 1830, et dans lesquels des hommes éminents donnaient à la jeunesse un enseignement élevé qui, sous le rapport de la science, plaçait la Belgique au faîte des peuples civilisés.
Ce fut en cet état de choses qu'on créa le jury tel qu'il était organisé par les lois de 1835 et de 1844, conception malheureuse, conséquence du système qui pesait sur la Belgique. La composition du jury d'examen n'était qu'une affaire de parti, les chambres n'exerçaient les droits leur réservés que sous l'influence de l'esprit étroit qui inspirait la majorité, et le gouvernement lui-même était contraint de colorer le jury de quelque vernis d'impartialité par l'adjonction d'un petit nombre de membres étrangers aux établissements privés qui seuls méritaient les faveurs des pouvoirs électifs de cette époque.
Aujourd'hui il s'agit de réviser la loi sur l'instruction supérieure, et la question principale que soulève le projet, c'est celle concernant la composition du jury.
Sous ce rapport, personne ne songera sérieusement à rétablir le régime sanctionné par la loi de 1814. L'expérience n'en a que trop révélé les vices. Les chambres sont des corps essentiellement politiques, leurs délibérations sont donc toujours empreintes d'une couleur que ne doit pas refléter le jury universitaire. Le devoir de ce collège est de remplir sa mission avec impartialité et d'admettre tous les jeunes gens qui prouvent avoir acquis les connaissances nécessaires pour obtenir les grades qu'ils sollicitent, sans distinction des lieux où les aspirants ont fait leurs études. Ses décisions doivent être empreintes d'un caractère éminent de justice qui seul honore les hommes et fortifie les institutions. Pour atteindre ce résultat, l'élection des jurés ne doit pas émaner des chambres législatives. Celles-ci sont formées sous l'influence d'opinions politiques qui doivent rester étrangères à un jury scientifique. D'ailleurs, les assemblées de ce genre font rarement de bons choix, parce que la responsabilité de leurs délibérations n'atteint, en effet, personne individuellement ; chaque membre en particulier pouvant la décliner, ce qui touche tout le monde ne frappe réellement aucune individualité.
D'un autre côté, il est inconstitutionnel d'associer les chambres à des mesures administratives, et sous ce rapport le régime que nous combattons sanctionnait une confusion de pouvoirs dont on ne peut se dissimuler les conséquences fâcheuses.
A quelle autorité confierons-nous donc le soin de procéder à la formation du jury dont il s'agil ? Pour moi, messieurs, je n'hésite pas à l'attribuer au gouvernement, et jusqu'à ce jour on n'a présenté aucun système plausible qui m'ait permis d'adopter une autre combinaison.
Il s'agit, dans l'espèce, de mesures d'exécution qui rentrent naturellement dans les attributions du pouvoir exécutif. Celui-ci est appelé à poser tous les actes quelconques d'administration en vertu de sa mission constitutionnelle. Comment donc le pouvoir qui nomme en général les fonctionnaires publics, qui nomme les magistrats des tribunaux de première instance, ne serait-il pas aussi celui qui désignerait les jurés charger d'examiner les aspirants aux grades nécessaires pour l'exercice de certaines professions ? C'est le gouvernement qui choisit les membres du jury vétérinaire et tous les jurys quelconques appelés à décerner des certificats de capacité. C'est lui qui nomme en général tous les citoyens remplissant un service public.
Pourquoi ne jouirait-il pas de la même prérogative lorsqu'il s'agit du jury universitaire?
Ce droit que je revendique pour le pouvoir exécutif ne saurait lui être contesté lorsqu'on remarque qu'il s'agit ici de professions qui ne peuvent être exercées que sous le contrôle de la puissance publique, à raison de leur importance et des avantages qui y sont attachés. Ainsi la profession d'avocat investit ceux qui l'exercent de prérogatives particulières dans l'Etat.
L'avocat participe à l'administration de la justice, il remplace même quelquefois les juges et les officiers du parquet. Le docteur, dans les diverses branches de l'art de guérir, remplit des fonctions qui intéressent la société entière. Par conséquent, les hommes qui se destinent à ces professions ont besoin de recevoir la sanction de l'autorité légale. N'est-il pas évident dès lors que c'est le pouvoir exécutif, comme chargé de la mission gouvernementale, qui doit être investi du droit de choisir les délégués de la puissance publique chargés de délivrer aux aspirants le brevet nécessaire pour exercer les fonctions dont nous nous occupons?
Mais, dit-on, la liberté de l'enseignement est établie et le gouvernement pourrait user du droit qu'on prétend lui conférer d'une manière hostile aux établissements libres. La possibilité d'un exercice abusif pourrait être opposée en ce qui touche tous les actes que la Constitution défère au pouvoir exécutif, et cependant jamais elle n'a été un motif suffisant pour dénier au gouvernement les attributions qui lui appartiennent par la nature même des choses.
Il s'agit, du reste, de choix qui se fait au grand jour, les jurés fonctionnent aussi publiquement. Certes les moyens ne manqueraient pas pour faire justice d'un pouvoir qui abuserait de ses prérogatives au détriment d'une classe de citoyens et qui, au lieu d'en user pour protéger les droits de tous, s'oublierait au point d'opprimer des établissements dont l'existence libre et indépendante est décrétée par la loi. La responsabilité ministérielle, le droit de pétition, la presse périodique offrent des garanties qui ne laissent rien à désirer.
D'un autre côté, la responsabilité du gouvernement est une vérité, (page 1611) tandis que celle pesant sur les corps politiques volant au scrutin secret est purement idéale.
Mais, dit-on, les établissements libres existent constitutionnellement. La liberté de l'enseignement exige impérieusement qu'ils soient représentés dans le jury et dès lors la loi doit renfermer à cet égard une prescription positive.
Ce système est, j'ose le dire, l'interprétation la plus abusive de la liberté de l'enseignement.
Celle-ci n'est autre que le droit des individus d'établir des écoles publiques ou privées, comme ils ont celui de publier leurs idées par la voie de la presse. Mais de ce qu'un individu a le droit d'enseigner, s'ensuit-il qu'il puisse participer à l'exercice de la puissance publique ?
Or le pouvoir d'autoriser des citoyens à exercer certaines professions constitue un acte de l'autorité publique.
Cet acte ne peut être légalement attribué à tel citoyen plutôt qu'à tel autre, et les individus appartenant à des établissements privés ne sauraient être de meilleure condition que les autres membres de la cité.
L'Etat ne doit rien aux établissements libres ; seulement il est tenu de n'apporter aucune entrave à leur droit de se livrer à l'éducation de la jeunesse; mais ces corporations privées, assimilées en tout à des particuliers, ne jouissent pas d'autres avantages que ces derniers, et par conséquent elles n'ont aucun titre pour réclamer une intervention quelconque dans l'exercice des services publics ni pour concourir à des épreuves requises par l'autorité pour des fonctions exigeant la sanction du pouvoir compétent.
Il y a plus, messieurs, je prétends que le système que je combats aurait pour conséquence de conférer aux établissements libres le privilège de la personnification civile.
N’est-il pas vrai en effet que si, d'après la loi ou même un règlement sanctionné par l'autorité légale, celle-ci est forcée d'appeler comme jurés les membres de certains établissements particuliers, n'est-il pas vrai que cette doctrine a pour conséquence d'attribuer une existence civile et légale à ces corporations, puisque les membres qui les composent, par cela seul qu'ils en font partie, participent à une véritable fonction publique à l'exclusion des autres citoyens?
D'un autre côté, la liberté de l'enseignement, qui est le décrètement des droits individuels, ne peut avoir pour résultat d'arrêter l'action gouvernementale, lorsqu'il s'agit de l'admission aux fonctions publiques. A quel titre imposerait-on au pouvoir exécutif l'obligation de fixer son choix sur tels citoyens plutôt que sur tels autres? Ce serait là décréter un privilège que rien ne justifie, ce serait même accorder aux professeurs universitaires une faveur exceptionnelle au détriment des autres personnes se livrant à l'enseignement privé.
Mais, messieurs, ne peut-il pas refaire que le gouvernement ne rencontre pas dans le personnel de ces établissements, échappant à son action, des individus présentant les garanties nécessaires pour être investis des fonctions importantes dont nous nous occupons?
Le système contre lequel je m'élève est, à mon avis, l'anéantissement des droits inhérent à la nature même des pouvoirs légaux. Peut-il dépendre du premier venu, en érigeant un établissement d'instruction supérieure, d'acquérir le droit de participer à des actes du ressort de la puissance gouvernementale? Cet établissement sera antinational, peut-être même le foyer d'une croisade contre nos institutions. N'importe, il existe et dès lors il devra avoir sa part d'influence lorsqu'il s'agit de créer des avocats, des docteurs en médecine et en chirurgie !
Mais je ne vois pas pourquoi l'on n'appliquerait pas dans toutes ses conséquences le système que je combats. Les pères du collège de la Paix à Namur ont ouvert un cours de philosophie, ce qui a fait naître, il y a quelques années, un débat entre eux et l'université de Louvain, qui me parut céder à des considérations de mesquine rivalité. Eh bien, pourquoi ne seraient-ils pas également représentés dans le jury d'examen? Leur droit à cet égard est incontestable, si l'on admet le principe que je prétends écarter.
La liberté de l'enseignement n'a jamais eu cette portée ; aussi les véritables amis de cette liberté précieuse sont les premiers à résister aux prétentions que nous repoussons.
On l'a souvent répété, les ennemis de la liberté sont ceux qui l'exagèrent; les hommes qui la portent jusqu'à la licence, la tuent en réalité, parce qu'ils ne la font apprécier que par les inconvénients et les abus qui toujours ont contribué à anéantir le droit.
Disons-le franchement, pourquoi n'a-t-on pas obtenu en France la liberté de l'instruction ? Pourquoi ne sera-t-elle pas proclamée en Prusse et dans les pays voisins? C'est précisément à cause de l'usage qu'on en a fait en Belgique, à raison des conséquences exagérées qu'on a déduites du principe.
Lorsque l'illustre comte de Montalembert, s'appuyant sur les considérations les plus graves et de l'ordre le plus élevé, revendiquait cette liberté pour la France républicaine, sa voix ne trouva pas d'écho dans l'assemblée nationale. L'épiscopat français, sous la dynastie d'Orléans, et même après sa chute, réclama aussi vainement la liberté de l'enseignement comme en Belgique. On répondit de toutes parts que c'était précisément cette liberté, comme elle existait en fait en Belgique, qu'on repoussait énergiquement, parce qu'elle aurait pour conséquence d'anéantir des institutions qui depuis longtemps font la gloire de la France, et qu’au lieu d'établir une concurrence qui stimulât le zèle des établissements publics et privés, elle consacrerait un ordre de choses subversif des droits de l'Etat, entravant son action lorsqu'il s'agit de l'admission aux fonctions les plus importantes de l'organisation sociale et réduisant le gouvernement à un rôle qui ne saurait convenir au pouvoir présidant aux destinées d'une nation civilisée.
C'est ainsi que, d'après la doctrine à laquelle je résiste, le sol de la France serait bientôt couverts d'établissements particuliers qui tous prétendraient être représentés dans le jury d'examen. Ce système compromet la liberté de l'instruction dans toute l'Europe. Ainsi entendue, vous ne l'aurez pas en France, vous ne la conquerrez jamais en Allemagne, et dans un avenir plus ou moins éloigné vous la perdriez en Belgique, si vos prétentions insoutenables pouvaient triompher momentanément.
Il existe un autre motif qui m'engage à repousser le système tendant à forcer le gouvernement à choisir les jurés en partie parmi les professeurs des divers établissements privés.
Par ce procédé, la loi elle-même divise le jury en deux camps opposés, elle fait naitre dans son sein des rivalités dangereuses dont les aspirants peuvent souvent être victimes et l'on tombe dans tous les autres inconvénients résultant du contact d'établissements ayant des intérêts opposés.
Je ne puis donc donner mon assentiment à des dispositions légales ou à des règlements administratifs, obligeant le gouvernement à un rôle qui ne me paraît pas en harmonie avec la dignité du pouvoir.
Je suis d'avis d'abandonner à l'autorité ministérielle le soin de choisir les jurés comme en général il lui est déféré relativement aux citoyens chargés d'un service public, sauf à répondre devant les chambres et le pays des actes abusifs qui pourraient être commis dans l'exercice de ces attributions. Les systèmes contraires qui sont proposés ont à mes yeux le grave inconvénient de donner à des membres de corporations privées le droit de participer en cette qualité à des actes dérivant d'une délégation de la puissance publique, et ce principe inconstitutionnel, je le repousse avec énergie.
Toutefois, je conçois qu'on limite le nombre des professeurs de l'Etat qui puissent être admis dans le sein du jury, et je donne mon assentiment à l'amendement proposé en ce sens par la section centrale, parce que je veux que le collège appelé à examiner les citoyens en général se trouve dans des conditions d'impartialité qui permettent d'espérer qu'il remplira la mission lui confiée avec justice à l'égard de tous et que des considérations d'intérêt personnel ne présideront pas à ses délibérations.
Il me paraît donc rationnel d'admettre que les professeurs des universités de l'Etat ne composent jamais la majorité des jurés. Voilà qui me semble sauvegarder les principes sur la matière, les droits de l'Etat et les intérêts de la vraie liberté, que je tiens à cœur de conserver intacts.
Une question importante, que je dois aborder en second lieu, est celle qui concerne les bourses allouées sur le trésor public. Le projet propose la création de 60 bourses au profit des élèves des universités de l'Etat peu favorisés de la fortune, pour les mettre à même de continuer leurs études.
Il semble naturel que, dans une loi qui organise l'enseignement public, l'on ne s'occupe que des jeunes gens fréquentant les établissements de l'Etat.
La loi que nous discutons est étrangère à l'enseignement privé; elle ne le réglemente en aucune manière. Sous ce rapport, elle ne doit s'occuper ni des établissements particuliers, ni du sort des élèves qui trouvent convenable d'y puiser l'instruction.
L'Etat, d'ailleurs, organisant l'enseignement donné par lui, n'alloue naturellement des bourses qu'aux jeunes gens qui appartiennent aux écoles par lui érigées; il favorise, avec raison, ses établissements, dont il a droit d'assurer le bien-être et la prospérité.
Du reste, il ne doit aucun subside aux universités privées, c'est à elles à vivre du droit commun, c'est à ceux qui les ont fondées à pourvoir à leur existence, puisqu'ils doivent recueillir tout le profit de l'entreprise.
Ce que l'Etat doit à des établissements de ce genre, c'est la liberté la plus entière. Il ne peut en entraver la marche directement ni indirectement. Mais exiger qu'il accorde des subsides à des élèves fréquentant des écoles sur lesquelles il n'a même aucun droit de contrôle ou de surveillance, prétendre qu'il doive des faveurs spéciales à un enseignement qui échappe à son examen, et qui pourrait même être hostile à nos institutions, c'est à mon avis exagérer les choses et dépasser, les limites du vrai.
A ce point de vue, je pense que le projet de loi a sainement apprécié la question en proposant la modification énoncée à l'article 33.
La doctrine qu'il sanctionne est la seule conforme à nos institutions; l’enseignement privé doit, comme toute entreprise industrielle et individuelle, se passer des faveurs du gouvernement. A ce prix seul il conserve une indépendance qui fait toute sa valeur.
Et certes, ce n'est pas l'opinion catholique qui a le droit de se plaindre de cette position. La liberté lui suffit; si elle sait en user dignement, elle n'a pas besoin de mendier les deniers de l'Etat ; les ressources pécuniaires ne lui feront jamais défaut parce qu'il y a en elle un principe qui produit le dévouement, l'abnégation et les sacrifices de tout genre.
Il y a longtemps qu'elle eut fait la conquête du monde moral par la raison et la conviction, si au lieu de s'identifier au despotisme et de se jeter dans un système étroit de domination politique, elle eût allié sa cause à celle de la liberté.
Ce n'est pas le moment d'aborder en détail l'examen des diverses dispositions de la loi que nous discutons, mais je crois pouvoir déclarer que dans mon opinion elles renferment d'importantes améliorations dont la conséquence, j'espère, sera d'assurer dans notre patrie la solidité des études, de relever l'enseignement public tristement déchu et de conserver à la Belgique (page 1612) sous le rapport de la science le rang et la position qui lui appartiennent.
- M. Destriveaux remplace M. Verhaegen au fauteuil.
M. Moncheur. - Messieurs ce n'est pas seulement une gloire pour la Belgique d'avoir, la première des nations, adopté franchement et largement le grand principe de la liberté d'enseignement ; mais c'est encore là, -ans ma conviction, une des causes les plus réelles de rattachement inviolable des Belges à leurs institutions, attachement qui est une base solide de leur nationalité et de leur indépendance.
Mais à côté de ce principe déjà si profondément entré dans nos mœurs qu'il serait impossible de l'en arracher, il y en a un autre qui semble contrarier jusqu'à un certain point le premier ; c'est celui de la nécessité de donner à la société des garanties en ce qui touche l'exercice de certaines professions, qui exigent l'acquisition préalable de la science.
Concilier la délivrance des diplômes qui seuls donnent le droit d'exercer ces professions, avec la liberté de l'enseignement supérieur, tel est, messieurs, le problème difficile que nous avons à résoudre.
Tous d'accord sur le but, tous désireux de bonne foi de l'atteindre, nous ne pouvons différer que sur les moyens à employer à cet effet.
Il est remarquable, messieurs, que depuis 19 ans que le régime actuel existe nous n'avons encore pu faire, sur cet objet important, que des lois provisoires, des lois d'essai, et que le projet que l'on nous propose aujourd'hui même n'a encore, il faut le dire, que ce même caractère.
Ce projet, au lieu de déterminer lui-même le mode de la formation du jury d'examen, donne au gouvernement l'autorisation, de prendre seul et sous sa responsabilité, toutes les mesures qu'il jugera convenables à cet égard; mais cette autorisation, il ne la lui accorde que pour trois ans, afin, dit le rapport de la section centrale, de faire l'essai du mode d'organisation qui paraîtra le meilleur, après lequel essai la chambre serait en mesure de se prononcer définitivement.
Messieurs, je ne professe pas l'opinion qu'il appartienne aux chambres dénommer les membres du jury d'examen, et si on ne donne pas ce droit au moins en partie aux établissements d'enseignement eux-mêmes, il doit, selon moi, être conféré au gouvernement, moyennant certaines règle fixées par la législature.
Mais, messieurs, donner au gouvernement le droit de nommer et d'organiser entièrement et selon son libre arbitre, le corps qui aura le droit d'accorder ou de refuser les diplômes, n'est-ce pas là compromettre au moins le principe même de la liberté d'enseignement?
L'affirmative paraît évidente. Loin de nous la pensée que le ministère, qui demande à être investi de ce droit, ait l'intention d'en user contre la liberté de l'enseignement en favorisant les établissements de l'Etat au préjudice des établissements libres; mais, messieurs, les hommes passent, et en cette matière si délicate, il faut que la possibilité même des abus ne puisse exister.
Il ne suffit pas que la nation reste de fait en possession d'une de ses plus chères libertés, mais il faut que sa sécurité à cet égard soit pleine et entière. Il faut, si je puis m'exprimer ainsi, que le pays soit nanti du titre irréfragable de cette liberté d'enseignement qu'il a conquise. Or, ce titre, il ne peut le trouver que dans la loi.
Il faut donc, messieurs, que la loi dont nous nous occupons détermine le mode de formation du jury d'examen. Et remarquez que la section centrale elle-même a entrevu cette nécessité, car elle propose d'insérer dans la loi une disposition qui porte que le gouvernement composera chaque jury d'examen de telle sorte que les professeurs des universités de l'Etat n'y soient pas en majorité. Sans aucun doute, la pensée de la section centrale a été que le nombre des professeurs des établissements libres devrait dans la composition du jury, balancer celui des professeurs des universités de l'Etat; mais il est à regretter que la section centrale n'ait pas cru pouvoir exprimer cette pensée tout entière dans la loi.
Je n'admets pas, quant à moi, le scrupule non fondé qui empêcherait d'insérer dans la loi un droit que l'on reconnaît d'ailleurs exister, et que l'on entend bien voir consacré par un arrêté royal. Que si l'on objectait que les établissements libres qui existent aujourd'hui, peuvent cesser d'exister dans un terme plus ou moins rapproché , ou bien qu'il peut en surgir d'autres, je répondrais qu'en supposant même ces faits, très peu probables d'ailleurs, le législateur qui a fait une loi pour un ordre de choses donné, peut remplacer cette loi par une autre, dès qu'il lui est démontré qu'à cet ordre de choses primitif il en est substitué un nouveau qui est inconciliable avec les mesures législatives en vigueur.
Et qu'est-ce donc, messieurs, qui peut empêcher la loi de se plier aux circonstances? Non seulement elle le peut, mais elle le doit et elle le fait dans des cas nombreux. Les lois, en général, et je n'en excepte pas même les lois organiques, ne sont pas essentiellement immuables; elles doivent, au contraire, suivre la marche des faits, et pourvoir aux nécessites constatées de chaque époque.
Je pense donc, messieurs, que nous devons déposer dans la loi les règles principales de la formation du jury d'examen. Et j'y tiens d'autant plus que je ne puis approuver à priori le système indiqué par le gouvernement dans l'expose des motifs de la loi en discussion.
En effet, un jury central me semble nécessaire pour le maintien de la force des études et pour la sincérité et l'impartialité des examens.
D'après le projet, il y aurait trois jurys d'examen pour chaque grade; c'est-à-dire un jury pour chacune des universités de l'Etat, à laquelle s'adjoindrait alternativement une université libre, et un jury spécial pour les études privées.
C'est là une complication dont on ne peut attendre de bons résultats.
Les jurys multipliés doivent avoir pour conséquence une plus grande facilité dans les admissions des élèves et par suite l'affaiblissement des études ; quant à la sincérité des examens, il est évident que plus le contrôle est parfait et plus cette sincérité est assurée; or dans le système du gouvernement il n'y a contrôle que d'une université par une autre, tandis que dans le système d'un jury central, il y a contrôle réciproque et simultané des quatre universités entre elles.
Enfin, et comme l'a très bien prévu l'auteur lui-même du projet, puisqu'il a cherché à porter remède à cet objet par l'article 42, l'accouplement de deux universités pour la formation des jurys peut donner lieu soit à des conflits très regrettables, soit à une entente cordiale qui serait fatale au progrès des études.
Ainsi, au point de vue de la force des études, de la sincérité des examens de l'impartialité dans la collation des grades, et de la conciliation entre tous, le système d'un jury central est préférable à tout autre système.
Mais quelle sera la composition de ce jury central?
Là est la grande difficulté.
Toutefois, il est une idée simple et qui doit saisir tous les esprits, c'est qu'il faut donner à chaque établissement d'enseignement supérieur sa part légitime d'influence dans le jury, et qu'il faut aussi accorder aux études privées la garantie qu'elles ont le droit de réclamer.
Formuler cette idée dans la loi, lui donner un corps et un mode d'application pratique, tel est le but que nous devons atteindre.
Des amendements ne manqueront pas sans doute d'être présentés dans ce sens.
Il est, messieurs, une autre question non moins importante, non moins délicate dans le projet de loi, c'est celle de la création du grade d'élève universitaire.
J'adhère au principe de la création de ce grade, en ce sens que je reconnais son utilité pour fortifier l'enseignement moyen et pour relever l'enseignement supérieur; mais j'appelle toute l'attention de la chambre sur la gravité de la mesure, car il est évident que le jury pour le grade d'élève universitaire dominera tout l'enseignement moyen, comme celui pour les grades ordinaires domine tout l'enseignement supérieur.
De la composition impartiale de ce jury dépendra donc, en fait, la liberté de l'enseignement moyen.
Le projet, en donnant au gouvernement le droit de réglementer cet objet à sa guise, remet dans ses mains la liberté de l'enseignement moyen tout entière.
Or, il y aurait là, selon moi, de l'imprudence et du danger: non point, je le répète, que je craigne que le gouvernement s'empresse de faire usage de ses pouvoirs nouveaux pour confisquer indirectement la liberté de l'enseignement moyen au profit des établissements fondés ou subsidiés par l'Etat, mais parce qu'un pareil régime enlève la sécurité parfaite dans laquelle il est nécessaire que la nation reste à cet égard.
L'homme est d'autant plus attaché au bien qu'il possède, qu'il se croit plus assuré de le conserver.
Ici se présente donc encore la nécessité d'inscrire dans la loi le mode de formation du jury destiné à conférer le grade d'élève universitaire.
Messieurs, je ne puis admettre le système du gouvernement (et qui est adopté par la majorité de la section centrale) en ce qui concerne la collation des soixante bourses de 400 francs pour l'enseignement supérieur.
D'après le projet, ces bourses ne seraient accordées qu'aux universités de l'Etat seulement.
Or, ce système est peu libéral, peu en rapport avec les idées d'égalité et de liberté qui dominent toutes nos institutions.
Quel est, en effet, le but de la collation des bourses de l'Etat? C'est de rétablir l'équilibre, qui vient parfois à manquer, entre les moyens intellectuels de certains jeunes gens et leurs moyens pécuniaires; c'est, en d'autres termes, de mettre les jeunes gens doués de facultés intellectuelles extraordinaires, en état de puiser en partie aux frais de tout le monde, une instruction supérieure à laquelle ils ne pourraient atteindre par leurs propres ressources.
Mais est-il généreux, est-il même juste de leur faire payer le bienfait dont ils sont l'objet au nom de tous par l'obligation de se rendre dans tel établissement plutôt que dans tel autre ?
Messieurs, si vous leur imposiez cette obligation, il arriverait ou bien que vous placeriez les jeunes gens qui ne croiraient pas pouvoir y souscrire, hors de toute possibilité de jouir d'une bourse à laquelle leur position leur donnerait pourtant un droit évident, ce qui romprait à leur préjudice le principe d'égalité devant la loi ; ou bien que vous violenteriez leur conscience en les enchaînant, malgré eux, à un enseignement qui n'aurait pas leur sympathie; ce qui serait contraire à la liberté assurée à tous les citoyens de puiser l'enseignement là où il le juge convenable.
J'engage donc la chambre à ne rien innover sous ce rapport, mais à maintenir le principe large et conforme à toutes nos idées du jour, d'accorder des bourses indistinctement aux jeunes gens qui par leur position peuvent y avoir droit, sans s'inquiéter ni de l’établissement ni même du pays où ils désirent étudier.
Messieurs, d'après les considérations qui précèdent, et malgré les améliorations de détail que contient le projet de loi, notamment en ce qui concerne la matière des examens, je ne pourrai donner mon assentiment à ce projet, s'il ne subit des modifications dans le sens que je viens d'indiquer.
Je n'ai pourtant envisagé jusqu'à présent le projet qu'au point de vue politique et de la science. Quant au point de vue économique, je dois dire que je ne le considère encore que comme provisoire.
En effet, messieurs, quoi qu'on en puisse dire, les frais de l'enseignement (page 1613) supérieur en Belgique sont trop élevés. Ils atteignent la somme de 800,800 francs, y compris l'école militaire.
En Hollande, la dépense pour les trois universités n'est que de 251,000 florins; et pourtant une commission est nommée à l'effet d'aviser aux moyens de la réduire encore, fût-ce même par la suppression d'une des universités.
Et remarquez en outre que dans ce pays il n'existe point d'établissement d'enseignement libre qui satisfasse, comme chez nous, à une grande partie des besoins de l'instruction.
Dans une autre occasion, j'ai indiqué un moyen de faire, sur cet objet, une économie au moins de deux cent mille francs, sans nuire à la force des études ; ce serait le dédoublement des facultés et la concentration en une seule école des trois écoles spéciales des mines, des ponts et chaussées et militaire.
Ce moyen n'est pas nouveau : on se rappelle qu'un arrêté du gouvernement provisoire du 10 décembre 1830 l'avait déjà appliqué.
Je suis convaincu, du reste, que les facultés supprimées seraient remplacées immédiatement par des cours libres, ouverts par des professeurs agrégés ou par d'autres savants, et que ces cours seraient donnés d'une manière d'autant plus parfaite que l'émulation serait plus grande.
Quant à la concentration des trois écoles spéciales en une seule, t'avantage en paraît évident, et elle est, selon moi, d'autant plus nécessaire que la carrière du génie des mines et même du génie des ponts et chaussées étant pour ainsi fermée pour un assez long temps encore, par suite de l'encombrement actuel et de la réduction du personnel, les écoles spéciales pour ces sciences seront désormais peu fréquentées.
Messieurs, le temps viendra, je n'en doute pas, et il ne peut être éloigné, où les idées d'une sage réforme de l'enseignement supérieur, sous le rapport économique, prendront de la consistance et appelleront un examen sérieux de la législature.
C'est là une question d'opportunité. Je désire qu'elle soit résolue dans le double intérêt de la science et du trésor.
En résumé, messieurs, je réserve mon vote sur le projet actuel, sauf à appuyer ou à présenter moi-même, dans le cours de la discussion, des amendements dans le sens des observations que j'ai eu l'honneur de faire valoir.
M. le président. - La parole est à M. de Liedekerke.
M. de Liedekerke. - Je croyais que les autres objets à l'ordre du jour prendraient en grande partie la séance. Je n'ai apporté avec moi ne documents ni notes, il m'est donc impossible de prendre la parole aujourd'hui. Je demande à ne parler que demain.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je devrai mettre aux voix la clôture de la discussion générale.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. Thibaut. - Je ne m'oppose pas au renvoi à demain. Mais pour finir la séance, on pourrait s'occuper de la prise en considération de la naturalisation du sieur Radou.
M. de Bocarmé. - Appuyé ! Il serait fâcheux de perdre une demi-séance.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne demande pas la clôture de la discussion générale. Cependant, je ferai remarquer qu'il faudra bien la prononcer, si personne ne demande la parole. Ce n'est certes pas moi qui engagerai mes collègues à s'abstenir de parler dans cette discussion. Je constate seulement ce fait, que personne ne demande la parole.
Pour la facilité de ceux de nos collègues qui n'étant pas prêts à parler aujourd'hui, et qui voudraient parler demain ou après-demain, je dirai que la plupart des questions qui pourraient être agitées dans la discussion se représenteront dans la discussion des articles.
Loin de vouloir gêner la liberté de discussion, je voudrais l'élargir; car j'appelle, je n'ai jamais cessé d'appeler toutes les lumières de la discussion sur les questions importantes qui nous occupent. Mais je pense qu'après avoir assigné longtemps à l'avance la séance de ce jour pour la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur, il ne conviendrait pas qu'après une demi-heure de discussion la chambre levât la séance.
Si la discussion générale était close aujourd'hui, j'insisterai pour que, dans la discussion des articles, on laissât aux membres toute liberté.
M. Delfosse, rapporteur. - C'est une discussion extrêmement importante. Je ne voudrais pas qu'on pût dire qu'elle a été étouffée. Si quelques-uns de nos collègues, désirant prendre part à la discussion générale, déclarent n'être pas à prêts à parler aujourd'hui, je ne puis m'opposer au renvoi à demain.
La fin de la séance pourrait être employée à la prise en considération de la naturalisation du sieur Radou.
M. Dumortier. - Il est impossible de clore la discussion générale aujourd'hui. Ce n'est que vendredi qu'on a distribué le rapport.
M. Delfosse. - Pardon. C'est jeudi qu'il a été distribué.
M. d'Elhoungne. - Je ferai remarquer qu'on a interverti l'ordre du jour. Les honorables membres qui désiraient prendre part à la discussion générale ont pu ne pas se préparer à parler aujourd'hui, croyant qu'une grande partie de la séance serait absorbée par la prise en considération de la naturalisation du sieur Radou.
Je ne parle pas pour moi ; car j'attends les lumières de la discussion pour savoir si je dois prendre la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Lorsque j'ai parlé de l'éventualité d'une clôture de la discussion, je l'ai fait en réservant le droit de chacun des membres de reprendre la discussion générale à l'occasion des articles.
Je tiens à ce qu'il soit constaté que je ne voudrais en aucune manière étouffer la discussion.
Je désire une discussion très complète, très large et très libre.
M. Orts. - Messieurs, tout le monde paraît être d'accord sur la nécessité de continuer la discussion générale ; il n'y a pas d'opinion contraire qui se soit fait jour jusqu'à présent; mais je crois qu'il serait de l'intérêt de la chambre, pour faciliter la discussion ultérieure, d'obtenir de M. le ministre de l'intérieur une déclaration sur un point important où le projet du gouvernement et celui de la section centrale ne sont pas d'accord; car je pense que de la réponse ministérielle jaillira la nécessité de placer sur l'un ou l'autre terrain la discussion d'une des questions les plus importantes du projet, je vaux parler de la partie du projet relative à la composition du jury d'examen.
Je désirerais savoir dès aujourd'hui si M. le ministre de l'intérieur se rallie à la modification que propose la section centrale à l'article 40 du projet, c'est-à-dire si le gouvernement croit devoir maintenir sa prétention primitive à obtenir le droit de nommer le jury d'examen, d'une manière absolue, sans restriction aucune, ou s'il accède aux restrictions que la section centrale propose d'apporter à l'exercice de ce droit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, mon intention était de m'expliquer sur la proposition de la section centrale pendant la discussion. Si une déclaration, faite dès à présent, peut faciliter la discussion, je dirai que la proposition de la section centrale m'a été communiquée, et que j'ai d'autant moins hésité à m'y rallier, que, dans l'exposé des motifs du projet de loi, le gouvernement n'a pas mis en avant la prétention de donner une influence prépondérante aux représentants des universités de l'Etat dans la composition des jurys. La section centrale n'a fait sous ce rapport que formuler en quelque sorte d'une manière un peu plus précise les intentions du gouvernement, telles qu'elles résultent de l'exposé des motifs. Je n'hésite donc pas à déclarer que le gouvernement se ralliera à cette partie des modifications proposées par la section centrale.
- La chambre, consultée, remet à demain la suite de la discussion générale du projet de loi sur l'enseignement supérieur.
M. de Royer. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le crédit supplémentaire demandé au budget des dotations, exercice 1849.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre le met à l'ordre du jour.
Nombre des votants, 66.
Majorité absolue, 34.
Boules blanches (adoption), 53.
Boules noires (rejet) 13.
En conséquence, la demande en naturalisation ordinaire du sieur Antoine-Gustave Radou est prise en considération.
M. le président. - Nous avons maintenant les rapports des pétitions.
- Un membre. - Les rapporteurs ne sont pas présents.
M. Osy. - Je propose de voter le crédit de 45 mille fr. demandé pour le département de la justice. (Oui ! oui !)
M. le président. - Le projet de loi est ainsi conçu :
« Article unique. Il est ouvert au département de la justice un crédit de quarante-cinq mille francs (fr. 45,000) pour liquidation des dépenses arriérées concernant les exercices 1844, 1845 et 1846, dont les budgets sont clos et qui sont détaillées au tableau ci-joint.
« Cette allocation formera le chapitre XIII, article 54 du budget du ministère de la justice pour 1849. Elle sera prélevée sur l'excédant prévu au budget des voies et moyens de cet exercice. »
- Personne ne demandant la parole, ce projet de loi est mis aux voix et adopté par assis et levé.
Le vote par appel nominal est renvoyé à demain.
La séance est levée à 4 heures.