(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)
(page 1475) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.
- La séance est ouverte.
M. de Bocarmé, admis dans la séance d'hier, prête serment.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le conseil communal de Charleroy demande que le gouvernement soit autorisé à faire un arrangement avec la société du Luxembourg pour faciliter la prompte construction de chemins de fer entre Bruxelles, Namur, Louvain et Charleroy. »
« Le conseil communal de Jemmapes prie la chambre de relever cette commune de la déchéance qu'elle peut avoir encourue pour la réclamation d'une créance à charge du gouvernement, et demande à être autorisé à faire un arrangement avec la société du Luxembourg pour faciliter la prompte construction du chemin de fer entre Bruxelles, Namur, Louvain et Charleroy. »
- Sur la proposition de M. Lange et de M. Rodenbach, ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
M. Henri de Brouckere demande un congé par motifs de santé.
- Accordé.
M. Moncheur, au nom de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi relatif à la délimitation de la commune de Grapfontaine (Luxembourg), dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.
M. Vermeire. - Je n'aurais pas pris part à cette discussion, sans l'insistance que met le gouvernement à douter du service que peut rendre un conseil supérieur d'industrie et de commerce.
Je suis loin de nier la sollicitude du gouvernement pour ces grandes branches de la prospérité nationale; cependant je crois qu'il conviendrait d'introduire dans nos lois économiques plus d'unité, d'y laisser exister le moins d'exceptions possible.
M. le ministre des affaires étrangères, dans sa réponse à l'honorable M. Schumacher, doute des avantages qui pourraient résulter des délibérations d'un conseil supérieur d'industrie et de commerce.
Cette question se résout par la question même : Quels avantages résulte-t-il des délibérations du conseil supérieur d'agriculture? Quels avantages procurent les congrès agricoles, commerciaux, industriels, etc.?
M. le ministre redoute que ce conseil ne soit une entrave pour l'action gouvernementale; ainsi, dit-il, si le gouvernement épousait les doctrines de la liberté du commerce, et que le conseil y fût contraire, il deviendrait pour lui un véritable embarras.
M. le ministre redoute qu'un conseil supérieur d'industrie et de commerce ne devienne un embarras pour le gouvernement au cas où il ne partagerait point ses opinions. Cet exemple d'après moi, n'est pas concluant en faveur du gouvernement; car, certes, celui-ci ne peut avoir la prétention d'opposer sa volonté personnelle à celle de ces grands intérêts, et je crois qu'il serait bien malvenu avec la liberté commerciale, quand le consul croirait devoir donner la préférence au système restrictif, comme il le serait au même degré avec ce dernier système s'il était prouvé que le libre échange fût profitable à la prospérité du pays.
M. le ministre demande si le conseil serait permanent ou s'il ne siégerait qu'à des époques à déterminer? D'après moi, un conseil supérieur ne devrait point être permanent, mais il serait consulté lors de l'élaboration des lois douanières, des traités de commerce, de navigation, etc. Ses fonctions seraient gratuites, seulement on payerait à ses membres des indemnités de déplacement et de séjour.
Messieurs, je ne dois point occuper votre attention pendant longtemps pour vous convaincre de la nécessité qu'il y a de changer nos lois de douane, pour mettre nos industries sur un pied à peu près égal.
Un seul exemple entre le coton et le chanvre, deux matières premières employées également par l'industrie, suffira :
1° Le coton, qui dans la statistique commerciale pour 1847 est calculé sur une valeur moyenne de 150 fr. p. 100 kil. a payé pendant cette année 52,851 fr. pour une importation de 7,618,119 kilog, ou fr. 0.69 par 100 kil. soit environ 1/2 p. c. de la valeur.
2° Le chanvre, qui dans la même statistique vaut 80 fr. les 100 kil., a payé 33,323 fr. pour une importation de 1,047,081 kil. ou 3 fr.18 p. 100 kil., soit environ 4 p. c. de la valeur.
Pour la navigation et le commerce : Ceux qui font venir leur coton des pays de production payent à raison de fr. 0 01 p. 100 k. pour droits d'entrée, ou 0.006 p. c.
Ceux qui font venir leur chanvre des pays de production, tels que la Russie, l’Italie ou la France, payent à raison de fr. 3 fr., 16 p. c. additionnels 0 52, soit 4 fr. 52., ou environ 5 1/2 p. c. de la valeur.
De manière que le chanvre paye 11 fois le droit du coton. Aussi, il résulte des hauts droits d'entrée sur cette matière que cette fabrication a perdu des débouchés transatlantiques, et ne peut continuer à travailler pour les autres pays continentaux limitrophes.
Ces exemples, qui pourraient se prolonger à l'infini, prouvent suffisamment que pour l'industrie même il n'y a aucune unité dans nos lois, et qu'il devient dès lors très nécessaire de réviser ces lois et de les soumettre avant tout à un conseil de délégués des chambres de commerce. Mais quel sera le ministère qui convoquera ou présidera ce conseil ? S'agit-il de l'impôt douanier ? Il tombe dans les attributions du ministre des finances?
S'agit-il d'industrie, ou de déterminer jusqu'à quel point l'industrie y est intéressée? C'est le ministre de l'intérieur qui doit donner son avis. S'agit-il enfin d'affaires commerciales? C'est M. le ministre des affaires étrangères qui doit intervenir. Mais si, comme il peut facilement arriver, ces divers intérêts sont intéressés en même temps dans la même question, quel sera le ministre qui prendra l'initiative? N'est-ce pas alors que commencent les correspondances entre les divers départements, que les difficultés surgissent, qu'elles deviennent insurmontables, et que nous continuons à nous débattre vainement dans notre système vicieux, comme dans un bourbier, sans en pouvoir sortir?
De ce qui précède, et de ce que l'on pourrait encore alléguer en faveur de l'institution d'un conseil supérieur de commerce et d'industrie, il résulte à toute évidence qu'il serait appelé à rendre les plus grands services au travail et à la prospérité du pays.
Je me joins donc à l'honorable M. Schumacher, pour en demander la prompte institution.
M. de Renesse. - Avant la clôture de la discussion générale du budget des affaires étrangères, je demanderai la permission d'adresser une interpellation à M. le ministre, pour une affaire qui ressort de son département.
En 1839, lors de l'exécution du traité de paix avec la Hollande, la commune de Vroenhoven, de l'arrondissement de Tongres, a été partagée en deux ; l'une des parties a été cédée à la Hollande, l'autre est restée à la Belgique. Depuis ce temps, la commune de Vroenhoven belge n'a cessé d'adresser au gouvernement ses réclamations, pour obtenir le partage des biens communaux de la fabrique de l'église et des pauvres, restés indivis, et situés dans la partie cédée.
J'ai remis , au mois de décembre 1848, une note à cet égard à M. le ministre, pour réclamer de nouveau son intervention auprès du gouvernement hollandais, afin que l'on fît droit, le plus tôt possible, à la demande si fondée de la commune de Vroenhoven. Malgré toutes les démarches, cette affaire reste dans un statu quo très préjudiciable aux intérêts de cette commune. Je crois donc devoir insister de nouveau auprès de M. le ministre, et réclamer ses bons offices, pour que notre ministre plénipotentiaire à la Haye intervienne plus énergiquement auprès du gouvernement néerlandais, et parvienne à obtenir la prompte solution de cette affaire, qui ne traîne que trop longtemps.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je me suis déjà occupé, ainsi que l'a dit l'honorable préopinant, de l'affaire dont il a entretenu la chambre. Jusqu'à présent je n'ai pas eu de solution. Je continuerai de la poursuivre pour arriver au résultat que désire l'honorable comte de Renesse.
M. Schumacher. - Je demande un instant la parole pour justifier que ce n'est pas une idée fixe chez moi, que la création d'un conseil supérieur de commerce et d'industrie.
En 1843 on a senti la nécessité d'un conseil de ce genre. En 1842, un comité s'était formé. En voici les statuts :
« Les soussignés et tous ceux qui adhéreront aux présents statuts se (page 1476) réunissent dans le but : soit d'améliorer les relations commerciales de la Belgique avec l'étranger, soit de prendre toutes mesures favorables aux intérêts généraux du pays, en cherchant à obtenir la possession plus complète du marché intérieur, ou l'extension des relations avec les contrées transatlantiques.
« Leur moyen principal pour atteindre ce résultat est de consulter et d'éclairer l’opinion, tant au-dedans qu'au-dehors du pays, sur toutes les questions commerciales ou industrielles qui pourront se présenter, et de fournir aux gouvernements ou à toute personne pour laquelle il y aura utilité de le faire, les documents et éclaircissements que le comité jugera de nature à conduire au but qu'il se propose. La durée de l'institution est indéterminée. »
Ce comité se composait comme suit. Beaucoup de personnages honorables y figurent :
Membres du comité : MM. Fred. Basse, de Bruxelles; F. Bethune, de Courtray; Raymond de Biolley, de Verviers, Fréd. Corbisier, de Mons; L.-J. Couvreur Van Maldeghem, de Gand; Cumont-Declercq, d'Alost; David, de Stavelot; A. Dechamps, de Seneffe; Théod. Decock, d'Anvers; L. Delescluze, de Bruges ; Desmet de Naeyer, de Gand; Dumon-Dumortier, de Tournay; Van der Elst, de Bruxelles; Gilson, de Tournay ; J. de Grand'Ry, de Verviers ; Van Hoobrouck de Fiennes, de Gand ; F. Kegeljan de Namur ; Legrand-Gossart, de Mons; F.-A. Manilius, de Gand....
M. Manilius qui n'est plus de mon avis actuellement, qui, en 1842 croyait que la création d'un pareil comité était nécessaire, et qui en 1849 trouve que le pays est dans un tel état de prospérité qu'il n'y a plus rien à faire pour l'industrie et le commerce.
Il y avait encore :
MM. Ed. Neyt, de Gand; J.-J. Orban, de Liège; Van den Peereboom, d'Ypres; Rey aîné, de Bruxelles; H. Schumacher, de Bruxelles; Spitaels, de Charleroy; E. Stappaerts, de Louvain ; Valcke de Knuyt, d'Ostende ; Vercruysse-Bruneel, de Courtray; T.-J. Zoude, du Luxembourg.
Voilà les membres qui composaient ce comité et qui demandaient alors à faire ce que je demande que le gouvernement veuille bien faire actuellement en prenant l'initiative de créer un conseil supérieur.
Nous étions alors sous le ministère de l'honorable M. Nothomb. Ce conseil a un peu choqué M. Nothomb ; je crois qu'il le gênait.
Je ne sais comment ce comité a disparu ; mais voici ses statuts.
Je tenais à prouver que cette création d'un conseil supérieur du commerce et de l'industrie n'était pas chez moi une idée fixe.
M. Manilius. - L'honorable M. Schumacher a dit qu'en 1842 j'avais demandé la création d'un conseil supérieur d'industrie. Je vais vous expliquer comment il est dans le vrai et comment je suis aujourd'hui conséquent, quoiqu'ayant fait partie, en 1842, d'un comité supérieur établi par les industriels eux-mêmes et provoqué par des messieurs de Bruxelles.
Des industriels ont essayé de constituer un comité supérieur. Cet essai n'eût pas beaucoup de consistance, et bientôt on a reconnu le besoin de recourir à l'appui du gouvernement pour lui donner la consistance qu'il ne pouvait prendre. Ce comité a existé pendant quelques mois, et, comme on l’a dit, j'ai eu l'honneur d'en faire partie. C’est parce que j'ai eu cet honneur, c'est parce que j'ai puisé dans cette réunion les connaissances nécessaires pour argumenter contre l'honorable M. Schumacher, que je me suis déclaré, hier, contre un pareil comité supérieur.
Vous voyez donc qu'il n'y a rien d'illogique dans la position que je prends aujourd'hui. Au contraire, je ne me suis opposé à la création d’un pareil comité que lorsque j'ai eu la preuve de ses moyens, de ses capacités et de ses tendances à s'entourer toujours des rayons solaires du gouvernement,, comme l'honorable préopinant les réclamait hier encore avec tant d'insistance.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je n'accuserai pas l’honorable M. Schumacher d'être dominé par une idée fixe. Si l’idée qui le domine est bonne, il n’y a pas à lui reprocher que cette idée soit fixe chez lui, il fait bien de la poursuivre avec une constance dont on doit lui savoir gré. Personne, je pense, ne reprochera à M. Schumacher de poursuivre avec persistance une idée qu'il croit utile. Seulement on n'est pas d'accord avec lui sur les grands résultats qu'il attribue à l'existence d'un comité supérieur de commerce et d'industrie. On ne peut admettre que rien ne marche en Belgique, que l'industrie est aux abois parce que nous n'avons pas cette grande panacée d'un conseil supérieur de commerce et d'industrie.
L'honorable M. Schumacher vient de rappeler qu'il s'est formé en 1842 un conseil supérieur de commerce et d'industrie; mais il paraît qu'il a agi avec une telle discrétion que son existence est restée ignorée. Il a donné un premier signe de vie, mais depuis lors il s'est complètement abstenu: Cependant ce conseil était formé dans les meilleures conditions; sous le rapport du personnel, il ne laissait rien à désirer; il devait inspirer toute confiance; il1 avait pour trésorier l'honorable M. Schumacher. Si donc un pareil comité devait exercer sur les destinées du commerce et de l'industrie cette influence immense que lui attribue l'honorable M. Schumacher, comment se fait-il que le comité de 1842 ne se soit pas maintenu ? Il ne devait pas vous être impossible sans doute de réunir quelques milliers de francs pour faire marcher cette institution. Cependant elle est restée à l'état de lettre morte, et aujourd'hui il n'en serait plus question si l'honorable trésorier n'était venu la rappeler à la mémoire du public.
Messieurs, si un tel comité doit exercer, sur la prospérité du commerce et de l'industrie, cette grande influence, que l'honorable M. Schumacher fasse un appel à tous les négociants et industriels qui partagent son opinion, et qu'il constitue à Bruxelles un comité indépendant. Ce comité ne sera pas vu avec défaveur par le gouvernement.
Du reste, messieurs, le gouvernement n'éprouve aucune espèce de répugnance à s'entourer de toutes les lumières. Dans certaines circonstances, un conseil supérieur de commerce et d'industrie non permanent pourra rendre des services, répandre des lumières sur telle ou telle question ; mais, messieurs, ne nous faisons pas illusion sur la portée d'une semblable institution.
D'abord, vous ne parviendriez pas à réunir d'une manière permanente, à Bruxelles, un conseil supérieur de commerce et d'industrie, à moins qu'il ne fût composé presque exclusivement de négociants habitant la capitale. Quel que soit le zèle des négociants, ils sont bien obligés de s'occuper avant tout de leurs intérêts personnels, et ils ne se déplaceront pas pendant une partie de l'année pour venir débattre les intérêts généraux. La preuve qu'il y a dans le commerce même peu d'entraînement pour une semblable institution, c'est qu'elle n'est point parvenue à marcher, alors cependant qu'elle paraissait constituée dans les conditions d'existence les plus solides. M. Schumacher pourrait nous faire connaître peut-être la cause du peu de succès qu'elle a obtenu.
M. Schumacher. - Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable membre a critiqué aussi l'organisation actuelle de l'administration au point de vue du commerce et de l'industrie. Il aurait fallu signaler quels sont- les grands inconvénients qui résultent de l'organisation actuelle.
Aujourd'hui certaines affaires d'une nature complexe, nous l’avons déjà dit, sont traitées à la fois au ministère des affaires étrangères, au ministère des finances et au ministère de l'intérieur. S'il résulte de ce fait un certain retard dans l'expédition de ces affaires, il en résulte aussi un utile contrôle exercé par différents départements. Les affaires ne vont pas aussi vite, mais elles sont peut-être plus mûries.
Du reste, si cet état de choses présente des inconvénients, nous ferons en sorte que ces inconvénients disparaissent successivement dans la pratique. Au lieu de se livrer, à cet égard, à des reproches vagues, il faudrait signaler quelles sont les choses mal faites qui pourraient-être mieux faites; quelles sont les choses qui ne se font pas et qui pourraient se faire avec une organisation différente; il faudrait nous démontrer surtout; comment, avec un conseil supérieur d'industrie et de commerce, le commerce et l'industrie fleuriront plus qu'ils ne fleurissent aujourd'hui.
Voilà le terrain véritable de la discussion, et sur ce terrain nous sommes prêts à discuter avec l'honorable M. Schumacher et les autres membres de la chambre qui partagent son opinion.
Le gouvernement est entouré de conseils nombreux. Déjà on lui a reproché de créer trop de commissions ; nous croyons que l'action du gouvernement gagne à être éclairée, mais il ne faut pas qu'à force d'être éclairée, elle finisse par être entravée.
Au surplus, s'il peut y avoir une certaine utilité à créer à Bruxelles un conseil supérieur d'industrie et de commerce, nous ne nous y refuserons pas ; mais des antécédents m'autorisent à révoquer en doute l'efficacité pratique d'un pareil système,
Enfin, si le gouvernement ne fait rien à cet égard, le commerce est parfaitement libre de s'organiser à l'état de conseil supérieur, et de fournir au gouvernement toutes les lumières qu'il croira utile de lui donner, pour la confection des lois ou pour les mesures administratives à prendre. Si l'honorable M. Schumacher est réellement convaincu de la grande utilité d'un conseil supérieur, je l'engage à reprendre ce qui a été fait et abandonné en 1842. De cette façon, nous pourrons expérimenter les grands résultats qu'on peut attendre d'un pareil conseil.
M. Cumont. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour rectifier un fait. On a représenté la réunion des négociants qui a eu lieu en 1842, comme constituant l'organisation d'un conseil de commerce. Cela n'est pas exact. En 1842, comme aujourd'hui, les négociants principaux de la Belgique, dont faisaient partie M. Raymond Biolley, Dumon-Dumortier, président du sénat, M. Schumacher et autres notabilités qu'on a cités tout à l'heure, s'étaient réunis afin de demander au gouvernement qu'il voulût bien créer un conseil supérieur de commerce et d'industrie.
Si vous voulez vous donner la peine d'examiner les statuts, vous verrez que j'ai raison. Nous avons demandé la création d'un conseil supérieur de commerce, comme il y en a en France, et en Prusse ; ils rendent de grands services, en ce que quand une question commerciale est en discussion, ils expliquent la position réelle du fait et éclairent le gouvernement sur la marche qu'il doit suivre.
Voilà ce que. nous avons demandé, ce que nous demandons encore, non pour exercer sur le gouvernement une pression qui n’est nullement dans nos intentions, mais pour que le gouvernement ait un système plus éclairé pour la direction du commerce.
Je rends justice, aux bonnes intentions de MM. les ministres ; mais il y a des spécialités qu'ils ne peuvent apprécier ; il n'y a que des hommes pratiques qui puissent les apprécier.
Voilà ce qu'était cette réunion.
(page 1477) A cette époque, malheureusement comme aujourd'hui, le gouvernement n'a pas compris. L'honorable M. Nothomb nous a repoussés, il nous a dit : « Je n'ai pas besoin de vos lumières. » La réunion s'est alors dissoute.
Voilà les faits comme ils se sont passés.
M. le ministre demande quel bien un conseil supérieur de commerce pourrait produire. Je lui demanderai : Avons-nous un système commercial? Nous en avons une douzaine depuis 1830. Voilà le malheur. On marche en avant, avec un système, sans en avoir calculé les résultats : on marche; on rencontre des inconvénients et l'on recule. On a frappé des intérêts et des droits acquis en marchant en avant avec un système nouveau ; on en frappe d'autres en reculant. De là la désorganisation qui existe dans le commerce. C'est évident pour moi. Voilà ce à quoi 'nous voudrions remédier.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Cumont a perdu de vue que le comité dont l'honorable M. Schumacher a rappelé l'existence était véritablement un comité institué pour remplir la mission de conseil supérieur de commerce et d'industrie; il avait ses statuts, ses attributions déterminées, une mission parfaitement précisée une durée indéterminée. Il n'y manquait rien au point de vue de sa constitution, il n'y a manqué qu'une chose, c'est la vie. Ce n'est pas le gouvernement qui l'a empêché de vivre.
Le gouvernement n'a pas, dit-on, de système commercial arrêté; il faut créer un conseil supérieur de commerce et d'industrie, sans doute pour doter le pays d'un système commercial dont on ne se départira plus à l'avenir. Mais si le gouvernement n'a pas eu de système commercial, à qui la faute? Le gouvernement presque toujours a consulté les chambres de commerce du pays. Nous avons vu les chambres de commerce changer successivement de système, selon que les intérêts représentés dans les chambres de commerce se trouvaient plus ou moins lésés ou favorisés par tel ou tel système.
Vous aurez, je le veux, un conseil supérieur de commerce. Mais de qui se composera-t-il ? De commerçants qui apporteront des opinions dans les conseils, mais non pas seulement des intérêts, et des intérêts très variables.
Je crois que le meilleur moyen pour empêcher le gouvernement de marcher dans un système fixe et définitif, ce serait peut-être de créer un conseil permanent où seraient représentés des intérêts essentiellement variables.
Il n'est pas exact de dire que te gouvernement est sans système en matière d'industrie et de commerce. Il a formulé son système dans son programme. C'est un régime libéral en matière douanière. Il l'a appliqué en ce qui concerne les denrées alimentaires. C'est un grand pas de fait.
Quant aux autres matières, il a dit qu'il ne voulait pas troubler par des changements brusques au système douanier, l'existence des industries qui s'étaient formées sous l'empire des droits protecteurs; qu'il voulait maintenir autant que possible le statu quo, mais qu'il s'opposerait à toute aggravation de tarifs. Voilà un système qui a été formulé , pratiqué et qui a été favorablement accueilli par les chambres.
On a demandé au gouvernement d'intervenir dans la crise industrielle des Flandres. Eh bien, n'a-t-il pas fait beaucoup? N'a-t-il pas obtenu des résultats inespérés? J'ai demandé que l'on précisât les choses que le gouvernement pourrait faire et qu'il n'aurait pas faites, qu'il pourrait faire autrement qu'il ne les a faites.
On n'a rien précisé; on est resté dans les généralités. On s'est renfermé dans ce remède extrêmement vagues de la création d'un conseil supérieur de commerce, comme si l'on pensait que cette institution devait tout changer en Belgique. Les affaires marchent bien relativement à ce qu'elles sont dans d'autres contrées. Voilà l'hommage que les négociants devraient rendre au gouvernement, au lieu de parler du bourbier où sont plongés le commerce et l'industrie.
C'est d'ailleurs au commerce et à l'industrie à s'aider eux-mêmes. Que chaque commerçant fasse, j'ose le dire, le quart des efforts que chaque ministre fait à chaque heure pour pousser le commerce et l'industrie dans une voie de progrès, et vous verrez ce que peut la Belgique. Si, au contraire, le commerce et l'industrie n'osent pas faire un pas sans demander au gouvernement dans quelle voie ils doivent entrer, sans lui demander tantôt de l'argent, tantôt une protection, il est impossible que le commerce et l'industrie arrivent à cette organisation forte qu'elles ont acquise dans d'autres pays où l'on n'a pas constamment les mains tendues vers le gouvernement.
Je ne pense pas qu'il y ait un autre pays en Europe où le gouvernement fasse plus pour le commerce et l'industrie. 'Peut-être' fait-il trop. Est-il dans les autres pays un exemple d'une intervention de détails minutieux du gouvernement, comme ce qui s'est passé dans les Flandres ! comme s'il y avait un pays où le gouvernement ait eu à descendre à tous ces soins minutieux auxquels nous voyons le gouvernement belge descendre chaque jour; et il le fait utilement, il le fait aux applaudissements des Flandres, nous pouvons le dire aujourd'hui.
Messieurs, nous avons regret, nous qui voulons un gouvernement de liberté, de libre discussion, de libre examen, qui sommes heureux de pouvoir provoquer les lumières partout où elles peuvent naître, il nous fâche de paraître nous opposer à la création d'un conseil supérieur du commerce, comme si nous avions à redouter les lumières qui pourraient en jaillir ; comme si nous étions hostiles à l'esprit d'association, quand nous faisons tant d'efforts pour propager dans le pays les associations utiles.
On nous parle d'une association purement théorique; nous disons : Tâchez de créer une association réelle, pratique, nous vous tendrons la main; parvenez à créer une société d'exportation ; ce sera autrement utile qu'un conseil supérieur du commerce; une telle création sera efficace et obtiendra l'adhésion du gouvernement plus qu'un conseil supérieur; cependant je le répète, le gouvernement n'a pas de parti pris à cet égard. S'il reconnaît que cette création peut, dans certain cas, donner satisfaction à un certain nombre d'industriels, il s'y prêtera; mais quelle que soit la composition de ce conseil, je nie qu'il amène les grands résultats qu'en attend l'honorable M. Schumacher.
M. Schumacher. - Je renonce à la parole ; la discussion devient trop irritante, je craindrais de la rendre plus irritante encore, j'aurais beaucoup de choses à dire, mais j'aime mieux m'en tenir là.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne pense pas avoir donné à la discussion un caractère irritant ; j'engage M. Schumacher à ne pas renoncer à la parole.
M. Schumacher. - Ce sont des choses que je ne veux pas dire en séance publique.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'engage l'honorable M. Schumacher à ne pas renoncer à la parole, puisque la question est soulevée; mieux vaut en finir. Si l'honorable membre l'emporte, le conseil supérieur devra être crée; mais s'il ne l'emporte pas, il voudra bien pendant laisser dormir sa proposition.
M. Vermeire. - Je renonce à la parole.
M. Lesoinne. - Je vois avec peine qu'on revient constamment sur cette question d'instituer un conseil supérieur du commerce; on entretient des illusions en faisant dépendre la prospérité du commerce du pays de l'influence du gouvernement.
C'est, comme l'a très bien dit tantôt M. le ministre de l'intérieur, aux efforts particuliers, aux efforts des intérêts privés que l'on devra la prospérité du commerce belge.
Dans la discussion qui a eu lieu à propos du budget de l'intérieur de 1849, les différents membres de cette chambre qui ont pris la parole sur les mesures à adopter ou qui ont été adoptées pour tirer l'industrie des Flandres de l'état de malaise dans lequel elle se trouvait, ont conclu à la formation d'une société d'exportation. Eh bien ! je trouve qu'il y a là un danger. Car rien n'est plus problématique que la formation de cette société d'exportation.
Le gouvernement, d'après l'ancien projet, fournissait un tiers du capital et les deux autres tiers devaient être fournis par des souscriptions particulières. Eh bien, je déclare que si ce projet, tel qu'il avait été proposé, avait été admis et avait reçu la sanction des chambres il n'aurait pas reçu d'exécution; car même les plus grands partisans de la société d'exportation ne sont nullement disposés à mettre leurs fonds dans cette société, et par conséquent, l'absence de capitaux en aurait rendu la formation impossible. On vient nous parler de comptoirs. Mais on n'a pas encore défini ce que c'était qu'un comptoir; j'attends encore une explication de ce que c'est. Est-ce une maison de commerce qui sera chargée de faire les affaires de tous les négociants de la Belgique indistinctement, de faire les affaires d'industriels qui seraient en concurrence sur le même marché? Les affaires ne se font pas comme cela.
Je l'ai déjà dit lors de la discussion de la loi sur les droits différentiels Chaque maison qui fait des affaires avec les pays transatlantiques doit avoir dans chacun de ces pays un agent qui ne fait des affaires que pour elle. Ce que je dis ici est connu de tous ceux qui ont fait des affaires avec les marchés d'outre-mer.
L'honorable M. Osy est encore venu vous parler de consignations. Mais il n'est pas un seul membre de cette chambre qui ait fait des affaires, qui ne sache combien coûtent ces consignations. C'est une perte certaine ; sur cent opérations, il n'y en a pas une qui présente du bénéfice.
J'engage donc fortement M. le ministre de l'intérieur à ne pas donner suite à la proposition de l'honorable M. Schumacher. Il semblait dire tantôt que si cela faisait plaisir à un certain nombre de membres de cette chambre, il nommerait un conseil supérieur d'industrie. Je l'engage à n'en rien faire; une pareille création ne serait d'aucune utilité.
Sur la proposition d'un ancien membre de cette chambre, proposition qu'il a renouvelée avec persistance à chaque session, on est parvenu a (page 1478) faire nommer une commission d'enquête. Cette commission s'est transportée dans toutes les villes du pays. J'ai lu attentivement les interrogatoires qui ont eu lieu. Qu'en est-il résulté ? On est venu consulter, sur la manière d'ouvrir des relations avec les marchés transatlantiques, des négociants qui n'avaient jamais fait d'affaires avec ces pays, et ces négociants n'ont pu donner que très peu de renseignements. On a consulté ensuite d'autres négociants qui étaient en relations avec les marchés transatlantiques, et ceux-là n'ont pas voulu divulguer le secret de leur clientèle. Excepté dans deux villes, à Verviers et à Anvers, tous les interrogatoires qui ont eu lieu dans les autres villes de la Belgique n'ont donné aucune lumière sur la manière dont les affaires doivent être traitées avec les marchés lointains.
Je renouvelle donc encore la prière que j'ai faite à M. le ministre de l'intérieur de ne pas donner suite à la demande qui lui a été faite de nommer un conseil supérieur d'industrie.
M. Prévinaire. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire remarquer que le but, que les promoteurs de l'idée de la création d'un conseil supérieur d'industrie s'étaient proposé, n'était pas de créer, comme on l'a prétendu, un conseil permanent, mais d'engager le gouvernement à réunir les délégués des chambres de commerce de manière à constituer temporairement des réunions.
M. le ministre des affaires étrangères nous a annoncé, il y a quelques semaines, qu'il se proposait de présenter un projet d'ensemble sur diverses modifications du tarif des douanes. C'est à propos des questions que soulèvera nécessairement l'examen de ce projet d'ensemble qu'il avait paru à plusieurs membres de la section centrale qu'il serait utile de constituer cette réunion de délégués des chambres de commerce et d'avoir son avis.
M. le ministre de l'intérieur nous a dit que chaque fois qu'il avait mis en présence les membres des différentes branches du commerce, chacun de ces membres avait apporté non seulement des principes, mais des prétentions différentes, et que dès lors, au lieu d'arriver à un résultat, souvent on s'en écartait. Je crois que cette argumentation n'est pas rigoureusement vraie et que les réunions des délégués des différentes chambres de commerce peuvent dans certains cas être très utiles pour la conciliation des intérêts.
Dans le rapport de la section centrale on a aussi insisté sur l'influence heureuse qu'aurait le conseil supérieur sur le système économique qui convient au pays. M. le ministre nous a dit tantôt, et je regrette de n'être pas d'accord avec lui sur cette question, que le gouvernement avait un système. C'est vrai, mais ce système jusqu'ici s’est traduit par des paroles et nullement par des faits.
Nous avons été une fois, et dans le ministère et dans la chambre, libre-échangistes; une autre fois nous avons été protectionnistes renforcés, prohibitionnistes même dans la loi sur les étoupes ; et nous avons été socialistes dans la loi des 800,000 fr. que nous avons votée dernièrement en faveur du département de la justice. Je demande si ces trois actes appartiennent à un système? Je voudrais qu'on me répondît et que j'eusse tort en cette occasion, mais je crois mon argumentation exacte. Vous venez de commanditer avec vos 800,000 fr. des travailleurs belges; vous avez organisé cette branche de travail. C'est là évidemment une déviation de toute espèce de principes. Car jusqu'à présent nous n'en avions eu que deux en présence: le principe protectionniste et le principe libéral.
De pareilles mesures, au lieu d'être utiles, sont plutôt destinées à alarmer sur les dispositions futures de la chambre et du gouvernement ; et c'est à cet égard que les hommes qui s'occupent d'affaires voudraient qu'on fût d'accord sur les principes et que l'on marchât vers un but.
Messieurs, une mesure qui s'écarte encore du système que l'on proclame, c'est l'institution de primes. Est-ce que définitivement la protection du commerce intérieur doit consister dans le système des primes ? Que la chambre le décide ; que le gouvernement veuille dire si c'est là ce qu'il entend comme protection du commerce extérieur. Quant à moi, je ne puis partager cette manière de voir. La prime destinée à favoriser l'écoulement de nos produits à l'étranger, n'est autre chose que l'abandon, de la part du pays, du bénéfice résultant de l'application d'une main-d'œuvre à nos produits exportés; sous ce rapport, je puis consentir à l'application du système des primes, mais uniquement comme exception et dans un moment de crise. Que si l'on voulait donner un caractère de permanence au système de primes, je devrais repousser de toutes mes forces de pareilles tendances. Quant à la société d'exportation, il paraît qu'on en fait son deuil. C'est au moins ce qui me semble résulter des paroles de MM. les ministres. Je désirerais à cet égard une explication complète, car il est bon que le pays sache s'il doit renoncer définitivement à cette pensée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En voulez-vous?
M. Prévinaire. - C’est selon. Je pourrai m'en expliquer, mais ici je ne fais que résumer ce qui s'est passé dans la discussion, parce que je crois qu'il est utile que toute illusion disparaisse, et je fais remarquer qu'il est bon que l'on sache dans le pays si l'on doit renoncer à la société d'exportation.
J'ajouterai, messieurs, que le crédit de 800,000 fr. qui a été voté pour l'administration de la prison de Saint-Bernard, serait une exécution partielle du projet de société d'exportation, si vous aviez traité avec des particuliers comme vous avez traité avec cette administration. En effet, que va faire l'administration? Elle va faire confectionner des marchandises comme l'eût fait une société d'exportation, elle va s'entendre avec des armateurs pour la vente de ces marchandises, comme l'eût fait une société d'exportation. Le mot de société d'exportation est très vague; jusqu'à présent on n'est nullement d'accord sur ce qu'il signifie réellement. Quoiqu'il en soit, je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien dire positivement si le projet de créer une société d'exportation est définitivement abandonné par le gouvernement, et si à l'avenir toute la protection du commerce extérieur doit consister en primes d'exportation.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la discussion commence à prendre un caractère général. Il s'agit, en effet, de discuter le système commercial du gouvernement, et c'est là une matière vraiment digne de l'attention de la chambre.
L'honorable membre croit que le gouvernement n'a pas de système en matière commerciale, et il en a trouvé la preuve dans trois faits qu'il vient de citer : c'est d'abord la législation sur les denrées alimentaires, puis la prohibition à la sortie des étoupes, et, en troisième lieu, la somme de 800,000 francs qui a été demandée pour fournir du travail aux tisserands des Flandres.
A cette occasion l'honorable membre a demandé si le gouvernement était favorable, oui ou non, à l'établissement d'une société d'exportation.
Messieurs, je trouve dans les trois faits cités par l'honorable député de Bruxelles, la confirmation de tous les principes mis en avant par le ministère. La loi principale, celle qui était destinée à caractériser la politique commerciale du gouvernement, c'est-à-dire la loi sur les denrées alimentaires, cette loi a été proposée et obtenue dans un sens tout à fait libéral ; le programme du gouvernement a été complètement exécuté sur ce point.
En ce qui concerne le maintien de la prohibition exceptionnelle des étoupes à la sortie, nous avons déclaré que nous ne voulions pas introduire de brusques changements dans le tarif des douanes, que nous acceptions le tarif tel qu'il était, que nous ne voulions y introduire des modifications que successivement et sans léser les intérêts engagés; nous avons été en ceci également fidèles à notre programme.
Maintenant, nous avons demandé 800,000 fr. pour les tisserands flamands. Eh bien, là aussi nous avons été parfaitement d'accord avec notre programme et avec les vœux du pays entier. Il fallait soulager la misère des Flandres, il fallait distribuer autant que possible y créer du travail. C'est dans ce but que nous avons demandé les 800,000 fr. dont il s'agit, et chaque fois qu'il se présentera des mesures propres à atteindre un semblable résultat, je n'hésiterai pas à proposer à ces mesures, sans m'inquiéter du point de savoir si elles sont parfaitement conformes à tel ou tel système.
Mais ces mesures sont-elles contraires au principe du libre échange? De ce qu'il faut faciliter les relations internationales, s'ensuit-il que le gouvernement ne puisse pas protéger le travail belge? Il y a différentes manières de protéger le travail national. Quelques personnes ne voient la protection que dans les mesures prohibitives, mais d'autres la voient dans des encouragements directs donnés au travail. Je voudrais bien que l'honorable membre nous dît s'il est, oui ou non, partisan d'une société d'exportation encouragée par le gouvernement? L'honorable membre, qui n'a pas à compter avec les faits et positions acquises, voudra bien, sans doute, exprimer une opinion formelle à cet égard : Est-il partisan d'une société d'exportation protégée par le gouvernement ?
M. Prévinaire. - Oui et non.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Prévinaire est partisan d'une société d'exportation protégée par le gouvernement, quoiqu'il soit ennemi des primes, ennemi de la protection du gouvernement. Eh bien, qu'est-ce qu'une société d'exportation? C'est un système de primes sur une large échelle. Que l'honorable membre me permette donc de lui dire qu'il est en contradiction ouverte avec ce qu'il considère comme le principe fondamental du libre-échange.
Il n'est point, en ces sortes de matière, de principe absolu : le gouvernement, tout en s'attachant à certaines règles fondamentales, doit se laisser guider par ce qu'exigent les intérêts actuels du pays, par ce qu'exigent les circonstances, et certes quand il me sera démontré que tel ou tel subside doit produire des effets utiles, bien qu'il ne soit pas entièrement conforme à l'orthodoxie économique, je n'hésiterai pas à le demander, tout en conservant mes principes, très anciens, en matière de liberté commerciale, tout en conservant (page 1479) ma conviction qu'il faut faciliter autant que possible les relations commerciales entre tous les pays.
Quant à la société d'exportation, messieurs, on demande quel est notre système? Il y a, sous ce rapport, plus qu'un système. En 1848, il y a un acte. Un crédit de 3,500,000 fr. a été demandé par nous pour venir en aide à la formation d'une société d'exportation. Depuis lors nous avons cherché à éveiller le zèle des individus, le zèle du commerce et de l'industrie; ce n'est pas notre faute si tous les commerçants et industriels du pays ne sont point parvenus à réunir quelques millions pour former cette société, que le gouvernement est toujours prêt à encourager.
A défaut de cette société d'exportation, nous avons recherché toutes les occasions d'obtenir autant que possible les résultats qu'on pouvait attendre de la société d'exportation. Ainsi les capitaux suffisants n'ont pu être réunis pour former le capital d'une grande association ; mais tout récemment quelques commerçants et industriels se sont réunis pour former le capital d'une société destinée à l'établissement de comptoirs ; le gouvernement s'est empressé de donner la main à cette société établie sur une base plus restreinte; et la chambre, d'ici à quelques jours, aura à décider si le gouvernement a bien fait.
Quant à la société d'exportation à établir sur une grande échelle, le gouvernement n'y met pas la moindre mauvaise volonté ; il sera toujours prêt à agir, aussitôt que les intérêts, éveillés dans le pays, auront fait au gouvernement des propositions susceptibles d'être accueillies. Mais si les représentants de l'industrie ne font rien, le gouvernement ne peut pas se mettre entièrement en leur lieu et place. Il faut que chacun tâche de l'aider, et le gouvernement aidera.
Messieurs, on a appelé socialisme l'intervention du gouvernement, par l'intermédiaire de la commission des prisons d'Anvers, dans la confection et l'exportation de tissus de lin. On a trouvé que le gouvernement faisait du socialisme, par ce qu'il aidait, dans une certaine mesure, les tisserands flamands sans ouvrage.
On abuse singulièrement, suivant moi, du mot socialisme. Si l'intervention du gouvernement, dans de sages limites, dans le but d'assurer du travail à l'ouvrier belge, de l'instruire et le moraliser, de lui inspirer le goût de l'épargne et de la prévoyance, de faire en sorte qu'il soit mieux logé, mieux nourri, mieux vêtu; si une pareille intervention est du socialisme, le gouvernement fait et continuera de faire du socialisme. C'est là, à nos yeux, de la vraie et de la bonne civilisation. Mais le mot de socialisme, avec le caractère odieux qu'on y attache, ne devrait pas être appliqué aux actes du gouvernement.
La mesure qui a eu pour but de mettre l'administration des prisons d'Anvers en rapport avec les tisserands des Flandres, sera certainement un des moyens les plus efficaces qui auront été inventés pour donner du travail à l'ouvrier tisserand. Je demande à tous les députés des Flandres sans exception si cette mesure n'a pas été accueillie comme un véritable bienfait.
Maintenant je ne dis pas que le gouvernement doive persévérer à jamais dans cette voie; le gouvernement ouvre la route, donne des conseils, des encouragements; c'est ensuite à l'industrie privée à marcher dans la même voie, et à achever ce que le gouvernement a commencé. Voilà comment nous entendons l'intervention de l'Etat.
Je suis convaincu aussi qu'avec le temps des sociétés particulières se formeront; mais aussi longtemps que l'action individuelle restera impuissante, n'empêchez pas le gouvernement de faire ce qu'il fait aujourd'hui, sans aucune espèce de sacrifice pour le trésor, c'est-à-dire de faire un grand bien aux travailleurs des Flandres.
Voilà ce que j'avais à répondre à mon honorable ami M. Prévinaire, et je suis convaincu qu'au fond nous sommes d'accord sur la plupart des questions qu'il a agitées.
M. Dumortier. - Messieurs, la discussion a changé de terrain. Il ne s'agissait d'abord que de la création d'un conseil supérieur d'industrie; j'avais demandé la parole, lorsque j'ai entendu l'honorable M. Lesoinne engager le gouvernement à s'opposer à cette création. Pour mon compte, je crois qu'une pareille institution, qui existe en France, en Prusse et en Angleterre, serait un véritable bienfait pour le pays, en ce sens qu'il éclairerait chaque jour le gouvernement sur les besoins de l'industrie.
En effet, dans un gouvernement politique tel que le nôtre, il n'arrive que trop souvent que l'industrie n'est pas représentée dans le cabinet ; nous n'avons le plus souvent au banc ministériel que des avocats ; or, quel que soit le talent de MM. les avocats, ils ne possèdent pas pour cela la science infuse. Il me semble donc qu'un conseil de négociants pourrait répandre beaucoup de lumières sur les projets du gouvernement lui-même.
J'ajouterai que cela est souvent nécessaire. Ainsi l'honorable M. Vermeire nous a signalé dans le tarif des particularités étranges; il nous a dit que le chanvre de Russie payait un droit de 5 1/2 p. c. à l'entrée en Belgique. Il demande si l'industrie des toiles de chanvre peut prospérer chez nous avec une pareille différence. Eh bien, je dis, messieurs, que si vous aviez un conseil supérieur, ce fait, si préjudiciable au travail national, aurait depuis longtemps cessé, et le gouvernement aurait proposé une mesure pour mettre notre industrie de la filature et du tissage de chanvre à même de lutter avec l'étranger sur les marchés étrangers.
Je sais bien que le gouvernement a déclaré, dans son programme, une espèce d'immobilité quant aux droits protecteurs.
M. le ministre de l'intérieur l'a dit, il est en principe partisan de la liberté de commerce ; pour moi, je ne suis pas partisan de la liberté commerciale; ici la carrière des opinions est libre ; mais je dirai aux partisans du « free-trade » : « Si vous voulez que vos doctrines puissent prévaloir, commencez par mettre la Belgique dans des conditions d'égalité à l'égard de l'étranger; sinon votre liberté du commerce est l'oppression du travail national. » Commencez par donner à notre industrie les débouchés que possède l'industrie étrangère, alors vous pourrez parler de liberté commerciale.
Mais aussi longtemps que nous ne serons pas placés sur ce pied d'égalité, aussi longtemps que nous n'aurons pas des capitaux aussi abondants que les nations qui nous environnent, il nous faudra des mesures de protection, et sous ce rapport, je dis encore que l'institution d'un conseil supérieur serait chose excessivement utile.
Je me demande quels inconvénients un pareil conseil peut offrir? Je n'en vois pas. Je crois que M. le ministre de l'intérieur lui-même a rendu hommage à l'utilité d'un pareil conseil, lorsqu'il a créé le conseil supérieur d'agriculture...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne l'ai pas créé.
M. Dumortier. - Si vous ne l'avez pas créé, vous lui avez porté au moins beaucoup d'intérêt; eh bien, si l'agriculture a un conseil supérieur, pourquoi l'industrie n'aurait-elle pas le sien ? Ce sont deux branches de la richesse publique qui ont des droits égaux à notre sollicitude, et j'adhère entièrement à l'avis des honorables MM. Schumacher et Cumont, à savoir que la création d'un conseil d'industrie et de commerce serait infiniment utile au pays.
On a parlé de la société d'exportation ; je ne me suis jamais fait illusion sur cette société comme panacée universelle; je suis convaincu qu'elle peut rendre des services, mais non aussi grands que certaines personnes le pensent. Comme l'a dit M. le ministre, aussi longtemps que le public ne sera pas disposé à fournir des capitaux, le gouvernement sera dans l'impossibilité de créer une société d'exportation ; car si cette société devait être créée au moyen des seuls capitaux du gouvernement, elle donnerait au gouvernement une sphère d'action dont l'étendue présenterait de grands dangers.
Si le public n'apporte pas dans la formation de cette société sa part d'activité et de capitaux, elle aura pour résultat d'établir des privilèges au profit de quelques-uns au préjudice des autres, comme le système des primes en matière d'industrie.
Mais si la réunion de capitaux particuliers suffisants pour arriver à la création d'une société d'exportation présente des difficultés, il n'est pas impossible de diviser le capital, de former plusieurs sociétés d'exportation à des capitaux moindres. Quand j'ai présenté cette observation il y a quatre mois, on l'a qualifiée de chimère. Aujourd'hui, MM. les ministres reviennent de leur idée, ils se montrent favorables à la création de comptoirs, ce qui équivaut à la création de sociétés d'exportation sur une petite échelle.
Ce qui manque à la Belgique, ce sont les débouchés extérieurs ; nous périssons par trop de produits, parce que les moyens d'exporter nous manquent, parce que le commerce anversois est un commerce de commissionnaire et non un commerce réel. Voilà la vérité toute nue; voilà ce qui entrave le commerce. Anvers n'exporte que par rares exceptions. Chacun sait qu'autre chose est d'être fabricant ou d'être exportateur, cependant M. le ministre dit aux fabricants: Faites et nous vous aiderons, exportez et nous encouragerons vos exportations.
Le fabricant ne peut pas se charger d'exporter, il doit faire meilleur et à meilleur marché possible; on n'est pas en même temps fabricant et exportateur ; ce sont deux choses distinctes. Ce que le gouvernement doit faire, c'est de cherchera développer à Anvers, dans notre métropole commerciale l'esprit d'entreprise qui y manque ; cela est frappant.
Voulez-vous que je vous en donne une preuve? Je pourrais citer tel produit que la Belgique fournit à meilleur marché qu'aucun autre pays du monde, qui s'exporte par Hambourg, par Londres, par Liverpool et par le Havre, et dont on n'exporte rien par Anvers. Je veux parler des étoffes pour pantalon. Si M. Gilson était encore ici, il pourrait vous le dire.
Je tire de ce fait la conclusion qu'Anvers n'est pas un port d'exportation. Que le gouvernement fasse des efforts pour rendre ce port exportateur et il rendra un grand service à l'industrie.
Il faut qu'Anvers fasse peau neuve, cesse de faire uniquement le commerce de consignation qui cause la ruine de tous les fabricants qui s'y livrent; il faut que le commerce anversois se décide à faire des exportations.
On me dit : Faites des marchandises exportables et Anvers les exportera. Mais la Belgique fait des marchandises exportables, la preuve en est que la France n'a jamais voulu abaisser ses tarifs pour l'importation de nos produits, et la France exporte pour des millions, tandis qu'Anvers n'exporte rien. C'est là la cause du malaise de notre industrie, c'est qu'on se borne à faire à Anvers le commerce de denrées étrangères; le grand mal est dans les deux millions de primes qui encouragent ce commerce.
On sait depuis longtemps à Anvers qu'on peut faire des bénéfices énormes surlie sucre, on n'exporte que les sucres. Demandez à Anvers s'il y a quelque chose à exporter; on vous répond : Oui, il y a du sucre. C'est là le grand mal ; au moyen des primes données à une industrie factice qui ne peut se maintenir que par la prime, tout l’esprit d'exportation s'est dirigé vers le sucre, et l'industrie manufacturière s'est trouvée (page 1480) dépossédée de ce qui devait faire sa véritable richesse, l'exportation. Il faut donc encourager Anvers à faire des exportation» de produits manufacturés.
Si Anvers faisait des exportations comme elle fait la commission, nous n'aurions pas besoin d'une société d'exportation commerciale. La ville d'Anvers a à sa disposition plus de millions que la société de commerce ne pourrait jamais réunir.
Il faut à la Belgique des relations; ce sont les relations qui lui manquent. La création de comptoirs en amènera. Que les commerçants d'Anvers, qui ont des relations avec les pays transatlantiques, les utilisent pour exporter nos produits, ils rendront un grand service au pays, et vous verrez disparaître l'antagonisme qui existe entre Anvers et les villes manufacturières de la Belgique.
Le jour où Anvers exportera les produits du pays, on la bénira, et toutes les villes se joindront à nous pour désirer sa prospérité.
M. Prévinaire. - Je ne sais si je dois répondre à M. le ministre de l'intérieur, qui m'a demandé de formuler une opinion expresse sur la société d'exportation dont il a été question dans la discussion.
Je crois, en effet, qu'un membre de cette chambre peut émettre une opinion sur l'opportunité de la création d'une semblable institution, sans qu'on puisse lui demander d’aborder les détails d'exécution. Quoi qu'il en soit, je ne me refuserai pas à exposer brièvement, mon opinion sur les effets qui devrait réaliser une société d'exportation. Le commerce d'exportation a besoin de sécurité et de capitaux considérables, qui lui font défaut quand il est réduit à lui-même. C'est pour remédier à cet état de choses qu'on a songé à la création d'une société. Les capitaux dont elle disposerait serviraient à faire des avancés aux fabricants qui feraient des consignations, et la société créerait des comptoirs à l'étranger avec cette garantie d'être administrés par des hommes compétents, et sur la probité desquels on pourrait compter.
Voilà donc quel était le but de la création d'une société d'exportation dans la pensée de quelques membres de la chambre et dans la mienne. Je ne voulais pas faire autre chose qu'une société de consignation laissant à tous les exportateurs à courir les chances de l'entreprise, maintenant ainsi cette activité individuelle que je considère comme l'élément de la prospérité commerciale.
M. Rousselle. - Et qui supporterait les pertes?
M. Prévinaire. - La société étant simplement cosignataire, il n'y aurait pas de pertes. Que fait le cosignataire? Il reçoit voire marchandise avec vos indications, il en fait le placement de la manière que vous avez indiquée, et il soigne les rentrées. Je ne conçois pas de risque en thèse générale, il n'y a que les circonstances extraordinaires où il puisse y en avoir.
M. le ministre a répondu à ce que j'ai dit au sujet des 800,000 fr. mis à la disposition de la commission des prisons. Il nous a fait entendre que cette commission continuerait ses opérations. J'entends dire : Non, à mes côtés j'entends cette dénégation avec plaisir; je crois qu'il ne conviendrait pas que le gouvernement donnât un caractère permanent à cette institution.
Mais qu'adviendrait-il, si au bout d'un an ou deux, l'industrie privée ne se substituait pas à la commission? Je crois que ce sont tous moyens artificiels auxquels il ne faut pas recourir. C'est en elle-même que l'industrie doit trouver ses vrais éléments de prospérité. Vous aurez beau chercher à la développer par des moyens artificiels si elle n'est pas née viable, ne pouvant lui donner en même temps l'organisation commerciale qui doit la vivifier, vous n'aurez rien créé, elle mourra dès que vous lui aurez retiré votre main.
L'honorable M. Dumortier a dit qu'il fallait des débouchés et que nous manquions de capitaux. Je ne suis pas de cet avis. Quand je vois la propriété foncière recherchée au point où elle l'est dans notre pays, doublée de valeur dans certaines parties depuis douze ou quinze ans ; quand je vois que l'on se contente pour la propriété foncière d'un intérêt de 2 p. c, je suis loin de croire que les capitaux manquent.
On a dit une chose très vraie, c'est que l'esprit d'entreprise manque dans notre pays. C'est parfois un malheur; mais parfois aussi c'est un bien. Si la Belgique a résisté à tant de crises qui se sont succédé dans une période de 20 années, elle le doit à la sagesse des industriels. S'ils ne sont pas aventureux, ils n'ont pas au moins de sinistres à déplorer. L'industrie se serait développée plus vite si nous avions abandonné le système protecteur. Lorsque l'industrie trouve facilement à placer ses produits autour d'elle, elle ne s'enquiert pas des moyens de les placer ailleurs.
Si nous voulons entrer dans la voie du progrès commercial, nous devons songer sérieusement à notre commerce d'exportation. Une société d'exportation est un moyen ; un autre moyen, c'est de produire à bas prix. Quand nous en serons là, les capitalistes viendront chercher nos marchandises.
Nos systèmes d'entrepôt, de transit et de douanes se tiennent. Ils doivent former un système unique auquel préside une même pensée. C'est là que la chambre aura à poser les principes qui doivent avoir une influence sur notre industrie.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Cette discussion a déjà été fort longue. Mais je dois cependant ajouter quelques mots à ce qu'a dit mon honorable collègue et ami, M. le ministre de l’intérieur.
Qu'il me soit permis de dire aussi qu'il n'est nullement exact d'avancer que le gouvernement n'a pas de système commercial. Notre système a été défini dans le programme du 12 août ; il a été constamment appliqué, conformément aux principes qui y sont énoncés.
Dans tous les cas, il est étrange de croire qu'un conseil supérieur du commerce serait admis à maintenir perpétuellement le même système commercial en vigueur. C'est à la chambre, c'est au parlement qu'il appartient de décider quel système doit être adopté dans l'intérêt du pays. C'est au ministère qu'il incombe de proposer ce système, et aux chambres seules qu'il appartient de décider s'il doit être suivi. Le parlement constitue donc le véritable conseil supérieur de commerce et d'industrie du pays. C'est là que tous les intérêts viennent trouver leurs garanties et leur représentation.
Du reste, je ne sais si je dois m'appesantir sur ce sujet ; car je crois que, d'après les opinions qui ont été émises et l'accueil qu'elle reçoit dans cette enceinte , cette opinion perd du terrain plutôt que d’en gagner.
Les partisans de ce conseil ne sont même pas d'accord entre eux. L'honorable M. Dumortier veut un conseil permanent qui puisse apporter chaque jour des lumières dans toutes les questions d'industrie et de commerce. D'autres (notamment l'honorable rapporteur) veulent un conseil qui ne serait convoqué que dans certaines circonstances importantes. La conséquence du système de l'honorable M. Dumortier serait de créer une dépense considérable. On ne pourrait créer un conseil permanent sans un personnel d'employés qui serait très coûteux.
Quant à un conseil qui ne s'assemblerait que rarement, qu'il s'agirait de convoquer seulement pour l'examen de certaines questions, comme l'a dit l’honorable M. Prévinaire lui-même, rien n'empêche de réunir des délégués des chambres de commerce et de leur poser les questions à élucider. C'est ce qui a été fait. C'est ce qui sera fait encore. J'ai même déjà pensé à une combinaison qui remplirait le but que se propose l'honorable M. .Prévinaire; ce serait de convoquer chaque année, à une époque déterminée, des délégués des chambres de commerce. Certaines questions qui seraient posées d'avance, seraient examinées par cette commission sous la présidence du ministre. Ce serait une espèce de conseil supérieur. Mais il ne siégerait que pendant quelques jours de l'année, pour délibérer sur les questions les plus importantes, ou celles sur lesquelles les chambres de commerce ne seraient pas d'accord.
Messieurs, le gouvernement ne demande pas mieux que d'être éclairé ; mais il croit déjà avoir des moyens nombreux de le faire. En matière commerciale, il a les chambres de commerce. Il a, en outre, les administrations provinciales; il a les chambres elles-mêmes où l'on discute chaque jour les plus graves intérêts du commerce et de l'industrie.
Nous n'avons rien d'absolu contre les moyens de nous éclairer davantage ; mais il faut qu'il nous soit démontré que ces moyens sont utiles et nécessaires.
Quant aux moyens de favoriser l'exportation de notre industrie, le gouvernement s'en préoccupe chaque jour.
Quels sont les moyens de faire la conquête de débouchés nouveaux pour l'exportation de nos produits ? D'abord, et avant tout, c'est la perfection des produits ; il faut que ces produits soient au moins égaux, en prix et en qualités, aux produits de l'industrie rivale étrangère. C'est là la première condition ; mais il en faut encore d'autres. Il est nécessaire, comme on l'a dit, de développer les relations avec l'étranger. Eh bien, pour arriver à ce résultat, nous allons proposer bientôt l'établissement de comptoirs. Il est reconnu que toutes les nations qui exportent, qui font un grand commerce, ont un grand nombre de maisons établies à l'étranger. L'Angleterre, la France, la Suisse, qui exporte ses produits sur tous les marchés du globe, ont de nombreuses maisons sur les principaux marchés transatlantiques. La Belgique n'en a presque pas. C'est une lacune dans le commerce belge que nous cherchons à combler.
Nous n'avons jamais repoussé l'établissement d'une société d'exportation. Mais nous avons fait un appel à l'industrie privée, et l'industrie privée ne nous a pas répondu. Est-ce au gouvernement à se substituer à elle? Veut-on que nous venions demander 10 millions de francs pour une société d'exportation ?
Ce qu'on est encore en droit de demander au gouvernement, c'est que le commerce et les produits belges soient admis sur les marchés étrangers aux mêmes conditions que les produits des autres pays. Cet avantage, nous le possédons sur tous les marchés du globe, sauf dans les colonies privilégiées, dans les colonies à mère-patrie. Partout, en Amérique, dans les Indes, le commerce belge est admis à des conditions aussi favorables que le commerce étranger. Nous avons même en Europe quelques traités commerciaux qui nous donnent certains avantages, certains privilèges sur l'industrie étrangère. Sous ce rapport, qui rentre principalement dans les attributions du ministre des affaires étrangères, il n'y a rien à reprocher au gouvernement. C'est un objet qui occupe constamment sa sollicitude.
Messieurs, je bornerai là mes observations. Je crois que cette discussion a été suffisamment longue. Il me resterait beaucoup de considérations à développer. Mais je pense que la chambre désirera terminer ce débat. Du reste aucune proposition n'est formulée ; aucun système n’est nettement établi, nous discutons un peu dans le vague. Les avantages qui sont préconisés sont tout au moins problématiques, et l'on conçoit que le gouvernement ne soit pas disposé à changer, pour des avantages (page 1481) problématiques, un état de choses qui ne lui paraît pas présenter d'inconvénients.
M. Osy. - L'honorable M. Dumortier, avec sa facilité ordinaire, a lancé les plus graves accusations contre notre métropole commerciale, comme il l'appelle. Anvers n'est qu'une ville de commission ; Anvers ne fait pas d'exportations; Anvers ne cherche qu'à exporter du sucre. Voilà les griefs articulés par l'honorable M. Dumortier.
Messieurs, depuis 1815, nous avons traversé de très fortes crises : la crise américaine de 1823, la grande crise financière de 1845 en Angleterre, la crise politique de 1848. Combien de faillites avons-nous eues à Anvers depuis 35 ans, depuis la chute de l'empire? Depuis ce temps que j'habite Anvers, je n'ai pas vu de grande faillite.
Les maisons sont restées debout et ont toujours continué leurs affaires avec honneur. Bien des maisons même, petites d'abord, se sont agrandies sont devenues des maisons colossales.
Voilà la véritable situation d'Anvers. Anvers n'a pas voulu faire des affaires en cassation.
Que nous cherchions à attirer beaucoup de consignations de l'étranger, je ne le nie pas. La position d'Anvers est telle en Europe que si nous ne nous étions pas donné toutes les peines imaginables pour attirer les affaires commerciales, les affaires de consignation, nous n'aurions pas grandi, comme nous l'avons fait avant 1830. Depuis cette dernière époque, depuis l'établissement du chemin de fer, nous avons, je puis le dire; récupéré une grande partie de ce que nous avions perdu par la révolution.
Quant à cette allégation qu'Anvers n'exporte que des sucres, on n'a qu'à voir les documents que nous a fournis le gouvernement et on reconnaîtra que le sucre est un moyen de faciliter l'exportation des produits manufacturés. Car d'après les tableaux qui ont été remis au bureau par M. le ministre des finances, vous voyez qu'en 1847, 11 millions d'exportation de sucres raffinés ont amené l'exportation de 12 millions d'objets manufacturés.
Messieurs, si nous n'exportons pas autant qu'on le désirerait, c'est qu'Anvers sait calculer. Anvers n'exportera pas des marchandises pour y perdre. Quand la production est trop chère, on n'ira pas- acheter des marchandises que l'on ne pourrait pas vendre avec le plus léger bénéfice.
Voyez ce qui est arrivé, depuis que le ministère actuel a établi une nouvelle industrie linière dans nos provinces. Aussitôt qu'on a connu cette industrie, qu'on a vu que ses produits pouvaient s'exporter, les demandes sont arrivées. Il y en a aujourd'hui beaucoup plus qu'on ne peut en livrer. Un seul de mes amis, comme je vous l'ai dit dans une autre circonstance, a eu une commande de 2,200 pièces. Eh bien, la prison de Saint-Bernard ne peut en livrer que 500 par mois, bien qu'outre les prisonniers, elle occupe 1,500 ouvriers des Flandres.
L'honorable M. Dumortier vous a parlé de la fabrication de Tournay ; il-vous a dit que l'honorable M. Gilson devait exporter ses produits par Hambourg et par le Havre, qu'il ne pouvait le faire par Anvers.
J'aurai l'honneur de dire à l'honorable M. Dumortier que l'année dernière encore je me suis trouvé à Anvers avec mon honorable ami M. Gilson, qu'il a fait des exportations par l'intermédiaire de maisons d'Anvers qui ont des comptoirs à Valparaiso, que moi-même je l'ai introduit près d’une de ces maisons. Il y a deux ou trois mois, un navire est encore parti d'Anvers pour Valparaiso et la Californie avec 300 tonneaux d'objets manufacturés-. C'est que, depuis la crise de 1848, les prix ont baissé ; on a fait des progrès pour pouvoir lutter avec l'étranger et l'on exporte.
Depuis l'introduction de la prime pour les toiles, les exportations de toiles ont eu lieu par le Havre. Le gouvernement pourrait donner là-dessus de meilleurs renseignements que moi.
Il est certain qu'Anvers fait tout ce qu'il peut pour l'industrie du pays, mais il ne peut pas se ruiner. Il doit conserver sa bonne réputation qui, je puis le dire, est européenne. Je le voyais encore dernièrement par des lettres arrivées de Brème et de Hambourg.
Anvers inspire partout une confiance solide et la justifie parfaitement. Toutes ces accusations ne nous touchent pas. Nous exporterons quand on nous livrera des marchandises exportables, et le commerce de consignation qui déplaît à l'honorable M. Dumortier, nous tâcherons non seulement de le conserver, mais encore de l'augmenter; et quand la tranquillité sera rétablie en Allemagne, ce seront pour notre chemin de fer des éléments de transport qui indirectement donneront des produits.
Je crois donc que toutes les accusations de l'honorable M. Dumortier ont été faites à la légère.
M. Jullien. - L'honorable M. Rodenbach a cru devoir demander hier à M. le ministre des affaires étrangères si le moment n'était pas venu d'établir un impôt sur les titres de noblesse, alors que nous avons un déficit dans nos caisses. M. le ministre des affaires étrangères a glissé légèrement sur cette interpellation; il a répondu qu'une loi d'impôt, en cette matière, ne pourrait procurer qu'une ressource très minime au trésor.
Une discussion de ce genre a déjà surgi dans cette enceinte, lors de l’examen du budget des affaires étrangères pour l'exercice 1848.
Notre honorable collègue M. Osy a fait valoir alors des considérations puissantes pour démontrer à la fois et la nécessité et les produits d'un impôt sur la collation des titres de noblesse.
Je pense qu'il est utile de rappeler à la chambre le langage qui a été tenu à cette époque par M. le ministre des affaires étrangères. Voici le langage qui a été tenu par ce haut fonctionnaire dans la séance du 20 novembre 1847.
« Quant à la question d'impôt, je sais qu'une proposition avait été faite au sénat pour l'établissement d'un droit très élevé d'enregistrement des lettres patentes conférant la noblesse. Ce projet n'a pas eu de suite.
« La même question a été examinée par la commission héraldique, et a donné lieu de la part de son président, M. de Sauvage, à un excellent rapport très développé. Plusieurs systèmes sont en présence. On voudrait d'une part un droit d'enregistrement des lettres de noblesse, d'autre part un droit de succession. Ces deux questions ont été examinées par la Commission héraldique et par M. de Sauvage qui s'est prononcé pour un droit de succession. En ce moment cette question est examinée au département des affaires étrangères, elle est même soumise à mes honorables collègues. »
Quelles ont été les suites données au rapport remarquable de l'honorable M. dé Sauvage? Le ministère a-t-il adopté comme pouvant être frappée d'un droit de succession la transmission des titres de noblesse? C'est ce que jusqu'à présent on a laissé ignorer à la chambre. Toujours est-il que depuis deux ans que cette question est à l'étude, elle devrait être résolue.
Je ferai remarquer à M. le ministre des affaires étrangères, qu'importe le principe de l'impôt sur les transmissions, par succession, des titres de noblesse, et dût-on ne considérer que la majoration dont le droit d'enregistrement des lettres patentes est susceptible, il ne s'agirait pas seulement de créer pour l'avenir une ressource annuelle pour le trésor, mais encore de faire rentrer dans les caisses de l'Etat un produit qui, pour le passé, rapporterait un demi-million. Dans l'état de pénurie de nos finances, c'est une ressource qui n'est pas à dédaigner.
Lors de la discussion du budget de 1848, on a admis comme fait constant que tous ceux qui, depuis 1830, ont été pourvus de titres de noblesse, ont dû, avant la délivrance de ces titres, signer l'engagement formel de payer les droits no -seulement imposés à l'époque de la délivrance, mais encore les droits qui pourraient être ultérieurement imposés par la législature. Cet engagement était, si les renseignements que j'ai recueillis sont exacts, conçu en ces termes :
« Je m'engage à acquitter les droits qui sont ou pourraient être ultérieurement imposés en vertu des lois du chef de la délivrance de lettres patentes. »
Eu présence d'un engagement aussi explicite et aussi clair, je me demande comment le gouvernement, qui s'ingénie chaque jour à trouver des matières imposables ne soumet pas de suite à la chambre un projet de loi frappant d'un droit nouveau les lettres patentes délivrées depuis 1830?
Ce projet de loi ne porterait aucun caractère de rétroactivité puisque' les personnes qui ont obtenu des titres de noblesse se sont expressément soumises à acquitter les droits qui pourraient être ultérieurement imposés.
J'engage vivement M. le ministre des affaires étrangères à revenir sur la déclaration qu'il a faite hier. Je l'engage vivement à saisir la chambre du projet de loi que l'honorable M. Dechamps, son prédécesseur, avait promis de présenter pour faire droit, aux réclamations du parti libéral.
Je puis, sans crainte d'un démenti, donner à M. le ministre des affaires étrangères l'assurance que le pays verrait avec plaisir asseoir un impôt plus élevé sur les titres de noblesse;
Je suis persuadé que les honorables membres de cette chambre qui ont reçu l'honneur de l'investiture de semblables titres seraient les premiers à applaudir à la présentation du projet de loi que je réclame instamment.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - L'honorable M. Jullien a dit en commençant que j'avais passé légèrement sur l'interpellation qui m'a été adressée, hier, par l'honorable M. Rodenbach.
Je n'avais aucun motif pour passer légèrement sur cette interpellation. Mais j'ai cru devoir me borner à faire à la question de l'honorable M. Rodenbach la seule réponse qu'elle comportait.
Maintenant que l'honorable M. Jullien exprime le désir de recevoir plus d'explications, plus de détails sur cette question, je suis prêt à les donner à la chambre.
En effet dans une discussion, en 1848, j'ai pris l'engagement vis-à-vis de la chambre de faire examiner cette question. J'ai dit qu'un projet de loi était soumis à l'examen du conseil. Ce projet de loi avait été formulé par la commission héraldique; il tendait à établir un droit sur la transmission des titres de noblesse.
Il y a, messieurs, deux systèmes à suivre pour la création d'un impôt sur les titres de noblesse. Le premier consisterait à augmenter le droit d'enregistrement.
Eh bien, j'ai répondu à l'honorable M. Rodenbach sur cette question,, je lui ai dit que d'après les faits, tels qu'ils existaient depuis l'année dernière, un semblable impôt ne rapporterait qu'une somme insignifiante. Il en serait de même avec le système d'un droit sur la transmission. Suivant des calculs qui ont été faits,, cette ressource ne dépasserait pas 20,000 à 25,000 francs par an, parce que la perception du droit serait fort problématique.
D'un autre côté, ne serait-ce pas créer en faveur de la noblesse des droits qu'elle ne doit et ne peut plus avoir? C'est une question qui a été examinée par le conseil des ministres et qui a soulevé de graves objections.
Reste la question de savoir si l'on ne pourrait pas tirer parti de la déclaration qui a été faite par les nobles depuis 1830.
(page 1482) J'ai consulté, sur la portée de la déclaration dont il s'agit, le département de la justice; il est d'accord avec le département des affaires étrangères. Voici en résumé quelle est l'opinion du département de la justice : ' « Il me paraît impossible de ne pas reconnaître que les promesses dont s'agit ne pouvaient concerner que le laps de temps qui devait s'écouler entre l'obtention du titre et la date de la délivrance des lettres patentes (délai de six mois, aux termes de l'arrêté du 28 décembre 1816). »
On voit que cette interprétation détruit entièrement les espérances financières que l'on semble avoir conçues.
Maintenant, ce n'est pas depuis 1830 que cette déclaration est exigée de ceux qui obtiennent des titres de noblesse. C'est seulement depuis 1846; il était question à cette époque de l'établissement d'un impôt sur les titres de noblesse, et c'est alors qu'on a fait insérer la déclaration dont il a été donné lecture. Or, depuis 1846, il y a eu très peu d'anoblissements, et en admettant même l'interprétation de l'honorable M. Jullien, la ressource financière qu'il a fait valoir serait encore à peu près nulle.
Tels sont, indépendamment des circonstances politiques, les motifs qui ont empêché le gouvernement de présenter un projet de loi sur cette matière.
M. Julliot. - Messieurs, moi aussi, je suis opposé à la création d'un conseil supérieur d'industrie et de commerce; pour vous fixer sur la sincérité de mon opinion, je vous dirai, messieurs, que nous avons un conseil supérieur d'agriculture, que je suis agriculteur et que je désire vivement que le conseil d'agriculture suive la marche que lui a tracée, en 1842, le comité d'industrie de l'honorable M. Schumacher, c'est-à-dire qu'il meure au plus vile de sa belle mort.
Il est vrai de dire que le conseil supérieur de l'agriculture ne coûte au pays que quelques mille francs; mais comme il ne produit rien, il y a toujours perte d'argent, entrave et temps perdu pour le gouvernement, alors qu'il est obligé de discuter des jours entiers avec ces honorables, sans que le gouvernement apprenne grand-chose, comme je le pense.
Je m'oppose donc à la création d'un conseil supérieur de l'industrie, parce qu'il ne peut représenter toutes les industries du pays. Donc, encore une fois, il ne représentera que des privilégiés, qui, quoi qu'on en dise, pèseront lourdement sur le gouvernement et la chambre. Et s'il vous restait, messieurs, quelques doutes à cet égard, je vous rappellerai ce qui s'est passé dans cette session même, dans ta question de réduction des péages du canal de Charleroy, alors que nous n'avions sur les bras que le conseil des exploitants du Hainaut, sous forme de députation.
Mais, messieurs, il y a bien plus fort que cela ; je me rappelle qu'un seul abbé ayant pesé pendant plusieurs années, avec une persistance courageuse et opiniâtre, et sur le gouvernement et sur la chambre, a fini par faire voter une des plus mauvaises lois que contiennent nos Codes. Je fais allusion à la loi des droits différentiels et à l'auteur de ses jours, qui est l'honorable M. de Foere.
J'engage donc le gouvernement à ne plus s'occuper de cette idée, pour pouvoir mieux utiliser ses moments.
Quant à la société d'exportation, nous nous fixerons sur sa valeur, alors que le projet de sa création nous sera présenté.
M. Loos. - Messieurs, j'avais demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable M. Dumortier lancer ses étranges accusations contre la ville d'Anvers. Déjà l'honorable M. Osy a répondu à l'honorable député de Roulers ; je puis donc attendre une autre occasion pour réfuter ce qu'il peut y avoir sérieux dans, le discours du l'honorable M. Dumortier. Dans ce moment je m'en rapporte à l'opinion de la chambre sur les accusations de notre honorable collègue.
M. Le Hon. - Messieurs, mon intention était de combattre l'idée d'un conseil supérieur de commerce et d'industrie par des arguments puisés dans l'expérience même qu'en a faite la France; mais pour cela, j'aurais besoin d'exposer des faits et de traiter, sous un nouveau point de vue, le sujet qui a déjà fatigué la chambre. L'insistance serait inopportune, et le débat n'a rien d'urgent, attendu que le conseil de commerce et d'industrie, si je juge bien l'accueil qu’il reçoit, n'est pas à la veille d'être institué chez nous. J'attendrai donc le budget prochain des affaires étrangères, et dès à présent, je puis dire que si alors la proposition en est renouvelée, je me réserve de la combattre par des faits graves et officiels qui ne laisseront, je crois, aucun doute dans vos esprits.
M. de Haerne. - Messieurs, je dirai seulement quelques mots relativement à des observations faites par quelques honorables préopinants.
Je crois que l'honorable M. Dumortier a eu en partie raison dans ce qu'il a dit au sujet du commerce d'Anvers. Cependant, je suis loin de ne pas rendre justice aux louables efforts que le commerce d'Anvers a faits depuis quelque temps en faveur de l'exportation d'une spécialité de toiles.
Je ne prends pas la parole pour mettre les honorables préopinants d'accord; du reste, l'honorable M. Dumortier, qui l'a demandée, s'en .chargera bien lui-même. Mais il est échappé à l'honorable M. Osy une expression que je crois devoir relever.
Il a dit que si l'industrie fabriquait bien, le commerce exporterait toujours.
Messieurs, c'est là une vieille accusation qu'on a la mauvaise habitude de lancer contre l'industrie, et notamment contre l'industrie linière des Flandres; et à ce sujet, j'ai cru devoir prendre la parole pour venger l'honneur de l'industrie et du commerce des Flandres.
Messieurs, voici la véritable raison pour laquelle on est resté dans une certaine ornière, d'où j'aurais voulu que l'industrie sortît depuis longtemps. L'industrie linière était en possession presque exclusive, depuis des siècles, de marchés qu'elle a perdus, non à raison des perfectionnements introduits dans les pays avec lesquels le nôtre était en relation, mais à raison des droits prohibitifs que la Flandre rencontre sur ces marchés.
On me dira, et c'est une accusation formulée depuis longtemps ; on me dira ; « Il fallait changer vos produits et chercher d'autres marchés. » Je suis d'accord avec vous jusqu'à un certain point. Mais les Flamands ne sont pas restés inactifs, ils ont cherché des marchés lointains ; or, rappelez-vous, messieurs, les malheurs qui ont pesé sur les Flandres, par suite des premiers tentatives faites dans ce but; rappelez-vous entre autres la catastrophe de la banque d'industrie d'Anvers et les ruines qu'elle a produites par son incurie, pour ne rien dire de plus ; rappelez-vous l'épouvante que ce désastre a répandue, la défiance qu'il a fait naitre dans les Flandres.
Voilà ce qui a arrêté les industriels. Après cela, qui me refusera le droit de dire que le commerce d'Anvers nous a mal secondés? Si d'ailleurs l'on ne s'était pas trop exclusivement attaché à la commission, pourquoi Anvers n'aurait-il pas pu prendre nos produits pour son compte, comme des maisons du Havre les prennent depuis plusieurs années, pour les exporter aux pays transatlantiques?
Je viens de dire pourquoi l'industrie flamande n'a plus osé se lancer vers les régions lointaines, ce qui n'aurait pas eu lieu, si elle avait été mieux secondée par le haut commerce.
Je dirai donc avec l'honorable M. Dumortier, que le commerce n'a pas assez fait pour l'industrie ; mais il vient d'entrer dans une nouvelle voie, je l'en remercie, comme je l'ai déjà fait précédemment. Qu'en est-il résulté ? L'honorable M. Osy a fait entendre que c'est parce que l'administration des prisons d'Anvers, a fait des produits dans les conditions voulues que le commerce d'Anvers s'est chargé de les exporter ; je crois au contraire que l'administration des prisons a fait fabriquer d'après les avis que lui a donnés le commerce d'Anvers; c'est le commerce qui lui a fourni des échantillons, et qui s'est chargé de l'exportation.
C'est là ce que je désire que le commerce d'Anvers continue à faire sur une plus grande échelle.
Quant à la commission de la prison de Saint-Bernard, dont on a parlé dans cette discussion, je ne puis partager l'opinion du député de Bruxelles, qui a taxé le gouvernement de socialisme pour avoir créé cette institution. C'est une exagération. On a vu quelque ressemblance entre ce comité et les ateliers nationaux, et on a dit : Le gouvernement fait du socialisme. Si on faisait du socialisme par cela seul qu'on établît un comité de travail, je dirais que je suis prêt à me déclarer socialiste.
Les ateliers nationaux assuraient un salaire élevé, quel que fût l'ouvrage produit ; le comité dont il s'agit rémunère le travail d'après sa valeur. C'est l'abus qu'il faut proscrire, en ce qu'il a pour effet d'entretenir la fainéantise en donnant un salaire pour un travail insignifiant; mais ici le gouvernement fait marcher le travail dans les voies industrielles ordinaires; j'approuve d'autant plus cette conduite que le comité du travail, d’après les explications qui ont été fournies dernièrement, n’est que temporaire et fera place à l'industrie particulière. Cette institution est du genre de celles qui existaient dans les Flandres, que nous appelions comités liniers et qui ont été supprimés trop tôt, selon moi.
Jamais nous n'avons voulu que ces comités servissent à entretenir la fainéantise, à nourrir la paresse; nous avons voulu créer des institutions salutaires, morales, propres à faire marcher l'ouvrier dans la voie du perfectionnement, en le soutenant quand il avait besoin d'être soutenu. Il y a une parfaite ressemblance entre le comité de Saint-Bernard et les comités liniers que l'on a eu tort de supprimer au milieu de la crise. J'ai déjà exprimé le désir, et je dois l'exprimer de nouveau, que le comité de Saint-Bernard, emploie autant que possible du fil belge, et notamment du fil à la main. Pour donner toutes les garanties à cet égard, on devrait y faire représenter ces intérêts. Pour terminer, je dirai que je regarde toutes ces institutions comme temporaires, comme réclamées par les besoins impérieux du moment, et destinées à pousser l'industrie dans la voie du progrès. J'aurais encore quelques observations à faire, mais l'heure est avancée, et plusieurs honorables membres désirent encore prendre la parole. Je saisirai une autre occasion pour m'exprimer sur plusieurs points qui ne présentent rien d'urgent.
M. Dumortier. - On a raison de dire que rien ne blesse comme la vérité et que rien ne fait crier un malade comme de mettre le doigt sur la plaie. Il paraît que j'ai mis le doigt sur la plaie à l'endroit d'Anvers, en disant qu'Anvers ne fait que la commission; l'honorable M. Loos a qualifié mes observations d'exagération. Je ne puis pas souffrir une pareille expression, elle n'est pas parlementaire.
M. le président. - Si l'expression n'était pas parlementaire, je ne l'aurais pas laissée passer.
M. Dumortier. - Si j'ai fait des exagérations, ayez le courage de les signaler, mais ne qualifiez pas mes paroles d'exagération, vous n'avez pas ce droit; justifiez vos expressions, elles ne sont pas convenables ; vous n'avez pas le droit de jeter un blâme sur le langage d'un de vos collègues, en le qualifiant de la sorte. Je le répète, ce n'est pas parlementaire !
M. le président. - On peut dire, sans manquer le moins du monde aux convenances parlementaires, qu'il y a de l'exagération dans les doctrines d'un collègue ou dans ses paroles.
(page 1483) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez dit qu'Anvers n'exportait que du sucre; c'est bien là je pense, de l'exagération !
M. Dumortier. - J'ai dit que l'exportation d'Anvers ne consistait presque qu'en sucres, que les produits manufacturés n'y entraient que pour une minime partie. Si on ne peut plus délibérer de sang-froid, ii faut renoncer à toute discussion.
On dit qu'Anvers ne peut pas se ruiner pour exporter nos produits. Personne ne veut qu'Anvers se ruine, mais est-ce que les villes étrangères qui se livrent à l'exportation de produits belges, Londres, Liverpool, Hambourg, le Havre, se ruinent ? Si les produits belges trouvent une exportation par ces villes, ils pourraient la trouver par Auvers sans ruiner cette ville. Je n'ai pas voulu attaquer Anvers ; j'ai signalé le vice de notre organisation; j'ai indiqué les moyens d'y porter remède. Nos travailleurs manquent de moyens d'existence parce que, faute d'exportation, l'ouvrage cesse; il faut que le gouvernement transforme le commerce d'Anvers, fasse en sorte qu'à la commission on substitue l'exportation.
Ce que je dis, chacun le pense depuis longtemps; je ne fais que dire tout haut ce que tout le monde dit tout bas depuis des années. Quand je viens énoncer une pareille vérité, je suis étonné d'entendre l'honorable M. Loos dire qu'il n'y a rien de sérieux dans mes paroles. Je serai plus juste envers M. Loos; je lui rends hommage pour ce qu'il a fait en faveur des toiles.
Vous tous qui appartenez à des villes manufacturières, voyez-vous venir les commerçants d'Anvers chercher vos produits pour les exporter? Députés de Gand, de Verviers, de Liège, de Tournay, répondez ! C’est qu'Anvers ne fait pas d'exportation de produits manufacturés, ou ce n'est qu'accessoirement quand ce devrait être l'objet principal. Le gouvernement devrait faire tourner les relations d'Anvers avec les contrées transatlantiques au profit de l'industrie nationale.
Loin de vouloir chercher à nuire à Anvers, je veux lui donner une source de bénéfices plus grands.
M. Loos. - L'honorable M. Dumortier a dit que l'on ne blessait jamais plus que quand on mettait le doigt sur la plaie. Si cela est vrai, j'aurais donc mis le doigt sur la plaie quand j'ai dit que son langage était empreint d'exagération, car cela paraît l'avoir vivement contrarié.
M. Dumortier. - Vous auriez mieux fait de cherchera me réfuter.
M. Loos. - Du reste, quand j'ai une opinion sur le langage d'un orateur, c'est à la chambre à décider si j'ai raison. Je trouve qu'il y a de l'exagération dans la manière dont s'est exprimé M. Dumortier ; c'est mon opinion; il ne s'ensuit pas que cette opinion soit partagée par la chambre.
Cependant je me rappelle qu'en plus d'une circonstance la chambre a pensé comme moi, qu'il y avait exagération dans la manière de s'exprimer de M. Dumortier.
M. Dumortier. - C'est une insolence !
M. le président. - Je ne puis laisser passer cette expression; j'engage M. Dumortier à la retirer.
M. Dumortier. - Je ne la retirerai pas.
M. le président. - Puisque vous ne retirez pas cette expression, je dois vous rappeler et je vous rappelle à l'ordre.
M. Dumortier. - Vous avez raison ; ce qui ne m'empêche pas d'avoir moi-même raison.
M. Loos. - Je ne pense pas qu'il y ait dans ce que j'ai dit rien qui puisse justifier cette expression.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Non ; vous avez très bien fait.
M. Devaux. - On peut taxer une opinion d'exagération ; il n'y a là rien d'antiparlementaire, c'est très permis.
M. Loos. - Si, après l'expression inconvenante de M. Dumortier, il m'était permis de réfuter ce qu'il a dit, je demanderais qu'il prît soin de prouver qu'Anvers opère autrement que les autres ports de mer. Il a cité les ports de Liverpool et du Havre; ces ports, dit-il, fonctionnent comme doivent fonctionner de véritables ports de mer. Mais M. Dumortier a-t-il prouvé que ce soient les armateurs, le commerce de Liverpool et du Havre qui fassent les exportations pour leur compte? Il n'a rien prouvé de semblable.
Dans le système du préopinant, que deviendrait la Suisse, qui n'a pas de port de mer ? Comment exporterait-elle ses produits? Bien que n'ayant pas de port de mer, la Suisse exporte considérablement. Cela prouve bien qu'il ne faut pas nécessairement à l'industrie un port de mer pour placer ses produits sur les marchés transatlantiques. Ce qu'il y a de vrai, c'est que jusqu'à présent l'industrie n'a pas produit pour l'exportation et qu'elle entre depuis peu dans une voie nouvelle.
Quand une industrie est favorisée par un système protecteur, quand elle se contente du marché intérieur, il est impossible qu'elle fabrique pour l'exportation. Quand le commerce allait chez le fabricant demander que l'on fît tel ou tel tissu, l'industriel trouvait plus profitable d’en faire d'autres, et les offrait à des prix plus élevés disant qu'ils étaient meilleurs; mais les prix étaient tels qu'on risquait, en les exportant, de ne pas vendre, ou de subir des pertes si considérables qu'on n'était guère tenté de recommencer de nouveaux essais.
Je dus qu’à moins qu’on ne veuille qu'Anvers se ruine pour compte de l'industrie, il faut que l'industrie fasse des produits exportables. Je dis que l'industrie est entrée dans cette voie ; elle l'aurait fait plus tôt, si plus tôt elle en avait senti le besoin.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy) présente un projet de loi tendant à transférer à Saint-Josse-ten-Noode, Ixelles et Molenbeek, les chefs-lieux de justice de paix des cantons de St-Pierre, de Woluwe, d'Uccle et d'Anderlecht.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet de loi, et, sur la proposition de M. Toussaint, en ordonne le renvoi à une commission de cinq membres nommés par le bureau.
M. de Man d'Attenrode dépose le rapport de la commission des finances sur le projet de loi de règlement de compte de l'exercice 1843.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.