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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 25 mai 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1439) M. Dubus fait l’appel nominal à 1 heure et quart.

- La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur de Peellaert, président du comité de la société des gens de (page 1440) lettres belges et les autres membres de ce comité demandent une loi sur la propriété intellectuelle. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Dedecker. - Messieurs, cette pétition est adressée à la chambre par la société des gens de lettres qui a été récemment fondée à Bruxelles; elle demande qu'on prenne des mesures contre la contrefaçon littéraire. Déjà à diverses reprises, il a été question de la contrefaçon littéraire dans cette enceinte. Vous savez que la destruction de la contrefaçon est une des conditions essentielles de l'existence d'une littérature nationale dans notre pays. A ce titre, je recommande la pétition à l'attention spéciale de la commission des pétitions, et je demande que la commission soit priée de faire un prompt rapport.


« Le sieur Quetelet, président de la commission administrative du Cercle artistique et littéraire à Bruxelles et les autres membres de cette commission demandent une loi sur la propriété artistique. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport.


« Plusieurs savants et industriels demandent une nouvelle législation sur les brevets d'invention. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Rodenbach. - Je demande un prompt rapport sur cette pétition.

- Adopté.


M. de Renesse, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé.

- Accordé.

Proposition de loi relative aux droits sur les bandages des roues et sur les axes de locomotive

Dépôt et rapport de la commission

M. Lesoinne. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie sur la pétition de M. Regnier-Poncelet, relativement aux droits d'entrée sur les bandages des roues et les axes de locomotive qui viennent de l'étranger.

- Le rapport sera mis à l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget de la dette publique pour l’exercice 1850

Discussion du tableau des crédits

Titre II. Rémunérations

Article 24

La discussion est ouverte sur l'amendement de M. Thiéfry à l'art. 24 de ce budget.

M. Lebeau. - Messieurs, la section centrale a déclaré, dans son dernier rapport, comme dans le premier, qu'elle entendait traiter l'honorable général qui est l'objet de ce débat, absolument comme elle traiterait un officier général belge. Plusieurs d'entre nous se sont empressés de prendre acte de cette déclaration ; et bien qu'on pût prétendre qu'il y a des circonstances exceptionnelles qui pourraient justifier une position privilégiée pour le général, objet du débat, je consens, quant à moi, à ne réclamer pour lui que les droits que, dans une position analogue, un officier général belge aurait acquis.

Messieurs, il est inutile d'insister sur l'origine de la loi actuellement en discussion. On sait qu'elle a été puisée dans la loi française du 11 avril 1831. C'est à une époque voisine de la promulgation de la loi de 1831, c'est-à-dire, dans l'année 1833, que le général Evain, alors ministre de la guerre, a présenté aux chambres belges le projet de loi qui est devenu la loi de 1838. Le général Evain, en présentant ce projet de loi, a reconnu les nombreux emprunts qu'il avait faits à la loi française, dont il a parlé avec un grand éloge. Voici le passage de l'exposé de motifs qui se rapporte à la partie de la loi qui est actuellement en discussion :

« Une autre modification que nous avons cru devoir emprunter à la loi française est celle qui accorde le cinquième en sus de la pension réglée, à tous les militaires, depuis le grade de caporal jusqu'à celui de général de division, après dix ans d'activité dans le grade où ils recevront leur retraite. »

En faisant cet emprunt, l'honorable ministre de la guerre de cette époque a-t-il dit qu'il le faisait avec quelque modification? qu'il ne l'acceptait pas dans toute sa portée? Pas un mot; il s'est borné à dire qu'il transportait dans la législation belge une disposition textuellement empruntée à la législation française.

Il est bon de reproduire encore une partie de l'exposé des motifs qui se rattache à cette disposition, pour bien faire comprendre à tout le monde quel est le but, le sens, l'esprit de celle disposition.

Ce sera, dit M. Evain, une juste récompense acquise à d'anciens et honorables services, et dont l'effet sera de diminuer le désir d'obtenir un nouveau grade avant d'être mis à la retraite, et qui conservera plus longtemps sous les drapeaux les militaires en état de rendre de bons services.

Le rapport sur le projet de loi de 1833 a été fait seulement dans le courant de juillet 1837 par M. Desmaisières.

Voici comment M. Desmaisières rend compte du travail de la section centrale sur la disposition qui fait l'objet du débat actuel :

« Cette disposition, a-t-il dit, est équitable et toute en faveur des officiers qui ont de longs et honorables services; ils ne seront plus poussés, dans un âge avancé, à obtenir de l'avancement pour jouir d'une augmentation de pension, la longue possession de leur grade actuel leur assurant un avantage analogue, etc. »

La section a adopté, mais a réduit à dix ans le temps à compter.

Motifs. - Ne pas pousser ceux qui ne pourraient plus rendre que des demi-services, à cause de leur âge, à demander de l'avancement.

Cependant, voulant prévenir l'abus, la section centrale écarte la réforme ; la réforme, dans le système proposé en France, compte non seulement pour la pension ordinaire, connue chez nous, mais aussi pour l’exception, pour l'augmentation du cinquième.

On aurait pu croire que l'état de réforme comptait aussi pour l'augmentation du cinquième, dans le projet présenté par l'honorable général Evain ; mais on a rayé le cas de réforme de la disposition qui concerne l'augmentation du cinquième; on l'a biffé pour la Belgique.

Après cette modification, cet article du projet de loi a été adopté sans discussion, soit à la chambre des représentants, soit au sénat.

La section centrale m'a fait l'honneur de citer mon opinion dans cette discussion.

Quelque faible que puisse être cette autorité sur les membres de la chambre, je dois cependant expliquer quelle fut cette opinion.

J'étais d'avis, lorsqu'on a discuté la loi de 1838, que même pour le règlement de la pension, abstraction faite de la question du cinquième en sus, il ne fallait pas assimiler la disponibilité l'activité, et je faisais dériver cette différence du traitement qui subit, quand on est en disponibilité, la réduction d'un tiers; ce nqi devait, selon moi, avoir pour conséquence de faire réduire également d'un tiers la pension, calculée pour les années de disponibilité.

Eh bien, mon opinion a été combattue, et elle a complètement succombé; on m'objectait la loi de 1836 sur la position des officiers. Je répondais alors : La loi de 1836 ne concerne pas les pensions; elle ne concerne que la position des officiers; vous ne pouvez en argumenter.

On a abandonné cette argumentation ; mais on a tranché la question entièrement contre mon opinion dans la loi même de 1838, celle qui est en discussion. J'ai dit que si l'on ne me donnait pas de bons arguments pour ne pas insister, je présenterais un amendement.

Les honorables ministre de la guerre, et MM. Desmaisières et de Jaegher ont répondu à mon argumentation ; leurs observations m'ont paru tellement concluantes que je n'ai pas insisté ; je n'ai pas présenté d'amendement.

Je demande pardon à la chambre de l'avoir entretenue de moi. Je ne l'aurais pas fait, si la section centrale ne m'avait pas appelé, très mal à propos, à son aide.

Il y a un simple rapprochement que je prie mes honorables contradicteurs et spécialement les honorables membres de la section centrale de vouloir bien faire entre les articles 4 et 18 de la loi belge.

L'article 4 est ainsi conçu :

« Titre premier. Droit à la pension de retraire pour ancienneté de service

« Art. 4. Le temps passé hors d'activité sans traitement ne peut compter dans la supputation du service.

« Le temps passé en disponibilité compte pour toute sa durée; il en est de même du temps passé en non-activité pour cause de maladie contractée à l'occasion du service, pour licenciement de corps ou suppression d'emploi.

« Le temps passé en non-activité pour toute autre cause compte pour la moitié de la durée, et le temps passé en réforme pour le quart seulement. »

Le titre II est sans rapport avec la discussion. Il porte : Droits à la pension de retraite pour cause de blessures ou d'infirmités. Le titre III concerne les veuves et les orphelins. Le titre IV porte : Fixation des pensions de retraite.

« Première section. Par ancienneté de service ».

C'est là qu'est placé l'article 17 objet de la discussion, et voici le texte :

« La pension de retraite de tout officier, sous-officier, caporal et brigadier, à l’exception des officiers mis au traitement de réforme, ayant douze années d'activité dans son grade, est augmentée du cinquième. »

Ainsi, pour le règlement de la pension, dans tous les cas où il ne s'agit pas de faire application de l'article 17, c'est-à-dire du cinquième, dans tous ces cas, la réforme compte pour un quart dans la supputation du chiffre de la pension. La généralité et la précision des termes de l'article 4 ne comportent pas d'exception. Mais si toutes les positions, autres que celle d'activité, ne doivent agir que dans le sens de l'article 4 et jamais dans le sens de l'article 17, il est évident que la loi commettrait un pléonasme en renfermant une exception, une seule exception dans l'article 17.

Eh bien, l'article 17 renferme une exception ; et cette exception prouve que, bien que la réforme compte en tous cas pour un quart de la durée du service dans le règlement de la pension liquidée en vertu de l'article 4, elle ne doit plus compter quand il s'agit d'appliquer l'article 17 conférant un avantage spécial, l'augmentation du cinquième pour dix années de grade. La loi n'exclut donc du bénéfice de l'article 17 que la réforme, c'est la seule exception qu'elle a formulée: la réforme; si elle avait voulu exclure la non-activité ou la disponibilité du bénéfice de l'article 17, bien positivement elle l'eût dit.

Si elle n'avait voulu admettre que la seule activité, alors toute espèce de restriction devenait parfaitement inutile dans l'article 17. Il est évident que si la non-activité, si la disponibilité ne peuvent pas compter pour l'application de l'article 17, à bien plus forte raison la réforme. Il était donc parfaitement superflu de l'exclure par l'article 17. Ou l'article 17 n'a pas de sens, ou il a celui que j'ai l'honneur de désigner à la chambre.

Messieurs, serait-il donc vrai que jamais l'article 17 ne puisse trouver son (page 1441) application, que quand il y a dans le sens littéral du mot douze années, dix années aujourd'hui, d'activité dans un grade? L'assimilation à l'activité même, de la disponibilité et d'une certaine non-activité qui est admise pour le règlement ordinaire de la pension, doit-elle être repoussée, dès qu'il ne s'agit plus exclusivement de la pension ordinaire, non augmentée d'un cinquième ? Il me semble que c'est là la question.

Eh bien ! messieurs, si vous répondez qu'il faut, dans tous les temps, dans tous les cas, dix années de service actif, d'activité de service dans son grade, vous n'exclurez pas le bénéfice de l'article 17 seulement dans les hypothèses qui sont l'objet du débat actuel, mais vous allez même, en repoussant l'assimilation d'une manière absolue, arriver à une conséquence qui, je pense, ne s'est pas présentée à l'esprit de la section centrale.

Je la trouve dans les articles 14 et 15 de la loi, toujours sous la rubrique fixation des pensions de retraite par ancienneté de service.

« Art. 14, tout le temps du service des militaires aux armées mises sur le pied de guerre sera compté double, dans le règlement de leurs années de service, pour l'obtention de la pension de retraite. »

L'article 15 développe ces principes.

Ainsi, messieurs, supposez qu'un colonel soit promu général-major, à l'âge de 55 ans, à l'approche d'une guerre. Il entre en campagne; il vit cinq ans sur les champs de bataille.

Or, la paix, les fatigues de h guerre devançant pour lui l'heure de la retraite, l'obligent à demander sa pension. Il dit : Je n*ai pas passé dix années d'activité à me promener, mon épée au côté, dans les rues de Bruxelles ou dans les allées du Parc, regrettant de ne pas mieux les employer; mais j'ai passé cinq ans sur les champs de bataille; je demande qu'on liquide ma pension et je demande que mes cinq années comptent pour dix et qu'on me fasse l'application de l'article 17.

Je ne sais s'il existe un seul d'entre vous, s'il existe un ministre de la guerre qui osât dire que l'assimilation ne peut aller jusque-là. Par opposition à la manière dont sans nul doute on applique la loi en France, d'où la loi belge a été tirée, les 5 années passées ainsi ne compteront pas plus, quand il réclamera les bénéfices de l'article 17, quoiqu'il les eût passées sur les champs de bataille, exposant chaque jour sa vie pour défendre votre pays, que s'il les avait passées dans des garnisons.

Il faut que la section centrale, si elle repousse toute assimilation en vertu de l'article. 17, aille jusque-là.

Messieurs, je ne voudrais pas donner à ces débats trop de développements. Cependant il m'est impossible de ne pas placer, à côté d'une opinion puisée dans l'examen des textes, des considérations puisées dans la situation de l'honorable général dont il est question et dans tous les précédents.

D'abord la jurisprudence, l'application de la loi, la section centrale ne le méconnaît point, a été presque toujours, je ne sache pas qu'il y ait d'exception, a été toujours dans le sens de l'opinion que je défends, et cela depuis plus de dix ans.

La section centrale trouve que ces précédents auraient plus de valeur s'ils pouvaient s'appliquer à un officier général, et elle affirme que jamais il n'a été fait d'application de l'article 17, dans le sens de l'interprétation que nous lui donnons, à un officier général belge.

Eh bien, la section centrale s'est trompée et je fais un appel à sa bonne foi, à sa loyauté : voulant traiter le général dont il est question comme un général belge, s'il est prouvé que la loi a été appliquée sans contestation, sans critique aux généraux belges, comme nous demandons qu'elle soit appliquée au général dont il s'agit, j'attends de sa loyauté qu'elle reconnaisse tout ce que cet antécédent aura de force.

Eh bien, messieurs, il est à ma connaissance qu'un officier général belge a été promu dans le mois de mai 1831, au grade de général major et mis immédiatement en disponibilité ; il est resté dans l'état de disponibilité pendant 14 ans à son très grand regret, car, puisque j'en parle, je dois dire qu'en 1839 il a offert ses services gratuitement pour la défense de la patrie, si la guerre éclatait. Il a été nommé au mois de mai 1831, il a été mis immédiatement en disponibilité, et encore, circonstance tout exceptionnelle et qui augmente le poids du précédent, avec la solde de non activité ! Il n'a pas été un seul jour en activité de service; sa pension a été liquidée et ses années de disponibilité ont compté comme années d'activité et lui ont conféré l'avantage du cinquième. Ce règlement n'a pas rencontré de difficulté de la part de la cour des comptes, si sévère, si inquisitoriale quand il s'agit des deniers publics.

La cour des comptes sait qu'elle est responsable envers la chambre des représentants, moralement parlant, responsable de ses décisions ; la cour des comptes, cependant, n'a pas hésité de faire de la loi l'application dont je viens d'entretenir la chambre; c'est quelque chose, messieurs, que l'opinion de la cour des comptes, non pas seulement dans cette circonstance récente, mais à toutes les époques qui ont amené l'application de la loi de 1838.

C'est quelque chose. On dit que la cour des comptes n'a pas visé le brevet, qu'elle n'a pas engagé sa responsabilité, qu'elle n'a donné qu'un avis officieux.

Cette distinction ne me paraît pas très forte; mais cette distinction, vous ne pouvez pas la faire pour le cas que je viens de citer, me déclarant prêt à désigner le personnage dont il s'agit, attendu qu'il n'y a rien là qui puisse porter la moindre atteinte à sa considération ; la cour des comptes n'a pas hésité à donner son visa sur le brevet délivré à ce général, comme à d'autres officiers d'un grade inférieur.

Ainsi, abstraction faite des considérations auxquelles je me suis livre sur le sens de l'article, voilà des précédents; il n'y en a pas un seul, je crois, qui ne soit contraire aux prétentions de la section centrale.

Après que la loi a été constamment appliquée ainsi pendant plus de dix ans, on voudra introduire une dérogation, un changement de jurisprudence. Et qui est-ce qui va inaugurer ce changement de jurisprudence ? Sur qui va tomber cette dérogation, ou, si vous voulez, cette interprétation, en tous cas plus ou moins contestable de la loi? Elle va tomber sur un étranger. Un étranger ! Ce mot seul, en Belgique et dans une chambre belge, éveille déjà une sollicitude toute spéciale; car il se rattache à ce mot d'étranger les idées de cette hospitalité belge qui fait une partie de sa gloire à l'étranger.

Il s'agit d'un étranger; personne, messieurs, qu'il me soit permis de le dire, personne n'a condamné plus énergiquement que moi l'acte qui l'a appelé chez nous; personne plus que moi n'a déploré, dans l'intérêt de nos rapports politiques et commerciaux, cet acte imprudent, sur lequel je ne veux pas revenir davantage pour ne pas aigrir ce débat.

Mais qui doit en subir la responsabilité ? Est-ce celui qui a cru à la sincérité de cette démonstration belliqueuse de 1839? Est-ce celui qui, répondant à notre appel, est venu nous apporter le secours de son épée ? Est-ce celui que nous avions élevé assez haut dans notre estime pour l'avoir désigné comme le défenseur de notre indépendance, pour le mettre à la tête de notre armée, si cette armée avait à la défendre sur le champ de bataille ?

Aux considérations qu'a fait valoir d'une manière si puissante l’honorable M. Le Hon, j'ajoute que cette disponibilité dont on voudrait faire un grief contre le général, en amoindrissant la position qui lui a été faite par le gouvernement; que cette disponibilité, il l'a subie, subie sans doute avec douleur, comme un fait de force majeure contre lequel, j'en suis sûr, sa dignité, ses sentiments personnels ont intérieurement, mais énergiquement, protesté.

Cette seule considération, si même il y avait doute sur la question qui s'agite devant vous, devrait faire pencher la balance du côté de l'honorable général.

La section centrale a émis des doutes sur la légalité de l'assimilation des services du général, rendus à l'étranger, avec ses services belges. Cette considération, je le dis à son honneur, ne l'a pas arrêtée un seul instant. Laissant de côté quelques scrupules de légalité, elle n'a vu dans le débat qu'une question de loyauté, d'honneur national; la section centrale, à son insu et malgré l'excellence de ses intentions, la section centrale est restée à mi-chemin du but vers lequel elle nous propose d'aller avec elle.

Si la loi est obscure, si elle est défectueuse, qu'on l'interprète ou qu'on la change ; mais qu'on ne commence pas aujourd'hui à en modifier l'application dans un sens rigoureux et dommageable, alors que tous les précédents autorisaient le cabinet à agir comme il a agi ; si on a cru que l'honneur national, la loyauté, commandaient d'assimiler les services rendus à l'étranger par le général avec les services belges, ces puissantes considérations exigent qu'on fasse un pas de plus. Je crois, quant à moi, la loyauté belge et l'honneur national aussi engagés dans cette seconde question que dans la première.

M. Lelièvre. - La question qui nous est soumise est une question de droit relative à l'interprétation de l'article 17 de la loi du 28 mai 1838. Il s'agit de savoir quel est le sens de cet article, quelle volonté a présidé à sa rédaction. Pour interpréter sainement un texte légal, il est indispensable de ne pas perdre de vue la nature de la disposition qu'il renferme.

Or, en se livrant à un examen attentif de l'article en question, on reste convaincu qu'il renferme une disposition exceptionnelle, une faveur spéciale en dehors du principe général de la loi. Les expressions du deuxième paragraphe, dans ce cas spécial, le bénéfice du présent article est acquis,, etc., ne laissent aucun doute à cet égard.

Cette vérité découle également du caractère de la disposition augmentant, dans un cas particulier, la pension d'un cinquième.

Or, si l'article 17 contient une exception, il est clair que celle-ci doit être restreinte dans ses termes clairs et précis, et que même pour cause d'analogie, l'on ne peut étendre l'exception d'un cas à un autre.

La disposition que nous discutons est formelle, elle exige douze années d'activité dans le grade; l'assimilation de la disponibilité à l'activité est évidemment une extension de l'exception, ce qui est contraire aux règles élémentaires en matière d'interprétation. En admettant que, dans quelques articles de la loi, la disponibilité soit placée sur la même ligne que l'activité, il n'en peut être ainsi lorsqu'il s'agit d'une exception et d'une faveur qui, pour être admises, ont besoin de s'appuyer sur un texte précis.

C'est donc étendre l'exception à une hypothèse rentrant au contraire dans la règle générale, que d'étendre à la disponibilité la disposition limitée à l'activité. Et l'on conçoit l'esprit de la loi. Le législateur a voulu conférer une faveur spéciale à l'officier qui peut invoquer douze années de service actif, et certes d'après la nature des choses, celui qui ne compte que douze années de disponibilité ne se trouve pas dans une position aussi favorable et méritant les mêmes avantages.

Mais, dit l’honorable M. Lebeau, l'article 17 ne fait exception qu'en ce qui concerne les officiers mis en traitement de réforme, par conséquent la disposition formant la règle de cet article est applicable aux officiers en disponibilité.

C'est, à mon avis, donner à la loi une interprétation erronée, et la simple inspection du texte le prouve clairement.

(page 1442) Que veut la loi? Son intention est évidente, elle déclare que l'officier mis à la reforme alors même qu'il pourrait invoquer douze années de service, n'a pas de titre pour réclamer l'augmentation d'un cinquième. Pourquoi? parce que, comme l'on n'est mis au traitement de réforme que pour une faute quelconque, le législateur a pensé que cette circonstance rendait l'officier placé en cette position indigne de la faveur particulière dont il s'agit. Mais il est clair que, pour obtenir le bénéfice décrété par l'article 17, il faut pouvoir invoquer la condition principale, la condition substantielle (douze années de service actif). Voilà qui constitue le fond dc la disposition et à cette condition seule est attaché l'avantage décrété par la loi.

Et certes le général dont nous nous occupons ne peut réclamer davantage; nous le traitons comme Belge, nous lui donnons la position d'un de nos généraux; or, lorsque nous plaçons un étranger sur la même ligne que nos compatriotes, il me semble que nous nous montrons généreux et que nous remplissons largement ce qu'on peut raisonnablement exiger.

M. de Mérode. - Messieurs, j'ai lu avec beaucoup d'attention le rapport fait au nom de la section centrale par M. Mercier. Je vous l'ai déjà dit, je n'ai pas l'habitude de juger des questions compliquées sur l'application des lois et des règlements plus ou moins obscurs dans leur enchevêtrement mutuel, et par conséquent fort peu de prétention à cet égard. Mais ce qui me paraît parfaitement clair, c'est qu'on a produit ici beaucoup de brouillard, et qu'en cet épais nuage on s'est exposé a frapper en aveugle un droit acquis par ce qu'il y a de plus honorable et de plus grand à mes yeux, par l'épée d'un brave et illustre soldat. En effet, M. le ministre de la guerre, aidé du conseil qui l'entoure, et qui n'a pas cherché le moins du monde à favoriser le général Skrzynecki, j'en ai la certitude ; d'autre part la cour des comptes faillible quelquefois peut-être, mais dont l'autorité est forte pour ce qui concerne de tels objet; enfin l'honorable M. Mercier, ancien ministre des finances, auquel on ne peut non plus contester une compétence spéciale dans ce débat, sont persuadés que les objections faites contre la fixation de la retraite, sujet du litige, ne sont point valables.

En sens inverse, je vois comme juges MM. l'abbé de Haerne, Destriveaux, de Royer et Osy. Moi qui ne possède à l'égard de ce procès concernant une douzaine de cents francs, qu'il s'agit d'enlever a la pension de l'un des chefs militaires les plus marquant de l'Europe venu en Belgique, ma patrie, pour lui conserver, s'il était possible, l'intégrité de son territoire, moi qui ne possède, dis-je, au point de vue de légiste en cette affaire qu'une balance à laquelle je ne me fie pas du tout, j'en ai dans le cœur une autre dont je suis sûr et certain, c'est elle qui ne penche jamais, quand l'honneur national est en cause, d'un côté douteux. Pour retrancher une part de sa modeste pension au chef des armées polonaises dont la résistance héroïque contribua si puissamment à affranchir en 1830 nos provinces du joug de la Hollande, il me faudrait l'évidence du droit légal, évidence que je regretterais d'avoir sous les yeux, mais qui ne brille certes pas ici; et ce sentiment de juste susceptibilité et de délicatesse de conduite à tenir envers un étranger qu'on arrachait à sa retraite où il pouvait vivre de sa modique fortune privée, et qui n'hésitait point dès qu'il s'agissait de combattre pour la cause belge, parce qu'elle était juste, ce sentiment je ne suis pas seul à l'éprouver.

Ainsi nos honorables collègues MM. Dolez, le comte Le Hon et Lebeau vous ont invités à passer sur la difficulté quant à la personne du général en chef de l'armée qui nous détendait au bord de la Vistule en 1831.

Oui messieurs, qui nous défendait; car alors nous membres anciens du congrès belge, qui figurons encore dans cette chambre, nous n'oublions pas nos impressions de cette époque et la solidarité qui nous attachait alors si vivement à la cause polonaise.

Messieurs, vous disait dans la séance du 22, le représentant de Tournay ancien membre du congrès: « Je me crois obligé de faire connaître à la chambre le motif qui a déterminé la mise en disponibilité d'un officier général étranger qui avait été appelé au service de la Belgique dans un moment où la guerre semblait imminente. Il y a, dit-on, au fond de cette question spéciale un intérêt d'honneur pour la Belgique. Je suis de cet avis, et chacun de nous peut se demander comment, après avoir appelé un général polonais à commander notre armée, on a pris l'étrange résolution de le mettre immédiatement en disponibilité ; car bien qu'on ne fit pas la guerre, cet officier, on doit le reconnaître, pouvait figurer dans le cadre d'activité, il était même convenable et juste de l'y maintenir pendant la paix, lui que l'on avait jugé capable de soutenir les fatigues du commandement en campagne et qui avait accepté, pour défendre notre cause, les conséquences de l'expatriation. » Car, notez-le bien, le général appartenait à la Galicie, partie de la Pologne soumise à l'Autriche, sous l'empire de laquelle étaient placés ses biens, et Prague, qu'on lui avait assigné comme résidence, n'en était pas éloigné.

A-t-on opposé quelque raison sérieuse, en ce qui concerne la question d'honneur, aux observations si bien fondées de M. le comte Le Hon, lorsqu'il ajoutait à ce que je viens de citer, ce qui suit :

« Sans entrer dans le détail des faits qui ne comportent pas la publicité de la tribune, je vous dirai que la mise en disponibilité de cet officier général a été fondée sur des raisons très graves, non d'ordre militaire mais de haute politique. Je vous le demande maintenant, continue M. Le Hon, quand vous avez à résoudre une question de bonne foi et de dignité nationale, pouvez-vous faire peser sur un officier général la mesure qui l'a atteint dans un intérêt de politique belge en dehors de toute considération de service et de discipline? » Ma conscience me dit que l'homme qui s'était rendu chez nous à l'appel du gouvernement pour y exercer un commandement actif et qu'on a placé en état de disponibilité pendant dix ans par des raisons impérieuses de nécessité politique, est vis-à-vis de la chambre et de notre législation militaire dans une situation tout exceptionnelle et qu'il ne serait pas équitable d'argumenter contre lui, de la position que la force majeure des circonstances lui a faite, pour lui dénier un droit qui eût été reconnu incontestable si l'homme n'avait pas été sacrifié à la raison d'Etat.

Ainsi, selon l'honorable représentant de Tournay, quand même la question légale serait aussi claire qu'elle est obscure, pour le moins vous devriez encore faire une exception à l'égard de l'ancien général en chef appelé en Belgique par votre gouvernement; mais loin de là c'est par lui qu'on vous propose de commencer l'expérience d'une nouvelle interprétation de la règle suivie et absolument contraire aux précédents cités dans le rapport de M. Mercier.

L'honorable M. Dolez vous a dit également. « Il siérait à la dignité de la chambre et du pays de passer outre au vote de la pension du général Skrzynecki ; il faut bien reconnaitre qu'il y a pour cet officier général une position exceptionnelle. »

Et M. Lebeau ajoutait : « Quant à moi, je regarde comme un devoir d'appuyer la motion de M. Dolez. » Et cependant, messieurs, à l'époque où vint le général en Belgique, la politique de ces honorables membres était contraire au système en vertu duquel il y était appelé. Aussi je leur rends grâce, ainsi qu'à M. le comte Le Hon du concours si franc qu'ils m'ont donné. Car, remarquez-le, messieurs, si M. Lebeau regardait comme un devoir d'appuyer les paroles de M. Dolez, à plus forte raison est-ce une obligation sacrée pour moi, qui ai été l'intermédiaire entre le gouvernement et le général de défendre ses droits.

Quelques membres de cette chambre , étonnés de ma persistance, m'ont demandé en conversation particulière si j'étais son parent. Je leur ai répondu que non. Mais il y a une parenté dont je tiendrai toujours à conserver précieusement les liens : c'est la parenté avec la bonne foi avec l'honneur, avec la plus haute considération pour tout homme de guerre qui réunit dans sa personne la bravoure, et l'intelligence, et l'expérience du commandement supérieur et un patriotisme dévoué. Car de tels hommes, messieurs, quand les circonstances le permettent, quand ils ne sont pas écrasés par une force en quelque sorte insurmontable, exercent l'art sauveur de la patrie.

N'oublions pas ce qu'il en coûte à une nation qui ne possède pas ces artistes si difficiles à former, parce que la plupart périssent en étudiant ce redoutable métier; et ne décourageons point ceux qui l'apprennent, en épluchant avec la dernière rigueur, comme marchandise, les services de ceux qui l'ont appris au milieu de la mitraille et des boulets.

Ces observations, messieurs, ne sont du reste que subsidiaires aux arguments d'ordre légal que vient de vous présenter M. Lebeau qui conservent toute leur valeur, et qui ont, du reste, toutes mes sympathies ; car la cause que je soutiens n'est pas seulement pour moi celle d'un individu,, mais celle de la plus importante, de la plus périlleuse et de la plus illustre des professions.

M. Thiéfry. - La loi de 1836 indique parfaitement les diverses positions de l'officier. Je ne relirai pas les articles, puisque tout le monde reconnaît qu'il existe une différence entre l'activité et la disponibilité. Il reste donc à voir si la loi de 1838 donne réellement lieu à interprétation.

Elle est divisée eu chapitres distincts. Le titre premier concerne les droits à la retraite, et ces droits s'obtiennent par l'âge et par les années de service; tous les articles qu'il renferme ont trait à ces deux objets, et l'article 4, que l'on invoque, ne fait qu'indiquer les positions particulières qui permettent de compter tout ou partie de l’année, comme année de service donnant droit à la pension ; quant à la rétribution même, rien de ce chapitre n'y est applicable.

Le titre IV intitulé : « Fixation des pensions de retraite, » est le seul à consulter pour connaître la quotité que chaque militaire doit recevoir.

L'article 17 dit : « La pension de retraite de tout officier, sous-officier, caporal ou brigadier, à l'exception des officiers mis au traitement de réforme, ayant 12 années d'activité dans son grade, est augmentée du cinquième. »

Nous savons tous que le terme de douze ans a été en 1842 réduit à dix. Est-il permis, messieurs, de voir dans cet article un mot qui puisse donner lieu à interprétation? Non, messieurs, tout y est clairement exprimé. Le cinquième est une faveur accordée à celui qui a dix années d'activité dans son grade : cette condition seule donne des droits à cette augmentation de pension. Mais, dit la loi, quand même vous auriez dix années d'activité dans votre grade, vous perdrez vos droits à ce supplément, si vous êtes au traitement de réforme. L'on ne doit pas voir par là un avantage concédé aux autres officiers, c'est seulement une punition de plus que l'on inflige à celui qui déshonore l’épaulette; car, remarquez-le bien, messieurs, le traitement de réforme est une peine des plus sévères qui ne peut être infligée que par arrêté royal motivé : un général dans cette position n'a que le cinquième de la solde d'activité, et les autres officiers n'ont que le quart. Si l'on exclut cette catégorie de militaires du bénéfice de l'article 17, il n'en résulte aucun changement aux conditions imposées aux autres, c'est-à-dire que dans toute circonstance il faut dix années d'activité dans le grade.

Maintenant que j'ai expliqué la loi par le texte même, consultons le Moniteur afin de savoir ce qui s'est passé pour son adoption. D'abord vous remarquerez une seule discussion sur l'article 4, et absolument rien (page 1443) sur l'article 17 ; donc ce dernier article a paru clair a tout le monde, et il faut alors le suivre à la lettre. L'article 4, au contraire, a donné lieu à des débats, mais à des débats qui viennent renforcer mon opinion : ils ne concernent que la durée du service.

Je ne vois, moi, dans la disponibilité que l'impossibilité d'y obtenir des droits au cinquième en sus du maximum : l'honorable M. Lebeau allait bien plus loin que moi, il voulait que le temps passé en disponibilité ne comptât que pour les deux tiers du temps d'activité; il trouvait alors que la loi n'assimile la disponibilité à l'activité que pour le temps de service, quand il s'agit de l'avancement; il ne comprenait pas comment les pensions pouvaient être réglées sur le même pied, tandis qu'il y a une différence dans les traitements. Cette opinion n’a pas prévalu.

Il en résulte néanmoins que je donne à la loi la véritable interprétation que le législateur lui a donnée ; et que ma manière de l’envisager est beaucoup plus favorable aux intéressés que celle que voulaient faire admettre ceux qui me combattent aujourd'hui.

Je ne demande pas de changement dans la jurisprudence ; je propose l'exécution de la loi.

On invoque la législation française et l'on ajoute que l'on y a puisé les dispositions de l'article qui fait l'objet de la discussion. Nous n'avons pas à voir, messieurs, où le ministre a été chercher ses inspirations, ni de quelle manière on exécute la loi chez nos voisins ; cela est entièrement étranger à la question ; nous devons seulement voir le texte de la loi belge et consulter les discussions qui ont eu lieu. Le rapport supplémentaire de la section centrale ne laisse rien à désirer à ce sujet.

On m'a dit que l'application de la loi comme je l'entends ferait naître des injustices en refusant le maximum à celui qui, après 8 ou 9 ans d'activité dans le grade, deviendrait malade et serait placé en disponibilité, puis mis à la retraite ou bien placé en non-activité contre son gré. Cette objection, messieurs, n'est pas à sa place; ce n'est pas aujourd'hui qu'il faut la présenter, c'était au moment de la discussion de la loi, car elle s'applique, non à l'interprétation, mais à la loi elle-même. Or nous n'avons pas à examiner si la loi est bonne ou mauvaise, nous avons seulement à l'exécuter comme le législateur l'a faite. Cette exception, d'ailleurs, on ne l'évitera jamais; il y aura toujours des officiers qui seront incapables de servir à une époque où ils auront 8 ou 9 ans d'activité dans le grade. Je vous citerai, si cela est nécessaire, plusieurs généraux auxquels il n'a manqué que bien peu de temps pour avoir le cinquième, et je ne me souviens pas qu'une seule réclamation ait eu lieu pour la leur faire obtenir.

On objecte aussi qu'il y a des antécédents, que la cour des comptes a interprété la loi dans un autre sens que lui donnera mon amendement. C'est que, messieurs, elle n'en a pas examiné le texte avec assez d'attention. C'est à nous, par un vote significatif, à la prévenir qu'elle a donné une fausse application à l'article 17. Ne voyons-nous pas tous les jours les cours d'appel réformer les jugements des tribunaux de première instance, et la cour de cassation annuler un arrêt de la cour d'appel ? Pourquoi n'en serait-il pas ainsi entre nous et la cour des comptes?

Les adversaires de l'amendement m'opposent aussi des considérations qui n'ont aucun rapport avec la loi. On m'a dit qu'il y avait un engagement d'honneur : c'est parce que la section centrale et moi-même nous envisageons la question sous ce point de vue que nous abandonnons le stricte droit pour traiter le général comme un officier belge. Mais on ne peut aller au-delà sans enfreindre la loi. Le premier engagement d'honneur que contracte un député, c'est de remplir son devoir, et son premier devoir est de faire respecter la loi. Déjà on s'en est écarté en conservant le général en disponibilité pendant dix ans, et vous voudriez encore aujourd'hui, vous législateur, faire ce que la loi vous défend ! Non, messieurs, j'ai la certitude que la chambre ne posera pas un acte aussi impolitique. Il ne s'agit pas ici d'une économie de 1,260 fr., c'est une question de principe, de légalité, sur laquelle vous avez à prononcer.

On veut faire plus d'avantages à un étranger qui se voue à la défense de notre pays, qu'à un officier belge, parce que pour celui-ci il y a obligation de défendre la Belgique. Je laisse à chacun le soin d'apprécier le dévouement et de savoir jusqu'où doit aller la reconnaissance ; mais pour moi, messieurs, comme je un saurais traiter personne plus favorablement que mon propre enfant, je ne puis non plus me résoudre à faire une meilleure position à un étranger qu'à un officier belge qui est l'enfant de la patrie.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je ne veux pas prolonger cette discussion. Cependant je tiens à faire connaître à la chambre quelle a été l'attitude du gouvernement dans cette question, afin que personne ne puisse se méprendre à cet égard.

Le gouvernement, par mesure d'économie, a été obligé de supprimer plusieurs emplois, et par conséquent de mettre à la retraite ceux qui les occupaient. Dans presque tous les départements ministériels, ce fait a eu lieu; le département de la guerre, supprima des commandants de province, des commandants de place et mit à la retraite les titulaires de ces emplois. Deux officiers généraux se trouvaient, en outre, dans une position exceptionnelle, étant sans emploi et touchant un traitement, l'un d'activité, l'autre de disponibilité, c'étaient les généraux Evain et Skrzynecki.

Or, pour satisfaire aux vœux d'économie exprimés par la chambre, le gouvernement a résolu de mettre ces deux généraux à la retraite. Comment fallait-il les traiter dans cette circonstance? Comme on avait toujours traité les officiers belges. C'est ce qui a eu lieu.

Le général Skrzynecki, en ne comptant ses services que du jour de son arrivée en Belgique, jusqu'au moment où on le mettait à la retraite, n'avait que 9 ans 11 mois de services; par conséquent, la première liquidation de pension, faite par le département de la guerre, ne lui donnait pas en sus le cinquième accordé pour dix ans de grade.

Pourquoi liquidait-on ainsi sa pension ? Parce que le département de j la guerre ignorait les engagements contractés vis-à-vis du général Skrzynecki, lorsqu'on l'avait appelé en Belgique. Le général Skrzynecki fit valoir ces engagements et produisit les documents qui les constataient. Il fallut alors compter son ancienneté à dater du jour de sa nomination en Pologne et lui accorder le cinquième en sus, comme on l'avait fait aux autres officiers belges qui étaient dans le même cas.

Il ne faut pas croire que cette interprétation de la loi soit sans antécédents. Un officier général, nommé par le Régent, a été mis en disponibilité comme le général Skrzynecki, avec une condition moins favorable, puisqu'il a été mis en disponibilité avec traitement de non-activité. Quand cet officier a été mis à la retraite, on lui a compté comme activité le temps passé en disponibilité, et il a eu un cinquième en sus. Voilà un fait positif. J'ai en main l’arrêté officiel du Régent qui a mis en disponibilité le général-major Mercx, ancien colonel, le jour de sa nomination comme général. Il a été pensionné avec un cinquième en sus, comme le général Skrzynecki.

Messieurs, cette interprétation de la loi a été constante depuis sa promulgation et la cour des comptes l’a toujours admise. Ce n'est pas seulement à l'occasion de la pension du général Skrzynecki qu'elle a été consultée par le gouvernement sur ce point.

En 1843, le département de la guerre a écrit à la cour des comptes pour demander s'il devait continuer à interpréter la loi sur les pensions militaires comme il l'avait fait jusque-là; la cour a répondu affirmativement, et la lettre a été envoyée à la section centrale.

Pour moi, je ne pense pas non plus qu'il puisse y avoir le moindre doute à cet égard, car la loi sur les pensions militaires a été en quelque sorte copiée sur la loi française; or, en France on interprète la loi comme chez nous.

Si on examine l'article 11 de la loi française, on voit que les pensions des caporaux sous-officiers et officiers, quand ils ont 12 ans de grade, sont augmentées d'un cinquième. L'article 33 dit que le temps passé en non-activité et même en réforme comptera comme activité pour l'obtention du cinquième en sus. Cela est en toutes lettres dans la loi française.

Le même esprit a dirigé la législature belge ; elle a voulu que nos officiers fussent placés dans la même position que les officiers français et eussent le même droit.

L'article 17 est bien positif. Il dit : La pension de retraite de tout officier, sous-officier, caporal et brigadier, « à l'exception des officiers mis au traitement de réforme », ayant 10 années d'activité dans leur grade, est augmentée du cinquième.

Pourquoi cette exception à l'endroit des officiers mis au traitement de réforme? C'est que la position de la réforme n'est pas la même en France qu'en Belgique.

En France, la réforme est la position de l'officier qui n'a pas d'emploi; en Belgique, c'est une punition infligée pour incapacité ou inconduite; le législateur n'a pas voulu que, dans cette position, l'officier jouît de l'augmentation du cinquième; vous ne pouvez pas lui assimiler l'officier mis en disponibilité par suite de blessures reçues sur le champ de bataille; car, outre ces souffrances, celui-ci aurait ainsi le regret d'être lésé dans la fixation de sa pension.

C'est pourquoi l'article 17 a stipulé que l'officier au traitement de réforme seul n'aurait pas droit au cinquième en sus. Si vous lui donniez l'interprétation que lui attribuent certains membres, il en résulterait que l'officier ayant bien servi, qui aurait été blessé et mis en disponibilité à cause de ses blessures, serait traité identiquement comme l'officier mis au traitement de réforme pour manque de zèle, incapacité ou mauvaise conduite. Ce n'est pas là certainement l'intention qu'a eue la chambre en votant cet article de la loi.

Remarquez que si l'interprétation que je combats était adoptée, elle frapperait une catégorie d'officiers qui doit vous inspirer le plus de sympathie, ceux qui sont restés 10 ans et plus sans avancement dans le même grade.

Je ne pense pas qu'il soit dans l'intention de la chambre de changer ce qui a été fait depuis la promulgation de la loi, de revenir sur tous les antécédents. Car si on réduit la pension du général Skrzynecki, il n'y a pas de raison pour qu'on ne revienne pas sur toutes les pensions qui ont été liquidées d'après le même principe.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. de Luesemans. - Je demande la parole contre la clôture. J'aurais une simple question à adresser à M. le ministre de la guerre, relativement à la position des anciens officiers pensionnés.

- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez.'

(page 1444) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je pense qu'il faut permettre à l’honorable M. de Luesemans de poser la question qu'il vient d'indiquer; elle a une grande importance. Il n'est pas possible que la question soit décidée à l'égard d'un seul officier, par cela seul qu'il serait étranger. La solution devra rétroagir pour tous les autres officiers qui seraient dans la même position.

Le fait est accompli pour le général Skrzynecki comme pour tous les autres! La pension est liquidée pour lui comme pour les autres. Ce n'est pas un vote personnel, c'est un vote de principe que la chambre doit vouloir émettre.

M. de Brouckere. - J'avais demandé la parole au moment où l’honorable M. de Luesemans insistait pour pouvoir adresser une interpellation à M. le ministre; il faut lui laisser la latitude de faire cette interpellation puisqu'elle doit éclairer son vote.

- La chambre consultée sur la demande de clôture ne ferme pas la discussion.

M. de Luesemans. - Je désirerais savoir si l'intention de M. le ministre de la guerre est d'appliquer la mesure que la chambre pourrait adopter, et qui consisterait à réduire la pension déjà liquidée du général Skrzynecki, de l’appliquer, dis-je, aux officiers qui se trouvent dans la même position, c’est-à-dire dont la pension est liquidée, à l’heure qui est, qui n’ont par conséquent avec le général qu’une seule différence, c’est qu’ils ont déjà touché les termes de leur pension. En principe, vous ne pouvez pas avoir deux poids et deux mesures. Il ne peut y avoir des officiers qui, en vertu des mêmes lois, auraient été admis à toucher une pension dans des temps plus reculés, qui conserveraient pour l'avenir le droit de toucher ces pensions, tandis qu'on réduirait la seule pension du général Skrzynecki quoiqu'il se trouve exactement dans la même position légale, avec cette seule différence qu'il n'a touché, jusqu'ici, aucun terme de sa pension.

Il ne peut y avoir de droit contre le droit : si le général Skrzynecki ne peut conserver l'augmentation d'un cinquième de sa pension, les officiers déjà pensionnés ne peuvent être mieux traités. Ils ne peuvent conserver des allocations qui dès lors seraient frappées de nullité dans leur principe. Tout ce qu'on devrait faire équitablement pour eux, c'est de ne pas leur demander la restitution des sommes qu'ils ont touchées.

Cette question est très importante ; sa solution aura d'autant plus d'influence sur mon vote que je pense, quant à moi, que la pension du général Skrzynecki ne devait pas être liquidée comme elle l'a été. Mais si la décision de la chambre devait revêtir un caractère personnel, je réfléchirais dans l'intervalle de la discussion ,et je déclare que je crois que je ne pourrais pas me rallier à l'amendement de l'honorable M. Thiéfry; il en serait autrement si la chambre n'entendait émettre qu'un vote de principe.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je crois que c'est à la chambre de trancher cette question. Quant à moi, je ne prendrai pas l'initiative de cette mesure, que j'ai combattue de tous mes moyens.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement ne peut certainement prendre l'engagement d'appliquer à d'autres officiers une mesure qu'il combat. Et d'un autre côté si l'application n'en peut être faite aux officiers dans une position absolument identique, il s'ensuit que le vote que vous allez émettre serait absolument personnel.

- Plusieurs membres. - Il s'agit de l'avenir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dès lors il ne peut s'agir du général Skrzynecki, attendu que, pour ce général, le fait est accompli, comme pour tous les autres. (Interruption.)

Je prie mes honorables collègues de ne pas se passionner.

- Un membre. - Ne vous passionnez pas vous-même.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne me passionne nullement, La position du ministère est d'autant plus libre, que c'est à regret qu'il a été amené à faire cette application que l'on attaque. La première application a été faite par lui dans un sens plus restreint ; lorsque l'application a été faite dans un sens plus large, c'est après qu'il a été reconnu que la loi avait été appliquée ainsi jusqu'alors et que le général Skrzynecki était dans les mêmes conditions que les officiers belges auxquels cette mesure avait été appliquée. Il faut bien se rendre compte de la position du cabinet dans cette question.

Que la pension soit très élevée, je ne le nie pas; mais y a-t-il convenance, y a-t-il justice à revenir sur cette décision, en ce qui concerne un individu, et à ne pas appliquer la mesure à tous les autres? Voilà la question, comme elle doit être posée devant le parlement.

Il est des votes qu'on émet à regret. Mais lorsqu'il y a justice et convenance, il ne faut pas reculer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La question qui vient d'être posée par l'honorable M. de Luesemans soulève évidemment des doutes dans l'assemblée. (Non! non! elle ne peut s'appliquer qu'au passé!)

Vous n'avez pas de doutes, vous qui m'interrompez; mais de ce côté (indiquant la droite de l'assemblée) on en a. J'ai des doutes; permettez-moi de chercher à les dissiper.

Je demande que la discussion continue sur le point de savoir si la décision que va prendre la chambre devra être appliquée au passé.

On m'interrompt pour me dire : Non ; nous nous arrêtons au général Skrzynecki. Eh bien ! je demande : Est-ce qu'il est du passé ou de l'avenir?

Il est du passé; car une pension liquidée en 1849, est payée sur le budget de 1849; or nous nous occupons du budget de 1850. Le général dont nous parlons est donc absolument dans la même position que les autres; si on réduit sa pension d'un cinquième, il faudra faire la même réduction sur les pensions liquidées sur le même pied dans les mêmes conditions.

M. Rousselle. - Je demande la parole, pour expliquer comment j'entends la question. Je fais une grande distinction entre les pensions qui ont reçu la sanction de la chambre, par le vote du crédit à un budget et celles qui n'ont pas encore reçu cette sanction. Les pensions accordées aux officiers pensionnés antérieurement ont reçu la sanction de la chambre. Celle du général Skrzynecki ne l'a pas reçue encore.

M. le président. - Avant de laisser l'honorable membre continuer ses observations sur le fond, je dois consulter la chambre sur la demande de clôture.

M. Mercier, rapporteur. - La clôture ne peut être prononcée ; le raisonnement de l'honorable préopinant doit nécessairement être contesté.

- La chambre , consultée, décide que la discussion continue.

M. Rousselle. - J'avais l'honneur d'expliquer à la chambre que je fais une distinction entre les pensions liquidées aux termes des lois et sanctionnées par la chambre dans un vote de crédit et les pensions que la chambre n'a pas sanctionnées de cette manière.

Evidemment la sanction de la chambre n'a pas été accordée à la pension du général Skrzynecki, puisque cette pension a été liquidée par un arrêté du mois de mars dernier. Voilà donc la distinction que je fais. Je ne veux pas me prononcer maintenant sur les pensions anciennes, puisqu'il n'y a pas de proposition spéciale qui les concerne. Mais je pense qu'on peut revenir sur la pension du général Skrzynecki.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il y a quelque part, dans la Constitution, un article portant qu'il y a lieu à révision de la liste des pensions. Ainsi, il est bien clair que, nonobstant la liquidation des pensions, nonobstant l'allocation annuelle, le vote annuel des fonds nécessaires pour faire face aux pensions liquidées, on a toujours reconnu que l'on peut réviser la liste des pensions, qu'on peut rechercher si les pensions ont été liquidées contrairement à la loi.

On ne peut pas enlever une pension donnée dans les conditions voulues par la loi; mais on peut examiner si cette pension a été liquidée d'après les bases légales. Par conséquent, on devrait, si la modification proposée à l'égard de la pension qui nous occupe, était admise, on devrait même réviser les pensions qui ont été accordées contrairement à la loi. La disposition de la Constitution répond d'une manière péremptoire à l'objection de l'honorable M. Rousselle.

M. Mercier. - Quelle serait, dans le cas de l'adoption de l'amendement, la portée du vote de la chambre ? Evidemment ce vote aurait pour signification que la loi a été mal appliquée dans tous les cas analogues, où la pension a été liquidée en vertu de l'article 17. Lorsque l'on découvre, à une époque quelconque, un abus dans la liquidation d'une pension, croyez-vous que, parce que la chambre aurait voté les fonds pour le payement de cette pension, elle ne serait plus compétente pour revenir sur cette pension? Un pareil système ne peut pas se soutenir un instant.

L'honorable M. Rousselle dit que la chambre a donné sa sanction aux pensions liquidées précédemment ; il n'en est absolument rien. La chambre a simplement accordé des crédits ; elle n'a pas voté sur chaque pension.

Si la mesure qui est en discussion s'applique à la pension dont il s'agit ici, il faut qu'elle réagisse sur toutes les pensions identiques. Les militaires que se seraient trouvés en non-activité ou en disponibilité et dont la pension aurait été liquidée avec l'augmentation d'un cinquième en raison du temps qu'ils ont passé dans cette position, devraient se résigner à voir leurs pensions révisées. Sinon, vous commettriez une criante injustice.

M. Delfosse. - Messieurs, on ne peut jamais se prévaloir d'une violation de la loi. Si la loi a été violée dans la liquidation d'une pension on peut revenir sur cette liquidation. Je suis à cet égard entièrement de l'avis de M. le ministre des finances.

Non seulement on peut revenir, mais on revient tous les jours sur la liquidation de pensions qui ont été accordées en violation de la loi ; nous voyons très souvent dans le Moniteur des arrêtés qui rectifient des pensions. Lorsqu'un ancien fonctionnaire croit ne pas avoir obtenu une pension assez forte, il réclame; le gouvernement examine sa réclamation, et s'il la croit fondée, il accorde une pension plus forte.

Si le gouvernement peut revenir sur la liquidation d'une pension trop faible, il peut, par la même raison, revenir sur la liquidation d'une pension trop forte.

S'il y a lieu à rectification pour cause de violation de la loi, dans l'intérêt des personnes lésées, il doit y avoir lieu à la même rectification dans l'intérêt de l'Etat. Nous ne pouvons pas avoir deux poids et deux mesures.

La loi doit être la même pour tous. Si l'on peut invoquer la violation de la loi dans l'intérêt des pensionnaires de l'Etat, on peut l'invoquer dans l'intérêt du trésor public, et comme l'a très bien dit M. le ministre (page 1445) des finances, c'est dans ce sens que la Constitution a ordonné la révision de la liste des pensions.

Ainsi la question posée par l'honorable M. de Luesemans n'en est pas une. Si la chambre décide qu'on a violé la loi, il faudra rectifier toutes les pensions accordées, en violation de la loi, à tous les individus qui se trouvent dans la même position que le général Skrzynecki.

Ne redoutez pas, messieurs, que cette mesure produise de graves inconvénients. Car, comme on vous l'a dit, elle ne peut s'appliquer qu'à un petit nombre de personnes, et peu importe du reste le nombre. S'il y a eu violation de la loi, il faut que cette violation de la loi cesse. Si une pension trop forte a été accordée, il faut qu'on revienne à la pension réellement due d'après la loi. L'officier étranger n'a pas à se plaindre s'il est mis sur la même ligne que l'officier belge, et l'officier belge pas plus que l'officier étranger ne peut se prévaloir d'une violation de la loi.

Je volerai sans le moindre scrupule pour l'amendement de l'honorable M. Thiéfry.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne rentre plus dans le débat ; je crois que nous serons tous d'accord maintenant sur la portée de la résolution que prendra la chambre. Je ne m'occupe pas non plus du fond de la question. Mais je tiens à soumettre à la chambre une observation. Il s'agit ici d'une affaire sur laquelle la chambre va statuer comme pourrait le faire un tribunal ; elle ne statuera pas en réalité comme une des branches du pouvoir législatif ou plutôt, elle va décider un point de droit qui pourra aussi être déféré au pouvoir judiciaire par les parties intéressées. On reconnaîtra, en effet, qu'un particulier qui se croirait lésé par une liquidation de pension, aurait incontestablement le droit, aux termes de la Constitution, de se pourvoir devant les tribunaux pour faire juger ce différend.

Je soumets cette observation à la chambre, parce qu'elle me paraît assez grave, parce qu'elle me paraît de nature à l'engager à mettre beaucoup de prudence dans la décision qu'elle a à prendre.

M. Dumortier. - Messieurs, je suis loin, vous le savez, d'être partisan des grosses pensions. Mais il y a quelque chose qui est au-dessus de ma volonté; c'est la loi que vous avez faite et devant laquelle je m'inclinerai toujours. Si la loi des pensions est vicieuse, révisez-la, réformez-la, c'est votre droit; c'est votre devoir. Mais aussi longtemps qu'elle existe, il faut l'exécuter.

Or, qu'a-t-on fait dans l'espèce? Le gouvernement n'a fait qu'appliquer au général Skrzynecki les dispositions qui ont toujours été appliquées jusqu’aujourd'hui sans réclamation. Et c'est à l'occasion d'une spécialité que l'on vient soulever ici quoi ? Une question de principe.

Je suis d’accord avec l'honorable M. Delfosse. Si la loi a été violée, on ne peut tirer aucun droit de la violation de la loi. J'admets ce principe ; mais j'en admets aussi la conséquence que si la chambre décide que la loi a été violée, cette décision doit s'appliquer à toutes les personnes qui se trouvent dans la position du général Skrzynecki. Mais alors je dirai aux honorables membres qui, contrairement à mon opinion, voient ici une violation de la loi, je leur dirai : Agissez avec franchise, posez la question en principe et non par application à une personne; la question, dégagée de son caractère personnel, sera beaucoup plus claire. Mais ici que faisons-nous? Il faut bien le reconnaître, ainsi qu'on l'a très bien dit, nous nous occupons d'une simple question de personne.

- Un membre. - C'est une question de légalité.

M. Dumortier. - Ce n'est pas une question de légalité, lorsqu'on n'examine pas la question en principe, s'appliquant à tous les individus, quand on ne l'examine qu'appliquée à un seul individu, alors que d'autres jouissent des mêmes avantages; c'est une question de personne.

Je dis donc, messieurs, que si l'on veut examiner la question comme question de principe, il ne faut pas proposer la réduction d'une pension seulement, mais qu'il faut alors appliquer la proposition à toutes les pensions qui sont dans le même cas. Aussi longtemps que l'amendement ne porte que sur une seule pension, c'est une question de personnes. Quant à moi, c'est une manière de poser la question, que je ne puis pas admettre : l'honorable général polonais dont il s'agit a été appelé dans des circonstances extrêmement difficiles ; il a été appelé aux acclamations du pays, qui voulait la résistance, qui ne voulait point du lâche abandon des Limbourgeois et des Luxembourgeois ; quand nous avons fait appel à l'épée du général Skrzynecki, c'était pour nous défendre, pour défendre l'intégrité de notre territoire; si un revirement s'est opéré dans la politique du gouvernement, ce n'est pas la faute de ce général; eh bien, je dis, après cela, que la question, telle qu'elle est posée maintenant, est une question d'honneur et de dignité nationale.

M. Delehaye. - Messieurs, si la section centrale voulait faire de la question qui nous occupe une question de personnes, elle ne se serait certainement pas bornée au retranchement de 1,200 fr., elle eût contesté les services rendus par le général dont il s'agit, antérieurement à son arrivée en Belgique. C'est précisément parce que nous ne faisons pas une question de personnes que nous nous renfermons strictement dans la loi. Mais, dit l’honorable M. Dumortier, pourquoi n'appliquez-vous pas la loi à toutes les personnes qui sont dans la même position? Messieurs, la chambre n'est appelée à se prononcer que sur la pension du général Skrzynecki, mais je veux aussi que la question soit résolue dans le même sens pour toutes les personnes à l'égard desquelles la loi a été violée; eh bien que l'honorable M. Dumortier, qui s'intéresse si vivement au général Skrzynecki fasse une proposition dans ce sens, et je lui promets d'avance mon appui.

Je suis persuadé que si la chambre adopte l'amendement de la section centrale, l'honorable M. Dumortier prendra l'initiative d'une proposition ayant pour objet d'étendre la disposition à toutes les pensions qui se trouvent dans le même cas...

M. Dumortier. - Je ne ferai pas une pareille proposition.

M. de Mérode (s'adressant à M. Delehaye). - Cet honneur vous appartient.

M. Delehaye. - Eh bien, messieurs, qui est-ce maintenant qui pose une question de principe? Est-ce nous qui voulons que la loi s'applique également à tous ceux qui sont dans le même cas, ou est-ce l’honorable M. Dumortier qui dit qu'il ne fera pas une proposition dans ce sens?

Messieurs, j'ai beaucoup de sympathie pour l'honorable général, sympathie qu’ont fait naître les services... (Interruption.) Les services qu’il a voulu rendre au pays; mais je ne puis voir que la loi, qui écarte de moi toute autre considération.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je dois d'abord répondre à l'honorable M. Dumortier avec lequel je suis d'accord quant au fond, que je ne suis point de ceux qui ont accueilli avec enthousiasme l'appel du général. L'époque où il eut lieu, j'ai considéré cet appel comme une chose très regrettable pour le pays. Ceci soit dit sans vouloir porter atteinte au mérite de ce général.

Mais, messieurs, de ce que le général a été appelé à mon regret, il ne s'ensuit pas que je puisse admettre qu'il devienne en quelque sorte victime d'un vote qui lui serait personnel. Si l'on enlevait au vote dont il s'agit tout caractère personnel, la chambre conserverait une attitude plus digne d'elle et du pays; si, au contraire, la chambre voulait prendre une mesure ayant un caractère tout à fait hostile à une seule personne, je crois qu'elle remplirait un rôle indigne d'elle.

Si nous restons, messieurs, dans la question de principe, et c'est là que nous désirons amener la chambre, si nous restons dans la question de principe, les convenances sont sauves. Ce qui donnerait au vote de la chambre un caractère personnel, c'est que la question a été soulevée à l'occasion du général dont il s'agit, c'est que la réduction s'appliquât exclusivement à la pension qui a été liquidée au profit de ce général. S'il résulte des explications que je viens de donner et qui, jusqu'ici, n'ont pas été contredites, que la chambre n'a entendu traiter qu'une question de principe, je regretterai encore, pour ma part, l'adoption de l’amendement, mais je déclare qu'il n'aura plus, à mes yeux, ce caractère odieux, permettez-moi de le dire, qu'il aurait eu si le vote avait été émis sous l'inspiration des premières propositions et des premiers discours.

Selon nous, messieurs, le gouvernement, dans cette affaire, n'a absolument rien à se reprocher. Il a suivi les antécédents ; il a marché complément d'accord avec la cour des comptes, il a fait pour le général Skrzynecki ce qui avait été fait pour d'autres généraux, pour d'autres officiers qui se trouvaient dans la même position. La chambre juge-t-elle qu'une application erronée a été faite par les ministères qui se sont succédé et par la cour des comptes? Juge-t-elle que cette application ne doit plus avoir lieu à l'avenir et qu'il faut même revenir sur le passé, la chambre est parfaitement maîtresse d'en décider ainsi ; tout ce que je lui demande, c'est de rester dans la question de principe.

M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je déclarerai la discussion close.

Je vais mettre l'amendement aux voix.

- Plusieurs membres. - La question de principes.

- D'autres membres . - Non, non; l'amendement.

M. Moncheur. - Quant, à moi, j'entends bien voter une question de principe, même en votant sur l'amendement.

- Des membres. - L'appel nominal.

- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement de M. Thiéfry.

Il est procédé au vote par appel nominal. En voici le résultat :

84 membres ont pris part au vote.

52 ont répondu oui.

31 ont répondu non.

1 (M. le Bailly de Tilleghem) s'est abstenu.

En conséquence l'amendement de M. Thiéfry est adopté; ce qui réduit de 1,200 francs le chiffre de l'article 24 du budget de la dette publique.

M. le Bailly de Tilleghem. - Messieurs, je me suis abstenu, parce que je n'étais pas assez éclairé sur la question.

Ont voté l’adoption : MM. Jacques, Jouret, Jullien, Lange, Lelièvre, Liefmans, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rousselle, Sinave. Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Ernest Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Ansiau, Boulez, Christiaens, Cools, David, H. de Baillet, de Baillet-Latour, H. de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, de Haerne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Perceval, de Royer, Destriveaux, d'Hont, Dubus et Verhaegen.

Ont voté le rejet: MM. Dumortier, Frère-Orban. Jullien, Lebeau, Mercier, Moncheur, Rodenbach, Rogier, Rolin, Schumacher, Dequesne, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Brande de Reeth, Vilain XIIII, Anspach, Bruneau, Cans, Coomans, Cumont, de Breyne, Dechamps, (page 1446) Dedecker, Delescluse, de Liedekerke, de Mérode, de Pitteurs, De Pouhon Desoer, Devaux, d'Hoffschmidt.

- La chambre fixe à mardi prochain, 29 mai, le vote définitif du budget.


M. Orts (pour une motion d’ordre). - M. le ministre de la guerre étant présent, je prie la chambre de m'autoriser à lui adresser une interpellation fort courte ; et je suis sûr que la réponse à cette interpellation ne tiendra pas plus longtemps la chambre que mon interpellation elle-même.

Depuis hier, deux nouvelles très graves ont agité le pays. Je n'ai pas l'habitude, et je ne veux pas l'importer dans cette enceinte ; je n'ai pas l'habitude d'interpeller le gouvernement sur tous les bruits de gazelle qui circulent au-dehors; et je ne dérogerais pas aujourd'hui à cette règle de conduite, si, dans cette occurrence, le gouvernement ne s'était pas le premier chargé d'entrer en voie de polémique avec la presse.

Un journal avait annoncé la retraite d'un membre du cabinet; le Moniteur de ce matin a démenti officiellement cette nouvelle, et sous ce rapport, les inquiétudes du pays se sont calmées. Je suis aussi personnellement heureux du démenti.

Mais à côté de cette nouvelle qu'on a trouvé bon de démentir, se trouvait celle du rassemblement d'un corps d'armée de 50,000 hommes et du rappel de quatre classes de milice; le gouvernement, en ne démentant pas cette nouvelle qui se trouvait à côté de celle qu'il a démentie, donne, par son silence, aliment aux inquiétudes répandues. Je voudrais qu'un mot du cabinet vînt rassurer et la ville de Bruxelles et le pays contre une mesure qui, de l'aveu de tout le monde, serait aujourd'hui un acte du plus mauvais voisinage politique.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, si j'étais obligé de relever ici toutes les erreurs qui se trouvent souvent dans les journaux, j'aurais trop à faire. J'ai appris aujourd'hui seulement qu'un journal annonçait la formation d'un corps de 50,000 ou de 100,000 hommes destiné à marcher sur le Rhin... Il est inutile de vous dire que cette nouvelle est complètement dénuée de fondement.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1850

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Voirie vicinale

Article 45

M. le président. - La discussion continue sur l'amendement de M. Rousselle qui propose d'augmenter de 200,000 francs le chiffre de 300,000 francs, porté à l'article 45 pour la voirie vicinale.

- M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.

M. Coomans. - Messieurs, j'allais proposer moi-même d'augmenter le crédit pour la voirie vicinale , quand j'ai eu le plaisir de me voir devancé par l'honorable M. Rousselle. C'est vous dire que j'appuie de toutes mes forces l'amendement qui nous est proposé. De tous les encouragements que l'Etat peut accorder à l'agriculture, aucun n'est plus urgent ni plus efficace que l'amélioration de la voirie rurale. En vain favoriserez -vous l'enseignement agricole, en vain aiderez-vous au perfectionnement du bétail, en vain multiplierez-vous les expositions de céréales et de légumes, vous n'obtiendrez que de maigres résultats si vous ne créez pas des chemins praticables qui ouvrent aux villages l'accès des marchés et qui facilitent le voiturage des engrais. Sachez, messieurs, qu'il en coûte plus dans certains cantons pour transporter du grain au chef-lieu de la province que pour l'amener des ports de la Baltique à Anvers. Refusant à l'agriculture la protection douanière que vous accordez libéralement aux autres branches du travail national, vous avez placé nos travailleurs agricoles en face de la concurrence étrangère. Faites au moins qu'ils puissent soutenir cette concurrence sans trop de désavantage ; permettez-leur d'apporter leurs grains aux marchés sans exténuer leurs chevaux et briser leurs charrettes dans des fondrières bourbeuses, décorées sur les cartes du titre menteur de routes vicinales.

Objectera-t-on que les crédits dont le gouvernement dispose sont suffisants, que même ils n'ont pas été épuisés? Je répondrais qu'ils ont été appliqués avec une réserve excessive, et qu'un grand nombre de communes n'ont pas été admises au partage faute de pouvoir acquitter leur quote-part dans les frais de pavement ou d'empierrement. Si le ministre de l'intérieur était autorisé à distribuer des millions en faveur de la voirie vicinale, il en trouverait facilement l'emploi. Les 200,000 fr. que nous demandons seront bientôt utilises, j'ose le garantir, pourvu que l'on mesure les subsides de l'Etat d'après les besoins et les ressources des communes rurales, au lieu d'exiger de toutes indistinctement la même somme de sacrifices. Je le déclare, messieurs, si l'on refusait à l'agriculture cet encouragement d'une efficacité incontestable, j'éprouverais une invincible répugnance à voter pour d'autres intérêts des secours beaucoup plus considérables et d'une utilité beaucoup plus douteuse.

M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai demandé la parole dans la séance d'hier que pour dire quelques mots sur la voirie vicinale.

J'adopte le principe du gouvernement qui exige que la commune et la province contribuent dans les dépenses des travaux. Mais, messieurs, je crois qu'il doit y avoir des exceptions ; ce principe ne peut pas être rigoureusement appliqué, par exemple, dans les communes des Flandres; pendant les années calamiteuses que nous avons passées, beaucoup de communes se sont ruinées pour empêcher la population de se décimer; on y a fait d'immenses sacrifices pour soutenir les bureaux de bienfaisance quand le typhus régnait ; c'est à ce point que, dans le district de Roulers notamment, la plupart des communes ont épuisé toutes leurs ressources.

Peut-on exiger que ces communes concourent pour un tiers dans la dépense pour obtenir une part du crédit alloué pour construction de chemins vicinaux ? Ces communes sont tellement obérées qu'elles ne peuvent pas faire de nouveaux sacrifices; je puis même dire qu'elles sont ruinées; et parce qu'elles n'ont pas, comme les communes riches, les moyens de faire des dépenses pour la voirie vicinale, parce qu'elles ont plus besoin d'assistance, c'est pour cela qu'on ne leur donnerait rien; on ne tiendrait aucun compte des sacrifices immenses qu'elles ont faits pendant les années calamiteuses pour soutenir leurs populations pauvres, et de l'impossibilité où elles sont maintenant de leur donner du travail pour les empêcher de mourir de faim.

Ce serait trop rigoureux de ne rien accorder à qui ne fournit rien. L'application d'un pareil principe aurait des conséquences funestes ; ce serait de l'inhumanité.

Je prie M. le ministre de prendre en considération le peu d'observations que je viens de présenter.

M. de Royer. - J'ai demandé la parole pour appuyer la proposition de M. Rousselle. Ce qu'il y a de certain, c'est que, dans toutes les provinces du royaume, les chemins vicinaux laissent beaucoup à désirer. Dans la province du Hainaut, toutes les communes ont fait de grands sacrifices pour cet objet ; ils ne suffisent pas, les chemins restent dans un mauvais état; l'agriculture, l'industrie et le commerce réclament de bons chemins pour pouvoir se développer; il est impossible, avec le crédit porté au budget, d'accorder des subsides suffisants aux communes qui en ont besoin pour mettre leurs chemins vicinaux dans un état convenable. En conséquence, j'appuie l'augmentation proposée par M. Rousselle.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'amendement de l'honorable M. Rousselle a pour but de porter à 500 mille francs l'allocation pour la voirie vicinale ; je ne puis que m'y rallier en principe ; il serait très agréable au gouvernement d'avoir pour la voirie vicinale 500 mille francs à sa disposition au lieu de 300; la proposition lui serait plus agréable encore si au lieu de 500 mille fr. on lui offrait un million. La voirie vicinale est un des grands moyens de perfectionnement agricole ; bien dirigée, bien surveillée, elle peut amener les plus grands bienfaits pour l'agriculture.

Sous ce rapport, l'impulsion donnée en Belgique à la voirie vicinale a rendu les plus grands services à l'agriculture. J'ai fait connaître le résultat des efforts du gouvernement, des provinces et des communes; je ne pense pas qu'il existe en Europe un pays où l'on ait autant fait depuis quelques années, pour le développement des chemins vicinaux, qu'en Belgique.

L'intention du gouvernement n'est pas de s'arrêter dans cette voie. Il a demandé un crédit spécial d'un million; ce crédit doit être réparti, sur les exercices 1849 et 1850, par sommes de 500,000 fr. Si la somme est allouée, le gouvernement se fera un devoir d'en attribuer une grande partie à la voirie vicinale; sous ce rapport, le vœu de l'auteur de la proposition se trouvera rempli. Veut-on aller au-delà des 500,000 fr. destinés à divers travaux d'utilité publique? Cette proposition ne peut que m'être agréable; mais il restera à indiquer les moyens pour couvrir la dépense. Reste à savoir ensuite si les 500,000 fr., augmentés de la partie des 500,000 fr. affectée à la voirie vicinale, trouveront dans le concours des provinces des communes le complément nécessaire pour pouvoir être appliqués ; car les fonds destinés à la voirie vicinale ne sont accordés qu'à la condition du concours de la province et de la commune. Le gouvernement intervient pour un tiers. Il ne se départit de cette règle que pour certaines communes très pauvres ; c'est ce qu'il a déjà fait, notamment pour des communes des Flandres; mais la règle générale, règle très sage dans laquelle il doit se renfermer, est de n'intervenir que pour un tiers, laissant aux particuliers, aux communes et aux provinces le soin de faire le reste.

Si le crédit spécial que j'ai demandé m'est accordé, j'approcherai beaucoup des 500,000 francs qui sont proposés par l'honorable député de Mons; avec ces 500,000 fr. nous ferons pour 1,500,000 fr. à 2,000,000 de chaussées vicinales.

J'espère que la chambre ne verra pas, dans les observations que me suggère la proposition de M. Rousselle, de mauvaise intention à l'égard de la voirie vicinale. J'y consacre tous mes efforts, je voudrais pouvoir appliquer chaque année un million à cette destination, mais il est probable que les provinces, les communes ne pourraient pas suivre le gouvernement dans cette voie.

Si le crédit extraordinaire que j'ai demandé m'est alloué, 850,000 fr. pourront être affectés à la voirie vicinale. Voilà pourquoi je ne réclame pas l'auguienlation proposée par M. Rousselle ; mais si ce crédit ne m'était pas accordé, je m'empresserais d'accepter les 200 mille francs qu'il propose.

Différons l'examen de la proposition de M. Rousselle jusqu'à la discussion du crédit extraordinaire. Ne préjugeons pas la question.

M. Moncheur. - En ce qui concerne la nécessité d’améliorer les (page 1447) chemins, vicinaux, il n'y a rien à dire, parce que chacun de nous la sent parfaitement.

Mais je viens vous présenter quelques observations relativement à la manière dont la question doit être engagée devant la chambre. Je crois que c'est ici le moment de traiter la question de savoir quelle sera la dotation des chemins vicinaux pour l'exercice 1850.

M. le ministre de l'intérieur vient de faire allusion à la demande de crédit d'un million dont il a saisi la chambre, pour diverses catégories de dépenses. Ces dépenses consistent en encouragements, non seulement pour la voirie vicinale, mais pour le travail industriel, les améliorations agricoles, la colonisation, l'assainissement des villes et des communes, les encouragements à donner aux gens de lettres et aux artistes, et enfin pour les subsides à donner aux communes. 500,000 francs seraient imputés sur le budget de 1849 et 500,000 francs sur le budget de 1850.

La section centrale pour le projet de loi du crédit d'un million, section dont je fais partie et qui m'a fait l'honneur de me nommer rapporteur, est sur le point d'entendre la lecture du rapport sur cette proposition. J'aurai l'honneur de dire à la chambre, puisque cela peut être utile dans cette discussion, qu'une des conclusions de la section centrale, c'est de rattacher au budget de 1850 la partie du crédit demandé pour cet exercice. La section centrale a pensé qu'il y avait même certaine irrégularité à demander un crédit extraordinaire pour un exercice dont le budget n'était pas présenté.

Je crois donc que c'est le moment, pour la chambre, de décider quelle sera la dotation de la voirie vicinale en 1850.

L'honorable M. Rousselle a fait la proposition d'accorder 500,000 fr. pour cet objet. Pour être en harmonie avec les conclusions de la section centrale, dont je viens de parler, je crois qu'il faudrait réduire de 100,000 fr. le crédit demandé par M. Rousselle, c'est-à-dire qu'il faudrait fixer l'allocation au chiffre de 400,000 fr.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement a proposé d'une part le budget ordinaire de 1850, d'autre part une demande de crédit extraordinaire destiné à se rattacher, une partie à l'exercice 1849, l'autre à l'exercice 1850; d'autres encore destinés à être répartis par moitié sur chaque exercice. Un crédit d'un million a été demandé par le département de l'intérieur; il est dans cette dernière catégorie. Il contient notamment une portion de fonds destinée à la voirie vicinale.

L'honorable préopinant vient de dire qu'en section centrale on s'est occupé de cet objet ; il raconte à la chambre dans quel sens sera fait le rapport qu'il est chargé de rédiger.

Par avance, l'honorable membre discute le rapport et le projet de loi. Supposant l'adoption du projet de loi dans l'ordre de ses idées, il fait une proposition dans ce sens. Il y a là une confusion que la chambre ne peut admettre. Le gouvernement et les honorables auteurs des amendements sont d'accord sur un point, c'est qu'il y a quelque chose à faire pour la voirie vicinale. Attendons la discussion des crédits demandés par le gouvernement, pour nous occuper de ce qui devra être fait extraordinairement, et ne nous occupons maintenant que de l'allocation ordinaire de 1850.

L'honorable membre dit que la marche suivie par le gouvernement est irrégulière; c'est une erreur : le gouvernement n'a rien fait d'irrégulier en présentant un crédit supplémentaire applicable, partie à l'exercice 1849, partie à l'exercice 1850. Pourquoi a-t-il procédé ainsi? C'est afin de donner le pouvoir de s'engager, en 1849, pour des travaux qui devront être faits en 1850.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je reviens à ma proposition première, qui serait de suspendre la discussion sur la proposition de l'honorable M. Rousselle jusqu'à l'examen du crédit spécial, puisque ce crédit spécial comprend une somme destinée à la voirie vicinale. Veut-on alors élever le chiffre de cette allocation de 170,000 à 200,000 ou 300,000 fr.? C'est ce qui sera examiné et discuté. J'ai demandé un crédit spécial en dehors du budget; je vais dire pourquoi: c'est, je le déclare, dans des vues d'économie. Prenez-y garde; toute somme entrée dans le budget n'en sort pas facilement. Qu'elle y entre à titre de crédit ordinaire ou de crédit extraordinaire, elle est, en général, acquise au budget. Je connais des dépenses extraordinaires qui figurent au budget depuis des années.

Si maintenant la chambre trouve cette manière de procéder plus économique, plus conforme aux règles d'une sage comptabilité, qu'elle le fasse ; qu'elle accorde même le crédit à toujours, je laisserai faire.

Mais je demande que nous ne discutions pas à la fois et le budget et les crédits extraordinaires.

Car, comme il y a aussi une partie de ces crédits affectée au développement du travail agricole, il faudra porter au chapitre de l'agriculture la somme que la chambre voudra y affecter. Il en sera de même de la partie des crédits demandée pour l'industrie, de la partie demandée pour le travail artistique. Or, ce ferait aller au-delà de la pensée du gouvernement que de faire un crédit budgétaire d'une somme qui n'est demandée à la chambre que pour une fois, en raison des circonstances exceptionnelles que nous avons eu à traverser et que nous traverserons encore, notamment les crédits destinés à encourager les artistes.

Lorsque vous aurez volé les crédits extraordinaires, vous pourrez les rattacher à tels articles du budget qu'il vous conviendra; mais je pense que vous auriez tort de procéder ainsi.

Je demande donc que les propositions qui seront faites et qui rentreraient dans les objets prévus aux crédits extraordinaires, se rattachent à la discussion même de ces crédits extraordinaires. Si l'on a des proposition d'augmentation à faire pour encouragement au travail agricole, ou au travail industriel, ou au travail artistique, qu'on les diffère jusqu'à la discussion de la demande du crédit extraordinaire. Rien ne sera compromis, et de cette manière nous pourrons procéder régulièrement au vote des budgets ordinaires.

M. Rousselle. - Je demande la parole pour une motion d'ordre. Je crois pouvoir me rallier à la proposition de M. le ministre de l'intérieur de laisser en suspens mon amendement. Mon intention était, en le proposant d'absorber dans le budget, la partie des crédits extraordinaires qui était demandée pour la voirie vicinale.

Mais puisqu'on trouve des inconvénients à cette manière de procéder, je retire provisoirement mon amendement.

M. Moncheur. - Je n'insiste pas non plus pour qu'on discute en ce moment la question; elle peut être réservée. Cependant il aurait été préférable que la chambre s'en occupât aujourd'hui, car, puisqu'il y a au budget une colonne pour les dépenses extraordinaires, c'est pour en user, ; si l'on y place une somme pour 1850, ce n'est pas une raison pour la reproduire au budget de 1851.

M. Christiaens. - Messieurs, je ne ferai aucune observation relativement à la proposition de l'honorable M. Rousselle. Mais il reste quelque chose à dire sur l'article en discussion.

Je rencontrerai une observation qu'a faite M. le ministre de l'intérieur sur l'emploi des fonds pour la voirie vicinale. M. le ministre adopte le système de n'accorder des subsides aux communes que lorsqu'elles contribuent pour une certaine part dans la création des voies vicinales. Je me suis permis, dans une autre discussion, de signaler l'inconvénient qu'il y a de s'en tenir strictement à ce système. Cependant, M. le ministre de l'intérieur persiste.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai dit qu'il y avait des exceptions pour les localités pauvres.

M. Christiaens. - Je crois que vous n'aurez jamais un bon système de voirie vicinale, si vous vous en tenez rigoureusement à ce système.

Vous rencontrerez dans certains districts beaucoup de solutions de continuité, et non seulement vous nuirez aux communes pauvres qui ne pourront pas faire des routes, mais vous nuirez aussi aux communes limitrophes qui, bien qu'ayant des routes, devront, pour transporter leurs produits à travers les communes pauvres, passer par des chemins impraticables.

Voilà en quoi ce système de ne pas accorder plus largement les subsides pour la voirie vicinale est vicieux, et j'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre de l'intérieur.

Messieurs, il est un autre point sur lequel je ne suis pas d'accord avec M. le ministre de l'intérieur quant à l'allocation portée au budget pour la voirie vicinale.

L'honorable ministre pense que si vous augmentez le crédit, cette augmentation deviendra permanente. Je dis qu'il n'y aurait pas d'inconvénient à ce que le crédit fût permanent, lors même qu'il serait d'un million.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sauf qu'il faut avoir des ressources pour y faire face.

M. Christiaens. - Quand il s'agit d'autres dépenses, on les trouve, et je crois qu'aucun objet n'est plus digne que la voirie vicinale de la recherche de nouveaux moyens.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous l'avons prouvé.

M. Christiaens. - Je vous accorde, M. le ministre, que vous montrez beaucoup de zèle pour l'agriculture; mais cela n'empêche pas que j'ai des observations à vous faire.

Les dépenses que l'on fait pour la voirie vicinale sont utiles, non seulement en ce qu'elles donnent du travail sur tous les points du pays, mais encore en ce qu'elles sont immédiatement reproductives ; et non seulement elles sont utiles sous ces divers rapports, mais l'allocation que vous portez à votre budget pour la voirie vicinale est des plus justes. Toutes les communes peuvent participer à cette allocation, tandis qu'il est beaucoup d'autres dépenses de travaux publics auxquelles certaines parties du pays n'ont pas pu participer.

Messieurs, à envisager la question sous un point de vue plus élevé, sous un point de vue social, il y a bien des motifs plus grands encore pour accorder une plus forte allocation à la voirie vicinale : si vous voulez que votre trop-plein de population urbaine se transporte vers les villages, il faut en rendre les chemins faciles, car il ne suffit pas de dire : « Villageois, restez dans vos campagnes, ne venez pas dans les villes ; vous êtes plus heureux là. » Non, messieurs, ils ne sont pas plus heureux ou, au moins, ils ne se considèrent pas comme plus heureux quand les chemins sont tellement mauvais qu'ils ne peuvent presque pas se transporter d'un village à un autre, comme c'est le cas dans certaines localités. Il ne suffit pas de dire à la population urbaine : « Allez à la campagne, vous y serez plus heureux que dans la ville », il faut donner aux campagnes, sinon les agréments des villes, au moins certains agréments et surtout de bons chemins.

Eh bien, messieurs, si nous examinons la question sous ce point de vue, nous reconnaîtrons qu'il n'est pas au budget un seul crédit aussi important que le crédit destiné à la voirie vicinale. J'engage donc M. le ministre d- l'intérieur à ne pas repousser, comme crédit permanent, le chiffre qu'on lui offre, et je l’engage aussi à accorder des subsides aussi bien aux communes pauvres qu'aux communes riches.

(page 1448) M. Liefmans. - Messieurs, je trouve que la proposition reprise l’honorable M. Coomans mérite un accueil des plus favorables. C'est ce que le ministère lui-même reconnu, et s'il s'oppose à ce qu'elle soit votée maintenant c'est uniquement parce que la chambre aura bientôt à statuer sur un projet de loi auquel il rattache cette proposition. Il me semble donc qu'on est d'accord sur l'utilité de la proposition elle-même.

J'ai demandé la parole pour appuyer une partie du discours de l'honorable M. Christiaens. M. le ministre de l'intérieur nous a dit qu'en règle générale, il n'entend accorder des subsides pour la voirie vicinale qu'aux communes qui contribuent pour un tiers dans la dépense. L'honorable M. Christiaens a fait ressortir les inconvénients de ce système : il en résulte évidemment que les communes les plus riches sont celles qui reçoivent le plus de secours du gouvernement.

Ce principe, poussé à l'extrême, est donc extrêmement nuisible; il augmente les ressources des communes riches au détriment des communes pauvres, qui ne peuvent pas profiter des fonds portés au budget et qui ont des besoins beaucoup plus étendus que les autres.

Ainsi, messieurs, vous avez dans les Flandres des communes qui sont encombrées de population relativement à d'autres communes, mais où la propriété n'a aucune valeur. Quand on examine les rôles de la contribution foncière, on voit que ces communes, pour une immense étendue de territoire, ne donnent à l'Etat qu'un revenu extrêmement restreint. Or, c'est précisément cette étendue de leur territoire qui augmente considérablement les dépenses que ces communes pauvres doivent faire pour leur voirie vicinale, puisque les chemins sont d'autant plus longs que le territoire est plus étendu.

Eh bien, il y a de ces communes qui ne peuvent, en s'imposant des additionnels considérables, consacrer que 500 ou 600 francs à la voirie vicinale, d'où il résulte, dans le système du gouvernement, qu'on ne peut y dépenser que 1,500 ou 1,800 francs par an.

Je pense que le gouvernement ne devrait pas suivre rigoureusement ce système, mais qu'il devrait quelquefois et bien souvent accorder la préférence aux communes pauvres qui sont dans l'impossibilité de faire de grands sacrifices et leur donner de forts subsides plutôt qu'aux communes déjà avantagées sous plusieurs autres rapports. D'ailleurs il résulte souvent de ce système qu'il y a des solutions de continuité dans les chemins ; il est des communes dont les chemins sont entièrement pavés et qui se trouvent séparées d'une autre commune également pavée par une commune intermédiaire, qui est sans ressource et où la voirie est dans le plus mauvais état. Ainsi, dans l'intérêt même des communes riches, le gouvernement devrait, dans certains cas, déroger au principe qu'il a adopté.

M. Lebeau. - On y déroge.

M. Liefmans. - Dans la Flandre orientale on n'a presque jamais accordé de subsides que lorsque la commune faisait des sacrifices considérables.

J'engage donc M. le ministre à faire plus souvent des exceptions au principe du concours obligatoire des communes: Jusqu'ici les exceptions ont été extrêmement rares.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne sais pas si je dois répéter ce que j'ai dit tout à l'heure; mais je crois que l'honorable membre ne m'a pas fait l'honneur de m'écouter. J'ai dit que la règle était le concours de la commune, de la province et des particuliers, mais j'ai ajouté qu'il y avait à cette règle très sage, des exceptions pour les localités pauvres et notamment pour les Flandres. J'ai expliqué dans deux circulaires pourquoi je crois pouvoir, en faveur des Flandres, m'écarter de la règle généralement suivie.

J'ai indiqué l'amélioration de la voirie vicinale comme un des moyens efficaces de venir en aide aux Flandres et je n'ai pas négligé ce moyen. Peut-être l'honorable membre fait-il allusion à des communes tellement dépourvues de ressources qu'elles ne peuvent pas même fournir un contingent quelconque; pour ces communes je dévierai encore un peu plus de la règle. Toutefois la chambre ne peut pas encourager le gouvernement à entrer trop avant dans cette voie ; il faut maintenir, au contraire, le système suivi. Jusqu'à présent ce système n'a pas été sans produire des résultats heureux : depuis 15 ans nous avons construit au-delà de 800 lieues de chemins avec les ressources combinées de l'Etat, des provinces, des communes et des particuliers.

Ce qu'il faut surtout encourager, c'est le zèle des particuliers. Je crois que les propriétaires, qui sont si fortement intéressés à l'amélioration de la voirie vicinale, ne font pas tous assez d'efforts pour cette amélioration. En Angleterre, l'Etat ne donne rien pour la voirie vicinale, si ce n'est dans des cas extraordinaires; ce sont les propriétaires qui font tous ces travaux.

Messieurs, nous devons nous garder de rejeter constamment sur le trésor public des charges qui, par leur nature, doivent appartenir plus particulièrement aux communes et aux particuliers.

J'engage l'honorable M. Coomans à ajourner sa proposition jusqu'à la discussion du crédit extraordinaire que j'ai demandé. Je rappelle aux membres qui veulent avec raison le perfectionnement de la voirie vicinale que, dans le crédit que j'ai proposé, figure une somme destinée à la voirie vicinale.

Maintenant, je n'ai pas dit qu'il y aurait du danger à faire entrer cette somme dans le crédit extraordinaire du budget. Ce n'est pas aux sommes destinées à la voirie vicinale que je faisais allusion ; je faisais allusion à d'autres objets.

Le gouvernement n'aimerait pas mieux que devoir grossir le budget de sommes considérables destinées à être réparties en subsides, et dès lors à étendre son patronage et son influence; si donc nous combattons des propositions d'augmentation, nous ne sommes mus que par la situation du trésor.

Il ne suffit pas de désirer des améliorations, de voter des sommes en rapport avec ces désirs, il faut encore trouver le moyen de couvrir les dépenses que nos désirs d'améliorations peuvent nous suggérer. Si nous cédions à cette tendance, nous pourrions vous demander à doubler le budget, et nous nous ferions fort de le dépenser utilement.

Messieurs, en général, quand le gouvernement ne prend pas l'initiative pour ces dépenses, c'est qu'il a de fort bonnes raisons pour cela. J'espère que cette déclaration ne me vaudra pas le reproche de m'être posé ici en détracteur de la voirie vicinale.

- Des membres. - Non ! non !

M. Lebeau. - Messieurs, je viens appuyer la motion de M. le ministre de l'intérieur.

Il semblait que le débat était singulièrement simplifié par l'adhésion simultanée de l'honorable M. Rousselle, auteur de l'amendement qui a provoqué cette discussion, et de l'honorable M. Moncheur ; et je suis très surpris que l'honorable M. Coomans insiste, lorsqu'il y a de si bonnes raisons pour ajourner l'examen approfondi de cette question jusqu'à la discussion des crédits extraordinaires demandés par M. le ministre de l'intérieur.

Je comprends que M. le ministre de l'intérieur résiste difficilement à une séduction très naturelle, celle de vous offrir plus d'argent que vous n'en demandez. L'accepter pourtant, c'est là un précédent dangereux. Je ne suis certainement pas désintéressé dans la question, et M. le ministre de l'intérieur serait certainement trop juste pour exclure mon district du partage du gâteau ; mais, je le répète, cette façon de procéder me paraît dangereuse. Déjà M. le ministre des finances, qui n'est pas à séduire aussi facilement que M. le ministre de l'intérieur, grâce à la différence des positions, est venu signaler ce péril.

Eh bien, on concilie tous les droits, toutes les espérances, en se ralliant à la motion de M. le ministre de l'intérieur, motion à laquelle ont adhéré et l'honorable M. Rousselle, qui avait d'abord été plus ministériel que le ministre, et l'honorable M. Moncheur, qui s'était montré plus roussellien que l'honorable M. Rousselle lui-même.

M. Coomans, je l'espère, n'enchérira pas sur M. Moncheur.

M. Cools. - Messieurs, je ne dirai rien sur l'amendement dont la chambre s'occupe ; il convient d'attendre la présentation du rapport de l'honorable M. Moncheur. Je désire seulement adresser à M. le ministre de l'intérieur une observation qui rentre, d'ailleurs, dans les vues exprimées par cet honorable ministre.

J'approuve le système qui consiste à adopter une règle fixe, en ce qui concerne la répartition des crédits destinés à la voirie vicinale. Je ne pense pas néanmoins que cette règle doive être tellement inflexible que, dans certaines circonstances, elle ne doive pas fléchir, lorsque, par exemple, les communes sont trop pauvres pour fournir leur part contributive.

Mais, messieurs, il y a d'autres cas qu'il importe de signaler à l'attention du gouvernement. Il y a des circonstances où l'exception doit être telle qu'il faut écarter complètement la règle. Ainsi il arrive quelquefois qu'on entreprenne le pavement d'un chemin vicinal qui relie une ou deux communes (c'est le cas le plus fréquent), mais qui traverse en même temps pour une très petite partie une troisième commune. Je pourrais citer un seul arrondissement où ce dernier cas s'est présenté quatre fois. Lorsque ce cas se présente, le concours pécuniaire de la troisième commune est très difficile à obtenir, parce que cette commune n'a pas intérêt à ce pavement; les deux autres communes hésitent naturellement à paver un territoire qui ne leur appartient pas. Je crois que dans ce cas-là le gouvernement doit se montrer très facile et accorder des subsides plus considérables.

Je me borne à signaler ces faits à l'attention de M. le ministre de l'intérieur, et je le prie d'en prendre note, pour y avoir égard, le cas échéant.

M. Coomans. - Messieurs, j'avais deux motifs pour désirer que le crédit de 500,000 fr. figurât au budget. Il me semblait d'abord que ce crédit n'était pas exagéré, et que rien ne s'opposait à ce qu'il fût porté dans la colonne des dépenses extraordinaires. Ensuite, si l'on ajourne ma proposition jusqu'au vote du projet de loi présenté par M. le ministre de l'intérieur, j'ai lieu de craindre qu'elle ne soit compromise, car je ne suis pas sûr que ce projet sera accepté par la chambre. Et moi-même je serai un peu embarrassé. Il y a dans ce projet quelques crédits qui ne me plaisent guère, et finalement je serai peut-être forcé de refuser moi-même, dans le vote global, l'argent qui, à mon avis, est le plus utilement dépensé, celui qu'on applique à la voirie vicinale.

M. le ministre de l'intérieur a dit que, depuis un certain nombre d'années, nous avions amélioré beaucoup la voirie vicinale.

Cela est vrai, les divers ministères qui se sont succédé chez nous, sans en excepter le cabinet actuel, ont contribué à une bonne œuvre ; nos campagnes, dans quelques districts du moins, sont devenus méconnaissables : c'est un honneur à rendre à la Belgique émancipée. Mais il faut remarquer, messieurs, que notre voirie vicinale était fort arriérée, et qu'elle l'est encore aujourd'hui. Ce que nous avons fait ne doit pas nous empêcher de faire beaucoup plus. Comparativement à l'Angleterre et à la Hollande, notre voirie vicinale est détectable, et si je pouvais craindre que mon opinion à cet égard ne fût pas unanimement partagée par la (page 1449) chambre, j'entrerais dans des détails qui prouveraient à l'assemblée que je n'exagère rien en disant que les voies de communication entre beaucoup de villages sont presque impraticables.

Il y a une foule de localités en Belgique (je suis prêt à citer des chiffres), il y a une foule de localités où il coûte beaucoup plus cher pour transporter le blé au marché le plus voisin que pour le faire venir de Riga à Anvers. Je puis le prouver, la différence entre le prix de l'hectolitre acheté sur place et le prix de l’hectolitre vendu au marché, est parfois de trois francs.

J'aime le progrès, messieurs, je l'aime autant que ceux qui me reprochent de professer des doctrines rétrogrades; je ne dis pas que le moment ne viendra point où le paysan en Belgique pourra lutter contre le paysan russe; mais, en attendant, mettez notre compatriote à même de soutenir la concurrence, ne lui refusez pas les conditions du succès. Comment voulez-vous qu'il puisse lutter contre le commerce exotique, quand le transport n'est pas plus cher pour traverser un espace de 500 ou 600 lieues que pour en faire deux ou trois? Je ne trouverais donc pas d'inconvénients à voir figurer au budget 300 mille francs aux dépenses ordinaires et 200 mille francs aux dépenses extraordinaires pour la voirie vicinale.

Rien ne serait plus régulier et plus rationnel.

Je ne pense pas que M. le ministre de l'intérieur soit embarrassé pour dépenser ces 500,000 francs; au besoin, je lui viendrais en aide, en lui désignant des routes vicinales à paver. Plus d'un de mes honorables collègues se joindrait à moi pour l'accomplissement de cette tâche. Du reste, je n'impose pas à l'honorable ministre l'obligation de les dépenser; si les communes ne font pas des offres raisonnables, si les provinces se montrent trop exigeantes, il ne dépensera pas tout son crédit. Seulement je désire, parce que j'ai confiance en lui, qu'il ait toujours des fonds suffisants à sa disposition.

M. David. - La principale objection que l'on fasse à la demande d'augmentation de l'allocation pour les chemins vicinaux, c'est la pénurie du trésor ! L'année dernière je me suis déjà expliqué sur cet objet, je ne pourrai guère vous apporter que les mêmes considérations. Mes intentions à l'égard du commerce et de l'industrie ne sont pas suspectes; j'applaudis aux efforts et aux sacrifices faits pour augmenter nos grandes routes, nos canaux et nos chemins de fer; je me félicite qu'on ait construit beaucoup de ces voies de communication vers les grands centres de production et de consommation.

Mais la majeure partie de ces dépenses a été faite au moyen des impôts qui pèsent sur les propriétés rurales de la Belgique. Aujourd'hui le budget des grandes routes devrait être transformé en budget des chemins vicinaux de grande communication, qui peuvent remplacer les routes ordinaires.

Le moment est, me semble-t-il, arrivé de construire un peu moins de grandes routes, pour établir plus de chemins vicinaux. La voirie vicinale, est le corollaire indispensable des chemins de fer, des grandes routes et des canaux qui existent déjà.

Si une augmentation était adoptée au budget de l'intérieur pour la voirie vicinale, une réduction correspondante pourrait être faite à l'article du budget des travaux publics concernant les grandes routes. C'est pour cela que je demanderai que le crédit porté au budget de l'intérieur pour la voirie vicinale soit élevé à 500,000 fr., ou mieux si possible, et cela d'une manière permanente.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Liefmans. - M. le ministre a dit que je ne l'avais pas écouté; il faut donc que j'aie mal exprimé ma pensée. Je n'ai pas voulu critiquer les mesures qu'il a prises, mais j'ai dit que le principe qu'il prenait pour base était trop absolu, que ce principe applique d'une manière exclusive, était souvent nuisible et injuste. Je l'ai engagé à y faire des exceptions, à en faire plus qu'il n'en a fait jusqu'ici en faveur des communes pauvres, et si le gouvernement est disposé à le faire, je me déclare satisfait. Voilà quel était le but de mes observations.

M. Coomans. - Messieurs, je n'ai pas insisté sur les moyens de faire les fonds, parce qu'il me semble que cela n'est pas difficile; on en trouve pour tant d'objets d’une utilité plus contestable que je serais surpris qu'on m'opposât cette fin de non-recevoir. J'aurais dû ajouter qu'en défendant les intérêts de l'agriculture je n'étais pas exclusif, car j'ai voté toutes sortes d'encouragements pour l'industrie et le commerce.

J’ai voté, par exemple, une prime considérable pour les sucres, prime bien autrement élevée que le chiffre demandé pour la voirie vicinale.

Je l'ai fait parce que j'étais convaincu que l'intérêt du commerce et de l'industrie réclamait ce sacrifice. Je ne méconnais pas cet intérêt qui est véritablement national, mais j'espère qu'un ne méconnaîtra pas non plus l'intérêt agricole, le premier de tous. J'ajourne le reste de mes observations à la discussion du crédit spécial demandé par M. le ministre de l'intérieur.

- Les amendements sont retirés.

L'article 45 est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à 4 heures et demie.