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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 7 mai 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1291) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des habitants de Louvain demandent que la garde civique soit divisée en deux bans. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Quelques habitants à Ortho (Luxembourg), demandent que le dépôt de chaux à Champion soit mis en activité ou qu'il leur soit accordé une indemnité du chef du transport de cet engrais. »

- Même renvoi.


« Le sieur Fontaine réclame l'intervention de la chambre, pour obtenir la liquidation de diverses rentes constituées à la charge des Etats de Brabant et autres établissements supprimés par le gouvernement français. »

- Même renvoi.


« Plusieurs raffineurs de sucres candis à Anvers réclament pour leur industrie la protection dont elle jouit en Hollande. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les sucres.

M. Veydt. - Je demande en outre qu'il soit fait lecture de cette pétition.

- Adopté.


M. A. Vandenpeereboom donne lecture de la pétition qui est ainsi conçue :

« A MM. les membres de la chambre des représentants.

« Messieurs,

« La question sur la législation des sucres, telle qu'elle a été agitée par quelques orateurs à l'assemblée législative, ajustement alarmé les soussignés, tous raffineurs, formant la petite industrie des sucres (faiseurs de candis).

« En effet, messieurs, les uns préconisent le système de la loi de 1846 ; d'autres veulent le système de gradation ou le rendement indéfini ; d'autres enfin invoquent le système hollandais et désirent le faire introduire en Belgique; mais tous perdent de vue la condition exceptionnelle qui doit assurer l'existence de la fabrication par les faiseurs de candis.

« Les défenseurs du système de gradation ou du rendement indéfini perdent de vue que ce système est surtout inapplicable à la petite industrie qui ne fabrique que des sucres candis, d'abord parce que la fabrication de ce sucre est conditionnelle puisque, pour être admise à l'exportation, elle doit remplir les conditions voulues par la loi, c'est-à-dire que le sucre fabriqué doit l'être détaché et à larges cristaux, et ensuite parce que cette fabrication ne peut jamais être progressive, soumise comme elle aux exigences de la loi.

Ceux-là qui invoquent le système hollandais pour l'appliquer à la Belgique, ont omis de mentionner que nos voisins ont si bien compris la protection toute spéciale que réclame la petite industrie (faiseurs de candis), que le rendement en a été fixé à 65 et une légère fraction ; toujours par la raison que la loi impose à la fabrication de ce sucre des conditions exceptionnelles pour l'admettre à l'exportation. Si donc l'on admettait ce principe, il faudrait nécessairement l'admettre avec la distinction pour la petite industrie telle qu'elle est établie en Hollande ; alors seulement son existence ne se traînerait plus péniblement comme elle l'a fait sous le régime de la loi de 1846 qui lui impose un rendement de 68 p. c. Ce rendement, messieurs, est trop élevé pour les faiseurs de candis, dont la fabrication, étant soumise à des conditions exceptionnelles, devrait jouir, comme en Hollande et en raison de ces conditions, d'une faveur spéciale.

« Ce sont ces considérations que les soussignés ont pris à tâche de soumettre à votre appréciation.

« Veuillez, messieurs, les prendre en sérieuse considération et agréer l'assurance des sentiments respectueux de vos très humbles et très obéissants serviteurs.

« Anvers, le 7 mai 1849.

« (Suivent les signatures.) »

Propositions de loi relatives au droit sur les sucres

Discussion générale

M. le président. - La parole à M. de Mérode.

M. de Mérode. - Messieurs, disait M. le ministre des finances en commençant cette discussion, la question sur les sucres a le privilège de se représenter souvent devant la chambre; et l'on peut ajouter à ces paroles de M. le ministre, qu'elle aura ce privilège aussi longtemps que l'on perpétuera celui que possèdent les exploitants du raffinage du sucre exotique pour l'étranger, de se faire payer par les contribuables tout le bénéfice de leur industrie. Autrefois des privilèges importants appartenaient à la noblesse. Elle était dispensée de payer certains impôts; elle jouissait de droits fort étendus et de redevances féodales; mais du moins l’origine de ces droits se fondait sur l'obligation de marcher à l'appel du suzerain contre l'ennemi, et jusqu'à ces derniers temps le gentilhomme privilégié dépensait ses revenus et souvent son fonds au service de l'Etat qui ne l'indemnisait que bien rarement des frais auxquels il se soumettait pour l'honneur de combattre sous la bannière du prince et du pays. Quant au nouveau seigneur industriel et au haut commerçant, doté de droits abusifs qu'il prélève de diverses manières sur le public de notre époque, loin de verser son sang pour la patrie, il lutte avec une persévérance opiniâtre pour maintenir son privilège gratuit, et dût le pays s'exposer de nouveau à voir inscrire sur le cercueil de quelque prince étranger Hasselt et Louvain, il cherche à amoindrir la force militaire nationale, afin d'employer, en primes dévolues à l'intérêt privé de quelques-uns, les recettes provenant des impôts payés par tous et dont la destination légitime est la protection de tous, Néanmoins, comme nous vivons dans un siècle de publicité et de discussion, il se trouve et se trouvera toujours, j'espère, dans les chambres quelques hommes qui ne fléchiront pas le genou devant la haute puissance des spéculateurs commerciaux sur l'Etat, lesquels mettent leur commerce au-dessus de l'armée, au-dessus de l'agriculture, au-dessus de tous les fonctionnaires qui servent la société, en compromettent le sort par les plus fâcheuses économies , tandis qu'ils puisent à pleines mains dans les ressources nécessaires au service public.

C'est ainsi, messieurs, que sera perpétué le débat qui nous occupe ; tant que ne prévaudra point le système proposé par l'honorable M. Mercier, parfaitement instruit des intérêts financiers du pays, parce qu'il n'a pas été improvisé maître en cette partie si importante de la politique intérieure et qu'il n'est pas plus facile, sans études préalables, d'administrer les finances d'un peuple, que de juger, de plaider ou de guérir sans avoir sérieusement et longuement étudié le droit ou la médecine.

Aujourd'hui sont exclus des chambres tous ceux qui servent l'Etat, excepté les ministres qui passent tout à coup des bancs où nous siégeons et sans précédents quelconques, à la direction de n'importe quelle branche d'administration ; travaux publics, finances, intérieur, affaires étrangères, tout leur est successivement livré, en quelque sorte, au hasard, et quand ils commencent à acquérir une petite expérience dans un cabinet de ministre on les transplante dans un autre. Aussi quelle différence entre la situation où se trouvaient les finances de la Prusse ou du Piémont avant les derniers événements et la position des nôtres! Là, loin de proposer des augmentations de taxes, on les réduisait. Là, on n'affligeait point les fonctionnaires par des bouleversements complets comme on vient de le faire dans le département des finances pour obtenir je ne sais quelle économie ; car elle est bien loin d'être claire à mes yeux. Là enfin, on savait maintenir une armée respectable sans mettre constamment en question son existence d’y porter le découragement. Mais aussi, je le suppose, les ministres étaient ou devenaient des hommes spéciaux sur la partie du service public qui leur était confiée. Chez nous, au contraire, on a récemment imaginé contre l'avis du congrès, d'exclure des chambres tous ceux qui ont servi l'Etat ; et en même temps la plus singulière anomalie porte presque exclusivement aux fonctions ministérielles les membres des assemblées politiques.

Partisan sincère du régime constitutionnel, je voudrais qu'il se tînt au moins à la hauteur administrative du régime absolu. Jamais, cependant, aux époques antérieures à la présente, les ministres ne s'étaient prétendus aussi parfaits qu'aujourd'hui. On les traitait parfois dans cette enceinte avec une brutalité que je suis loin de regretter assurément; mais un ministre se serait bien gardé de qualifier d'injure, de calomnie, de hardiesses dépassant les limites des convenances, des expressions comme celles dont s'est servie la section centrale en indiquant, en termes très modérés, dans son rapport récent, à l'égard de la loi en discussion, que la conduite du ministère lui semblait plutôt celle de l'agent d'intérêts spéciaux coalisés que des intérêts généraux du pays.

Qu'aurait dit l'honorable M. Frère-Orban si un des adversaires du privilège des raffineurs de sucre exotique l'avait accusé, comme l'un des plus chauds défenseurs actuels de ce raffinage soldé par les contribuables, accusait un ex-ministre de laisser mourir exprès les détenus de St-Bernard pour pouvoir établir, à Louvain, une maison de réclusion dans l'intérêt de cette ville dont il était député?

(page 1292) En pareil cas, M. le ministre des finances aurait pu protester énergiquement et déclarer que le ridicule de semblable insinuation le disputait à l'odieux ; mais quant à la section centrale, dont je suis membre, elle n'a été ni calomniatrice, ni ridicule, ni odieuse dans les termes de son rapport, et, pour mon compte, je ne renoncerai pas au droit de dire, comme représentant, que ministres ou ministères me paraissent favoriser des intérêts particuliers aux dépens de l'intérêt général. Et plût à Dieu que cette salle n'eût jamais retenti que de pareilles censures! car si elles devaient être supprimées, autant vaudrait supprimer les débats parlementaires, ou les réduire aux compliments qui frappent trop souvent aujourd'hui peut-être les oreilles des ministres, portant ainsi la susceptibilité de tel ou tel de ces hauts fonctionnaires nouveaux à un degré véritablement excessif et incompatible avec nos institutions. Les dépositaires du pouvoir gouvernemental ont le droit d'affirmer sans doute et d'essayer de prouver qu'ils sont exclusivement animés du plus pur dévouement au bien général, comme aussi les représentants ont celui de n'accepter ces assurances que sous bénéfice d'inventaire, de contrôle, et par conséquent de contradiction.

Depuis dix-huit à dix-neuf ans que je siège sur ces bancs, je déclare avoir vu bien rarement un ministre des finances, sorti de la droite ou de la gauche, défendre comme sa propre affaire l'argent versé par les contribuables dans le trésor de l'Etat, contre toutes les coalitions d'intérêts locaux ou privés; et c'est parce que ce courage est trop rare que l'on a constamment augmenté la dette publique en proclamant la félicité future si grande que l'on ne risquait rien en grevant l'avenir d'emprunts accumulés.

Telle est sans doute encore, malgré le démenti donné à cette confiance bénévole par la révolution de février, l'opinion de M. Dechamps qui a parlé dans la dernière séance contre la proposition de M. Mercier; puisqu’il approuve toutes les réductions de recettes, soit sur le canal de Charleroy, soit sur les chemins de fer, soit sur les sucres, tout en défendant par d'excellents discours les missions diplomatiques et d'autres dépenses nationales, qu'il est impossible de solder autrement qu'avec des revenus équivalents ou des emprunts qui comblent les différences dans le présent, en les rejetant sur les épaules de l'avenir ; jusqu'à ce qu'enfin le crédit fasse défaut; et d'autre part, je n'ai pas vu l'honorable membre prêter au gouvernement son appui en faveur du serment et des droits de succession de père en fils. J'ignore donc jusqu'ici quel est le secret financier du représentant de Charleroy, secret dont la divulgation rendrait peut-être inutile pour le trésor la sollicitude parfaitement motivée jusqu'à présent du représentant de Nivelles. Il est vrai qu'employé supérieur de l'administration des finances, M. Mercier, plus tard ministre, a passé par les grades avant d'être chargé de la direction de cette armée de perception et de payement qui nourrit l'autre, assure l'ordre dans la société et par conséquent la sécurité du haut commerce et de la haute industrie.

Cependant, messieurs, les hauts commerçants ou industriels qui s'approprient les ressources du trésor public par les transports à perte sur les chemins de fer, par les réformes postales, par les primes énormes comme celle qui s'applique au raffinage du sucre étranger, se persuadent nécessairement d'une de ces deux choses, ou que l’Etat n’a plus besoin d'argent, ou qu'il doit prélever toutes ses recettes sur sa propriété agricole et bâtie. En un mot, que le gouvernement doit donner beaucoup à ceux qui spéculent, et prendre beaucoup à ceux qui ne se livrent pas aux spéculations et se contentent de ce qu'ils possèdent ou qui vivent de l'agriculture.

Mais si l'Etat n'a plus besoin d'argent, pourquoi le gouvernement qui renonce à percevoir le produit réel des taxes qui existent ou ce que peut fournir son propre domaine recourt-il à des demandes de nouveaux impôts? Et s'il a besoin de ceux-ci n'est-ce point parce qu'il livre aux uns ce qu'il veut enlever aux autres? Dans cette combinaison où les sacrifiés sont les serviteurs de l'Etat, les propriétaires et spécialement la partie du peuple qu'ils entretiennent, car le raffineur n'a pas le monopole du travail assurément, où est la justice, où est l'égalité distributive?

On vante les bienfaits du régime actuel appliqué aux sucres.

Mais si l'Etat abandonnait la moitié de la recette des barrières, et dépensait 400 mille francs de plus pour les chemins vicinaux, au lieu de les employer à un service de nuit sur les chemins de fer pour les spéculateurs très pressés, l'agriculture et le commerce des petites villes et bourgades n'y gagneraient-ils pas infiniment?

Si l'Etat accordait chaque année deux millions à une société d'exportation, ne servirait-il pas mieux toutes les industries qu'en attribuant cette somme à la seule industrie du raffinage?

Quoi qu'on puisse dire, une industrie très restreinte quant aux ouvriers qu'elle emploie, qui n'a d'autre résultat que de faire promener sans profit sur mer un certain nombre de navires, puisqu'elle cesserait si l'impôt sur le sucre était supprimé, est certes la plus factice des industries, la plus impuissante par elle-même.

C'est un être qui ne marche que traîné par un autre et qui de plus s'aura jamais de jambes, ne ressemblant pas à ces enfants qu'on porte avec l'espoir qu'ils prendront plus tard un jarret vigoureux, mais au podagre qui jamais n'a couru et ne courra jamais qu'en voiture, et bien chère voiture au prix de deux millions. Cependant puisque ce paralysé trapu n'a point lui-même de membres capables de le porter, je veux bien lui accorder l'assistance d'un véhicule du prix d'un demi-million, mais à condition que le cadeau sera bien établi, et nous méritera une reconnaissance directe dont le motif sera autrement constaté que par le grimoire grâce auquel on donne sans avoir l'air de donner. J'ajouterai donc à la proposition de M. Mercier l'article additionnel ainsi conçu : « Une prime de 500 mille francs sera attribuée aux raffineurs de sucre destiné à l'exportation et qui travailleront en entrepôt; la distribution de cette prime se fera par semestre en raison des exportations accomplies dans les six mois qui la précéderont. »

Messieurs, dans ce débat on a pu remarquer que l'honorable adversaire principal de la prime exorbitante que nous combattons reconnaît tous les faits, n'en déguise point, ne se livre à aucune réticence, saisit des chiffres provenant de documents authentiques et présente par des calculs simples leurs résultats aux yeux de tous.

La thèse opposée à la sienne se défend au contraire par des moyens dilatoires, par des suppositions, par la confusion de tout le commerce du sucre avec celui du raffinage d'exportation, par le relief que l'on cherche à donner à quelques recettes secondaires insignifiantes et la prétention des péages sur l'Escaut, qui doit entrer aussi en ligne de compte pour apprécier l'effet réel de ce mouvement commercial soldé par le trésor public. Le contraste que je remarque ne vous échappera pas, messieurs, et le brouillard dans lequel aime à se plonger l'industrie du raffinage de sucre exotique pour l'étranger prouve que la lumière franche l'exposerait à être jugé selon sa véritable valeur. Eclairons enfin ce dédale obscur par le raffinage, en entrepôt comme il est établi en Angleterre et par le sacrifice d'un demi-million en faveur de ce commerce privilégié à l'excès jusqu'à ce jour; nous lui montrerons ainsi une complaisance assez large, mais qui ne laissera plus une part trop considérable du revenu public s'absorber dans un autre emploi que sa véritable destination.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le discours que vous venez d'entendre, est en grande partie à l'adresse du ministre des finances ; il s'occupe beaucoup moins de la question qui est soumise à la chambre que de la personne qui se trouve, par accident, chargée de défendre ce qu'il croit être et l'intérêt du trésor et l'intérêt du pays. Je regrette que l'honorable membre ait cru devoir se livrer contre moi, à ce sujet, à des plaisanteries fort agréables, sans doute, très spirituelles, mais qui me semblent assez hors de saison.

Je ne sais trop à quelle époque et dans quel pays il a existé une école où l'on formait les ministres. J'ai vu que partout dans les Etats constitutionnels on arrivait au ministère, parce que la confiance des électeurs vous envoyait dans le parlement, et qu'on était ainsi désignée à la confiance du Roi pour diriger les affaires de l'Etat.

L'honorable membre aurait pu se souvenir, ce me semble, que le portefeuille des finances a été tenu, avant moi, par un honorable concitoyen qui n'avait pas fait non plus, que je sache, un apprentissage particulier des matières financières...

M. de Mérode. - J'ai parlé de lui aussi.

M. le président. - Je prie M. de Mérode de ne pas interrompre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute, cela ne prouve pas mon aptitude spéciale à traiter de pareilles matières ; mais qu'y faire?

Je suis bien un peu aussi au ministère dans l'intérêt d'une opinion que je crois représenter; j'y suis aussi un peu pour la question politique; et c'est peut-être à cause de cette circonstance toute particulière, que je ne trouve pas grâce devant l'honorable membre.

M. de Mérode. - as le moins du monde.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Car, je dois le dire, mon honorable prédécesseur, avocat comme moi, improvisé comme moi, ministre des finances ne soulevait pas, comme moi, les antipathies de l'honorable M. de Mérode.

M. de Mérode. - Pas le moins du monde.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable membre, moins que tout autre, ce me semble, aurait dû s'étonner qu'on fût ainsi tout à coup improvisé ministre d'un département quelconque, s'il n'avait pas oublié qu'il fut un jour improvisé ministre de la guerre... (Hilarité générale.)

M. de Mérode. - Il n'y a pas là de quoi rire; quand un homme se dévoue, il n'y a pas sujet de rire ; mais cela ne m'étonne pas, je sais que c'est là la récompense du patriotisme.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Au même titre qui a pu autoriser M. de Mérode à prendre le portefeuille de la guerre, je demande la permission de pouvoir conserver aussi le portefeuille des finances.

L'honorable membre a dit aussi, en passant, que nous négligions les intérêts du trésor après avoir sacrifié les véritables intérêts de l'Etat, par des économies très problématiques et en tout cas fort mal entendues; et sous ce rapport, il a signalé surtout le département des finances à l'animadversion publique.

Je crois pouvoir rassurer l'honorable membre: les économies sont réelles, sérieuses; elles seront efficaces, elles ne seront pas nuisibles. Aujourd'hui l'organisation nouvelle est presque entièrement appliquée ; la plupart des fonctionnaires ont vu leur position améliorée. A l'exception, eu égard à la masse totale, d'un nombre assez restreint de fonctionnaires qui se trouvent momentanément et pour un temps qui ne sera pas très long, dans l'état de disponibilité; presque tous les autres sont dans une meilleure position qu'auparavant.

Ceci est de nature à prouver à l'honorable membre qu'on peut obtenir ce double résultat : améliorer la position des fonctionnaires et opérer des économies efficaces au profit de l'Etat.

(page 1293) L'honorable membre s'est pou occupé de la question des sucres dans le discours que vous venez d'entendre; il a en effet énoncé quelques propositions qui attestent qu'il a fermé l'oreille à toutes les discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte. Il vient, par exemple, de formuler un amendement au système de M. Mercier qui consiste à allouer 500 mille francs de prime aux raffineurs qui se livreront à l'exportation.

Or, s'il est vrai, comme je pense l'avoir démontré, que le produit de l’impôt ne peut être que de 4 millions cent mille francs, dans le système de l'honorable M. Mercier; si, d'un autre côté, on en déduit 500 mille francs, dans le système de M. de Mérode, le produit sera manifestement beaucoup moindre que dans le système du gouvernement.

Cela dit, je reprends le débat qui est soumis à la chambre déjà depuis plusieurs jours.

La question a trois grandes faces : c'est, d'un côté, l'intérêt commercial; c'est, de l'autre, l'importance de la consommation; c'est, enfin, le produit possible, probable de l'impôt.

Le premier côté a été savamment examiné ; il a été approfondi ; je crois le sujet épuisé ; on s'est vaillamment battu de part et d'autre à coups de statistique; on a fait pleuvoir un déluge de chiffres ; peut-être les spectateurs impartiaux qui voulaient juger de quel côté est la vérité, auront-ils eu quelque peine à démêler le vrai du faux. Mais toute réflexion faite, je crois que les membres de la chambre auront dégagé de toutes ces questions de chiffres quelques propositions bien nettes, bien précises, évidentes, par cela même n'appelant aucune espèce de démonstration et qui doivent donner la conviction qu'il y a ici (je ne veux rien exagérer) un intérêt commercial digne d'être pris en considération.

Cela ne doit-il pas suffire ? Ne nous occupons pas de statistique ; ne nous occupons pas de chiffres ; mais peut-on dire qu'un commerce qui déplace annuellement 50 millions de valeurs, qui alimente, dans une proportion très considérable, nos transports maritimes au long cours, soit un commerce à dédaigner, auquel la Belgique doive être complètement indifférente, et qu'on puisse sacrifier, pour un simple intérêt fiscal, pour obtenir un peu plus ou un peu moins de recettes. La question n'a pas plus d'importance que, cela. Tout est là. C'est ce que vous avez à décider.

La thèse de l'honorable M. Mercier est celle-ci : Les pays d'où vous tirez les sucres que vous importez chez vous, reçoivent fort peu de vos marchandises; vous faites donc une opération mauvaise. Il faudrait, pour que la chose eût quelque valeur, pour qu'elle fût digne de quelque intérêt, que l'exportation fût égale si non supérieure à l'importation.

M. Mercier. - Ce n'est pas ma thèse.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas ma thèse, dit l'honorable membre. Je sais parfaitement que, frappé des objections qui lui ont été adressées, il s'est hâté d'ajouter : «Ce n'est pas ma thèse, je réfute une objection.» C'est bien ce qu'a soutenu l'honorable membre. Mais tout en disant: « Je réfute une objection, » l'honorable membre soutient que le commerce est sans valeur, sans importance. Il compare les chiffres des importations et des exportations pour en induire que le commerce des sucres est sans intérêt, je me trompe, pour affirmer que ce commerce est fatal à la Belgique. (Dénégations de la part de M. Mercier.)

Il me semble (j'en appelle à la chambre) que je reproduis de la manière la plus fidèle la pensée de l'honorable membre.

Encore une fois, pas de chiffres, pas de discussion sur la statistique. N'est-il pas évident que cette balance de pays à pays est tout à fait indifférente? Ne sait-on pas qu'on ne peut en tirer aucun argument de la statistique; que les statistiques de ce genre n'ont aucune exactitude, qu'elles reposent sur des déclarations en douane que rien n'oblige à faire exactement; et que, au contraire, les exportateurs ont parfois intérêt à déclarer inexactement les lieux où ils transportent les marchandises.

D'ailleurs, ce qu'il faut considérer c'est la masse totale des exportations déterminées par les sucres, pour lesquelles du moins les sucres ont été une occasion ; car je ne veux pas exagérer ; je veux énoncer exactement ce qui me paraît vrai. C'est l'objet du travail du 1er mai 1848, déposé par mon honorable prédécesseur. C'est ce qui est important à considérer.

Un navire est en charge ; un navire est au bassin ; l'armateur veut aller chercher du sucre à la Havane. S'il doit y aller sur lest, l'opération sera mauvaise. Que peut-il faire? Chercher à exporter des marchandises. Il prendra du sucre raffiné; il prendra d'autres produits belges, des produits de nos manufactures.

Je concède à l'honorable M. Mercier qu'il ne prendra pas une parcelle de nos produits pour la Havane; mais il charge son navire de produits belges de diverses natures; il les dépose sur vingt côtes différentes et se rend à la Havane où il charge des sucres qu'il importe en Belgique. De ce qu'il n'a rien exporté à la Havane, peut-on en conclure que notre commerce avec la Havane est indifférent, est insignifiant? que les sucres que nous avons été charger sont plutôt nuisibles qu'utiles? N'est-il pas au contraire de toute évidence que les sucres ont été l'occasion, on doit le présumer, de l'exportation de nos produits dans d'autres lieux? N'est-il pas évident que le prix du fret est descendu d'autant plus bas qu'il a dû se reporter partie sur les produits exportés, partie sur les produits importés, partie sur le sucre raffiné, partie sur les autres marchandises de nos manufactures ?

Ce sont là des propositions pour lesquelles, à mon avis, il ne faut pas de statistique. Il suffit, ce me semble, d'apprécier impartialement les faits pour être convaincu que ce commerce a une importance que l'on ne peut méconnaître. Mais encore une fois que je ne veux pas exagérer; non, je ne prétends pas que le salut de la Belgique est attaché au commerce des sucres. Je me borne à dire à la chambre : ce commerce a une valeur ; il a une importance réelle; ne le sacrifiez pas, à moins qu'il n'y ait à le faire un grand intérêt pour le pays.

Oh! j'avoue que si ce commerce absorbait, comme on le soutient, 4, 5 ou 6 millions, j'y penserais à deux fois avant de donner à la chambre le conseil que je lui donne en ce moment; j'examinerais bien mûrement, bien attentivement et je crois que je serais bientôt de l'avis de mes honorables contradicteurs. Mais de quel intérêt s'agit-il dans ce débat? Quel est l'intérêt pécuniaire en question? S'il est vrai que le produit de l'accise sur le sucre dans le système le plus radical qui est celui de l'honorable M. Mercier, ne peut être que de 4,112,000 fr.; s'il est vrai d'un autre côté que les propositions du gouvernement ont pour résultat d'assurer au trésor une recette de 3,600,000 fr., l'intérêt du débat, c'est 500,000 francs ; c'est la prime que l'honorable M. de Mérode consent à accorder à ce commerce d'exportation !

Il est vrai, et je suis prêt à le concéder, que le pays paye une somme plus considérable que cette différence: Laquelle? Je ne sais qui pourrait la déterminer; veut-on l'estimer au double ou au triple de cette somme? Le pays paye une somme plus considérable que la différence que je viens d'indiquer, mais le trésor ne saurait pas la récupérer. Il n'y a pour le trésor que la consommation officielle; car c'est la base de l'accise; il n'y en a pas d'autre. Ce qu'il y a en excès, en admettant une consommation supérieure, sert bien à alimenter la consommation du pays et permet ainsi aux vendeurs de récupérer une partie de l'impôt qui ne passe pas par le trésor de l'Etat ; mais si le contribuable la paye, le trésor ne peut pas l'atteindre.

Tout se résume donc, messieurs, à déterminer quelle est véritablement l'importance de la consommation en Belgique. C'est là, comme je l'avais dit la première fois que j'ai pris la parole dans cette affaire; le point capital du débat. Vous avez vu successivement les honorables auteurs des diverses propositions essayer de démontrer que la consommation de la Belgique arrivait à un chiffre bien supérieur au chiffre accusé par les tableaux officiels.

En effet si la consommation n'est pas beaucoup plus considérable que la consommation officielle, si elle est même telle qu'ils l'ont eux-mêmes prétendu avant le 3 mai, leur système croule radicalement par la base.

M. Mercier. - Je le conteste.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oh! sans doute, l'honorable membre le conteste, mais si l'on est de cet avis, si l'on pense qu'avec la consommation telle qu'elle est accusée officiellement, le système que je combats peut fonctionner, pourquoi donc élever un débat? Voulez-vous discuter sur les chiffres officiels? Je suis prêt, et nous verrons ce que vous pourrez obtenir. Nous verrons si l'honorable M. Cools pourra, à la fois, obtenir deux choses, s'il pourra à la fois obtenir 4 millions et un mouvement commercial qui vaille la peine d'être mentionné. Je démontrerai que c'est un résultat impossible à atteindre. Il est si impossible que vous ne voulez pas de la consommation officielle; il vous faut une consommation à votre guise, il vous faut une consommation beaucoup plus considérable que celle qui est accusée par les documents officiels, pour que vous puissiez obtenir 4 millions et un certain mouvement commercial.

Je prie la chambre de ne pas l'oublier. N'aurais-je pas pu m'arrêter, moi, aux statistiques officielles? N'aurais-je pas pu dire : Voilà les prises en charge de sucre de canne, de sucre de betteraves; voilà les mises en consommation ; je ne connais que cela. N'aurais-je pas pu asseoir toute la discussion sur cette base et renverser sur cette base même les propositions des honorables MM. Cools et Mercier? Eh bien, j'ai fait une grande concession : j'ai admis que la consommation était supérieure à celle qui est renseignée dans les tableaux officiels; première et très grande concession. J'en ai fait une seconde : j'ai admis les chiffres de mes adversaires; j'ai pris la consommation telle qu'entend l'établir l'honorable M. Cools et à 51,000 kil. près, telle qu'entend l'établir l'honorable M. Mercier. C'est sur ce terrain que la discussion a été portée dans la première séance.

Mais, comme j'avais démontré qu'en admettant même une consommation de 11,449,000 kilog. brut, répondant à une consommation nette de 10,877,000 kilog. comme j'avais démontré, en partant de là, que la proposition de l'honorable M. Mercier ne pouvait produire que 4,100,000 fr., l'honorable membre a tout à coup changé d'avis. Il a dit, dans la séance" du 3 mai, qu'il avait changé d'avis avant de m'avoir entendu. Je ne le conteste pas. C'est que ses propres réflexions l'auront éclairé.

L'honorable membre a donc accusé, cette fois-ci, une consommation,: non plus de 11,500,000 kil. mais de 12,720,000 kil.

L'honorable M. Cools m'a dit : « Vous n'êtes ici d'accord avec personne ; vous voulez diminuer très notablement la consommation; vous n'êtes d'accord ni avec l'honorable M. Mercier, ni avec l'honorable M. Malou, ni avec l’honorable M. Smits; vous n'êtes d'accord avec aucun des ministres des finances qui vous ont précédé. »

Je pourrais dire d'abord : Ce que je soutiens est-il faux? C'est ce qui est à examiner. Car il importe peu que je sois ou non d'accord avec les déclarations des ministres des finances qui m'ont précédé. Mais je puis répondre beaucoup mieux; je puis répondre à l'honorable M. Cools: De quoi vous plaignez-vous, puisque je suis d'accord avec vous? J'ai pris les bases d'évaluation que vous avez indiquées.

(page 1294) L'honorable M. Smits a estimé, en effet, la consommation à 15 millions de kilogrammes, mais il me suffit d'invoquer l'honorable M. Cools pour prouver que l'honorable M. Smits a exagéré l'évaluation de la consommation, or l'honorable M. Cools se gardera bien de prétendre que la consommation soit de 18 millions ; donc l'honorable M. Cools se charge de la réfutation de l'estimation de l'honorable M. Smits.

Il y a plus, lorsqu'on a estimé la consommation à 15 millions, on n'avait aucun élément pour les années 1839, 1840 et 1841 ; on ne savait pas combien on produisait de sucre de betterave; l'honorable M. Smits avait estimé cette production à 4 millions pour 1839; à 5 millions pour 1840 et a 6 millions pour 1841. Les résultats constatés ultérieurement d'une manière indubitable, par suite de l'impôt établi sur le sucre de betterave, ont montré l'exagération de cette évaluation.

La supposition sur laquelle reposait cette évaluation de l'honorable M. Smits disparaît donc entièrement.

Quant à la supposition faite par l'honorable M. Malou, elle était beaucoup plus modérée; il n'évaluait la consommation qu'à 12,600,000 kil. L'honorable M. Malou avait puisé ce chiffre dans l'enquête établie par l'honorable M. Mercier sur les sucres. Depuis, il a été reconnu, par tous ceux qui se sont occupés de la question des sucres, qu'il était impossible d'évaluer la consommation à cette quantité.

Toutefois personne n'a jamais soutenu que la consommation réelle n'était pas supérieure à la consommation qui était accusée par les relevés officiels. On savait que pendant les premières années de l'application de la loi de l'impôt du sucre de betterave, une quantité assez considérable avait été soustraite à l'impôt. Mais on ne pouvait pas non plus la déterminer. L'honorable M. Mercier l'estimait à 600,000 kilog. pour chacune des années 1843, 1844 et 1845, soit 1,800,000 kilog.; le gouvernement l'estimait à 500,000; soit 1,500,000 kil. pour les trois années; on se rapprochait déjà beaucoup.

L'honorable M. Cools a proposé d'opérer autrement. Il a dit : « Pour atteindre toutes les quantités qui auraient dû être soumises à l'impôt, et connaître ainsi quelle est la consommation réelle du pays, nous calculerons les prises en charge au taux de 1,450 grammes. » C'est-à-dire que l'honorable membre a supposé que d'une quantité de 100 litres de jus, on tirerait nécessairement 1450 grammes de sucre brut par chaque degré du demi-mètre. Si cette proposition, ainsi énoncée, peut être considérée comme admissible pour les années 1843, 1844 et 1845, elle est exagérée pour les années postérieures; elle est exagérée depuis l'application... (Interruption.)

Vous reconnaissez, M. Cools, qu'elle est exagérée.

M. Cools. - Pour une année.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le veux bien ; cette exagération, combien importe-t-elle? Elle importe 205,881 kil. pour la campagne de 1847-1848. L'honorable membre a donc calculé toutes les prises en charge du sucre de betterave depuis 1843 jusqu'à présent au taux de 1,450 grammes; nous avons admis son calcul; bien qu'il vienne de reconnaître, qu'il y a exagération

Il est une autre cause d'exagération, c'est que les fabricants raffineurs, c'est-à-dire ceux qui produisent le sucre à l'état raffiné, n'ont pu livrer à la consommation par 100 kilog. sucre brut pris en charge à leurs comptes, que 80 à 85 kilog. de sucre fin. Nous avons estimé le déchet à 5 p. c, tandis qu'il s'élève pour ces fabricants à 17 1/2 en moyenne. Eh bien, nous avons maintenu dans les évaluations faites par l'honorable membre, pour évaluer la consommation, les quantités brutes exécutées à 1,450 grammes et un déchet de 5 p. ç.

M. Cools, rapporteur. - Permettez, M. le ministre, vous maintenez mon évaluation et vous dites qu'il y a exagération ; mais remarquez que, dans mon évaluation, j'avais tenu compte de la petite exagération que présente une année; les calculs de la section centrale sont indépendants de cette exagération ; elle n'y figure pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai fait publier, à la demande de l'honorable M. Jullien, un tableau qui indique quelle a été la consommation établie d'après les charges officielles.

Si nous prenons quatre années, de 1845 à 1847, nous trouvons 10,250,655 kilog. quantité nette ; si nous ajoutons l'année 1847-1848, qui aurait dû présenter, d'après l'honorable membre, une consommation moindre, nous avons, au contraire, une consommation plus forte qui accroît la moyenne et la porte à 10,573,719 kil., quantité nette.

Voilà ce qui résulte des relevés officiels. Nous établissons dans ce même tableau la consommation d'après les bases de l'honorable membre, c'est-à-dire en calculant la prise en chargea 1,450 grammes.

Je reprends chacune de ces quantités et pour quatre années je trouve les résultats suivants : 10,582,179 kil., et en y ajoutant l'année 1848, la moyenne s'élève à 10,877,618 kil. (Interruption.)

A moins que l'honorable M. Cools ne signale quelques erreurs dans les calculs qui sont consignés dans ces tableaux, il est impossible de méconnaître ce résultat: une consommation moyenne de 10,877,618 kil., quantité nette et là-dedans, je le répète, l'année 1848 a été calculée comme les autres au taux de 1.450 grammes.

Je croyais donc, disais-je tout à l'heure, qu'en faisant de telles concessions à mes adversaires, ils se seraient tenus pour satisfaits; je croyais qu'après avoir laissé subsister ces quantités en excès pour fixer le chiffre de la consommation, après avoir consenti à accepter leurs bases d'évaluations, à substituer une consommation incertaine à la consommation officielle, à celle qui résulte des documents extraits des registres de l'administration qui n'est susceptible d'aucune contestation, je pensais après tant de concessions que le débat serait notablement simplifié et que nous pourrions franchement examiner les conséquences des systèmes qui sont en présence.

Mais comme je le disais tantôt, l'honorable M. Mercier déserte son champ de bataille. Il avait établi la consommation à 11,500,000 kil. quantité brute; il en faisait la base de son système, c'était à l'aide de ces 11,500,000 kil., qu'il établissait un revenu possible de plus de 8 millions, quand tout à coup, voyant qu'il est clairement démontré que la consommation ainsi admise ne pourrait pas donner un résultat de 5 millions de recettes, l'honorable membre a porté la consommation à 12,720,000 kil.

Je ne puis mieux faire qu'opposer l'honorable M. Mercier à l'honorable M. Mercier.

L'honorable membre exprimait dans son rapport du 12 avril 1848, son opinion sur la consommation de la Belgique :

» Il est encore un point essentiel sur lequel on n'a jamais pu se mettre d'accord : la véritable consommation de sucre dans ce pays a toujours été un sujet de contestation; la production du sucre indigène n'ayant pu être constatée avant 1843, on n'a pu à cet égard qu'établir des conjectures toujours fort incertaines. Dans une discussion qui eut lieu dans cette enceinte en 1838, je crois avoir été très près de la vérité, en évaluant cette consommation à 12,282,000 kil. en sucre brut, avant la cession d'une partie des territoires du Limbourg et du Luxembourg: mais de cette quantité il faut déduire ce qui faisait l'objet d'un commerce interlope à notre frontière du midi ; cette partie, d'après les plus grandes probabilités, était d'environ un million de kilog. en sucre cristallisé; notre consommation intérieure n'était donc, en réalité, que de 11,282,000 kil. Est-elle plus élevée, aujourd'hui que notre population s'est amoindrie? Cela n'est pas probable. Pour l'apprécier, j’ai établi, d'après les documents officiels, une moyenne de consommation pendant la série des quatre années de 1843 à 1846 : pour aller au-devant de toute objection, j'ai ajouté 600,000 kil. aux quantités de sucre indigène constatées par l'administration pendant les années 1844, 1845 et 1846, et j'ai supposé la production de la campagne de 1842-1843 quelque peu supérieure à celle de 1843-1844; la moyenne ainsi établie donne pour résultat une quantité de 11,178,125 kilog. pour notre consommation moyenne. On voit qu'elle se rapproche de très près de celle que j'ai indiquée en 1838; toutefois, elle comprend encore une certaine partie qu'il faudrait en distraire comme ayant alimenté le commerce interlope pendant les trois premières années ; ce genre de commerce a cessé entièrement depuis que l'élévation du rendement a fait augmenter chez nous le prix du sucre. Le chiffre de 11,178,125 kilog. serait donc encore exagéré. Cependant, vu qu'il y a encore quelque incertitude dans les éléments d'appréciation que j'indiquerai du reste au Moniteur, je veux bien admettre que cette consommation est de 11,500,000 kil. en sucre brut. »

Ainsi voilà une opinion soutenue avec persévérance par l'honorable membre pendant 10 ans, de 1838, à 1848 défendue invariablement et qu'il abandonne le 3 mai après une démonstration sur la valeur financière de sa proposition. L'honorable membre y persévérait encore le 21 novembre 1848, dans les deuxièmes développements présentés à la séance du 21 novembre 1848. Il parlait ainsi :

« Je termine mon exposé, en rappelant que si la consommation du sucre du pays est de 11,500,000 kilogrammes, comme on peut l'admettre d'après les explications données à cet égard dans mes premiers développements (pages 55 et 56 du rapport de la section centrale, en date du 12 avril dernier), le produit de l'accise, selon le projet que j'ai l'honneur de soumettre à votre examen, s'élèvera à 5,120,000 francs. »

L'honorable membre avait procédé, comme vous venez de le voir, d'une manière vraiment rationnelle; il avait procédé pour connaître la consommation moyenne du pays sur une série d'années. C'est seulement ainsi que l'on peut arriver à des résultats approchant de la vérité.

La consommation est en effet une chose essentiellement variable; mille causes viennent l'influencer, elle s'accroît ou se réduit sans qu'on puisse bien indiquer quels sont les motifs de ces variations. Prendre une année, trois années, quelques années exceptionnelles, c'est s'exposer à des mécomptes ; dans ces calculs de probabilités, pour arriver à un résultat présentant quelque caractère de certitude, il faut opérer sur un temps assez long. Je reviendrai tout à l'heure sur cet aperçu.

Mais je dois faire remarquer dès ce moment que l'honorable membre a commis quelques erreurs dans ses évaluations. C'est ainsi qu'il y a compris une quantité de 688,580 kil. importés comme mélasses brutes, mais il a oublié de mentionner 598,811 kil. de sirop exportés avec décharge de l'accise. C'est une rectification qui doit être consentie.

L'honorable membre a compris, en outre, dans ses évaluations pour 1846, 256,308 kil. de sucre de betterave qui excèdent la prise en charge calculée à raison de 1,450 grammes.

En faisant ces rectifications, la consommation, dans le système de l'honorable M. Mercier, devrait être fixée (brute) à 12,478,729 kilog., au lieu de 12,720,000 kilog.

L'honorable M. Mercier, pour justifier cette nouvelle évaluation, fait remarquer qu'il a compris dans les années sur lesquelles il opère l'année 1847, qui a été, dit-il, une année désastreuse, signalée comme telle par tous les raffineurs, et pour laquelle la consommation a été amoindrie, il a, selon lui, opéré ainsi avec une grande modération. Mais je ne puis admettre la valeur de l'observation de l'honorable membre, parce que si la consommation est restreinte, il n'en résulte pas le moins du monde que le commerce d'exportation subisse une réduction dans la même (page 1295) proportion. En effet, si nous voulons considérer la mise en raffinage pendant cette période, comparée à celle de 1845, nous allons trouver une augmentation successive très considérable.

Les mises en raffinage du sucre de canne du 1er janvier au 31 décembre 1848 ne se sont élevées qu'à 10,015,927 kil., quantité brute, tandis qu'elles ont été, en 1846, de 15,332,315 kil., en 1847, de 16,229,781 kil., et en 1848, de 18,662,078 kil. Il est donc prouvé par les mises en raffinage et les quantités exportées que, pendant ces années, le commerce s'est développé ! Mais il est facile de démontrer par un fait qu'il y aurait danger de mécompte à prendre uniquement trois années pour servir à déterminer l'importance de la consommation.

J'ai fait relever les mises en raffinage, pour l'année commençant au 1er juillet 1848, et qui finira le 30 juin 1849, et vous allez voir quel danger il y a à conclure de la consommation de 1846, 1847 et 1848 à la consommation de 1848-1849.

On a mis en raffinage :

Sucre de canne.

Du 1er juillet au 31 décembre 1848, 9,899,205 kilog.

Du 1er janvier au 31 mars 1849, 3,610,600 kilog.

Du 1er avril au 30 juin 1849, calculées dans la proportion des trois trimestres précédents, 4,503,268 kilog.

Total, 18,013,073 kilog.

Sucre de betterave.

Du 1er juillet 1848 au 30 juin 1849, produit exact de la dernière campagne, 4,658,932 kilog.

Ensemble : 22,672,005 kilog.

A déduire le déchet à 5 p. c, 1,133,600 kilog.

Reste, 21,538,405 kilog.

Quantités exportées avec décharge de l'accise :

Du 1er juillet au 31 décembre 1848, 6.123,139 kilog.

Du 1er janvier au 31 mars 1849, 2,075,522 kilog.

Du 1er avril au 30 juin 1849, calculées dans la proportion des trois trimestres précédents : fr. 2,732,887 kilog.

Reste pour la consommation, quantité nette, 10,606,857 kilog.

Et brute, 11,165,112 kilog.

Ainsi dans cette supposition, et ma supposition vaut incontestablement mieux que celle de mon honorable contradicteur, bien loin d'être de 12,720,000 kilog., la consommation tomberait (quantité brute) à 11,165,112 kilog

Cependant vous avouerez que je dois être bien près de la vérité. Nous citons des faits exacts, certains, pour neuf mois. Il n'y a de calcul de probabilités que pour un trimestre seulement. Vous voyez donc qu'on ne peut conclure de la consommation de deux ou trois années à la consommation d'autres années.

L'honorable membre après, avoir estimé à 12,720,000 kil. ce que je viens de rectifier à 11,168,112 kilog., avait à s'occuper de la question du déchet.

Mais voici que l'honorable membre, afin de faire briller la recette qu'il avait à nous promettre, change encore une fois de système.

M. Mercier. - C'est clair ! Il y a une différence d'un demi pour cent.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oh! oui, c'est clair. Mais encore c'est un changement de système.

L'honorable membre avait jusqu'à présent évalué le déchet à 3 et demi pour cent. Il ne l'évalue plus qu'à 3 p. c. dans son système du 3 mai 1848. Savez-vous ce que fait sur la quantité totale ce petit changement sournois, cette différence d'un demi pour cent, comme dit l'honorable membre? 106,000 kilog. Cela profite d'autant à la recette supposée. Mais si le déchet est, en réalité, non pas de 3 ou de 3 1/2, mais de 5 p. c, je vous laisse à penser ce qu'il y a à espérer, dans le système de l'honorable membre.

L'honorable membre a aussi annoncé, pour justifier sa proposition, que les sucres bruts de qualité inférieure n'entraient dans le raffinage que jusqu'à concurrence de 10 p. c, en moyenne, pendant les trois années qu'il a comptées. L'honorable membre s'est trompé. Du 1er juillet 1844 au 30 juin 1848, les sucres de qualités inférieures sont entrés dans la masse totale des sucres à raffiner pour 23 p. c, et pendant la période du 1er juillet 1848 au 30 juin 1848 pour 19 p. c. en moyenne.

L'honorable membre ne s'est pas arrêté là ; il n'a tenu aucun compte des sucres avariés; il a supposé que tous les sucres mis en raffinage seraient des sucres sains, de très bonne qualité. Je vous demande si l'on peut admettre cela.

M. Mercier. - Il n'y a presque pas de sucres avariés.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais enfin, il y en a. Et puis, vous n'avez pas tenu compte de la déperdition qu'éprouvent les fabricants raffineurs. Il s'agit là de 17 p. c. Ils ne produisent que 80 à 85 en moyenne. Or si sur la masse totale des mises en raffinage nous ne faisons qu'une déduction de 5 p. c., je crois qu'il y a modération. Nous pourrions aller au-delà. Il est évident, en tous cas, que ce n'est pas aller assez loin que de s'arrêter à 3 p. c.

Si j'évalue d'après ces éléments la quantité qui devra représenter Iar consommation de la Belgique, dans le système du 3 mai de l'honorable M. Mercier, elle serait nette de 11,679,786 kil., brute de 12,294,480 kil, au lieu de 12,720,000 kilog. qu'il avait annoncé.

Mais je répète qu'il est évident et les raisons que j'ai données ont dû convaincre la chambre, que cette évaluation ne peut être admise. L'opération a été basée sur des termes beaucoup trop courts.

Il est à remarquer, au surplus, que cette consommation a existé pendant un commerce d'exportation étendu, considérable, et que l'honorable membre part de la supposition qu'en supprimant le commerce d'exportation, ce qui est la conséquence de sa proposition, la consommation n'en serait pas affectée. Il y aurait renchérissement des prix, partant restriction de la consommation, c'est ce que l'honorable membre, à une autre époque, à propos d'une proposition qui devait avoir cette influence sur la consommation, a parfaitement reconnu.

Dans l'enquête sur la question des sucres, il disait à la page 5 :

« Le système établi par la loi du 4 avril 1843, réduira la consommation : d'abord parce que l'élévation de l'impôt, en diminuant les bénéfices du commerce interlope, doit nécessairement le restreindre, et ensuite par la raison que la réserve ci-devant fixée à 1/10 a été portée à 4/10 des prises en charge, ce qui oblige les raffineurs à laisser sur le marché intérieur une plus forte quantité de sucre fin que celle absorbée antérieurement par le consommateur belge. »

Cependant la loi du 4 avril 1843, dont parlait l'honorable membre, avant laissé subsister le commerce d'exportation, à la vérité dans des limiter restreintes. Mais dans le système de l'honorable M. Mercier, il n'y a plus de commerce d'exportation. De sorte que si les raisons qu'il fait valoir sont bonnes, elles devraient nous conduire d'une manière bien plus rigoureuse à déclarer qu'il y aura une réduction considérable dans la consommation.

Mais un fait positif, à l'abri de toute contestation, c'est que la consommation a été alimentée, dans différentes proportions, par diverses qualités de sucres. Il y a eu des sucres fins, des cassonades, et des sirops. Dans quelles proportions ?

Si nous n'avons plus à fournir du sucre que pour la consommation, il est clair qu'il n'y aura plus de mise en raffinage que pour produire la quantité nécessaire à l'alimenter. Que vous procurera-t-elle ? Pensez-vous qu'elle produise la quantité de sucre fin, de cassonade et de sirop qu'exige la consommation actuelle? Pas le moins du monde.

Vous ne pouvez obtenir ces quantités de sucre raffiné, de cassonade et de sirop, c'est-à-dire ce que réclame la consommation du pays qu'avec une mise en raffinage portant sur des quantités considérables, portant sur toutes les quantités qui ont été mises en raffinage. 11,449,000 kil. mis en raffinage, produiront en sucre fin 8,587,000 kil. en cassonade, 1,145,000 kilog.; en sirop, 1,145,000 kilog. Quantité égale à la consommation nette, soit 10,877,000 kil. Mais, comme vous le remarquez, le sucre fin est en excès. Or, qui prendra ce sucre fin? qui le mangera, puisqu'il n'y a pas de consommateurs? Nous ne trouvons de consommateurs que pour 7,457,000 de kilog.; on va produire un million en plus; par qui sera-t-il acheté? Si on ne l'achète pas, on ne le produira pas; il faut donc le déduire pour connaître les produits probables du système de l'honorable M. Mercier.

Il vous manquera, au contraire, des cassonades et des sirops. C'est ce que doit reconnaître l'honorable membre.

M. Mercier. - Non ! non ! je répondrai.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous verrons. Mais je dis que vous n'aurez pas de consommateurs pour le sucre fin que je viens d'indiquer et qu'il vous manquera des cassonades et des sirops pour les consommateurs de ces bas produits.

Nous verrons tout à l'heure comment l'honorable membre veut y suppléer ; mais j'entends qu'il y sera suppléé par d'autres produits qui ne sont pas sujets au droit d'accises, par une extension de la consommation des sirops de fruits, du sirop de carottes, des sirops de betterave : perte nouvelle et inévitable. (Interruption.)

Je sais bien que l'honorable membre nie la perturbation qui doit exister dans la consommation, ou qu'il prétend du moins qu'elle ne sera pas très sensible. Messieurs, nous pouvons la déterminer ; c'est une chose à calculer. La perturbation sera de la quantité de sucre fin en excès que je viens d'indiquer, (Interruption.)

Vous prétendez que ce ne sera pas cette quantité ; qu'il y aura extension de la consommation. Mais personne ne croira facilement que lorsque, depuis plusieurs années, on ne trouve de consommateurs que pour 7 millions de sucre fin, on en trouvera inopinément pour 8 millions.

L'honorable membre a dit: On emploiera du sucre brut qui aura subi moins de main-d'œuvre à l'étranger, qui nous coûtera moins cher, et qui déversera une plus grande quantité de sucre cassonade dans la consommation. Mais, messieurs, si je suppose que nos raffineurs mettent en fonte le sucre de la plus basse qualité, je reconnais bien volontiers qu'ils auront une moindre quantité de sucre fin et une quantité plus considérable de cassonade et de sirop. Toutefois, la compensation ne se rétablira pas ; elle est impossible, parce que, quelque combinaison que vous adoptiez, vous n'arriverez jamais à alimenter la consommation des divers produits qu'elle exige maintenant et dans les proportions connues ; en voici la preuve.

(page 1296) Les quantités qui sont restées sur le marché intérieur ne peuvent être fournies par une quantité déterminée de 11, de 12, de 13, de 14 millions de kilog. ; elle provient d'une mise en raffinage qui, en moyenne, s'élève à plus de 19 millions de kil. C'est uniquement par cette mise en ratinage de 19 millions de kilog. de sucre brut que vous trouverez pour la consommation les diverses quantités de sucre fin, de cassonade et de sirop dans les proportions qui sont réclamées par les consommateurs.

Il est d’autant plus à craindre que la consommation reste au-dessous de la quantité nette de 8,677,000 kil. et brute de 9,133,684 kil., qu’il est à remarquer qu’en 1845, et l’honorable M. Mercier a pris soin de le dire plus d’une fois, il n’est resté sur le marché qu’une quantité brute de 8,481,660 kil. Je fais l'observation que cette quantité au taux de 1,450 grammes pour le sucre de betterave. Et cependant à cette époque, il y avait un avilissement dans les prix des sucres par suite de ce qu'on appelait la prime de mévente qui avait été considérable; de telle sorte que le consommateur, au lieu de payer un impôt de 76 fr. 97 c, payait à peine 40 fr. 3 c.

Cela avait donc dû déterminer une consommation plus considérable. Eh bien ! en 1845, if n'est resté sur le marché que la quantité de sucre que je viens d'indiquer.

On s’exposerait donc à des mécomptes si, acceptant trop aisément des conjectures, on voulait substituer une consommation que je dois qualifier de purement imaginaire, à une consommation telle qu'elle résulte des faits.

La chambre sait que je ne me suis pas arrête au chiffre officiel de la consommation.

La chambre sait que j'ai adopté les calculs de l'honorable M. Mercier, antérieurs au 3 mai, et les bases d'évaluation de l'honorable M. Cools; j'ai été par conséquent fort étonné d'entendre, dans le discours qu'a prononcé l'honorable M. Cools, qu'il me reprochait de m'être préoccupé uniquement des quantités officielles, d'avoir établi tous mes calculs, d'avoir établi ma réfutation de son système sur ces quantités. C'est énoncé tout au long dans le discours de l'honorable membre, et rien n'est moins exact. La réfutation est tirée des propres chiffines.de l'honorable membre.

Il a dit que je soutenais que la consommation ne s'élevait pas à 11 millions de kilog. Mais tout au contraire j'ai dit, répété, soutenu que cette consommation, en adoptant les bases d'évaluation de l'honorable M. Cools, était brute de 11,449,000 kil., ce qui ne différait que de 51,000 kil. avec les propres évaluations de l'honorable M. Mercier. L'honorable M. Cools s'est donc complètement trompé à cet égard.

J'ai maintenant à rencontrer quelques objections de l'honorable M. Cools.

Un mot lui a particulièrement déplu dans les observations que j'ai présentées sur la question qui nous occupe. J'ai dit que son système était impraticable. Le mot révolte l'honorable membre, Il ne peut pas l'admettre. En quoi, dit-il, est-il impraticable? Vous souteniez qu'on ne pourra pas obtenir 4 millions avec mon système.

L'honorable membre me fait dire ce que je n'ai pas dit. Jamais je n'ai prétendu qu'on ne pourrait obtenir 4 millions avec le système de l'honorable M. Cools; j'ai même été plus loin; j'ai dit qu'avec le système de l'honorable M. Cools comme avec celui de l'honorable M. Mercier on obtiendrait 4,100,000 fr. Ainsi je fais la concession qu'on obtient un produit plus considérable. Mais je dis à l'honorable M. Cools que son système est impraticable dans le double but qu'il veut atteindre, c'est-à-dire d'avoir à la fois les 4,000,000 fr. et un commerce d'exportation digne d'être mentionné. Je répète que cela est impraticable. L'honorable membre me répond : « Le commerce d'exportation n'est pas si considérable que vous voulez bien le dire ; il est de 10,000,000 kilog., chiffres ronds.

Messieurs, il y a là. beaucoup d'inexactitude : l'exportation a atteint du 1er juillet 1847 au 30 juin 4848 un chiffre de 11,234,179 kilog. Il ne s'agit donc pas de 10,500,000 kilog, chiffre rond. (Interruption.) J'ajoute que cette quantité a donné lieu à la décharge de l'accise ; par conséquent elle n'a pu entrer dans le commerce de transit, comme l'annonce M. Cools.

Quand on consulte les statistiques publiées par le gouvernement, on voit que le commerce de transit, en ce qui concerne les sucres raffinés, présente les résultats ci-après : 1843, 2,720 kil.; 1844, 1,000 kilog.; 1845, 500 kilog.; 1846, 75 kilog.; 1847, 25,000 kilog. Ensemble, 29,295 kilog.

Vous voyez, messieurs, que cette quantité est bien loin d'atteindre celle de 754,000 kilog, formant la différence entre les chiffres de M. Cools et ceux du gouvernement.

« Mais, dit l'honorable membre, nos exportations seront réduites dans une proportion très faible; nous aurons une diminution de 2 millions à 2 1/2 millions de kilog. sur l'exportation et de 4 millions sur l'importation, ainsi 6 ou 6 1/2 millions de mouvement commercial en moins. Je ne puis pas, encore une fois, messieurs, admettre le calcul de l'honorable membre, et vous allez juger entre nous. Entre sa proposition et celle du gouvernement, il y a une différence de 800,000 fr.; avec l'impôt de 45 fr., elle représente 1,777,777 kil. de sucre brut, soit une quantité nette, de 1,688,889 kil.

M. Cools, rapporteur. - M. le ministre calcule combien il faut mettre de sucre en raffinage pour obtenir l'économie qu'il indique. Mais il calcule sur du sucre de canne. Si on fait entrer, dans le calcul sur l'exportation, le sucre de betteraves, comme cela convient, puisqu'il s'exporte, il faut une mise en raffinage toute différente, pour obtenir le même résultat, la ristourne étant dans ce cas beaucoup plus forte.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pour apurer la somme de 800,000 francs pan l'exportation de produites, il faut une mise en raffinage de 7,553,173 kilog. donnant à 45 fr. 3,389,928 fr.

A déduire 376,658, déchet à 5 p. c.

Reste : 7,156,515/

Quantité à exporter 5,467,626 à la décharge de 62 fr. : 3,389,928.

Reste 1,668,889 fr. pour la consommation.

En déduisant de la quantité importée et mise en raffinage de 7,533,173 kil., celle qui aurait été forcément mise en consommation pour obtenir la recette de 800,000 fr. : fr. 1,777,777

Il resterait 5,755,396, à ajouter les quantités exportées, 5,467,626. Total : 11,223,022.

Le mouvement commercial serait donc diminué de 11,223,022 kil., et non pas de 6 ou de 6 1 /2 millions..

Mais avant tout, il s'agit de savoir quelle sera la consommation sons le régime de la proposition de l'honorable M. Cools, et dans quelles limites ce régime maintiendra le commerce d'exportation. Nous l'avons déjà dit, la proposition de l'honorable M. Cools a les mêmes effets que celle de l'honorable M. Mercier. Pour que la proposition de l'honorable M. Cools puisse fonctionner, il faut supposer que la consommation sera alimentée par 10,582,000 kil. quantité nette et 11,138,947 kil. quantité brute: Le rendement, dans ce cas, devrait être porté à 7,227, mais il n'y aurait qu'une importation de 15,021,068 kil. et une exportation de 6,214,000 kil., soit un mouvement commercial de 19,235,068 kil. Je pense que la chambre partagera mon opinion, qu'il faut s'en tenir aux premières évaluations faites par les honorables MM. Cools et Mercier, pour déterminer le chiffre de la consommation ; nous avons accepté le débat sur ce terrain et nous croyons pouvoir l'y maintenir.

Les seules raisons que l'honorable M. Mercier avait à faire valoir pour changer tout à coup de système, pour faire admettre, contrairement à sa conviction de dix années, que la consommation n'est plus de 11,500,000 kil., mais de 12,720,000 kil. ; ces raisons, je viens de les rencontrer, et' je crois, messieurs, quelles n'auront à vos yeux aucune valeur.

Il est impossible que vous admettiez qu'on prenne la consommation de trois années seulement, pour apprécier la consommation moyenne du pays ; il est d'autant plus impossible que vous l'admettiez, que les relevés relatifs à la consommation de l'année 1848-1849 établissent dès ce moment que la consommation ne s'élèvera qu'à 11,165,142 kil. quantité brute, par conséquent les bases admises, et si l'on considère surtout les divers éléments dont la consommation se compose, les chiffres que j'ai produits pour accuser le résultat financier des propositions des honorables MM. Cools et Mercier, subsistent intégralement.

L'honorable M. Mercier a critiqué seulement deux des chiffres indiqués par moi comme produit probable de l'impôt, d'après le système du gouvernement. Vous le savez, messieurs, ce produit probable, y compris les droits de douane, serait de 3,600,000 fr.

L'honorable membre a dit : « Vous avez fait figurer dans ce calcul le droit de douane pour 351,000 fr.; tandis que l'année précédente, le droit de douane n'a donné que 256,000 fr. »

L'observation de l'honorable membre n'est pas fondée ; le chiffre que j'ai indiqué doit être maintenu; la somme de 256,000 fr. a été obtenue en 1847 par une quantité de 16,229,781 kil. J'ai supposé et j'ai dû supposer que les mises en raffinage, par suite de la proposition que j'ai soumise à la chambre, s'élèveraient pour la période du 1er juillet 1849 au 30 juin 1850, à 23,500,000 kil., si la consommation est de 10,877,000 kil., quantité nette, et c'est sur cette quantité que les droits de douane ont été calculés.

L'honorable membre a dit ensuite, sans y attachée de l'importance : « Je ne m'occupe pas des produits secondaires, parce qu'ils sont compensés et au-delà par les droits de péage sur l'Escaut qu'on' aura à restituer. »

Je ne puis pas encore admettre cette déduction, quelque minime qu'elle soit, parce que, pour compenser le péage à restituer, nous n'avons pas fait figurer dans nos évaluations le droit de tonnage.

Ainsi, voilà les seules observations présentées sur les évaluations du gouvernement; je suis donc autorisé à maintenir tous les chiffres que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre.

Messieurs, l'honorable M. Cools a déclaré que la proposition du gouvernement résumait assez bien cette coalition dont a encore parlé tantôt l'honorable M. de Mérode, qui a trouvé peu injurieux qu'on supposât que le gouvernement était l'agent de cette coalition....

M. de Mérode. - On n'a pas dit du tout cela ainsi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a mis des gants blancs pour dire une chose désagréable ; je puis mettre aussi des gants blancs pour y répondre ; cela n'est pas difficile.

Je dis donc que l'honorable M. Cools a vu, dans les propositions du gouvernement l'expression de l'arrangement intervenu entre les intérêts privés ; il avait découvert cela à un signe indubitable, c'est qu'on avait acheté l'influence de la betterave au profit de la canne, à l'aide de la (page 1297) différence de 8 francs entre les deux droits. Comme je lui ai fait remarquer que la chambre ne pouvait admettre pareille assertion sur pareil fondement, parce que cette différence du droit n'était qu'un des termes de la proposition de l'honorable M. Mercier, l'honorable membre a donné l’explication de ses inquiétudes dans les paroles qu'il a prononcées le 2 mai dernier :

« M. le ministre, pour détruire ce que nous avons dit à l'égard de l'accord qui s’est établi entre les parties, se rejette toujours sur cette circonstance qu'il propose une différence de 8 francs dans le chiffre de l'impôt, et il fait observer que ce n'est que la reproduction d'une idée de M. Mercier. Mais il y a deux choses dans la proposition ministérielle et c'est là ce qui constitue davantage réciproque. Il y a les 8 francs de différence pour la betterave et le maintien des primes au taux actuel pour la canne. Car, remarquez-le bien, M. le ministre demande un produit de 3,200,000 fr., mais avec un impôt de 48 fr.; c'est comme si, avec un impôt de 45 fr., il se contentait, comme par le passé, d'un produit de 3,000,000 fr. Les primes restent sensiblement les mêmes. »

Ainsi, l'honorable membre est convaincu que les primes actuelles sont maintenues. Et c'est pour cela que vous avez vu cet accord touchant des représentants des localités intéressées pour appuyer les propositions du gouvernement, en parlant tous contre ces propositions.

Si les mathématiques ont tort, c'est moi qui me suis trompé, je confesserai mon erreur publiquement; mais si les mathématiques ont raison, la conscience de M. Cools a été évidemment troublée par une erreur, et j'attends de sa loyauté qu'il en fera l'aveu. On sait que pour connaître quel est le rendement légal, il suffit de diviser l'impôt par la décharge ; le quotient, c'est le rendement.

Ce n'est pas plus difficile que cela. Si vous connaissez l'impôt, par la décharge vous avez le rendement. L'impôt est de 48 francs pour 100 kil. de sucre brut; et pour le raffineur, l'exportation de 100 kil. de sucre fin vaut un crédit de 66 francs ; c'est identiquement comme si on le déchargeait de l'impôt de 45 francs à l'exportation de 68 k. 18 de sucre fin. Maintenant si nous avons admis que le rendement réel de 100 kilog. de sucre brut mis en raffinage est de 78 p. c. de sucre fin, comme le raffineur a apuré son compte par l'exportation de 68 kil. 18, il est clair qu'il lui reste indemne de droit à livrer à la consommation 6 k. 82. Or, si les 68 k. 18 lui valent décharge de 48 francs, montant de la prise en charge, il est également clair que les 6 k 82 représentent pour lui 4 fr. 80 c. Voilà la prime.

- Un membre. - C'est une erreur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - S'il est quelqu'un dans cette chambre connaissant la question des sucres qui puisse soutenir le contraire de cette proposition, je passe condamnation.

Ainsi, dans le système actuel, le droit étant de 48 fr., la décharge de 66 fr., la prime est de 4 fr. 50 c. En d'autres termes, la quantité de sucre fin qui reste dans les mains du raffineur, qu'il peut livrer à la consommation est de 6/82 kil.

M. Mercier. - Celle-là est exacte !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Prenez ma dernière énonciation si vous voulez, elle rend clairement ma pensée. Que propose le gouvernement? 48 francs d'impôt et 68 francs de décharge; c'est-à-dire que le rendement légal résultant de cette décharge, sera 70 k. 59; c'est-à-dire que la quantité indemne qui restera après l'apurement du droit ne sera plus que de 4 k. 41 ; c'est-à-dire encore qu'au lieu de pouvoir récupérer 4 fr. 50 le raffineur ne pourra plus récupérer que 3 fr. Je diminue de 1 fr. 50 la prime; et l'honorable membre a fondé toutes ses accusations, ses soupçons sur la supposition que la prime de 4 fr. 80 était conservée, ce qui est contraire à une simple proportion mathématique. Voulez-vous savoir à combien cela correspond ?

J'oubliais de dire que la décharge, qui serait de 68 au 1er juillet 1849, serait de 67 en 1850 et de 66 en 1851, par conséquent la somme possible à récupérer sur le consommateur, sera successivement réduite à 3 fr., 2 fr. 25 et 1 fr. 50, au lieu de 4 fr. 50 qu'elle est aujourd'hui. En appliquant cette réduction à la quantité d'un million de kilogrammes, on trouve une différence en moins pour la première période, de 15,000 fr., pour la second, de 22,500 fr., et pour la troisième, de 30,000 fr.

L'erreur est palpable; un simple calcul le démontrera à chacun d'entre vous; il est impossible que le résultat indiqué par M. Cools soit atteint ; et celui que j'indique est exact, s'il est vrai que la division du taux de l'impôt par la décharge donne le rendement.

L'honorable membre a parlé encore du système anti-commercial de la proposition du gouvernement, parce qu'il a supposé que le résultat de celle proposition devait être de donner une prime et même une surprime à la betterave sur le marché étranger, pour en favoriser l'exportation. Cela est encore complètement inexact. Le système du gouvernement aura pour résultat de maintenir la betterave comme aujourd'hui, dans la même condition sur le marché intérieur et sur le marché étranger. La betterave qui jouirait d'un droit différentiel de 8 fr. sur l'accise, jouirait également d'une différence de 8 francs à l'exportation. Encore une fois, cela est mathématique, et l'honorable membre pourra aisément le vérifier.

Le taux de la décharge unique a précisément pour but de maintenir la betterave dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui et sur le marché intérieur et à l'exportation, c'est ce qui prouvent ces chiffres. Le taux de la décharge est uniformément fixé dans la proposition du gouvernement à 68 fr. pour la première période; l'impôt est de 48 fr. pour la canne tel de 40 fr. pour la betterave. Combien doit-on exporter de sucre de canne pour apurer l'impôt de 48 fr.? 70 kil. 89 cent. Combien doit-on exporter de sucre de betterave pour apurer les 40 k. ? 58 kil. 82 cent. Quelle est la différence entre les quantités que l'on doit exporter de l'un et de l’autre sucre pour apurer les comptes ? 11 k. 77 cent.; que représentent ces 11 kil. 77 cent.? 8 francs. C'est mathématiques.

Vous aurez exactement le même résultat si vous opérez sur les chiffres de 66 ou de 67.

A 67 il faudra, pour apurer un compte chargé de 48 francs, exporter : en sucre de canne 71/64 kil. ; en betterave 59/70 k.

Il restera 11/94 kil. qui représentent encore une fois 8 francs.

Si c'est à 66, il faudra exporter une quantité plus considérable : 72/73 kil. en sucre de canne et 60/60 en sucre de betterave.

Il restera 12/13 kil. qui représentent encore une fois 8 francs.

Ainsi toujours, à moins que les mathématiques n'aient tort, l'objection de l'honorable M. Cools contre le système du gouvernement et qui consiste à dire que cette proposition est inacceptable parce qu'elle favoriserait le sucre de betterave en lui accordant non seulement une prime, mais une surprime, cette objection ne résiste pas au moindre examen.

L'honorable membre énonce encore quelque part que l'on fait cadeau aux exportateurs de toute la surtaxe que la betterave a eue à supporter depuis la promulgation de la loi du 17 juillet 1846. Il prétend qu’en s’abstenant de porter la recette à 3,380,000 francs, on laisse s'en aller en primes à l'exportation tout ce qu'on aperçoit en plus sur la betterave. (M. Cools fait un signe de dénégation.)

C'est à la page 33 de votre rapport que vous vous exprimez ainsi.

M. Cools, rapporteur. - Je rends compte des observations échangées dans la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comme ce sont d'énormes erreurs, je dois les rencontrer. Si l'on veut bien se souvenir en effet que la différence entre le rendement légal et le rendement réel constitue la prime, soit pour le fabricant raffineur, soit pour le raffineur proprement dit, puisque cette différence sert à alimenter la consommation intérieure, nous verrons par quelques chiffres quelle peut être la valeur de l'objection.

Au 1er juillet 1846, le droit était fixé à 30 fr.; le taux de la décharge était fixé uniformément pour les deux sucres à 66 fr. ; le rendement était pour la canne au droit de 45 fr., de 68/18 kil. Il fallait exporter 45/45 kil. en sucre de betterave pour apurer le compte. La quantité qui restait indemne de droit était donc de 22/73 kil ; combien représentent ces kilog.? 15 francs; ajoutez ces 15 fr. aux 30 fr. de droits, et vous retrouverez 45 fr., justement l'impôt sur le sucre de canne.

Au 1er juillet 1847, on a porté le droit à 34 francs; le taux de la décharge était toujours de 66 francs. Il a fallu exporter 68/18 de sucre de canne et 51/51 de sucre de betterave. Quelle est la quantité restée indemne de ce dernier ? 16/67 k qui représentent 11 francs. Le droit sur le sucre de betterave étant de 34 francs, cela fait exactement les 45 francs montant de l'impôt sur le sucre de canne.

Enfin, il en a été de même quand l'impôt a été porté à 40 francs. La quantité restée indemne n'était plus que de 7/58 k. valant cinq francs qui, joint à l'impôt que payait la betterave représentait exactement une somme égale à l'impôt que payait la canne.

Je me résume en peu de mots : Ce qu'il faut, pour que la chambre puisse juger la question, c'est d'établir le chiffre de la consommation. On pourrait le déterminer d'une manière officielle. Alors la consommation ne serait que de 10,573,719 kil. quantité nette. Nous pourrions établir aussi tous nos calculs et demander qu'ils servent de bases à votre décision. Mais nous faisons la concession de reconnaître que certaines parties ont été soustraites à l'impôt. Nous trouvons alors que la consommation a été en moyenne pour les cinq dernières années de 10,877,000 kil., quantité nette.

Si vous admettez cette évaluation, si vous reconnaissez que la consommation ne peut être estimée à une quantité supérieure, vous devez repousser la proposition de l'honorable M. Mercier qui aurait pour résultat de faire produire à l'impôt 4,112,000 fr. Car le projet du gouvernement doit faire produire à l'impôt, 3,674,000. Or, je vous demanderai si vous consentiriez à jeter la perturbation dans l'industrie et le commerce pour une somme de 300,000 fr. Vous répondrez non ; car l'adversaire le plus implacable de l'industrie des sucres comme des chemins de fer, l'honorable M. de Mérode, consent à faire un sacrifice de 500,000 fr. pour favoriser le commerce des sucres. Vous admettrez donc la proposition du gouvernement.

Je n'ai pas trouvé l'occasion de répondre à un reproche qui m'a été adressé par un de mes honorables amis, M. Lesoinne. Il a déclaré qu'il repoussait la proposition du gouvernement et maintiendrait le statu quo parce que nous manquons en quelque sorte à notre programme dans lequel nous avons déclaré que nous ne voulions plus d'aggravation de tarif. Mon honorable ami reconnaîtra que nous exécutons, au contraire, notre programme par la proposition que nous vous soumettons. En effet, la proposition que nous avons eu l'honneur de déposer réduit la prime. La prime qui est de 4 fr. 80 c. dans le système actuel d'après la loi du 17 juillet 1846, est ramenée à 3 fr., et diminuera jusqu'à n'être plus que de 1 fr. 50 c. seulement.

Il est vrai qu'en ce qui touche la betterave, le droit différentiel entre l'impôt sur le sucre de canne et l'impôt sur le sucre de betterave se trouve porté à 8 francs ; différence 5 francs, et sous ce rapport, au (page 1298) premier aspect, on pourrait dire que le gouvernement s'écarte des règles qu'il s'était posées.

Je ferai d’abord remarquer que si le gouvernement a proclamé qu’en règle générale, il n’y aurait plus d’aggravation des tarifs ; il a ajouté aussi qu’il ne voulait pas porter de perturbation dans l’industrie et le commerce. Les hommes qui sont aux prises avec les faits ne peuvent agir comme les théoriciens dans leur cabinet ; ils doivent tenir compte des faits. Mais je ferai remarquer que si nous établissons actuellement le droit différentiel de 8 francs, c'est qu'il est admis, reconnu par tout le monde que la production en sucre de betterave qui s'était tout à coup élevée et qui avait ainsi porté l'impôt à 40 francs, place cette industrie vis-à-vis du sucre de canne dans une position fâcheuse et qui n'était pas dans les prévisions des auteurs de la loi de 1846. Veuillez, en effet, remarquer que par la loi de 1846, la différence entre les deux droits était d’abord de 15 francs ; puis, lorsque le droit a été porté, en 1847, à 34 fr., la différence a été de 11 fr. C’est inopinément que cette différence n’a plus été que de 5 francs. Eh bien ! nous croyons rentrer dans l’esprit qui a dicté la loi en ramenant la différence des deux droits à une somme un peu plus élevée qu'elle ne l'est actuellement, mais moindre que celle qui avait été primitivement fixée. Nous restons à 8 francs. La différence était de 15 francs ; elle a été de 11, puis de 5; nous la ramenons à 8 fr.

Il y a plus : d'après la législation de 1846, la différence entre les deux droits pouvait encore, à raison de la production, se rétablir à 15 fr. S'il y avait une réduction notable dans la production du sucre de betterave, l'impôt pouvait successivement descendre jusqu'à n'être plus que de 30 fr. Or, d'après les propositions que nous avons l'honneur de soumettre à la chambre, nous avons limité le chiffre maximum de la protection à laquelle on pouvait arriver, non plus à 15 fr. mais à 12 fr. Nous avons déterminé, dans le projet de loi, que la différence au maximum se pourrait plus être que de 12 fr. Sous ce rapport encore, nous sommes parfaitement d'accord avec les principes généraux que nous avons toujours professés et que nous avons inscrit dans notre programme.

M. de Mérode (pour un fait personnel). - Je dois une explication aux rieurs qui, provoqués par la saillie de M. le ministre des finances, se sont beaucoup égayés sur ma promotion subite au ministère de la guerre il y a maintenant 18 ans. Cette explication est bien simple.

M. le général Evain, appelé en Belgique pour y organiser l'armée après la campagne malheureuse de 1831, ne pouvait encore être constitutionnellement ministre avant sa naturalisation. Je lui fus donc adjoint pour légaliser ses actes en qualité de ministre officiel, et d'accord avec lui, j'avais la signature du portefeuille, fonction que je remplissais ainsi temporairement, gratuitement et sans la moindre prétention de diriger personnellement les affaires militaires.

Je ne sais si ce concours donné à l'honorable général avait un côté plaisant, mais je le regardais comme très utile à l'armée et par conséquent au pays, et cette considération m'a suffi.

Quant à la manière habituelle dont se distribuent les portefeuilles, je me suis toujours permis d'en signaler les inconvénients très graves et je continuerai de croire que, si elle est politique au goût du jour, elle est administrativement très mauvaise; je crois aussi, parce que j'ai appris de divers côtés et dans mon district notamment, que les employés de l'administration des finances sont en grand nombre très froissés par le bouleversement économique récemment opéré.

M. le président. - M. Anspach vient de déposer un amendement. On pourrait, comme pour celui de M. Manilius, en ordonner l'impression et en entendre les développements lorsque nous arriverons à l'article premier. Voici cet amendement :

« Je soumets à la chambre un sous-amendement aux amendements de M. le ministre des finances qui propose un minimum de recette de 3,200,000 fr. ; je porte ce minimum à 4,000,000, sans changer en rien les dispositions prises dans ces amendements. Seulement comme conséquence du minimum que je réclame, la somme de 1,600,000 citée dans le premier paragraphe de l'article 6 doit être portée à 2,000,000 et celle de 3,700,000 fr. du quatrième paragraphe du même article à 4,500,000 fr. »

- Cet amendement sera imprimé et distribué.

La séance est levée à 4 heures et demie.