(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 990) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
M. le président. - Quelqu'un demande-t-il la parole sur la rédaction du procès-verbal?
M. Julliot. - Messieurs, il s'est glissé une erreur dans l'impression du Moniteur, et peut-être figure-t-elle au procès-verbal. Sur une pétition d'Alost qui avait trait a un intérêt privé, j'ai demandé l'ordre du jour et la chambre l'a adopté. Mais on a appliqué cette résolution à une pétition qui avait trait à des intérêts financiers d'une commune, ce qui est inexact.
M. T'Kint de Naeyer. - Quelle est cette pétition?
M. Julliot. - La pétition sur laquelle j'ai demandé l'ordre du jour es celle qui a été rapportée par M. Thibaut, et qui nous a été adressée par Josse et Michiels d'Alost, tendant à faire obtenir un jugement contre un avocat, tandis qu'au Moniteur ma proposition figure comme attachée à une pétition de M. Allard de Tournay, tendant à faire payer des dettes liquidées à charge de la commune de Wez-Velvaiu.
M. T'Kint de Naeyer. - Le procès-verbal est exact.
C'est une rectification à faire au Moniteur.
- La rédaction du procès-verbal est approuvée.
M. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Aerts demande si les docteurs en médecine qui n'ont pas été reçus pharmaciens peuvent délivrer des médicaments dans une localité où se trouve un pharmacien légalement établi. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Il est fait hommage à la chambre, par l'Académie royale de Belgique, d'un exemplaire du tome VIII des Chroniques belges inédites, et de 112 exemplaires de l'annuaire pour l'année 1849.
Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
M. Delehaye. - Messieurs, la commission des naturalisations m'a chargé de vous présenter son rapport sur la demande de naturalisation de M. Picard.
A cette occasion, la commission des naturalisations a examiné la question de savoir si, pour obtenir l'exemption du droit d'enregistrement, il' suffisait d'avoir pris part au combat de Louvain en 1831, ce combat ayant eu lieu après la prestation du serment par le chef de l'Etat.
La commission, à l'unanimité, a cru que cette circonstance donnait droit à la faveur de l'exemption.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la compétence en matière criminelle.
M. Destriveaux. - On avait exprimé la pensée qu'aussi longtemps que durerait l'absence de M. le rapporteur, on n'entamerait pas la discussion du projet de loi sur la compétence en matière criminelle.
Comme je me propose de faire des observations sur ce projet de loi, notamment en ce qui concerne les cours d'assises, j'avoue que je serais pris au dépourvu si je devais parler aujourd'hui.
La discussion de la loi sur les successions a balancé l'ordre du jour pendant quelque temps. Il y a cependant une considération qui est fort puissante, c'est celle de la santé de M. le ministre des finances. Si la santé de M. le ministre des finances lui permet d'aborder ou de laisser aborder la discussion du projet de loi sur les successions, je demanderai que cette discussion commence aujourd'hui pour que l’examen du projet de loi relatif à la compétence en matière criminelle puisse se faire avec maturité.
M. le président. - Il y a deux jours, la chambre, sur la proposition de M. H. de Brouckere, a. mis à l'ordre du jour d'aujourd'hui le projet de loi sur la compétence en matière criminelle.
M. H. de Brouckere. - Il est très vrai, messieurs, que c'est sur ma proposition que la chambre a mis à l'ordre du jour d'aujourd’hui le projet de loi sur la compétence en matière criminelle; mais il avait été convenu qu'on aurait informé l'honorable M. Jullien de cette décision. J'ai reçu une lettre de l'honorable membre, par laquelle il m'informe qu'il lui sera impossible de se rendre à Bruxelles cette semaine-ci. Il serait fâcheux que la chambre abordât un projet aussi important en l'absence du rapporteur de la section centrale. Cependant s’il entrait dans les convenances de la chambre de discuter le projet immédiatement, parce que la santé de M. le ministre des finances ne lui permettrait pas de défendre le projet de loi sur les droits de succession, je ferais, messieurs, ce qui est en mon pouvoir pour remplacer le rapporteur de la section centrale. J'ai présidé cette section; j'ai donc pris part à l'examen qu'elle a fait de ce projet de loi, et, je le répète, je remplirai de mon mieux les fonctions de l'honorable rapporteur, sans avoir la prétention de vous faire oublier son absence.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je suis prêt à commencer la discussion du projet de loi sur les droits de succession ; je n'ai qu'une crainte, c'est que la discussion doive être interrompue ; j'ai peur de ne pouvoir la soutenir jusqu'au bout. Si donc il entrait dans les convenances de la chambre de s'occuper d'autres objets, cela me serait agréable. A part cette circonstance, je suis prêt. Je suis disposé à commencer à l'instant même; c'est dans l'intérêt de la discussion que je fais cette observation.
M. Destriveaux. - Je pense, messieurs, que tout peut s'arranger : la partie du projet de loi relatif à la compétence en matière criminelle, sur laquelle je désire m'étendre le plus, est celle qui concerne la composition des cours d'assises. Or, aujourd'hui la discussion générale et l'examen des premières dispositions du projet prendront une assez grande partie de la séance. Lorsque nous en serons arrivés là, je demanderai que ce qui est relatif aux cours d'assises soit renvoyé à demain.
M. le président. - Ainsi, on paraît d'accord pour passer à la discussion du projet de loi sur la compétence en matière criminelle.
Le gouvernement ne s'étant pas rallié aux propositions de la section centrale, la discussion portera sur le projet du gouvernement.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin) présente un projet de loi portant réduction de 35 p. c. sur les péages du canal de Charleroy.
- Ce projet sera imprimé et distribué.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, la présentation d'un pareil projet de loi est une présomption, pour la chambre, de sa nécessité. En pareille matière, si le projet de loi est nécessaire, il est urgent. C’est une erreur qu'on va réparer, et les erreurs ne sont réparables que quand elles sont réparées immédiatement.
Je demande, en conséquence, que les sections veuillent bien s'occuper immédiatement du projet de loi, et que la section centrale, dès qu'elle sera constituée, veuille presser ses délibérations, de manière à pouvoir présenter son rapport dans le plus bref délai possible.
- La chambre ordonne le renvoi du projet de loi .aux sections qui s'en occuperont demain.
M. Vilain XIIII. - Messieurs, pour que les sections puissent juger de l'opportunité et de la nécessité de ce projet de loi, il faudrait qu'elles eussent sous les yeux le produit du canal de Charleroy depuis le nouveau tarif du chemin de fer, comparé au produit des mois correspondants pendant les années précédentes. Je demanderai donc que M. le ministre des travaux publics veuille bien nous fournir ces documents.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Ces documents seront fournis et pourront même être imprimés pour demain matin.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la chambre un projet de loi, ayant pour objet d'interpréter l'article 8, section VII, titre premier du décret du 28 septembre-6 octobre 1791, sur la police rurale.
- Ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué, est renvoyé, à l'examen des sections.
M. le président. - La discussion s'établit sur le projet du gouvernement.
La discussion générale est ouverte.
M. M. de Brouckere. - Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il voit de l'inconvénient à ce qu'une discussion générale (page 991) s'établisse successivement sur chacun des deux titres qui n'ont entre eux aucune analogie.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'y vois pas d'inconvénient.
M. le président. - Ainsi, la discussion générale est ouverte sur le titre premier du projet de loi.
La parole est à M. Lelièvre.
M. Lelièvre. - Messieurs, notre législation pénale réclame des améliorations dont la nécessité est reconnue depuis longtemps. L'expérience a démontré que le système actuel ne laisse pas au juge une latitude suffisante pour appliquer une peine proportionnée au fait commis, qui souvent est réprimé avec une sévérité formant contraste à son exiguïté.
D'un autre côté, les audiences des tribunaux correctionnels sont occupées par nombre d'affaires qui peuvent sans inconvénient être déférées à une juridiction inférieure. On s'est convaincu que, sous le rapport d'une justice plus prompte, moins dispendieuse et donnant plus de garanties aux graves intérêts de la société et de l'accusé, il était possible d'introduire dans l'instruction actuelle des changements qui auraient une utilité réelle.
Le ministère a entrepris cette tâche, et quoique son œuvre ne soit pas marquée au coin de la perfection, je pense qu'elle doit être considérée comme une amélioration qui, en grande partie au moins, doit recevoir l'approbation de la chambre.
La première question que soulève la discussion est celle de savoir si l'on déférera aux tribunaux de simple police les faits énoncés au projet qui vous est soumis.
La section centrale ne pense pas qu'il puisse en être ainsi; elle va plus loin, elle rejette sans réserve les dix articles qui composent le premier titre, elle refuse son assentiment à des dispositions éminemment libérales et protectrices des intérêts du prévenu. Je ne saurais, messieurs, partager cette opinion. Remarquons d'abord que, dans l'état actuel de la législation, les tribunaux de simple police connaissent des faits contre lesquels la loi ne prononce pas une peine excédant cinq jours d'emprisonnement et quinze francs d'amende. Eh bien, concevez-vous qu'il y ait des inconvénients à étendre la juridiction de ces tribunaux à des faits peu graves, qui occupent aujourd'hui, sans nécessité aucune et avec une augmentation notable des frais, les moments de nos tribunaux correctionnels; à des faits qui ont une analogie incontestable avec ceux qui, dans l'état actuel des choses, sont déférés aux juges de paix? Pour moi, je ne saurais le croire; je vois, au contraire, dans les dispositions nouvelles une appréciation plus exacte et plus vraie des faits eux-mêmes; et en cessant de les considérer comme des délits correctionnels, on les envisage sous leur véritable peint de vue.
C'est ainsi que l'article premier du projet ministériel défère aux tribunaux de simple police la connaissance du délit d'injures publiques, prévu par l'article 375 du Code pénal, et puni d'une simple amende par cette disposition.
Le juge de paix, siégeant comme juge civil, est déjà appelé, par la loi du 28 mars 1841, à connaître de l'action civile résultant de semblable délit. Quel obstacle sérieux peut donc empêcher qu'on ne lui défère également l'action publique, alors qu'il ne s'agit de prononcer qu'une peine pécuniaire ? C'est un avantage réel que le même juge connaisse de toutes les actions auxquelles le même fait peut donner ouverture. Pareille disposition établit l'harmonie dans les diverses parties de la législation.
D'un autre côté, qui ne connaît les inconvénients qui résultent, sous ce rapport, de la législation actuelle? Souvent des injures vagues et sans portée sont déférées aux tribunaux de simple police, qui, par suite de l’instruction, sont obligés de se déclarer incompétents et de renvoyer la cause devant le tribunal correctionnel, parce que les propos ont été proférés publiquement. Par la disposition projetée, on évite des renvois qui ont souvent pour conséquence d'augmenter les frais tombant à charge du trésor, sans utilité réelle pour la bonne administration de la justice. Le cours de celle-ci sera plus prompt et la répression plus efficace.
Et puis, des injures qui ne renferment l'imputation d'aucun fait précis ne méritent en effet d'être considérées que comme des contraventions de police, elles n'ont pas cette portée ni cette gravité suffisantes pour constituer un délit proprement dit. Sous ce rapport, je pense que le projet en apprécie sainement le caractère, en les déférant à la connaissance des tribunaux de simple police.
Il en est de même des autres faits dont s'occupe l'article que nous discutons.
N'est-il pas vrai, par exemple, que les délits ruraux prévus par les articles 9, 10, 12, 13, 18, 20, 22, 24, 25, 27, 28, 33, 34, 38, 40, 41, 42 et 44 du titre II de la loi des 28 septembrc-6 octobre 1791, ne sont en réalité que des contraventions de police? Mais le minimum de la peine comminée par la loi contre les faits peu graves les range même dans cette catégorie; ils ne sont déférés aux tribunaux correctionnels qu'à raison du maximum qui éventuellement peut être prononcé. Or l'expérience démontre que les peines appliquées en semblable occurrence par la juridiction correctionnelle ne dépassent presque jamais le taux de celles de simple police. Il est donc plus rationnel de les considérer sous ce rapport, et d'en saisir les tribunaux de simple police, qui sont même mieux en mesure de les apprécier sous leur véritable point de vue.
J'envisage sous le même rapport les contraventions aux lois et règlements sur la grande voirie, les roulages, les messageries, les postes et les barrières. Tous ces faits sont d'une appréciation facile; ils présentent le caractère, moins de délits, que de simples contraventions; et l'esprit même de la législation leur imprime ce caractère. L'article 471 n° 5 du Code pénal considère sous le point de vue les contraventions aux règlements ou arrêtés concernant la petite voirie. D'autres dispositions du même Code reconnaissent ce caractère à des faits relatifs à la grande voirie. La loi de 1841 a envisagé sous semblable rapport les empiètements commis sur les chemins vicinaux. Le projet n'est donc qu'un pas en avant dans ce système, qui me paraît conforme aux principes de la matière.
On a cru que les questions concernant la grande voirie faisaient quelquefois naître des difficultés importantes, et l'on a pensé qu'il serait dangereux de les déférer aux tribunaux de simple police. Mais on ne doit pas perdre de vue que des intérêts non moins graves peuvent être agites relativement à la petite voirie, et cependant l'expérience n'a jamais constaté le danger des attributions des juges de paix en cette matière et en celle concernant la voirie vicinale.
En second lieu, n'oublions pas que ces prérogatives dont on s'effraye appartiennent déjà à ces magistrats comme juges au possessoire, et qu'en cette qualité ils sont investis du droit d'ordonner la démolition d'ouvrages importants. Or, il n'existe pas, à mon avis, plus d'inconvénient à leur confier semblables attributions en matière de simple police, attributions qui leur compétent déjà en partie dans l'état actuel de la législation, alors d'ailleurs que leurs décisions peuvent toujours être frappées d'appel et ensuite déférées à la cour de cassation.
Qu'il me soit permis de vous proposer encore une considération qui démontrera que c'est une erreur grave de repousser entièrement l'article premier.
On sait qu'il propose de ranger désormais au nombre des faits du ressort des tribunaux de simple police les contraventions aux arrêtés sur les poids et les mesures.
Eh bien, messieurs, vous allez être convaincus que cette disposition aura pour résultat de faire cesser l'anomalie la plus flagrante que présente la législation actuelle.
Aux termes de l'article 479, n°5 et 6 du Code pénal, sont punis des peines de simple police ceux qui ont de faux poids ou de fausses mesures dans leurs magasins, boutiques, ateliers; ceux qui emploient des poids ou des mesures différents de ceux qui sont établis par les lois en vigueur; tandis que, d'après les arrêtés en vigueur, les simples détenteurs de poids et mesures non poinçonnés, les simples possesseurs de mesures non légales sont frappés d'une peine correctionnelle. Ainsi un fait sans caractère d'importance est déféré à la juridiction correctionnelle, tandis que des actes qui ont une gravité plus grande rentrent dans la classe de simples contraventions. L'emploi de mesures différentes de celles établies par la loi est puni moins sévèrement que leur simple détention! L'article premier qui fait disparaître de nos lois cette absurdité, mérite-t-il la défaveur dont l’a frappé la section centrale?
La chambre voudra bien remarquer, du reste, que la majeure partie des faits qu'on propose de déférer aux juges de paix ne sont l'objet que d'une répression pécuniaire; et, ce qui est remarquable, c'est que les lois spéciales et les règlements généraux auxquels le projet fait allusion ne prononcent guère des peines excédant huit jours d'emprisonnement et deux cents francs d'amende.
On a parlé des délits de vagabondage et de mendicité; Mais, messieurs, à cet égard on ne ferait que rétablir les dispositions de la loi de 1791, qui certes ne croyait pas dénaturer l'institution des juges de paix, alors récemment organisée, en les appelant à connaître de ces faits qui exigent moins une répression proprement dite que de simples mesures de police. Il s'agit moins de punir des mendiants ou des vagabonds, que d'ordonner que les uns seront conduits au dépôt de mendicité et que les autres resteront à la disposition du gouvernement. Or ces attributions appartiennent plutôt au tribunal de simple police qu'au tribunal correctionnel vis-à-vis duquel l'appel peut du reste être porté.
On a cru que l'extension de la juridiction des tribunaux de simple police pouvait présenter certains dangers; mais on me semble avoir perdu de vue que, d'après notre législation, les juges de paix sont officiers de police judiciaire, que l'expérience n'a jamais révélé les inconvénients de ces fonctions et que ceux qui sont par devoir obligés à faire arrêter les mendiants et les vagabonds peuvent sans inconvénient prononcer sur leur sort en première instance.
En résumé, je suis d'avis que, sauf certaines modifications à proposer lors de la discussion, la disposition première du projet, quant à sa substance au moins, doit être maintenue.
L'article 4 autorise les chambres du conseil des tribunaux correctionnels à renvoyer devant les tribunaux de simple police tous faits qui ne leur paraîtraient pas mériter une peine excédant le taux de celles dont l'application est du ressort de ces tribunaux.
Je m'étonne qu'une disposition aussi favorable au prévenu, aussi favorable à la bonne justice, une disposition qui doit réaliser une économie importante des frais de justice, n'ait pas reçu l'assentiment de la section centrale.
Le vice de la législation actuelle est précisément d'avoir envisagé comme délits des faits exigus qui, en réalité, n'étaient que des contraventions.
Or, une disposition qui permet de considérer des faits sans importance sons leur véritable point de vue, une disposition qui débarrasse la juridiction correctionnelle d'une quantité de poursuites insignifiantes, me semble devoir mériter un accueil favorable. Il faut, à mon avis, supprimer les tribunaux de simple police, si on ne veut pas les investir de la connaissance des faits qui, d'après les circonstances, doivent être réputés simples contraventions.
Il y a plus, messieurs, il arrive souvent que des prévenus qui, en définitive, ne sont frappés que de peines légères, ont été mis en état (page 992) d’arrestation préventive. L’article 4 du projet aura pour conséquence et de plein droit leur élargissement, dès l’instant où la chambre du conseil aura prononcé.
Et, après tout, est-il juste que les tribunaux correctionnels retiennent la connaissance des faits qui, par la peine qui les attend, ne constituent réellement pas des délits ?
Messieurs, sous le rapport des frais de justice, le projet que je défends contient des améliorations qu'il ne faut pas méconnaître. Dans l'état des choses et à raison de l'éloignement où se trouvent souvent le prévenu et les témoins du lieu où siège le tribunal, la poursuite des plus légers délits occasionne au trésor des dépenses considérables si l'inculpé est acquitté ou insolvable. Le renvoi des affaires aux juges de paix réalisera des économies importantes qu'il est juste de ne pas perdre de vue.
Les autres dispositions du titre premier du projet du gouvernement me semblent en général devoir mériter votre sanction.
L'article 5, qui fait courir le délai d'appel à partir du jugement et rend inutile sa signification, est un changement heureux qui rend le cours de la justice plus prompt et moins dispendieux.
Les articles 8 et 9 présentent de nouvelles garanties en faveur du prévenu et corrigent ce que notre Code pénal présente de trop rigoureux.
Défenseur par état et par sentiment de ceux qui sont dans l'infortune, de ceux qui ont le malheur d'avoir des démêlés avec la justice répressive, je ne puis qu'applaudir à des mesures qui auront pour résultat d'améliorer leur condition.
La chambre me pardonnera si, même dans cette enceinte, j'accomplis les devoirs de la plus belle de toutes les professions.
Je me bornerai, pour le moment, à ces observations, me réservant d'aborder ultérieurement la discussion des autres dispositions du projet.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, la chambre connaît les motifs qui ont déterminé le gouvernement à lui présenter les différents projets dont elle a été saisie par le département de la justice. La pensée qui a présidé à la confection de ces projets, c'est une pensée d'économie. Lorsqu'à la suite des événements politiques de l'année dernière, l'on a mieux compris qu'on ne l'avait fait peut-être jusque-là, la nécessité de se préoccuper de notre situation financière, un cri général d'économie s'est fait entendre dans le pays, et le gouvernement a pris devant les chambres l'engagement solennel d'introduire dans les dépenses de l'Etat toutes les réductions qui seraient compatibles avec la marche des services publics.
Le gouvernement a tenu cette promesse; il a examiné avec soin tous les budgets; il a passé en revue toutes les branches de l'administration publique, et il est venu proposer différentes réformes qui lui ont paru présenter le double avantage de l'économie et de l'utilité. Le département de la justice n'est pas resté étranger à ces investigations. Malheureusement le budget de la justice se prêtait peu à des réductions économiques, c'est un budget en quelque sorte normal qui se compose soit de crédits destinés à rétribuer des services organisés par des lois spéciales, soit de crédits qui ne sont pas limitatifs, en ce sens que les dépenses qu'ils sont destinés à couvrir peuvent varier suivant les circonstances; tels sont les frais de justice, les frais d'entretien des prisonniers et autres dépenses de même nature.
En ce qui concerne le budget de l'ordre judiciaire, il n'y avait moyen d'y opérer des économies qu'en introduisant dans les lois sur la compétence certaines réformes qui, en diminuant le travail des cours et tribunaux, permettraient de réduire le personnel de certains corps judiciaires. Pour parvenir à ce but, il y avait différentes choses à faire : d'abord, il fallait s'occuper de modifier la composition des cours d'assises ; il y avait lieu de modifier également la législation en ce qui concerne les appels de police correctionnelle ; enfin il fallait agrandir la juridiction des juges de paix en matière de simple police, afin de réduire la besogne des tribunaux correctionnels qui doivent connaître aujourd'hui d'une foule de délits de peu d'importance, lorsqu'ils peuvent, sans inconvénient aucun, être jugés par les tribunaux de simple police.
Tel a été, messieurs, le but du projet de loi sur la compétence en matière criminelle dont la discussion vient de s'ouvrir, et dont le projet sur la réduction du personnel des tribunaux n'est que la conséquence ou le corollaire.
Ce projet avait reçu dans vos sections, ou du moins dans la majorité de vos sections, un accueil qui ne faisait pas présager qu'il dût sortir mutilé de la discussion de la section centrale. Ce n'est donc pas sans étonnemeut que j'ai vu que la section centrale avait écarté le premier titre du projet, celui qui introduit les réformes les plus importantes, celles dont nous attendons des économies sérieuses et efficaces dans les frais de justice, dont le chiffre s'accroît chaque année d'une manière effrayante. Je ne puis, messieurs, me rallier aux propositions de la section centrale.
J'admettrai cependant quelques-unes des modifications qu'elle propose. Mais je dois maintenir les dispositions du titre premier. J'essayerai de les défendre, et de démontrer que ces dispositions contiennent des améliorations réellement utiles dans l'organisation de notre justice criminelle ; qu'elles sont empreintes d'un véritable esprit de libéralisme et de progrès conformes aux idées de notre époque: qu'elles présentent, enfin, aux accusés de nouvelles garanties, de nouveaux avantages auxquels ils ont droit, et qu'il serait injuste de leur refuser.
Je ne prolongerai pas la discussion générale.
Je crois que l'examen des diverses questions que le projet soulève sera plus utile à l'occasion des articles. Ce sera le moyen d'éviter la confusion qui pourrait s'introduire dans une discussion générale où les différentes questions seraient abordées sans ordre.
Je me réserve de présenter des observations, lors de la discussion de chacun des articles.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, pas plus que M. le ministre de la justice, je ne désire prolonger beaucoup la discussion générale. Cependant, en l'absence de l'honorable rapporteur de la section centrale, je dois à la chambre quelques mots d'explication sur les motifs qui ont déterminé cette section à rejeter tout le premier titre du projet de loi qui nous est proposé.
Vous venez d'entendre de la bouche de M. le ministre de la justice que le motif principal, pour ne pas dire unique, qui a déterminé le gouvernement à présenter ce projet de loi, c'est le désir d'introduire des économies dans l'administration de la justice. Mais des économies que l'on n'achèterait qu'en détruisant l'harmonie qui existe aujourd'hui dans nos lois pénales, qu'en enlevant aux citoyens une partie, une partie notable des garanties que leur assure la composition de nos tribunaux, ces économies, nous les payerions trop cher.
Eh bien, tous ceux qui voudront examiner le titre premier du projet qui est en discussion devront reconnaître qu'il détruit, et sous certains rapports d'une manière radicale, l'économie de nos lois pénales, et qu'il ravit réellement aux citoyens certaines garanties que leur assuraient les dispositions du Code d'instruction criminelle réglant la composition des tribunaux de répression.
Je prie d'abord la chambre de remarquer que, sous le titre plus ou moins modeste de compétence en matière criminelle, on lui a présenté un projet de loi qui modifie non seulement le Code d'instruction criminelle mois en outre le Code pénal, les lois sur les délits ruraux, les lois pénales relatives à la grande voirie, au roulage, aux messageries, aux postes, aux barrières et à d'autres matières encore qui sont énumérées dans le projet de loi.
Je demande à la chambre s'il est un seul de ses membres qui, en adoptant le projet du gouvernement, se rendrait bien compte, de la portée de son vote? Est-il un seul d'entre nous qui sache quelles sont les peines comminées contre chacune des nombreuses infractions tombant sous les dispositions du projet de loi ? Il n'en est incontestablement aucun.
Le gouvernement, par mesure d'économie, a voulu déférer au juge de paix, au tribunal de simple police la connaissance d'une partie des faits qui aujourd'hui sont du ressort des tribunaux correctionnels.
Une fois cette idée arrêtée, le gouvernement s'est demandé : Comment allons-nous faire? Il n'y a que deux moyens, et remarquez-le bien, messieurs, le gouvernement vous le dit lui-même avec la plus grande naïveté dans son exposé des motifs; il n'y a que deux moyens. Le premier consisterait à abaisser toutes les peines au niveau des peines de simple police. Mais ce moyen, le gouvernement n'hésite pas à le rejeter. Il en résulterait, dit-il, la destruction de toute l'économie des lois spéciales. Un second moyen consisterait à élever d'une manière générale la compétence des tribunaux de simple police. Mais ce moyen, le gouvernement le repousse avec le même empressement; il serait prématuré.
Que fait le gouvernement? Il s'arrête à ce qu'il appelle très naïvement un expédient. Et quel est cet expédient? Il consiste à augmenter un peu la compétence des tribunaux de simple police et à diminuer un peu les peines comminées contre les faits mentionnés au projet de loi; c'est-à-dire que des deux moyens qu'il indique et qu'il condamne, il prend une certaine partie.
Un semblable expédient, je le pense du moins, ne sera pas ratifié par la chambre.
Le projet de loi, messieurs, n'est basé sur aucun système, sur aucune combinaison, sur aucun plan. C'est un projet fait en quelque sorte au hasard, d'un trait de plume. Il faut diminuer la compétence des tribunaux correctionnels; il faut augmenter la compétence des tribunaux de simple police. On prend un certain nombre de faits, et sans vous dire de quelles peines ces faits sont punis par les lois existantes, ou réduit d'un trait de plume ces peines à un maximum de 8 jours d'emprisonnement et de 200 francs d'amende.
Ainsi, par exemple, parmi les faits qui étaient du ressort des tribunaux correctionnels et qu'on veut déférer aux tribunaux de simple police, il en est qui sont punis de plusieurs mois d'emprisonnement. Par quelques lignes, sans explication aucune, on réduit ces peines à un maximum de huit jours d'emprisonnement, maximum que le juge de paix peut encore réduire en quelque sorte à sa volonté.
Le gouvernement, messieurs, vous dit que parmi les faits qui sont aujourd’hui déférés aux tribunaux correctionnels, il en est un grand nombre qui n'appartiennent à la classe des délits que par les peines dont ils sont frappés, mais qui, par leur nature, ne devraient être soumis qu'aux tribunaux de simple police.
Je voudrais bien qu'on m'expliquât quel est le sens de cette phrase. Comment détermine-t-on quand un fait est du ressort des cours d'assises, quand des tribunaux correctionnels, quand des tribunaux de simple police? En d'autres termes, quelle base prend-on pour savoir si un fait constitue un crime, un délit ou une contravention ? La peine. C'est uniquement la peine qui établit dans quelle catégorie tombe un fait condamnable. Cela est tellement évident, messieurs, cela est tellement à la connaissance, je ne dirai pas de tous les jurisconsultes, mais du dernier des étudiants, que cela fait l'objet de l'article premier du Code pénal.
Voici ce que dit cet article :
« L'infraction que les lois punissent des peines de police est une contravention. L'infraction que les lois punissent de peines correctionnelles (page 993) est un délit. L'infraction que les lois punissent d'une peine afflictive ou infamante est un crime. »
Ainsi, vous le voyez, c'est la peine, rien que la peine, qui règle à quelle catégorie appartiennent les contraventions de différentes natures.
Vous changez la peine. Mais évidemment en changeant la peine, vous changez la catégorie de l'infraction contre laquelle elle est comminée.
Cependant, et c'est ici que j'appelle particulièrement l'attention de la chambre, le gouvernement, après avoir trouvé l'expédient que je viens de vous expliquer, s'est trouvé dans une position assez singulière. Pour certains faits, ceux qu'il indique dans son projet, il étend la juridiction des tribunaux de simple police. Vous savez tous que cette juridiction se borne aujourd'hui à cinq jours d'emprisonnement et à 15 francs d'amende. Pour les faits indiqués dans le projet de loi, il étend donc la compétence des tribunaux de simple police à huit jours d'emprisonnement et à 200 fr. d'amende.
Vous croyez probablement que le projet étend la compétence d'une manière générale? Pas du tout. Pour toutes les matières non spécifiées dans le projet de loi, la compétence des tribunaux de simple police reste la même. Ce n'est que pour une catégorie de faits ou plutôt pour quatre ou cinq catégories de faits, que le tribunal de simple police sortira de sa compétence ordinaire et pourra monter, quant à l'emprisonnement, de 5 à 8 jours, et quant à l'amende, de 15 fr. à 200 fr.
Mais ce n'est pas tout encore. Il y a, messieurs, à certaines peines des accessoires qui sont quelquefois beaucoup plus sérieux que les peines elles-mêmes. Ainsi dans beaucoup de cas, le juge ordonne des démolitions, il prononce des confiscations, des restitutions, des réparations civiles. Ce ne sera plus un tribunal composé de trois juges, ce sera le tribunal de simple police, c'est-à-dire le seul juge de paix, qui prononcera ces accessoires qui, comme je vous l'ai dit, sont souvent plus onéreux pour les condamnés que la peine elle-même.
Pour les cas de mendicité, en cas de vagabondage, savez-vous quel est le pouvoir que la loi donne aux juges de paix? Quand l'individu condamné pour mendicité a subi sa peine, il est conduit dans un dépôt de mendicité où il est détenu pendant plusieurs mois, souvent pendant un an. Et c'est le juge de paix qui prononcera cette condamnation.
Pour les vagabonds, et remarquez que le vagabondage est un délit bien vague, qui n'est défini que d'une manière peu satisfaisante, le tribunal de simple police les condamnera à huit jours de prison, et à être, à expiration de leur peine, mis à la disposition du gouvernement. Or, la plupart du temps le gouvernement envoie les vagabonds aux dépôts de mendicité, où ils restent détenus aussi longtemps qu'on le juge utile. Tout cela sera la conséquence d'un jugement rendu sur une instruction assez rapide, assez sommaire, d'un jugement prononcé par le seul juge de paix.
La chambre voudra bien examiner maintenant, avec moi, comment sont composés les tribunaux de simple police. Ils sont représentés par le juge de paix, par le seul juge de paix sans assesseurs; quand le juge de paix est empêché, il est remplacé par un suppléant; et pour être nommé suppléant du juge de paix la loi n'exige aucune condition quelconque; on prend quelquefois un honorable habitant de la campagne, ayant une certaine instruction, mais ayant fort peu de connaissance de nos lois. C'est à ce suppléant que vous allez déférer un pouvoir aussi exorbitant que celui que je viens de signaler à la chambre ! Qui remplit les fonctions de ministère public, qui est chargé de requérir les peines, de soutenir la prévention auprès de ce tribunal de simple police ? Un bourgmestre de campagne, qui peut être un excellent administrateur, mais qui peut être l'homme le plus ignorant de nos lois criminelles et de nos lois d'instruction criminelle. Voilà, messieurs, quel est le tribunal auquel on veut déférer la connaissance de faits qui, quoi qu'on en dise, sont très graves, de faits qui, outre la peine de huit jours d'emprisonnement et de 200 francs d'amende, pourront entraîner, dans certains cas, la privation de la liberté pendant plusieurs mois, dans d'autres cas des condamnations accessoires qui suffiraient souvent pour ruiner un homme jouissant d'une position aisée.
Messieurs, je borne là les considérations générales que je voulais soumettre à la chambre et qui justifieront, je pense, à ses yeux la proposition de la section centrale qui tend au rejet de tout le premier titre du projet. Quand nous en serons aux articles, j'entrerai dans d'autres développements, si j'en reconnais la nécessité.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, nous reviendrons, dans la discussion des articles, sur plusieurs des observations que vient de présenter l'honorable M. de Brouckere ; mais je dois répondre, dès à présent, à quelques considérations qui s'appliquent à l'ensemble du projet.
Si le gouvernement n'avait eu en vue que l'économie à réaliser par suite des diverses dispositions du projet, s'il avait porté atteinte, par ces dispositions, au système de nos lois pénales, s'il l'avait fait de manière à y jeter la confusion ou la perturbation, je conviens, messieurs, que des considérations d'économie ne pourraient point justifier suffisamment cette partie du projet. Mais, comme l'a déjà fait remarquer l'honorable M. Lelièvre, outre l'économie importante qu'elles permettront de réaliser, les dispositions du projet augmentent dans une immense proportion les garanties que la loi doit aux accusés, et la somme des avantages qu'il faut leur donner au point de vue de la liberté individuelle et du droit de la défense.
L'honorable M. de Brouckere vient de vous dire, messieurs, que les tribunaux de simple police ne sont pas assez éclairés, ne sont pas assez bien composés pour qu'on puisse étendre leur juridiction aux diverses catégories de délits mentionnés dans l'article premier. Ce que nous a dit l'honorable membre à cet égard, c'est la critique de l'institution des juges de paix considérés comme juges de simple police. Sous la législation actuelle, les juges de paix peuvent déjà condamner à des amendes qui peuvent s'élever à quinze francs et à un emprisonnement qui peut s'élever à cinq jours. Je le demande, quel inconvénient si grave peut-il y avoir à étendre cette compétence, pour certains délits seulement, jusqu'à 8 jours d'emprisonnement et 200 fr. d'amende? Toutes les infractions dont s'occupe l'article premier sont en grande partie des délits ou des contraventions qui ne donnent lieu qu'à des peines pécuniaires et quelques-unes seulement sont passibles d'un emprisonnement que, dans la pratique (les statistiques sont là pour le démontrer), les tribunaux correctionnels n'appliquent jamais ou n'appliquent que très rarement dans une proportion plus forte que celle de 8 ou 10 jours.
D'ailleurs, messieurs, nous proposons de modifier les dispositions du Code d'instruction criminelle en ce qui concerne l'appel. Aujourd'hui l'appel ne peut être interjeté que par l'accusé, et seulement lorsque l'amende s'élève au-delà de 5 fr. Nous proposons de permettre et à l'accusé et au ministère public, d'interjeter appel en toute circonstance. Je pense pouvoir démontrer, dans la discussion des articles, que c'est là une innovation très utile et même nécessaire.
Ce n'est donc pas, messieurs, comme vient de le dire l'honorable membre, un simple expédient que nous proposons, pour introduire des économies dans l'administration de la justice criminelle; ce sont au contraire des innovations extrêmement utiles, rationnelles et convenables. Nous ne faisons en matière de simple police que ce qui existe déjà en matière civile, où la compétence des juges de paix a été également étendue dans une certaine proportion. Les juges de paix resteront compétents, en général, jusqu'à 15 francs d'amende et 5 jours d'emprisonnement; mais dans certaines matières spéciales déterminées par l'article premier, leur compétence s'étendra exceptionnellement jusqu'à 8 jours d'emprisonnement et 200 francs d'amende.
Maintenant, messieurs, les différents délits dont s'occupe cet article premier sont-ils tellement graves qu'on ne puisse les déférer à la juridiction des tribunaux de simple police? Je crois qu'il est impossible de le soutenir. L'honorable M. de Brouckere a parlé du délit de mendicité, mais qu'est-ce, après tout, que le délit de mendicité? Est-ce un délit tellement odieux qu'il faille traîner les mendiants de brigade en brigade jusqu'au chef-lieu d'arrondissement où siège le tribunal correctionnel, qu'il faille les constituer prisonniers, leur faire subir un emprisonnement préventif de 8, 15 jours, ou plus, suivant la besogne dont le tribunal, appelé à les juger, pourra être encombré, et faire prononcer contre eux des condamnations qui, dans l'état actuel de la législation et de nos tarifs, entraînent des frais très importants? D'après le projet, au contraire, lorsqu'un gendarme arrêtera un mendiant, il le conduira directement au chef-lieu du canton où il sera jugé par le juge de paix immédiatement et presque sans frais.
Quand j'ai parlé de l'économie qui devait résulter de l'adoption de ce projet, je n'ai pas indiqué à la chambre quel pouvait être le montant de cette économie. Il importe cependant d'en dire quelque chose. Aujourd'hui, messieurs, les frais d'arrestation d'un mendiant ou d'un vagabond, s'élèvent approximativement à 7 ou 8 francs, et les frais de condamnation à peu près à la même somme ; de sorte que chaque mendiant ou vagabond qui est condamné coûte aujourd'hui à l'Etat environ 15 fr., sans compter les frais d'entretien en prison jusqu'au jour où il est transféré au dépôt de mendicité. Eh bien, en 1847, le nombre des mendiants traduits en police correctionnelle s'est élevé à 8,567, de sorte que l'Etat a eu à supporter, du chef de l'arrestation et de la condamnation de ces mendiants, plus de 128,000 fr. de frais; or, je le demande, peut-on hésiter à accepter une mesure qui doit amener une économie considérable sur une dépense aussi élevée et aussi inutile?
Le juge de paix, dit-on, devra non seulement condamner le mendiant à la prison, mais ordonner encore sa translation dans un dépôt de mendicité. Mais qu'y a-t-il donc de si grave dans cette extension des attributions des juges de paix? Si le mendiant est transféré au dépôt de mendicité, c'est dans son propre intérêt ; le tribunal ne fixe pas même la durée de la détention; il met le mendiant à la disposition du gouvernement qui le retient plus ou moins longtemps suivant les circonstances. Ordinairement on le rend à la société lorsqu'on lui a donné des moyens de pourvoir par le travail à sa subsistance.
Dans l'intérêt du gouvernement, comme dans celui des mendiants eux-mêmes, il importe qu'ils soient transférés le plus tôt possible dans les dépôts de mendicité. Dans les maisons d'arrêt où les mendiants subissent leurs peines, ils ne travaillent pas; tandis que dans les dépôts de mendicité, où il y a des ateliers de travail, on cherche à leur donner des habitudes laborieuses en même temps qu'on les moralise et qu'on les instruit.
Je ne vois donc pas, messieurs, qu'il puisse y avoir aucun motif sérieux pour ne pas conférer aux juges de paix l'attribution de prononcer contre les mendiants et les vagabonds les peines, déterminées par la loi, dans la mesure indiquée par l'article 2 du projet, et d'ordonner que les mendiants, à l'expiration de leur peine, soient transférés dans les depuis de mendicité.
- M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.
M. Liefmans. - Messieurs, s'il est vrai de dire que certaines réformes, et même des réformes très importantes, peuvent être introduites (page 994) dans notre système pénal, il faut cependant reconnaître que les innovations ne peuvent se faire qu'après un examen bien approfondi. C'est, à mon avis, avec beaucoup de raison que la section centrale se plaint en quelque sorte de ce que les corps judiciaires paraissent ne pas avoir été consultés au sujet des réformes proposées par le gouvernement. Je suis convaincu, messieurs, que si l'avis des différents tribunaux de la Flandre orientale avait été réclamé, on n'aurait pas reçu le conseil de donner à la compétence de juge de simple police toute l'extension que M. le ministre nous propose. On aurait admis, je pense, cette extension quant aux délits mentionnés dans les n°3, 4 et 5 de l'article premier, mais bien certainement on n'aurait pas désiré que désormais les délits de vagabondage, de mendicité et surtout tous les délits ruraux, fussent distraits de la compétence des tribunaux correctionnels. Ces délits, en effet, messieurs, sont justement ceux-là qui, depuis quelque temps, se sont multipliés de la manière la plus effrayante. Le maraudage dans l'arrondissement d'Audenarde a pris tant de développement qu'à lui seul, j'en suis persuadé, il fournit au tribunal correctionnel plus de causes que tous les autres délits ensemble.
Or, on sait, messieurs, et la saine raison vous dit qu'on fait bien en agissant ainsi, que ces tribunaux montrent plus de sévérité, appliquent des peines plus fortes au fur et à mesure que des délits se commettent le plus fréquemment. Or, maintenant, messieurs, les tribunaux correctionnels ont souvent à statuer au sujet de délits ruraux perpétrés jusqu'à dix fois par le même individu.
Je puis le dire, le plus souvent les délinquants de cette catégorie se trouvent à l'état de récidive; et le juge correctionnel serait, dans certaines circonstances, plus disposé à réclamer une aggravation de peine, qu'à solliciter une diminution ; et puis dans les circonstances où nous nous trouvons, s'il ne faut pas user de plus de rigueur qu'antérieurement au sujet de délits ruraux, il faut au moins convenir qu'il ne serait pas très prudent d'en atténuer la peine outre toute mesure. Or, messieurs, je crois que pour la plupart des délits ruraux, réduire la peine de l'emprisonnement à un maximum de huit jours, ce serait une grave imprudence. Ce serait, me semble-t-il, provoquer en quelque sorte de plus en plus la multiplication de ces délits, déjà excessivement fréquents; il en est de même pour le délit de vagabondage et celui de mendicité ; je ne saurais, messieurs, m'associer à l'extension de la compétence quant aux délits de ces deux catégories.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable ministre de la justice m'a reproché d'avoir critiqué le personnel des juges de paix : c'est une erreur. J'ai parlé des suppléants, mais la critique du personnel des juges de paix se trouve dans le rapport de la section centrale, et ce rapport s'exprime dans des termes qui ne sauraient froisser personne.
On comprend très bien que de la part d'un juge de paix qui est fort mal rétribué, qui a souvent une résidence très peu agréable, on ne peut pas exiger des connaissances égales à celles que possèdent les magistrats d'un rang plus élevé. Cela est tout naturel, et personne ne peut se formaliser de ce qui a été dit à cet égard.
Quant à moi, je me suis particulièrement occupé des suppléants, et j'ai dit que, pour être suppléant de la justice de paix, on ne doit justifier d'aucune condition quelconque. J'ajoute que ces fonctions sont tout à fait gratuites, qu'elles sont très ingrates, et qu'on ne rencontre parfois pour les remplir que des hommes qui n'ont pas les connaissances nécessaires pour pouvoir prononcer des peines aussi sévères que celles prévues dans la loi qui nous occupe.
M. le ministre de la justice a protesté contre le mot expédient dont je me suis servi ; mais ce mot se trouve dans l'exposé des motifs de M. le ministre de la justice. Voici comment il s'exprime à la page 5 de l'exposé, après avoir expliqué ses embarras :
« L'expédient le plus convenable est celui qui résulte de l'article 2 du projet et qui combine les deux moyens que nous venons d'indiquer. «
Ainsi la paternité du mot expédient revient à M. le ministre de la justice; je n'ai pas le droit de la réclamer.
On vous a de nouveau entretenus d'économies. Je ferai remarquer que si plus tard il doit résulter des dispositions du projet, en cas d'acceptation, une certaine économie, elle commencera par nous entraîner dans des frais considérables ; car il faudra établir immédiatement à chaque chef-lieu de justice de paix, au lieu d'une petite maison de passage qui peut s'y trouver, une prison. (Interruption.) Et, comme dit un interrupteur que je ne reconnais pas, il y a des cantons où il n'y a pas même de maison de passage. Il faudra établir à chaque justice de paix une prison ; à cette prison devra être attaché un concierge permanent; il faudra, de plus, près de chaque justice de paix, une brigade de gendarmerie: car ce serait une erreur de croire qu'aux justices de paix est toujours attachée une semblable brigade : tantôt il n'y en a qu'une pour deux cantons, tantôt la brigade ne réside pas au chef-lieu; il faudra, en outre, une caserne pour la gendarmerie. Je le répète, il faudra, pour chaque canton, une caserne, une brigade de gendarmerie, une prison et le concierge. (Interruption.)
Que ferez-vous quand on amènera au chef-lieu du canton des bandes de mendiants? Malheureusement dans plusieurs de nos provinces on mendie par bandes de 8, 10,15 ; on conduit aujourd'hui ces malheureux au chef-lieu de l'arrondissement; ce sera maintenant au chef-lieu de canton qu'on les conduira ; la prison devra être assez spacieuse pour les contenir; il faudra un concierge pour veillera leur garde et à leur entretien. Vous le reconnaîtrez donc, l’économie que nous pouvons entrevoir dans un temps plus ou moins éloignée, nous commençons par l'acheter au moyen d'une dépense assez forte.
M. Orts. - J’ai demandé la parole pour ajouter une seule observation aux observations générales présentées par l'honorable président de la section centrale. Au point de vue de l'économie, les modifications proposées par le projet du gouvernement ne sont pas suffisamment radicales. Je crois que l'économie sera minime si on s'en tient à ce projet. Il y aurait un autre moyen de faire une économie beaucoup plus grande; l'article premier s'occupe en première ligne du délit de mendicité et de vagabondage, parce qu'il en coûte environ 17 francs pour arrêter et conduire les délinquants au dépôt de mendicité.
Je trouve avec M. le ministre que c'est payer beaucoup trop ; mais je crois qu'on pourrait faire mieux que de renvoyer le jugement des mendiants au juge de paix. En effet, si vous renvoyez les mendiants devant le juge de paix, les frais changeront peu ; les frais d’arrestation seront les mêmes, car ces frais ne varient pas suivant la justice devant laquelle est traduite la personne arrêtée. Restent les frais de condamnation ; la condamnation par le juge de paix coûte, il est vrai moins que quand elle est prononcée par le tribunal de police correctionnelle, mais elle coûte encore.
Vous faites condamner le mendiant ; à quoi bon? Pour l'envoyer an dépôt de mendicité; car c'est là la peine la plus importante. La peine proprement dite en ce cas est toujours légère ; la véritable répression de la mendicité, ce n'est pas la prison, c'est le transport au dépôt et le travail obligé dans ce dépôt. Pourquoi faire juger des individus qui ne contestent pas le délit mis à leur charge ? En fait de mendiants ; quatre-vingt-dix-neuf sur cent sont pris en flagrant délit et ne nient pas. (Interruption.)
On le conteste? Si la réforme parlementaire n'était pas venue modifier le personnel de cette chambre, je ferais, sans crainte d'être démenti, un appel à tous ceux qui ont tenu des audiences de police correctionnelle. Le mendiant qui nie est une très rare exception. Pourquoi ne pas revenir au système qui faisait de la répression de la mendicité une affaire administrative, aussi longtemps que le mendiant ne réclame pas? Pourquoi ne pas mener le mendiant qui y consent droit au dépôt sans passer par le tribunal? On se récrie! Mais il en est ainsi dans des matières beaucoup plus importantes que le délit de mendicité.
Vous avez le droit d'incarcérer administrativement des citoyens qui méritent beaucoup plus l'intérêt que les mendiants. Aujourd'hui la police communale peut ordonner la séquestration de tout individu quelle croit atteint d'aliénation mentale. Quand on s'en est rapporté à l'autorité administrative pour des objets aussi importants, on peut bien s'en rapporter à elle pour envoyer au dépôt de mendicité des mendiants. Mais je me hâte de le dire, je n'admettrais ce moyen que pour le cas où ils ne réclameraient pas. C'est ainsi d'ailleurs que les choses se passaient en France avant la promulgation du Code pénal de 1810, depuis l'institution des dépôts de mendicité.
De cette façon, vous pourriez opérer une économie plus considérable que celle qui résulterait du projet du gouvernement et cela sans préjudice pour personne. Tel est le but de mon observation.
M. H. de Brouckere. - Je regrette de ne pouvoir m'associer à la manière de voir de l'honorable préopinant. Il est vrai que la plupart des individus poursuivis pour fait de mendicité avouent et se soumettent à la peine qu'ils ont encourue.
Mais il arrive cependant qu'ils nient, et le cas n'est pas aussi rare que le prétend l'honorable M. Orts. Si le fait est nié, il faut qu'il soit déclaré constant par un juge ; on ne peut pas admettre qu'on condamnera un individu à la détention sans un jugement; remarquez que, si par une loi nous allions abandonner au gouvernement, et ici le gouvernement c'est la police, si nous allions abandonner à la police le droit de faire transporter à un dépôt de mendicité tout individu trouvé mendiant, il ne faudrait pas attendre longtemps avant d'être témoin de nombreux abus, car sous prétexte de mendicité on pourrait arrêter des gens qui importuneraient. Il faut nécessairement un jugement, pour priver un citoyen de sa liberté.
On a parlé des insensés, mais l'insensé n'est saisi que quand il a posé des actes qui démontrent qu'il est dangereux pour la société. La loi prescrit alors certaines formalités à remplir auxquelles on est obligé de se soumettre.
M. Toussaint. - Je ne demande la parole que pour m'élever contre la fin de non-recevoir qu'on oppose à l'ensemble de la première partie du projet qui nous est soumis. Ceux d'entre nous qui appartiennent à la partie rurale du pays ont particulièrement reçu avec reconnaissance le projet de renvoyer devant le juge de paix un grand nombre de délits peu importants, aujourd'hui déférés à la juridiction correctionnelle.
Les objections qui ont été faites l'ont été au point de vue principalement de la diminution des garanties des accusés. Il ne faut pas s'exagérer les garanties que les prévenus trouvent, en ces matières, devant le tribunal correctionnel.
Dans la capitale, les causes de mendicité dont on s'est surtout préoccupé sont jugées par séries d'individus. Un huissier ouvre une porte, fait entrer 20 ou 25 mendiants au pas de route et les place en file derrière le greffier. A peine leur a-t-on laissé le temps de décliner leurs noms, qu'ils sont condamnés collectivement, et d'une fois. La condamnation prononcée, on ouvre une autre barrière. Au même pas, les mendiants sortent, et l'on fait entrer d'autres séries. Il n'y a pas là de jugement sérieux, et je dois le dire, il est naturel qu'il n'y ait pas d'instruction sérieuse, attendu que les accusés sont en aveu, et demandent eux-mêmes la condamnation. Aussi c'est à peine si le tribunal a le temps d'entendre les noms ; (page 995), c’est à peine si le délégué du greffier peut saisir au vol les noms des prévenus. Encore les prend-il le plus souvent dans le dossier qui lui est communiqué. Il n'y a pas là, vous en conviendrez, de très grandes garanties.
Comme l'honorable M. Orts, le tribunal sent qu'il s'agit la, non d'un véritable délit, mais d'une infraction aux convenances sociales, d'une affaire de police plutôt administrative que répressive. En effet, il n'y a là ni intention criminelle, ni réelle atteinte à la propriété ou aux personnes; c’est généralement par le besoin que les mendiants sont chassés de chez eux. Le tribunal, en les condamnant, envisage moins son jugement comme un décret de culpabilité que comme un moyen de renvoyer les malheureux mendiants à leur véritable lieu de destination, c'est-à-dire au dépôt de mendicité d'où les communes, au gré des mendiants, ne s'empressent que trop de les retirer, à cause des frais.
Quant au vagabondage, je ne pense pas que la définition de ce délit présente autant de difficultés que le suppose l'honorable M. H. de Brouckere. Chacun de nous sait ce que c'est que le vagabondage, et le juge de paix le moins éclairé le saura aussi bien que nous.
Pour ce qui concerne la matière des poids et mesures, il n'y a qu'une voix dans le pays, messieurs, pour signaler l'anomalie qu'il y a à faire juger des fautes plus graves par le juge de paix et des fautes moindres par le tribunal correctionnel.
Les délits en matière de grande voirie, de roulage, de messageries et de postes, se commettent généralement dans les villes. Ils seront donc jugés par les juges de paix des villes, c'est-à-dire par des hommes dont les connaissances en matière de droit criminel sont plus étendues.
Quant aux délits ruraux, j'avoue que j'aurais désiré plus de précision au sujet de cette catégorie de délits, il y a des délits ruraux très importants, entraînant de graves conséquences. La loi devrait à cet égard s'expliquer d'une manière plus nette et plus formelle. Mais les observations de détail trouveront la place de leur examen lorsque nous en serons à la discussion de l'article premier du projet. Je n'insiste pas davantage dans la discussion générale. Seulement j'engage la chambre à ne pas se montrer dès à présent prévenue contre l'ensemble du titre premier; j'engage la chambre à donner aux dispositions de ce titre toute l'attention qu'elles méritent, dussions-nous y consacrer quelques séances, car cette partie du projet de loi a une importance réelle au double point de vue de la répression et de nos finances. Les nécessités du trésor, messieurs, exigent que nous ne négligions pas légèrement une source aussi abondante d'économies importantes et continuelles, et qui sont d'ailleurs dans l'intérêt des justiciables.
M. Orts. - Je ne veux pas laisser la chambre sous l'impression de la réponse que m'a faite M. de Brouckere. Cet honorable orateur m'a prêté des doctrines et des opinions que je n'ai pas. Je n'ai jamais voulu que, sur un ordre de la police, on mît soit en prison, soit même au dépôt de mendicité, qui est moins encore que la prison, des individus qui n'y consentiraient pas. Je n'ai demandé la répression administrative de la mendicité que pour les mendiants qui considèrent comme un avantage d'être admis au dépôt; chose qui ne se fait pas; car, aujourd'hui, il faut un jugement.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. de Brouckere a dit tout à l'heure que le projet amènerait une augmentation de dépense plutôt qu'une économie, parce qu'on devrait établir dans tous les chefs-lieux de canton des prisons de police, dont l'érection entraînerait des dépenses assez considérables.
J'avais prévu cette objection, la seule un peu sérieuse, selon moi, qui ait été faite par la section centrale. J'ai donc fait faire une enquête pour constater l'état des prisons de police dans tous les cantons du royaume.
Il est résulté de cette enquête que sur 204 cantons de justice de paix, il n'y en a que 28 qui soient dépourvus de maisons de police ou de passage. Et encore dans plusieurs de ces cantons il y a des locaux qui peuvent à peu de frais être appropriés à cet usage. Il ne faut pas d'ailleurs s'exagérer l'importance de ces dépenses. Une maison de passage ou de police municipale peul consister en deux salles, l'une pour les hommes et l'autre pour les femmes ; car l'on sait que les mendiants et les personnes qui y sont détenues n'ont jamais que quelques jours d'emprisonnement à subir.
Dans tous les cas, s'il n'y avait pas, dans quelques chefs-lieux, de prisons municipales convenables, on pourrait envoyer les détenus à la maison du chef-lieu du canton-voisin ou à la maison d'arrêt du chef-lieu d'arrondissement, s'il n'était pas trop éloigné.
Je ferai observer en outre que, dans toutes les casernes de gendarmerie, il y a une chambre de sûreté où les gendarmes tiennent les individus qu'ils ont mis en arrestation.
J'ai donc acquis la conviction qu'il n'y aura pas de dépenses à faire de ce chef, ou au moins que la dépense qu'il y aurait à faire serait très peu importante.
Je répondrai maintenant deux mots à l'honorable M. Liefmans. Il accepte l'article premier du projet quant aux n°3°, 4° et 5°. Il reconnaît que les différents délits, mentionnés sous ces numéros, peuvent font: bien rentrer dans la compétence des juges de simple police. Mais il repousse les n_1 °et 2°, qui rangent sous cette compétence les délits de mendicité, de vagabondage et les délits ruraux.
Je dois le dire, messieurs, si la chambre n'admettait pas la proposition du gouvernement à cet égard; la majeure partie des économies que nous espérions réaliser par le projet viendrait à disparaître. En effet, ce sont les délits de ces deux catégories: qui sont le plus nombreux. Vous pouvez en juger lorsque vous saurez qu'en 1847 il y a eu 8,507 individus arrêtés du chef de mendicité et de vagabondage, et que 8,770 autres individus ont été poursuivis pour des délits ruraux.
Vous voyez donc, messieurs, que ces délits sont tellement nombreux que si on les maintient sous la juridiction des tribunaux correctionnels, l’économie que nous espérons réaliser en les attribuant aux tribunaux de simple police viendrait nécessairement à disparaître.
Cette économie, messieurs, il serait impossible de l'apprécier autrement que d’une manière approximative ; mais d’après les calculs qui m’ont été présentés par des employés qui depuis longtemps s’occupent de la taxation des frais de justice, et ont acquis beaucoup d'expérience en cette partie, l’économie à réaliser par suite des différentes dispositions du projet, pourra s'élever de 150,000 à 200,000 francs.
Or, je le déclare, il faudrait des raisons bien majeures pour maintenir ce qui existe, alors que nous pouvons obtenir une semblable réduction de dépenses par l'adoption de mesures qui, dans mon opinion, constitueront de véritables améliorations dans l'état actuel de l'organisation de notre justice répressive.
L'honorable M. Orts a fait aussi une observation à laquelle je dois répondre.
Il a dit que les frais d'arrestation seraient les mêmes, soit que le mendiant soit amené devant le juge de paix du canton, soit qu'il soit conduit devant le procureur du roi ou le juge d'instruction au chef-lieu d'arrondissement.
Sans doute s'il n'y avait que les frais d'arrestation, ils seraient les mêmes. Mais ce qui accroît les frais, c'est surtout la translation des mendiants au chef-lieu. Car quelquefois ils sont arrêtés à huit ou dix lieues du chef-lieu d'arrondissement. Il faut les conduire de brigade en brigade jusqu'à ce chef-lieu, tandis que le chef-lieu de canton est toujours très rapproché, et que les mendiants peuvent y être amenés presque sans frais.
D'après les renseignements qui m'ont été donnés, j'ai lieu de croire que lorsque les mendiants ne devront être transportés qu'au chef-lieu de canton, les frais d'arrestation qui, aujourd'hui, sont de 7 à 8 fr. ne seront plus que de 2 à 3 fr. au plus, et les frais de condamnation ne s'élèveront également pas au-delà de cette somme.
Vous voyez donc, messieurs, que l'économie à réaliser sera extrêmement importante. Je crois qu'on peut l'évaluer aux deux tiers de la dépense actuelle.
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la discussion sur les articles.
« Art. 1er. Indépendamment des affaires de simple police qui leur sont attribuées, tant par le Code pénal que par des dispositions spéciales, les juges de paix connaîtront :
« 1° Des délits de vagabondage, de mendicité et d'injures, prévus par les articles 271, 274 et 375 du Code pénal;
« 2° Des délits ruraux ;
« 3° Des contraventions aux lois et règlements sur la grande voirie, le roulage, les messageries, les postes et les barrières ;
« 4° Des contraventions aux arrêtés pris en exécution de la loi du 21 août 1816, sur les poids et mesures;
« 5° Des infractions aux règlements provinciaux. »
M. Lelièvre. - Je dois appuyer l'observation qui vient d'être présentée par l'honorable M. Toussaint, relativement aux délits ruraux. Il me paraît impossible de maintenir, dans l'article premier du projet la dénomination de délits ruraux sans autre explication.
Messieurs, les délits ruraux sont prévus, les uns par le Code pénal, les autres par la loi de septembre-6 octobre 1791. Ainsi, le comblement de fossés, la destruction de clôtures, la coupe de grains en vert et autres délits ruraux, sont prévus par le Code pénal ; mais en général, et, sauf quelques exceptions, les contraventions à la police rurale sont réprimées par la loi de 1791.
Il est donc nécessaire de spécifier, dans l'article premier du projet, les délits ruraux dont la connaissance est déférée aux juges de paix ; cela est d'autant plus nécessaire que certains délits prévus par la loi de 1791 ont un caractère de gravité qui ne permet pas de les déférer prudemment aux tribunaux de simple police. C'est ainsi, par exemple, que l'enlèvement de bois fait à dos d'homme est frappé d'une peine légère par la loi de 1791; mais s'il existe des circonstances aggravantes, par exemple, si l'enlèvement a été consommé à l'aide de sacs, paniers ou chariots, l'emprisonnement peut être très élevé.
Il en est de même de l'enlèvement des récoltes sur pied. Il constitue un maraudage peu grave, s'il a été commis sans moyens extraordinaires; mais s'il a été accompagné de certaines circonstances prévues par le législateur, par exemple, s'il a été commis la nuit ou à l'aide de charrettes, etc., la peine est notablement aggravée.
Messieurs, il me paraît dangereux de déférer des faits aussi graves à la connaissance des tribunaux de simple police et de réduire la peine aux limites fixées par l’article 2 du projet, c'est-à-dire à huit jours d'emprisonnement. C'est pour ce motif que je désire une spécification des délits ruraux auxquels s'appliquera l'article premier.
Je propose donc, par amendement, d'énoncer au n°2° de cette disposition : les délits ruraux prévus par les articles 9, 10, 12, 13, 18, 20, 22, 24, 25, 27, 28, 33, 34, 38, 40,41, 42 et 44 du titre II de la loi de septembre-6 octobre 1791.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je reconnais avec l'honorable M. Lelièvre et l'honorable M. Toussaint qu'il serait important de préciser les délits ruraux dont la connaissance sera attribuée aux juges de paix comme juges de simple police. J'avais pensé que l'on aurait pu atteindre le but indiqué par les honorables membres, en s'exprimant d'une manière générale et en disant, par exemple : « des délits ruraux prévus par les dispositions encore en vigueur de la loi du 6 octobre 1791. »
Je dis des dispositions encore en vigueur. Car l'honorable M. Lelièvre sait qu'il y a un grand nombre de dispositions de cette loi qui ne sont plus aujourd'hui en vigueur, parce que les délits qu'elle définit sont prévus et atteints par des dispositions expresses du Code pénal. Or pour celles-là, la loi actuelle certainement n'entend pas déroger aux règles de la compétence. Mais je crois que toutes les autres dispositions encore en vigueur de la loi du 6 octobre 1791 peuvent être sans aucun inconvénient ramenées sous la compétence des juges de paix comme juges de simple police.
Cependant, messieurs, je désirerais que l'amendement de l'honorable M. Lelièvre fût imprime et que la discussion en fût ajournée pour qu'on pût examiner en détail les articles auxquels il se réfère. Il est très possible que je puisse m'y rallier, lorsque j'aurai vérifié ces articles.
M. Lelièvre. - J'appuie l'ajournement proposé par M. le ministre de la justice. M. le ministre et les membres de la chambre auront ainsi le temps de consulter la disposition de la loi de 1791 et d'examiner mon amendement.
M. H. de Brouckere. - Pour qu'il n'y ait pas confusion dans la discussion, je crois, messieurs, qu'il faudrait examiner l'article numéro par numéro, car si un orateur vient parler des délits de vagabondage et de mendicité et qu'un autre lui réponde en s'occupant de délits ruraux, il sera impossible de s'y reconnaître. Je ne vois pas d'inconvénient, toutefois, à ce que l’on commence par les délits ruraux, bien que ce soit le numéro 2°.
M. le ministre semble avoir reconnu qu'il est impossible de laisser ce numéro conçu dans les termes généraux qui se trouvent au projet de loi. Les délits ruraux ! Mais il y a, messieurs, des délits ruraux de tant d'espèces différentes, les délits ruraux sont punis de peines si diverses, qu'il est impossible que la chambre se prononce sur une semblable généralité, au moins sans avoir reçu des explications.
L'amendement de l'honorable M. Lelièvre vient de spécifier les délits auxquels s'appliquerait l'article; c'est à nous d'examiner les objets indiqués et de voir si l'amendement est admissible. Mais je ferai remarquer, dès à présent, qu'il est tel délit rural qui est puni de peines excessivement sévères. Par exemple l'article 444 du Code pénal est ainsi conçu :
« Art. 444. Quiconque aura dévasté des récoltes sur pied ou des plants venus naturellement ou faits de main d'homme, sera puni d'un emprisonnement de deux ans au moins, de cinq ans au plus.
« Les coupables pourront de plus être mis, par l'arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »
Voilà, à coup sûr, messieurs, un délit bien grave et qui est puni d'une peine bien sévère. Eh bien, d'un trait de plume vous réduiriez cette peine de 2 à 5 ans d'emprisonnement à un emprisonnement de 8 jours au maximum. Telle ne peut pas être l'intention de la chambre, et telle n'est pas, j'en suis persuadé, l’intention de M. le ministre de la justice, qui probablement n'a pas pensé à cet article.
Maintenant, messieurs, on serait bien embarrassé si l'on devait définir ce que c'est qu'un délit rural. Je pourrais indiquer tel ou tel délit que les uns appelleront délit rural et que les autres appelleront délit forestier.
M. Lebeau. - Mon amendement restreint les délits ruraux à ceux qui sont spécifiés dans la loi de 1791.
M. H. de Brouckere. - Je prierai M. le ministre de s'expliquer : Entend-il par délits ruraux ceux qui sont spécifiés dans la loi de 1791?
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Evidemment il s'agit des délits ruraux définis dans la loi rurale du 6 octobre 1791. J'ai même fait observer que plusieurs délits mentionnés dans cette loi sont aujourd'hui prévus et atteints par des dispositions spéciales auxquelles nous n'entendons déroger en aucune manière. Ce sont donc les délits spécifiés dans la loi de 1791, et à l'égard desquels il n'a pas été statué par des dispositions spéciales, que nous rangeons maintenant sous la compétence des tribunaux de simple police.
M. H. de Brouckere. - D'après l'explication que vient de donner M. le ministre de la justice, la chambre n'a plus qu'une résolution à prendre, c'est d'ajourner à demain le n° 2°, afin de pouvoir examiner l'amendement de M. Lelièvre. -
- Le renvoi à demain est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Nous abordons maintenant la discussion du paragraphe premier.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, je voterai contre le paragraphe premier et j'en ai expliqué les motifs; mais je dois demander à M. le ministre de la justice si ce n'est point par erreur qu'on a omis de mentionner l'article 275. L'article 274 prévoit le délit de mendicité commis dans les lieux pour lesquels il existe un établissement public destiné à obvier à la mendicité: l’article 275 prévoit le délit de mendicité commis dans d'autres lieux et alors la peine est moindre ; si donc on admet la juridiction du juge de paix dans le premier cas, à plus forte raison faut-il l'admettre pour le cas suivant, qui est moins grave.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'article 275 n'est qu'un accessoire de l'article 274. Je crois que la définition du délit de mendicité se trouve tout entière dans l'article 274, et dès lors il me paraît assez inutile de mentionner l'article suivant.
M. Orts. - M. le ministre de la justice n'a pas le texte sous les yeux ou il a mal vu, car le délit prévu par l'article275 est tout à fait différent de celui dont il s'agit dans l'article 274. Ce dernier consiste à mendier une fois dans un lieu où il existe un dépôt de mendicité ; l'article 275, au contraire, s'occupe du cas où l'on a mendié dans un lieu où il n'y a pas de dépôt de mendicité; mais alors il exige l'habitude, c'est-à-dire un certain nombre de faits commis successivement. Il y a donc deux délits différents prévus par les deux articles. Je ne m'oppose pas à ce que celui qui est prévu par l'article 275 soit renvoyé aux juges de paix comme les autres, mais au moins faut-il le dire.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne vois pas de difficulté à ce qu'on mentionne également l'article 275.
M. le président. - Ainsi la mention de l'article 275 sera insérée dans la disposition.
M. Moncheur. - Messieurs, la peine comminée par l'article 275 est un emprisonnement de 6 mois à 2 ans si le mendiant est arrêté hors du canton de sa résidence. (Interruption.) Il me semble qu'il n'est pas convenable de faire entrer dans la juridiction des juges de paix un délit contre lequel la loi commine une peine aussi forte.
M. H. de Brouckere. - D'après la déclaration que vient de faire l'honorable membre, il faudrait toujours mentionner le premier paragraphe de l'article 275 ; sinon, nous tomberions dans une contradiction par trop manifeste ; nous déférerions à la juridiction des tribunaux de simple police un fait puni de 5 à 6 mois d'emprisonnement, et nous conserverions à la juridiction des tribunaux correctionnels un fait qui n'est puni que d'un emprisonnement d'un mois à 3 mois. Il faut mettre : « le premier paragraphe de l'article 275. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il me paraît qu'on peut mentionner l'article 275 en entier. Je puis donner à la chambre l'assurance que, dans la pratique, les mendiants arrêtés hors du canton de leur résidence ne sont jamais condamnés à une peine plus sévère que tous les autres. Je n'ai pas ici les tableaux statistiques propres à établir cette preuve, mais il résulte des renseignements qui ont été recueillis, qu'en général la peine comminée par les tribunaux n'est, au maximum, que de 8 à 10 jours de prison, quelle que soit la nature du délit de mendicité.
Il ne faut pas, messieurs, prendre égard à la sévérité des peines du Code pénal contre les mendiants et les vagabonds. Le Code pénal contient contre une foule de crimes et de délits des peines excessivement rigoureuses et qui ne sont plus appliquées. Il en est de même des peines de la mendicité et du vagabondage.
Messieurs, c'est moins par la prison que par le séjour au dépôt que l'on peut obtenir la répression de la mendicité. C'est dans le dépôt de mendicité seul que le mendiant peut reprendre des habitudes de travail, et qu'il peut s'amender et s'instruire ; il est donc dans son intérêt et dans celui de la société qu'il y soit transféré le plus tôt possible.
M. Lelièvre. - J'appuie ce que vient de dire M. le ministre. En effet, dans la pratique, il n'y a pas aggravation de peine lorsque le mendiant a été arrêté hors du canton de sa résidence. On peut donc énoncer le cas prévu par l'article 275 du Code pénal, au nombre des faits que l'article premier défère aux tribunaux de simple police.
- La discussion sur le paragraphe premier de l'article premier est close. Le
Le paragraphe premier primitif est mis aux voix et adopté.
La chambre adopte ensuite la mention de l'article 275 du Code pénal dans le même paragraphe.
« 3° Des contraventions aux lois et règlements sur la grande voirie, la roulage, les messageries, les postes et les barrières. »
- La discussion est close.
Le paragraphe 3 de l’article premier est adopté
« 4° Des contraventions aux arrêtés pris en exécution de la loi du 21 août 1810, sur les poids et mesures. »
- Adopté.
« 5° Des infractions aux règlements provinciaux. »
M. Orts. - Messieurs, je crois qu'il conviendrait de faire, pour les infractions aux règlements provinciaux, ce que l'honorable M. Lelièvre a demandé pour les délits ruraux ; car les objets sur lesquels il peut être porté des règlements provinciaux sont extrêmement variés.
Non seulement les autorités provinciales peuvent réglementer en vertu de la loi provinciale, mais elles ont reçu une délégation pour plusieurs matières spéciales, en vertu d'autres lois que la loi provinciale. Il est fort difficile de saisir d'une manière absolue la portée de la disposition que M. le ministre de la justice nous soumet sans énumération précise.
Je demanderai, par exemple, à M. le ministre de la justice, s'il entend par infractions aux règlements provinciaux les infractions qui peuvent être commises à la police des mines et des houillères qui est réglementée par les autorités provinciales, non en vertu de la loi provinciale, mais en vertu d'une délégation prononcée par le décret impérial de 1813. Je crois que ces infractions sont beaucoup trop importantes, sous le rapport de la conservation et de la bonne exploitation de nos richesses minérales, et sous le rapport de la sécurité de ceux qui se livrent à ce genre d'industrie ; sont beaucoup trop importantes, dis-je, pour qu'on puisse les déférer à un juge (page 997) de paix, jugeant d'une manière isolée. Les conséquences pécuniaires des condamnations peuvent être ici fort graves. Si un exploitant, par négligence, en enfreignant les mesures de police prescrites par les autorités provinciales, vient à causer un préjudice à une exploitation voisine, des dommages-intérêts d'un million pourront être la conséquence de la condamnation qui sera prononcée.
Veut-on d'un pareil étal de choses? C'est une satisfaction qu'on peut se donner, mais à laquelle je ne puis prendre part.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, il s'agit ici des règlements que les conseils provinciaux peuvent faire en vertu de l'article 85 de la loi provinciale.
Or l'extension que nous donnons à la compétence des juges de paix en matière de simple police tend ici à leur attribuer la connaissance de délits spéciaux prévus par les règlements seuls en vertu de cet article, ces délits ne pouvant être punis au maximum que de 8 jours de prison et 200 fr. d'amende.
Je pense que nous ne devons envisager que l'étendue de la peine et non la nature du délit. Si les conseils provinciaux en matière d'exploitation de mines appliquent des peines qui n'excèdent pas huit jours de prison et 200 francs d'amende, c'est que les contraventions ont peu d'importance et par suite, il n'y a aucun inconvénient à les ranger sous la compétence des juges de paix; elles seront même jugées plus promptement et en plus grande connaissance de cause par le juge de la localité que par des juges qui siègent au chef-lieu; elles entraîneront aussi beaucoup moins de frais pour ceux qui auront des condamnations à subir. Il y a donc des motifs fondés pour attribuer aux tribunaux de simple police toutes les infractions aux règlements provinciaux.
M. Toussaint. - Je demanderai à M. le ministre s'il n'y aurait pas d'inconvénient à ajouter au n°5 les mots « portés vertu de la loi provinciale. » Cette addition rendrait le texte plus clair, éviterait dans l'avenir des discussions et dispenserait de tout recours au Moniteur qui est assez volumineux et ne se trouve pas à la portée de tout le monde, surtout en justice de paix.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je ne connais que l'article 85 de la loi provinciale qui attribue aux conseils provinciaux le pouvoir de faire des règlements et d'établir des peines pour en assurer l'exécution. Il me paraît donc inutile d'indiquer cet article dans la loi actuelle. Cependant je n'insiste pas pour qu'on n'en fasse pas mention ; ce qui abonde ne vicie pas.
M. Lelièvre. - Il y a d'autres règlements provinciaux que ceux portés en vertu de la loi provinciale; il y a les règlements établis en vertu de la loi de 1818; ces règlements ont été portés légalement, conformément à cette loi. Il vaut mieux déférer au juge de paix les contraventions à ces règlements; il y a le même motif que pour les infractions aux règlements portés en vertu de la loi provinciale.
M. Toussaint. - Si la chose est ainsi entendue qu'il ne s'agit que de la loi provinciale, et de la loi du 6 mars 1818, je n'insiste pas.
- Le paragraphe 5 est mis aux voix et adopté.
Le vote sur l'ensemble de l'article est ajourné jusqu'après le vote du paragraphe 2°.
« Art. 2. Les juges de paix appliqueront les peines comminées par les lois et règlements sur les matières mentionnées dans l'article précédent, jusqu'à concurrence de 8 jours d'emprisonnement et 200 d'amende ; les peines plus élevées seront réduites de plein droit à ce maximum.
« Néanmoins, si les circonstances sont atténuantes, ils pourront, dans les cas prévus par les n°1 et 4° de l'article précédent, réduire l'emprisonnement et l'amende, et même prononcer séparément l’une ou l'autre de ces peines, sans qu'en aucun cas elle puisse être au-dessous des peines de simple police. »
La section centrale en propose le rejet.
M. Moncheur. - Comme l’a fait observer l'honorable rapporteur de la section centrale, le projet modifie radicalement en plusieurs points notre législation pénale. Ainsi, tels faits qui étaient punis de 500 francs d'amende ne le seraient plus que de 200 au maximum. Parmi ces faits se trouvent les injures prévues par l'article 375 du Code pénal; elles sont d'une nature grave, car il s'agit de l'imputation d'un vice déterminé avec publicité. La peine est de 16 à 500 fr. d'amende. Or, l'article 2 portant que les juges de paix n'appliqueront les peines que jusqu'à concurrence de 8 jours de prison et 200 francs d'amende, et que les peines plus élevées seront de plein droit réduites à ce maximum, je demande si la peine, réduite à l'égard du juge de paix, l'est également à l'égard du tribunal de première instance quand l'appel est porté devant lui: Je suppose qu'il en est ainsi, mais vous voyez que nous tombons ainsi dans une modification grave du Code pénal, et cette modification n'est, dans le cas que je viens d'indiquer, nullement justifiée.
En effet, dans notre système de publicité et de liberté de la presse, où il n'y a pas d'entrave préalable à l’expression de la pensée, s'il est permis à chacun de publier sa manière de voir sur les fonctionnaires et les particuliers, la loi doit, d'un autre côté, protéger l'honneur des citoyens, par une peine assez forte, contre ceux qui s'oublient au point de l'attaquer; et certes on attaque d'une manière grave l'honneur des citoyens, quand on leur impute publiquement un vice déterminé. Je pense donc que pour ce délit, la peine de 16 à 200 francs d'amende comminée par le Code pénal n'est pas trop forte, et que c'est à tort que le projet en discussion la réduit au maximum de 200 fr.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le gouvernement n'a propos de réduire les peines dont il s'agit, comme il l'a fait par l’article 2, que parce qu'il a été reconnu que jamais les tribunaux n'appliquaient le maximum de l'amende, et que même les condamnations ne dépassaient pas 100 ou 200 francs. Ce chiffre de 200 fr. n'a même jamais été atteint ou du moins il ne l'a été que très rarement. Pourquoi donc maintenir un maximum d'amende aussi élevé, quand dans la pratique il est reconnu que l'on n'en fait jamais l'application? Remarquez d'ailleurs qu'il ne s'agit pas ici de la calomnie, ni de la diffamation proprement dite, mais de simples injures qui souvent n'ont aucune gravité, et qui ont été proférées dans des lieux publics.
Or, comme l'a fait observer l'honorable M. Lelièvre dans la discussion générale, il est quelquefois très difficile de reconnaître si les injures ont été proférées dans un lieu public ou dans un lieu privé. Il s'engage souvent à ce sujet une discussion préliminaire, et l'on met un terme à toutes ces discussions en attribuant au tribunal de simple police le jugement des injures publiques et privées, et en réduisant le maximum de l'amende, qui n'est d'ailleurs jamais atteint par les condamnations judiciaires.
- L'article 2 est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Dans les cas de vagabondage et de mendicité prévus par les articles 271, 274 et 275 du Code pénal, l'individu arrêté sera amené dans les 24 heures devant le juge de paix, à son audience ordinaire, ou à celle que l'officier du ministère public requerra pour le lendemain, afin d'y être statué conformément à la présente loi ; et ce pendant, l'inculpé restera sous la main de la justice en état d'arrestation à la maison de police communale.
« Si le prévenu le demandé, un délai de trois jours lui sera accordé pour préparer sa défense. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il est possible qu'il y ait des chefs-lieux de canton où, à défaut de maison de police communale, on doive envoyer l'individu arrêté soit à la maison de police du canton voisin, soit à la caserne de gendarmerie. Je demande donc la suppression des mots « à la maison de police communale » qui terminent le paragraphe premier de l'article 3.
- L'article est adopté avec cette suppression.
« Art. 4. Lorsque le fait imputé sera punissable de l'emprisonnement ou de l'amende, et que, sur le réquisitoire du ministère public, ou sur le rapport fait à la chambre du conseil, les juges seront unanimement d'avis qu'il y a lieu de réduire ces peines au taux des peines de simple police, ils pourront renvoyer le prévenu devant le juge de paix compétent, en exprimant les circonstances atténuantes.
« La chambre des mises en accusation pourra, à la simple majorité, exercer la même faculté.
« Le ministère public et la partie civile pourront former opposition à l'ordonnance de la chambre du conseil, conformément aux dispositions du Code d'instruction criminelle.
« Le tribunal de simple police devant lequel le prévenu sera renvoyé ne pourra décliner sa compétence en ce qui concerne les circonstances atténuantes. »
M. Lelièvre fait remarquer que, dans le cas prévu par cet article, le prévenu doit être mis en liberté s'il a été arrêté. Il propose en conséquence un paragraphe nouveau ainsi conçu ; « Le prévenu sera mis en liberté s'il a été arrêté. » Il retire ensuite cet amendement, sur l'observation faite par M. le ministre de la justice, que c'est de plein droit aux termes du Code d'instruction criminelle, qu'en conséquence l'amendement est inutile.
M. Orts. - Je demanderai à M. le ministre de la justice si là facilité du renvoi existe au cas de poursuite directe devant le tribunal correctionnel, et dans ce cas par quel motif il a cru devoir exclure de la faculté accordée par l'article 4 au tribunal l'hypothèse où une personne serait traduite devant le tribunal correctionnel, non par le ministère public, mais par citation directe de la partie lésée. La personne, poursuivie directement par un particulier, alors que le ministère public n'a pas cru devoir intenter d'action, mérite autant et plus d'égards que celle poursuivie par le fonctionnaire qui a la mission de poursuivre, au nom de la société, la répression des délits.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je crois que, dans l'un et dans l'autre cas, le renvoi peut avoir lieu sur la réquisition du ministère public. La loi ne distingue pas ; et je ne pense pas qu'il y ait lieu de faire cette distinction.
M. Lelièvre. - D'après le texte de l'article 4, je ne puis partager l'avis de M. le ministre de la justice. En effet, cet article ne parle que du cas où la chambre du conseil reconnaît que le fait, à raison duquel le renvoi doit être ordonné, ne constitue, à raison des circonstances atténuantes, qu'une contravention de simple police. Mais si le tribunal correctionnel a été saisi de l'affure par citation directe, l'article 4 n'est plus applicable, puisqu'il est impossible que la chambre du conseil s'occupe d'un fait dont la juridiction correctionnelle se trouve légalement saisie.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, il m'est impossible de partager l'opinion de l'honorable M. Lelièvre.
Je ne crois pas qu'une partie civile, en saisissant le tribunal correctionnel, puisse priver le prévenu du bénéfice de l'application de l'article 4. Il en résulterait que celui qui aurait été lésé pour un fait que la loi qualifie de contravention on qui peut être rangé parmi les contraventions dont la connaissance est déférée aux tribunaux de simple police, (page 998) pourrait être, par le fait d'une partie civile, traduit devant le tribunal de police correctionnelle.
Je crois qu'il peut être facultatif au tribunal, lorsqu'il reconnaît qu'une partie civile l'a saisi à tort de la connaissance d'un fait, de se dessaisir en vertu de l'article 4 et de renvoyer l'affaire devant le tribunal de simple police. Il y aurait, selon moi, danger à ne pas généraliser cet article.
M. Orts. - Messieurs, si le système de M. le ministre de la justice est celui qu'il vient d'expliquer, il faut qu'il mette son système dans l'article pour que cela devienne une loi. Mais jusqu'à présent ce système n'y est pas et c'est le système contraire qui y figure.
Il est évident que, par l'article 4, la faculté de renvoyer devant les tribunaux de simple police n'est ouverte qu'à la chambre du conseil ou à la chambre des mises en accusation; qu'elle n'appartient pas au tribunal correctionnel. De sorte que nécessairement, comme l'honorable M. Lelièvre l'a fait observer, dans le cas où le tribunal correctionnel serait saisi par la citation directe du plaignant ou par l'action directe du ministère public, le tribunal n'a pas la faculté de renvoyer l'affaire au tribunal de simple police.
Je vais le démontrer à M. le ministre de la justice qui fait un signe de dénégation, par la lecture du paragraphe 3 de cet article.
Le ministère public et la partie civile pourront former opposition... à quoi ? Au jugement du tribunal? Non, mais à l'ordonnance de la chambre du conseil.
Vous prétendez qu'il y a lieu d'accorder le droit d'opposition : vous le voulez sans doute dans un cas comme dans l'autre, car c'est justice, et vous ne parlez que d'une opposition à l'ordonnance de la chambre du conseil ou à l'arrêt de la chambre des mises en accusation ; donc vous n'avez pas supposé le cas d'un renvoi par le tribunal correctionnel. Si vous le voulez, mettez-le dans la loi ; jamais on ne comprendra la disposition telle qu'elle est dans ce sens. On la comprendra d'autant moins dans ce sens que la loi où vous l'avez puisée porte un principe contraire.
Vous avez puisé cet article 4 dans la loi de mai 1838 sur le jury, loi qui a permis de correctionnaliser les crimes. Vous avez voulu faire pour les délits ce qu'on a fait alors pour les crimes. Or, la faculté de correctionnaliser les crimes n'appartient qu'à la chambre du conseil et à la chambre des mises en accusation. Le texte de la loi présente, ses termes, la source où vous l'avez puisée, tout condamne votre interprétation actuelle.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je crois toujours que la disposition de l'article 4 est suffisante.
L'honorable M. Orts ne voit pas que le renvoi peut être ordonné sur le rapport fait à la chambre du conseil ou sur le réquisitoire du ministère public. Or le réquisitoire du ministère public pourra avoir lieu à l'audience tout aussi bien que dans la chambre du conseil.
Après l'instruction préalable sur une affaire, le juge d'instruction fera son rapport devant la chambre du conseil, et si celle-ci juge que le fait n'est punissable que de peines de simple police, elle en renverra la connaissance au juge de paix.
Mais lorsqu'une partie civile aura saisi le tribunal correctionnel de la connaissance d'un fait qu'elle qualifiera de délit, alors que ce fait sera en réalité une contravention, le ministère public pourra, à l'audience même, sur l'exposé des faits, requérir le tribunal de renvoyer devant le juge de simple police.
C'est ainsi que je comprends l'article. Du reste si une rédaction plus claire était proposée, je ne m'y opposerais pas.
M. Moncheur. - Messieurs, je crois qu'une rédaction plus claire n'est pas nécessaire pour établir le système très ample du projet.
Il est évident qu'il ne s'agit ici que des affaires portées en chambre de conseil, et que dès que le tribunal correctionnel est saisi par l'action directe de la partie civile ou par l'action publique, le tribunal ne peut plus se dessaisir. On irait contrairement au but qu'on se propose, à savoir l'économie et la simplification des affaires, si l'on écrivait dans la loi, que lorsqu'une cause est entamée devant le tribunal correctionnel, on pourrait, sur le réquisitoire du ministère public, interrompre l'affaire, se rendre en chambre du conseil et renvoyer l'affaire devant le tribunal de simple police. Vous allez saisir combien ce système serait erroné. J'aurais, par exemple, saisi le tribunal correctionnel d'une plainte. J'aurais fait citer mes témoins qui seraient à l'audience ; la partie adverse aurait fait citer les siens. Nous serions présents avec nos avocats; on serait en train de plaider l'affaire ; et parce que le ministère public penserait qu'il y a des circonstances atténuantes, et que, par suite, l'affaire pourrait être peut-être renvoyée au tribunal de simple police, il lui serait libre de dire aux juges : Messieurs, je vous prie de vous rendre en chambre du conseil, car j'ai un réquisitoire à vous présenter ; attendu qu'il y a des circonstances atténuantes ; or, le tribunal pourrait alors se dessaisir de la cause, renvoyer tous les témoins, se rendre en chambre du conseil et déclarer que l'affaire doit être envoyée au juge de paix.
Vous sentez, messieurs, qu'au lieu de simplifier la procédure, on la compliquerait excessivement par cette marche insolite, et qu'au lieu d'une économie, on ouvrirait une source de dépenses beaucoup plus considérables.
Je crois que l'article est clair comme il est rédigé, car ce qu'on a voulu, c'est que, lorsqu'une affaire est, sur le rapport du juge d'instruction, déférée à la connaissance de la chambre du conseil, celle-ci, au lieu de la renvoyer au tribunal correctionnel, puisse la renvoyer au tribunal de simple police.
Ce cas se présentera, du reste, assez rarement, ainsi que vous l'a indiqué le rapport de la section centrale.
M. Tesch. - Messieurs, cet article est tellement peu clair que nous nous trouvons en présence d'interprétations différentes. M. le ministre de la justice lui donne une toute autre portée que l'honorable M. Lelièvre ; et s'il avait été clair dans sa rédaction ou dans son principe, cette clarté disparaîtrait en présence d'une interprétation toute différente donnée par l'auteur du projet, M. le ministre de la justice, qui doit en connaître l'esprit et la portée beaucoup mieux que les membres de la chambre, sous les yeux desquels cet article tombe en quelque sorte pour la première fois.
Il est bien certain que l'interprétation donnée par M. le ministre de la justice est contraire à l'esprit général de notre législation. Car, dans l'esprit de notre législation, qui est-ce qui saisit les tribunaux? Ce sont toujours les chambres du conseil ou les chambres des mises en accusation : mais un tribunal correctionnel ne saisit pas une autre juridiction ; il ne fait que se dessaisir, sauf aux agents du parquet, au ministère public, à porter l'affaire devant une juridiction qui doit définitivement en connaître.
Voilà quel est l'esprit de notre législation, et quelles sont les dispositions formelles du Code d'instruction. Je crois qu'il doit en être de même ici ; je crois que la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation peuvent saisir le tribunal de simple police.
M. Lelièvre. - La difficulté qui s'élève résulte, à mon avis, de l'interprétation que M. le ministre de la justice a donnée par erreur à l'article dont nous nous occupons. La disposition de cet article n'est pas nouvelle ; elle se trouve notamment dans la loi de 1838, qui permet à la chambre du conseil de renvoyer aux tribunaux correctionnels certains faits punis de la réclusion par le Code pénal. Les termes de cette loi sont identiquement les mêmes que ceux de l'article que nous discutons. Que veut cet article, sainement entendu? Il suppose que le tribunal correctionnel n'est pas encore légalement saisi de la poursuite; il se rapporte à un moment où aucune citation n'a été notifiée, soit à la requête du ministère public, soit au nom de la partie civile; eh bien, alors il autorise la chambre du conseil, sur le vu du procès-verbal ou de l'information préalable, à déclarer que le fait ne constitue pas un délit correctionnel ; qu'à raison de circonstances atténuantes, il ne constitue qu'une contravention de simple police. Voilà le véritable sens de l'article 4, qui ne peut s'appliquer à l'hypothèse où le tribunal correctionnel a été légalement saisi par une citation, et où, par conséquent, il est tenu de statuer.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Dans l'hypothèse où se place l'honorable M. Lelièvre, je reconnais qu'il a raison et je vois que je ne l'avais pas bien compris. Ce que je voulais dire, c'est qu'une partie civile ne peut pas saisir un tribunal correctionnel d'un prétendu délit qui, de sa nature, ne serait qu'une contravention, et qu'alors le tribunal doit se déclarer incompétent, sauf à la partie civile à saisir le tribunal compétent. Mais je reconnais, avec l'honorable M. Lelièvre, que, dans le cas qu'il vient de supposer, si le fait constitue un véritable délit et si ce n'est que par suite des circonstances atténuantes qu'il peut être passible de peines de simple police , dans ce cas le tribunal correctionnel peut ordonner le renvoi devant le juge de paix compétent, avant d'être régulièrement saisi de l'affaire; mais il ne le pourrait plus à l'audience, et lorsque la cause aurait déjà été entamée. La question étant ramenée à ces termes, nous sommes parfaitement d'accord.
- L'article 4 est adopté.
« Art. 5. Les jugements rendus par les tribunaux de simple police pourront, dans tous les cas, être attaqués par la voie de l'appel.
« Le délai fixé par l'article 174 du Code d'instruction criminelle courra à dater de la prononciation du jugement, ou de la signification, si le jugement est par défaut. »
M. Lelièvre. - L'article 5 me paraît exiger une explication de la part de M. le ministre de la justice. Dans l'état actuel de la législation, le ministère public ne peut frapper d'appel les jugements des tribunaux de simple police. Le recours en cassation seul lui est ouvert, mais le prévenu peut appeler dans le cas prévu par l'article 174 du Code d'instruction criminelle. C'est à cette disposition que l'article 5 du projet fait allusion en ces termes :
« Les jugements rendus par les tribunaux de simple police pourront, dans tous les cas, être attaqués par la voie de l'appel.
« Le délai fixé par l'article 174 du Code d'instruction criminelle courra à dater de la prononciation du jugement, ou de la signification, si le jugement est par défaut. »
Cette disposition concerne le prévenu ; mais relativement au ministère public, quel est le point de départ du délai d'appel? Il me semble que c'est du jour même du jugement que doit courir le délai, puisque ce jugement est contradictoire vis-à-vis du ministère public. Je pense que l'article dont nous nous occupons devrait contenir une disposition formelle à cet égard. Si le ministre de la justice n'y voit pas d'inconvénient, je propose à l'article 5 l'addition suivante : « Le délai courra contre le ministère public à partir du jour du jugement. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je crois que cela est de droit. Lorsqu'on dit que le délai fixé par l'article 174 du Code d'instruction criminelle court à dater du jour du jugement, je pense que cela s'applique au ministère public comme au prévenu. Il en est de même en matière correctionnelle. En matière correctionnelle, le délai d'appel, (page 999) qui est de 10 jours, court à dater du jour de la prononciation du jugement. C'est par une anomalie assez bizarre que, pour les matières de simple police, cette disposition ne se trouve pas dans le Code d'instruction criminelle, et il en est résulté que les jugements de simple police, dont le chiffre s'élève quelquefois par année à une trentaine de mille (car ces affaires sont extrêmement nombreuses), ont dû être signifiés aux contrevenants pour faire courir le délai d'appel, ce qui a entraîné beaucoup de frais à charge du trésor. L'article 5 est donc encore une des dispositions du projet qui vont introduire des économies assez importantes dans nos frais de justice. Je persiste à penser, au surplus, qu'il est inutile d'adopter l'amendement que vient d'indiquer l'honorable M. Lelièvre, et qu'il est de droit que le délai de l'appel court à dater du jour du jugement, aussi bien contre le ministère public que contre le prévenu lui-même.
M. Lelièvre. - Si la chose est ainsi entendue, je renonce à mon amendement. Je voulais simplement avoir une explication de M. le ministre de la justice sur la question que j'ai soulevée.
M. Tesch. - Messieurs, il s'élève aujourd'hui des difficultés sur le point de savoir comment on doit interjeter appel d'un jugement de simple police; les uns prétendent qu'on doit le faire par une déclaration faite au greffe, d'autres soutiennent qu'il suffit d'un simple exploit notifié à la partie. Pour faire cesser ce doute, je proposerai une disposition ainsi conçue :
« L'appel sera interjeté au greffe du tribunal de simple police. »
M. Lelièvre. - Je me rallie à cet amendement, mais je proposerai de dire : « par une déclaration faite au greffe du tribunal de simple police. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je demanderai que l'amendement soit imprimé et distribué avec celui dont la chambre a déjà ordonné l'impression. Je crois cependant qu'il n'y a pas d'objection à faire contre cette proposition.
M. Tesch. - L'amendement n'a qu'un but, c'est de faire cesser un doute qui existe aujourd’hui.
M. Toussaint. - Messieurs, je dois signaler, dès à présent, à la chambre une seule difficulté qui peut naître de l'amendement. Dans les chefs-lieux d'arrondissement, il y a, aux termes du décret du 30 mars 1808, un greffe qui doit rester ouvert pendant 8 heures par jour. La même disposition n'existe et ne peut guère exister pour le greffe du tribunal de simple police de chaque canton. On ne peut faire tenir à grands frais un greffe ouvert, et obliger un officier public à être continuellement présent, et cela à dessein de recevoir quelque rare déclaration d'appel. Il est bien plus simple que la partie appelante signifie sa déclaration d'appel à la partie contre qui elle l'a fait ; et ce n'est pas plus coûteux.
- La suite de la discussion sur l'article 5 et sur l'amendement qui s'y rapporte, est remise à demain.
« Art. 6. Les appels des jugements rendus par les tribunaux de police correctionnelle seront tous portés devant la cour d'appel du ressort. »
M. Orts. - Messieurs, l'article 6 contient une modification des plus radicales à notre système de procédure criminelle, modification dont je crois devoir traduire en un exemple les conséquences matérielles, car la chambre ne me paraît pas avoir la conscience de la gravité de l'objet qu'elle discute.
Aujourd'hui, les appels des jugements rendus par les tribunaux de police correctionnelle sont portés, dans certaines localités, à d'autres tribunaux de police correctionnelle. Je prends pour exemple le ressort de la cour d'appel de Bruxelles. Les jugements de police correctionnelle, rendus à Mons, à Anvers et dans la province de Brabant, viennent en appel à Bruxelles, mais les jugements rendus à Turnhout et à Malines vont en appel à Anvers; les jugements rendus à Tournay et à Charleroy vont en appel à Mons.
Dans le ressort de la cour d'appel de Liège, les jugements rendus dans les chefs-lieux de province vont en appel à Liège; mais les jugements rendus par le tribunal de Dinant, par exemple, à Namur; les jugements des tribunaux du Luxembourg autres que le tribunal d'Arlon sont jugés en degré d'appel à Arlon. Je pourrais dire la même chose pour la cour de Gand.
Or, la modification proposée par M. le ministre consiste à déférer à la cour tous les appels des jugements rendus dans l'étendue de son ressort, en matière correctionnelle. Ainsi les jugements rendus à Dinant et dans le Luxembourg devront aller à Liège. Les jugements de Turnhout, de Charleroy, etc., viendront à Bruxelles, quelles que soient les saisons, les difficultés de communication ou les distances.
Croit-on qu'il y ait là une économie telle qu'elle doive faire passer la chambre sur ces imperfections que, de l'aveu même de M. le ministre, présente le projet? Non, messieurs; à mon avis, l'économie est ici complètement nulle. Peut-être même la dépense grandira-t-elle, car si vous allez faire juger en degré d'appel au chef-lieu du ressort judiciaire tous les jugements qui aujourd'hui vont en appel au chef-lieu de la province, vous aurez à faire faire des voyages plus longs aux témoins et aux prévenus; les indemnités des témoins grossiront, et les transports à effectuer par la gendarmerie seront plus coûteux.
Il y a donc dans la modification proposée un double inconvénient : inconvénient pour les justiciables, et inconvénient pour le trésor public. La chambre connaît maintenant la portée de la disposition, elle appréciera. Qu'elle juge comme bon lui semble, mais au moins elle jugera désormais en connaissance de cause.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, la disposition que l'honorable M. Orts combat, a pour objet de faire cesser une anomalie contre laquelle les magistrats et les écrivains ont constamment réclamé. En effet, c'est quelque chose de fort peu justifiable en principe que les jugements de certains tribunaux sort déférés aux cours d'appel où l'appel est jugé par une chambre composée de 5 conseillers, tandis que les jugements d'autres tribunaux sont portés en appel devant le tribunal du chef-lieu de la province, c'est-à-dire que les jugements sont réformés par des juges du même rang que ceux qui les ont rendus.
Messieurs, l'organisation actuelle de nos tribunaux d'appels correctionnels contrarie à tous les principes de dépendance hiérarchique ; l'on peut même soutenir qu'elle est également contraire au principe de la Constitution suivant lequel tous les Belges sont égaux devant la loi.
Je pense donc qu'il est nécessaire de rentrer dans la voie normale, en saisissant les cours d'appel de tous les appels des jugements de police correctionnelle rendus par les tribunaux de leur ressort. Tous les magistrats que j'ai consultés ont été unanimement d'accord que la modification était à la fois possible et convenable.
Les chambres de nos cours d'appel qui connaissent des appels de police correctionnelle, ne sont pas tellement occupées, qu'elles ne puissent pas juger les appels des tribunaux dont les jugements sont déférés aujourd'hui aux tribunaux des chefs-lieux de province. Ce surcroît de besogne sera d'ailleurs peu considérable. Ainsi, en prenant les chiffres de 1846, la cour de Bruxelles n'aurait eu à juger que 42 affaires de plus; la cour de Gand, 23, et celle de Liège, 38.
D'un autre côté, les tribunaux de première instance dans les chefs-lieux, qui doivent avoir un personnel assez important pour juger ces appels, pourront subir dans ce personnel une réduction plus considérable.
L'honorable M. Orts a fait une objection qui n'est pas fondée. Il a dit que de cette modification il pourrait résulter, non pas une économie, mais une augmentation de dépense. J'ai voulu savoir ce qui en était de cette augmentation de dépense, et vous allez voir, messieurs, qu'elle se réduit à très peu de chose.
Des 26 tribunaux qui existent en Belgique, il n'y en a que 8 qui soient plus éloignés du chef-lieu de la cour d'appel que du chef-lieu de la province; et ces tribunaux, sauf quelques exceptions, donnent en général peu d'appels.
Je citerai entre autres le tribunal de Neufchâteau qui fournit six ou sept causes d'appel, celui de Turnhout qui n'en a pas davantage, celui de Hasselt qui en donne huit ou neuf.
Vous voyez que le nombre des affaires qui sortent de ces tribunaux est trop peu considérable pour que les justiciables puissent être atteints par la disposition proposée.
En ce qui concerne la dépense, j'ai vérifié que sur trois causes correctionnelles portées en appel, il n'y en a qu'une dans laquelle des témoins soient réassignés, et en moyenne le nombre des témoins est de 4 ou 5; de manière qu'en appliquant ces données aux chiffres que je viens d'indiquer, l'on voit que l'augmentation des frais de justice en ce qui concerne les témoins serait très peu importante.
J'ai calculé, en prenant pour base le nombre des appels de 1846, que l'augmentation des frais de justice serait de 2,600 fr. au plus, et il faudrait encore déduire de ce chiffre les appels du tribunal de Marche, parce que là il y aurait réduction de frais de justice, le chef-lieu étant plus rapproché de Liège que d'Arlon.
Je crois donc qu'il y a une économie à réaliser au moyen de cette disposition qui est tout à fait rationnelle et qui fait rentrer dans la règle commune les appels de tous les tribunaux correctionnels du pays. Quand cette organisation a été établie en France il y a plus de 40 ans, il y avait des voies de communication très difficiles, et pour ne pas trop augmenter les frais de justice, on devait nécessairement rapprocher les tribunaux d'appel de ceux d'où émaneraient les jugements qui devaient leur être déférés ; c'était une disposition exceptionnelle et de circonstance; aujourd'hui, au contraire, au moyen du chemin de fer et de toutes les facilités que présentent les voies actuelles de communication, les mêmes considérations n'existent plus.
C'est ainsi que le tribunal de Charleroy et celui de Tournay dont les jugements sont déférés en appel au tribunal de Mons, sont presque aussi rapprochés de Bruxelles, par le chemin de fer, que du chef-lieu de la province. Il en est de même de Hasselt qui peut communiquer aujourd'hui avec Liège par le chemin de fer beaucoup plus promptement que par la route ordinaire. Quant aux autres tribunaux, ils fournissent si peu d'affaires que cela ne mérite pas d'être pris en considération. Il y a donc lieu d'adopter cette mesure qui sera, pensons-nous, bien accueillie par la magistrature.
- L'article 6 est mis aux voix et adopté.
« Art. 7. La faculté d'appeler appartiendra :
« 1° Aux parties prévenues ou responsables ;
« 2° A la partie civile, quant à ses intérêts civils seulement;
« 3° Au ministère public près la cour ou le tribunal qui doit prononcer sur l'appel ;
« 4° En matière correctionnelle, au procureur du Roi. »
M. Lelièvre. - L'article 202 du Code d'instruction criminelle confère le droit d'appel à l'administration forestière. Dans l'expose des motifs du projet que nous discutons, M. le ministre s'exprime en ces termes : « Le n°3 de l'art. 202 du Code d'instruction criminelle a été supprimé comme surabondant. L'administration forestière, de même que (page 1000) l'administration des domaines, n'étant que des parties civiles déjà mentionnées au n°2. »
Je pense que M. le ministre est dans l'erreur; l'administration forestière comme l'administration des domaines n'est pas simplement partie civile; elle est partie poursuivante comme le ministère public. Ces administrations ne réclament pas seulement une indemnité pour lésion de leurs intérêts, elles réclament aussi l'application de la peine publique, de l'amende, etc. C'est pour ce motif que le n°3 de l'article 202 du Code d'instruction criminelle confère le droit d'appel à l'administration forestière qui exerce l'action publique.
Je propose en conséquence d'ajouter au n°3° : «A l'administration forestière et à celle des contributions, douanes et accises. »
- M. Verhaegen remonte au fauteuil.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je demande l'impression de l'amendement et le renvoi de la discussion à demain afin de pouvoir en examiner la portée. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de mentionner dans l'article l'administration forestière, je pense que cette administration n'a d'autre droit que celui qui appartient à la partie civile; si elle poursuit, c'est conjointement avec le ministère public; elle n'aurait pas le droit de poursuivre la répression d'un délit isolément.
Elle peut comme toute autre partie civile intervenir au procès, elle a même un privilège de plus, celui de pouvoir se faire représenter par des officiers forestiers qui ont droit de siéger à côté des magistrats ; mais elle n'a pas, à cela près, plus de droit qu'une autre partie civile; c'est au ministère public exclusivement qu'appartient le rôle de partie poursuivante. Cependant je demanderai l'impression de l'amendement afin de pouvoir l'examiner de plus près, surtout que l'honorable M. Lelièvre, si je l'ai bien compris, veut ajouter à l'administration forestière, l'administration des douanes et celle des contributions et accises qui ne figurent pas dans la disposition de l'article 202 du Code d'instruction criminelle.
M. Tesch. - Je ne m'oppose pas au renvoi proposé par M. le ministre, mais il sera facile de démontrer que les administrations des forêts, des contributions et des douanes et accises, ne sont pas seulement parties civiles, qu'elles requièrent l'application de la peine, en même temps que des dommages, et qu'il serait plus exact de dire que le ministère public est partie jointe.
- La chambre ordonne l'impression de l'amendement.
La séance est levée à 4 heures et demie.