(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 829) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée, et fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Plusieurs sauniers à Soignies demandent une loi qui interdise l’emploi de l'eau de mer dans les raffineries de sel ou des mesures qui mettent tous les sauniers dans les mêmes conditions de production. »
- Sur la proposition de M. Ansiau, renvoi à la commission d'industrie avec demande d'un prompt rapport.
« Le sieur Verbrugghe, adjudicataire de barrières dans la province de Luxembourg prie la chambre de lui accorder une indemnité du chef des pertes que les événements politiques survenus en 1848 lui ont fait éprouver. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Bracke réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la révision d'un jugement prononcé contre lui dans une affaire de succession, et demande que des poursuites judiciaires soient ordonnées contre les auteurs des falsifications faites dans des registres de l'état civil. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Doel, plusieurs commerçants et bateliers de la même commune, demandent la suppression du bureau de déclaration établi à Lillo et son remplacement par une patache de la douane qui serait stationnée à l'extrême frontière entre le fort Frédéric-Henri et la commune de Doel. »
M. de T'Serclaes. - Je demande que cette requête soit envoyée à la commission des pétitions, avec prière d'en faire un prompt rapport; il serait désirable que cette pétition put être rapportée avant la présentation du budget de 1850, elle est arrivée trop tard, pour qu'elle fût instruite convenablement, avant la discussion du budget des finances que la chambre vient d'adopter.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs propriétaires et industriels de l'arrondissement de Charleroy demandent que la loi sur l'enseignement primaire soit révisée et remplacée par une loi organique sur l'enseignement à tous les degrés. »
- Même renvoi.
M. Alphonse Leroy, secrétaire du comité permanent du congrès professoral, transmet deux exemplaires de l’Annuaire de l'enseignement moyen pour 1849.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le ministre de la justice transmet des renseignements sur des demandes de naturalisation.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Cools, au nom de la section centrale chargée de l'examen des propositions de loi relatives aux modifications à l'accise sur le sucre, dépose le rapport sur ce projet de loi, ainsi que sur une pétition du sieur Vandenbossche, fabricant de sucre de betterave.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. Cools présente ensuite, au nom de la même section centrale, le rapport suivant :
Messieurs, la chambre a renvoyé à la section centrale, chargée de l'examen des propositions relatives à l'accise sur les sucres, une réclamation qui se rattache, au moins indirectement, au régime de l'accise sur les sucres.
Les sieurs Cheval frères et Delescluse, distillateurs à Bruxelles, ont érigé une fabrique à Waterloo pour y faire l'application d'une découverte qu'ils déclarent avoir faite et qui consiste à produire du genièvre par le moyen du jus de la betterave. Ils se plaignent de certaines vexations que leur ferait éprouver l'administration des finances, qui prétend à tort, d'après eux, les rendre passibles de l'impôt sur les sucres, en même temps qu'ils acquittent l'accise pour la distillation du genièvre.
La section centrale n'a pas une connaissance suffisante des faits pour se prononcer sur le mérite de cette réclamation. Elle propose à la chambre de joindre cette pétition aux propositions qui se rapportent à la question des sucres. De cette manière, la pièce sera déposée sur le bureau du président pendant la discussion de ces propositions, et des interpellations pourront être adressées, à cette occasion, à M. le ministre des finances, à l'effet d'en obtenir quelques explications.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Rousselle, au nom de la section centrale, conclut à l'adoption du projet de loi.
A la demande de M. Delfosse, la chambre passe immédiatement au vote sur le projet de loi qui est ainsi conçu :
« La loi du 19 juillet 1832, sur les concessions de péages (Bulletin officiel, n° 519, LIII), est prorogée au 1er avril 1851.
« Néanmoins, aucun canal de plus de dix kilomètres, aucune ligne de chemin de fer. destinée au transport des voyageurs et des marchandises et de même étendue, ne pourront être concédés qu'en vertu d'une loi. »
- Le projet est adopté à l'unanimité des 70 membres présents.
Ce sont : MM. Ansiau, Boulez, Bruneau, Gans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, David, de Baillet (Hyacinthe], de Bocarmé, de Brouckere (Henri), Debroux, de Chimay, Dedecker , de Denterghem, de Haerne, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, de Theux, de T'Serclaes, Dolez, Dumont, Dumortier, Jacques, Jouret, Jullien, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Manilius, Mascart, Mercier, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Thiéfry, Toussaint, Van den Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Vermeire, Veydt et Verhaegen.
La parole est à M. de Royer.
M. de Royer. - Messieurs, je ne suis pas du nombre de ceux qui pensent que le moment soit venu pour porter immédiatement la hache de la destruction dans l'organisation de l'armée.
(page 830) Je crois, au contraire, qu'il serait d'une haute imprévoyance de vouloir réduire notre force militaire dans un moment où les commotions politiques qui s'agitent chaque jour dans tous les pays qui nous environnent commandent d'être toujours en mesure de répondre aux éventualités qui peuvent surgir d'un instant à l'autre.
L'on ne se dissimulera pas, messieurs, que l'avenir soit gros d'événements ; et, certes, en présence des circonstances graves qui peuvent changer en un jour la face de l'Europe, aucun de nous ne voudrait assumer une responsabilité qui pourrait être fatale à notre indépendance, à notre nationalité.
L’armée a rendu d'immenses services au pays. C'est à elle, secondée par le bon sens des Belges, que nous devons la conservation de la tranquillité, la sécurité dont nous jouissons depuis bientôt une année. L'armée a rempli glorieusement sa mission ; elle a fait preuve de fidélité, de patriotisme, et j'adresse bien volontiers une part d'éloges au général distingué qui a complété son organisation au mois de mars dernier, et aux dignes chefs qui la commandent. Ils ont droit à notre admiration ; ils ont bien mérité de la patrie.
Lorsqu'après les événements de février le gouvernement comprit que, pour conserver intactes nos institutions constitutionnelles, il fallait immédiatement mettre la main à l'œuvre, en appelant l'armée au complet, il agit avec opportunité, et des tentatives de troubles ne tardèrent pas à se produire, et démontrèrent au pouvoir que, nonobstant quelques détracteurs agents de désordres et de bouleversements, il avait bien fait ; qu'il était temps d'agir et d'agir surtout avec la résolution de détruire des projets insensés.
L'organisation de l'armée, terminée d'après les bases anciennes, a donc été ce qu'elle pouvait, ce qu'elle devait être, et il ne dépendait pas de M. le ministre de la guerre de rien innover à l'improviste, dans un moment de précipitation, où les événements marchaient plus vite que la pensée, avec une gravité telle qu'il n'était pas donné à la puissance humaine de conjurer, ni de prévoir les conséquences.
L'opinion générale sanctionna sans réserve aucune les mesures prises avec autant de sagesse que de promptitude, par les hommes qui sont à la tête du gouvernement.
Mais aujourd'hui, messieurs, qu'il a été pourvu aux besoins impérieux d'un instant critique, que le danger n'est plus aussi imminent, d'autres devoirs restent à remplir, et je pense que M. le ministre de la guerre pourrait sans inconvénient jeter un coup d'œil sur l'organisation de l'armée, et y apporter des simplifications qui amèneraient de véritables, de nombreuses économies, sans toucher en rien que ce soit à la force numérique des corps.
M. le ministre de la guerre disait hier à la chambre qu'il était pour lui incompréhensible que l'on voulût, après trois années d'existence seulement, changer la loi d'organisation militaire. Cela s'explique facilement : c'est qu'il y a trois ans, les chambres connaissaient à peine la véritable situation financière du pays. L'on se croyait dans un état prospère, alors que l'on marchait chaque exercice de déficit en déficit. Depuis cette époque, l'état réel de nos finances s'est dévoilé et nous reconnaissons que l'armée, trop nombreuse, du reste, pour l'étendue et les besoins du territoire, pouvait en raison de noire position politique être diminuée. La représentation du pays est pénétrée de cette vérité qui est attestée par tous les hommes spéciaux; et voilà le motif qui fait désirer la révision de la loi d'organisation de l'armée, afin de la modifier et de la mettre en rapport avec les exigences d'un service militaire complet et les ressources du trésor.
Partageant la pensée émise dans la séance d'avant-hier par notre honorable collègue M. le baron Osy, je crois que l'on pourrait dès maintenant se préparer à introduire des modifications dans le budget de l'exercice prochain, en réduisant partiellement, si la situation politique le permet en 1850 ou 1881, le nombre des régiments d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie.
Par suite de ces suppressions, l'on augmenterait le nombre de bataillons et d'escadrons qui seraient, comme le disait hier notre honorable collègue M. Pierre, portés au grand complet par la répartition dans les corps conservés des hommes provenant des corps supprimés.
Veuillez-vous rappeler, messieurs, que postérieurement à 1831, les bataillons d'infanterie étaient forts de mille à douze cents hommes et les escadrons de cavalerie de trois cents chevaux. Ce qui pouvait se faire à cette époque peut encore se faire aujourd'hui, bien que ce ne soit pas l'opinion de M. le ministre de la guerre; il ne faut que vouloir faire des économies pour que la chose paraisse praticable encore, puisque cela a déjà eu lieu.
L'on ferait de ce chef une économie considérable par la suppression des états-majors, et l'armée ne perdrait rien de sa bonne organisation.
Je provoque encore l'attention de M. le ministre de la guerre sur la possibilité qu'il y aurait de suivre l'exemple de la Hollande, en supprimant le lieutenant-colonel de chaque régiment. M. le ministre fera observer peut-être que ce grade est nécessaire dans la hiérarchie et pour l'avancement, attendu qu'il n'est pas dans les usages de faire passer d'emblée un major au grade de colonel. J'admets la réplique, mais pourquoi ne pas faire commander le premier bataillon ou le premier escadron par le lieutenant-colonel des corps, et le dépôt par un capitaine? L'on économiserait la solde d'un major par régiment, ou une somme globale d'environ cent cinquante mille francs. M. le ministre n'a pas répondu hier sur ce point.
Il y a aussi de grandes économies à opérer sur les commandements et les états-majors de places. En France et en Hollande, il y a un commandement de place spécial dans quelques villes importantes ou populeuses; dans toutes les autres localités, c'est un officier supérieur de la garnison qui commande la place.
Passant au service de santé, je ferai observera M. le ministre de la guerre que ce service est établi avec un luxe de personnel que ne requièrent nullement les besoins de l'armée et encore moins le trésor. Je reconnais que l'un des premiers devoirs du ministre est d'assurer, de garantir la santé du soldat ; néanmoins de notables économies sont à régler sur ce point, sans que le service soit compromis ou ait à en souffrir.
La force des bataillons et des escadrons est tellement réduite, qu'il est évident qu'un seul officier de santé, du grade de sous-lieutenant ou de lieutenant, suffirait par bataillon ou escadron, en conservant, si on le juge utile, le médecin de régiment avec grade de capitaine.
Je m'appuie, pour proposer cette réduction, sur ce qui se passe à Bruxelles, où il se trouve moins de soixante médecins. La population y est de cent vingt mille habitants, c'est donc en moyenne plus de deux mille individus par chaque médecin. Ces individus habitent dans toutes les sections de la ville, tandis que les militaires malades sont dans un même local.
Le nombre des médecins principaux, fixé à quatre, pourrait être réduit à un seul au grade de major, avec un inspecteur en chef au grade de colonel. L'on obtiendrait sur ces deux changements une économie de quinze à dix-huit mille francs.
Arrivant à l'administration de la guerre, il paraît que, là aussi, des économies sont à réaliser. M. le ministre a porté toute sa sollicitude sur l'armée qui était bien, du reste, l'objet principal ; c'était aussi le plus urgent, je l'en félicite ; mais maintenant je l'engage à descendre dans l'administration de son département, et il reconnaîtra, je pense, qu'il y a quelque chose à faire, non pas en diminuant les traitements, car les employés de bureau travaillent huit heures par jour et gagnent bien leurs appointements : ce sont pour la plupart des pères de famille dont il faut respecter la position. Mais le nombre n'en est-il pas trop considérable? Et pourquoi les officiers employés dans les bureaux de la guerre ne sont-ils pas à leurs corps ? S'ils y sont inutiles, il est plus simple et plus dans l'intérêt du trésor de faire des suppressions.
Pourquoi ces militaires reçoivent-ils un supplément de traitement? Car s'ils sont occupés pendant le jour dans les bureaux, ils n'ont pas le service militaire à faire jour et nuit dans leur garnison, et n'ont à supporter que peu de dépenses d'uniforme ; ils profitent de l'immense avantage qu'il y a toujours à travailler directement sous les yeux du chef, de s'en faire connaître personnellement, et jouissent en outre du séjour de la capitale.
Il me paraît donc que tout cela est une ample compensation, et que le supplément devrait être économisé.
Il paraît aussi que les subalternes du département de la guerre, employés comme gardes-magasins, surveillants, etc., etc., sont très nombreux. Ne pourrait-on pas les réduire, et occuper dans ces fonctions des blessés de septembre, des miliciens congédiés du service militaire, dont la vue, affaiblie par l'ophtalmie, leur fît obtenir la pension ? L'on économiserait de ce chef les pensions que le trésor sert annuellement à ces infortunés.
J'appelle l'attention toute particulière de M. le ministre de la guerre sur toutes les améliorations économiques que je sollicite. Le temps est venu; il est opportun pour s'en occuper assidûment, afin de pouvoir commencer à en recueillir les bons effets au budget de l'exercice 1850 et à celui de 1851.
Mon vote sera en principe favorable au budget qui est en discussion. Toutefois, je me réserve d'appuyer les réductions qui seront compatibles avec la sûreté du service.
Je ne terminerai pas, messieurs, sans reconnaître le talent comme administrateur de M. le ministre de la guerre; il a beaucoup fait, il reste beaucoup à faire, j'espère qu'il ne s'arrêtera pas sans avoir terminé la tâche qui lui est imposée ; mais je le prie instamment de ne jamais perdre de vue que l'élévation des impôts pèse lourdement sur les contribuables, et que le pays tout entier compte sur de larges et nombreuses économies au budget de 1849 et particulièrement à celui de 1850. S'il en était autrement, je serais à regret obligé de refuser l'an prochain mon appui à M. le ministre de la guerre.
M. le ministre a dit hier à la chambre que l'on trouvait facilement à faire occuper les grades de sous-officier dans l'armée. Je lui demanderai alors pourquoi il se trouve 226 hommes gradés dans les divers corps, étrangers au pays.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, tous les étrangers qui occupent des grades dans l'armée les occupent en vertu de la loi. Ce sont des hommes qui sont entrés au service en 1830, et auxquels la loi a accordé les mêmes droits qu'aux Belges ; et alors même que le gouvernement voudrait leur retirer leurs emplois, il ne le pourrait pas. Voilà la position de ces étrangers dans l'armée.
M. de Royer. - La réponse du ministre me satisfait, mais j'ai lieu de croire que des engagements ont été accordés à des étrangers plus récemment.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je ne connais pas un seul de ces étrangers; si l'honorable préopinant voulait me les signaler, je pourrais sans doute donner des explications.
(page 831) M. de Bocarmé. - Messieurs, je n'ai point l'intention, comme je n'aurais pas la force, d'être aussi abondant, ni aussi expressif que l'honorable orateur, mon voisin, qui vous a entretenus hier de cette même place.
Plusieurs choses que je me proposais de dire ont d'ailleurs été si bien élucidées dans des discours très remarquables, que je n'abuserai pas de vos moments par d'inutiles répétitions. Je réclame donc votre attention pour quelques instants seulement, afin de faire connaître les motifs de mon vote à la section centrale où j'ai fait partie de la majorité, dans les questions les plus importantes.
J'ai reconnu, messieurs, que la loi de 1844, si elle ne l'a tout à fait résolu, s'approche, peut-être, autant que possible, de la solution d'un problème difficile qui peut se formuler ainsi « posséder les éléments d'une armée nombreuse, manœuvrière et promptement organisée pour la guerre, avec une dépense préparatoire et relative la moins élevée possible pendant la paix. »
Messieurs, l'histoire est là qui nous l'enseigne, les nations ne peuvent se dispenser d'organiser une partie de leurs citoyens en légions qui s'adonnent à des études spéciales et au maniement des différentes armes, et dont l'agglomération constitue ce qu'on appelle une armée.
Si des temps meilleurs se préparent, j'en accepte avec joie l'heureux augure pour nos neveux; mais tel n'est point notre lot en ces temps difficiles. Notre partage, messieurs, est encore d'attendre, l'arme au bras, les événements. Le fardeau financier qui en est le résultat ne peut être allégé qu'à raison de certaines circonstances topographiques ou politiques. Or la Belgique, restée noblement calme au milieu des orages, dont une rafale refoulée est venue s'éteindre à ses frontières, la Belgique, dis-je, serait imprudente si, voulant jouir démesurément de ses avantages, et se livrant à une sécurité décevante, elle cessait d'être forte et vigilante.
Si donc notre organisation militaire de 1844, si récente encore, doit un jour subir des modifications restrictives, certes ce jour n'est pas arrivé. Ces simples considérations exerceront leur influence sur mes votes pour le budget de 1849.
Dans ce budget, messieurs, si longuement discuté dans la section centrale, dont j'avais l'honneur de faire partie, un chiffre m'a paru exorbitant; c'est celui des pensions que j'ai trouvé au budget de la dette publique , et que j'eusse préféré rencontrer à celui de la guerre.
Cet article est, pour 1849, de deux millions, trois cent cinquante mille francs, c'est-à-dire neuf du cent des dépenses pour toute l'armée active.
Dans les tableaux annexés l'on voit figurer, comme des causes qui ont élevé démesurément ce chiffre, les pensions que l'on a dû accorder à des militaires, la plupart très jeunes, pour cécité ou infirmités incurables provenant de l'ophtalmie. Il y a donc lieu, dans un intérêt d'humanité en même temps que financier, de recommander à M. le ministre de la guerre de prendre des mesures extraordinaires, non précisément en ce qui concerne le mal lui-même, puisqu'il résiste encore à toutes les investigations, à tous les secours de la science; mais contre les causes qui facilitent sa propagation et son intensité, comme l'habitation d'un grand nombre d'hommes dans un même local et d'autres causes morbides signalées par l'expérience.
Une chose surcharge encore le tableau des pensions , à laquelle il est plus facile déporter remède qu'à l'ophtalmie ; c'est la faculté concédée par les règlements, à MM. les ministres de la guerre, d'accorder ou de donner la pension de retraite à des officiers ayant atteint l’âge de cinquante-cinq ans seulement ; ainsi qu'on en voit figurer sur les tableaux précités, sans qu'il soit argué d'autres motifs que celui-là.
La mise à la retraite d'officiers encore valides est une faute administrative et financière : administrative, parce qu'elle prive l'armée de l'expérience des anciens officiers; financière, en faisant, à la fois, peser sur le budget pour un temps probable d'une longue durée, et l'officier en retraite et son remplaçant.
J'engage donc le gouvernement, et particulièrement M. le ministre de la guerre, à introduire sans retard une modification à la loi, par suite de laquelle aucun militaire ne pourrait être mis à la pension de retraite (sauf les exceptions déjà prévues), que lorsqu'il aura atteint l'âge de soixante ou de soixante-cinq ans.
M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Messieurs, dans la discussion générale qui vient de se dérouler devant vous, je tiens à relever deux choses qui chacune ont fait sur moi une impression différente.
La première a satisfait le sentiment de dévouement dont je suis pénétré pour mon pays.
Le deuxième a affecté ce sentiment d'une manière pénible.
Ce que je constate avec plaisir, c'est que, parmi les orateurs qui ont pris la parole dans cette discussion, aucun n'a contesté que la Belgique se devait à elle-même, qu'elle devait aux puissances, qui ont reconnu son existence politique, d'occuper son territoire par une armée nationale capable de mettre sa neutralité à l'abri de toute tentative d'occupation étrangère.
Mais ce que je constate avec une certaine inquiétude, c'est d'avoir entendu quelques membres de cette chambre, qui, en ne tenant aucun compte de la loi de 1845, qui fixe les cadres, cherchent à accréditer l'opinion, que l'organisation de l'armée belge est à refaire dans l'intérêt combiné du trésor et de la défense du pays.
Mais, messieurs, les discussions si remarquables, si approfondies, qui ont surgi sur l'organisation de l'armée en 1843 et en 1845 devraient-elles donc être considérées comme non avenues? Y a-t-il lieu de les recommencer ? Ce serait réellement par trop pénible. Une loi en a été le résultat; voilà à peine trois années qu'elle est appliquée. L'épreuve du système d'organisation qu'elle consacre est loin d'être complète ; et déjà l'on songerait à y porter atteinte ! Cela ne me semble pas possible. Si nous voulons que nos concitoyens s'inclinent devant les lois que nous contribuons à faire, témoignons plus de respect pour celles qui ont reçu la sanction des trois pouvoirs.
D'ailleurs, l'épreuve qui se poursuit n'est pas désavantageuse au système qui a prévalu en 1845. L'honorable ministre de la guerre use de toute son énergie, de toutes ses facultés, et elles ne lui font pas défaut, pour que son application ait tout le succès désirable, et je commence à croire que le succès couronnera ses efforts. Je souhaite vivement qu'ils réussissent, car l'on ne peut recommencer tous les trois ans à faire des lois d'organisation.
Ce témoignage est de quelque valeur dans la bouche de celui qui a l'honneur de vous parler, puisque c'est l'opinion que j'ai défendue en 1845 qui a succombé par suite de l'adoption de la loi d'organisation. Mais voici mon système de conduite ; quand une proposition de loi me semble mériter la critique, je m'y oppose de tous mes moyens; mais une fois transformée en loi, je m'incline devant elle, et j'attends, pour me livrer à de nouvelles critiques, qu'une expérience bien complète m'ait donné raison. En attendant, je forme des vœux pour que ses résultats soient féconds pour le pays, et je ne refuse pas mon concours pour leur application, en acceptant, comme je l'ai fait, le mandat de rapporteur de la section centrale du budget de la guerre.
Voici comment l'honorable M. Brabant répondait, en 1847, à quelques collègues, qui voulaient porter atteinte à l'organisation de l'armée :
« Le point sur lequel je me basais a été décidé par la loi; il n'y a plus à y revenir, du moins de fart longtemps, car je ne pense pas que des lois, qui consacrent la position de citoyens nombreux et respectables, puissent être remises tous les jours en question.»
Voilà comment s'exprimait, dans la séance du 29 janvier 1847, cet honorable membre, qui avait consacré tant de temps à l'étude de cette question difficile. Chef de la minorité qui avait succombé avec quelque honneur, loin de protester contre la loi, qui avait donné tort à son opinion, il engageait ses collègues à se soumettre et à la respecter. Il les y engageait dans l'intérêt de nombreux compatriotes, dont la position doit des égards comme celle des autres fonctionnaires.
Que deviendraient, en effet, les institutions qui régissent le pays, si elles étaient mises annuellement en contestation? Que deviendrait l'ordre judiciaire, si tous les ans le sort des magistrats était mis en discussion à l'occasion de l'examen du budget de la justice? Ce serait évidemment leur ruine. Or ce sont ces discussions qui nuisaient à l'esprit et à la force de l'armée, que la loi d'organisation a été destinée à écarter de nos débats.
Je vous le déclare, messieurs, avec une profonde conviction, l'instabilité des lois est une chose funeste pour un pays, leur remaniement continuel fait perdre le respect qu'on leur doit.
Si nous voulons faire quelque chose de solide, traitons avec plus d'égards l'œuvre des législatures précédentes, car nous risquons que nos successeurs ne nous traitent de la même manière.
Beaucoup d'hommes sérieux sont effrayés de la manie qui paraît s'être emparée de quelques esprits de réviser la plupart de nos lois, et cette crainte n'est que trop fondée, en effet, l'instabilité des lois tend à faire douter de l'existence même du pays.
Aussi je regrette d'avoir entendu l'honorable M. Osy, cet honorable député si dévoué aux intérêts du pays, faire des propositions qui tendent plus ou moins à porter atteinte à la loi d'organisation.
Et voici comment : l'honorable M. Osy s'est prononcé contre toute modification concernant l'infanterie pour cette année, et il a parlé en faveur de la suppression d'une division de l'armée active.
Il y a là une contradiction véritable, car l'on ne peut supprimer une division de l'armée sans porter atteinte à l'organisation de l'infanterie.
En effet, l'armée compte 16 régiments, une division se compose de 4 régiments, l'infanterie doit donc être fractionnée en 4 divisions.
A propos de divisions je me rappelle, que je dois un mot de réponse à l'honorable député de Virton, qui a jette une pierre dans le jardin de la section centrale.
Messieurs, l'honorable M. Pierre a accusé la section centrale d'avoir suivi une marche irrégulière, répréhensible même, et cette conduite a stupéfié, a découragé l'honorable membre à son retour des vacances. Cette inculpation, messieurs, exige quelques explications.
Le travail de la section centrale, messieurs, a eu deux périodes. Pendant la première, elle s'est attachée à examiner les questions de principe au nombre de vingt-deux. Il fut arrêté que les votes émis à cette occasion ne seraient que provisoires. L'opinion de la section centrale qui est résultée de cet examen fut communiquée à M. le ministre de la guerre, qui lui communiqua des renseignements verbalement et par écrit, et ce fut à la suite de ces réponses, que la section centrale entra dans la deuxième période de ses travaux, qu'elle se livra à l'examen détaillé des articles du budget. Il est à remarquer que l'honorable M. Pierre assista régulièrement aux travaux de la première période, mais il n'en fut pas de même de la deuxième : l'honorable membre n'assista qu'à la première des réunions dans lesquelles on examina d'une manière sérieuse les articles du budget; après avoir plus ou moins prolongé ses vacances pour des raisons à lui connues, il assista à la lecture du rapport.
Ce fut pendant la deuxième période que surgit une proposition (page 832) tendant à supprimer une division territoriale. J'en fus l'auteur, et elle fut adoptée. Mais il s'agissait ensuite de savoir quelle était l'économie qui résulterait de cette mesure; car enfin le vote devait porter sur un chiffre. Je fus nommé rapporteur et je pris tous les renseignements nécessaires pour arriver à connaître quelle économie résulterait de la suppression d'une division territoriale ; mais j'acquis bientôt la conviction que cette suppression ne devait amener aucune espèce d'économie. La raison en est bien simple, c'est que le personnel qui se trouve à la tête des divisions d'infanterie se trouve en même temps à la tête des divisions territoriales.
Pour amener une économie il aurait donc fallu supprimer une division d'infanterie, or telle n'était pas la portée du vote de la section centrale. Quand arriva le jour de la lecture du rapport le devoir du rapporteur était d'éclairer la section centrale et de lui faire connaître que l'adoption du principe qu'elle avait admis ne devait amener aucune économie, à moins qu'on ne voulût supprimer une division d'infanterie.
Or, telle n'était pas son intention. Deux membres protestèrent contre ce qu'ils appelaient le rappel d'un vote définitif, dont on ne pouvait revenir. La majorité en décida autrement et quant à moi je vous avoue, messieurs, que je ne me serais pas chargé de venir soutenir une question comme celle-là, dans laquelle, infailliblement, la section centrale eût succombé.
Je regrette, messieurs, que l'honorable M. Pierre n’ait pas assiste aux réunions dans lesquelles nous avons débattu les articles du budget de la guerre ; il nous eût peut-être communiqué des lumières d'où serait résulté que les opinions se fussent rangées d'une autre manière.
Du reste, messieurs, il y a des antécédents ; d'autres sections se sont conduites de la même manière, et la section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur, après avoir suivi la même marche que la section centrale du budget de la guerre, après avoir voté sur des questions de principe, a examiné d'une manière plus sérieuse les articles du budget, et lors de la lecture du rapport elle a supprimé les traitements des inspecteurs ecclésiastiques. Or elle les avait déjà adoptés deux, fois. Je pense, messieurs, que cette section était dans son droit; car, en fait, le travail d'une section centrale n'est définitif que lorsque le rapport a été adopté.
Maintenant, messieurs, un mot concernant les officiers étrangers encore au service du pays. Cette question a été touchée dans le rapport de la section centrale. Un honorable collègue vient de la soulever.
Vous aurez remarqué sans doute avec surprise qu'il existe encore dans l'armée plus de 48 officiers étrangers.
Il importe que leur position soit régularisée d'une façon quelconque. Les étrangers admis en 1831-32 ont été obligés par les lois de leur admission de se faire naturaliser ou de quitter le service.
Ceux qui ont été admis en 1830 ne peuvent être exemptés de la naturalisation , s'ils veulent continuer à servir la Belgique.
Il me semble que le gouvernement devrait, par une mesure administrative, leur assigner un terme pour demander la naturalisation. Leur refus de se soumettre à cette formalité indiquerait que leur intention n'est pas de continuer à servir la Belgique.
M. Thiéfry. - Lorsque je me suis décidé à développer mes pensées sur l'organisation de l'armée, j'ai obéi à un devoir impérieux, devoir qui est imposé à chaque membre de cette chambre.
Convaincu des difficultés que l'on rencontrera pour mettre l'armée sur le pied de guerre, pouvais-je cacher au pays mon opinion à cet égard? Non, messieurs, c'eût été trahir mon mandat.
D'ailleurs, ne sommes-nous pas venus dans cette chambre, avec la ferme résolution de demander toutes les économies possibles sans désorganiser aucun service, et décidés à respecter les droits acquis ? Certes, ce n'est pas méconnaître ceux des officiers, que d'en mettre quelques-uns en disponibilité ou de leur donner des congés avec deux tiers de solde.
J'ai rendu justice au courage et au patriotisme de l'armée.
Quelles inquiétudes ai-je témoignées sinon celles qui doivent nécessairement résulter d'une organisation défectueuse? Eh bien, messieurs, où est le véritable ami de l'armée, du pays même? N'est-ce pas celui qui découvre la plaie, pour que l'on y apporte le remède ?
L'honorable M. Lebeau l'a dit avant moi, ce n'est ni le patriotisme, ni le courage qui ont fait défaut à notre armée en 1831, c'est une bonne organisation.
Croyez-vous que l'armée piémontaise ait manqué de courage? Non, messieurs, elle était mal organisée.
Je n'ai pas d'autre but que d'obtenir une armée fortement constituée, une armée qui puisse défendre notre indépendance, car je partage entièrement les idées émises par l'honorable M. Lebeau sur la neutralité belge.
Il ne faut, messieurs, ni se reposer sur la garantie de cette neutralité, ni croire qu'elle puisse être impunément violée.
D'une part ce serait une grande imprudence, et de l'autre méconnaître les conséquences de l'invasion de la Belgique.
Loin de moi, messieurs, la pensée de vouloir susciter le moindre embarras à un ministère qui a mes sympathies. Je prouverai ma sincérité en ne faisant aucune proposition qui loucherait à l'organisation ; je dirai néanmoins franchement mon opinion, parce que si mes raisons sont bonnes, on les méditera dans le cabinet, et elles porteront leur fruit plus tard.
Ce que l'on m'a répondu relativement au grand nombre d'officiers et de sous-officiers manquants, pour mettre l'infanterie sur le pied de guerre, ne m'a nullement convaincu; je vois toujours un énorme vide à combler.
Vous avez, dites-vous, toute l'organisation disposée dans les cartons du ministère, et au premier coup de tambour chacun gagnera son poste.
Permettez-moi de le dire, messieurs, personne plus que moi ne désire voir le ministre actuel conserver encore bien longtemps le poste important qu'il occupe si dignement; mais enfin les hommes passent, les institutions restent; le travail déposé aujourd'hui dans les bureaux doit être fréquemment changé; chaque fois qu'il y aura des promotions ou des décès, des mutations devront y être faites.
Eh bien, messieurs, que dans quelques années, vienne un ministre moins intelligent, moins actif, que cette organisation dont on parle soit négligée, et que tout à coup arrive le moment d'entrer en campagne ; dans quels embarras se trouvera-t-on?
On m'a cité la compagnie des enfants de troupe comme offrant des ressources si abondantes pour sous-officiers. Elle est composée de 250 individus d'âges différents. Je reconnais avec M. le ministre qu'elle sera d'une très grande utilité pour l'armée. Cependant il ne faut pas exagérer le nombre d'hommes que l'on pourra on retirer, on doit bien leur donner le temps de grandir.
La résistance de l'infanterie dépend de la confiance qu'elle a dans ses propres forces, et si on y mettait comme sous-officiers de jeunes enfants, ils ne sauraient pas en inspirer à leurs soldats.
Les écoles régimentaires sont formées de volontaires auxquels on apprend à lire, à écrire, et tout ce qui concerne le service militaire; c'est encore une pépinière de caporaux, mais on ne peut méconnaître que ce n'est qu'à l'aide de ces écoles que l'on parvient à satisfaire aux besoins du pied de paix; car pour mettre l'armée sur le pied de guerre, il faudra des ressources extraordinaires pour combler l'insuffisance du nombre des sous-officiers et caporaux: l'on en trouvera une partie dans ces écoles, mais jamais assez pour avoir un nombre aussi considérable que celui des manquants.
On m'a parlé de l'école militaire; mais M. le ministre a oublié que les 100 jeunes gens qui s'y trouvent seraient sans doute destinés à combler les cadres de l'artillerie et du génie.
On me dit que l'on ne manquera pas de sous-officiers, qu'il y a jusqu'à 7 sergents-majors dans certaines compagnies.
Je vous avoue, messieurs, que j'ai raisonné dans la pensée que nous n'avions que le nombre de sous-officiers voulu par l'organisation des cadres, et que le reste était composé de caporaux et de soldats.
Mais non, la Belgique a une armée unique en Europe, ses soldats sont tout à coup transformés en sous-officiers.
Pourquoi donc ont-ils quitté le service étant sergents-majors ? Si vous n'avez rien à leur reprocher, pourquoi sont-ils aujourd'hui soldats?
Pourquoi ne reprennent-ils pas leur grade ou celui de sergents?
Cette position seule me suffit, elle ne change nullement mes inquiétudes pour l'avenir.
Comment ! des hommes qui ont occupé des places de sergents-majors, de sergents, ont abandonné leurs galons pour retourner dans leurs foyers !...
Il faut, messieurs, qu'ils aient éprouvé bien de l'antipathie pour leur état pour renoncer à des grades de cette importance. Ces hommes manquent certainement d'esprit militaire, et ce n'est pas avec de tels sous-officiers qu'on forme de bons cadres.
Quant aux miliciens, je dirai seulement qu'ils n'ont servi que 16 à 18 mois, qu'ils sont ensuite retournés chez eux pendant plusieurs années.
Est-ce avec une instruction militaire aussi incomplète qu'on peut être sergent?
Si les miliciens restaient plusieurs années sous les armes, je concevrai alors qu'on pût en trouver pour sous-officiers.
Une organisation est toujours vicieuse, quand il faut prendre des gens congédiés pour compléter les cadres.
Rien ne prouve mieux la pénurie des sous-officiers que l'obligation où l'on a été d'en faire choix parmi les miliciens.
M. le ministre vous a cité des exemples pour vous prouver le danger d'un désarmement : eh bien, messieurs, je vous en citerai aussi un.
Pour vous prouver à évidence le peu de confiance que doit inspirer une organisation en projet, je vous citerai le plus frappant dont puisse profiter la Belgique ; c'est chez elle qu'il a été donné, j'avais à cette époque l'honneur de figurer dans les rangs de l'armée.
Bonaparte débarqua le 1er mars; l'organisation de la milice était aussi préparée dans les bureaux du ministère. Des ordres partirent de tout côté pour former des bataillons nouveaux, quelques-uns de ceux existants furent dissous, les soldats incorporés dans d'autres corps, et les officiers et sous-officiers furent employés à la formation de ces milices.
Quatre mois et demi après, la Belgique fut envahie ; on a donc eu quatre mois et demi pour organiser ces bataillons, qui comptaient même d'anciens soldats qui n'avaient pas achevé leur terme sous l'empire.
Vous pensez sans doute que l'on a envoyé ces troupes au-devant de l'ennemi, ou qu'on leur a donné les forteresses à défendre?
Mon, messieurs, c'est le chemin de la Hollande qu'on a été forcé de leur faire prendre, la veille de la bataille, c'est-à-dire au moment même où le pays avait besoin de leurs bras pour le défendre.
Il y a encore dans l'armée cent officiers qui se rappelleront l'état dans, lequel se trouvaient ces bataillons ; ils vous diront comme moi qu'organiser des régiments est une chose plus longue et plus difficile qu'on ne le pense; je ne parle pas de cette organisation sur le papier, j'entends avoir une infanterie capable de se mesurer avec les armées permanentes des pays étrangers.
Je pense, contrairement à l'opinion de M. le ministre, que le pays peut fort bien être partage en trois divisions au lieu de quatre.
(page 833) Qu'on les appelle divisions territoriales, ou divisions d'infanterie, la question est la même.
Je ferai d'abord remarquer à la chambre que la demande de la réduction n'a eu d'autre but que d'obtenir des économies par la mise en disponibilité de quelques officiers, sans que cette mesure puisse diminuer en rien la force de l'armée, ni gêner son passage du pied de paix au pied de guerre.
En réponse à la proposition qui lui a été faite, M. le ministre a dit en section : qu'il était nécessaire que les généraux fussent continuellement avec la troupe, que cette organisation devait être conservée pour passer plus tôt sur le pied de guerre, et que réduire les divisions ce serait désorganiser l'armée.
Dans la séance de vendredi, M. le ministre a ajouté que les divisions actuelles seraient, en cas de guerre, de 14 à 16,000 hommes et que, réduites à trois, elles auraient un effectif trop élevé.
Je répondrai à chacune de ces objections.
En ne laissant les généraux en disponibilité que momentanément, l'inconvénient d'être éloigné de la troupe ne se ferait pas sentir. Cette position est donnée aux généraux dans des pays vraiment militaires.
J'ajouterai que ce ne sont pas toujours les généraux divisionnaires qui inspectent les régiments; ce sont ceux désignés spécialement chaque année; qu'il y ait 3 ou 4 divisions, aucun changement n'est apporté à cette disposition.
Sauf cette inspection annuelle, je ne crois pas que dans les 19 principales villes du royaume où il y a des garnisons, la troupe ait été inspectée par les généraux commandant les divisions territoriales, sinon dans la résidence même de ces généraux, c'est-à-dire dans 4 villes.
Avec 3 divisions territoriales mettra-l-on moins vite l'armée sur le pied de guerre?
Evidemment non, puisqu'il faudra, dans les deux hypothèses, réformer les divisions qui devront tenir la campagne, et détacher immédiatement une partie des troupes destinées à la défense des forteresses.
C'est ce que je vais prouver :
Les régiments appartenant à une division sont souvent placés en dehors de la circonscription de la division territoriale, ils sont alors sous les ordres d'autres généraux.
Par exemple, la deuxième division territoriale comprend les provinces d'Anvers et de Brabant ; voici la troupe appartenant à cette division et qui se trouve placée dans une autre :
Un bataillon du troisième chasseurs est en garnison à Termonde et à Alost, première division.
Deux bataillons du quatrième régiment de ligne sont à Audenarde, première division.
La troisième division territoriale comprend les provinces de Liège et du Limbourg.
Un bataillon de chasseurs est à Charleroy, quatrième division. Un bataillon à Bruxelles, deuxième division.
L'état-major, un bataillon et deux compagnies du premier régiment sont à Diest, deuxième division.
Deux compagnies à Vilvorde, deuxième division.
Cinq compagnies à Malines, première division.
Je ne pousserai pas plus loin mes citations.
En donnant ces explications, je n'entends pas faire la critique de l'emplacement des troupes. Je veux seulement prouver qu'il faudra réformer les divisions pour mettre l'armée sur le pied de guerre ; du moment où il faut les réformer, l'on ne charge nullement le système défensif. Le gouvernement sera toujours le maître d'avoir alors 2, 3 ou 4 divisions, comme il le jugera convenable.
Après avoir prouvé que la recomposition de la division sera toujours nécessaire, quant à la troupe, j'ai à considérer le personnel de l'état-major : il consiste en : 1 général, 2 aides de camp, 2 officiers d'état-major, 1 directeur d'artillerie, 1 directeur des fortifications, 1 intendant directeur de l'administration, 4 médecins; en tout 9 officiers.
Or, je le demande à M. le ministre, si ce personnel était en disponibilité, ne pourrait-il pas être réorganisé en trois jours, et de cette manière former une quatrième division si cela convient au gouvernement? On n'aurait pas besoin de plus de temps, qu'il n'en faudrait à la troupe située dans une autre division pour rejoindre le point de rassemblement.
Il y a 4,982 nominations à faire pour mettre l'infanterie sur le pied de guerre, et M. le ministre ne s'en effraye pas, tandis que pour réunir neuf personnes de l'état-major, neuf personnes que l'on a sous la main, il y aurait danger, il y aurait désorganisation!... Vous avouerez, messieurs, qu'il est permis de ne pas y croire.
Jusqu'en 1835, il n'y a eu que trois directions d'administration, et les divisions territoriales ne sont en réalité que des divisions administratives. Elles servent d'intermédiaire pour la transmission des ordres et de la correspondance entre les corps et le ministère.
Le général commandant la division territoriale est chargé du maintien de l'ordre, du service des places : les généraux de brigade peuvent fort bien remplir ce but, et il n'y a, sous ce rapport, aucun inconvénient à ce que la division territoriale ait un peu plus d'étendue.
Je ne vois par conséquent aucun motif sérieux, pour ne pas satisfaire au vœu émis par plusieurs sections.
Avec trois divisions territoriales il n'y aurait que trois directions d'artillerie ;
Trois directions des fortifications ;
Trois intendants directeurs de l'administration.
Une division territoriale coûte à l'Etat, 69,898 francs ; le changement produirait une économie immédiate de 28,831 francs, si l'on met un général-major en disponibilité et de 30,601 fr. si c'est un lieutenant général. Cela peut se faire dans l'espace de quelques jours, sans secousse, sans désorganisation, sans amoindrir la force de l'armée, et sans déroger à la loi du 19 mai 1845.
Cinq officiers seulement et d'armes différentes seraient mis en disponibilité.
Sous le gouvernement des Pays-Bas, il y avait six divisions militaires pour tout le royaume, aujourd'hui même en Hollande il n'y en a que deux.
Pourquoi la Belgique ne pourrait-elle pas être supérieurement administrée et défendue avec trois divisions ?
Pour vous prouver, messieurs, que la réduction des divisions territoriales n'aurait aucune influence sur l'organisation de l'armée, je m'appuierai sur l'opinion émise par la commission des généraux ; on ne contestera pas, j'espère, leur compétence.
« Autant il lui paraît, dit-elle, nécessaire de maintenir l'organisation de l'infanterie et de la cavalerie en brigades, autant il lui semble peu important que ces brigades forment des divisions qui ne doivent être organisées que lorsqu'on se prépare à entrer en campagne. »
Je pense, messieurs, qu'après des explications aussi nettement posées, la chambre saura à quoi s'en tenir sur cet objet.
Je crois d'ailleurs que l'on n'aura jamais plus de 5 divisions d'infanterie en campagne.
En effet une division est, a dit M. le ministre, d'environ 15,000 hommes : les 3 divisions formeront donc une masse de 45,000 hommes.
Eh bien, messieurs, aurons-nous en campagne une armée qui atteindra cette force ?
Si on me dit oui, je répondrai alors que l'on abandonnera les forteresses ; parce qu'il sera impossible d'avoir en campagne une armée de plus de 30 à 35,000 hommes, sans que l'augmentation ait lieu au détriment de la défense des places.
Les forteresses sont le boulevard de la Belgique, la garantie de notre neutralité, elles sont appelées à prêter appui à nos alliés.
Et pour que l'on ne vienne pas dire que cette opinion est celle d'un homme qui n'a pas étudié avec soin l'organisation, je vous dirai, messieurs, que les 7 généraux formant la commission dont j'ai parlé ont fixé le maximum à 30,000.
Le nombre des régiments d'infanterie a été fixé dans la prévision de pouvoir mettre 56,644 soldats sous les armes; l'on doit en outre former 5 bataillons nouveaux pour avoir un effectif de 61,000 hommes.
Or je pense que cette force ne pourra pas être réunie, j'ai d'ailleurs prouvé combien il serait difficile de l'encadrer.
La répartition de l'infanterie pourrait se faire dans moins de régiments, d'autant plus qu'il serait facile d'élever l'effectif des bataillons destinés à la défense des forteresses ; ces bataillons ne devant pas, comme ceux de campagne, être rigoureusement bornés à l'étendue de la voix de leur commandant, il en résulterait une diminution de 3 à 400,000 fr. Y aurait-il désorganisation ou réduction si les bataillons de guerre de 850 hommes étaient portés à 900 ou 950 hommes? Ils sont de 1,000 hommes et même plus en Prusse, en Hollande, en Bavière, en Autriche, en Russie; en France même, les bataillons de chasseurs d'Afrique sont de 1,280 hommes.
L'effectif des compagnies correspondrait alors à celui d'une bonne organisation sur le pied de paix.
Leur faiblesse actuelle est un défaut des plus nuisibles; pour le prouver à la chambre, je suis forcé d'entrer dans les détails de l'organisation, puisque M. le ministre considère les pensées émises par les membres de cette chambre, comme émanant d'hommes peu capables d'apprécier l'organisation.
Je dirai d'abord comment elle a été adoptée.
On n'a laissé aucune liberté aux généraux qui ont dû émettre une opinion à ce sujet.
Les instructions qui leur ont été remises en sont la preuve convaincante.
On leur a demandé le moyen d'augmenter l'effectif des compagnies d'infanterie, en restant en dessous des allocations du budget, pour couvrir le déficit de quelques chapitres, tels que les états-majors, etc. On a limité à trois le choix de ces moyens, et on leur a défendu de diminuer le nombre des régiments et celui des bataillons.
On a donc circonscrit les généraux dans un cercle dont ils ne pouvaient sortir.
Le ministre de la guerre a reconnu lui-même, dans cette instruction, que l'effectif des compagnies d'infanterie, réduit à 55 hommes, n'avait pas la consistance convenable, ni pour l'instruction, ni pour le service.
La commission composée de 7 généraux a été unanime pour reconnaître la justesse de cette observation.
Voici, messieurs, comment s'exprimait le général Evain, sur les (page 834) compagnies de 56 hommes, et certes, on ne peut lui refuser des qualités éminentes comme organisateur.
« Cet effectif est généralement reconnu trop faible sous tous les rapports : si donc il est d'obligation de se limiter au chiffre de 18,944 hommes pour l'effectif présent sous les armes des 16 régiments d'infanterie (et il n'y en a plus aujourd'hui que 17,475), il faut de toute nécessité, ou réduire le nombre des bataillons organisés, ou diminuer le nombre des compagnies dans chaque bataillon. »
La commission, en demandant le maintien de 6 compagnies par bataillon, a ajouté la proposition formelle de mettre toutes les compagnies d'infanterie à 75 hommes: « effectif, dit-elle, nécessaire pour le service de garnison auquel celui actuel ne suffit qu'aux dépens de la santé du soldat qui n'a généralement qu'une nuit de bonne sur trois. »
Le maréchal Soult, aussi général du premier mérite comme organisateur, M. le ministre, vous le savez, messieurs, a invoqué son autorité ; eh bien, le maréchal Soult veut que les compagnies d'infanterie aient plus de 80 hommes.
La commission des généraux a demandé également que les miliciens soient conservés 3 ans sous les armes, en donnant alors à ceux qui le mériteraient des grades de caporal et de sergent, afin de pouvoir, le cas échéant, former les cadres supplémentaires.
J'ajouterai moi, messieurs, que c'est le seul moyen d'obtenir un jour de bons sous-officiers dans la garde civique mobilisée.
Je ferai en outre remarquer à M. le ministre que la Belgique se trouve dans une position spéciale : les miliciens sont destinés à être employés activement à l'instant même de leur rappel sous les armes, et à combattre contre des soldats qui auront plus de service et peut-être même plus d'expérience.
Il ne s'agit pas de savoir si l'homme rentre au corps quand il est rappelé, il faut apprécier le parti que l'on peut en tirer.
En citant la Prusse, M. le ministre nous a dit que le fantassin restait un an sous les armes; c'est l'exception; la durée du service y est de trois ans, et ceux qui s'équipent entièrement à leurs frais ne sont qu'un an au régiment.
Revenons à la force des compagnies. Nous sommes loin de les avoir de 75 hommes.
Quatorze régiments auront, pendant plus de la moitié de l'année, des compagnies de 27 soldats. 11 faudra en défalquer 1 cuisinier, 2 ou 3 malades, 9 hommes pour le service de garnison; il restera 14 soldats et 18 hommes gradés par compagnie.
C'est dans le but d'obtenir des économies qu'on a diminué encore trois hommes par compagnie!...L'on ne doit pas faire d'économie aux dépens de la force de l'armée.
Savez-vous ce qui arrivera, messieurs ? De suppression en suppression nous n'aurons plus d'infanterie. Voilà, messieurs, où est la véritable désorganisation.
La faiblesse des compagnies jette le découragement parmi tous les officiers.
Depuis le rapport des généraux dont je viens de parler, qu'a-t-on fait?
Sous certain ministre on a réduit les cadres de l'infanterie par la suppression de 64 compagnies de réserve; sous d'autres on a diminué le nombre des soldats de chaque compagnie; de sorte qu'aujourd'hui on a grandi le mal signalé par le ministre et la commission, et par la réduction des cadres, on s'est mis dans l'impossibilité de mettre sur le pied de guerre les 61,000 hommes que l'on croit obtenir, force, du reste, que je juge supérieure aux besoins.
J'ai adopté, dans la section centrale, le chiffre des dépenses proposé par le gouvernement, parce que j'ai pensé que si un changement important devait avoir lieu, il fallait absolument son concours.
Je vais néanmoins présenter mes observations sur la cavalerie.
La cavalerie est composée de 5 régiments à 6 escadrons, 30, et de deux régiments de cuirassiers à 4 escadrons 8, 38 escadrons.
Je pense que l'on ferait bien de former les régiments à 5 escadrons et un seul régiment de cuirassiers composé de 6 escadrons, sans diminuer le nombre des cavaliers ni celui des chevaux ; c'est-à-dire en répartissant les hommes et les chevaux des escadrons supprimés dans les escadrons conservés.
On aurait alors 31 escadrons.
Vous le voyez, messieurs, il ne s'agit pas de désarmement. La Belgique, d'après sa situation politique, peut être exposée à deux dangers différents.
Ou la guerre sera prévue longtemps à l'avance, et nous aurons alors le loisir d'acheter des chevaux et d'organiser de nouveaux escadrons, si cela est nécessaire.
Ou bien, nous aurons à nous opposer à une attaque subite de l'une ou de l'autre grande puissance, et dans ce cas, on devra concentrer l'armée immédiatement sans pouvoir augmenter la cavalerie.
En considérant notre organisation, les régiments à 5 escadrons sont infiniment préférables, parce que l'effectif sera augmenté : cette opinion est parfaitement d'accord avec celle des généraux et colonels de cavalerie que j'ai consultés, et qui trouvent que des escadrons de 115 hommes et de 100 chevaux sont toujours trop faibles, surtout quand on incorpore des recrues dans des dépôts, et que l'on est obligé de prendre dans les escadrons des chevaux, des officiers, et des sous-officiers pour l'instruction de ces recrues : les anciens cavaliers ont alors 2 et quelque fois 3 chevaux à panser.
Comme je ne suis pas très compétent dans cette matière, et que je ne veux pas citer les officiers que j'ai consultés, je m'appuierai d'une autorité bien respectable, je citerai les propres paroles du ministre de la guerre.
« L'effectif de la cavalerie, a-t-il dit, a été fixé en raison des allocations à 120 hommes et 100 chevaux par escadron, tandis que son pied de paix d'après l'arrêté royal du 22 septembre 1831, devait être de 147 hommes et de 128 chevaux. Il en résulte qu'un escadron ne pouvant plus se suffire à lui-même pour les manœuvres doit se compléter, chaque jour, dans un autre qu'il paralyse. » Eh bien messieurs, cela arrive chaque jour, quand les régiments vont ou à l'exercice, ou au camp; de deux escadrons on a fait un seul.
Cela détruit, messieurs, l'unité de l'escadron et empêche en outre un certain nombre d'officiers de prendre part à l'instruction; on entretient par là en activité des officiers en trop.
Quand on devra mettre l'armée sur le pied de guerre, il faudra 2,715 chevaux pour la cavalerie seulement.
Eh bien, qu'arrivera-t-il? La difficulté de se les procurer obligera d'exécuter alors ce que je demande aujourd'hui, on fondra les escadrons les uns dans les autres.
N'avons-nous pas vu, après les événements de février, les miliciens de la cavalerie rentrer ici dans leur caserne et se trouver sans chevaux ? Cependant les circonstances ont été bien critiques.
Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que quand nous nous préparerons pour une guerre générale, les autres nations auront aussi un grand besoin de chevaux, elles en prohiberont la sortie, comme l'Allemagne l'a fait après les événements de février.
J'ai fait le relevé du nombre des chevaux par escadron de bien des pays, et ce n'est qu'en Belgique que j'ai remarqué des escadrons aussi faibles en temps de paix et devant se pourvoir de tant d'hommes et de chevaux en cas de guerre.
En fondant le sixième escadron dans les 5 autres du régiment, ceux-ci auraient 138 hommes et 120 chevaux, ce qui répond à une bonne organisation.
Cette mesure procurerait une économie de 436,000 fr., 56 officiers seulement seraient placés en disponibilité avec 2/3 de solde, il y aurait alors 132,000 fr. consacrés à leur traitement, et l'économie immédiate serait de 304,000 fr.
La consistance et la force de la cavalerie y gagneraient sur le pied de paix.
Et en cas de guerre on aurait encore la proportion voulue pour la composition d'un corps d'armée, que je crois suffisant à la défense du pays.
En effet on aurait sur le pied de paix 4,590 hommes et 4,142 chevaux.
En conservant pour le pied de guerre la force des escadrons comme elle est fixée aujourd'hui, il faudrait pour les compléter 1,270 hommes et 1,585 chevaux. On aurait alors 5,860 hommes et 5,727 hommes.
Dans un pays d'une vaste étendue, une partie de la gendarmerie est employée pour la police dans l'intérieur, et l'autre partie pour la police de l'armée. Mais dans notre petite Belgique, la police pourra être abandonnée à la garde civique, et d'autant plus facilement, que cette mesure sera de courte durée, c'est-à-dire jusqu'au moment où nous recevrons des secours.
Ainsi, messieurs, il est bien permis de compter parmi la cavalerie disponible, cette gendarmerie qui forme un corps d'élite très remarquable, soit 1,050 hommes et 1,065 chevaux.
On aura sur le pied de guerre 6,910 hommes et 6,790 chevaux.
Il reste à voir si cette cavalerie est suffisante pour l'armée qui devra tenir la campagne. 600 hommes environ seront placés dans les forteresses. Il restera donc 6,500 hommes.
Le corps d'armée correspondant à cette force en cavalerie sera de quarante-quatre mille, composé d'après les proportions adoptées par le département de la guerre :
De 31,500 hommes d'infanterie.
6,300 de cavalerie 1/5
5,200 d'artillerie 1/6
1,000 du génie 1/30
44,000 hommes.
Et remarquez bien, messieurs, que la proportion pour la cavalerie serait d'un cinquième de l'infanterie et non pas d'un neuvième, comme l'a dit M. le ministre.
Je supposerai une autre hypothèse, c'est celle où, par un motif quelconque, on ne pourra pas compléter le manquant pour mettre la cavalerie sur le pied de guerre.
On aurait 5,640 hommes, dont il faudrait déduire 640 pour les forteresses.
Il resterait encore 5,000 hommes, ou la cavalerie nécessaire pour un corps d'armée de 35,000 hommes, et si l'on met dans les places fortes la troupe nécessaire à leur défense, nous n'aurons pas en campagne un corps plus nombreux.
Ces calculs positifs prouvent que les cadres de cavalerie n'auraient besoin d'aucune extension pour avoir une armée très respectable.
(page 835) Je ne vois dès lors aucun motif qui puisse empêcher M. le ministre de réduire dès aujourd'hui les régiments de cavalerie, comme en France et en Hollande, à 5 escadrons, sans, bien entendu, diminuer ni le nombre des cavaliers, ni celui des chevaux.
Je pense que l'on n'envisage la défense du pays que par des armées nombreuses à mettre en campagne, et que l'on ne se préoccupe pas assez de celle de nos forteresses.
Pour prouver à M. le ministre, que mes propositions n'ont rien qui approche d'une désorganisation ou d'une réduction de l'armée, je ne parlerai, quant à l'artillerie, que de la possibilité de la répartir en trois régiments, ce qui procurerait une économie de 89,038 fr.
Avant 1842, nous n'avions que trois régiments; en en créant un quatrième, on n'a nullement augmenté le nombre des batteries, mais seulement le personnel et l'état-major.
On est donc en droit de croire que les avantages que ce changement a produits ne sont pas en rapport avec les dépenses qu'il a occasionnées.
J'ai examiné la force des régiments d'artillerie dans quelques pays étrangers ; ils sont :
En Autriche, de 18 batteries.
En Bavière, 1 régiment de 14 batteries ; 1 régiment de 12.
En France, de 15 batteries, 3 à cheval, 12 à pied et 4 régiments de 14 dont 2 à cheval et 12 à pied.
En Hollande, il y a des régiments qui ont 16 batteries.
En Prusse, l'artillerie est divisée par brigade, chacune d'elles est composée de 3 compagnies à chevalet de 12 à pied, ensemble 15 batteries.
En Russie, la division correspond à nos régiments et elle est de 5 batteries à cheval et de 12 batteries à pied, soit 15 batteries.
Si l'artillerie belge était divisée aujourd'hui en 3 régiments, comme antérieurement à 1842, les régiments seraient de 15 et de 14 batteries.
Ils ne seraient donc pas alors plus forts que ceux de ces pays où les armées ont été constituées de manière à ce que les régiments réunissent les avantages de l'instruction et d'une bonne administration.
J'ajouterai que toutes les raisons que donne M. le ministre contre l'organisation des régiments à 15 batteries, sont applicables à tous les pays qui ont des régiments de cette force, et que, si elles avaient l'importance qu'on cherche à leur donner, la France, l'Autriche, la Bavière, etc. auraient diminué l'effectif de leurs régiments.
Je terminerai par une dernière considération.
Le premier régiment d'artillerie est disséminé dans 10 garnisons.
Le deuxième, dans 7 garnisons.
Le troisième, dans 7 garnisons.
Le quatrième, dans 5 garnisons, plus les forts de l'Escaut.
Une dislocation aussi grande, et que l'on ne peut restreindre, doit nécessairement faire disparaître les inconvénients que l'on trouve à la division en trois régiments.
Je pense, messieurs, que l'on peut supprimer un major par régiment, sans amoindrir la force de l'infanterie.
La section centrale chargée du rapport sur l'organisation a exprimé la même opinion.
Du moment où chaque bataillon a un chef spécial pour le commander, on a pourvu au nécessaire, puisqu'il y a dans le bataillon même des officiers pour remplacer le commandant, dans le cas où celui-ci serait absent.
Le grade de lieutenant-colonel doit être conservé ; il est préférable, dans l'intérêt du service, que ce soit un lieutenant-colonel qui, en cas de besoin, prenne le commandement du régiment ; il aura toujours une plus grande autorité sur les chefs de bataillon qu'un major qui n'a pour lui que le droit d'ancienneté.
Dans les Pays-Bas avant 1830, et encore aujourd'hui en Hollande, les lieutenants-colonels commandent des bataillons.
Il faut, dit-on, conserver un officier de plus dans chaque régiment, parce que les détails administratifs absorbent le temps que le colonel devrait employer à la partie purement militaire; on va même jusqu'à dire que l'instruction rétrograderait, s'il n'en était pas ainsi.
Je pense, messieurs, que c'est là une grande erreur ; le colonel n'a pas une besogne administrative si grande, que lui personnellement doive y employer plus d'une heure ou deux par jour.
Et l'officier qui ne sait pas faire marcher ensemble l'administration et l'instruction de son régiment est incapable de le commander.
Je sais très bien, messieurs, que plusieurs chefs de corps considèrent les fonctions de lieu tenant-colonel comme un rouage inutile.
Pour vous prouver, d'ailleurs, que mes observations sont fondées, je vous citerai un très bon exemple, puisé dans notre armée.
Je demanderai à M. le ministre s'il n'y a pas un très beau régiment qui, depuis près de 5 ans, est sans lieutenant-colonel, attendu que le titulaire de cet emploi occupe un poste élevé au ministère de la guerre. Eh bien, messieurs, j'en appelle à la justice de l'honorable général, il vous dira avec moi que ce régiment, sous le rapport de l'instruction, de la discipline, et de l'administration, ne laisse rien à désirer.
Je terminerai, messieurs, en vous faisant observer que les traitements des 16 majors s'élèvent à 80,800 fr. et les rations de fourrages à 7,300 fr. C'est donc une dépense de 88,100 fr.
En France, il faut prévoir la guerre offensive et le moment où le régiment peut se trouver à quelques centaines de lieues de son dépôt.
Il arrive parfois que ces dépôts reçoivent une grande quantité de recrues et c'est là un motif pour y placer un officier supérieur de plus.
En Belgique, cela ne me paraît pas nécessaire, notre armée étant destinée à rester dans le pays.
Je sais que l'on m'opposera le règlement qui les concerne : mais n'a-t-il, pas été fait en 1845 pour justifier les fonctions de lieutenant-colonel qui étaient en péril par suite de la proposition de la section centrale?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je demande la parole pour signaler quelques erreurs matérielles commises par l'honorable M. Thierry. Hier, je vous ai dit que l'administration de la guerre n'éprouverait aucun embarras à compléter les cadres. Il paraît que cette assertion ne peut être admise par l'honorable M. Thiéfry ; cependant j'avais eu soin de dire qu'à différentes époques on a rappelé la réserve et complété l'armée ; et que chaque fois cette opération s'est faite convenablement bien qu'on n'eût pas alors les ressources que nous possédons aujourd'hui. En outre les écoles régimentaires ont pris une grande extension depuis lors.
L'honorable M. Thiéfry prétend qu'elles suffisent à peine aux nécessités journalières, aux besoins de chaque régiment sur le pied actuel. Mais l'honorable membre ignore qu'il y a des miliciens qui, après avoir reçu l'instruction au régiment, partent en congé avec leur classe et qui, rappelés ensuite sous les armes, sont très aptes à faire des sous-officiers et des caporaux.
Nous avons encore l'école des enfants de troupes. L'honorable M. Thiéfry dit qu'elle ne compte que 250 élèves. C'est une erreur. Elle est au-delà de 300. Et 200 autres élèves sont sur le point d'y entrer. S'ils n'y ont pas été envoyés plus tôt, c'est que le local n'était pas terminé. Il le sera probablement cette année, et par suite, l'école des enfants de troupe se composera de 500 élèves qui, recevant une instruction complète, formeront d'excellents sous-officiers et caporaux. En outre, notre école militaire n'a pas seulement pour objet de former des officiers d'armes spéciales, ainsi que M. Thiéfry semble le croire; elle comprend encore des sections d'infanterie et de cavalerie, propres à compléter les cadres. Voilà un point rectifié.
L'honorable M. Thiéfry ne veut pas admettre la possibilité de porter notre armée à 80 mille hommes, bien que mes explications aient établi, , je crois, que nous pourrions la porter à 90 mille hommes; il ne faudrait pour cela qu'obtenir de la chambre l'autorisation de maintenir sous les armes une classe dont le service est expiré, autorisation qu'elle ne refuserait pas s'il s'agissait de défendre l'indépendance du pays.
Du moment que nous aurions obtenu le maintien de cette classe, il nous serait facile de mettre 60,000 hommes en campagne et 30,000 hommes dans les forteresses. Et il y aurait nécessité de le faire, car ce n'est pas avec une armée de 40,000 hommes, de 60,000 hommes même, que vous pourriez défendre le pays. Si vous vouliez la réduire à ce chiffre, il faudrait aller plus loin, il faudrait renoncer à avoir une armée pour la défense extérieure du pays ; rejeter comme trop onéreuses les propositions qui vous ont été faites et vous borner à avoir une armée pour la police intérieure.
Il faudrait renoncer, dis-je, à défendre le pays contre l'étranger, et c'est en effet l'opinion de tous les hommes de guerre. J'ai une grande confiance dans les connaissances de l'honorable M. Thiéfry, mais quand il s'agira d'organiser une armée et de la diriger, de la faire agir convenablement, ce n'est pas à M. Thiéfry que je demanderai des conseils, c'est aux hommes compétents que je m'adresserai. Aucun militaire instruit ne soutiendra qu'on peut défendre le pays avec une armée moindre de 80,000 ou 90,000 hommes, et à celui qui le soutiendrait, je serais obligé de dire qu'il ne connaît par son métier.
J'ai deux raisons pour défendre cette opinion, d'abord le sentiment de l'amour du pays qui m'anime, et ensuite le sentiment de ma dignité personnelle ; je ne viendrais pas soutenir une opinion à la face du pays et des chambres, si c'était une opinion fausse, erronée.
On vous a parlé encore de l'artillerie, bien que j'eusse traité cette question dans la séance d'hier; et l'on a prétendu qu'avant 1842 nous n'avions que trois régiments de cette arme. Effectivement, messieurs, il n'y avait alors que trois régiments; mais c'est précisément parce qu'on a reconnu tous les inconvénients de cette organisation, au point de vue du service et de l'instruction, qu'on l'a divisée en quatre régiments, et au lieu d'avoir entraîné une augmentation de dépenses, comme l'a dit l'honorable M. Thiéfry, elle a produit une économie de 52,000 fr., comme vous pouvez vous en assurer en comparant les divers budgets.
On vous a dit qu'en France il n'y a que 15 régiments d'artillerie. Mais on n'a pas ajouté que chacun de ces régiments forme en quelque sorte une brigade ayant un général, un lieutenant-colonel et un état-major nombreux spécialement chargés de la direction de l'école.
On n'a pas ajouté non plus, qu'en France les batteries sont fortes de six pièces, tandis qu'en Belgique, par mesure d'économie, on les a composées de huit pièces.
Toutes ces considérations doivent entrer en ligne de compte.
Souvent on va puiser, pour combattre le budget de la guerre, des renseignements à sources peu dignes de confiance, et ainsi, sans le vouloir, on induit la chambre en erreur.
On a prétendu que nos régiments d'artillerie sont disséminés dans une quantité de garnisons. Cela est vrai; dans les circonstances actuelles, j'ai cru devoir disséminer les batteries. Mais quand nous reviendrons à un état normal, les batteries rentreront au régiment. Actuellement j'ai (page 836) des motifs pour en agir ainsi. Dois-je rendre compte à la chambre de ces motifs? Dois-je, chaque fois que je fais mouvoir un corps, lui en expliquer les raisons? Cela n'est pas admissible.
On a dit que nous ne pourrions pas réunir notre armée, que nous ne pourrions pas former nos escadrons en cas d'attaque d'une puissance voisine. Mais une attaque à main armée ne peut pas avoir lieu du jour au lendemain. Savez-vous quelles attaques peuvent se faire ainsi"? Ce sont les attaques des bandes. Eh bien ! nous ne ferions pas même à ces attaques l'honneur d'engager nos réserves ; nous les repousserions avec les troupes que nous avons sous les armes.
Mais une attaque régulière ne peut se faire instantanément. Il faut réunir l'armée d'opération, il faut organiser les dépôts, les ambulances, le service des vivres et fourrages, et cela ne se fait pas du jour au lendemain, surtout chez les grandes puissances qui doivent faire venir ces objets de loin. Voyez ce qui est arrivé pour la concentration de l'armée des Alpes. Il a fallu trois mois pour réunir 30,000 hommes sur la frontière.
Il faut, messieurs, faire justice de ces exagérations. Quand une puissance veut entreprendre la guerre, on le sait longtemps à l'avance.
Voyez encore ce qui est arrivé lors du retour de l'Ile d'Elbe. Malgré l'excessive activité du plus grand capitaine du monde, il a fallu trois mois pour concentrer une armée sur la frontière de Belgique. Or, en trois mois nous pouvons rappeler nos réserves et compléter notre organisation.
D'ailleurs, messieurs, il serait facile de faire une expérience de ce système. Il suffirait pour cela de rappeler nos réserves. Si la chambre voulait m'accorder les quelques millions que nécessiterait cet essai, je me ferais fort de mettre immédiatement toute l'armée sous les armes. Ce n'est qu'une question d'argent. (Interruption.) Je dis cela très sérieusement.
M. Manilius. - Messieurs, je supprimerai tout exorde pour répondre immédiatement à la dernière partie du discours de l'honorable ministre de la guerre.
M. le ministre entre complètement dans les vues que je voulais émettre pour prouver qu'il y a de notables économies à faire dans son département. M. le ministre de la guerre vient de déclarer que le pays ne peut jamais être compromis à tel point que du jour au lendemain on doive mettre l'armée sur le pied de rassemblement. Il a reconnu et je reconnais avec lui qu'une armée ne s'improvise pas, ne peut du jour au lendemain envahir un pays, parce qu'il faut des emmagasinements, des approvisionnements, des rassemblements et que pour cela un temps moral est nécessaire, que dès lors un pays peut se mettre en mesure de se défendre avant d'être attaqué.
Eh bien ! partant de ce principe avoué par vous, M. le ministre, bien que vous nous ayez déclarés incompétents pour parler de questions militaires, je viens vous soumettre immédiatement la question vitale des économies. Elle consiste en ceci.
Quelle armée avez-vous aujourd'hui ? Vous avez une armée de 27.000 hommes sur le pied de paix. Cela suffit à M. le ministre de la guerre; avec cela il répond de tout. Or, que demandons-nous, nous qui réclamons des économies ? Nous demandons le maintien de cet état qui est excellent aux yeux de M. le ministre. Seulement nous y voulons une petite modification qui tournera encore à l'avantage de cet état; et j'ai besoin de rencontrer quelques chiffres du budget pour vous le faire comprendre.
On vous l'a dit tout à l'heure, notre infanterie sera bientôt réduite à rien. Eh bien ! toute réduite à rien qu'elle est, elle convient à M. le ministre de la guerre. Savez-vous pour combien vos soldats d'infanterie figurent sur le budget? Ils figurent pour 3 millions (3,383,455 fr. 44 c), (y compris les enfants de troupe). Tout le reste de votre budget d'infanterie passe dans les fonctionnaires de tout grade.
Si cette armée suffit, et si l'on peut compter sur trois mois de temps pour rassembler l'armée sur pied de guerre, comment se fait-il que M. le ministre de la guerre, à qui nous avons octroyé 80,000 hommes, maintienne constamment, tous les jours, à chaque heure, l'état de pied de guerre pour tout ce qui est fonctionnaire, qu'il ne sacrifie que les soldats ?
Les soldats seuls sont mis en disponibilité et les fonctionnaires sont maintenus sur le pied de guerre. Il ne manque pas un seul général, un seul colonel, un seul major, un seul capitaine. On n'a supprimé qu'un sous-lieutenant et deux caporaux; mais, à cela près, il ne manque ni tambours ni cornets ; tout est prêt à entrer dès demain sur pied de guerre. Seulement, messieurs, il manque des soldats.
Eh bien ! ce que nous demandons, c'est qu'étendant plus loin le système de mise en disponibilité, on l'applique à tous les officiers supérieurs et à tous les officiers subalternes qui n'ont pas suffisamment de troupes à commander. Nous demandons, pour le pied de paix, une armée convenablement proportionnée. Nous ne demandons pas qu'on sacrifie ces officiers, qu'on enlève à personne sa position. Mais nous demandons qu'on leur donne une position équitable, une position convenable, qui leur permette de prendre les armes tous les jours, au premier appel.
On a parlé tout à l'heure de la France. Savez-vous qu'en France il ne manque pas d'officiers quand il s'agit de mettre l'armée sur le pied de guerre? Or, voyez-vous que ces officiers sont toujours maintenus en activité ? Paris fourmille de généraux et officiers supérieurs mis en disponibilité. Mais aussitôt que la guerre éclate, ces officiers sont remis en activité. Pourquoi n'en feriez-vous pas de même? Vous auriez trois mois de temps pour cela, d'après votre déclaration.
Au début de cette discussion, l'honorable M. Osy a demandé à M. le ministre de la guerre qu'il voulût bien rendre compte de l'emploi des 9 millions que nous lui avons votés. De ces 9 millions, M. le ministre nous l'a déclaré, sept seulement ont été employés. Mais, puisque nous sommes à la discussion du budget de la guerre, il me paraît important de connaître comment ces 7 millions ont été dépensés, et j'espère que M. le ministre de la guerre, qui a déjà répondu a plusieurs points du discours de l'honorable M. Osy, voudra bien répondre à cette demande qu'a faite l'honorable député d'Anvers et que je renouvelle.
Mais, messieurs, j'ai besoin de déclarer que, comme il y a dix ans, j'éprouve toujours la plus grande sympathie pour l'armée, la plus grande sympathie pour ma nation ; aujourd'hui, comme il y a dix ans, je suis animé du même sentiment ; dix années de réflexion ne m'ont nullement changé ; je suis encore disposé à résister, s'il s'agissait de concéder de nouveau une partie de mon pays, de porter atteinte à l'intégrité de notre territoire. J'ai dit.
M. Osy. - M. le ministre de la guerre a fait entendre hier que la plupart de ceux qui prennent part à cette discussion sont incompétents et veulent la désorganisation de l'armée. Il est vrai que la plupart d'entre nous, qui n'ont jamais servi, sont bien obligés de prendre des renseignements à d'anciens officiers en retraite. Si les hommes compétents seuls pouvaient ici prendre la parole, il serait inutile de se livrera une discussion générale, et nous devrions voter le budget de confiance.
Ce n'est pas ainsi que je comprends mes devoirs. Pour tous les objets à l'égard desquels je ne suis pas compétent, je m'adresse à des personnes spéciales. Ainsi, pour le budget de la guerre, depuis bien des années, je me suis entretenu avec des militaires en retraite qui m'ont donné beaucoup de renseignements.
Pour ce qui est du reproche de vouloir désorganiser l'armée, si M. le ministre de la guerre voulait relire mon premier discours, il verrait que je suis d'accord avec l'honorable M. Thiéfry. Nous ne voulons pas diminuer l'armée d'un soldat; nous prétendons, au contraire, que nous avons trop peu de soldats : mais nous disons aussi que nous avons trop d'état-major, que nous payons trop d'officiers. Nous voulons avoir une armée numériquement plus forte, mais nous voulons réduire autant que possible le superflu en officiers.
L'honorable M. Thiéfry vient de donner des détails sur ce qui s'est passé dans la commission qui a été nommée dans le temps pour préparer la loi d'organisation de l'armée. Ces renseignements m'avaient été également donnés. Mais je puis ajouter un autre fait très significatif : c'est que le ministre de la guerre de l'époque a donné pour instruction à la commission, qu'il ne fallait pas proposer de diminutions dans le nombre des bataillons et des compagnies. Des officiers en activité de service ne pouvaient qu'obéir à ce mandat.
Pour avoir une bonne organisation, il faudrait une commission mixte d'officiers en activité de service et d'officiers en retraite, valides et éclairés ; ces derniers sont désintéressés dans la question ; ils n'ont pas de position à ménager. Je demande qu'on nomme une semblable commission, et qu'on ne lui donne pas les instructions qu'on a données à l'autre, instructions dont le fait ne pourra pas être démenti, je pense, par M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Jamais de ma vie, je n'ai entendu le premier mot de cela.
M. Osy. - Je tiens le fait de personnes qui pouvaient très bien savoir ce qui s'était passé dans la commission, et qui ont lu les instructions du gouvernement.
La commission n'était donc pas libre. Lors de la discussion de la loi de 1845, on a même refusé de nous communiquer le rapport de cette commission.
- Un membre. - Il a été déposé sur le bureau.
M. Osy. - Il n'a pas été communiqué à la section centrale, et il n'a pas été distribué, et surtout pas les instructions.
M. le ministre de la guerre est en dissidence avec l'honorable M. Thiéfry et moi, parce que M. le ministre de la guerre croit qu'avec un contingent de 80,000 hommes il aura une armée suffisante; mais à part les hommes destinés aux garnisons et aux forteresses, il ne pourra avoir eu campagne que 30,000 hommes.
Eh bien, c'est dans ces données que nous demandons à avoir un état-major et un nombre d'officiers fixe en conséquence. C'est sur le contingent de 80,000 hommes que nous devons faire un budget; nous ne pouvons avoir une armée supérieure au chiffre de 30,000 hommes ; dans ce cas, les cadres de la cavalerie et de l'artillerie sont trop forts.
En ne diminuant pas l'armée d’un seul cavalier, je demande avec l'honorable M. Thiéfry 30 escadrons. (Interruption.) M. Thiéfry demande 31 escadrons ; il n'y a donc entre lui et moi qu'une différence d'un escadron.
Ainsi, messieurs, nous partisans des économies, nous sommes aussi conservateurs que qui que ce soit. On nous dit : « Comment ! vous êtes conservateurs, et vous voulez des économies dans le budget de la guerre. » Oui, messieurs, nous ne sommes pas seulement conservateurs pour la défense du pays, mais nous le sommes encore pour le trésor du pays ; nous sommes aussi conservateurs que ceux qui veulent faire beaucoup de dépenses. Et le fait historique tiré des annales de la Hollande, qu'on nous a cité hier, ne me touche guère et n'a pas été heureux.
Je veux une armée forte, je veux beaucoup de soldats, mais je veux un nombre d'officiers en proportion des soldats qu'on peut mettre sous les armes.
(page 837) M. le ministre de la guerre m'a fait même un reproche; il a dit : « Je ne sais comment satisfaire M. Osy ; il veut des économies, et il refuse une économie que je propose. » Mais c'est très simple. Quand je trouve que M. le ministre de la guerre nous propose une économie peu convenable, est de mon devoir de le dire; si, au contraire, M. le ministre ne propose pas les économies que je crois possibles, je les demande.
Eh bien, quelle économie ne veux-je pas? C'est celle relative à la première mise du soldat. M. le ministre de la guerre a donné des explications à cet égard. Je voudrais connaître la différence de la première mise du soldat; car si je suis bien informé, ce n'est pas seulement le havresac que l'on reprendra pour 12 francs ; mais on donnera aux soldats moins de choses utiles pour la propreté et la santé.
Si c'était là qu'on voulait trouver la différence, je blâmerais la mesure, car ce que nous voulons, ce que nous devons désirer, c'est le bien-être physique du soldat. J'ai parlé à des militaires, à des hommes qui ont fait partie de cette chambre et ont été rapporteurs du budget de la guerre; ils ne pouvaient blâmer assez cette économie qu'on vous propose. Tous ceux qui demeurent à la campagne doivent savoir que les soldats, quand ils ont fini leur temps, ne peuvent pas revenir chez eux parce qu'ils ne peuvent pas liquider leurs livrets. Moi-même j'ai dû en aider très souvent; je faisais l'avance et je la recouvrais sur les livrets.
Ces économies, je le répète, seront funestes pour l'armée, c'est une contribution que nous mettrions sur les campagnards.
Vous voyez qu'en ne voulant pas d'une économie que propose M. le ministre de la guerre, je ne suis pas inconséquent, je défends le bien-être du soldat.
L'honorable ministre de la guerre en me répondant hier sur les 2 p. c. payés par les fournisseurs aux régiments, sur les fournitures, m'ont donné raison sur l'emploi illégal qui avait été fait de ces fonds.
Je suis heureux de dire que, sous le ministre actuel, on n'a aucune crainte à avoir; je lui abandonnerais volontiers la disposition de ces 2 p. c. Mais, comme l'a dit l'honorable M. Thiéfry, les hommes passent et les institutions restent.
M. le ministre a pris l'engagement d'insérer au Moniteur les arrêtés d'emploi de ces fonds. Je demande de plus que le compte des fonds d'administration soit rendu à la cour des comptes ; car souvent ils s'élèvent à une somme considérable; il y a des régiments qui ont eu jusqu'à 45,000 francs en caisse.
D'après l'arrêté de 1819, ces 2p. c. doivent servir à augmenter le bien-être du soldat. Je veux être certain que ces fonds ne seront pas détournés de leur destination, comme cela a eu lieu.
Je conclus. Malheureusement, je vois que M. le ministre de la guerre paraît décidé à repousser toute économie, tout changement; s'il ne prend pas l'engagement de nommer une commission pour réviser la loi d'organisation de l'armée, je serai obligé, à mon grand regret, de voter contre le budget de la guerre; car ce n'est pas un vote personnel à M. le ministre de la guerre, c'est un vote de conscience que je me vois forcé d'émettre par suite des renseignements que j'ai recueillis.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Tout à l'heure, M. Manilius a dit que sur 27 millions dont se compose le budget de la guerre, trois millions seulement sont destinés aux soldats. C'est une erreur dont il est facile de vous convaincre en jetant les yeux sur le budget qui vous a été présenté. En effet, vous y verrez pour la solde des sous-officiers et soldats...
M. Manilius. - Je n'ai parlé que des soldats.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Ce serait un nouveau calcul assez long à faire ; mais enfin, pour les sous-officiers et soldats d'infanterie, vous trouverez une somme de 7,562,918 fr., en y comprenant la solde, le pain, le casernement, et en général toutes les allocations relatives à la troupe.
Pour la cavalerie : 2,214,456 fr.
Pour l'artillerie : 1,898,002 fr.
Et pour le génie : 377,156 fr.
Total: 12,052,532 fr.
Il y a en outre d'autres dépenses portées au budget qui ne sont pas relatives aux officiers, telles que les dépenses pour fourrages, remontes, matériel, etc. De sorte que la somme destinée à l'entretien du cadre des officiers ne s'élève en définitive qu'à la somme de 7 millions. Ce chiffre, comme vous le voyez, messieurs, est tien inférieur à celui qu'a cité l'honorable M. Manilius.
M. Manilius. - Je n'ai parlé que de l'infanterie.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez dit qu'il n'y avait dans le budget que 3 millions pour les soldats.
M. Jullien. - Selon mon habitude, je motiverai mon vote en quelques mois. Je ne prolongerai point inutilement le débat. Bien que la discussion des articles ne soit pas encore entamée, je pressens déjà, je dirai que j'ai déjà la presque certitude que le vote de la majorité de la chambre est acquis au budget. Aussi ne viens-je point combattre l'opinion qui lui est favorable.
Ceux-là qui avec l'honorable ministre de la guerre pensent que l'indépendance de la Belgique, son repos, sa sécurité, sa nationalité sont uniquement alléchés à l'existence d'une armée imposante, ceux-là qui avec l'honorable M. Lebeau, dominés par une politique cauteleuse, croient que la neutralité de la Belgique ne serait qu'une lettre morte, si elle n'était protégée par une force redoutable de baïonnettes, ceux qui avec l'honorable député d'Eecloo n'ont qu'une demi-confiance dans le désarmement qui s'opère dans d'autres pays, tous les membres imbus de convictions semblables doivent naturellement voter les 27 millions qui nous sont demandés, il en est même qui, pour être conséquents avec leurs idées, devraient trouver que le ministre de la guerre s'est montré trop sobre dans ses demandes d'allocations.
Ce n'est pas moi qui ferai à ces partisans de l'armée à tout prix un grief de leurs opinions. Respect à leurs convictions ! mais que cependant il me soit permis de leur dire que leur système les entraînera irrésistiblement et d'une manière fatale à voter de nouveaux impôts; qu'il me soit permis de leur rappeler, comme une circonstance muette, mais bien significative à cet égard, l'insistance que M. le ministre de l'intérieur, toujours tacticien habile, mettait, il y a quelques jours, à faire voter le budget de la guerre avant la loi qui doit atteindre d'un impôt les transmissions en ligne directe à litre successif.
Pour moi qui ai d'autres convictions et qui ne partage pas les mêmes appréhensions que les adhérents au budget, je le déclare ouvertement, sans arrière-pensée et sans le moindre sentiment hostile au digne chef du département de la guerre, je voterai contre le budget qui nous est présenté.
Je voterai contre ce budget parce que j'ai foi dans le civisme et dans le patriotisme belge ; parce que j'ai l'intime confiance que notre nationalité, qui a surgi des propres forces du peuple, qui s'est soutenue appuyée sur nos institutions, serait, en cas d'attaque, sauvée par une résistance courageuse de ce même peuple, et n'aurait pas besoin du secours d'une armée de 80.000 hommes pour sortir victorieuse des luttes intestines qu'on voudrait lui livrer.
Je refuserai mon assentiment au budget, parce que je ne crois pas à la nécessité d'une armée aussi considérable pour défendre une neutralité que j'envisage comme sérieusement garantie par cela même que toutes les grandes puissances signataires du traité de 1839 ont un immense intérêt à la maintenir, si elles ne veulent compromettre leur propre existence.
Mon vote sur le budget sera négatif parce que notre armée, contrairement à la Constitution, renferme encore dans ses rangs des officiers étrangers non-naturalisés qui ne peuvent invoquer le bénéfice de l'article 4 du décret du 11 avril 1831.
Mon vote sera contraire au budget, parce que notre organisation militaire eût dû subir de notables réductions par suite de la réorganisation de la garde civique que je considère comme un élément de force destiné à suppléer en partie, notre armée, et à en alléger les dépenses.
Enfin, messieurs, je n'accorderai point mon adhésion au budget parce que M. le ministre de la guerre n'a pas tenu assez largement compte du vœu d'économies exprimé dans l'adresse votée dans notre session extraordinaire de 1848, et enfin parce qu'à mes yeux le chiffre de vingt-sept millions, que porte le budget, est en dehors de toute proportion avec nos ressources financières, et que nous ne pourrions y faire face sans demander au contribuable de nouveaux impôts et de nouveaux sacrifices qu'il est hors d'état de supporter.
M. le président. - La parole est à M. de Theux.
M. de Theux. - J'y renonce.
M. Mercier. - J'ai l'honneur de présentera la chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la prorogation de la loi qui autorise le gouvernement à régler les tarifs du chemin de fer.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je demande à la chambre de bien vouloir fixer la discussion de ce projet à lundi.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Mérode. - Je n'ajouterai que peu de mots aux observations qui ont été soumises à la chambre par l'honorable M. Lebeau et M. le général Chazal, en faveur du maintien de l'armée sur le pied où elle existe.
Les considérations qu'ils ont fait valoir sont suffisantes assurément pour démontrer combien cette institution mérite de ménagements et quel serait le danger qui résulterait de son affaiblissement ultérieur.
Mais si M. le ministre de la guerre sait défendre dans cette enceinte, avec beaucoup d'énergie et de raison, le département qui le concerne, il me paraît moins heureux dans le conseil des ministres, lorsqu'il s'agit de conserver au trésor public les moyens de faire face aux dépenses qu'exige son budget.
En effet, nous voyons constamment abandonner par le gouvernement les recettes de l'Etat, et lorsque le chemin de fer est devenu déjà une charge énorme pour nos finances, de nouveaux tarifs viennent en outre susciter les réclamations les plus vives sur les péages de voies navigables et amener une réduction importante de recettes sur le productif canal de Charleroy. Déjà cependant la diminution de l'impôt du sel en France fera perdre à notre budget des voies et moyens plusieurs centaines de mille francs. Un droit modique de 1 fr. 50 c. ou même de 1 fr. sur les blés étrangers consommés en Belgique n'a pas été adopté par le gouvernement, qui l'a combattu, comme s'il était trop riche.
Enfin, tandis que l'agriculture ne reçoit pas même ce léger encouragement (page 828) ment au profit de l’Etat, le raffinage du sucre, qui jouit du monopole de la consommation intérieure, coûte au trésor, par des primes et avec l'appui du même gouvernement, de 12 à 15 cent mille francs.
Il est vrai que M. le ministre des finances propose de battre monnaie aux dépens des héritages en ligne directe. Mais M. le ministre de la guerre sait trop bien l'histoire pour ignorer que, dans les moments difficiles et aux époques de guerre, la propriété seule présente des ressources, que les péages et les contributions indirectes peuvent fournir en temps de paix. Or, si elle a été épuisée ou surchargée aux époques tranquilles, elle sera d'autant plus faible aux époques périlleuses.
Ainsi, quand un fils viendra de solder au fisc une somme considérable pour la succession de son père, il lui sera bien difficile de payer en même temps un double impôt direct ou des emprunts forcés. Tout se lie dans les affaires publiques, et M. le général Chazal a parfaitement démontré hier, par l'exemple de la Hollande, que l'industrie et le commerce ont le plus grand intérêt au maintien d'une armée respectable. Cependant l'industrie et le commerce font défaut dès que le ciel politique se couvre de nuages ; il ne faut donc pas les décharger outre mesure et leur faire un pont d'or au détriment des finances dans les moments de paix et de sécurité; or telle est précisément la tendance prononcée du gouvernement. Elle est donc destructive du véritable système défensif de l'Etat, et M. le ministre de la guerre possède un trop bon jugement, une connaissance trop étendue des faits historiques, pour ne pas apprécier le rapport intime d'une administration financière prudente et prévoyante avec les besoins militaires d'une nation. Je me bornerai à cette réflexion capitale; car si on oublie le principe essentiel que je viens de rappeler, c'est en vain que M. le ministre de la guerre luttera avec courage et talent contre les difficultés et les préjugés, qu'il sera constamment obligé de combattre.
C'est en vain aussi que, dans un moment critique tant soit peu prolongé, il voudra maintenir le pays sur un bon pied de résistance; car pour cela, comme disait le grand Frédéric, il faut trois fois de l'argent. Néanmoins tous nos ministères, et plus spécialement le ministère actuel, ont constamment ignoré cette vérité ou l'ont perdue de vue. J'engage donc M. le ministre de la guerre qui, n'ayant accepté aucune mission politique locale, a conservé sa pleine indépendance dans l'intérêt général, à le soutenir constamment au point de vue financier et militaire et à s'opposer sans relâche au funeste abandon des recettes de l'Etat que des intérêts privés ne cessent d'assaillir avec une extrême imprudence, puisque la ruine de l'Etat peut amener la leur et les exposer, comme nous en voyons l'exemple dans plusieurs autres pays voisins ou éloignés de nos frontières, aux plus terribles mécomptes.
Je dois ajouter, messieurs, que je ne considère pas une armée comme le seul moyen de conservation, mais comme un des éléments principaux de la nationalité et de la sécurité d'un peuple. Je crois comme l'honorable M. Jullien, que le patriotisme est un de ces éléments indispensables; mais M. Thiers l'a dit avec incontestable vérité : « L'armée c'est le patriotisme organisé. »
M. d'Elhoungne. - Messieurs, je prends la parole contre le budget de la guerre.
Je ne crois pas qu'en venant combattre ce budget, qu'en venant critiquer l'organisation de l'armée, je fasse, comme M. le ministre de la guerre l'a affirmé hier, une chose pleine de danger pour mon pays. Je crois, messieurs, que notre armée à des sentiments tout autres que ceux qu'on lui prête, tout autres du moins que les paroles de M. le ministre de la guerre pourraient le faire supposer. Au moment où en France, en Hollande, en Angleterre, on ne trouve, dans le parlement, aucun danger à discuter l'organisation de l'armée, il ne saurait y avoir plus de danger pour le parlement belge à porter ses investigations sur un objet aussi important. Ce n'est pas, messieurs, dans une armée qui a obtenu plus d'avancement, depuis dix-neuf ans, qu'aucune autre armée de l'Europe, qu'on est en droit de se plaindre ni du gouvernement, ni des chambres, ni du pays. L'armée doit avoir confiance dans les chambres, dans leur justice, dans leur impartialité, dans leur respect des droits acquis, parce que les chambres ont donné des preuves multipliées de leur sollicitude pour l'armée. Si donc les chambres, se plaçant au point de vue supérieur des intérêts généraux du pays, examinent la constitution de l'armée, scrutent les vices de son organisation, l'armée, vous pouvez en avoir la certitude, continuera à faire son devoir. Il n'y a pas un seul officier belge qui sera détourné de son devoir par nos discussions. S'il en était autrement, ce serait la plus grave accusation qui jamais eût pu être lancée contre l'armée belge. Pour mon compte, j'estime qu'une pareille accusation serait une calomnie. Eh ! messieurs, n'avons-nous pas dû, depuis le début de la session, remettre en question la position de tous les fonctionnaires du pays? N'ayons-nous pas dû, pressés par les besoins impérieux du trésor, soumettre à l'examen le plus sévère, le plus inexorable, toutes les dépenses publiques? Est-ce que M. le ministre des finances n'a pas réduit d'un million le budget des finances? N'avons-nous pas troublé une multitude d'existences? N'avons-nous pas dû imposer les sacrifices le plus pénibles à un grand nombre de fonctionnaires? Et croyez-vous que pour cela le service des finances se fasse moins bien désormais ? Croyez-vous que le trésor public soit menacé? que les finances de l'Etat puissent être jetées dans la perturbation? Non ; le cabinet a reconnu lui-même que les mesures qu'il avait prises, si dures, si sévères qu'elles soient, ne présentaient aucun danger pour la fortune publique. Eh bien, messieurs, quelles que soient nos délibérations, quelles que soient les décisions de la chambre, elles n'auront pas non plus sur l'esprit de l'armée mie influence funeste, parce qu'avant tout, l'armée est attachée à son devoir, parce qu'avant tout l'armée donne, doit donner l'exemple du respect à la loi, l'exemple de la confiance dans les grands corps qui représentent la nation.
L'armée n'ignore pas plus que nous, messieurs, que la loi qui a fixé l'organisation des cadres est à la fois une loi incomplète et une loi provisoire.
C'est une loi incomplète, parce qu'elle ne comprend que l'organisation des cadres d'une partie de la force publique et qu'elle laisse de côté et la milice, et la loi du recrutement, et l'organisation de la garde civique qui forment les unes la base, les autres le complément de l'organisation militaire du pays.
C'est une loi provisoire, messieurs, parce qu'elle laisse en suspens une question qui, de l'aveu de tous les hommes pratiques, et notamment de l'honorable M. de Theux, domine toute l'organisation de l'armée, à savoir la question des forteresses.
Messieurs, ne prenons pas le change et qu'on ne fasse pas prendre le change au pays, sur le véritable état de ce débat. La question n'est pas de savoir s'il faut une armée, s'il faut une bonne armée. Oui, il faut une armée; oui, il faut une bonne armée. Au point de vue extérieur demander s'il faut une armée, c'est demander s'il faut une Belgique ; au point de vue intérieur, c'est demander si, à l'époque où nous sommes, il faut sauvegarder avec plus de soin que jamais le maintien de l'ordre et de la tranquillité publique. Or, à ce point de vue, je dis qu'il faut une armée, non seulement dans l'intérêt des classes qui possèdent, mais surtout dans l'intérêt des classes qui ne possèdent pas. Car, dans l'organisation actuelle de notre société, c'est le travail qui est le grand moteur ; c'est au travail que se rattachent le plus grand nombre d'existences. Or, qu'est-ce qui alimente le travail ? C'est le crédit. Qu'est-ce que le crédit? C'est la confiance ; et quand, sous le coup du désordre, la confiance a disparu, ce sont précisément les classes laborieuses qui souffrent le plus cruellement, Les classes riches sont frappées sans doute ; elles sont atteintes dans leur fortune mais toutes leurs ressources ne sont pas taries à la fois ; leur existence n'est pas en question. Les classes laborieuses au contraire, dès que l'ordre public se trouble, sont atteintes dans leur travail, c'est-à-dire dans leur existence même. Il faut donc une armée au point de vue de l'extérieur, parce qu'il faut une Belgique; il faut une armée au point de vue de l'intérieur, parce qu'il faut que l'ordre soit maintenu et que l'armée est un grand élément d'ordre. Mais n'exagérons pas le rôle et l'importance de l'armée. Il ne faut pas dire avec M. le ministre de la guerre que l'armée est à elle seule l'ordre. Il ne faut pas dire, comme M. le ministre de la guerre l'a fait imprudemment, que si la Belgique est restée calme au milieu de l'Europe bouleversée, elle ne l'a dû qu'à son armée. Non, messieurs, elle l'a dû surtout à ses institutions; elle l'a dû au respect de tous pour ses institutions, à l'amour de tous pour ses institutions; et c'est le plus bel éloge que l'on puisse faire de la Belgique : qu'à l'intérieur le rôle de l'armée a été à peu près nul, en ce sens qu'il a été presque entièrement préventif. Je le répète donc, il ne faut pas que le pays ni les chambres prennent le change sur la véritable portée du débat qu'on dénature, parce qu'en le dénaturant on dénature aussi les intentions de ceux qui y prennent part.
Le véritable objet de la discussion dans l'examen du budget de la guerre c'est l'organisation de notre armée. Cette organisation est-elle aussi bonne que possible, aussi économique que possible? Voilà la véritable question.
La question ainsi posée, M. le ministre de la guerre commence par nous opposer deux véritables fins de non-recevoir.
Il objecte en premier lieu l'incompétence de la chambre ; il objecte en second lieu que les projets auxquels semblent se rallier les adversaires du budget de la guerre ne sont que des projets en l'air, qui ne méritent aucune espèce de confiance, qui n'émanent pas d'hommes qui puissent sérieusement commander la confiance de la législature et du pays.
Cette double fin de non-recevoir, vous ne pouvez l'admettre, messieurs ; permettez-moi de le prouver.
Et d'abord quant à l'incompétence de la chambre, je la concevrais dans la bouche de l'honorable général de Liem qui prétendait que l'organisation de l'armée ne peut être réglée par la loi ; que c'est là une attribution essentielle de la couronne; et que la chambre en voulant organiser l'armée par une loi, empiété sur les prérogatives de la couronne.
Je comprendrais encore cette objection, si l'on avait dit à la chambre que son rôle se borne à examiner la question d'argent, et à voir si elle a confiance dans le ministre chargé du portefeuille de la guerre. Mais du moment que la chambre a été saisie d'un projet réglant l'organisation de l'armée; du moment qu'elle a examiné et voté ce projet; du moment qu'elle est appelée à examiner un budget de la guerre et non une liste civile de l'armée ; dès ce moment la chambre a le droit de discuter ; son incompétence ne peut être une objection sérieuse. Savez-vous pourquoi? C'est que vous n'avez pas seulement le droit d'examiner le budget, messieurs, mais c'est pour vous un devoir. Si vous étiez dans l'impossibilité d'apprécier l'utilité, la nécessité d'une dépense aussi considérable, vous n'auriez pas le droit de la voter. Si, en cette matière, la chambre ne sait ce qu'elle dit, évidemment elle ne sait ce qu'elle fait ! De là résulterait (page 839) cette conséquence, c'est que vous auriez dès maintenant à vous entourer de lumières nouvelles.
Avant d'allouer les crédits demandés pour le budget de la guerre, vous devriez donc commencer par vous éclairer sur l'organisation de l'année; vous devriez employer le moyen constitutionnel que vous avez à votre disposition pour vous éclairer sur les questions spéciales ; vous devriez faire ce qu'on a fait quand on s'est aperçu que la chambre n'était pas composée d'ingénieurs, et qu'on a nommé une commission d'enquête pour le tunnel de Cumptich ; ce qu'on a fait quand on s'est aperçu que la chambre n'était pas composée d'industriels et de commerçants, et qu'on a décrété une enquête industrielle et commerciale.
Vous auriez donc, avant d'aborder l'examen du budget de la guerre, à proposer la nomination d'une commission d'enquête qui, après s'être entourée des hommes les plus compétents du pays et de l'étranger, vous eût fait un rapport et vous eût mis à même de prononcer en connaissance de cause et sur l'organisation qui convient le mieux au pays et sur la dépense que cette organisation nécessite. Je demanderai si c'est là ce que veut M. le ministre de la guerre. Si c'est là ce qu'il veut, je m'y rallie de grand cœur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'a pas dit un mot de l'incompétence de la chambre.
M. d'Elhoungne. - Je rappellerai, pour répondre à l'interruption de M. le ministre de l'intérieur, ce que M. le ministre de la guerre a dit tout à l'heure à M. Thiéfry, qui est à coup sûr, et sans faire tort à aucun de nos honorables collègues, le plus compétent de nous tous. Or, si M. le ministre de la guerre estime à ce point la vieille expérience et les connaissances spéciales de l'honorable M. Thiéfry, je demande quelle opinion il doit avoir des nôtres? (Interruption.)
Toutefois, j'accuserai M. le ministre de la guerre d'une étrange inconséquence. Je vois bien, en effet, qu'il déclare incompétents, et il le fait virtuellement si pas d'une manière très explicite, tous les honorables membres qui critiquent son budget; mais je ne vois pas qu'il ait jamais objecté leur incompétence aux membres qui soutiennent son budget. Ainsi, notre honorable président, M. Verhaegen a fait, l'année dernière, un discours en faveur du budget de la guerre; M. le ministre l'a remercié avec effusion de son remarquable discours ; il ne lui a point dit qu'il n'y entendait rien... (Interruption.) J'invoquerai encore l'exemple de l'honorable rapporteur de la section centrale qui a reçu les félicitations chaleureuses de M. le ministre de la guerre, et qui est cependant aussi incompétent qu'aucun de nous (Interruption.)
Voyez d'ailleurs, messieurs, la portée d'une semblable objection; savez-vous ce qu'elle prouverait? Mais tout le contraire de ce que voudrait M. le ministre. Elle prouverait que la loi que nous avons faite est peu digne de nous arrêter; elle prouverait que cette loi du 19 mai 1845, objet des adorations de l'honorable M. de Man qui a voté contre elle, n'a nullement ce caractère de perpétuité, d'immutabilité derrière lequel il serait par trop commode de se réfugier aujourd'hui.
J'ai hâte d'ajouter au surplus qu'en provoquant la prompte révision de la loi sur l'organisation de l'armée nous ne blessons pas les intérêts de l'armée; car enfin cette loi, quoi qu'on en dise, n'a pas passé dans cette enceinte sans contestation, elle n'est pas sans compter de nombreux adversaires dans le pays.
Eh bien, savez-vous ce que beaucoup de ces opposants disent, en ce moment? « Attendons ! » C'est-à-dire : « Attendons que le sentiment du danger soit passé; attendons que la conscience des services rendus par l'armée soit affaiblie, alors nous réglerons l'organisation de l'armée sans souci pour l'avenir et sans reconnaissance pour le passé ! » Eh bien, je pense que s'il est un moment favorable pour l'organisation de l'armée, c'est le moment actuel. Jamais l'armée n'a été placée si haut dans l'opinion du pays; c'est le meilleur moment pour sauvegarder ses droits, pour lui assurer la récompense de ses services. Attendre, c'est rendre le poids des sacrifices toujours plus lourd, les préventions plus puissantes, les sympathies plus tièdes.
La seconde exception que M. le ministre de la guerre nous oppose, car M. le ministre de la guerre est un admirable avocat qui ne néglige aucune fin de non-recevoir, et il a cela de commun avec un général célèbre d'un pays voisin....
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Et avec vous.
M. d'Elhoungne. - J'en serais très flatté, M. le ministre. (Interruption.)
La deuxième exception que M. le ministre nous a opposée, c'est que les projets ou les contre-projets en quelque sorte, de ceux qui font de l'opposition au budget de la guerre sont des projets en l'air. Eh bien, messieurs, ces projets en l'air, nous allons un peu en faire la généalogie si vous voulez le permettre.
Le premier projet d'organisation, dont le chiffre est considérablement inférieur à celui de M. le ministre, fut présenté en 1831, par l'honorable M. Ch. de Brouckere, alors ministre de la guerre, et qui siège encore parmi nous. Le budget que cet honorable ministre dressa pour 1832 portait la dépense de l'armée sur le pied de paix à 11,800,000 florins des Pays-Bas, environ 25 millions de francs, y compris la gendarmerie, quoi qu'en ait dit l'honorable M. de Man dans son rapport.
Le second projet est celui présenté, pour 1833, par le général Evain ; il portait également la dépense à 25 millions de francs dans l'état normal, sur le pied de paix.
Le troisième projet est le budget de 1834, qui portait les dépenses ordinaires et extraordinaires à un total de 40 millions de francs ; les dépenses extraordinaires s'élevant à 18 millions, il restait pour les dépenses ordinaires, c'est--dire pour le budget normal, sur le pied de paix, 25 millions.
Le quatrième projet, c’est le budget de 1835 qui portait la dépense totale à 41,550,000 fr., et la dépense extraordinaire étant de 16,550,000 fr., il restait 25 millions pour le budget normal.
Le cinquième projet, c'est le budget de 1836 qui portait la dépense totale à 38,100,000 fr.; et la dépense extraordinaire étant de 13,100,000 francs, il restait 25 millions pour le budget normal.
Le sixième projet, c'est le budget de 1837, qui portait la dépense totale à 58,380,000 fr.; et la dépense extraordinaire étant de 13,380,000 francs; il restait 2b millions pour le budget normal.
Le septième projet, c'est le budget de 1838 ; il portait la dépense totale à 43,500,000 fr., et la dépense extraordinaire à 18,500,000 fr.; de sorte qu'il restait 25 millions pour le budget normal.
Enfin le budget de 1839 forme le huitième projet; il portait la dépense totale à 44,320,000 fr., y compris 19,520,000 fr. de dépenses extraordinaires, de sorte qu'il restait encore une fois 25 millions de francs pour le budget normal de l'état de paix.
Vous voyez donc, messieurs, que l'opposition qui a commencé à se manifester contre le budget de la guerre en 1840, que cette opposition ne s'est pas follement éprise de projets en l'air ; mais elle demandait l'accomplissement des promesses faites solennellement au pays pendant tant d'années, par MM. Ch. de Brouckere, Evain, Willmar, Buzen, tous quatre ministres de la guerre, tous hommes spéciaux, hommes du métier. Elle demandait que ces promesses fussent tenues, après avoir été tant de fois renouvelées à la face du pays. Elle l'exigea par 49 voix contre 16.
Cette opposition, croyez-le bien, ne se composait pas de démolisseurs ; et puisqu'on a nommé les honorables membres qui siègent encore dans cette enceinte, et qui ont voté pour le projet du général de Liem, je me permettrai aussi de citer les honorables membres que nous avons encore le bonheur de compter parmi nous, et qui ont voté contre le budget du général de Liem. C'étaient MM. Cools, Delehaye, Delfosse, Lange, Osy, Pirmez, Troye, Rodenbach, Dumortier, le comte de Theux et l'honorable M. d'Hoffschmidt, ministre des affaires étrangères. (Interruption.)
Vous le voyez donc, messieurs, l'opposition qui combat le budget de la guerre en Belgique se trouve aujourd'hui exactement dans la même position où se trouve la grande ligue anglaise pour les économies; elle ne présente pas un budget d'amateur; elle demande qu'on choisisse entre des budgets également présentés par des hommes spéciaux, par les ministres de la guerre qui ont eu successivement la confiance de la législature.
Maintenant, messieurs, si, dans cet état de la question, M. le ministre de la guerre venait dire : Je comprends que l'organisation de l'armée dépasse pour le temps de paix, pour l'état normal, les ressources ordinaires du budget ; s'il venait promettre une prochaine réorganisation de l'armée; s'il demandait d'ajourner le débat à raison des circonstances; s'il nous demandait de voter le budget en partie comme budget extraordinaire, à raison de la position du pays et de l'Europe, eh bien! je dois le dire, je me serais contenté d'une pareille promesse; je n'aurais pas vu d'obstacle à donner, sous ces conditions, un vote favorable au budget de la guerre. Mais lorsque M. le ministre de la guerre déclare que l'organisation de l'armée doit être maintenue comme un minimum irréductible ; qu'on ne peut pas aller au-delà des économies qu'il a proposées, répétant en cela, du reste, ce qu'on a toujours dit, car l'honorable général de Liem n'avait pas manqué de faire la même chose; à mon tour, je suis forcé de donner à M. le ministre de la guerre l'avertissement que la chambre de 1840 a donné au général de Liem en votant contre le budget. Et je dirai, en passant, que le vote de 1843, que l'honorable M. Lebeau a appelé « un incident fâcheux, » n'a pas été si fâcheux pour les contribuables. Il nous a valu plusieurs millions d'économies ; et, pour mon compte, je n'y vois rien de regrettable, puisque l'armée est aujourd'hui, à coup sûr, aussi bonne qu'elle l'était sous le général de Liem.
On dit : Mais en votant contre le budget de la guerre, vous voulez la désorganisation de l'armée. M. le ministre a même employé un mot plus énergique et plus injuste encore, il a dit : « Vous voulez mutiler l'armée. » Eh! mon Dieu, non; savez-vous qui veut désorganiser l'armée, en réduisant, en mutilant les compagnies? M. Thiéfry vous l'a dit, c'est M. le ministre de la guerre lui-même. En effet, M. le ministre propose de diminuer l'effectif; il propose de réduire les compagnies à 42 hommes pour les 12 régiments de ligne (je ne parle que de l'infanterie, qui est la base de toute l'organisation de l'armée, car toutes les armes se règlent d'après l'infanterie).
Eh bien, M. le ministre veut réduire les compagnies d'infanterie à 42 hommes, de sorte que si l'on retranche 14 sous-officiers et tambours, il reste 28 hommes; et si vous en retranchez encore deux pour les malades, les absents, les punis, il reste des compagnies de 26 hommes! Ces compagnies donnent 738 hommes par régiment, et pour ces 738 hommes, vous avez 403 officiers de l’état-major et des compagnies, sous-officiers, caporaux , petit état-major, etc.
Voilà, messieurs, ce que propose le ministre de la guerre, par le budget de 1849.
M. le ministre de la guerre a voulu répondre à une observation de mon honorable ami M. Manilius, qui a établi une comparaison entre la solde que l’on paye aux troupes et la solde qu'on paye aux officiers. M. le ministre a nié la disproportion qui existe entre ces chiffres.
(page 840) Cependant, messieurs, il existe 12 régiments de ligne qui coûtent fr. 6,820,000 par an. Or, dans ce chiffre, il y a fr. 2,293,000 seulement pour la solde des soldats...
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - C'est une erreur complète.
M. d'Elhoungne. - Je parle des 12 régiments d'infanterie. Je ne parle pas des chasseurs. S'il y a une erreur elle ne peut être que très légère. Du reste, M. le ministre répond si facilement; s'il voulait retarder sa réponse, et ne pas m'interrompre...
Je dis donc, messieurs, que nous avons 2,293,000 ou 2,295,000 fr. pour la solde des soldats et nous avons 4,226,000 pour l'état-major, les officiers, les sous-officiers, le petit état-major, les tambours, etc. Ici, nous touchons à la véritable difficulté. Lors de la discussion du budget de la guerre, présenté par le général de Liem, quel était précisément le double vice qu'on reprochait à son organisation, double vice qui a fait rejeter le budget? C'est que cette organisation diminuait l'effectif d'une manière nuisible à l'armée et qu'elle consacrait aux cadres une somme beaucoup trop élevée; on disait : C'est trop peu pour l'effectif; c'est trop pour les cadres.
Eh bien, messieurs, je n'hésite pas à dire que le budget présenté par M. le ministre de la guerre ne fait qu'aggraver ce double vice de notre organisation militaire.
M. le ministre de la guerre, permettez-moi de le dire, a une manière toute particulière de discuter; lorsque vous lui objectez que les cadres coûtent trop cher, il invoque l'exemple des pays qui ont des cadres très chers, parce qu'ils ont constamment un effectif considérable, comme la France et l'Angleterre.
Lorsque vous lui objectez la faiblesse de son effectif, lorsque, vous lui dites qu'il ne maintient pas assez longtemps les hommes sous les armes pour avoir de bons soldats, il vous répond par l'exemple de la Prusse et de la Bavière, qui ont un effectif très faible, avec des cadres peu coûteux. C’est-à-dire, messieurs, que lorsqu'il s'agit de justifier la cherté des cadres, il invoque les puissances qui ont un effectif considérable et constamment sous les drapeaux ; lorsqu'il s'agit de justifier la faiblesse de l'effectif, il allègue les puissances qui ont des cadres plus économiquement établis.
Ne voyez-vous pas dans cette argumentation, la preuve que nous avons les inconvénients de deux systèmes; que nous avons des cadres aussi chers que les pays à grand effectif sans avoir les avantages qu'ont ces pays; et que nous avons un effectif sans consistance, les hommes ne séjournant pas assez longtemps sous les drapeaux, sans avoir l'économie que ce système procure aux nations qui l'ont adopté? Nous avons donc fait de l'éclectisme militaire d'une étrange façon, nous avons pris ce qu'il y a de moins bon ; au lieu de copier les organisations militaires des autres peuples, dans ce qu'elles avaient de plus parfait, nous avons pris les inconvénients des deux systèmes. Je puis, sans doute, me tromper dans cette appréciation ; je n'ai pas l'honneur d'être général ; je n'ai pas fait de nombreuses campagnes; mais des hommes du métier en ont jugé de même; l'honorable M. Thiéfry l'a démontré avec une grande force; et je pense que M. le ministre de la guerre ferait bien de serrer de plus près les objections de cet ordre, et de prouver que nous avons à la fois les avantages des deux systèmes ; que nous avons à la fois une armée aussi forte que l'armée anglaise, sous le rapport des cadres et de l'effectif, et une armée entretenue à aussi peu de frais que l'armée prussienne. Cette double démonstration ferait faire un grand pas à la discussion du budget de la guerre.
J'ai dit qu'il était facile de prouver à la chambre que le budget de la guerre, présenté par le ministère actuel, aggrave les vices de l'organisation de M. le général de Liem, au lieu de les corriger.
En effet, au point de vue de l'infanterie qui est la base de toute l'organisation militaire, le général de Liem présentait l'effectif suivant :
Pour le régiment d'élite, 1,440 soldats ; pour 12 régiments de ligne, 10,800 soldats, pour 3 régiments de chasseurs, 2,700 soldats, pour 3 compagnies sédentaires 200 soldats, pour 1 compagnies de discipline, 240 soldats. Total de l’effectif de l’infanterie, 15,380 soldats.
Maintenant le chiffre de l’effectif présenté par M. le ministre de la guerre donne les résultats suivants :
1 régiment d’élite, 1,224 soldats
12 régiments de ligne, 8,856 soldats
3 régiments de chasseurs, 2,394 soldats
1 compagnie sédentaire, 100 soldats
2 compagnies de discipline, 200 soldats.
Total 12,774 soldats.
Mais M. le général de Liem avait-il des motifs d'insister pour obtenir un effectif plus considérable? L'honorable M. Thiéfry a déjà fait connaître, en la résumant, l'opinion de cet ancien ministre; que la chambre me permette de lui citer cette opinion en entier. Voici comment s'exprimait le général de Liem qui voulait porter l'effectif de 55 hommes à 69 et 79 sur le pied de paix :
« Les corps d'infanterie, tels qu'ils étaient constitués sur le pied de paix, loin de pouvoir supporter une réduction d'effectif, désirable dans le but d'économie qu'on cherchait à atteindre, n'offraient aucune consistance ni dans l'intérêt de l'instruction, ni dans celui du service, et leurs compagnies ne présentaient quelquefois pas le personnel nécessaire pour assurer aux soldats les nuits de repos que leur accordent les règlements. Un tel état de choses compromettait à la fois la santé du soldat, le service et l'avenir de l'armée ; il était urgent de chercher à y remédier. »
Ces inconvénients, messieurs, existent aujourd'hui. Le soldat n'a pas le nombre de nuits nécessaires, celui que les règlements lui accordent; il est exténué, harassé par le service de garnison ; et cet état de choses est tel qu'il suffirait, à lui seul, pour détourner de la carrière des armes les volontaires qui sont cependant la véritable force des armées.
Ce n'est pas une opinion isolée que celle du général de Liem ; M. le ministre de la guerre s'est appuyé hier sur l'opinion du maréchal Soult; que la chambre me permette de nouveau de lui lire en entier une opinion du maréchal Soult, dont l'honorable M. Thiéfry n'a donné aussi que la substance. Voici comment l'illustre maréchal s'exprimait dans l'exposé des motifs du budget de 1843 :
« La réduction devait donc porter presque en totalité sur l'infanterie; mais pour atteindre ce but sans aucune suppression de cadres, il aurait fallu abaisser l'effectif de chaque compagnie à 60 hommes, y compris les officiers, sous-officiers, caporaux, tambours et enfants de troupes, c'est-à-dire à 39 soldats, qui n'en auraient fourni en réalité que 30 au plus pour le service, en défalquant les hommes malades, en congé, etc., tandis qu'il est reconnu que les compagnies ne peuvent avoir quelque consistance et faire un bon service qu'autant que leur force s'élève au moins à 80 hommes. »
Dans la discussion du budget de 1843, l'honorable M. Brabant, rapporteur de la section centrale, a cité une foule d'autres autorités militaires qui se sont prononcées avec la plus grande énergie dans le même sens.
Enfin la commission d'officiers supérieurs de notre armée, qui a été appelée à émettre son avis sur l'organisation de l'armée et sur le système de défense du pays, a développé dans son travail la même opinion. Elle a déclaré, elle aussi, que 55 hommes ne suffisaient pas pour donner la consistance nécessaire aux compagnies; que 55 hommes ne permettaient pas à la compagnie de se maintenir dans les conditions nécessaires à la santé du soldat, aux exigences du service, à l'instruction des officiers, à l'avenir de l'armée.
C'est là, en effet, un défaut capital; M. le ministre de la guerre le contestera-t-il? Je l'ignore. Mais je vois toutes les autorités unanimes pour affirmer qu'il est impossible que l'officier qui a une vingtaine d'hommes à commander, se forme au commandement ; qu'il est impossible que des soldats qui ne restent que quelques mois sous les drapeaux soient des soldats solides, sur lesquels on puisse compter.
Il y a donc là un vice et au point de vue des officiers et des soldats; et au point de vue de l'Etat, puisqu'on lui impose plus de sacrifices, en retour de moins de sécurité; et au point de vue des familles, auxquelles on demande trop de militaires. Et ici j'opposerais, au besoin, à l'honorable général Chazal, l'opinion que lui-même a émise l'année dernière. Répondant au colonel Eenens, l'honorable général Chazal disait qu'on ne forme pas un fantassin en quelques mois ; qu'il y faut plusieurs années, comme Napoléon lui-même l'avait dit avec tant de chaleur à l'amiral Truguet, au sein du conseil d'Etat.
C'est dans cette même discussion, si mes souvenirs sont exacts, que M. le ministre a rappelé que Napoléon, sur le champ de bataille de Wagram, regrettait ses vieux soldats d'Austerlitz. Hier, cependant, l'honorable ministre de la guerre nous disait qu'au camp de Beverloo on avait improvisé une armée d'Austerlitz.
Messieurs, si vous vouliez mettre le doigt sur l'état vrai de notre armée, vous n'auriez qu'à consulter les paroles prononcées hier par M. le ministre de la guerre ; ne vous a-t-il pas fait connaître que les sous-officiers retournent en masse dans leurs foyers ? que plusieurs soldats ont refusé de l'avancement, pour pouvoir rentrer dans leurs familles ? Je demande si c'est là une preuve que l'esprit militaire est très vif dans notre armée; je demande si c'est la une organisation si forte et si parfaite qu'on ne puisse y rien innover?
Messieurs, le budget de la guerre actuel vient encore aggraver les vices du système qui a été présenté en 1843 par le général de Liem, car il exagère en second lieu les dépenses des cadres. Je ne ferai pas ici de commentaires; je suis d'avis avec M. le ministre de la guerre qu'il n'y a rien de plus éloquent que des chiffres. Permettez-moi, messieurs, de comparer quelques chiffres.
Le budget présenté par le général de Liem proposait pour l'état-major général, fr. 497,000
M. le général Chazal demande fr. 675,000
M. le général de Liem demandait pour l'état-major des provinces et des places, fr. 265,036
M. le général Chazal demande fr. 271,620
Pour le service des intendances, le général de Liem demandait fr. 109,151
M. le général Chazal demande fr. 140,900
M. le général de Liem demandait pour les traitements du service de santé, fr. 280,855
M. le général Chazal demande fr. 337,014
L'école militaire figurait au budget du général de Liem pour une somme de fr. 150,000
Et elle figure au budget de l'honorable général Chazal pour une somme de fr. 177,820
(page 841) Or, il est remarquable que dans l'organisation de notre armée, les services que je viens d'énumérer soient précisément ceux qui offrent le moins de différence, que l'armée soit sur le pied de paix ou sur le pied de guerre.
Ce sont précisément ces chapitres de notre budget qui sont les mêmes, qui n'éprouvent aucune variation, que l'armée soit de 80,000 hommes ou de 28 à 30,000 ; c'est toujours la même dépense. Cependant tous ces services ne peuvent pas être également pénibles, également difficiles et compliqués ; réclamer le même nombre de fonctionnaires quand l'armée ne se compose que de 28 à 30,000 hommes ou quand elle est mise sur le pied de guerre et portée à 80,000 hommes.
Ces objections, qui me détermineraient à voter cotre le budget de la guerre, comme une manifestation énergique du vœu que je forme pour la révision de la loi d'organisation de l'armée, ne se trouvent pas détruites par les économies que M. le ministre de la guerre a introduites dans son budget; déjà les honorables membres qui ont pris part à la discussion ont démontré que ces économies étaient très problématiques ou du moins n'étaient pas permanentes.
En effet, vous ne pouvez pas compter que les prix des céréales et des fourrages resteront toujours au taux où ils sont. Le matériel de l'artillerie et du génie n'aura pas chaque année été rajeuni, renouvelé, par un supplément de 7 millions de crédits extraordinaires. Il en est de même de la remonte. Les autres années, il faudra en revenir aux chiffres proposés par les prédécesseurs de l'honorable général. Ces économies sont réelles, j'en conviens, pour cette année; je les accepte avec plaisir; mais ce ne sont pas des économies qui se reproduiront.
D'après ces considérations, je crois avoir suffisamment justifié ma résolution de demander la révision de la loi du 25 mai 1845 ; et le vœu que je forme pour la réforme la plus prompte possible de l'organisation de l'armée.
Je regrette, messieurs, de n'avoir pu relire dans le Moniteur l'apologue historique par lequel l'honorable général Chazal a terminé son discours d'hier. Dans le premier moment, j'ai trouvé, je dois le dire, quelque chose de blessant dans le rapprochement qu'il a fait entre les républicains et les orangistes des provinces unies au XVIIème siècle et les membres de cette chambre qui demandent des économies dans les dépenses de l'Etat. Il y a des mots malheureux, des rapprochements qu'à certaines époques il ne faut pas faire, parce qu'alors ils ne sont pas inoffensifs, et ne peuvent qu'envenimer la discussion.
Il ne faut pas non plus arranger l'histoire d'une manière aussi théâtrale, et avec une exactitude si contestable que l'a fait M. le ministre de la guerre. S'il faut l'en croire, quand la conquête de la Hollande par Louis XIV eut lieu, c'est qu'il y avait eu des députés, apparemment les honorables MM. Osy et Delfosse de ce temps-là, qui s'étaient opposés aux dépenses nécessitées par les besoins de l'armée, et qui avaient sacrifié par la même parcimonie la diplomatie hollandaise.
Est-ce là ce que nous apprend l'histoire? Eh ! qui ne sait que si les états demandaient des économies, c'est précisément parce que la Hollande avait immensément dépensé dans les luttes gigantesques qu'elle avait soutenues sur toutes les mers, contre la Grande-Bretagne? Elle avait tout sacrifié pour fortifier son armée de mer qu'elle considérait, à juste titre, comme la condition de son existence et de sa prospérité.
Les historiens sont d'accord que ce n'est pas seulement à la parcimonie des états qu'il faut attribuer le peu de résistance que rencontra l'armée française, mais à beaucoup d'autres causes : telles que la mauvaise organisation de l'armée; les dilapidations des chefs militaires ; l'introduction d'un grand nombre d'étrangers dans l'armée; les malversations de toute nature qui firent que des places qu'on croyait imprenables se trouvèrent démantelées, avec un matériel délabré, des affûts de canon hors d'état de servir : c'est un grave historien, M. Sunonde de Sismondi. qui le dit. Voilà quelques-unes des causes qui ont amené la défaite et paralysé la résistance des Hollandais , indépendamment de ce que la lutte était par trop inégale, puisque l'armée française comptait 173,000 hommes.
L'autre fait allègue par M. le ministre de la guerre, c'est-à-dire la faiblesse de la diplomatie hollandaise, que la parcimonie des états avait désorganisée, n'a pas plus de réalité. Non, ce n'étaient point des diplomates insuffisants, que les ambassadeurs choisis par Jean de Wit. Ces diplomates s'appelaient Hugo Grotius, Van Beuningen, Borel; c'étaient les hommes les plus considérables de cette époque; leurs dépêches sont aujourd'hui encore citées comme des modèles. Ce matin même je relisais une dépêche de Grotius, dans laquelle il prévenait les états des préparatifs qui se faisaient en France contre la Hollande, et leur recommandait de se tenir sur leurs gardes.
Mais savez-vous où était le mal? C'est que, à côté de l'illustre Jean de Wit et du parti républicain, se trouvait le parti de la maison d'Orange, qui entravait toutes les mesures proposées, parce qu'il voulait profiter des désastres de la patrie pour opérer une révolution.
Cette situation de la Hollande aurait beaucoup d'analogie avec celle qui se présenterait en France, si une armée étrangère voulait l'envahir, et que le parti monarchique, qui se trouve au sein de l'assemblée nationale, eût jeté les yeux sur un prince de la dynastie déchue pour le mettre sur le trône et à la tête de l'armée. Mais, y a-t-il rien de semblable ici? Ici, où nous sommes tous d'accord sur le but à atteindre si quelques dissidences existent sur les moyens de l'atteindre ?
Puisque M. le ministre a fait des rapprochements historiques, je m'en permettrai deux.
L'année dernière M. le ministre disait que l'organisation de notre armée avait servi de modèle à l'organisation de l'armée piémontaise ; on avait copié notre organisation ; on avait écarté les vieux généraux: eh bien, cette armée a-t-elle triomphé dans les plaines de la Lombardie? Autre rapprochement que je soumets aux méditations de M. le ministre de la guerre. Il y a un an, un homme d'une incontestable supériorité, le monarque d'une nation puissante, semblait assis inébranlable sur son trône. Il n'avait point négligé l'appui d'une armée nombreuse. Il n'avait que trop épuisé les finances de son royaume à élever des forteresses, à développer ses forces militaires. Eh bien! une émeute a surgi, émeute dont les proportions étaient mesquines; et son armée ne l'a point sauvé! Ceux-là mêmes qui lui avaient constamment dit de compter sur la force matérielle, sur l'appui d'une armée, l'ont abandonné sans le défendre.
- Plusieurs voix. - A demain ! à demain J
- D'autres voix. - Non ! non ! Continuons.
- La chambre, consultée, décide que la séance sera continuée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, mon intention n'est pas de suivre l'honorable préopinant, dans les divers détails techniques dont il a abordé l'examen. Ces sortes de questions rentrent plus particulièrement dans les attributions de mon honorable collègue, le ministre de la guerre; je ne doute pas qu'il ne soit parfaitement en mesure de répondre aux observations de l'honorable M. d'Elhoungne.
Messieurs, je dois m'arrêter à quelques généralités seulement du discours de l'honorable représentant de Gand; et d'abord je regrette que pour se poser sans doute sur un terrain facile, l'honorable membre ait cru devoir exagérer singulièrement la portée de plusieurs des observations de mon honorable ami M. le ministre de la guerre.
D'abord, dit-il, M. le ministre de la guerre a nié la compétence de la chambre pour examiner la question d'organisation militaire, la question du budget de la guerre.
M. le ministre de la guerre n'a, en aucune manière, nié la compétence de la chambre. A aucune époque, aucun ministre n'est entré, vis-à-vis de la chambre, dans des explications aussi détaillées, aussi complètes que l'a fait M. le ministre de la guerre pour défendre son budget. M. le ministre a pu, sur certains points spéciaux, nier la compétence de tel représentant. Mais nier la compétence de la chambre pour discuter un budget de la guerre, jamais une pensée pareille n'est entrée dans la tête de mon honorable collègue et n'est sortie de sa bouche.
Seconde exagération : M. le ministre de la guerre aurait attribué exclusivement, uniquement à notre armée la bonne situation de la Belgique, l'attitude calme qu'elle a gardée au milieu de l'ébranlement général.
M. le ministre de la guerre n'a pas attribué uniquement à l'armée cette attitude de la Belgique. Il a dit, et cela ressortait de l'ensemble de son discours , que l'armée était une des colonnes de l'ordre, de la tranquillité dans le pays, et sous ce rapport, l'honorable M. d'Elhoungne a partagé entièrement l'opinion de M. le ministre de la guerre, lorsqu'il est venu vous dire qu'il voulait le maintien de l'armée comme garantie de l'ordre à l'intérieur du pays.
Ainsi, messieurs, commençons par écarter ces exagérations. Il ne convient pas que la chambre délibère et vote sous cette impression qu'elle aurait pu recueillir des paroles de l'honorable député de Gand, que M. le ministre de la guerre la déclarerait incompétente à examiner les questions qui se rattachent à son budget. Nous avons, messieurs, pour les prérogatives parlementaires trop de respect, nous nous sentons la représentation trop fidèle du parlement, pour mettre jamais en doute sa compétence, lorsqu'il s'agit des questions qui peuvent lui être soumises, politiques, militaires, administratives ou autres.
M. le ministre de la guerre n'a pas dit non plus que la discussion soulevée à l'occasion de son budget présentait un danger pour l'armée. Mais il a dit qu'il y avait danger à remettre chaque année en question l'organisation même de l'armée, et sous ce rapport je m'associe entièrement aux observations de M. le ministre de la guerre. Oui, messieurs, il y a danger à remettre chaque année en question l'organisation de l'armée. Il faut, et ce n'est même ici que l'intérêt le plus faible, que non seulement les officiers qui composent les cadres de l'armée soient garantis dans leurs honneurs, dans leurs grades, dans leur existence, mais il faut surtout que la nation ait la garantie du maintien d'une institution aussi essentiellement liée que l'est l'armée, à l'ordre public, à la sécurité du pays.
Du reste, messieurs, je dois, je pense, féliciter le gouvernement du progrès qui semble s'être manifesté dans l'opinion de l'honorable député de Gand. Si je l'ai bien compris, la différence entre le système de M. le ministre de la guerre et le sien, système cependant dont j'attends encore la formule... (interruption), la différence entre le budget de l'honorable membre et celui qui est présenté viendrait en définitive se résumer en une somme de 2 millions.
Le budget qui vous est soumis aujourd'hui, à la suite de réductions successives et significatives, présente une somme de 27 millions. L'honorable M. d'Elhoungne, sans tenir compte des accroissements nécessaires de dépenses nées d'institutions nouvelles annexées à l'armée, vous a dit que cette dépense, d'après tous les antécédents, devait s'élever à une somme de 25 millions. Est-ce là le dernier mot de l'honorable M. d'Elhoungne?
M. d'Elhoungne. - Certainement non.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Alors je l'engagerai à bien vouloir démontrer à la chambre comment, en descendant même au-dessous de 25 millions, il pourra assurer au pays cette bonne armée, cette armée (page 842) bien organisée qu'il proclame nécessaire, attendu qu'il considère cette institution comme la condition du maintien de l’ordre et de l'indépendance. Je l'attends à l'œuvre pour apprendre comment, avec une somme inférieure à 25 millions, il pourra donner au pays une pareille institution.
Pour le moment, il paraîtrait que la différence entre l'honorable M. d'Elhoungne et nous se résume dans une somme de 2 millions. Il lui reste dès lors à expliquer comment dès aujourd'hui, il voudrait descendre le budget de 27 millions à 25 millions. C'est encore une démonstration que nous attendons de lui.
Autre exagération du discours de l'honorable représentant : « Si M. le ministre de la guerre, vous a-t-il dit, avait déclaré que dans l'avenir il pourra peut-être introduire de nouvelles économies dans l'armée, oh ! je comprends trop bien les nécessités de la situation pour me refuser à lui donner en ce moment un vote approbatif. Mais M. le ministre de la guerre, a-t-il ajouté, a déclaré de la manière la plus formelle que ce chiffre de 27 millions était définitif, était permanent, qu'il n'y avait plus rien à en réduire jamais. »
Eh bien, messieurs, M. le ministre de la guerre n'a pas dit cela. L'honorable général vous a demandé un budget de 27 millions, pour soutenir une armée en état de faire face aux besoins de la situation intérieure et extérieure. Mais il ne vous a pas dit, il n'a pu vous dire que, pour toujours, ce chiffre de 27 millions figurerait comme chiffre normal, définitif, permanent, au budget de l'Etat.
Vous tenez compte des circonstances. Si vous n'aviez garde qu'aux circonstances, vous voteriez, semble-t-il, le budget de 27 millions. Eh bien ! votez donc ce budget et réservez l'avenir tant que vous voulez. Si vous êtes sincère, comme je n'en doute pas, si vous voulez accorder au gouvernement les ressources nécessaires pour faire face aux besoins des circonstances, votez, je le répète, son budget. Après cela, livrez-vous à des attaques; critiquez prudemment ou imprudemment l'organisation de l'armée. Allez même jusqu'à soutenir qu'elle pourrait, dans une circonstance donnée, jouer le rôle d'armées qui, après avoir été victorieuses ont été misérablement vaincues, libre à vous ; nous ne vous contestons pas la liberté de la tribune. Mais ce que nous vous demandons, c'est un budget pour 1849; c'est un budget destiné à soutenir l'armée pendant l'année 1849.
Pour l'année 1850, si les circonstances viennent à changer, si ce qui est en projet dans divers pays passe dans la réalité des faits, si en effet l'Europe désarme, si en France, en Angleterre, en Allemagne, de tous côtés, il y a désarmement, messieurs, le gouvernement belge n'est pas assez déraisonnable pour songer à rester lui seul armé, alors que de toutes parts le désarmement s'opérerait autour de lui. Mais quant à donner le signal du désarmement, quant à entrer le premier dans cette voie, environnée comme est la Belgique, menacée comme elle peut être, c'est un acte d'imprudence auquel, pour notre part, nous ne nous associerons pas; c'est un acte que je défierai l'honorable M. d'Elhoungne d'oser poser en ce moment.
M. d'Elhoungne. - Quel acte?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'acte d'affaiblir en ce moment nos forces militaires.
M. d'Elhoungne. - C'est M. le ministre de la guerre qui les réduit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'y a pas un homme intelligent, il n'y a pas un homme prudent dans cette enceinte, qui voudrait, à l'heure qu'il est, proposer une diminution de nos forces militaires, et la preuve, c'est que pas une seule proposition n'est déposée. Et il y a cela de singulier que nous sommes forcés, dans cette discussion de combattre des généralités, des hypothèses, mais que personne ne présente une proposition qu'on puisse directement combattre.
Si un budget de 27 millions est trop élevé, proposez une réduction ; nous la discuterons. Dites de combien vous voulez cette réduction ; la voulez-vous d'un million, de 2 millions, de 5 millions, de 10 millions, comme on l'a dit un jour?
Je sais, messieurs, que les adversaires du budget de la guerre, tel que nous le présentons, sont loin de s'entendre entre eux. L'honorable M. d'Elhoungne n'a pas dit son dernier mot. Nous ne savons pas si c'est à 25 millions qu'il veut s'arrêter.
Mais l'honorable M. Jullien a un procédé beaucoup plus radical, beaucoup plus économique. Ce ne serait pas 25 millions qu'il nous faudrait ; nous pourrions nous défendre avec un procédé beaucoup moins coûteux, à la portée de tout le monde, et dont tout le monde en Belgique peut disposer et disposerait au besoin. L'honorable M. Jullien veut défendre la Belgique avec du patriotisme, avec du civisme. Pas d'armée, le civisme belge suffira.
M. Jullien. - Je n'ai pas dit cela, M. le ministre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai pris note de ce que disait l'honorable M. Jullien. Il a fait comprendre l'inutilité d'une armée pour une nation animée d'autant de patriotisme.
M. Jullien. - Je n'ai pas dit qu'il ne fallait pas d'armée, je n'ai pas tenu ce langage.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voulez-vous une demi-armée, un quart d'armée? Où vous arrêtez-vous?
M. Jullien. - J'ai demandé une armée moins dispendieuse.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dites que vous voulez une armée plus faible. Si vous voulez une armée telle que nous l'avons, vous devez accorder ce que nous vous demandons.
Demander, messieurs, une armée forte, comme on le dit, vigoureuse capable de maintenir l'ordre à l'intérieur, capable de défendre les frontières, et refuser au gouvernement les sommes nécessaires pour faire face aux dépenses d'une telle armée, c'est vouloir des choses contradictoires : c'est vouloir éviter l'espèce d'impopularité qui peut s'attacher à l'opinion qui veut une armée forte, et en même temps rechercher la popularité qui entoure ceux qui veulent des économies, alors même qu'elles peuvent avoir les plus fâcheux effets sur le maintien de nos institutions.
Messieurs, l'honorable député de Gand a relevé avec une sorte d'aigreur l'allusion historique que M. le ministre de la guerre s'était permise hier en parlant de la situation de la Hollande il y a deux siècles, et de la situation de la Belgique d'aujourd'hui. Le ministre a appelé, messieurs, les partis d'alors par leurs noms, sans vouloir faire de rapprochement fâcheux pour les partis d'aujourd'hui. Quant au parti républicain, nous ne pensons pas, messieurs, qu'il y ait en Belgique une opinion qui mérite jusqu'à ce jour le nom de parti républicain. Mais, messieurs, le fait cité par M. le ministre de la guerre, ce fait historique n'est pas niable.
La Hollande s'est-elle trouvée en position de repousser les armées de Louis XIV, lorsque ce grand roi s'est présenté pour la conquérir? Tous les mémoires, tous les historiens sont d'accord pour dire que l'armée de terre de Hollande était dans une position tout à fait inférieure, dans un état de complète désorganisation, qu'il n'y avait pas d'approvisionnements, que dès le début de la guerre il ne restait pas de poudre pour le service de l'armée. Il n'y a rien d'offensant à rappeler ces faits en 1849.
Qu'est-il arrivé? L'armée hollandaise, tombée dans un état de désorganisation complète, se trouva sans chefs, sans vivres, sans magasins ; elle fut dans l'impossibilité de résister, et ses places fortes tombèrent successivement. Nie-t-on ces faits? Quel mal y a-t-il à les rappeler ? N'est-ce pas l'histoire du passé qui doit souvent nous servir de leçon pour bien guider notre conduite présente?
Permettez-moi aussi un autre rapprochement. Un escadron de cavalerie était chargé de la garde de la prison qui renfermait les frères de Witt. Le peuple, qui en voulait à ces grands hommes, s'agitait pour forcer les portes de la prison, le commandant de la cavalerie faisait résistance; il jurait de succomber plutôt que de céder la place. Au même instant, les paysans des environs de la Haye entraient par divers côtés pour se livrer au pillage de la ville. Ordre fut donné au commandant d'abandonner la porte de la prison ; vous savez le reste; vous savez ce que fit le peuple, ce que devinrent les prisonniers.
On a parlé, messieurs, de la garde civique. Sans doute la garde civique deviendra un soutien efficace de l'armée dans les circonstances difficiles; mais croit-on que l'ordre soit si solidement, si définitivement établi dans les sociétés modernes qu'elles puissent se passer d'armées fortement constituées, et se défendre avec le seul secours de la bourgeoisie? Qu'on interroge, messieurs, la garde civique elle-même, qu'on lui demande si en l'absence de l'armée elle aurait autant de confiance en elle-même pour résister aux désordres qu'elle en trouverait ayant à côté d'elle, derrière elle une armée prête à soutenir ses efforts.
Mais avant que l’institution de la garde civique puisse, dans une certaine mesure, remplacer l'armée, attendez au moins qu'elle ait l'instruction qui donne la confiance et la force.
L'année dernière, messieurs, le ciel ne présentait aucun nuage; on proposait le désarmement. Un mois après, personne ne parlait plus de désarmer ; les chambres votaient d'enthousiasme des sommes considérables pour fortifier l'armée. Si maintenant, messieurs, les jours deviennent meilleurs, si, en effet, cet esprit de paix prêché par des philanthropes qui, je l'espère, ne se font pas illusion ; si cet esprit pénétrait successivement toutes les nations, si le spectacle des troubles, des émeutes, des menaces que nous avons sous les yeux, venait à cesser pour faire place au spectacle de la fraternité vraie, de la liberté vraie, chez toutes les nations, qui songerait, en Belgique particulièrement, à tenir sur pied une armée devenue en quelque sorte inutile, qui songerait à consacrer chaque année 27 millions de nos meilleurs revenus à maintenir l'armée sur le pied où nous croyons qu'elle doit être maintenue aujourd'hui ?
Attendons, messieurs; voyons d'un œil attentif et vigilant ce qui se passe autour de nous; je le répète, si les peuples voisins croient qu'ils peuvent en toute sécurité diminuer, affaiblir leur établissement militaire, eh, mon Dieu ! la Belgique marchera facilement sur leurs traces ; mais si, au contraire, loin de voir dans un avenir prochain la paix, l'ordre régner partout, nous voyons la situation actuelle se prolonger, il faudra bien que la Belgique continue à faire pour son armée les sacrifices qu'elle s'est imposés jusqu'ici, sacrifices cependant qui n'ont jamais été, à aucune époque , aussi peu élevés que pour l'année 1849. Et c'est là, messieurs, je dirai le côté fort de la situation du ministère dans cette question, c'est que nonobstant les circonstances où nous sommes, à aucune époque la Belgique n'aura consacré une somme aussi faible à la défense de son territoire, à la défense de l'ordre intérieur. Je pense qu'il eût été juste de reconnaître les efforts constants de M. le ministre de la guerre pour réduire les dépenses.
(page 843) Ce crédit dépensé avec tant de parcimonie, avec tant de réserve, doit donner la mesure de toute l'économie que le gouvernement apporte dans la gestion des intérêts publics. Certes si M. le ministre de la guerre, au jour fixé pour l'extinction de ce crédit, était venu demander un crédit nouveau, ayant dépensé les neuf millions primitivement alloués; je pense que la chambre se serait empressée d'accorder le nouveau crédit; mais parce que M. le ministre de la guerre a ménagé ces 9 millions avec une parcimonie qu'on pourrait peut-être taxer d'imprudente, parce qu'il vient déclarer, ce à quoi il n'était nullement tenu, que sur les 9 millions il reste encore 2 millions disponibles, on lui demande compte des dépenses faites comme si l'on supposait qu'il s'est livré à des dépenses folles, et Dieu sait, peut-être peu avouables !
Les crédits extraordinaires accordés aux différents ministres, il en sera rendu compte rigoureusement. Nous ne serons pas, messieurs, les moins pressés de faire connaître de quelle manière il a été fait emploi de ces crédits que la confiance de la chambre a mis à notre disposition.
Nous aspirons nous-mêmes au jour où la justification pourra se faire. Cette justification sera complète. Si j'insiste sur le crédit de 9 millions, et sur la réserve avec laquelle M. le ministre de la guerre en a fait usage, c'est pour rappeler à la chambre dans quelle disposition d'esprit se trouve le cabinet, non pas seulement à l'égard des dépenses de l'armée, mais à l'égard de toutes les dépenses de l'Etat; pour faire comprendre à la chambre que la ligne d'économie, dans laquelle nous sommes entrés, nous la suivrons avec persévérance, que notre dernier mot en matière d'économie n'est point dit.
Seulement nous demandons à la chambre de continuer à nous aider de son concours dans les circonstances actuelles. Quand les circonstances changeront, les dépenses pourront également changer. Nous ne sommes pas opiniâtres sans nécessité, nous ne nous attachons pas sans aucun motif, aveuglément, à des chiffres immuables. Nul de nous n'a jamais dit : Voilà notre dernier chiffre, nous n'irons jamais en-deçà.
Messieurs, je termine.
On a rappelé tout à l'heure qu'un vœu de l'adresse en réponse au discours du Trône demandait des économies dans les dépenses de l'Etat. Ce vœu, nous l'avons accompli.
Mais un autre vœu de l'adresse demandait aussi une rimée forte, capable de faire face aux besoins de la situation.
Ce vœu, nous tenons à l'accomplir ; nous croyons que ce vœu peut être accompli dans les limites du budget, tel qu'il a été accepté, d'ailleurs, par la section centrale, après un examen long et approfondi. Nous croyons, au contraire, que ce vœu ne pourrait être accompli, si par suite de propositions qui pourraient émaner de cette chambre, les allocations demandées subissaient des réductions notables.
Quoi qu'il en soit, nous attendrons que ces propositions soient déposées sur le bureau.
- La chambre remet à lundi la suite de la discussion.
La séance est levée à 5 heures.