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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 14 février 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 745) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 1 heure un quart.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les instituteurs primaires du canton de Bouillon demandent que leur traitement soit à charge de l'Etat et proportionné à leurs besoins. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le tribunal de commerce de Louvain et la chambre de commerce de cette ville présentent des observations sur le projet de loi relatif à la compétence en matière civile et commerciale. »

« Plusieurs habitants de Wetteren présentent des observations en faveur de ce projet de loi. »

M. de Luesemans demande le renvoi de ces pétitions à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.

- Adopté.


« Le sieur Keysers soumet à la chambre quelques idées en vue d'améliorer l'agriculture. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs gardes civiques de Liège demandent que les célibataires et les veufs sans enfants, de 21 à 35 ans, soient, en temps de paix, seuls astreints au service actif de la garde civique. »

- Même renvoi.


« Plusieurs propriétaires de maisons destinées à l'habitation de la classe ouvrière, proposent des mesures tendante rendre moins onéreuses les demandes judiciaires en payement de loyer et déguerpissement. »

- Même renvoi.


M. Le Bailly de Tilleghem demande un congé de quelques jours.

- Accordé.


M. de Man d'Attenrode demande également un congé.

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1849

Discussion du tableau des crédits

Chapitres XVI, XVII et XVIII. Enseignement supérieur, moyen et primaire

Motion d'ordre

M. Jullien (pour une motion d’ordre). - Messieurs, le rapport de la section centrale nous révèle les diverses opinions qui ont été émises au sein des sections sur les chapitres XVI, XVII et XVIII du budget, relatifs à l'enseignement. En général, les sections se sont accordées à signaler la nécessité d'une révision de la loi organique de l'enseignement supérieur. Elles se sont accordées à signaler la nécessité ou de réunir les deux universités de l'Etat en une seule, ou, tout au moins, de combiner l'enseignement de manière à amener une division des facultés entre les deux universités, afin que l'enseignement des mêmes branches ne soit plus donné en double aux frais de l'Etat, dans les universités de Gand et de Liège.

En ce qui concerne l'enseignement moyen, deux sections ont formellement demandé qu'il fît incessamment l'objet d'un projet de loi de la part du cabinet, qui mettrait ainsi à exécution une promesse faite par son programme.

En ce qui touche l'enseignement primaire, deux sections ont également demandé qu'il fût procédé à la révision de la loi organique de cet enseignement, et spécialement à la révision de la partie de cette loi qui a trait au régime d'inspection de nos écoles primaires.

Votre section centrale, messieurs, s'est associée aux divers vœux que je viens de rappeler.

Ces vœux, messieurs, je n'hésite pas à le dire, et je ne crains pas de recevoir, à cet égard, le moindre démenti dans cette enceinte, sont ceux de la grande majorité du pays.

Ce que le pays attend de nous, messieurs, c'est une organisation de l'enseignement, compatible avec ses besoins, avec ses ressources ; ce que le pays attend de nous, c'est une réorganisation de l'enseignement supérieur donné aux frais de l'Etat, assise sur des bases propres à le fortifier par la concentration de cet enseignement dans une seule université, ou par la division des facultés entre les deux universités actuellement existantes; ce que le pays veut, c'est que nous réduisions les dépenses énormes auxquelles donne lieu le double enseignement des mêmes matières dans ces universités.

Ce que le pays désire, messieurs, en matière d'enseignement primaire, c’est que l'on réforme aussi la loi sur cette partie importante de l'instruction;, c'est que l'on substitue un meilleur régime d'inspection, un régime plus fructueux et surtout moins dispendieux au régime fondé par la loi du 23 septembre 1842.

Un vœu non moins ardent du pays, c'est que les chambres soient bientôt saisies d'un projet de loi sur l'enseignement moyen.

La motion d'ordre que j'ai l'honneur de soumettre à la chambre tend à combler une lacune qui se trouve dans le rapport de la section centrale.

Quelle est, en effet, actuellement la position de cette chambre? Nous sommes appelés à voter des dépenses obligatoires, résultant de lois que nous considérons comme mauvaises; nous sommes appelés à voter ces dépenses comme contraints. Eh bien, il faut que de ce vote, émis sous une pression semblable, jaillisse au moins l'expression de l'opinion publique. Il ne faut pas que les vœux exprimés dans le sein des sections restent à l'état de stérilité, enterrés qu'ils seraient dans le rapport de la section centrale. Il faut que, par une résolution formelle, la chambre dise au ministère ce qu'elle attend de lui, s'il veut continuer à jouir de l'appui sincère qu'elle lui prête.

J'ai, en conséquence, l'honneur de déposer sur le bureau une motion d'ordre qui est ainsi conçue :

« Avant de passer au voie sur les chapitres XVI, XVII et XVIII du budget, la chambre émet le vœu qu'il soit procédé à une prochaine révision des lois organiques de l'enseignement supérieur et de l'instruction primaire, et qu'elle soit incessamment saisie par le gouvernement d'un projet de loi sur l'enseignement moyen. »

Je dois ajouter que, dans mon opinion, ma motion d'ordre n'implique aucun préjugé quant aux bases de la révision que je demande, la discussion devant rester entière sur ces bases.

M. le président. - Une proposition semblable a déjà été déposée sur le bureau par M. .M. Lelièvre, de Perceval, Debourdeaud'huy et Debroux. Elle est ainsi conçue :

« La chambre s'associe au vœu émis par la section centrale de voir le gouvernement présenter incessamment un projet de loi sur l'enseignement moyen et proposer, le plus tôt possible, la révision de la loi sur l'instruction primaire. »

J'avais cru, et c'était aussi la pensée des auteurs de la proposition, qu'elle ne devait être mise en délibération qu'après que la discussion aurait eu son cours, mais avant le vote. Si M. Jullien n'y voit pas d'inconvénient, il en sera de même de sa proposition.

M. Jullien. - Bien, M. le président.

M. le président. - Messieurs, le chapitre XVI concerne spécialement l'enseignement supérieur. Plusieurs orateurs sont inscrits, et j'apprends que quelques-uns d'eux se proposent de parler à la fois sur les trois degrés de l'enseignement. Dans cette occurrence, ne serait-il pas convenable d'ouvrir une discussion générale sur l'instruction publique? On simplifierait ainsi les débats; nous éviterions une double discussion sur le même objet. Les orateurs qui désirent parler sur l'instruction en général, prendraient la parole dans la discussion générale, et ceux qui se réservent de présenter leurs observations à l'un des trois chapitres spéciaux de l'instruction publique, le déclareraient au moment où j'appellerais leurs noms. C'est ce qui a eu lieu pour le chapitre de l'agriculture. Si l'on n'y voit pas d'inconvénient, nous procéderons de cette manière.

M. Delfosse. - Je crois que dans la discussion qui va s'ouvrir, il faut que chacun puisse parler sur l’une et l'autre branche de l'enseignement : l'enseignement supérieur, l'enseignement moyen et l'enseignement primaire.

M. le président. - C'est ce que je propose. (Adhésion.)

Discussion générale

M. Moncheur. - Je tiens en mains le rapport fait à la chambre des représentants, par M. le ministre de l'intérieur, sur la situation des universités de l'Etat pendant l'année 1847, et j'y lis la phrase suivante: « Le rapport sur l'année 1848, que je me propose de déposer, dès les premiers mois de l'année prochaine, pourra être plus explicite à l'égard des diverses questions que soulève l'organisation de l'enseignement supérieur. » Il résulte de ce passage que M. le ministre de l'intérieur s'occupe des questions d'organisation de l'enseignement supérieur, et je ne doute pas qu'il s'en occupe d'une manière pratique, c'est-à-dire dans le but de donner à cette organisation, en Belgique, toutes les meilleures conditions possibles, tant sous le rapport du perfectionnement de l'enseignement lui-même que sous celui de l'économie.

Dès lors, messieurs, il y a, ce me semble une double opportunité à soumettre à la chambre et au gouvernement quelques considérations sur cet objet si important et qui mérite à tant de titres notre vive sollicitude.

Messieurs, j'ai lu et relu le rapport que je viens de citer, j'ai consulté ceux qui l'ont précédé, et, il m'est resté, je vous l'avoue, la conviction intime, qu'au point de vue économique surtout, il y a réellement abus dans l'état actuel des choses.

Je me plais à payer ici un juste tribut d'éloges aux professeurs et aux élèves de nos universités. Certes, on ne peut qu'admirer et le zèle qui anime les premiers et l'excellent esprit qui règne chez les seconds.

Mais le vice de l'enseignement supérieur, vice grave au point de vue économique, est inhérent à son organisation même. Il consiste principalement dans le double emploi et même dans le triple emploi des cours donnés aux frais de l'Etat.

Vous savez en effet, messieurs, que chacune de nos universités comprend (page 746) les quatre facultés, à savoir : de philosophie et lettres, des sciences, du droit et de la médecine.

Vous savez aussi que deux écoles spéciales ont été érigées près ces universités, l'une, des mines, à Liège, l’autre, du génie civil, à Gand.

Vous savez enfin qu'une école militaire, école qui, je me plais à le proclamer également ici, fait honneur au pays, a été fondée à Bruxelles sur de larges bases.

Or, il résulte de cette organisation que tous les cours, de philosophie et lettres, de droit et de médecine, sont donnés en double, et que presque tous les cours de la faculté des sciences sont donnés en triple.

Ce mode d'enseignement supérieur entraîne, à charge de l'Etat, une dépense annuelle de 860,800 fr.

C'est là, messieurs, environ mille francs par élève ! Or, pour le dire en passant, mille francs suffiraient, en moyenne, pour subsidier, de la part de l'Etat, quatre ou cinq écoles primaires comprenant quatre ou cinq cents enfants ; et la somme de 860,800 francs forme plus des deux tiers de tout le crédit demandé pour les milliers d'écoles d'enseignement primaire qui existent dans le pays, sans en excepter les écoles normales, celles des sourds-muets et des aveugles, et tous les frais d'inspection.

Oh! messieurs! s'il m'était démontré que cette somme de 860,800 francs, quelqu'énorme qu'elle me paraisse, eu égard aux besoins auxquels elle satisfait, est nécessaire pour organiser convenablement et même largement un enseignement supérieur de l'état, je la voterais bien volontiers, mais loin que cela me soit démontré, je suis persuadé du contraire.

La dépense actuelle constitue un véritable luxe, un luxe injustifiable, alors même que les circonstances où nous sommes n'exigeraient par la plus stricte économie.

Veuillez me permettre, messieurs, de vous citer un fait assez saillant et que constate le rapport précité : Des 32 cours de la faculté de philosophie et lettres, qui devraient être donnés dans les deux universités, onze, donc plus d'un tiers, ne l'ont point été, faute d'élèves, en 1847, et un douzième, celui de langue arabe, n'a été donné que pour un seul élève; le même fait a eu bien les années précédentes . Or, en répartissant la somme de 683,800 francs, figurant au budget pour les deux universités, sur les 126 cours qui forment le programme , on trouve que chaque cours coûte à l'Etat 5,426 francs, indépendamment des frais de locaux et autres frais accessoires fournis par les villes.

Donc, pour les 11 cours non donnés, la dépense inutile a été de 59,686 francs pour 1846, et d'environ une somme égale pour les autres années précédentes.

Messieurs, si l'on venait vous dire : tel juge de paix, tel tribunal n'a pas siégé une seule fois de toute l'année, faute d'avoir un seul procès à juger, et le même fait, qui s'est produit les années précédentes, se reproduira encore les années qui vont suivre, que feriez-vous?

Je devine votre réponse. Eh bien, messieurs, cependant je suis loin, quant à moi, de demander la suppression d'aucun des cours qui figurent sur les programmes des universités; je suis trop jaloux de voir l'Etat belge offrir à nos jeunes gens et aux jeunes gens étrangers, un enseignement supérieur complet, pour permettre qu'on supprime une seule des matières mentionnées dans la loi de 1835, et dont la nomenclature témoigne tout au moins de notre volonté de ne rester étrangers à aucune des connaissances humaines. Mais ce que je vous conseillerai de faire, messieurs, si vous voulez opérer tout à la fois et une économie très considérable des fonds de l'Etat et une amélioration notable dans l'enseignement supérieur, c'est de dédoubler les cours et les facultés.

Le résultat de cette mesure serait, au point de vue scientifique, une plus grande émulation chez les élèves devenus plus nombreux dans chaque faculté, et par suite une plus grande force des études. Au point de vue de l'économie, le résultat serait une réduction de dépense de deux cent cinquante à trois cent mille francs.

Mais, messieurs, le principe du dédoublement étant admis, faut-il concentrer les quatre facultés en une seule ville, ou bien ne faut-il pas plutôt les partager en deux établissements, dont l'un serait à Gand et l'autre à Liège? Telle est la question subsidiaire qui serait à résoudre.

Messieurs, plusieurs sections, vous le savez, ont manifesté le désir de voir les deux universités de l'Etat refondues en une seule, et la section centrale, sans exprimer un vœu formel à cet égard, paraît pourtant pencher pour ce système. Quant à moi, je ne pourrais, dans l'état actuel des choses, conseiller cette mesure qui aurait à mes yeux le grave inconvénient de blesser trop vivement les intérêts de l'une ou de l'autre de nos deux grandes villes qui sont chacune aujourd'hui en possession d'une université de l'Etat, et qui ont fait pour leur établissement des sacrifices considérables.

Et d'ailleurs, tant sous le rapport scientifique que sous le rapport économique, je ne vois pas, je l'avoue, un grand avantage dans la concentration de toutes les facultés en une seule ville. Il est vrai que, dans les temps anciens, alors que les communications entre les peuples et les villes même n’existaient pour ainsi dire point, alors que la presse périodique et quotidienne manquait absolument, et que, par conséquent, les savants ne pouvaient que bien difficilement échanger leurs idées ; il est vrai, dis-je, qu'alors la concentration de toutes les facultés était une chose très utile et même nécessaire. Mais aujourd'hui les savants, non seulement de la Belgique, mais je dirai du monde entier, vivent pour ainsi dire côte à côte, scientifiquement parlant, au moyen des nombreuses revues destinées à la diffusion de leurs idées et au moyen aussi de nos communications si rapides.

La science ne peut donc souffrir par la division des facultés. Quant à la question économique, elle est résolue par la simplification des cours et l'on profilerait, d'ailleurs, du matériel qui existe à Gand et à Liège.

Dans cet ordre d'idées, messieurs, et comme il importe que dans cette matière ainsi que dans toute autre, l'initiative émane autant que possible du gouvernement, j'ose l'engager vivement à examiner d'abord le principe que je viens de poser du dédoublement des facultés et des cours, et ensuite de quelle manière le partage des facultés pourrait le plus convenablement se faire.

Quant à moi, messieurs, je pense que Liège est admirablement placé pour être le siège d'une école scientifique civile et militaire, à laquelle seraient données de vastes proportions en rapport avec les besoins de l'époque. La faculté de philosophie et lettres serait également placée dans cette même ville. Gand aurait en partage la faculté de droit et la faculté de médecine, à laquelle seraient joints les quelques cours de sciences nécessaires.

Messieurs, je puis me tromper, mais je pense que cette combinaison est celle qui aurait le plus d'avantages sous tous les rapports.

Outre les motifs que je viens de déduire, il faut, pour apprécier l'opportunité de modifier aujourd'hui l'organisation de l'enseignement supérieur, il faut, dis-je, avoir égard à deux faits d'une très grande portée, qui se sont produits depuis 1835. Le premier est l'exécution des chemins de fer qui placent presque toutes les localités de la Belgique à une demi-journée de distance les unes des autres, et le second est l'existence de deux établissements libres d'enseignement supérieur, établissements qui fournissent un supplément de ressources considérable pour cet enseignement.

On ne peut se dissimuler que si ces deux faits avaient existé en 1835, ils auraient été de nature à influer singulièrement sur les dispositions de la loi qui a été adoptée à cette époque.

Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il y a quelque chose à faire aujourd'hui pour réduire les frais de cette partie du service public.

Messieurs, il ne faut pas (on l'a dit et répété), il ne faut pas que nous ayons deux poids et deux mesures.

Dans le département des affaires étrangères, nous avons supprimé des emplois et nous avons réduit considérablement les traitements.

Dans le département des finances, nous avons porté hardiment la hache des suppressions et des réductions.

Dans l'ordre judiciaire, la chambre a déjà prononcé et on lui propose de prononcer encore des suppressions et des réductions, et pourtant les emplois supprimés n'avaient, en général, que le tort de ne pas être d'une indispensable nécessité, selon l'expression de M. le ministre des finances lors de la discussion de son budget. Plusieurs de ces emplois étaient même tellement utiles, qu'on n'a pas hésité à déclarer qu'on espérait que des temps meilleurs permettraient de les rétablir.

Or, messieurs, croyez-vous que tous les emplois qui existent aujourd'hui en double et en triple, dans l'enseignement supérieur, et dont plusieurs sont complètement stériles, soient dans ce cas d'indispensable nécessité dont je viens de parler?

Non, sans aucun doute; aussi, je ne puis croire que lorsque M. le ministre de l'intérieur a scruté toutes les économies qu'il était possible d'opérer sur les divers chapitres de son budget, il ne se soit pas arrêté à celui de l'enseignement supérieur comme étant un de ceux qui étaient le plus susceptible de réforme. Je m'explique cependant que M. le ministre ne nous ait encore fait aucune proposition à cet égard, par la considération qu'il étudierait cette matière si importante, et à laquelle, je le reconnais, on ne peut toucher qu'avec circonspection et au moyen d'une certaine dose de résolution.

Toutefois je suis certain qu'une fois le principe de la nécessité de la réforme établi aux yeux du gouvernement, il n'hésitera pas à nous en proposer l'application. Car l'intérêt du vrai, l'intérêt de l'état sont toujours supérieurs aux intérêts particuliers.

Pour cette année je voterai le chiffre du chapitre XVI du budget. Mais je réserve mon vote sur ce chapitre du budget de 1850. Ce vote dépendra des explications qui seront données et des dispositions qui seront prises ou annoncées par le gouvernement à cette époque.

M. Delfosse. - Messieurs, quoique grand partisan des économies, il me serait impossible de m'associer à la proposition de supprimer l'une des deux universités île l'Etat. En matière d'enseignement, la question d'économie ne doit être qu'une question accessoire. L'enseignement, par les lumières qu'il répand, par les hommes d'élite qu'il produit, rend au centuple les dépenses qu'il occasionne.

La Hollande, petit pays, dont les embarras financiers sont plus grands que les nôtres, compte trois universités de l'Etat. Elle ne pense pas, que je sache, à en supprimer une seule.

En Hollande on comprend, comme on doit comprendre chez nous, que la concurrence vivifie l'enseignement et que le monopole en serait la mort.

On me dira qu'il y a en Belgique deux universités libres. Ces universités ont-elles, messieurs, de telles chances de stabilité, de durée, qu'il faille les prendre en considération pour fixer le nombre des universités de l'Etat? Qui vous répond que les fidèles qui ont, jusqu'à présent, contribué, par leurs souscriptions, à soutenir l'université de Louvain, ne finiront pas par comprendre que dans un pays comme le nôtre, composé en grande majorité, presque en totalité de catholiques, ils peuvent, en toute sûreté de conscience, sans le moindre danger pour leurs doctrines religieuses, confier leurs enfants aux universités de l'Etat? Le ministère qui (page 747) voudrait donner à ces universités une direction hostile aux opinions religieuses de l'immense majorité de la nation, serait bientôt renversé.

Qui vous répond que les évêques, éclairés par les événements, ne reconnaîtront pas qu'ils ont commis une faute en jetant, par la création d'une université placée spécialement sous leur direction une espèce d'interdit sur les universités de l'Etat ?

Je ne pense pas, messieurs, faire tort à l'université de Bruxelles, qui ne se soutient aussi qu'à l'aide de souscriptions particulières, en disant que ses chances de stabilité et de durée ne sont pas plus assurées que celles de l'université de Louvain. Si ces universités, ouvertes aujourd'hui, qui peuvent être fermées demain, venaient à disparaître, que deviendrait l'enseignement, que deviendrait, si nous n'avions qu'une université de l'Etat, la concurrence, qui en fait la vie?

Je me plais à croire que la chambre y regardera à deux fois avant de toucher à des institutions qui comptent plus de 30 années d'existence, qui ont jeté de profondes racines dans le pays et dont il a le droit d'être fier!

Si je ne puis m'associer au vœu qui tendrait à la suppression de l'une des deux universités de l'Etat, pas plus de celle de Gand que de celle de Liège (car je ne fais pas ici de l'esprit de localité. On voudrait qu'il n'y eût qu'une université et qu'elle fût placée à Liège, je m'y opposerais); si je ne puis m'associer à ce vœu, je m'associe de tout cœur au vœu formulé par d'honorables membres, que le projet de loi sur l'enseignement moyen soit bientôt déposé, et qu'il y ait une révision de la loi sur l'enseignement primaire.

La loi du 23 septembre 1842, en faisant intervenir le clergé dans l'enseignement primaire, à titre d'autorité, a violé le grand principe delà séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Il est temps que cette loi, œuvre d'une politique condamnée par le pays, disparaisse.

Il est temps que le pouvoir civil se remette en possession de ses droits, qu'il n'aurait jamais dû aliéner.

Tel est le vœu unanime de la section centrale. Tel est le vœu de l'immense majorité de la nation.

Il n'y a, remarquez-le bien, messieurs, dans ce vœu, rien d'hostile à la religion.

On reconnaît que l'intervention du clergé dans l'enseignement primaire peut produire un grand bien. On reconnaît que l'enseignement de la religion par le clergé est une chose désirable, très désirable. Mais il ne faut pas que l'intervention du clergé dans l'enseignement primaire soit mise à trop haut prix; il ne faut pas qu'elle s'achète au prix de l'abaissement du pouvoir civil.

Le pouvoir civil est abaissé, lorsqu'il n'a pas la direction exclusive de l'enseignement donné aux frais de l'Etat; le pouvoir civil est abaissé, lorsqu'il n'a pas le choix exclusif des livres destinés aux écoles de l'Etat.

Que le pouvoir civil consulte les chefs des cultes sur les questions relatives à l'enseignement primaire, sur les mesures à prendre, sur la marche à suivre; qu'il ait égard à leurs avis lorsqu'il les trouve fondés en raison, rien de mieux. Mais substituer par la loi l'action du clergé à la sienne, c'est le dépouiller de ses prérogatives, c'est l'abaisser.

L'indépendance du pouvoir civil a été inscrite dans le programme du 12 août. Cette partie du programme restera une lettre morte, tant que la loi du 23 septembre 1842 n'aura pas été profondément modifiée.

Si l'honorable M. Rogier, aujourd'hui ministre de l'intérieur, a voté pour cette loi, ce n'est pas qu'il en ait approuvé les dispositions principales ; il les a au contraire hautement combattues.

Je n'ai pas été mis dans la confidence des motifs qui ont amené ce vote regrettable. Mais j'ai toujours pensé que l'honorable M. Rogier se sera dit qu'en matière d'instruction primaire, mieux valait une loi même défectueuse, qu'on pourrait corriger dans l'exécution, que pas de loi du tout.

J'ai pensé aussi que l'honorable M. Rogier, qui avait joué un si grand rôle dans les affaires du pays, a craint de se trouver dans une minorité imperceptible, dont je tiens à honneur d'avoir fait partie avec l'honorable président de la chambre.

Mais ce que je sais, c'est que plus tard, lorsque l'honorable M. Rogier, appelé par le Roi à former un cabinet, m'a fait l'honneur de me consulter, nous étions d'accord sur ce point que l'intervention du clergé dans l'enseignement doit être réglée par voie administrative et non par la loi.

Il y a, messieurs, beaucoup de libéraux qui s'étonnent, qui s'indignent même de ce que le ministère, en possession du pouvoir depuis le 12 août 1847, n'ait pas encore proposé la révision de la loi sur l'enseignement primaire; ils l'accusent d’être infidèle à son programme.

Ces libéraux impatients sont injustes. Le ministère, à peine formé, a été assailli par une de ces crises qui ébranlent les fondements de la société. Pouvait-il raisonnablement, dans un tel moment, alors que tant de dangers nous menaçaient, pouvait-il jeter une question aussi irritante dans les débats de la chambre? Non, il ne le pouvait pas. Là, j'aime à le croire, a été la seule cause du retard ; là est la justification du ministère.

Mais le moment d'agir est venu. Il faut que le ministère se prononce entre ceux qui demandent le maintien de la loi du 23 septembre 1842, et ceux qui en veulent l'abrogation, et le choix ne peut être douteux. Deux épreuves électorales successives ont montré de quel côté est l'immense majorité de la nation.

Que ceux qui veulent le maintien de la loi se résignent. Ils ont, je me plais à le reconnaître, donné, dans les derniers temps, des gages précieux d'attachement à l'ordre et à la nationalité. Qu'ils en donnent on gage nouveau en sacrifiant des prétentions que le pays condamne; qu'ils sachent se contenter de la liberté d'enseignement; c'est encore un assez beau lot.

Un jeune orateur a dit, au début de la discussion générale, que le ministère devait être le ministère du 12 août et non le ministère du 24 février. L'honorable comte de Mérode lui a répondu que le ministère devait au contraire prendre date du 24 février et non du 12 août.

Je ne suis ni de l'avis de l'honorable M. de Perceval, ni de l'avis de l'honorable comte de Mérode. Je pense que le ministère doit être à la fois et le ministère du 12 août et le ministère du 24 février. Le 12 août et le24 février n'ont pas une signification différente. Le 24 février a été le complément de la victoire du 12 août. Le 12 août, les libéraux l'ont emporté; pourquoi? Parce que le pays avait eu foi dans leur patriotisme éclairé ; le 24 février a prouvé que le pays les avait bien jugés; de là une adhésion plus vive, plus prononcée du pays aux principes qui avaient triomphé le 12 août.

Le 12 août avait imposé au ministère un devoir à remplir; le 24 février a rendu ce devoir plus impérieux. A l'œuvre donc, ministres du 2 août et du 24 février!

M. Destriveaux. - Comme la chambre l'a autorisé, je traiterai dans sa généralité la question de l'enseignement. Je commencerai, comme on l'a fait, par l'enseignement supérieur.

L'enseignement supérieur, tel qu'il a été organisé par la loi de 1835, est loin de se trouver à l'abri de toute espèce de critique. Il ne faut pas s'y tromper, messieurs; ce n'est pas, dans nos pays, la loi de 1835, qui a organisé la véritable moralité, la véritable portée de l'enseignement supérieur ; cette moralité, cette portée et surtout une liberté à laquelle je suis fait, moi, pour rendre une complète justice, ont existé avant l'époque de 1835. L'enseignement supérieur, avant cette époque, était complètement libre et son allure était franche, le pays en a reçu des preuves.

Venons à l'organisation de 1835.

Aurai-je besoin de démontrer, après ce qu'a dit mon honorable collègue et ami M. Delfosse, aurai-je besoin de démontrer qu'il serait maintenant impolitique, sous tous les rapports, de supprimer ou de morceler l'une ou l'autre des universités de l'Etat? Non, messieurs, je n'en aurai pas besoin ; ce n'est pas le moment ni sous le rapport politique du repos du pays, ni sous le rapport politique de l'enseignement lui-même. On a parlé d'économie. Que l’on applique les économies à des cours qui se sont pour ainsi dire, dans un trop grand élan pour la science, fait introduire imprudemment peut-être, dans les programmes ; qu'on applique les économies à la suppression de pareils cours, j'y consentirai; mais que l’on porte plus loin l'esprit d'économie, qui serait un esprit d'imprudente lésinerie, lorsqu'il s'agirait de morceler l'un ou l'autre de ces grands corps d'enseignement, c'est à quoi je ne pourrai jamais consentir.

Non, messieurs, les cours ne sont point donnés en double; il faudrait, pour que cela fût, qu'une université fût l'écho obéissant des paroles proférées dans l'autre, il faudrait qu'une édition pour ainsi dire stéréotypée d'enseignement, fût commune aux deux universités. Dans une pareille situation, il est bien certain que les cours seraient donnés en double ; ce ne seraient que de fastidieuses répétitions, ce serait moins qu'en simple peut-être, pour le bien de l'enseignement.

Prenez donc garde, messieurs, que l'enseignement, dans aucune université, n'est obligé de suivre les doctrines que l'on professe dans l'autre. Chacune peut avoir son allure, chacune peut avoir son progrès, chaque professeur est maître de son esprit; de là une émulation que l'on ne peut pas apprécier devant quelques sommes d'or, qui est si éminemment utile à la science, si éminemment utile au pays.

En présence d'un pareil avantage, peut-on compter ce que coute la parole d'un professeur; ce que coûte un jour de leçon? Mais la tâche universitaire est de tous les jours, de tous les instants, et comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, elle est de toute la vie.

Il faut de l'émulation; il faut qu'une université tâche de devancer l'autre, non par un mouvement irréfléchi, par un désir désordonné de progrès, nous n'en avons que trop dans le siècle où nous sommes, mais par l'amour de la science, par une rivalité digne et féconde en résultats.

Et dans un pareil concours, messieurs, le choix des parents ne devient-il pas plus facile? L'horizon devient plus vaste. On peut choisir, déplacer, si l’on veut, les enfants que l'on envoie à l'université puiser l'enseignement; on peut les déplacer; les communications sont faciles, a-t-on dit, on peut user de cette facilité, et si un cours est donné d'une manière plus distinguée dans une université que dans l'autre, on peut choisir pour les élèves.

Il y a dans notre Etat quatre universités: deux universités que j'appelle libres, deux universités de l'Etat. Sommes-nous donc dans un siècle où les véritables lumières se répandent avec une telle facilité, qu'il faille pour ainsi dire en compter les rayons pour les escompter au prix d'un peu d'or? Non, il faut que les paroles de la véritable science retentissent à chaque instant et pénètrent dans toutes les classes.

Ceci me conduit, messieurs, à un autre ordre d'idées. L'enseignement supérieur, tel qu'il est je ne dirai pas organiser mais tel qu'il est établi par la loi de 1835, l'enseignement supérieur répond-il véritablement aux besoins politiques du pays? Je ne le crois pas.

(page 748) J'ai été appelé, dans ma carrière, à réfléchir longtemps et mûrement sur l'ensemble des études, au moins sous le rapport du droit, sur les programmes, sur la division des cours, et j'en suis venu à tirer, d'une manière fondée, cette triste conséquence que les portes de la science sont généralement ouvertes, mais qu'il y en a une dans laquelle on ne passe que difficilement, celle de la science du citoyen. Nous sommes dans un siècle où l'on a besoin de la science du citoyen, de la science de se conduire, de la science de se préserver des erreurs qui semblent accumulées à plaisir autour du peuple, autour de toutes les classes. Au temps où nous vivons, la société fatigue certains individus, parce qu'elle est trop entière; on veut établir ce qu'on appelle des classes privilégiées; les unes pour tous les avantages, toutes les félicités, les autres pour toutes les privations. On voudrait établir, au lieu de l'égalité des droits, un niveau de position. Ces vues ne sont point sociales, quoiqu'on leur ait donné à peu près ce nom. Il faut répandre la science du citoyen pour combattre l'exagération de certains principes fondés sur l'exagération du bien qu'on n'a pas et du mal qu'on subit.

Eh bien, messieurs, on peut être docteur en philosophie sans connaître un seul mot du véritable droit public, sans jamais avoir entendu parler de la loi fondamentale qui nous régit, sans qu'on ait jamais appelé l'attention du docteur en philosophie sur nos lois organiques, sur rien de ce qui se passe autour de nous sous le rapport politique.

Et c'est un docteur en philosophie si peu initié, je ne dirai pas à tous les secrets de notre existence politique, mais seulement à ce qui peut être patent dans cette existence, c'est cet homme qu'on proclame savant!

Et maintenant, qu'on se rappelle que grâce au système qui a été adopté en partie l'année dernière, on a élargi le cercle électoral politique; l'éligibilité n'est pour ainsi dire soumise à aucune réserve ; eh bien, dans l'enseignement supérieur on n'a tenu compte de rien.

Ce que je dis des docteurs en philosophie, je puis le dire des docteurs en médecine, des docteurs en sciences, tous gens extrêmement savants, mais qui ne le sont plus autant, il s'en faut de beaucoup, quand il s'agit de la science du citoyen.

Il semblerait que l'étude du droit eût dû conduire les auteurs de la loi de 1835 à plus de largesse sous le rapport des véritables études politiques. Eh bien, on ne l'a pas fait. Qu'on me permette une expression triviale, l'enseignement de cette branche est absolument étranglé.

Et, par exemple, si je vois qu'il faut en un semestre donner un cours d'économie politique à des jeunes gens qui n'ont pas même reçu le titre de candidat; si je vois qu'en un semestre, il faut leur enseigner l'histoire politique moderne; si je vois qu'il faut enseigner cette histoire à ceux qui n'ont pas reçu la moindre notion de la partie philosophique du droit public, que comprendront-ils?

Et le droit public lui-même est mis sur le lit de Procuste ; il est placé dans des dimensions semestrielles.

Il est impossible, messieurs, qu'on lise seulement en un si petit espace de temps, et la constitution et toutes les lois qui l'ont organisée dans l'application.

Ce sont des enseignements qui n'ont de vérité d'existence que dans les programmes. Au fond, ces enseignements sont nuls, quant aux résultats.

Et maintenant, que les professeurs se livrent à d'incessants travaux, qu'ils cherchent à étendre dignement le cercle de leurs connaissances, tout cela reste stérile en face des programmes semestriels.

Quand je dis semestriels, je me trompe; qu'on en déduise et les vacances et le temps pendant lequel le professeur peut être incommodé, que reste-t-il? A peu près le temps de donner un cours de tachygraphie.

C'est à ce point de vue que l'enseignement supérieur a besoin d'une réforme; c'est là où il faut obéir davantage aux nécessités actuelles, au mouvement dans lequel nous vivons.

Ce n'est pas toujours dans les lois, dans les mesures de police qu'il faut chercher des garanties contre les mouvements désordonnés; il faut les chercher dans une saine doctrine; il faut préparer les hommes à la vie politique.

Voilà ce que je déplore de ne pas rencontrer dans la loi organique de l'enseignement supérieur ; voilà sur quoi j'attire toute l'attention du ministre; voilà ce qui a besoin d'être élaboré avec sagesse; voilà ce qui a besoin, non pas d'être réglé au point de vue de l'économie, mais sous le rapport de la défense des véritables principes.

Le pays le demande, le pays en a besoin. Pourquoi, au milieu des tourmentes qui ont agité l'Europe, avons-nous maintenu notre existence? C'est que depuis longtemps, quelquefois à notre insu, nous étions familiarisés avec la pratique des devoirs de citoyen; nos anciennes traditions nous avaient été d'un puissant secours ; voilà ce qui a déterminé notre attitude.

Il faut donc que nos traditions, nos souvenirs ne restent pas enfouis; il faut que nos traditions, nos souvenirs arrivent à la jeunesse par l'enseignement public.

Nous avons fait une grande expérience depuis 50 ans. Le pays a passé sous différentes dominations. Il a subi toutes les révolutions, toutes les vicissitudes. C'est donc l'étude qui doit préoccuper la jeunesse.

Messieurs, je respecte beaucoup les antiquités romaines ; mais je doute beaucoup que l'étude approfondie de ces antiquités fasse d'aussi bons citoyens que l'étude véritablement politique qui nous a été léguée depuis un siècle.

On est très fort ou l'on croit être très fort sur la législation des anciens ; on cherche à pénétrer dans les arcanes les plus cachés, d'un droit qui nous a légué de beaux principes, mais qui nous a légué aussi une source de travaux stériles.

Lorsqu’on s’applique à l’étude des antiquités romaines, lorsqu’on les possède à peu près, pense-t-on qu’on puisse retirer de cette connaissance les mêmes fruits que l’on retirerait de l’étude de nos antiquités nationales?

Devant le jury, on demandera à nos élèves de faire connaître les institutions politiques de Rome, et ils seront peut-être à même de répondre ; mais ils resteront bien souvent muets, ils échoueront, si on leur demande quelle est notre situation sous le rapport des institutions les plus vivaces.

Et c'est là une éducation politique! Je n'appelle pas haut enseignement celui qui n'apprend pas à un individu sous quelles institutions il doit vivre et s'incliner.

L'enseignement universitaire, tel qu'il est organisé aujourd'hui, comprend tout, hors la loi fondamentale du pays ; il comprend tout ce qui s'est passé dans les temps anciens, sauf les souvenirs que nous ont légués les nations que nous connaissons mieux.

On fait toujours des comparaisons d'Etat à Etat. Eh bien, supposons que des jeunes gens sortis des universités entendent ces comparaisons ; comment, avec leur instruction incomplète, pourront-ils juger la portée de pareilles comparaisons?

On parlait tout à l'heure de la presse. Oui, la presse pourrait être d'un très grand secours, si elle était toujours calme; si tous ceux qui se disent les organes de l'opinion publique, n'étaient souvent que les organes de la leur propre; si tous ceux qui écrivent dans les journaux, comprenaient bien l'importance sévère de la magistrature qu'ils exercent; s'ils disaient: « Nous écrivons pour éclaircir les hommes, pour initier aux vrais principes ceux qui n'ont pas fait leurs études; nous voulons les conduire dans la route du vrai et du bon. » Si cette pensée présidait toujours aux actes de la presse, il est certain que la presse serait une source précieuse et inépuisable de véritable enseignement.

Mais en est-il toujours ainsi? La presse ne se laisse-t-elle pas quelquefois entraîner à une polémique passionnée? N'est-elle pas quelquefois trop complaisante, quelquefois trop sévère? Ne se laisse-t-elle pas préoccuper d'intérêts particuliers ? Ne s'incline-t-elle pas quelquefois devant une puissance, ou ne se laisse-t-elle pas aller parfois à ce qu'on appelle la fortune ?

Certainement, on peut puiser des lumières dans la polémique de la presse. Mais aussi, il y a peut-être là un danger. Toutefois, s'il m'est permis de parler ici de la liberté de la presse, moi qui l'ai proclamée en présence de la jeunesse, chaque fois que j'en ai eu l'occasion, je dirai que la liberté de la presse a cet immense avantage, qu'elle sert à redresser les écarts de la presse même. J'ai été quelquefois conduit à dire que la presse ressemble un peu à la lance d'Achille, qui guérissait les blessures qu'elle faisait. A côté d'une certaine presse se trouve une presse plus saine qui, comme je le disais tout à l'heure, apprécie la dignité de la magistrature qu'elle exerce, et par son altitude calme, mérite d'être l'organe de l'opinion publique.

Je dis donc que l'enseignement supérieur a besoin d'une refonte ; le programme doit être rectifié ; des cours dont les dimensions sont trop restreintes, doivent être étendus. C'est au nom de l'enseignement, au nom des véritables principes, que j'adjure M. le ministre de prendre mes observations en considération, s'il les en croit dignes.

Je passe à l'enseignement moyen. Mais ici je ne rencontre que l'espérance. Je sais que des écoles normales ont été instituées ; il faut espérer qu'on en appliquera les résultats. Mais aujourd'hui je ne puis pas, autant que je le voudrais, féliciter le ministre de cette création; car, pour qu'une école normale remplisse sa destination, il faut qu'on sache à quoi elle sera appliquée. L'enseignement moyen n'existe pas, nous ne connaissons pas son organisation; peut-être faudra-t-il réformer les écoles normales sur l'organisation de l'enseignement moyen.

Je supplie encore ici M. le ministre de prendre mon observation en considération : soit dans les collèges, soit dans les établissements de véritable enseignement moyen, je regarde comme indispensable de comprendre dans le programme l'enseignement des devoirs de citoyen. Je ne crois pas que, dans tous les degrés de l'enseignement, on doive faire des publicistes; mais on peut faire des citoyens.

Il y a une chose contre laquelle on ne peut pas trop mettre en garde la jeunesse ardente, bouillante à vouloir faire le bien, facile à entraîner à des demandes de réformes, et généreuse, facile à conduire quand on la prend par l'honneur, il faut toujours, dès le moment que la tête commence à penser et le cœur à battre au mot de patrie, il faut les mettre en garde contre la pensée, trop souvent accréditée, qu'il y a des classes vouées au malheur, des classes privilégiées pour l'infortune, qui ne peuvent se dérober à la destinée qui pèse sur elles.

Dans une organisation sociale comme la nôtre, il n'y a pas de classe placée dans cette situation fatale. Dans chaque classe il n'est pas d'homme qui, par la régularité de la conduite, par le talent et l'économie, ne puisse s'élever. Il n'est pas de classe dans laquelle des hommes soient refoulés à toujours; le temps des classifications est passé; ces anciennes barrières qui existaient entre les citoyens sont rompues; il n'est pas d’homme qui ne puisse espérer de s'élever à une hauteur sur laquelle jadis il n'aurait pas osé jeter les yeux.

Aujourd'hui il y a des classes que le hasard de la fortune a faites, mais qui sont ouvertes à tout le monde. Etablissez donc une vie d'espérance et d'action, faites une grande communauté de tous les citoyens ! Vous ne (page 749) pourrez pas plier la force, la santé, l'intelligence de tous aux lois communes. Ou irez-vous? L'égalité n'est pas le nivellement. Voilà ce qu'il faut inculquer aux jeunes gens, quand ils commencent à penser.

Toujours quand on a voulu égarer, soulever les classes qu'on appelle inférieures, on leur a dit : vous êtes dans un état de bassesse dont vous ne pourrez jamais sortir ; on leur a dit que l'égalité était le nivellement. Dans toutes les grandes révolutions de l'esprit humain, ce moyen d'excitation n'a pas failli. Après la révolution produite par le christianisme, on a vu s'élever ces prétentions de nivellement; après la réforme de Luther, etc., on a vu en Allemagne les anabaptistes, en Angleterre les niveleurs; après la révolution de 1789, guerre aux châteaux, paix aux chaumières, et on a détruit et chaumières et châteaux.

Voilà ce qu'il faut rappeler aux élèves pour en préserver leur esprit. C'est un devoir sacré vis-à-vis d'eux et dans l'intérêt de la paix publique.

Je viens maintenant à l'enseignement primaire. L'honorable M. Delfosse en a parlé avec chaleur, je dirai même avec éloquence. Moi, refroidi par les glaces de l'âge, je dois faire de la loi du 23 septembre 1842 un examen plus froid ; et qu'on me permette l'analyse de cette loi.

L'enseignement, aux termes de l'article 6, de la religion et de la morale sera placé sous la direction des ministres des cultes. J'avoue que j'ai vu avec quelque peine cette réunion de la religion et de la morale. Veut-on dire qu'il n'y a pas de morale véritable sans le sentiment général qui vous porte vers Dieu ! Je le veux bien. C'est ce qu'un haut dignitaire épiscopal a appelé la religiosité. Je trouve que quand, dans le sujet que nous traitons, on dit la religion, on a dû préciser dans sa pensée une religion quelconque.

La morale dépend-elle de telle religion ? Il serait triste de penser qu'une grande partie de l'humanité qui n'admet pas les cérémonies d'un culte, la partie extérieure qui caractérise le mode d'adoration qu'elle élève vers l'éternel, que cette partie de l'humanité est frappée non seulement dans les temps futurs, mais dans le temps présent, par la privation de toute espèce d'idée morale. Ainsi, son supplice commencerait dès ce monde. Cherchez donc le pays dans lequel une différence de croyance religieuse, de culte surtout, soit considérée comme un défaut de morale. Cherchez donc un pays civilisé qui puisse exister sans morale.

A celui qui exprime une vérité morale essentielle, demande-t-on : à quoi est-ce que tu crois? Il pourrait répondre : Je crois en celui qui est l'auteur de toute morale et de qui toute morale descend. Mais si on lui demande : êtes-vous convaincu de telle vérité préconisée? Il répond, la Constitution à la main : Ne m'interrogez pas davantage, car j'ai le droit de ne pas vous répondre. Pourquoi réunir la religion et la morale? Faut-il en conclure que les ministres des cultes seuls peuvent enseigner la religion et la morale?

J'entre dans le système qui paraît adopté par la loi de 1842.

C'est aussi sous leur inspection qu'on enseignera la morale. Vous voyez donc que, sans le vouloir peut-être, on est resté sous l'empire de la Constitution qui décrète la liberté des cultes. On a dit : les ministres des cultes ; or, si les différents ministres des cultes doivent surveiller l'enseignement de la morale, que deviennent les expressions?

Vous voyez que l'on a été bien loin; car l'on a rangé tous les cultes sur la même ligne. Si la différence de culte n'exclut pas la morale, sera-t-on réduit à se demander s'il n'y a que les ministres du culte de l'immense majorité, qui soient capables de surveiller l'enseignement de la morale?

Est-ce que la morale ne peut pas être enseignée par des hommes pratiques, par des nommes complètement étrangers au ministère du culte? Dans la haute philosophie, on enseigne la morale. Est-ce que cet enseignement est confié aux ministres des cultes? Non. Pourquoi le ferait-on dans l'instruction primaire?

Voyons comment cette loi a été dirigée : « Les enfants qui n'appartiennent pas à la communion religieuse en majorité dans l'école, seront dispensés d'assister à cet enseignement. » Ainsi les enfants qui n'appartiennent pas à la communion en majorité dans l'école (quelle que soit cette communion) sont dispensés de suivre, quoi? le cours de morale. Où donc iront-ils chercher cet enseignement ? Il faut bien qu'ils le trouvent quelque part. Pourquoi a-t-on déchu du droit d'enseigner la morale ceux qui devraient donner cet enseignement?

Est-ce que la morale ne peut pas être enseignée par des hommes qui ne sont revêtus d'aucun caractère sacerdotal, par exemple par tous ceux qui comprennent le devoir, qui peuvent en apprécier le sens? Ce n'est pas dans quelques congrégations que le pouvoir d'enseigner la morale est circonscrit.

L'inspection! On a créé des inspecteurs, beaucoup d'inspecteurs, comme l'a fait observer un honorable collègue. Quant à l'enseignement de la religion et de la morale, dit la loi, la surveillance sera exercée par les délégués des chefs des cultes. Ainsi le clergé inspecte les établissements de l'Etat, tandis que l'Etat ne peut inspecter les établissements du clergé.

L'enseignement est libre, les mesures préventives sont proscrites par l'article 17 de la Constitution. Qu'arrive-t-il ? Que, comme je le disais il y a un instant, les établissements privés sont complètement libres, le gouvernement ne peut y pénétrer.

Mais il y a autre chose; c'est que les livres dont on doit se servir pour l'enseignement de la morale, pour l'enseignement de la religion et de la morale, sont, d'après l'article 9, soumis à la censure (la loi dit approbation, mais le sens est bien censure. Je traduis sévèrement, mais exactement), à l'approbation de qui? Des inspecteurs ecclésiastiques... La censure est abolie. Aux termes de l'article 17 de la Constitution, toute mesure préventive est interdite en matière d'enseignement. Mais, vous le voyez, la censure est rétablie, la liberté d'enseignement est rapetissée, anéantie par cette censure. Ainsi les mesures préventives que l'Etat ne peut prendre, les ministres des cultes peuvent les prendre; ils peuvent exercer des mesures préventives sur l'enseignement de l'Etat. Ainsi, voilà qu'on a rabaissé les établissements de l'Etat au-dessous des établissements privés. Censure d'un côté, examen préventif de l'autre.

Maintenant demandons-nous qui peut avoir le moindre intérêt dans cet esprit d'attribution de censure, d'inspection, dans cette attribution de pouvoir exclusif d'enseigner la morale. Nous trouvons que dans les communions dissidentes israélite et protestante, il y avait, aux termes du dernier rapport que j'ai sous la main (Rapport triennal de 1845), environ 250 enfants des diverses communions dissidentes. Ainsi l'immense majorité appartient au culte catholique romain; et l'immense majorité de la surveillance, de la censure appartient à un sacerdoce tout particulier. C'est la croyance de la majorité, dira-t-on. Mais dans cette majorité, on peut admettre les dogmes, et indépendamment de cette croyance, conserver la croyance politique qui, sous le rapport de l'Etat, domine toutes les autres : la croyance à la Constitution. Si l'on abandonne la Constitution, que sommes-nous ici ?

Je pourrais prolonger davantage cet examen; mais je me résume en disant que la loi de 1842 viole le principe de la Constitution sous le rapport de l'enseignement au profit de personnes qui n'ont pas le droit de s'y immiscer.

Ah ! l'enseignement de la religion, c'est autre chose. Est-ce que je voudrais déposséder le clergé des différentes communions, du droit sublime d'enseigner la religion? Oh! non sans doute, ce droit est trop beau. Mais ce n'est pas à titre d'autorité que le clergé enseigne la religion. C'est au sein des édifices religieux, à côté des autels, que cet enseignement prend le caractère qui lui est propre, caractère dépouillé de tout intérêt mondain. C'est là qu'on peut faire entendre, dans toute sa force divine, le développement des principes qui conduisent à l'adoration de la divinité.

Il n'y a rien là qui doive blesser le clergé. Mais ce que je ne puis oublier, c'est la discussion mémorable qui a eu lieu l'année dernière lorsqu'il s'est agi d'élaborer l'adresse en réponse au discours du Trône.

Nous avons eu un incident bien fâcheux, un incident regrettable. Il en est sorti d'assez vives lumières. IL en est sorti des enseignements que nous ne devons pas mépriser. On a eu la preuve, d'un côté, de prétentions exagérées, et de l'autre, d'une faiblesse du pouvoir politique que je ne veux pas qualifier.

M. Dechamps. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Messieurs, la motion d'ordre qui a été présentée par l'honorable M. Jullien, a donné à cette discussion une étendue immense. Ainsi, nous aurions à discuter tout à la fois le problème de la révision de trois lois organiques, la loi de l'enseignement supérieur, la loi de l'enseignement moyen qui a été présentée, et la loi sur l'enseignement primaire, dont la discussion spéciale a duré, je crois, pendant près d'un mois.

Messieurs, dans l'intérêt de cette discussion, de sa clarté, je pense que comme la section centrale a fait relativement à l'enseignement primaire une motion spéciale qui devra être discutée au chapitre qui concerne spécialement cet enseignement, il vaudrait mieux borner pour le moment le cercle de la motion de l'honorable M. Jullien à la révision de la loi sur l'enseignement supérieur et à la demande de la présentation d'une loi sur l'enseignement moyen. Déjà ce cercle me paraît assez large. Nous pourrions ensuite discuter d'une manière plus utile la question si importante de l'enseignement primaire.

Veuillez le remarquer, messieurs, si nous discutons la question de l'enseignement primaire en même temps que les questions relatives aux autres degrés d'instruction, nous aurons à recommencer la discussion lorsque nous serons arrivés au chapitre lui-même, à propos de la proposition faite par la section centrale et qui consiste à supprimer le chiffre qui concerne l'inspection ecclésiastique. L'inspection ecclésiastique, messieurs, c'est une base essentielle de la loi.

Messieurs, c'est pour ne pas jeter trop de confusion dans un débat aussi étendu, que je demande à la chambre et à l'honorable auteur de la motion lui-même, de vouloir circonscrire quelque peu cette motion et de n'y comprendre que l'enseignement supérieur et l'enseignement moyen. (Interruption.)

Sans doute il est libre à chaque orateur d'embrasser dans son discours le discussion du chapitre tout entier. Je ne puis m'y opposer. Mais je pense que j'ai le droit d'émettre le désir que cette discussion soit circonscrite et qu'on établisse une discussion spéciale sur l'enseignement primaire.

M. Le Hon. - Messieurs, les observations que vient de présenter l'honorable membre, mériteraient l'accueil favorable de la chambre, si nous avions, sur une des parties de l'enseignement, des questions spéciales à résoudre par un vote. Mais, pour m'arrêter, par exemple, à la branche de l'enseignement qu'il a citée, il n'existe pas de proposition formelle quant au système de révision de la loi relative à l'enseignement primaire.

M. Dechamps. - Pardon !

M. Le Hon. - Permettez. Il y a une motion qui recommande au gouvernement la révision des lois sur l'enseignement supérieur et l'enseignement primaire, et la présentation d'une loi qui règle l'enseignement moyen. On peut produire, au sujet de cette motion générale, des considérations sommaires soit pour soit contre la nécessité et l'urgence de l'une ou l'autre des mesures recommandées.

Mais, après l'émission d'un simple vœu, s'il est partagé par la chambre, vous n'avez pas à décider, à l'égard de l'enseignement primaire, par (page 750) exemple, les changements qu'il convient d'apporter au système ou à quelques-unes des dispositions de la loi de 1842.

Je pense donc que ce serait scinder inutilement la discussion, sans profit pour sa durée, comme sans avantage pour l'ordre et la clarté du débat, que de renvoyer les observations concernant l'instruction primaire, à une discussion ultérieure qui n'aurait, comme toutes les autres, qu'un caractère de généralité.

Je pense donc que, comme la motion d'ordre embrasse les trois branches de l'enseignement, il faut que la discussion générale porte librement sur toutes sans exception, sauf à entendre ensuite, sur chaque chapitre, les observations particulières dont il serait l'objet. Je crois que cette manière de procéder abrégera les débats, loin de les prolonger.

M. Orts. - Messieurs, l'honorable préopinant est dans le vrai par sa conclusion, mais il a commis une erreur dans l'un des motifs qu'il a présentés à l'appui de sa manière de voir sur la motion d'ordre.

Il est inexact de prétendre que la section centrale ne propose rien qui doive nécessiter un vote de la part de la chambre. La section centrale propose un amendement sur l'instruction primaire ; par conséquent, il y aura lieu à voter.

Cependant je crois que cette proposition de la section centrale ne peut pas avoir pour effet d'empêcher que l'on conserve à la discussion générale, actuellement ouverte, les développements qu'on vient de lui donner; parce qu'il n'est pas entré dans la pensée de la section centrale, en proposant son amendement, de faire décider par la chambre la suppression de l'inspection ecclésiastique. L'honorable M. Dechamps s'est trompé en le disant. Elle ne propose qu'une chose: c'est la suppression du crédit alloué pour les frais de cette inspection ; c'est-à-dire qu'elle admet cette inspection, mais qu'elle ne veut pas que l'Etat la paye.

Ainsi la question de savoir s'il y aura encore une inspection ecclésiastique, si l'on veut la traiter, doit l'être dans la discussion générale.

M. Le Hon. - Je me bornerai à répondre deux mots : Je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas d'amendement présenté par la section centrale ; mais j'ai avancé qu'aucun projet de révision de la loi sur l'instruction primaire n'était en ce moment soumis au vote de la chambre.

Telle a été l'unique sens de me paroles, si j'ai bien rendu ma pensée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je n'entends pas contrarier les orateurs qui veulent prendre part à la discussion générale. Je les écouterai tous avec beaucoup de plaisir.

Mais quant à la motion qui vous est faite, j'avoue que je n'en comprends pas bien la portée ni l'utilité.

On demande que le gouvernement dépose d'abord un projet de révision de la loi de l'instruction supérieure. Sous ce rapport j'ai été au-devant du vœu de l'auteur de la proposition. Un projet de loi de révision de l'enseignement supérieur est prêt, et je le déposerai sur le bureau au premier moment opportun.

Le projet de loi sur l'enseignement moyen est également arrêté en principe. Il est prêt à être formulé et à être déposé sur le bureau.

Je crois que si la chambre est saisie, dans le courant de cette session, d'un projet de révision de la loi sur l'enseignement supérieur et d'un projet de loi d'organisation de l'enseignement moyen, elle aura plus qu'il ne lui en faut pour occuper tous ses moments jusqu'à la fin de la session, en supposant même qu'il lui fût possible d'aborder utilement l'examen du projet de loi sur l'enseignement moyen.

Reste l'instruction primaire.

Faut-il réviser la loi d'enseignement primaire? Je n'hésite pas à dire oui. Il faut la réviser dans certaines de ses parties. Mais faut-il déposer immédiatement un projet de loi? Je ne le crois pas. Je ne pense pas le moment venu de déposer un pareil projet. La loi est de 1842; voilà cinq à six ans seulement qu'elle fonctionne. Des améliorations administratives importantes peuvent y être introduites. Les abus, les inconvénients que la pratique, que le temps auront révélés, seront successivement corrigés, les uns administrativement, les autres législativement.

Lorsque le moment sera venu, un projet de révision de la loi sur l'enseignement primaire sera présenté à la chambre ; mais présenter ce projet dans le courant de la session, me paraîtrait une chose complètement inutile.

Je pense, messieurs, qu'après cette déclaration, la motion déposée par l'honorable député du Luxembourg perdra beaucoup de son importance, si elle ne vient pas entièrement à disparaître.

Maintenant, messieurs, je ne m'oppose nullement à ce que chaque orateur se livre aux réflexions que l'état de l'enseignement en général peut lui suggérer. C'est là une question dont la chambre fait bien de s'occuper et dont le pays se préoccupe à très juste titre.

M. le président. - M. Dechamps insiste-t-il sur sa motion d'ordre?

M. Dechamps. - Non, M. le président.

M. le président. - La motion d'ordre de M. Dechamps étant retirée, il reste celle de M. Jullien qui se résume en une question d'opportunité de la révision des lois organiques sur l'enseignement. Nous allons continuer la discussion générale qui comprendra nécessairement la motion de M. Jullien.

M. Julliot. - Messieurs, dans la discussion générale du budget qui nous occupe, plusieurs orateurs ont émis l'opinion que l'Etat doit organiser enseignement aux trois degrés, autant que possible sur tous les points du pays.

Ils ont cherché à faire comprendre que le gouvernement devait façonner la jeûneuse parce qu'ils appellent un enseignement national.

Les débats, dans la réunion des délégués de 21 athénées et collèges intitulée congrès, se sont placés sur le même terrain et la plupart des membres de ce congrès libre ont fait entendre qu'ils étaient à peu près tous disposés à faire le sacrifice de leur liberté, en se laissant absorber par le gouvernement, contre un traitement convenable et une pension éventuelle. J'ai, dans cette enceinte même, messieurs, un honorable collègue, que vous avez entendu avant moi, et qui soutient qu'il ne voit pas, qu'il ne connaît pas les établissements libres d'enseignement, que par conséquent ils n'existent pas pour lui. Partant, il faut, dit-il, que le gouvernement donne l'instruction tout comme si, seul, il était chargé d'en pourvoir tout le monde. Cet honorable collègue me fait l'effet d'un homme qui, pour pouvoir nier l'existence d'un orage, ferme les yeux et se bouche les oreilles.

M. Delfosse. - Je n'ai pas dit cela.

M. Julliot. - Messieurs, on dit que celui qui porte à cette tribune des méditations qui ne sont pas mêlées au tourbillon des idées du jour, se dépopularise; eh bien! cette considération ne m'arrêtera pas, je dirai la vérité avec toute la franchise que pourrait me donner un assentiment général, dussé-je perdre le dernier vestige de ma popularité.

Je n'entrerai dans aucun détail, je me bornerai à indiquer quelques principes généraux dont le gouvernement, à mon point de vue, ne devrait pas s'écarter.

Messieurs, nous vivons dans un pays libre, ou l'instruction est libre, et avec des institutions comme les nôtres, ce n'est certes pas au gouvernement à façonner la nation, puisque de fait la nation façonne plutôt le gouvernement. L'idée de la formation de l'éducation gouvernementale n'est applicable qu'aux gouvernements absolus, où la nation est la chose du monarque, qui élève la jeunesse dans les principes de soumission absolue aux prescriptions du maître. En Belgique, cette idée n'est pas applicable.

D'ailleurs, messieurs, souvenons-nous que le roi Guillaume avait organisé un enseignement national et qu'alors que les élèves sont devenus des hommes, ils ont mis le maître à la porte...

M. Rodenbach. - Ils ont bien fait!

M. Julliot. - ... Et ce qui est évident pour moi, c'est que les établissements libres pourvoient chez nous pour une part considérable aux besoins généraux de l'instruction, quoiqu'en dise mon honorable collègue. L'université de la capitale est là pour me donner raison.

Le gouvernement a le droit d'avoir son enseignement, tout comme la province, la commune, et le particulier le leur, et il fait bien de l'organiser. Mais, en règle générale, l'enseignement donné par l'Etat doit être supérieur à tous les autres. S'il manque à cette condition, c'est un non-sens; car au lieu de servir de modèle, de provoquer l'émulation, la concurrence en progrès, il n'a pas de signification s'il reste l'égal des établissements libres, et il devient mauvais, exemple pernicieux, s'il leur est inférieur.

Or, pour atteindre ce but, il ne faut pas multiplier les établissements, mais les constituer dans les meilleures conditions possibles. C'est ainsi que je suis d'avis qu'il ne faut avoir qu'une université de l'état en deux sections, à savoir les facultés de philosophie et du droit à Gand, les sciences et la médecine à Liége. Vous dédoublerez les deux universités ; vous prendrez les hommes les plus capables; vous stimulerez leur zèle en doublant leur auditoire, et vous éveillerez dans l'esprit des élèves cette salutaire émulation qui croit toujours en proportion du nombre.

Vous joindrez à ces universités les écoles des ponts et chaussées, des mines, l’école militaire ; Gand et Liège n'y perdront rien; et vous obtiendrez un établissement-modèle auquel vous ne pourrez jamais prétendre, tant que vous en conserverez deux, même à l'aide de soixante professeurs par université, dont plusieurs ne donnent pas de cours faute d'élèves, et quand on considère, messieurs, que les hommes hautement capables qui nous représentent à l'intérieur et à l'étranger, se sont formés à des universités qui ne comptaient guère que quinze à vingt professeurs, le pays doit posséder actuellement dus hommes d'une capacité hors ligne, si le nombre des professeurs a produit ce qu'on en attendait.

Quant à l'enseignement moyen, messieurs, appliquez-lui le même principe; créez des établissements en petit nombre, mais qu'ils servent de spécimen et qu'ils dépassent tous les établissements libres. Préparez dans ces établissements les jeunes gens, de manière qu'en arrivant aux universités, ils n'aient plus à s'occuper que des facultés spéciales auxquelles ils se vouent.

Maintenant, en ce qui concerne l'enseignement primaire, je pense que l'Etat a l'obligation morale de veiller à ce qu'il soit donné dans toutes les communes. C'est une nécessité sociale impérieuse, d'une application générale ; là du moins, on puise dans la bourse commune pour former des subsides, la communauté entière en profile ; il n'y a plus de faveur.

Mais, messieurs, gardons-nous en même temps de permettre au gouvernement d'absorber les instituteurs communaux, comme beaucoup d'entre eux le demandent ; ce serait grossir notre armée de fonctionnaires de 2,800 hommes, ce serait rétrograder au pas de course.

Décentralisons partout où nous le pouvons, mais ne posons pas un acte du principe oppose.

Je me demande, messieurs, si le gouvernement, par des prodigalités exercées aux dépens de la fortune publique, doit favoriser cet entraînement des parents, quelle que soit leur position, à pousser leurs enfants à étudier le grec, le latin, et aux études académiques, alors que nous voyons beaucoup de parents se ruiner pour produire des étudiants manques ou des médiocrités qui, ne trouvant pas à vivre, ne rêvent que bouleversements, afin d'obtenir du hasard ce que la marche régulière et lente de l'avènement aux emplois leur refuse.

(page 751) Dès ce moment, messieurs, je pose la question de savoir s'il ne serait pas utile de s'occuper un peu moins de l'éducation littéraire et scientifique, où déjà il y a au-delà des besoins, pour reporter ses soins sur l'éducation professionnelle où tout est à faire, et qui certes est la plus populaire, puisqu'elle se lie intimement à l'enseignement primaire.

Je ne hasarde pas cette idée, messieurs, sans pouvoir m'appuyer sur des faits. Je vous demanderai quel est l'avenir de nos écoles des mines, des ponts et chaussées, de nos conservatoires? Ne vous apercevez-vous pas que vous faites naître une pléthore à laquelle vous n'avez pas de remède à appliquer? Ce n'est pas tout de favoriser à l'excès le développement de producteurs intellectuels; ils demanderont de l'emploi à la société, elle n'aura pas à leur en donner.

Consultez sur les bienfaits de l'instruction, dans toute l'extension que l'enthousiasme leur donne, les jeunes gens qui sortent de nos écoles et se trouvent sans espoir d'emploi; ils vous répondront qu'à l'école on les nourrissait d'illusions, et qu'entrés dans le monde, ils n'ont trouvé que déception. Je voterai les chiffres demandés pour 1849, me réservant mon vote pour le budget de 1850.

M. de Theux. - M. le ministre de l'intérieur vient de déclarer que des projets de lois sur l'enseignement supérieur et sur l'enseignement moyen seront présentés à une époque rapprochée. Il n'y a donc rien à réclamer sous ce rapport. Je me réserve tout à fait mon opinion en ce qui concerne l'enseignement supérieur ; quant à l'enseignement moyen, c'est une obligation constitutionnelle.

J'ai, messieurs, quelques observations à présenter sur ce qu'a dit l'honorable M. Delfosse, quant à l'indépendance du pouvoir civil et l'intervention du clergé à titre d'autorité dans l'enseignement primaire.

Je dis, messieurs, que le clergé n'intervient pas, à titre d'autorité, dans l'enseignement primaire, et que l'indépendance du pouvoir civil est absolue. J'ai eu l'occasion de prendre part à la discussion de cette loi et à son application, et je dois dire que l'autorité civile tranche toutes les questions, et cela d'après le texte même de la loi.

L'autorité ecclésiastique n'a qu'une seule garantie, la faculté d'abstention que vous ne pouvez lui enlever; alors même que vous décideriez que l'intervention du clergé dans l'enseignement primaire doit être réglée par voie administrative, comme le voudrait M. Delfosse, le clergé n'en conserverait pas moins la faculté d'abstention. Les positions resteraient absolument les mêmes; mais le système de l'honorable membre aurait le désavantage d'être moins en rapport avec le texte de la Constitution, et avec les principes véritables du gouvernement représentatif. En effet, messieurs, sous le gouvernement des Pays-Bas, l'instruction était régie par voie administrative; mais le Congrès, ayant reconnu les abus de cette organisation administrative, a voulu que l'enseignement fut réglé par la loi, et je pense que l'un des motifs pour lesquels il l'a voulu, était de donner aussi aux pères de familles la garantie qu'au moyen de l'enseignement, il ne serait rien entrepris contre la religion de leurs enfants.

Voyez, messieurs, l'inconséquence du système préconisé par l'honorable M. Delfosse. Tout ce qui est d'intérêt matériel, d'intérêt scientifique, serait réglé par la loi. Et cet autre intérêt, qui tous les peuples ont toujours considéré comme si prépondérant, l'intérêt religieux, ne serait point garanti par la loi; celui-là serait abandonné exclusivement à l'arbitraire administratif, c'est-à-dire qu'il serait soumis à toutes les variations administratives. Un jour il y aurait un ministère ultra-catholique; celui-là, par voie administrative, pourrait faire au clergé la position la plus belle, il pourrait tout lui abandonner; l'autre jour, il y aurait un ministère ultra libéral, qui refuserait tout au clergé; une autrefois, ce serait un ministère mixte ou telle autre combinaison que l'on pourrait imaginer, et ainsi l'intérêt social par excellence serait abandonné aux hasards des élections. Telle n'a point été la pensée du congrès national. Tel n'est pas non plus le sens de notre Constitution.

Je disais, messieurs, que la loi sur l'enseignement primaire laisse toutes les autorités et surtout le gouvernement dans la plus grande indépendance. En effet, l'autorité religieuse ne peut rien prononcer qui amène une exécution forcée; elle peut réclamer auprès de la commune, auprès de l'instituteur, auprès de l'inspecteur, auprès du ministre; mais tout se borne à de simples réclamations, à de simples observations; de décision exécutoire, elle ne peut point en prendre. Lorsque l'autorité communale, lorsque le gouvernement a décidé, si la décision ne convient pas à l'autorité ecclésiastique, celle-ci n'a qu'une chose à faire, c'est de se retirer si elle est par trop contrariée par la décision prise. Voilà, messieurs, la position que la loi a faite au clergé, et, à coup sûr il n'y a là rien qui entreprenne sur l'indépendance du pouvoir civil.

L'honorable M. Destriveaux s'étonne que l'on ait parlé de morale dans la loi de l'enseignement primaire ; mais, messieurs, la morale dont l'enseignement est subordonné à la direction du clergé, c'est évidemment cette morale qui est en rapport intime avec le culte; car tous les cultes ont un code de morale, de la même manière que tous les gouvernements ont aussi un code de moral. Le code moral de l'Etat, en quoi consiste-t-il? C'est la loi fondamentale et les diverses lois du pays. Dans le culte, ce sont les observances qu'il prescrit. Voilà ce qui forme la morale religieuse, qui est entièrement liée à l'enseignement religieux.

Je bornerai là mes observations. J'attendrai le chapitre de l'instruction primaire pour prendre de nouveau la parole, si l'on entre dans de plus grands développements.

M. Dechamps. - Messieurs, le vœu relatif à la révision de la loi sur l'enseignement primaire, a plusieurs origines. La première origine, c'est la résistance des communes auxquelles la loi de 1842 a imposé, j'en conviens, d'assez fortes charges financières, mais qui sont la condition même de l’existence et des progrès de l'instruction primaire. Ces communes sont précisément celles qui, avant la loi de 1842, avaient laissé l’enseignement primaire dans un complet abandon.

Messieurs, l'honorable M. d'Elhoungne vous l'a dit dans une des séances précédentes, le gouvernement, les inspecteurs ont dû lutter courageusement pendant plusieurs années contre cette opposition incessante des communes, qui refusaient d'accepter les sacrifices que la loi leur imposait, qui s'obstinaient à ne pas vouloir rétribuer les instituteurs, qui préféraient réserver ces sacrifices pour la voirie vicinale on pour tout autre intérêt matériel et communal.

La seconde origine de ce vœu de révision, c'est la résistance de quelques provinces, celles-là précisément qui, en 1840 et 1841, ne portaient à leur budget que des sommes de 1,000 à 3 ,000 fr. pour l'instruction primaire, et auxquelles la loi nouvelle a imposé, du chef de 2 centimes additionnels, des sommes qui se sont élevées jusqu'à 100,000 fr.

Je comprends très bien que ces communes, ces provinces, qui avaient été si avares de sacrifices auparavant, les aient trouvés trop lourds, quand la loi a reçu son exécution. Et cependant, le gouvernement avait pendant deux ans admis des tempéraments et des moyens de transition, et, je le répète, il n'y a pas d'enseignement primaire sans ces dépenses indispensables. Voilà l'une des causes de ces réclamations dirigées contre la loi du 23 septembre 1842.

Ainsi, ce vœu ne prend pas sa source dans des idées de progrès, d'amélioration de l’enseignement primaire, mais dans les idées d'inertie, de routine, de résistance inintelligente de la part de quelques provinces et de beaucoup de communes. Voilà la vérité.

Une autre origine du vœu de révision concerne la question de l'inspection. Je pense que l'honorable M. Jullien a surtout en vue, ainsi que la section centrale, les frais qu'entraîne l'organisation de l'inspection tant civile qu'ecclésiastique.

Eh bien, je pense aussi qu'une certaine réforme peut être adoptée dans l'organisation actuelle de l'inspection. Je veux parler de l'inspection cantonale. Lorsqu'il a fallu exécuter la loi du 25 septembre 1842, on comprend que le gouvernement a dû exiger des inspecteurs cantonaux, non seulement des connaissances en fait d'enseignement, mais aussi des connaissances administratives. Tout était à organiser, non seulement l'enseignement lui-même, mais la partie administrative de l'enseignement. On comprend que, dans le principe, il a été nécessaire que les inspecteurs cantonaux fussent assez nombreux. Maintenant que l'organisation est faite, il serait possible peut-être de réduire le nombre des inspecteurs cantonaux ; on pourrait agrandir leurs ressort de manière à y comprendre plus de cantons, et, dans quelques parties du pays, à atteindre les limites de l'arrondissement.

Mais pour cela, il n'est pas nécessaire de réviser la loi. La loi comporte cette réforme, sans qu'il faille en changer les bases.

L'opposition que la loi de 1842 rencontre encore, est aussi un souvenir des anciennes luttes politiques ; cette opposition est dirigée contre le mode d'intervention du clergé dans l'enseignement primaire. C'est de cette question que d'honorables membres se sont surtout préoccupés ; je vous demande la permission de m'y arrêter.

L'honorable M. Delfosse a prétendu que pour laisser au pouvoir civil sa complète indépendance dans la sphère de l'enseignement primaire, il fallait qu'il eût la direction exclusive de tout l’enseignement...

M. Delfosse. - De tout l'enseignement donné aux frais de l'Etat.

M. Dechamps. - Evidemment; je ne parle que de l'enseignement légal.... qu'il fallait que l'enseignement, dans les écoles primaires légales, fut exclusivement dans les mains de l'Etat.

Je démontrerai tout à l'heure que ce principe a pour conséquence nécessaire, ou bien de donner à l'Etat une action prépondérante sur l'instruction religieuse, ou bien d'exclure cette instruction religieuse de l'école.

Mais auparavant, je veux dire un mot de cette autorité, de cette domination que l'on attribue, par un singulier abus de mots, aux ministres des cultes dans les écoles du peuple. L'honorable M. de Theux vient de le rappeler : d'après les principes écrits dans la loi de l'enseignement primaire, l'autorité religieuse ne décide jamais; c'est le gouvernement qui toujours décide et tranche seul les contestations soulevées....

M. Delfosse. - C'est une erreur.

M. Dechamps. - C'est si peu une erreur, que dans la sphère même de l'enseignement moral et religieux, où les ministres des cultes sont seuls constitutionnellement compétents, le gouvernement juge de la réalité des faits et décide si les subsides seront conservés ou retirés. Les inspecteurs ecclésiastiques, les évêques, les inspecteurs pour les autres cultes et les consistoires, sont consultés, sont appelés à éclairer les décisions du gouvernement, dont le devoir est de tenir compte des renseignements tournis quand ils sont exacts, mais en dernier ressort, l'Etat décide. L'abstention, le refus de concours est l'arme laissée au clergé, et cette arme, ce n'est pas la loi, c'est la Constitution qui la lui donne.

Chaque fois que les inspecteurs civils et les inspecteurs ecclésiastiques sont en contact d'une manière officielle, par exemple, dans les conférences cantonnâtes et dans le sein de la commission centrale de l'instruction, croyez-vous qu'on ait fait aux inspecteurs ecclésiastiques une position d'égalité avec les inspecteurs civils? Non, messieurs; dans les conférences cantonales, c'est l'inspecteur civil qui préside. Dans la commission (page 752) centrale, ils n'ont été admis qu'avec voix consultative; partout une position d'infériorité leur est faite.

Où voyez-vous là cette intervention à titre d'autorité, ce qui signifie à titre de domination, si ces expressions ont un sens quelconque ? On ne me le dira pas. Je le prédis d'avance, mais on 'se réfugiera devant cette phrase qui a l'avantage de tenir lieu de raisonnement.

Cette autorité, ce pouvoir de décision, la loi de 1842 ne l'a accordé nulle part au clergé; c'est le gouvernement qui seul le possède.

Mais cela ne suffit pas à l'honorable M. Delfosse; pour qu'il n'y ait pas abaissement du pouvoir civil, il faut, selon lui, que l'Etat ait la direction exclusive de l'enseignement tout entier dans les écoles légales. Ce principe, je le repousse, comme on l'a repoussé dans tous les pays civilisés du monde, au nom de l'expérience et du bon sens.

Mais l'enseignement de la religion, suivant le culte professé par les habitants de la commune où l'école est établie, cet enseignement est écrit en tête du programme de l'instruction primaire, comme enseignement obligatoire, dans toutes les législations connues. Ce n'est pas une clause facultative, une clause administrative, c'est une condition essentielle et obligatoire. Eh bien, l'honorable M. Delfosse ira-t-il prétendre que l'Etat doit diriger cet enseignement? Oui, si l'Etat doit avoir la direction exclusive de l'enseignement primaire tout entier et si la religion fait partie de cet enseignement; ce serait se heurter contre la Constitution. L'honorable membre ne le veut pas, sans doute; dès lors la conclusion évidente du principe qu'il pose, c'est l'exclusion de l'enseignement religieux de l'école primaire. Si on ne l'exclut pas, il faudra bien obéir à la Constitution et en laisser la direction aux ministres des cultes, et une partie essentielle de l'enseignement primaire échappera à l’action de l'Etat, ce que M. Delfosse ne veut pas admettre. Le système de M. Delfosse, c'est la séparation de l'instruction de l'éducation dont la doctrine religieuse forme la base.

On parle souvent de l'action de l'Etat dans l'enseignement primaire. Pour moi, je ne connais pas de législation sur cet enseignement, ni en France ni en Allemagne; je ne cite pas l'Angleterre où cette action n'existe pas; je ne connais pas de législation qui ait donné autant d'action à l'Etat que la loi du 23 septembre 1842. Je vais le prouver en peu de mots.

La loi de 1842 repose sur deux bases : l'inspection et les écoles normales. Nous avons pris à la loi hollandaise de 1806, qui a servi de modèle à tant de lois sur cette matière, son système d'inspectorat; nous avons emprunté à l'Allemagne l'organisation de ses écoles normales.

En Hollande, comme l'a dit un auteur célèbre, l’inspection est toute la loi ; l'enseignement normal y est très peu développé, mais l'inspectorat y est puissamment établi.

C'est ce système d'inspection à deux degrés que nous avons adopté dans la loi de 1842, et je puis dire que nous l'avons amélioré et fortifié, en donnant pour point d'appui à l'inspection les conférences cantonales d'instituteurs.

J'ai la prétention d'avoir étudié sérieusement la question que je traite, et depuis que la loi est faite, je me suis donné la peine d'en suivre l'exécution avec soin.

J'ai visité l'une de nos écoles normales, j'ai assisté à des conférences cantonales d'instituteurs; je dois dire que j'ai été émerveille des résultats obtenus ; de l'esprit de corps et de solidarité que ces réunions produisaient parmi les instituteurs, sous la tutelle, sous l'impulsion des inspecteurs qui les président. Ces conférences réunissent à la fois les avantages d'un enseignement normal temporaire et ceux des concours ; c'est la base de l'inspection et l'âme de l’enseignement primaire.

Les écoles normales, aussi bien celles de l'Etat que les écoles normales adoptées, sont organisées d'après un plan d'enseignement et de discipline qui ne le cède en rien, j'ose l'affirmer, à celles de l'Allemagne.

M. de Perceval. - C'est une erreur.

M. Dechamps. - Je ne sais si M. de Perceval a visité les écoles de l'Etat et celles de l'Allemagne...

M. de Perceval. - Oui, j'ai visité ces écoles normales.

M. Dechamps. - ... En ce cas il voudra bien nous dire en quoi les écoles allemandes ont de la supériorité sur les nôtres.

L'Etat en Belgique a donc tout à la fois dans les mains les moyens d'action que présente l'organisation hollandaise et ceux qu'offre l'organisation de l'enseignement primaire en Prusse.

Récemment, je puis citer ce fait, un publiciste français, qui s'est beaucoup occupé de ces matières, et qui, appartient à l'opinion libérale, est venu me voir pour me demander quelques renseignements sur l'organisation de l'enseignement primaire en Belgique.

Savez-vous ce qu'il me dit? En France, quand on parle de la liberté comme en Belgique, me dit-il, cela veut dire de l'anarchie comme en Belgique. Il ajouta qu'il avait été singulièrement détrompé en étudiant l'organisation de notre enseignement primaire, et qu'il reconnaissait que l'influence que notre loi de 1842 donnait à l'État, était bien plus puissante que l'influence que la loi française de 1843 consacrait, Pour tous ceux qui sont quelque peu initiés à cette question, cela est de toute évidence.

Je disais tout à l'heure, pour me servir d'une expression employée, dans une autre séance, par l'honorable M. de Perceval, je disais qu'au frontispice de toutes les lois sur l'enseignement primaire est écrit : enseignement religieux obligatoire sous la surveillance du ministre du culte professé par la majorité des enfants qui fréquentent l'école. Si l'on est d'accord partout pour proclamer ce principe, on diffère, dans les divers pays que j'ai cités, sur le mode d'intervention du clergé dans les écoles légales.

Trois systèmes ont été adoptés : en Allemagne les certificats d'aptitude religieuse donnés par le clergé aux aspirants-instituteurs; ce certificat est obligatoire, pour qu'un instituteur puisse exercer ses fonctions. En 1828, M. de Vatimesnil, membre du ministère libéral de M. Martignac, avait présenté un projet reposant sur ce principe qu'a préconisé chez nous un savant prélat qui s'est beaucoup occupé d'enseignement primaire.

Nous n'avons pas admis ce système de certificats d'aptitude religieuse.

En France, quel est le mode d'intervention du clergé? La loi de 1833 a consacré le système des comités : il y a un comité local de surveillance, au-dessus duquel est placé un comité d'arrondissement. Dans le comité local, comme dans le comité d'arrondissement, un membre du clergé en fait partie de droit, non pas d'une manière administrative, facultative, mais en vertu de la loi, à titre d'autorité, selon le mot reçu.

Cette question de l'intervention de droit du clergé dans l'école primaire a été agitée, en France, lors de la discussion de la loi de 1833.

Quelques membres pensaient aussi, que l'intervention du clergé était utile et bonne, mais qu'il ne fallait l'admettre que d'une manière administrative, facultative.

Eh bien, les auteurs de la loi, M. Guizot, M. Cousin, ont combattu énergiquement ce principe comme funeste.

Je pourrais faire de nombreuses citations; j'en rapporterai une seule, de M. Cousin, rapporteur de la loi à la chambre des pairs : « Il ne suffit pas (disait M. Cousin) que le curé ou le pasteur puissent être choisis par le conseil municipal, il faut qu'ils ne puissent pas ne pas l'être; il faut qu'ils le soient infailliblement. L'autorité religieuse doit être représentée d'office dans l'éducation de la jeunesse, tout comme l'autorité civile. »

Vous l'entendez, messieurs, représentée d'office ! Cela ressemble beaucoup à l'intervention à titre d'autorité. Nous n'avons pas été aussi loin ; nous n'avons pas dit : tout comme l'autorité civile; car, comme vient de le dire l’honorable M. de Theux, l'autorité religieuse n'intervient pas, par voie d'autorité et de décision : on a fait au pouvoir civil une position de prédominance à certains égards.

Malgré cela, vous le savez, en France, on révise la loi sur l'instruction primaire. Croyez-vous qu'on y demande cette révision, comme on le fait ici, pour affaiblir, pour amoindrir l'influence de l'autorité religieuse dans les écoles populaires? C'est le contraire que l'on veut : on trouve que la part d'action faite au clergé à la liberté d'enseignement n'est pas suffisante ; on est décidé à l'augmenter.

Nous avons admis, dans la loi de 1842, un troisième système, pour régler le mode d’intervention du clergé; c’est le système de l'Angleterre et des Etats-Unis. Là, on a institué une double inspection : l'inspection civile et l'inspection ecclésiastique. Les subsides de l'Etat ne sont accordés, en Angleterre, qu'aux écoles soumises au régime de cette double inspection, et lorsqu'elles offrent la garantie que l'enseignement religieux et renseignement laïc y sont convenablement donnés.

Nous n'avons pas non plus été aussi loin. Mais enfin nous avons emprunté à l'Angleterre, son système de double inspection. Or, je le demande à la chambre, si elle supprimait l'inspection ecclésiastique n'au-rait-elle pas détruit ainsi toute influence religieuse dans l'enseignement primaire?

Nous n'aurions plus l'inspection comme en Angleterre, nous n’avons pas la surveillance exercée par les ministres des cultes dans les comités, comme en France, nous n'avons pas admis les certificats d'aptitude religieuse comme en Allemagne. Que vous restera-t-il ? rien. Vous auriez exilé formellement de l'école la religion et le prêtre qui la représentez. Et vous ferez cela ; vous affaiblirez l'influence religieuse, l'esprit chrétien dans les écoles du peuple, dans quel moment ! Dans le moment où la société est minée, sapée dans toutes ses bases, religion, famille, propriété, par ces doctrines socialistes qui exercent une propagande active qui épouvante par son audace et par les ravages qu'elle fait.

Comment ! c'est dans le moment où l'on voit des hommes d'Etat éminents qui ont présidé, on peut le dire, au mouvement libéral en Europe, des hommes qui, comme M. Thiers et M. Guizot, ont cru pouvoir fonder la société laïque en défiance de l'influence religieuse ; quand ou les voit jeter un cri d'alarme , faire appel à l'esprit de famille , à l'esprit religieux, à l'enseignement chrétien, comme à la dernière sauvegarde lorsque M. Thiers , qui était considéré comme l'adversaire de la liberté d'enseignement, vient de déclarer hautement, loyalement, qu'à ses yeux, le plus puissant adversaire des doctrines communistes, c'est le prêtre dans l'église comme dans l'école ; lorsque M. Guizot crie à la France du fond de son exil : « Ne disputez pas aigrement avec la religion, ne redoutez pas les influences religieuses, les libertés religieuses; laissez-les s'exercer et se déployer grandement, puissamment » ; c'est quand il devient manifeste pour tous les cœurs droits et élevés , que sans un prompt et immense déploiement de l’enseignement chrétien, aucune autorité ne sera assez forte, aucune influence n'est assez respectée, pour nous sauver de cette décadence sociale à laquelle évidemment nous assistons; c'est dans un tel moment, en présence de pareils dangers, que nous reculerions quand la France avance, que nous irions affaiblir l'influence religieuse, l’influence du clergé dans les écoles du peuple, quand ailleurs on cherche à la fortifier.

Cela n'est pas possible. Je regarde la chambre comme trop éclairée, (page 753) comme trop animée d'un sentiment patriotique et national, pour croire qu'elle commette jamais cette faute et qu'elle descende, selon l'énergique expression de M. Ch. de Brouckere, à de telles misères, dans de telles questions.

Elargissez l'enseignement primaire ; créez l'enseignement agricole et professionnel; donnez au gouvernement les moyens de développer les salles d'asile, les écoles d'adultes. Dites à vos inspecteurs (ils le font du reste déjà) de prémunir, dans les conférences cantonales, les instituteurs contre l'invasion des doctrines socialistes. Agrandissez, à ce point de vue, le cadre de l'enseignement dans les écoles normales.

Ajoutez, améliorez, mais ne supprimez rien, ne détruisez pas, et surtout n'enlevez pas à vos écoles, si vous voulez qu'elles prospèrent, l'influence religieuse qui est leur force, parce qu'elle est la condition de la confiance des familles.

M. Destriveaux. - J'ai été très surpris d'entendre un honorable orateur, dont je ne partage pas les opinions, mais en qui je reconnais d'ordinaire un sentiment de justice, me reprocher d'être étonné d'avoir rencontré le mot de morale dans une loi. Je serais beaucoup plus étonné de n'y point trouver de moralité. Mais j'ai été étonné d'y trouver réunis dans une disposition d'esprit toute particulière, ces mots de morale et de religion; parce que, dans mon esprit, tout en respectant la religion, en en faisant la base de la morale, on peut cependant enseigner la morale indépendamment du dogme religieux.

Voilà quelle a été ma pensée et je m'étonne qu'on se soit trompé sur son esprit.

Un éloquent orateur a prêté, si je ne me trompe, à ceux qui ont critiqué la loi de 1842, des pensées qu'ils n'avaient pas ; et justifiant avec beaucoup de talent la loi de 1842, il a aussi combattu des objections qui n'avaient pas été faites.

Mais il y en a une qu'il a pensé avoir repoussé, et il n'y a pas réussi. Selon lui, le clergé, d'après la loi de 1842, n'intervient en aucune manière, à titre d'autorité, dans l'enseignement primaire.

Pour bien apprécier cette assertion, messieurs, nous avons besoin de lire l'article 9 de la loi : « Les livres destinés à l'enseignement primaire dans les écoles soumises au système d'inspection établi par la présente loi, sont examinés par la commission centrale et approuvés par le gouvernement, à l'exception des livres employés exclusivement pour l'enseignement de la morale et de la religion, lesquels sont approuvés par les chefs des cultes seuls. »

Je demande si l'on peut soutenir qu'ils n'interviennent pas à titre d'autorité, ceux à qui l'approbation des livres concernant l'enseignement de la morale doit être soumise. Ce n'est donc pas à titre d'un pouvoir supérieur qu'on communique à leur censure préalable les livres concernant l'enseignement de la morale. Ah! s'il s'agissait des livres concernant l'enseignement de la religion, je concevrais qu'on les leur communiquât, parce qu'ils sont les juges nés de toutes les questions qui concernent leur culte. Mais quand il s'agit d'enseigner la morale, je suis étonné qu'on soumette à l'approbation exclusive des ministres du culte les livres destinés à cet enseignement. Si ce n'est pas là l'action d'une autorité, je n'en connais pas au monde.

L'honorable orateur à qui je répondrai imparfaitement, a cité des exemples, a parcouru les différentes législations, et il en a tiré la conséquence générale que ces législations faisaient plus pour l'intervention sacerdotale dans l'enseignement primaire, que la nôtre.

Je ne sais pas, messieurs, jusqu'à quel point d'autres législations ont pu faire plus que de créer au profit des ministres des cultes le droit de censure sur les ouvrages concernant l'enseignement de la morale. Je ne connais rien au-dessus de cela. Mais prenons garde de ne pas toujours nous laisser gouverner par des exemples de pays voisins.

Quel est l'état de la législation fondamentale des pays dans lesquels on a cherché des exemples ?

On nous a cité la Hollande, la Prusse et une partie de l'Allemagne. Mais prenez garde que dans la plupart des pays qu'on appelle protestants, le chef de l'Etat est en même temps chef de la religion ; et ce que je dis est plus fortement caractérisé en Angleterre, qu'on a citée aussi, que dans les autres pays.

En France il y a autre chose qu'on n'a pas dit, qui a probablement échappé à la rapidité de la pensée de l'honorable orateur auquel je réponds : c'est qu'en France, le clergé a une position tout à fait différente à celle du clergé de notre pays. En France, le clergé est soumis aux résultats du concordat; il n'est pas émancipé comme il l'est chez nous; il a des devoirs envers l'Etat. Les évêques sont nommés, par quelle autorité? Est-ce par une autorité complètement étrangère au pouvoir laïc? Non, sans doute.

On a cité l'autorité de M. Guizot. Je respecte beaucoup M. Guizot; mais pour que son opinion pût nous servir de guide dans la position où nous sommes et dans la question qui nous occupe, il faudrait demander à M. Guizot si, pour avoir une situation complètement identique, il consentirait à supprimer en France, s'il en avait le pouvoir, le concordat et les faits qu'il a produits. M. Guizot, lorsqu'il a exprimé son opinion, parlait-il d'un clergé complètement émancipé, d'un clergé complètement indépendant de l'autorité civile, d'un clergé dont les chefs ont annoncé publiquement que le droit d'enseigner leur appartenait? Ils ont fait connaître leurs prétentions. (Interruption.) Et les signes de dédain ne m'arrêteront pas ; les faits sont là ; les livres ont été publiés et on n'en peut nier l'esprit pas plus qu'on ne peut en contester la portée.

Il faut sans doute, messieurs, un respect profond pour la religion. Mais il faut savoir arrêter les actions et les prétentions de ceux qui s'en disent les chefs.

On nous a dit : dans ce siècle de tendances si perverses, à l'instant même où, pour ainsi dire, tous les droits sont mis en péril comme ils sont mis en question, oseriez-vous éloigner l'enseignement religieux de vos écoles? Mais qui donc a voulu cela? Ce ne sont certainement pas les membres qui avaient pris la parole avant vous, ce n'est ni l'honorable M. Delfosse ni moi qui avons émis une semblable opinion. Que d'autres l'aient voulu produire en dehors de cette enceinte, nous n'avons pas à supporter la responsabilité de leur pensée, nous n'avons pas la mission de les défendre.

Mais qui donc a, dans cette enceinte, prononcé une parole qui semblerait blasphématoire ? Qui donc a dit : foulez aux pieds la religion ; passez outre, comme cette triomphatrice romaine qui faisait passer son char sur le corps de son père. Mais nous disons au contraire: enseignez à l'homme la religion ; montrez-lui que, la religion ayant disparu, tous les liens qui unissent le ciel à la terre sont rompus, et qu'il ne peut plus élever sa pensée vers la Providence qu'il aura repoussée.

Nous disons : respectons la religion. Nous voulons même respecter le clergé. Mais nous voulons que le clergé s'abstienne de prétentions que nous avons le droit, comme homme, comme citoyen et comme législateur, de repousser, quand elles se présentent.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable M. Dechamps vous a dit que ceux qui demandaient la révision de la loi de 1842 sur l'instruction primaire, étaient mus par deux mobiles.

L'un de ces mobiles serait l'intervention des inspecteurs ecclésiastiques. Je ne toucherai pas cette corde; on pourrait croire que c'est au point de vue de Bruxelles que je parle, et je n'ai qu'à me féliciter de l'intervention des inspecteurs ecclésiastiques que nous avons à Bruxelles.

Mais l'honorable M. Dechamps a ajouté : les autres ont pour mobile les charges excessives que la loi de 1842 fait supporter aux communes.

Eh bien ! messieurs, je suis forcé de convenir que c'est par un motif tout opposé que je demande instamment que la loi soit révisée au plus tôt.

La loi de 1842 n'impose pas aux communes des obligations proportionnées aux services que l'instruction primaire rend à la population ; elle n'en impose pas de suffisants. Qu'en est-il résulté? C'est que les communes les plus habiles, lorsque parut la loi de 1842, ont augmenté immédiatement les frais de l'instruction primaire chez elles. Elles ont dit : nous payons déjà les deux centimes, nous payons même plus que deux centimes ; doublons le traitement de l'instituteur, changeons les meubles de l'école, approprions un autre local, la province et l'Etat devront payer. Et la province et l'Etat payaient ceux qui ont crié le plus vite et le plus fort ; et quand l'Etat s'est trouvé débordé et qu'il a trouvé que les subsides allaient croissants, l'Etat a dit: il faut s'arrêter, et l'honorable ministre de l'intérieur d'alors a donné un croc-en-jambe à la loi. De là résulte, messieurs, qu'il y a des communes qui, sans que le gouvernement veuille intervenir en rien, paient 10, 12 centimes pour l'instruction primaire, ou l'équivalent, tandis qu'il en est d'autres qui n'en paient que; 2, et où la province et l'Etat viennent à leur secours. Eh bien, je dis que dans cette position il y a urgence de réviser la loi.

Le rapporteur de la section centrale qui était chargée de l'examen du budget de l'intérieur, il y a deux ans, vous a fait voir, dans son rapport, que la section, à l'unanimité, avait décidé que le ministère violait la loi, que dans l'opinion de la section, il fallait modifier la loi, parce qu'en effet, on ne savait pas où s'arrêteraient les sacrifices de l'Etat.

L'article 23 de la loi dit que l'intervention de l'Etat n'est obligatoire que quand la commune paie deux centimes additionnels. On a joué sur les mots et parce qu'il y a là une négation, on a dit : il ne faut pas que l'Etat intervienne chaque fois que la commune paie 2 centimes, mais l'Etat ne peut pas intervenir quand la commune ne paie pas 2 centimes. Et savez-vous ce qu'on a dit à des communes qui paient jusqu'à 12 centimes au lieu de 2? On a dit : la loi communale ne porte que 17 ou 18 dépenses obligatoires ; vous devez être bien riches, puisque vous faites des dépenses extraordinaires pour votre théâtre, par exemple ; supprimez votre théâtre et donnez les fonds que vous y consacrez, à l'enseignement primaire. Lorsqu'une population veut bien se charger de payer trois fois ce que paie la commune qui est la plus obérée du royaume, on fait valoir de pareils arguments pour lui enlever tous ses droits.

Il y a à cela déni de justice, et je dis qu'il faut absolument modifier la loi. Je ne viens pas en demander l'exécution, mais je demande qu'elle soit modifiée, parce qu'il est bien certain qu'avec deux centimes additionnels on ne peut pas pourvoir au tiers, ni même au quart des charges que nécessiterait une instruction primaire bien organisée dans toutes les communes, c'est-à-dire donnée à toute la population indigente. Or, n'intéresser les communes que pour une fraction aussi minime, c'est à coup sûr doubler les charges publiques. Quand la charge pèsera sur la masse, chacun cherchera, non pas l'instituteur le plus habile, mais l'instituteur le mieux rétribué et l'école la plus richement meublée.

Je voudrais que la loi fût changée et qu'on admît, par exemple, le principe que la commune contribuera pour la moitié, la province pour le quart et l'Etat pour le quart. De cette manière, il y aurait un contrôle de l'enseignement et il y aurait un encouragement pour la commune, à étendre l'instruction publique et à la mettre en rapport avec les besoins de la population ; car chaque commune recevrait un subside équivalent aux sacrifices qu'elle ferait elle-même. D'un autre côté, comme on aurait à la fois le contrôle de l'Etat et le contrôle de la province, on serait sûr que les fonds publics ne sont pas dilapidés.

(page 754) Ainsi, messieurs, je demande que la loi soit modifiée, d'abord parce que de sa non-exécution il résulte un déni de justice pour (certaines communes, et, en second lieu, parce que je conviens que si on l'exécutait, l'État se trouverait obéré, les communes n'ayant plus aucun intérêt à surveiller l'emploi économique des fonds consacrés à l'instruction primaire.

Je demanderai à l'honorable rapporteur de la section centrale, comment il s'est convaincu que, pour exécuter l'article 23 de la loi, le gouvernement a besoin de 92,000 francs de plus que l'année dernière. Je lui demanderai s'il a acquis la preuve que le gouvernement intervient conformément à l'article 23 et alloue aux communes, concurremment avec la province, tout ce qui manqué pour couvrir les dépenses de l'instruction primaire. S'il n'a pas cette conviction, je ne comprends pas comment il propose d'augmenter le chiffre porté au budget et comment c'est pour obéir à la loi, s'il ne s'est pas assuré qu'on y obéit réellement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la question soulevée par l'honorable préopinant présente une grande importance au point de vue pratique et actuel. Nous ne sommes pas ici dans la théorie, nous sommes dans l'application de la loi, application que le gouvernement est obligé de faire tous les jours.

Le gouvernement croit qu'il interprète l'article 23 de la loi sur l'instruction primaire, comme il doit être interprété. L'interprétation contraire, celle qui a été soutenue par le rapporteur de la section centrale il y a deux ans, celle de l'honorable préopinant, aurait pour résultat d'entraîner le trésor public dans une nouvelle dépense d'environ 1,500,000 fr.

Pour besoins généraux de l'instruction primaire, la dépense totale est évaluée à 2,814,000 fr. ; le montant de 2 centimes additionnels sur tous les budgets communaux nous donne une somme de 565,000 fr.; en y joignant 2 centimes sur les budgets provinciaux, ce qui nous donne 265,000 fr. nous arrivons à une somme de 791,400 fr. à couvrir par les communes et les provinces, et cela pour faire face à une dépense de 2,814,000 fr.; vous voyez qu'il y aurait une énorme différence à couvrir par le gouvernement.

Nous soutenons, messieurs, que les communes sont tenues de faire face aux frais de l'instruction primaire jusqu'à concurrence de 2 centimes additionnels de leurs contributions directes, mais comme minimum; c'est-à-dire que toute commune qui ne paie pas pour l'instruction primaire l'équivalent de ces deux centimes, peut être forcée à le faire ; mais il ne s'ensuit pas que la commune qui porte les deux centimes à son budget, a droit à mettre le surplus à la charge de la province et du gouvernement : la province a le droit d'examiner si, sur les ressources ordinaires de la commune, il ne reste pas de fonds qui puissent être appliqués à l'instruction primaire; le gouvernement, à son tour, peut exercer le même contrôle.

Toute autre interprétation, messieurs, serait réellement désastreuse pour le trésor public, et le législateur de 1842 n'a pas voulu donner une pareille portée à l'article 23.

Il y a, messieurs, beaucoup d'arguments pour soutenir l'interprétation donnée par le gouvernement. Je me réserve de les faire valoir quand nous en serons aux articles relatifs à l'enseignement primaire. J'appelle seulement l'attention de la chambre sur les conséquences financières que pourrait avoir l'interprétation que l'honorable député de Bruxelles donne à l'article 23.

Si j'ai pris la parole en ce moment, c'est principalement pour tenir en garde certaines communes contre l'espèce d'encouragement qu'elles pourraient recevoir dans leur résistance, si j'avais laissé passer sans observation l'opinion émise en faveur du système que quelques-unes d'entre-elles défendent contre le gouvernement.

Le gouvernement croit à juste titre pouvoir imposer aux communes au-delà des deux centimes additionnels pour les dépenses de l'instruction primaire ; et si je prends la parole, c'est pour que mon silence ne soit pas mal interprété par les administrations communales avec lesquelles le gouvernement est en conflit sous ce rapport.

M. Jullien. - Messieurs, j'ai entendu tout à l'heure avec plaisir M. le ministre de l'intérieur annoncer à la chambre qu'il a l'intention de lui soumettre les différents projets de loi réclamés par ma motion d'ordre. Toutefois, je ne crois pas devoir retirer cette motion. Si, comme j'ai lieu de le croire, elle est favorablement accueillie par la chambre, le vote de l'assemblée stimulera, fortifiera l'action du pouvoir pour la présentation de projets de loi que le pays attend ardemment ; l'autorité de la décision de la chambre fournira, d'ailleurs, au pouvoir une arme à opposer à ceux-là qui voudraient en retarder la discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, si le gouvernement, à aucune époque, avait témoigné le moindre mauvais vouloir à présenter ces projets de loi, je concevrais que la chambre prît cette espèce de mesure coercitive et entravât, en quelque sorte, le gouvernement dans son droit d'initiative. Mais il n'y a rien de semblable. J'ai dit que le projet de révision de la loi de l'enseignement supérieur était prêt ; il doit être même voté avant deux mois, attendu qu'il comprend de nouvelles dispositions pour la nomination du jury d'examen.

Je ne le dépose pas encore sur le bureau, parce que la chambre n'a pas encore achevé les budgets de 1849, et je ne comprends pas d'où lui viendrait cette avidité de projets qu'elle ne pourrait pas examiner.

Quant au projet de loi sur l'enseignement moyen, les principes en sont également arrêtés dans la pensée du gouvernement. Le gouvernement déposera le projet sur l'enseignement moyen...

- Un membre. - Quand?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qui me fait cette question?

M. de Perceval. - Je vous demande, M. le ministre, si vous présenterez la loi dans le cours de la session.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne puis pas préciser la date; le gouvernement exercera en temps opportun le droit d'initiative qui lui appartient.

Nous croyons que ceux qui ont à cœur les progrès de l'enseignement moyen, ne doivent pas désirer de voter cette loi en ce moment. Nous voulons pour l'enseignement moyen une dotation généreuse, et aujourd'hui vous ne donneriez à cet enseignement qu'une dotation tout à fait insuffisante, en supposant que vous puissiez voter en ce moment la loi de l'enseignement moyen. D'un autre côté, et je le déclare hautement, si la discussion de cette loi devait faire naître dans la chambre et dans le pays des germes d'irritation qui n'existent pas maintenant, le moment ne serait pas opportun de présenter le projet; mais j'aime à croire que la grande majorité de cette chambre tombera d'accord avec le gouvernement sur les principes de la loi de l'enseignement moyen. Il s'est opéré dans les esprits un très grand rapprochement sous ce rapport.

Et, à cette occasion, je rappellerai à l'honorable M. Delfosse que lorsque nous avons eu à délibérer ensemble relativement à l'intervention du clergé dans l'enseignement de la religion , nous nous sommes mis entièrement d'accord sur le mode de cette intervention.

M. Delfosse. - Par voie administrative, et non par la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous étions d'accord.

M. Delfosse. - Oui, nous étions d'accord. Je l'ai dit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dans le nombre des réformes, il n'a pas été question de l'enseignement primaire, il a été question d'une formule, d'après laquelle le clergé aurait été admis à donner l'enseignement de la religion dans les établissements d'enseignement moyen.

Quant aux motifs pour lesquels j'ai voté la loi de l'enseignement primaire, je n'ai pas à en faire la confidence à personne. Sans doute, cette loi est susceptible d'être révisée dans quelques articles ; mais je dis que la loi de l'instruction primaire, exécutée dans un esprit libéral, suffît aux besoins du moment. En matière d'instruction primaire, beaucoup de difficultés se résolvent et beaucoup d'améliorations peuvent se faire par la voie administrative.

Ainsi, en résumé, un projet de loi de révision de la loi de l'enseignement supérieur sera présenté dans quelques jours à la chambre, qui devra même l'examiner d'urgence, j'en ai déjà dit le motif. Le projet de loi sur l'enseignement moyen sera également déposé en temps Opportun. Quant à la loi de l'instruction primaire, nous pensons que, dans plusieurs de ses articles, cette loi est susceptible de révision ; mais nous croyons aussi que libéralement appliquée et largement interprétée, elle peut suffire aux besoins du moment.

M. Lelièvre. - Messieurs, la proposition que j'ai déposée de concert avec mes collègues, tend d'abord à faire émettre par la chambre le vœu de voir le gouvernement proposer une loi concernant l'instruction moyenne. M. le ministre de l'intérieur vient de déclarer que le projet est préparé, mais qu'il ne peut s'engager à le déposer dans le cours de la session actuelle. Cette déclaration laisse déjà quelque chose à désirer et nous aurions souhaité vivement qu'elle eût été plus explicite.

Mais notre proposition concerne aussi l'enseignement primaire. Or, il résulte des paroles de M. le ministre que le gouvernement n'est pas d'accord avec nous sur la nécessité de la révision de cette disposition législative, puisqu'il vient de nous affirmer que la loi, bien appliquée, suffit aux besoins du pays.

Eh bien, messieurs, loin qu'il en ait été ainsi, l'expérience a au contraire démontré que, dans son application, cette loi a donné lieu aux abus les plus graves. Elle a introduit la suprématie du clergé dans les écoles, elle lui a conféré vis-à-vis des instituteurs une autorité qui les place sous sa dépendance presqu'absolue. Aujourd'hui il règne en maître dans les écoles primaires, et l'inspection provinciale civile est véritablement effacée; elle n'existe plus que de nom.

Messieurs, nous ne voulons pas exclure l’instruction religieuse de l'enseignement public, mais ce que nous repoussons , c'est l'intervention du clergé à titre d'autorité. Nous voulons qu'il vienne dans les écoles primaires comment vient dans nos familles, appelé par nos vœux et convié par nous.

Mais nous nous opposons à ce qu'il arrive la loi à la main, en vertu d'un droit légal dont il est si facile d'abuser. Si la religion n'était représentée que par des hommes parfaits, je concevrais que cette autorité qu'on revendique ne présentât aucun inconvénient; mais, messieurs, les ministres du culte partagent les faiblesses de l'humanité; de là certain désir d'empiétements qu'il est impossible de prévenir, sans restreindre le clergé dans les limites de ses fonctions spirituelles et lui dénier tout droit d'intervention forcée dans les écoles publiques.

Le système religieux que vous préconisez aujourd'hui, vous avez voulu l'introduire sur un plan plus étendu, vous avez voulu l'ériger au faîte du pouvoir, et vous savez quels fruits il a produits.

Voyez la correspondance de M. Nothomb avec les évêques et dites-moi s'il est possible d'annihiler davantage la dignité du pouvoir civil. C'est cependant à ce résultat qu'on arrive lorsqu'on admet une autorité religieuse érigée en autorité légale.

En résumé, il résulte des explications données par le ministère que le gouvernement ne veut pas s'engager à réviser la loi sur l'enseignement (page 755) primaire. Cependant, messieurs, les vœux unanimes du pays réclament cette mesure, que l'opinion libérale attend aussi avec la plus légitime impatience. Si le ministère s'obstine à méconnaître la voix de l'opinion publique, il m'est impossible de lui prêter ultérieurement mon concours. En conséquence, tant et aussi longtemps qu'il n'aura pas satisfait sur ce point aux justes exigences du pays, je voterai contre lui dans toutes les questions de confiance qui pourront se présenter.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mon intention, en prenant la parole, ne peut être d'obtenir de l'honorable préopinant qu'il continue au gouvernement une confiance qu'il lui a déjà refusée une fois ; je le laisse complètement indépendant dans sa conduite parlementaire; mais je tiens à bien expliquer ma pensée. J'ai dit que les lois sur l'enseignement devaient être l'objet d'une révision; que d'abord nous devions nous occuper d’un projet de loi sur l’enseignement supérieur, qui était le plus pressé ; qu’ensuite devait venir la loi sur l’enseignement moyen, car il n’y en a pas ; puis j’ai ajouté que différentes dispositions de la loi sur l’instruction primaire étaient à réviser en temps opportun. J’ai dit que la loi, telle qu'elle était, pouvait fonctionner utilement suivant qu’elle serait appliquée ou non dans un sens libéral. Il serait ridicule à nous de nous refuser à présenter des projets de loi que nous avons promis depuis longtemps. Je tiens à rectifier l'erreur de l’honorable député de Namur: au reste, libre à lui de refuser son concours au gouvernement, si le gouvernement n'a pas le bonheur d'avoir sa confiance.

M. Orts. - Je ne prends la parole ni pour apporter ni pour retirer mon concours au gouvernement. Je viens simplement lui demander une explication qui intéresse une portion notable de la jeunesse belge qui se livre aux études supérieures. M. le ministre vient d'annoncer que le projet de loi sur l'enseignement supérieur comprendrait la révision du système du jury d’examen ; que cette loi allait être proposée de manière à pouvoir être discutée d’urgence et appliquée immédiatement. S’il entend par immédiatement, qu’elle règlera les examens qui devront être subis à Pâques prochain, contrairement à ce que lui demandent mes collègues, je le supplie de retarder autant que possible la présentation de ce projet ; car il est impossible que les jeunes gens qui se sont préparés pour leurs examens, subissent une législation nouvelle qui viendrait modifier le système actuel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il ne s'agit pas de matières nouvelles que devraient étudier les élèves qui se feront inscrire pour la session de Pâques ; l'urgence de la discussion ne porte que sur la composition du jury. Les dispositions relatives aux matières d'examens ne seront pas immédiatement applicables.

M. Moncheur. - Je crois nécessaire de présenter quelques observations relativement à ce qui a été répondu sur les idées que j'avais émises, au commencement de la séance, sur l'organisation de l'enseignement supérieur. J'aurai quelques observations à faire encore, relativement à l'enseignement primaire. (Interruption.)

La discussion a été tellement générale que je ne croyais pas en sortir en parlant de l'enseignement primaire; car on a parlé de tout, de la motion d'ordre et de tous les chapitres relatifs à l'enseignement. Si cependant la chambre le désire, je ne prendrai pas la parole en ce moment.

- Plusieurs voix. - A demain !

- D'autres voix. - La clôture !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Continuons!

M. Moncheur. - Messieurs, j'ai proposé un système d’organisation d'enseignement supérieur. J'avoue que les raisons que m'ont opposées les deux orateurs qui m'ont contredit, ne sont nullement de nature à me faire changer d'opinion. En effet l'honorable M. Delfosse m'a répondu qu'en matière d'enseignement, l'économie ne devrait être qu'accessoire. En cela je puis souscrire à l'opinion de M. Delfosse ; car j'avais dit moi-même, que quelque énorme que fût la dépense pour l'enseignement supérieur, si la nécessité m'en était démontrée, je la voterais volontiers. Mais c'est là, précisément là ce que les honorables préopinants ne m'ont nullement démontré. On a dit ensuite qu'en Hollande il y avait trois universités de l'Etat, tandis qu'en Belgique il n'y en a que deux. Mais si je suis bien informé, en Hollande aussi on réclame la fusion des trois universités en une seule qui serait placée à Leyde.

Quant aux universités libres, ajoute l'honorable M. Delfosse, elles n'ont qu'une existence éphémère, elles peuvent disparaître du jour au lendemain. L'honorable membre en fait bon marché. Mais aussi longtemps qu'elles sont debout et qu'elles paraissent même douées des conditions les plus solides d'existence, elles constituent un fait dont il faut tenir compte; car ces établissements répondent à une somme de besoins considérable en ce qui concerne l'enseignement supérieur.

L'honorable M. Destriveaux me répond : vous avez tort de prétendre que les cours soient donnés en double; ils sont si peu donnés en double que les professeurs peuvent avoir et ont peut-être chacun leur doctrine à eux particulière; d'où il suit qu'un cours n'est pas la servile reproduction de l’autre. Mais s'il y a des matières sur lesquelles les opinions peuvent varier, elles sont peu nombreuses; il y en a beaucoup où cela est impossible ; on conviendra, par exemple, que dans les sciences et dans tout ce qui tient aux mathématiques, il n'est pas possible d'avoir deux doctrines. D’ailleurs c'est payer la nuance des doctrines un peu cher que de doubler les cours pour cette considération.

L’honorable M. Destriveaux me répond ensuite qu'un des avantages des cours donnés en double ou en triple, c'est que les parents peuvent choisir pour leurs fils les cours qui leur paraissent être le mieux donnés. Or, faut-il encore pour ce même avantage, doubler les cours de l'enseignement supérieur? Je ne le crois pas. Ayons de bons cours dans les deux sections de l'université de l'Etat, pour la philosophie et lettres, pour les sciences, pour le droit et pour la médecine. Payons bien les professeurs; et nous pourrons les payer mieux, si les cours ne sont pas donnés en double ; et alors il sera inutile d'offrir un choix aux parents qui auront pleine confiance dans l'enseignement donné par ces professeurs.

Permettez-moi maintenant, messieurs, de vous présenter quelques réflexions relativement à la loi sur l'instruction primaire, que je crois bien connaître, pour avoir concouru, pendant six ans, à sa mise à exécution dans la province qui m'a honoré de mon mandat. Je dois déclarer que la plupart des reproches que j'ai entendu faire à cette loi, ont pour cause non la loi elle-même, mais de fausses interprétations qu'on a pu donner à plusieurs de ses dispositions. Quelques abus ont eu lieu peut-être dans l'exécution de cette loi organique ; et comment serait-il possible d’exécuter une loi comme celle-là, s'appliquant à une infinité de faits sur tous les points du royaume, sans qu'il en résulte quelques abus ?

Le choix des personnes n'a peut-être pas toujours été aussi heureux qu’il aurait pu l'être; mais doit-on faire le procès à la loi même à cause des erreurs qui ont pu se commettre dans son exécution ? Ce ne serait pas logique.

Si nous entrions dans la discussion des détails, je pourrais citer plusieurs articles qui ont donné lieu à des interprétations erronées.

Par exemple, l’honorable M. Ch. de Brouckere a parlé de l'article 23. Je crois que cet arrêté a été parfaitement compris par le gouvernement et qu'une commune riche est tenue, pour les frais d'instruction, au-delà de 2 p. c. des contributions directes et des allocations de 1842. L'article 20 de la loi est clair comme le jour à cet égard, et je ne comprends pas comment la section centrale de 1847 et l'honorable M. Ch. de Brouckere n ont voulu voir que l'article 23, sans avoir égard à cet article 20 qui est si positif. Il porte : « Les frais de l'instruction primaire sont à la charge des communes. La somme nécessaire à cet objet sera portée annuellement au budget communal parmi les dépenses obligatoires dont il est parlé à l'article 31 de la loi communale. »

Il résulte évidemment de ce texte, messieurs, que lorsqu'une commune possède un excédant plus ou moins considérable au-delà des nécessités de son budget, elle doit en appliquer une partie aux besoins de l'instruction primaire, avant que la province et l'État doivent donner des subsides. Il résulte aussi de la discussion de la loi que l'article 23 doit être considéré comme commençant par les mots suivants qui se trouvaient dans le projet et qui expriment l'esprit du législateur : « En cas d'insuffisance de ressources, etc. » La loi n'a pas voulu en effet que l'on pût forcer le conseil communal d'une commune pauvre à voter au-delà d'un certain nombre de centimes additionnels pour l'instruction primaire. Mais lorsqu'une commune a des ressources plus ou moins considérables, elle doit en user pour satisfaire aux besoins de cette partie du service.

Un mot à présent, messieurs, sur la question d'intervention et de suprématie du clergé. Je vous avoue que pendant tout le temps que j'ai concouru à l'exécution de la loi, jamais je n'ai entendu parier de ces faits si graves, de ces abus si épouvantables dont mon collègue de Namur a parlé sans cependant préciser. Et cependant la presse, certaine presse, est partout extrêmement empressée de relever et de publier les faits de ce genre qui pourraient exister. Je déclare donc qu'il n'est jamais parvenu à ma connaissance aucun fait de la catégorie de ceux qu'a cités vaguement l'honorable préopinant. J'attends qu'on en signale un seul.

Je terminerai, messieurs, par une citation qui prouve combien il, est peu vrai que le clergé intervienne, à titre d'autorité, dans l'instruction primaire, Je la puise dans le rapport triennal sur l'instruction primaire, page 86 ; elle établit comment on comprenait les principes à cet égard, dès 1843 :

« Entre le gouvernement et les inspecteurs ecclésiastiques, entre les inspecteurs ecclésiastiques et les inspecteurs civils, il n'y a donc point de rapports officiels.

« Les délégués des chefs des cultes, inspectent, surveillent, font rapport à leurs supérieurs, mais ils ne posent aucun acte d'autorité : ce principe ne pourrait être méconnu sans troubler toute l'économie de la loi.

« Si, par suite des observations des inspecteurs ecclésiastiques, il y a un acte d'autorité à poser, c'est le ministre qui doit le faire, sous sa propre responsabilité : l'inspecteur ne peut faire justice lui-même. »

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.