(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 699) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à une heure un quart.
La séance est ouverte.
Il est procédé, par la voie du tirage au sort, à la composition des sections pour le mois de février.
M. Troye donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.
M. de Luesemans présente l'analyse d'une pétition adressée à la chambre :
« Plusieurs gardes civiques de la ville d'Ath demandent que la garde civique soit divisée en deux bans et que le 1er ban, composé de jeunes gens et veufs sans enfants de 21 à 36 ans, soit seul astreint, en temps de paix, aux obligations imposées par la loi sur la garde civique. »
- Sur la proposition de M. Delescluse, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
M. Clep demande un congé de quelques jours, pour cause d'affaires urgentes.
- Ce congé est accordé.
M. Delfosse (pour une motion d’ordre). - Il y a, dans les Annales parlementaires (compte-rendu de la séance d'hier, feuille 100, p. 696), une erreur trop forte pour que je ne réclame pas.
Vous vous rappelez que l'honorable M. Delescluze a prononcé en faveur des légionnaires de l'empire, quelques paroles qui ont provoqué une réponse très vive de la part de l'honorable M. Rodenbach. Ces paroles, les Annales parlementaires me les attribuent. Le nom de M. Delescluze a fait place au mien.
Comme je tiens à ne pas rester, à perpétuité, sous le poids de l'indignation de l'honorable M. Rodenbach, je demande que la questure donne des ordres pour que cette feuille soit réimprimée. C'est la feuille 106. Ce n'est pas la première fois qu'on se plaint d'inexactitudes graves dans les Annales parlementaires. Il serait temps que cela finît.
M. le président. - L'honorable M. Delfosse demande non pas un erratum, mais la réimpression de la feuille entière des Annales, qui lui attribue le discours de l'honorable M. Delescluse.
A la suite d'observations analogues, le bureau s'est naguère réuni, et a pris une décision qui a été transmise à M. le ministre de la justice. Le bureau devait croire qu'au moyen de la mesure qu'il avait indiquée, des erreurs de la nature de celle qui vous est signalée, ne se renouvelleraient plus. Il avait demandé que M. le directeur du Moniteur surveillât de plus près l'impression des Annales, et que cette impression ne pût avoir lieu que sur le bon à tirer délivré par lui et devait toujours engager sa responsabilité.
Le bureau a donc fait tout ce qu'il lui était possible de faire. Si M. le ministre de la justice était présent, il vous dirait sans doute ce qu'il a fait de son côté pour assurer la régularité du service.
M. Thiéfry. - La questure a écrit, à diverses reprises, à M. le ministre de la justice et au directeur du Moniteur, pour tâcher de mettre un terme à toutes ces irrégularités, et surtout pour obtenir que le Moniteur fût distribué plus tôt aux membres de la chambre.
J'appuie de toutes mes forces l'observation de l'honorable préopinant. Il y aurait un excellent moyen d'obliger le directeur du Moniteur à exercer une surveillance plus active : ce serait de faire payer, par le directeur lui-même, les réimpressions qui auraient pour cause un défaut de soins.
Je prie M. le ministre de la justice de prendre mon observation en considération.
M. le président. - Le bureau se réunira de nouveau pour prendre une résolution sur ce point.
M. de Baillet-Latour. - J'aurai une observation à faire sur ce qui a été dit au sujet de la réclamation de l'honorable M. Delfosse. J'ajouterai à ce qu'a dit mon honorable collègue M. Thiéfry que l'erreur n'a nullement été commise par les sténographes de la chambre; elle a été commise dans les ateliers du Moniteur. C'est là qu'est le mal ; c'est là qu'il faut prendre des mesures pour que des faits semblables ne se reproduisent plus.
M. le président. - Personne n'a dit que l'erreur avait été commise par les sténographes.
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur n'étant pas encore présent, je proposerai à la chambre d'entendre un rapport de pétitions.
- Cette proposition est adoptée.
M. Moxhon. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 20 décembre 1848, le sieur Honnoré, ancien vérificateur de l'administration des douanes, réclame les arriérés d'une pension qui un a été accordée sous l'Empire. »
Le pétitionnaire réclame une pension militaire de 262 francs, à laquelle il dit avoir droit en suite de l'article 105 du règlement de l'ancienne caisse de retraite ; il voudrait pouvoir cumuler cette pension avec une autre pension civile de 917 francs, qui lui a été accordée en 1844. Sur ce point, votre commission croit que le règlement invoqué a été abrogé par la loi du 21 juillet 1844 sur les pensions. Le pétitionnaire dit ensuite que, dans tous les cas, ayant été admis à faire valoir ses droits à la retraite en 1844, on ne saurait contester qu'il a des droits acquis à la pension militaire de 262 francs, depuis le 1er janvier 1831, jusqu'à la promulgation de la loi précitée. Voire commission vous propose donc, messieurs, le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances, avec prière de prendre en sérieuse considération la seconde des réclamations du sieur Honnoré.
- Adopté.
M. Moxhon. - « Par pétition datée de Grammont, le 23 décembre 1848, le sieur Bonnier prie la chambre de l'autoriser à faire imprimer sans frais, à l'imprimerie du Moniteur, un mémoire sur des faits qui ont été jugés contre lui par l'autorité judiciaire. »
La pétition qui est soumise à la délibération de la chambre ne contient que des faits particuliers à un procès que le sieur Bonniers, a soutenu contre la famille de Portemont; et il vient vous demander de faire imprimer un mémoire concernant cette affaire aux frais du gouvernement. Votre commission vous propose l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Moxhon. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 1er janvier 1849, plusieurs expéditeurs, à Bruxelles, demandent que le gouvernement mette en adjudication publique les entreprises de camionnage du chemin de fer. »
Tout en reconnaissant que l'adjudication publique peut être très utile, votre commission ne croit pas pouvoir, dans ce cas-ci, émettre un avis sur la valeur des motifs invoqués par les pétitionnaires; elle propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Moxhon. - « Par pétition datée de Wonck, le 26 décembre 1848, le conseil communal de Wonck présente des observations sur le tracé à donner à la route de Riempst à Hallembaye, et demande que le gouvernement fasse au plus tôt commencer les travaux de construction de cette route. »
Votre commission ne peut que vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics, en le priant de vouloir faire ce qui sera possible pour que les travaux de construction de la route de Riempst à Hallembaye soient entrepris de suite, dans l'intérêt de la classe ouvrière.
- Les conclusions de la commission des pétitions sont adoptées.
M. Moxhon. - « Par pétition datée de Fouron-le-Comte, le 28 décembre 1848, le conseil communal de Fouron-le-Comte demande le maintien du bureau des contributions directes établi dans cette commune. »
Votre commission n'ayant pas à s'occuper d'affaires administratives, vous propose le renvoi à M. le ministre des finances.
- Adopté.
M. Moxhon. - « Par pétition sans date, le marquis d'Auxy demande la réforme judiciaire. »
Le marquis d'Auxy voudrait que la justice ne fût plus un moyen gouvernemental ; il vous expose qu'il y a trop de tribunaux dans un petit pays comme le nôtre, où les communications sont faciles ; que les juges de paix ne siégeant que tous les huit ou quinze jours, on devrait en réduire le nombre ; qu'enfin la justice coûte au pays treize millions; que c'est, selon lui, rendre la justice à un prix trop élevé.
Votre commission, sans s'arrêter à ces considérations, vous propose le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réduction du personnel des cours et tribunaux.
- Adopté.
M. le président. -La discussion continue sur le chapitre XIII.
M. Van Renynghe. - Un des moyens les plus efficaces pour améliorer notre situation matérielle, consiste, sans contredit, dans les réformes que l'on doit faire subir au système douanier et à nos relations commerciales avec les pays qui nous environnent.
(page 700) Pour faire sentir plus vivement le besoin de ces réformes, je ne citerai qu'un seul pays limitrophe, la France. Nous avons fait beaucoup pour elle. En quoi nous a-t-elle favorisé ? Pour ne parler que sous le rapport de l'agriculture, elle anéantit par tous les moyens possibles notre industrie agricole en imposant des droits considérables sur notre bétail, en détruisant notre culture de tabac par des primes d'exportation qu'elle accorde en faveur de cette plante industrielle, cultivée sur son territoire, et en frappant nos houblons d'un droit tellement énorme qu'il équivaut à une prohibition.
Par ces faits, combien de nos cultivateurs ne ruine-t-elle pas? Combien d'honnêtes ouvriers ne réduit-elle pas à la mendicité ?
Le droit exorbitant qui pèse sur le houblon à l'entrée de la France, fait diminuer dans notre pays, d'une manière considérable, la culture de cette plante. Ce droit s'élève à 72 francs par 100 kilogrammes; c'est-à-dire, en moyenne, cette année, à 18 francs au-dessus du prix d'achat.
Les frais de culture de cette plante et de récolte de son produit, s'élèvent en moyenne, par an, à 1,000 francs par hectare, et le prix de revient n'est, cette année, que, à peu près, de 560 francs par hectare, soit 440 francs de perte. Ce résultat n'est-il pas ruineux pour le cultivateur? N'est-il pas déplorable pour un nombre considérable d'ouvriers? Il faut remarquer, messieurs, de toutes les cultures, c'est celle-ci qui demande le plus de soin et par conséquent qui occupe le plus grand nombre de bras.
Il ne faut pas se le dissimuler, cet état de choses ne s'améliorera pas aussi longtemps que ce droit exorbitant existera : car c'est à l'abri de ce droit protecteur que les cultivateurs français étendent la culture de cette plante et nous empêchent d'entrer avec eux en concurrence.
Que faisons-nous en revanche pour les pertes qu'ils nous occasionnent ? pour le travail qu'ils enlèvent à nos malheureux ouvriers ? Nous leur laissons prendre, moyennant un droit insignifiant , nos perches de sapin, sans lesquelles ils ne pourraient que très difficilement cultiver cette plante.
De deux choses l'une, ou la France devrait diminuer considérablement le droit qui pèse sur notre houblon ou bien nous devrions établir sur nos perches de sapin, à la sortie vers ce pays, un droit équivalent aussi à une prohibition.
Mais objectera-t-on, notre culture de bois de sapins souffrirait de cette mesure si elle était appliquée? Je réponds à cela que nos exploitants de cette sorte de bois, seraient largement compensés par l'accroissement que prendrait la culture du houblon dans notre pays.
Quant aux tabacs, je rappellerai qu'une disposition de la loi de 1844 autorise le gouvernement à restreindre, à certains bureaux, l'importation des tabacs d'Europe par la frontière de terre. Par conséquent, je l'engage, avec instance, à faire usage de cette faculté pour empêcher que la France n'importe du tabac, au préjudice de notre agriculture.
Voilà des faits constants qui attireront, je l'espère, la sollicitude du gouvernement, surtout dans l'intérêt de la classe ouvrière, qu’on peut et qu'on doit sauver par le travail.
J'ai la confiance que le ministère apprécie toute la portée des mesures vitales à prendre, relatives aux réformes à introduire dans le système douanier et dans nos relations commerciales avec d'autres pays, et j'ai la ferme conviction qu'il ne négligera aucune occasion de négocier des traités internationaux propres à favoriser l'écoulement de nos produits.
M. Peers. -Je crois qu'il est tout à fait inutile, oiseux même, que je vienne faire ici l'apologie de l'agriculture; nous savons tous que cette science, fille aînée de toutes les industries, n'a pas besoin d'être défendue dans cette enceinte, mais ce qui je crois, n'est pas du tout inutile, c'est qu'en qualité de mandataire de la nation, nous venions indiquer au gouvernement ses besoins, et les améliorations auxquelles elle à droit de prétendre.
Il est incontestable que depuis l'avènement du cabinet au timon des affaires, les préoccupations incessantes du ministère ont eu une large part dans l'amélioration du sort du travailleur agricole. Sous ce rapport, je me plais à rendre un juste tribut d'hommages au cabinet, mais si le gouvernement a beaucoup fait, il lui reste bien plus encore à faire. Sa tâche, s'il veut l'accomplir jusqu'à la fin, commence seulement à devenir difficile; il a aplani les difficultés secondaires, il a frayé la route à une foule de petites questions qui ont été victorieusement résolues par suite du zèle dont il a été animé, et par suite aussi du concours que toutes les provinces sont venues lui prêter, mais restent toutes ces grandes questions à résoudre et les résoudre promptement, parce que leur solution ne doit pas seulement opérer un bien-être moral sur les 3 millions dont est composée la population de nos campagnes, mais encore un bien-être matériel, bien-être qui à ces populations parle autrement au cœur, puisqu'il y va de leur existence.
Je tâcherai de développer aussi brièvement que possible les actes pratiques auxquels le gouvernement doit se livrer avec une persistance de tous les jours, s'il ne veut perdre en très peu de temps tous les fruits de ses premiers efforts. A la tête de ces actes se présente l'instruction agricole et professionnelle par l'établissement d'institutions charitables et humanitaires dans leur rapport avec l'agriculture, tant public que particulier, mais subsidiées par le gouvernement et sous sa responsabilité immédiate; en d'autres termes, la colonisation intérieure sur tous les degrés, mais de la jeunesse seulement, car nul besoin n'est plus pressant ni plus profondément senti que de s'occuper immédiatement de l'avenir matériel et de la moralité des classes pauvres. L'abandon, le dénuement, et la détresse de l'enfant pauvre sont arrivés à leur comble ; à l'agriculture seule est donnée le pouvoir de soustraire cette nouvelle génération étiolée et malingre, d'abord au vice ensuite au crime, conséquences inévitables de la fausse direction imprimée au jeune âge. Veuillez jeter un regard sous ce rapport sur la France, messieurs, et vous y découvrirez 30 colonies qui presque toutes ont atteint le but que leurs fondateurs se sont proposé; peuplés souvent d'enfants placés sur le dernier échelon de l'ordre social, et destinés à vivre et à mourir au bagne, ils sont sortis de ces institutions après 3 ou 4 ans, désignés comme des citoyens de mérite, y aurait-il plus de difficulté à façonner je vous le demande, messieurs, de la même manière les milliers d'enfants malheureux que l'humanité commande au gouvernement de prendre sous sa protection soit directe soit indirecte, et qui pullulent aujourd'hui dans les deux plus belles provinces du pays? Non certes, messieurs, il y avait moins de peine et de frais même, à en faire de bons travailleurs aujourd'hui, qu'à éviter plus tard à les voir peupler nos maisons de détention. Que le gouvernement y songe bien, la plus belle œuvre de salut que nous puissions lui offrir, c'est la régénération de nos populations malheureuses par l'agriculture. L'engouement dans lequel semble s'être jeté le ministère pour défricher et déboiser les mauvais terrains de différentes provinces aura infailliblement le même résultat que le bill des clôtures proposé par le célèbre Pitt. Ces terres, de qualité inférieure, ne payant pas le travail qui doit lui être consacré, seront comme celles de l'Angleterre abandonnées, ou bien des populations ne pouvant vivre que de vol, s'établiront dans toutes ces localités si cruellement déshéritées par la nature; le seul remède pour rendre productifs des sols aussi mauvais, consiste dans l'établissement d'institutions pareilles à celles que je viens de vous désigner; ce mode seul est applicable pour arriver à d'heureux résultats, tous les autres tendent directement vers la ruine.
Après cette grave question se présente tout naturellement celle de l'organisation de la médecine vétérinaire ; cette science encore soumise au droit commun, est une véritable anomalie, un non-sens dans un pays aussi éminemment agricole que la Belgique. La continuation d'un pareil état de choses, présente les plus graves inconvénients, l'exercice de la médecine vétérinaire par simple droit de patente est une usurpation manifeste, faite aux véritables connaissances que le vétérinaire diplômé n'acquiert qu'à la suite d'études longues et difficiles; j'ose espérer que le gouvernement une bonne fois décidé à faire disparaître tous ces empiriques, qui sans titre scientifique font métier de régenter notre agriculture, présentera dans le cours de cette session le projet de loi modifié qu'il a soumis aux délibérations de la législature dans sa séance du 15 novembre 1846.
Alors et alors seulement les progrès agricoles pourront devenir sensibles lorsqu'ils seront prêches par des hommes instruits et exempts de toutes ces fausses doctrines dont l'homme de la campagne est si profondément imbu.
Un autre problème qui à mes yeux est devenu un axiome, vaut bien la peine que le gouvernement s'en occupe sérieusement. A plusieurs reprises déjà il a appelé l'attention des hommes d'Etat et des publicistes, sans qu'une solution définitive lui ait encore été donnée. Dans toute l'étendue de la Belgique les compagnies d'assurance contre l'incendie fonctionnent avec une régularité qui depuis longtemps leur a acquis la confiance publique; mais où sont les assurances agricoles destinées à mettre le cultivateur et le petit cultivateur surtout, à l'abri des suites funestes de fléaux tels que la grêle et la mortalité du bétail; n'est-ce pas encore au gouvernement protecteur des intérêts du pays que revient l'utile mission d'organiser et d'accomplir la grande œuvre de l'assurance mutuelle et universelle. Maintenant l'assurance sera-t-elle obligatoire ou facultative? je laisse au gouvernement le soin de résoudre cette question, une pareille discussion nous ferait sortir du cadre dans lequel je me suis placé.
Après ces questions d'un ordre si vital, et que je puis à peine effleurer, viennent se ranger celles du crédit agricole, les améliorations de la voirie vicinale par la construction des routes empierrées ou ensablées dans toutes les directions; la réduction à leur plus simple expression des prix de transport sur toutes les voies de communication appartenant à l'Etat, des matières fertilisantes.
L'appropriation des immondices qui se perdent en si grandes quantités dans les villes.
L'entrée libre dans le pays et sans entraves aucune do toutes espèces d'engrais venant de l'étranger.
La prohibition des os et du noir animal ayant servi aux sucreries, et faciliter l'exécution de la loi du 2 janvier 1847, touchant l'exemption du sel employé en agriculture comme amendement et condiment qui rencontre trop d'obstacle pour que l'agriculture puisse y avoir recours.
L'amélioration et l'introduction de toutes les espèces d'animaux domestiques, qui peuvent être élevés et acclimatés avec avantage, sans adopter de système exclusif qui tende à généraliser l'élève d'animaux de la même conformation sur tout le territoire.
Parmi les améliorations et les introductions que je regarde comme de la plus impérieuse nécessité, je ne puis passer sous silence celles de l'espèce ovine; comme machine à viande, elle laisse beaucoup à désirer; comme machine à laine, la dépréciation dans laquelle cette matière première est tombée, prouve jusqu'à l'évidence qu'il est bien urgent que l'industrie lainière s'affranchisse le plus tôt possible du tribut énorme qu'elle paye annuellement à l'étranger; car, que l'on ne vienne pas me dire que l'acclimatation de la bête a laine de qualité supérieure est impossible; la France, l'Allemagne et l'Angleterre sont-elles plus favorisées que nous pour obtenir les heureux résultats dont elles retirent aujourd'hui de si immenses avantages?
Je pense, au contraire, que la Belgique renferme plus d'éléments nécessaires que ces pays pour donner à ce genre d'élève des résultats très (page 701) satisfaisants. Après la revue de tous ces progrès agricoles, que le gouvernement doit avoir à cœur de réaliser au plus tôt, parce qu'ils sont impatiemment attendus dans tout le pays, qu'il me soit permis, messieurs, avant de terminer, de vous mentionner et de signaler à M. le ministre de l'intérieur un genre de travail qui, s'il avait été organisé dans de fortes proportions, aurait épargné à nos populations des Flandres une partie des maux qu'elles payent encore si cher aujourd'hui; je veux parler du travail à la bêche, en ce qui concerne le labeur des terres.
Je sais d'avance combien ce système que je préconise me vaudra de contradicteurs; mais veuillez seulement fixer vos regards sur le pays de Waes, aujourd'hui le jardin de la Belgique; eh bien, ce pays ne doit sa prospérité croissante qu'au système de culture faite à l'aide de la bêche et qu'il n'abandonne à aucun prix.
J'engage donc le gouvernement à s'entourer de toutes les lumières pour qu'une question d'une si haute importance reçoive la solution qu'elle mérite à tous égards.
M. de Luesemans. - Messieurs, j'avais demandé à être inscrit dans cette discussion au moment où quelques honorables orateurs avaient contesté au gouvernement, d'une manière absolue et en invoquant l'exemple d'autres pays, le droit d'intervenir dans toutes les choses d'utilité générale.
Me plaçant au point de vue de l'agriculture, j'aurais été, messieurs, assez effrayé de voir cette opinion s'accréditer dans cette enceinte. Mais lorsque j'ai entendu M. le ministre de l'intérieur faire cette déclaration qu'autant il serait éloigné d'un système qui imposerait au gouvernement le devoir de tout faire, autant il serait éloigné d'un système qui consisterait à lui dénier le droit de rien faire du tout, j'avoue que, dès ce moment, je me suis singulièrement rassuré, et que j'ai compté, comme je dois le faire, sur une protection efficace du gouvernement en faveur de l'agriculture.
Messieurs, le droit du gouvernement de protéger l'agriculture n'est plus contesté que par quelques rares orateurs. Mais de quelle manière cette protection doit-elle s'exercer? Ici chacun a son système. Qu'il me soit permis de dire en peu de mots quel est le mien.
La protection, messieurs, en agriculture surtout, doit, avant tout, d'après moi, être médiate. Cependant je suis très éloigné de condamner le système d'intervention du gouvernement par la voie du tarif douanier.
Nous faisons en ce moment une épreuve, et je me crois dispensé d'entrer dans des détails et de renouveler une discussion qui est épuisée quant à présent.
En ce qui concerne la protection médiate, je commencerai, comme l'ont fait la plupart des orateurs qui ont été entendus, par déclarer que, dans ma pensée, aucun gouvernement n'a, jusqu'à présent, fait autant pour l'agriculture que le ministère qui est aujourd'hui au timon des affaires. Ainsi, quant aux voies de communication, le gouvernement nous a fait un exposé d'où il résulte que tout ce qu'il était possible de faire, le gouvernement l'avait fait et se proposait de le faire encore. Quant à l'enseignement agricole, messieurs, le gouvernement encore propose à la chambre des mesures efficaces, afin de faire pénétrer dans toutes les couches de la société, le bienfait de l'instruction agricole. C'est là, j'ose le dire, sa plus belle mission, mission de progrès, mission d'avenir. Qu'il se lance très avant dans cette voie, messieurs, il n'y trouvera que des approbateurs. Qu'il ne se laisse décourager par aucun obstacle; car il en rencontrera. Ce que le gouvernement aura le plus à vaincre, ce n'est pas précisément la difficulté d'instruire les enfants de bonne volonté, mais c'est la difficulté de faire comprendre aux parents la nécessité de l'instruction pour leurs enfants. Tous ceux qui ont eu quelques rapports avec les campagnes, doivent considérer avec une certaine frayeur la difficulté avec laquelle les parents envoient leurs enfants aux écoles.
Cette question, messieurs, de l'enseignement agricole, faisait partie du programme provisoire qui avait été soumis, par une commission spéciale, au congrès agricole dont j'ai eu l'honneur de faire partie. Le congrès agricole était chargé d'élaborer un programme complet d'enseignement agricole à tous ses degrés. La chambre me permettra de lui rappeler qu'une discussion très longue et très instructive a eu lieu au sein du congrès agricole et qu'un projet a été formulé par une commission à laquelle appartenait le célèbre M. Johnson qui fait autorité en matière d'enseignement agricole. Ce projet comprenait à la fois l'instruction primaire, l'instruction moyenne et l'instruction supérieure. L'un des points essentiels, sur lequel la commission a appelé l'attention du gouvernement et sur lequel je me permettrai, à mon tour, d'appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur, c'est d'exiger que l'enseignement agricole fasse partie du programme des conférences trimestrielles. Je ne sais si cette partie du vœu qui a été généralement adopté à la suite d'une longue discussion dans le congrès, a été prise en considération par M. le ministre de l'intérieur, et si des instructions ont été données en conséquence.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui.
M. de Luesemans. - Je félicite et je remercie M. le ministre d'avoir déféré, à cet égard, au vœu manifesté par le congrès.
L'enseignement primaire aura donc dès à présent son instruction agricole. Quant à l'enseignement moyen agricole, le congrès a également émis le vœu qu'il fît l'objet de la sollicitude du gouvernement. Je sais que le gouvernement s'en occupe en ce moment-ci. Un projet a même été soumis à M. le ministre de l'intérieur. Il consiste à attacher à l'une des écoles d'enseignement moyen d'une des villes de l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette enceinte, à la ville de Tirlemont, un établissement d'enseignement pratique de l'agriculture. Si je ne me trompe, ce projet pourra servir de modèle à bien d'autres, et je prie l'honorable ministre de l'intérieur de ne pas le perdre de vue, de vouloir bien faire en sorte que cet enseignement soit organisé, dans un délai prochain, d'après le mode qui a été indiqué, et que, pour ma part, je crois être parfait.
Messieurs, une des innovations les plus utiles que le gouvernement ait introduites en matière d'agriculture, c'est l'institution des comices agricoles. Je rattache la question des comices agricoles à celle de l'enseignement agricole, par ce motif que personne, mieux que les membres de ces comices d'agriculture, ne se trouve en position de faire comprendre, jusque dans les dernières couches de la société, combien l'enseignement agricole est indispensable pour arriver au progrès. Je crois qu'il n'est aucune institution qui soit appelée à rendre de plus grands services à l'agriculture, non pas seulement à cause de la position que ces comices occupent, mais à cause de l'esprit général qui les anime.
C'est ainsi que naguère j'ai assisté à une de ces réunions où des récompenses honorifiques, du chef de l'exposition agricole, ont été décernées aux cultivateurs qui les avaient méritées. Eh bien, messieurs, voici le langage que j'ai entendu sortir de la bouche du président; je cite ces paroles de mémoire, mais je crois être le fidèle interprète de sa pensée. Il a dit aux cultivateurs qui l'entouraient :
« Que jusqu'à présent on les avait entretenus dans de fausses illusions; ; que jusqu'à présent on leur avait présenté les mesures douanières comme leur seule ancre de salut ; que trop longtemps on avait représenté la Belgique comme la terre classique de l'agriculture, comme étant le grenier d'abondance de l'Europe ; qu'en s'endormant dans cette fausse sécurité et en suivant la voie des préjugés et de la routine, ils pouvaient être bien certains de perdre non seulement le marché extérieur, mais même le marché intérieur qui était bien près de leur échapper. »
Je crois que quand un pareil langage est tenu par le président d'un comice agricole à des cultivateurs qui ne demandent pas mieux que d'écouter ces conseils et de les suivre, je crois que l'agriculture est bien près de s'émanciper.
Je répète que, dans ma pensée, il n'y a pas lieu d'abandonner, d'une manière absolue, les droits protecteurs de l'agriculture ; je crois que, dans une certaine mesure et dans certaines circonstances, les droits protecteurs, loin d'être un obstacle au développement agricole, comme on l'a dit dans une séance précédente, peuvent devenir un puissant moyen de favoriser ce développement.
Ce qu'il importe encore à l'agriculture d'obtenir du gouvernement, c'est qu'il porte sérieusement son attention sur l'introduction, dans notre pays, de quelques institutions de crédit, telles qu'elles fonctionnent si heureusement et je dirai si admirablement en Allemagne, en Pologne. Messieurs, l'honorable M. Deschamps vous a déjà dit un mot de cette question. Je n'entends pas introduire incidemment, à l'occasion du budget de l'intérieur, un débat approfondi sur cette matière à laquelle j'ai consacré quelques heures de travail. Qu'il me soit permis de dire qu'à mon avis, dans notre pays d'agriculture, ce qui manque au progrès, à l'égal de la science, c'est le capital.
Je sais bien que les institutions de crédit ne créent pas un capital. Mais des institutions de crédit peuvent avoir ce résultat qu'en fournissant à quelques prêteurs le signe représentatif d'un capital qu'ils possèdent, et en mobilisant entre leurs mains une certaine fraction de leur capital immobilisé, ils peuvent au moyen de la circulation de ce signe représentatif, au moyen des services que le porteur aura retirés du capital emprunté et de la fécondation qu'ils auront imprimée à leur travail, ils peuvent obtenir des résultats qui doivent puissamment agir sur les progrès en agriculture.
Messieurs, je ne fais pas ici de la vaine théorie, je l'ai déjà dit. Il y a l'exemple de l'Allemagne et de la Pologne, où le crédit agricole fonctionne sur toute son étendue. Je sais qu'il y a des objections très graves; quelques-unes sont peut-être très fondées. La première qui se présente, c'est que dans notre pays les capitaux ne se jettent pas de préférence vers les améliorations agricoles; c'est qu'un petit propriétaire, nanti d'une petit capital, a plutôt de la tendance à augmenter ses propriétés en quantité, sans s'occuper de la qualité. Je crois que cette objection tient à une fausse appréciation des faits.
En Allemagne, la même chose s’est produite; si dans notre pays, on se jette plutôt vers les acquisitions que vers les améliorations, c'est peut-être parce que les institutions de crédit n'existent pas, et que celui qui emprunte est toujours obligé de restituer la somme dans son enlier, ou en fractions formant elles-mêmes un capital ; tandis qu'avec les institutions de crédit, qui donnent le moyen de rembourser par amortissement successif et par le mécanisme connu de l'intérêt composé, l'emprunteur rembourse, sans s'en apercevoir, en même temps l'intérêt et le capital.
Messieurs, une autre objection, c'est l'élévation du prix des terres qui serait la conséquence de la mise en pratique de l'institution de crédit et des lettres de gage. Ce phénomène s'est produit en Allemagne; mais il n'a pas duré; au bout d'un certain temps, les amortissements successifs on\ été appréciés à leur valeur; tandis que la valeur des terres avait augmenté pendant un certain temps, que l'intérêt de l'argent ne s'était pas trouvé sensiblement diminué, les terres sont arrivées insensiblement à un taux normal, et les lettres de gage ont été généralement cotées aux bourses bien au-dessus du pair ; ce qui prouve combien elles remplissent le but ; de leur destination et quelle est leur valeur réelle dans les transactions de la vie civile.
(page 702) Je ne pense pas, quand on est arrivé ailleurs, si près de chez nous, à un résultat si heureux, qu'il n'y ait pas lieu de s'occuper sérieusement de cette institution, non sur une échelle restreinte, comme l'a dit, un peu timidement d'après moi, l'honorable M. Dechamps, mais sur une échelle plus large.
Je n'ai voulu dire que quelques mots sur cette question, parce que je ne pense pas, je l'ai déjà dit, que ce soit incidemment au budget qu'il faille entrer sur ce point dans une discussion approfondie.
Cependant encore un mot sur la question. J'espère que la chambre me pardonnera de prolonger la discussion. Un orateur a fait remarquer que le gouvernement avait déjà fait une chose très utile pour l'agriculture par la présentation d'un projet de loi sur la réforme hypothécaire. Je suis un de ceux qui ont appelé la présentation de ce projet avec le plus de force, dans la limite de mon action, chaque fois que l'occasion s'en est présentée. Mais comme on a cru que ce projet aurait une influence considérable sur le crédit tel qu'il est organisé aujourd'hui, je suis obligé de dire qu'on a fait très peu de chose pour les petits propriétaires, c'est-à-dire ceux dont je me préoccupe le plus en ce moment et dont je me suis préoccupé toute ma vie.
Quant aux grands propriétaires, il est incontestable qu'ils auront toujours du crédit, parce qu'ils ont toujours des propriétés qui répondent des emprunts qu'ils font, et qu'ils ont une personnalité qui met le plus souvent les prêteurs à l'abri de toute crainte. Mais quant aux petits propriétaires, quant à ceux qui n'ont qu'une propriété fort restreinte, non seulement la réforme hypothécaire n'aura rien fait, mais, avec le système actuel, il est impossible que le crédit des petits propriétaires puisse exister.
En effet, comment un petit propriétaire, qui a une propriété d'un demi-hectare, comme quelques artisans qui sont de cette couche dont a parlé l'honorable M. d'Elhoungne et qui a mes sympathies comme les siennes, de la couche de la société qui n'est pas encore dans la misère, mais qui se trouve dans la position immédiatement supérieure; comment un pareil propriétaire pourrait-il aujourd'hui obtenir la centième partie de la valeur de cette propriété, alors que les frais d'expropriation, de purge, d'ordre, de distribution, etc., etc., s'élèvent à eux seuls et s'élèveront encore, après la réforme hypothécaire, à plus de la valeur de cette propriété?
C'est là une anomalie que j'appellerai choquante. Comment? Le propriétaire d'une propriété d'une valeur de 1,200 fr. ne trouvera pas à emprunter vingt francs sur sa propriété, tandis que s'il a un meuble qui vaut cinq francs, il trouve à en emprunter au moins deux.
Je crois donc indispensable que le gouvernement songe, non seulement à la réforme hypothécaire, ce dont je lui tiens compte et ce dont je lui sais gré, mais surtout à faire disparaître les formes longues et trop dispendieuses de la saisie immobilière, de l'expropriation forcée. Je me place surtout au point de vue agricole, et j'ai besoin de le répéter, au point de vue des petits propriétaires.
Cette difficulté, ou plutôt cette impossibilité de se procurer des fonds, en hypothéquant une propriété restreinte, a pour résultat que ne pouvant trouver à emprunter sur hypothèque, les malheureux propriétaires qui ont besoin d'argent se rendent chez les acheteurs connus dans les campagnes (et que j'appellerai les vampires de la propriété), pour acheter des propriétés à réméré. Ces hommes sont la lèpre de nos campagnes. J'appelle la sérieuse attention du gouvernement sur ce point. La vente avec faculté de réméré, qui peut avoir un côté utile, est un des éléments qui contribuent le plus directement à favoriser l'usure et à la spoliation des petits propriétaires. Il y a des fortunes et de grandes fortunes aujourd'hui acquises ainsi, par des achats à vil prix de propriétés qui passent de cette manière odieuse, entre les mains de ces hommes qu'on ne peut trop flétrir.
Messieurs, il y a un point sur lequel je ne suis pas complètement fixé : c'est celui qui concerne le défrichement des bruyères. Mon honorable collègue, M. Christiaens, dans le discours qu'il a prononcé hier, a engagé le gouvernement à ne pas pousser la spéculation dans la voie du défrichement des bruyères. D'autres orateurs, après lui, qui ont sur moi l'avantage de joindre la pratique à la science, ont cru également qu'il était dangereux, dans l'état actuel de l'agriculture, eu égard surtout à l'exiguïté du capital engagé dans les spéculations agricoles en général, de se lancer dans la voie des défrichements.
Je me trouve un peu désillusionné, j'en conviens ; car j'avais reçu communication d'un projet de défrichement des Ardennes, qui a été soumis déjà à deux conseils provinciaux, à celui de Namur et à celui de Luxembourg, qui a reçu un assentiment à peu près complet, et où j'ai trouvé des calculs tellement détaillés et tellement minutieux, que de deux choses l’une : ou la personne qui m'a communiqué ces détails se trompe étrangement, ou la spéculation du défrichement doit être, dans de certaines limites, une excellente affaire. Je ne lirai pas tous les détails des calculs auxquels la personne qui m'a fourni ces renseignements s'est livrée. Mais je crois que la chambre m'autorisera à les insérer au Moniteur. (Oui! oui !)
La question vaut bien la peine d'être étudiée. Je ne garantis pas l'exactitude des calculs, je n'en assume pas la responsabilité. Mais puisque cette question est présentée par les uns comme contenant l'avenir de la Belgique, et repoussée par les autres, je crois utile d'appeler la discussion sur ce point important.
L'honorable M. Peers a appelé l'attention du gouvernement sur la colonisation agricole; je crois que la colonisation agricole sur une échelle très étendue pourrait avoir certains inconvénients.
Je crois que le plus grand de tous serait de demander l'emploi de capitaux très considérables. Dans l'état actuel des finances du pays, je reconnais que cet inconvénient est une objection péremptoire. Aussi je n'appelle pas du tout l'intervention du gouvernement sur une échelle fort étendue. Mais dans de certaines limites, je crois que la colonisation pourrait avoir des résultats très heureux. Il y a en quelque sorte, pour cela, un capital tout prêt. Je veux parler des secours publics donnés aux enfants trouvés et abandonnés. On sait que, d'après la législation qui nous régit, d'après le décret de 1811, les enfants trouvés et abandonnés sont à la charge du gouvernement, qui en assume la tutelle jusqu'à leur douzième année.
Quelle que soit l'opinion sur la suppression des tours, il y aura toujours fâcheusement des enfants trouvés et abandonnés.
Le gouvernement, la province, la commune interviennent pour une somme assez considérable dans le placement de ces enfants chez des particuliers à la campagne, Les sommes qu'on leur donne ne peuvent guère suffire pour leur entretien et leur nourriture. Qu'en résulte-t-il? C'est que ces petits malheureux deviennent, de la part de leurs pères nourriciers, des objets de sordide spéculation. Ces enfants sont envoyés au dehors; on en fait de petits mendiants, en attendant qu'ils deviennent de grands bandits. Je crois que la colonisation agricole pourrait être appliquée aux enfants trouvés et abandonnés depuis l'âge de 4 ou 5 ans (en attendant, ils pourraient être remis dans des hospices) jusqu'à leur douzième année.
Ici, je ne fais encore une fois pas de la théorie. Je suis heureux de pouvoir m'appuyer sur la pratique. Il y avait en France, un homme considérable, député, maire de la ville qu'il habitait, président du conseil général d'Eure-et-Loire, qui ayant été frappé, comme je le suis moi-même, des inconvénients graves du système adopté pour l'entretien des enfants trouvés et abandonnés, avait soumis au conseil général de son département l'idée de coloniser dans la limite restreinte de son département. La première réponse qui lui fut faite fut : C'est impossible.
Le président du conseil général, homme de cœur et d'énergie, répondit : Puisque c'est impossible, ce sera! On lui a demandé qui se mettrait à la tête de cette entreprise ; il a répondu : moi ! En effet, il s'est mis à la tête de cette œuvre charitable et éminemment profitable à l'agriculture.
Au moyen de l'allocation donnée par le département et par le gouvernement, pour entretenir les enfants trouvés et abandonnés dans l'état que je viens de dire, il a suffi, et avec moins de dépenses encore, à les élever convenablement, à leur donner une éducation qui n'a pas tardé à influer sur leur avenir et à en faire une pépinière d'excellents petits valets de fermes.
Je ne puis, messieurs, m'empêcher maintenant de citer le nom de cet honorable citoyen que quelques-uns de vous connaissent : c'est M. Chasles qui s'est trouvé, pendant trois ans, à la tête de la colonie agricole de Boneval, département d'Eure et Loire. Plusieurs de vous se rappelleront que M. Chasles a fait un rapport sur cette colonie à l'une des séances du congrès agricole qui a en lieu à Bruxelles au mois de septembre dernier, ainsi que la sympathie universelle qui l'a accueilli.
Si, messieurs, l'on faisait l'application de la colonie agricole aux enfants trouvés et abandonnés, et si les résultats répondaient à l'attente de quelques philanthropes, je me demande s'il ne serait pas possible, à l'aide d'un capital qui serait encore tout trouvé, d'étendre un peu plus la colonisation et de l'appliquer aux reclus des dépôts de mendicité.
Messieurs, il est un fait certain, c'est que depuis quelques années, les frais pour l'entretien des malheureux dans les dépôts de mendicité deviennent tellement considérables, que si cela continue, les communes rurales seront littéralement écrasées sous le poids de ces frais. (Interruption.)
J'entends que l'on dit autour de moi que les Flandres se trouvent dans ce cas.
Je vous citerai à mon tour une ville qui n'appartient pas aux Flandres; c'est le chef-lieu de l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette enceinte. D'après une note que j'ai prise à la hâte, j'ai trouvé que depuis 1839 jusqu'aujourd'hui, les dépenses pour les dépôts de mendicité se sont élevées de 8,500 fr., qu'elles étaient en 1829, à 29,000 fr., chiffre de 1848.
Je cite cette localité, messieurs, parce qu'elle m'est spécialement connue; mais je crois qu'il n'est pas une commune en Belgique qui ne se trouve dans le même cas.
M. Toussaint. - Cela regarde M. le ministre de la justice.
M. de Luesemans. - Permettez. Je n'ai pas envisagé la question au seul point de vue philanthropique. Comme je crois qu'il peut résulter de la colonisation un bien-être pour l'agriculture, j'ai dû appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur ce point, sauf à lui à communiquer à M. le ministre de la justice celles de nos idées qu'il partagerait sur cet objet, qui vaut bien la peine que deux ministres s'en occupent.
Je crois, messieurs, que si l'on réunissait toutes les sommes qui sont annuellement dépensées par le gouvernement, par les provinces et par les communes, pour les mendiants, on obtiendrait un capital suffisant pour coloniser les dépôts de mendicité. Je sais que des essais infructueux ont été faits. Mais, en général, on se préoccupe trop d'essais infructueux, souvent parce que les plans étaient trop mal combinés, pour en conclure que d'autres essais ne seront pas avantageux.
J'ai sous la main une note sur la colonie d'Oslwald, qui a été érigée dans le but que je signale, et qui, s'il faut en croire cette note, se trouve dans une voie de prospérité très satisfaisante.
Je crois encore, messieurs, qu'il y a lieu de s’occuper de cette question,. et j'appelle sur elle l'attention toute particulière de M. le ministre de l'intérieur.
Messieurs, j'ai parlé tout à l'heure des comités agricoles; qu’il me soit permis d'ajouter encore une observation qui m'est échappée.
(page 703) La section centrale a témoigné le désir que, pour les comices agricoles, on substituât au mode de nomination directe par les députations permanentes, si je ne me trompe, le mode électif.
J'ai vu que M. le ministre de l'intérieur n'était pas éloigné d'adopter le système préconisé par la section centrale. Je crois qu'il importe que les comices agricoles, qui doivent rendre de si grands services, je le répète, à l'agriculture, soient nommés par une catégorie d'électeurs. Je crois même, messieurs, qu'il ne serait pas dangereux, aux yeux des personnes même les plus timorées, d'appliquer à ce système d'élections le suffrage universel.
Ce serait peut-être un moyen de former l'éducation politique des couches inférieures, qui viendront peut-être un jour vous demander d'autorité, leur part du banquet électoral.
Mais on ne devrait pas se borner là; on pourrait obtenir encore un résultat heureux en formant des espèces de comités consultatifs d'arrondissement, qui seraient à l'agriculture ce que les chambres de commerce sont au commerce. Je crois que les comités consultatifs d'arrondissement pourraient être composés d'un délégué de chaque comice agricole de canton. Je crois même que l'on pourrait étendre encore plus loin ce système et qu'on pourrait arriver à former un comité supérieur d'agriculture qui serait à la nomination des comités d'arrondissement. De cette manière on aurait un tout homogène, et en introduisant le système électoral dans ces nominations aux divers degrés, outre que l'on se conformerait à l'esprit général et démocratique de nos institutions, on parviendrait ainsi à avoir en quelque sorte au haut de l'échelle, la quintessence de la science agricole en Belgique.
Messieurs, je termine en répondant à une opinion qui me semble s'être trop accréditée dans cette enceinte.
J'ai dit, en commençant, que, me réservant mon opinion tout entière pour le moment ou une discussion approfondie pourrait avoir lieu, je ne voulais pas renouveler la discussion sur la question des droits de douane sur les céréales. Aussi, messieurs, je n'aurais pas parlé de la situation, de la propriété foncière, s'il ne me semblait pas qu'il y a eu erreur dans ce qui a été allégué, à une autre séance, par un honorable orateur que je regrette de ne pas voir dans cette enceinte.
J'ai entendu cet honorable membre dire que la propriété foncière était privilégiée dans l'étal actuel des choses, parce que les produits agricoles augmentent de prix par l'accroissement de la population et des capitaux, tandis que les autres objets baissent de prix par les mêmes motifs.
Messieurs, je suis très près d'adopter d'une manière générale le système d'économie politique préconisé par l'honorable orateur. Mais ce que je ne puis admettre, alors même que je repousserais un droit de douane comme n'étant pas favorable à l'agriculture, c'est que la propriété foncière soit privilégiée au point qu'on le dit.
Les produits agricoles, a-t-on dit, augmentent de prix par l'accroissement de la population et des capitaux. Il faut donc que dans le fait, dans la pratique, dans la réalité, le prix des céréales ait augmenté dans une proportion assez considérable depuis 1815. Or, je prends les mercuriales depuis 1815 et je vois que de 1815 à 1817, il y a eu période ascendante. Je ne l'attribue pas à l'augmentation de population ni à l'accroissement des capitaux ; cela est dû à des circonstances toutes particulières dont quelques-uns d'entre nous ont une connaissance personnelle.
Mais de 1817 à 1824, l'accroissement de la population a évidemment été assez grand ; les capitaux n'ont probablement pas diminué. Si donc nous adoptons le raisonnement de l'honorable orateur auquel je réponds, nous devons arriver à cette conséquence que le prix des céréales aura considérablement augmenté à raison même de la double augmentation qu'il a signalée. Eh bien, c'est le contraire qui a eu lieu. Il est arrivé que le froment qui était à 26 fr. 08 c. en 1818, est tombé à 10 fr. 88 c. en 1824. De 1825 à 1829, il y eut une nouvelle période ascendante, et de 1829 à 1834 une nouvelle période descendante.
Je ne vous cite pas ces faits, messieurs, pour appeler la protection douanière en matière de céréales ; je ne cite ces faits que pour vous prémunir contre une opinion qui pourrait se former dans cette enceinte et que je considérerais comme préjudiciable à l'agriculture, et à la petite agriculture surtout; je n'ai voulu démontrer qu'une chose, c'est que les prémisses ne sont pas exactes.
On a dit encore que la propriété est privilégiée par l'impôt foncier, mais qu'à l'époque où cet impôt a été créé, c'était un dégrèvement en faveur de la propriété, parce qu'on la déchargeait de la dîme. Je n'ai pas entendu alléguer d'autre raisonnement que celui-là.
D'abord, messieurs, je crois devoir faire remarquer que toutes les propriétés ne payaient pas la dîme, mais que toutes payent l'impôt foncier.
Messieurs, je n'ai pas les calculs pour la Belgique; mais en France on a établi que, loin d'être favorisée par l'impôt, la propriété foncière est, au contraire, surchargée par toute espèce de prestations.
C'est ainsi qu'on a établi que les dettes hypothécaires s'élèvent en intérêt annuel à 500 millions de francs, l'impôt foncier à 450 millions, les frais de rédaction et d'expédition d'actes à 100 millions, ce qui l'ait un total de 1,050,000,000, tandis que, d'après le même auteur, qui est le marquis d'Audiffret, le revenu brut de la propriété n'est que de 1,580,597,000 fr.
Il en résulterait que la propriété foncière n'aurait qu'un excédent net de 530,597,000 fr. (Interruption.)
Je vois, messieurs, que l'on conteste les chiffres. J'ai cité l'auteur; je vais en citer un deuxième. Ce deuxième auteur c'est M. Coffinières. J'aurais pris les moindres évaluations. M. Coffinières a évalué tout le revenu de la propriété en France à 1,800,000,000 fr., et les dépenses de toute nature et les frais dont elle est grevée à 1,347,018,166 fr., de sorte qu'il resterait un excédant de 452,981,834 fr. Voilà, messieurs, les évaluations qui ont été faites en France. On conteste encore près de moi, messieurs; je connais toute la complaisance des chiffres, et je veux dire à la chambre tout ce que je sais; je sais donc que ces évaluations ont été également contestées tout récemment dans un discours très remarquable, prononcé dans la discussion relative au papier-monnaie, par un des hommes les plus éminents de France, par M. Thiers. M. Thiers a évalué le revenu foncier à 2,100,000,000 fr. et les dettes hypothécaires seulement à 4,000,000,000 fr.
Mais si l'on invoquait l'autorité de M. Thiers pour contester les chiffres que j'ai cités et que j'abandonne à la chambre, on ne récuserait pas son autorité lorsqu'il appuie la seule chose que je tienne à prouver quant à présent, c'est que la propriété foncière n'est pas privilégiée par l'impôt. Voici ce que M. Thiers a dit, dans cette même discussion.
« Oui, l'agriculture souffre; mais savez-vous de quoi elle souffre? Elle souffre de l'impôt foncier. (Approbation). On admire beaucoup les progrès de l'agriculture en Angleterre ; ils sont grands assurément, mais on est injuste envers l'agriculture en France. Elle a fait aussi de grands progrès depuis cinquante ans ; et pour des hommes qui ne sont pas très âgés, qui ont des souvenirs qui remontent à vingt ans, qui observent le sol quand ils voyagent, il est certain que depuis vingt ans l'agriculture a fait chez nous des progrès considérables. Cependant elle n'en fait pas d'aussi grands qu'elle pourrait en faire, autant que l'agriculture anglaise, par exemple. Pourquoi cela ? c'est que l'agriculture anglaise ne supporte pas d'impôt foncier et que l'agriculture française en supporte pour une somme de 300 millions. »
M. Orts. - Et la taxe des pauvres?
M. de Luesemans. -La taxe des pauvres n'atteint pas que la propriété foncière.
Messieurs, si la propriété foncière était privilégiée, il ne faudrait pas seulement se borner à ne pas lui accorder de faveur ; je serais le premier à réclamer l'abolition du privilège. Il ne faut de privilège pour personne. Mais savez-vous, messieurs, qui est privilégié? C'est le créancier hypothécaire, qui tient la propriété sous sa main et qui ne paye pas un centime d'impôt ; c'est peut-être encore le créancier de l'Etat. Savez-vous quel est le privilégié, c'est celui qui possède beaucoup et ne fait rien.
- Plusieurs membres. - C'est vrai.
M. de Luesemans. - J'entends avec plaisir que l'on dit autour de moi: c'est vrai. Eh bien, messieurs, j'en prends acte et vous le rappellerai petit-être, un jour.
Quand on présentera un projet de loi sur la taxe des pauvres, chacun pourra faire telle proposition qu'il jugera convenable; elle sera à examiner non seulement au point de vue de la Belgique, mais au point de vue de l'Angleterre ; et tout compte fait, je ne sais pas si la taxe des pauvres a été pour l'Angleterre une cause de malaise ou une cause de bien-être.
Je demande pardon à la chambre de l'avoir entretenue un peu longtemps de ces questions toutes spéciales. Je me résume, en disant que je n'appelle point la protection douanière. J'ai toujours été d'avis qu'il fallait marcher résolument, mais graduellement, vers le système libéral, c'est-à-dire vers l'abolition des droits de douane, vers l'abolition de la protection, d'une manière générale, mais surtout d'une manière uniforme; c'est-à-dire qu'il ne faut pas seulement abolir les droits de douane lorsqu'il s'agit de céréales, mais qu'il faut aussi arriver successivement, et je dirai même assez prestement, à une diminution considérable des droits de douane sur les produits manufacturés.
Il ne faut pas qu'il puisse être dit dans cette enceinte que l'on paiera seulement à bas prix le pain qui est, je le reconnais, un objet de première et d'urgente nécessité, et que l'on continuera à payer à des prix relativement élevés et chargés de droits protecteurs , les tissus dont le pauvre se vêtit, le charbon dont il se chauffe et jusqu'à la bêche avec laquelle il travaille. Il ne faut qu'un seul poids, une seule mesure, et si l'on abaisse les droits protecteurs sur les céréales, ce à quoi je ne m'oppose pas, puisque, je le répète, nous faisons une épreuve de ce système, il faut aussi qu'on abaisse les droits sur tous les produits manufacturés. Ce sera peut-être une tentative hardie, mais en définitive, c'est la seule qui puisse être utile, parce qu'elle sera générale et qu'elle profitera à tous les consommateurs de toutes les catégories dans la même proportion et pour tous les objets de consommation.
M. Tesch. - Messieurs, je ne m'attendais pas à prendre la parole dans ce débat ; mais les discours prononcés par quelques honorables orateurs, m'ont forcé à y entrer en quelque sorte malgré moi.
L'honorable M. Jullien nous a parlé hier de l'agriculture du Luxembourg, l'honorable M. Christiaens nous a parlé du défrichement des bruyères de la Campine. Quoique avec des idées différentes sur certains points, ils se réunissent cependant dans un sentiment commun, et ce sentiment, c'est un appel continuel à l'intervention du gouvernement dans toute espèces de choses, c'est pour eux la nécessité de son immixtion dans tous détails, dans toutes les conditions de la production.
Je ne voudrais rien dire de désagréable à mes honorables collègues, mais je dois déclarer que, dans mon opinion, pousser jusqu'à cette exagération l'intervention du gouvernement, devient du communisme, du socialisme, de l'organisation du travail.
Je comprends l'intervention du gouvernement là où les efforts individuels sont insuffisants ; je comprends cette intervention là où les particuliers ne peuvent pas atteindre un but donné; mais hors de cette exception que je restreins dans les plus étroites limites, je crois que le gouvernement doit complètement s'abstenir.
(page 704) Cette abstention se justifie par d'excellents motifs. Quand le gouvernement fait quelque chose, il le fait avec l'argent de tous, avec l'argent de la nation, et cependant cela ne profite en général, qu'à une certaine partie du pays; or, les parties du pays qui en profitent par des avantages que le gouvernement procure, se trouvent évidemment lésées.
Il y a une autre raison : c'est que lorsque le gouvernement se charge de tout faire, il paralyse en quelque sorte les efforts individuels, et l'affaissement des caractères doit s'en suivre inévitablement.
Je comprends qu'en 1834, le gouvernement se soit chargé de la création des chemins de fer. La question des chemins de fer n'était pas à cette époque vulgarisée sur le continent; d'un autre côté, à cette œuvre gigantesque se rattachaient des questions de nationalité, des questions de politique, et pour mon compte, je suis satisfait, quoique ce soit en partie contraire à mes principes, d'avoir vu le gouvernement et notamment l'honorable ministre de l'intérieur qui est encore aujourd'hui au pouvoir, prendre l'initiative de cette mesure.
Mais il n'en est pas moins vrai que cette déviation du principe est déjà aujourd'hui une source d'embarras pour le gouvernement.
En effet, n'avons-nous pas vu dernièrement les divers centres houillers entrer en lutte ici pour les péages? Cela eût-il été possible, si la construction des chemins de fer était restée l'œuvre des particuliers.
Ce n'est pas, je le répète, que je n'applaudisse encore aujourd'hui à la construction du chemin de fer par l'Etat, mais je veux dire et prouver que si cette seule entreprise a déjà des conséquences embarrassantes pour le gouvernement, que sera-ce donc si l'on poursuit le système dans lequel le ministère est entré un peu trop loin, et dans lequel d'honorables membres cherchent à le pousser tous les jours davantage ?
Aujourd'hui, il n'est pour ainsi dire plus aucune espèce de branche d'industrie qui veuille se passer de prime ; aujourd'hui on peut dire qu'en Belgique, tout est primé : primes pour la construction des navires; primes pour la pêche; primes pour le sucre; primes pour l'industrie séricicole ; primes pour la culture de la garance, primes pour l'élevé des chevaux ; primes pour la race bovine, si nous y ajoutons, mais dans quelque temps des primes pour la race porcine, pour la race ovine, pour la race caprine, il ne nous restera plus qu'à mettre à exécution le décret qui mettait à la charge de l'Etat l'éducation du septième enfant et tout sera primé jusqu'à la reproduction de la race humaine.
Je disais que ces doctrines étaient du socialisme, qu'elles menaient à l'organisation du travail. Voyez où allait hier l'honorable M. Christiaens. L'honorable M. Christiaens indiquait comme un moyen d'encourager l'agriculture une victoire à remporter en quelque sorte sur un préjugé d'économie politique. Et quel était ce préjugé d'économie politique qu'on traitait si cavalièrement ? Ce n'était rien moins qu'une de nos grandes conquêtes de l'époque, c'était la liberté du commerce, c'était la liberté de l'industriel
L'honorable M. Christiaens veut que le gouvernement intervienne pour défendre aux distillateurs de distiller quand, comment et la qualité de liquide qui bon leur semblerait. Or, n'est-ce pas une atteinte à la liberté de l'industrie? Est-ce que Louis Blanc traitait autrement la concurrence ? c'était pour Louis Blanc un préjugé d'économie politique à vaincre,
L'honorable M. Christiaens demandait que par une loi il fut statué que les distillateurs ne pourraient pas mettre en macération plus de dix hectolitres de matière par jour. Quand Louis Blanc disait aux ouvriers: « Vous ne travaillerez pas plus de dix heures par jour » il n'allait pas plus loin que l'honorable M. Christiaens.
C'est là de l'organisation du travail, ce sont ces idées contre lesquelles je m'élève. Aujourd'hui vous organisez le travail dans les distilleries; demain, ce sera le tour des brasseries, plus tard on réglera la capacité des hauts fourneaux, toutes les industries finiront par y passer; et après cela vous ne pourrez plus produire aux mêmes prix que les nations voisines ; vous devrez augmenter vos droits de douane, et vous devrez finir par élever entre vous et les autres pays une nouvelle muraille de la Chine. Voilà où mènent les conséquences du système de l'honorable M. Christiaens; je ne pense pas que la chambre puisse les accepter.
L'honorable M. Jullien, s'est occupé hier de l'industrie agricole dans le Luxembourg. Comme j'appartiens également à cette province, je dois à mon honorable collègue quelques mots de réponse.
Il vous a d'abord parlé du crédit foncier ; déjà dans la session précédente, j'ai eu occasion de faire connaître mon opinion à cet égard. Je crois avec l'honorable M. de Luesemans qu'il est impossible de fonder le crédit foncier en Belgique avant la réforme hypothécaire, et qu'à côté de la réforme hypothécaire, il faut la réforme de la loi sur les expropriations forcées.
Aujourd'hui nous désirons faire affluer les capitaux vers les petits agriculteurs. Quiconque a été dans la pratique des affaires, surtout des affaires judiciaires, sait que l'expropriation suivie de purge, absorbe toujours quelques milliers de francs. Celui qui possède pour quelques mille francs de propriétés, s'il veut emprunter, est exposé à voir ces quelques mille francs absorbés par les frais de procédure et il ne trouve pas un sou à emprunter sur sa propriété. Sans la loi sur l'expropriation qui n'est que la mise en exercice de la loi hypothécaire, la meilleure loi hypothécaire ne produira aucun effet, tandis qu'avec une bonne loi sur les expropriations, nous aurions pu, jusqu'à certain point, sous quelques rapports, nous dispenser de changer la loi actuelle sur les hypothèques.
J'engagerais M. le ministre de la justice, s'il était présent à faire en sorte qu'on discute uno contexto la loi hypothécaire et la loi d'expropriation. Le vote de ces deux lois suffirait peut-être pour fonder le crédit foncier. Après ces réformes, nous verrons si d'eux-mêmes les capitaux n'affluent pas vers la propriété agricole ; nous ferons une expérience ; s'ils n'affluent pas alors seulement nous aurons à voir si l'intervention de l'Etat est nécessaire, nous verrons si nous devons créer du papier-monnaie pour alimenter ces banques foncières; nous verrons si nous devons emprunter à 4 ou 8 peur prêter à 2 ou 3. C'est par le vote des lois que je viens d'indiquer, que nous devons commencer. C'est pour ménager notre temps que je fais cette demande, parce que je regarde cette loi comme la plus importante que nous puissions faire dans l'intérêt de l'agriculture.
L'honorable M. Jullien nous a entretenus de la différence entre la chaux vive et la chaux fusée. Je n'entrerai pas dans cette discussion. M. le ministre sait que cette discussion a surgi au conseil provincial du Luxembourg, si ma mémoire est fidèle, la proposition a été rejetée.
M. Jullien. - Elle a été renvoyée à l'examen de la députation.
M. Tesch. - Je crois que la mesure entraînerait de frais nombreux: qui ne seraient pas en rapport avec les résultats.
Député du Luxembourg, je ne puis donner mon assentiment à une autre proposition de l'honorable M. Jullien.
Il a demandé encore qu'on fît dans le Luxembourg, pour les irrigations, ce qu'on a fait dans la Campine; que le gouvernement envoyât des ingénieurs dans la province pour étudier la manière dont les irrigations doivent être dirigées. Je ne puis admettre cette manière de voir; je crois que ce serait de l'argent dépensé inutilement. Comme je considère l'argent dépensé inutilement comme un vol fait à l'Etat, je ne puis admettre semblable dépense, fût-ce au profit de ma province.
Il y a une différence considérable entre le Luxembourg et la Campine. Il n'est pas possible dans le Luxembourg de joindre un Escaut à une Meuse.
Dans le Luxembourg, pays coupé de montagnes, il n'y a pas moyen de conduire les eaux sur une crête pour les faire déverser sur deux versants. ; Il y a une impossibilité radicale. Qu'y a-t-il à faire en fait d'irrigation ? A tirer parti de petits ruisseaux, de quelques sources qui jaillissent au sommet des montagnes. Sous ce rapport, les Ardennais, les compatriotes de mon honorable ami M. Jullien, sont aussi habiles que les ingénieurs de la Belgique.
Ainsi, cette idée je ne puis l'adopter ; si, du reste, je ne me trompe encore, elle a dû être communiquée au ministre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a commencement d'exécution.
M. Tesch. - Je n'en félicite pas le gouvernement. Il dépensera beaucoup d'argent, tous les frais de tournées d'un ingénieur, et le résultat sera complètement nul.
Messieurs, l'on a beaucoup parlé de l'agriculture du Luxembourg. Si la chambre veut me permettre d'abuser quelques instants encore de sa patience, je lui dirai quelle est ma manière de voir sur cette question.
Pour les uns, le Luxembourg manque de capitaux; pour d'autres, il manque de bras; d'autres enfin attribuent à la routine des habitants l'état de choses actuel. Messieurs, ce ne sont pas là des causes, ce sont des effets. La question de la prospérité du Luxembourg n'est autre chose qu'une question de transport. Le Luxembourg est situé à l'extrémité du pays; il a une distance énorme à parcourir pour arriver sur les marchés de la Belgique; il a été destitué par la nature de toute espèce de voie fluviale. C'est à l'art à lui donner ce dont la nature l'a déshérité. Voilà la cause de son infériorité. Si on veut faire quelque chose de sérieux pour le Luxembourg, c'est à ces causes qu'il faut porter remède.
Il vous est sans doute arrivé à tous d'examiner les mercuriales des différentes provinces de la Belgique. N'avez-vous pas été frappés de l'énorme différence qu'il y a entre le prix des produits agricoles dans le Luxembourg et ceux des autres provinces? Voyez quant au froment, il y a toujours entre les marchés du Luxembourg et les autres marchés de la Belgique une différence de 3 à 4 fr. par hectolitre. Si vous deviez aujourd'hui transporter un hectolitre de cette denrée sur les marchés de l'intérieur, cette différence serait absorbée par le prix du transport. C'est cette anomalie qui fait que l'agriculture ne peut pas prospérer dans le Luxembourg. Donnez-lui, au lieu des moyens de transport actuel, un chemin de fer, nous transporterons pour 80 à 90 centimes, ce qui nous coûte aujourd'hui 3 à 4 fr.
M. de Mérode. - Si l'on vous payait le transport, ce serait encore mieux.
M. Tesch. - Je sais très bien que l'honorable M. de Mérode est atteint d'une aversion incurable et chronique contre les chemins de fer. Mais ce n'est pas une raison pour que le Luxembourg n'en ait pas. J'espère qu'il en obtiendra un jour.
Je disais donc que le transport coûte 3 fr. Avec le chemin de fer, le transport serait de 50 cent, par tonne et par lieue, c'est-à-dire de 90 cent, au lieu de 3 fr. Il en résulterait un bénéfice de 2 fr. 10 c. par hectolitre. Le rendement de la terre est de 18 hectolitres par hectare en moyenne; le bénéfice serait donc de 57 fr. 80 c. La rente de la terre serait donc doublée. Je vous demande si, après cela, les capitaux n'afflueraient pas vers l'agriculture.
On peut appliquer ces calculs à toute espèce de produits. Ainsi les pommes de terre se vendent en Belgique le double de ce qu'elles se vendent dans le Luxembourg. Si nous pouvions les vendre à ce prix, la rente de la terre dépasserait 100 fr. par hectare.
Ce qui est vrai pour l'industrie en général, pour l'industrie manufacturière, est vrai aussi pour l'industrie agricole. Là où l'industrie trouve des débouchés, elle marche, elle prospère; là où elle n'en trouve pas, elle dépérit. Je n'en dirai pas davantage aujourd'hui quant au chemin de fer; je (page 705) traiterai complètement cette question quand le moment en sera venu. Je n'ai voulu qu’indiquer son importance au point de vue agricole.
Je finis, tout en rendant hommage aux bonnes intentions du gouvernement, par déclarer que, dans mon opinion, il n'aura rien fait d'utile, tant qu'il n'aura pas assuré au Luxembourg des moyens des communication qui le mettent à même de lutter avec les autres provinces de la Belgique.
M. Coomans. - Une chose m'a particulièrement charmé dans ce débat : c'est le bon accueil, l'accueil presque unanime fait aux dernières paroles de l'honorable M. de Luesemans, proclamant qu'il y a une injustice criante à ne pas protéger l'industrie agricole par des droits de douane, lorsqu'on favorise de cette manière les autres industries.
Je suis très heureux de l'adhésion que la chambre a donnée au langage de l'honorable M. de Luesemans, parce que j'espère que le moment n'est plus éloigné où cette injustice, dont je me plains également, sera réparée. Je regrette que ces bonnes intentions tardent à se réaliser. J'entends presque tout le monde s'élever contre la douane et célébrer le libre-échange. Par malheur, les actes ne sont pas conformes au langage. Ne pourrais-je pas dire à mes honorables collègues :
« La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère? »
Je prendrai la liberté de vous soumettre quelques considérations générales, parce que je, m'abstiendrai de parler sur les littera du chapitre XIII.
Nous voulons tous favoriser l'agriculture, cela est entendu. Mais plusieurs se méprennent sur la véritable protection qu'il faut à cette industrie. Messieurs, il n'y a qu'un moyen de protéger une industrie, l'agriculture comme les autres : c'est de faire en sorte que ceux qui l'exercent y trouvent un bénéfice raisonnable.
Lorsqu'on me reproche, comme on le fait depuis quelque temps, de vouloir élever le prix du pain au détriment des classes pauvres, on n'est pas parfaitement loyal. Ce n'est pas l'élévation du prix du pain que je demande; loin de là, je désire autant que personne qu'il reste à la portée de toutes les bouches ; ce que j'ai voulu, c'est que le travailleur agricole fût convenablement rémunéré, qu'il le fût comme les autres catégories des travailleurs.
Il est vrai que l'augmentation des bénéfices de l'agriculteur semble provoquer la hausse du blé. Je dis semble, parce qu'il ne m'est pas prouvé qu'un droit de douane doive amener le renchérissement. La protection peut avoir pour résultat d'augmenter la production et de maintenir les bas prix, comme en France à l'heure où je parle. L'essentiel est de produire nous-mêmes le blé que nous consommons, au lieu de l'acheter aux Cosaques. Quoiqu'il en soit, il faut que l'agriculteur soit rémunéré, et qu'on paye le pain ce qu'il a coûté. Voilà ce que la justice exige, à moins de mettre les paysans hors du droit commun.
Ne nous dissimulons pas que nous essayerons en vain de faire défricher nos terres incultes, de faire produire à nos terres arables tout ce qu'elles peuvent donner, aussi longtemps que l'agriculture n'y trouvera pas de bénéfice.
Quand le bénéfice sera assuré, l'agriculture marchera seule ; elle n'aura plus besoin d'une foule de moyens qu'on peut justifier aujourd'hui jusqu'à un certain point, tels que les écoles spéciales, les livres, les subsides, les indemnités peur bétail abattu, les haras, l'achat de taureaux, etc. L'industrie privée y pourvoira sans peine.
Lorsque l'agriculteur fera des bénéfices, il travaillera. Mais aujourd'hui les prix de vente sont inférieurs aux prix de revient. J'en ai la preuve; vous pouvez vous la procurer aussi, messieurs. Je puis certifier que des cultivateurs renvoient une partie de leurs ouvriers, parce qu'ils ne peuvent plus supporter les frais de main-d'œuvre.
J'en ai vu un hier, qui m'a dit qu'il devait en renvoyer six, par le motif que je viens d'indiquer. Ces malheureux seront réduits à mendier; peut-être ne tarderont-ils pas à devenir une charge pour le gouvernement, pour le budget de la justice.
L'agriculture doit être un but, non un prétexte. Je regrette de devoir le dire, il y a, dans ce chapitre XIII, qui se résume en une dépense de 628,300 fr., plusieurs chiffres auxquels je m'intéresse très peu.
Certes, je suis bien loin de critiquer la manière dont ces fonds ont été employés depuis un certain nombre d'années, ni celle dont l'honorable M. Rogier l'emploiera. Je ne doute pas des bonnes intentions et des lumières du gouvernement. Mais je cherche en vain l'utilité de plusieurs de ces allocations.
Je vois figurer dans ce chapitre XIII des subsides pour les haras, pour les courses de chevaux, pour l'achat d'animaux de races perfectionnées, etc. Voilà autant de dépenses d'une utilité assez problématique, au point de vue général de l'agriculture. Il est vrai que les personnes qui reçoivent ces subsides y gagnent personnellement ; mais l'agriculture belge n'en profite pas. Faisons que le travail soit récompensé, que l'ouvrier soit rémunéré, et les progrès se réaliseront tout seuls.
Je ne proposerai pas de suppression sur les divers articles de ce chapitre. Mais je serai de très bonne composition. Si la majorité de cette chambre, qui maintient des droits protecteurs pour l'industrie et le commerce, moins dans un but fiscal que pour alimenter le travail intérieur, voulait faire quelques concessions en faveur de l'agriculture; si elle lui accordait une protection modérée, le quart de la protection décrétée pour les cotons, par exemple, si elle se montrait conséquente, je vous avoue franchement que je donnerais volontiers en holocauste tout le chapitre XIII. Vous feriez ainsi immédiatement une économie de 628,500 fr.
Un mot, messieurs, sur une amélioration que l'honorable M. Peers a signalée : c'est la vulgarisation de l'emploi de la bêche. Il n'y a pas de doute que l'emploi de la bêche sur une large échelle ne donne d'excellents résultats, que nous devons d'autant plus désirer aujourd'hui que la main-d'œuvre est à vil prix. Certainement, si dans les bonnes terres on employait plus souvent la main de l'homme, si la sueur se mêlait davantage aux engrais les produits de la terre seraient beaucoup plus considérables. Mais la bêche coûte plus cher que la charrue et exige une avance de fonds que l'absence d’un prix rémunérateur rend impossible.
Messieurs, la chambre a hâte de terminer la discussion générale. Je vais abréger mes observations.
Un mot sur le défrichement, qui a été traité d'une manière assez légère dans cette enceinte.
On a dit qu'il était ruineux de défricher. Messieurs, il faut distinguer. Sans doute, il y a des terres qui paraissent si mauvaises qu'il serait moins utile de les travailler que de perfectionner la culture d'autres terres. Mais je me permettrai, d'autre part, de signaler à la chambre ou plutôt aux adversaires du défrichement, un fait assez remarquable.
On a signalé plusieurs fois le pays de Waes comme étant le jardin de la Belgique, de l'Europe, on pourrait presque dire du monde. Eh bien, il y a 260 ans, le pays de Waes était encore un désert. Il était beaucoup plus désert que la Campine d’aujourd’hui. On en cite des preuves. Ainsi, en l’année 1583, on a abattu au-delà de trois cents loups dans la campagne qui sépare la ville de Lokeren de celle de St-Nicolas. Ce fait prouve suffisamment que le pays de Waes n'était pas alors ce qu'il est aujourd’hui. D'ailleurs il est démontré que le sol de cette contrée n'était pas meilleur que ne l'est celui de la Campine. On a établi que l'un et l'autre se composent des mêmes éléments. Ceci répond à l'objection qui a été faite plusieurs fois dans cette enceinte.
Après avoir signalé avec moi les dangers de la protection officielle qui se résume en subsides directs, l'honorable M. Tesch a demandé un chemin de fer pour le Luxembourg, principalement dans l'intérêt de l'agriculture. Je trouve cette demande toute naturelle, même dans la bouche de M. Tesch; car chacun a droit à une part égale du budget. Aussi je ne la combattrai pas, quoiqu'il me semble que la Belgique a construit assez de chemins de fer aux frais de l'Etat.
Mais à ce propos, messieurs, j'appellerai l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur une amélioration qu'il pourrait engager les villes à réaliser dans leur intérêt comme dans celui des agriculteurs. Je voudrais que les grandes villes construisissent, soit à leurs frais, soit avec les subsides du gouvernement, des halles, des greniers d'attente, où les cultivateurs pourraient déposer leurs céréales, soit en cas de mévente, soit quelques semaines avant les gelées, avant les grandes neiges. Aujourd'hui le paysan est obligé de ramener chez lui les grains qu'il n'a pas rendus, et lorsque les routes sont trop mauvaises, il ne peut se rendre au marché. S'il y avait des balles, où il pourrait déposer, moyennant une très légère rétribution, le grain qu'il n'a pas vendu et qu'il destine au marché suivant, il en résulterait un bien réel pour lui comme pour le consommateur.
Lorsque le temps est mauvais, lorsque l'état des routes ne permet pas le transport des céréales, le fermier s'abstient de venir à la ville. Le marché est mal fourni ; les prix s'élèvent et les consommateurs en souffrent. D'un autre côté, l'approvisionnement de la halle empêcherait les coalitions des spéculateurs. Ajoutons qu'au moyen de cet établissement, le fermier pourrait se défaire de sa marchandise sans se déplacer.
J'ai dit tout à l'heure, messieurs, que je n'attachais pas une grande importance à l'intervention trop minutieuse du gouvernement dans le travail agricole, je voudrais que le gouvernement se bornât à favoriser, à protéger les grandes améliorations agricoles, c'est-à-dire qu'il construisit des routes, qu'il creusât des canaux dans les localités qui en manquent, qu'il rectifiât le cours des rivières, desséchât les grands marais, etc. Voilà le, meilleur moyen de hâter le défrichement. Lorsque les communications seront faciles, lorsque les particuliers pourront profiler des canaux, lorsqu'ils auront de bonnes routes, ils sauront défricher eux-mêmes. Le gouvernement doit se borner à jouer le rôle que les particuliers ne peuvent pas remplir.
En économisant chaque année quelques milliers de francs sur les divers articles de ce chapitre, sur les haras, sur les courses de chevaux, sur les expositions, on obtiendrait, au bout d'un certain temps, une somme importante qu'on pourrait employer en travaux réellement favorables à l'agriculture.
M. Christiaens. - Messieurs, quand hier je me suis permis de faire quelques observations sur le chapitre de l'agriculture, j'ai eu soin de prévenir l'assemblée que je n'avais qu'une ou deux idées à jeter dans le débat. Voici en effet ce que je disais en commençant mes observations : « J'ai demandé la parole pour jeter quelques idées dans le débat relatif à l'agriculture du pays. »
Il paraît, messieurs, que ces quelques idées ont tellement effrayé l'honorable M. Tesch, qu'il s'imagine que vous avez, au milieu de vous, un Louis Blanc.
Messieurs, l'honorable M. Tesch, ainsi que l'assemblée, peut être parfaitement rassuré. Je ne suis pas plus un Louis Blanc que l'honorable M. Tesch n'est un Proudhon.
Maintenant, messieurs, je ne dirai que quelques mots quant au fond du débat.
J'ai prié le gouvernement d'étudier les causes de la décadence des distilleries agricoles, et de voir s'il n'y avait pas moyen de les relever de cette décadence. J'ai émis l'idée qu'il serait peut-être possible de restreindre la capacité distillatoire.
Maintenant il ne s'agit pas pour moi de savoir si 10, 20 ou 30 individus possédant des capitaux, font toute la distillation du pays; la question est, (page 706) pour moi, de savoir s'il convient à la Belgique, à la prospérité de la Belgique, au bien-être national, qu'il y ait plutôt 10,000 petites distilleries agricoles qui répandent la richesse sur tout le pays que 600 grandes distilleries qui ne profitent qu'à quelques grands propriétaires. Voilà quelle est pour moi la question, c'est de savoir s'il vaut mieux qu'il y ait 10,000 fabriques de céréales, 10,000 fabriques de pain et de viande que 600 grands établissements qui résument en eux seuls toute la prospérité agricole de la Belgique.
L'honorable M. Tesch voudrait que le gouvernement ne s'occupât de rien, qu'il laissât tout aller à vau-l'eau ; cependant à la fin de son discours il est venu réclamer un chemin de fer pour le Luxembourg. Mais le chemin de fer du Luxembourg, qui le fera? N'est-ce pas le gouvernement? N'est-ce pas encore demander l'intervention du gouvernement, que l'on refuse à d'autres provinces?
M. Jullien. - Messieurs, j'étais loin de m'attendre à ce que les quelques paroles que j'ai prononcées dans la séance d'hier, pussent m'attirer le reproche d'émettre, dans cette enceinte, des doctrines qui conduiraient au communisme, au socialisme et à l'organisation du travail. Y a-t-il, messieurs, dans mon discours un seul mot qui reflète une idée de ces systèmes dont je suis l'adversaire ? Quai-je demandé, messieurs, hier? Mais j'ai convié le gouvernement à faire pour le Luxembourg ce qu'il a fait pour d'autres provinces. J'ai convié le gouvernement à environner l'industrie agricole du Luxembourg de quelque protection. Je l'ai engagé à entreprendre dans le Luxembourg des travaux d'utilité publique. L'ai-je engagé à faire concurrence à l'industrie privée? On m'a prêté fort gratuitement des idées que je n'ai pas produites. Mon système est que le gouvernement, qui a construit des chemins de fer dans toutes les provinces, le Luxembourg excepté, que le gouvernement, qui a construit le canal de la Campine, qui fait exécuter encore le canal latéral à la Meuse, fasse aussi quelque chose pour le Luxembourg.
Etrange théorie, messieurs, que celle qui appellerait le Luxembourg à contribuer à la dépense des grands travaux d'utilité générale dans les autres provinces, et qui le priverait, lui, des bienfaits de semblables travaux!
J'ai demandé que le gouvernement voulût aviser à entreprendre des travaux de canalisation et d'irrigation dans le Luxembourg, en utilisant les cours d'eau de cette province. C'est là, a-t-on dit, une utopie : il n'y a pas, dans le Luxembourg, de Meuse à joindre à l'Escaut. Non, messieurs, il n'y a pas dans le Luxembourg, de Meuse à joindre à l'Escaut, mais il y a dans le Luxembourg, une rivière de Semoy à joindre à la rivière de Lesse et une rivière de Lesse à joindre à l'Ourthe et à la Meuse.
Ce système, messieurs, n'est pas nouveau. Il a été recommandé par le conseil provincial lui-même, à l'occasion du budget où, si mes souvenirs sont exacts, on a alloué des fonds pour les frais des études de la canalisation du Luxembourg, et j'ai été heureux d'apprendre tout à l'heure, de la bouche de M. le ministre de l'intérieur, que ce projet n'est pas abandonné.
On a également prétendu que je voulais dès maintenant, sans qu'on eût réformé le système hypothécaire, sans qu'on eût réformé la législation sur l'expropriation, entraîner le gouvernement à résoudre immédiatement le problème si difficile, d'un système de crédit foncier.
Eh bien, messieurs, je n'ai point élevé une prétention semblable. Je me suis borné à exprimer simplement l'opinion que le gouvernement devrait favoriser la création de petites banques agricoles, en attendant l'organisation du crédit foncier; en un mot, j'ai demandé que le gouvernement, qui est venu au secours d'autres industries par des avances de subsides, voulût encourager, pour l'agriculture en général, l'établissement de petites banques, à l'instar de celles qui existent en Ecosse, et destinées à procurer aux petits cultivateurs, moyennant un faible intérêt, les capitaux dont ils manquent. Voilà les vœux que j'ai formulés hier ; mais je n'ai pas poussé le gouvernement à établir, à l'instant même, le vaste système du crédit foncier.
L'honorable M. Tesch a soutenu, messieurs, que le gouvernement ne devait pas livrer de la chaux vive à nos cultivateurs ; que l'emploi de la chaux fusée était reconnue généralement préférable à l'emploi de la chaux vive; que le conseil provincial du Luxembourg avait fait justice de ma demande sur ce point.
Le conseil provincial du Luxembourg s'est occupé, à la vérité, de cette question, mais il en a renvoyé l'examen à la députation. Je sais que la députation, restant d'accord avec la première proposition qu'elle avait faite au département de l'intérieur, a persisté dans l'opinion qu'il valait mieux employer la chaux fusée que la chaux vive; je sais que la députation a fait ressortir la difficulté qu'il y aurait à pourvoir les dépôts de chaux vive, mais j'ai expliqué hier comment il serait possible de livrer à la fois aux cultivateurs et de la chaux vive et de la chaux éteinte. Que si, messieurs, il peut rester des doutes sur la supériorité de l'emploi de la chaux vive, eh bien, que le gouvernement soumette la question à une commission d'agronomes; la commission se prononcera, et il n'y aura plus de nouvelles discussions sur ce point parmi nous.
Je termine, Messieurs, en me joignant à l'honorable M. Tesch, pour engager le gouvernement à continuer pour le Luxembourg le communisme avouable qu'il a pratiqué depuis 1834 pour les autres provinces; je me joints à mon honorable collègue pour demander instamment la construction d'un chemin de fer dans le Luxembourg.
J'ai déjà eu occasion de le dire, le Luxembourg se trouve, à l'égard des autres provinces, dans des conditions fatales d'infériorité, dont il est du devoir et de la justice du gouvernement de le relever, en lui procurant des facilités de transport telles qu'il puisse livrer ses produits au commerce sur les marchés intérieurs et extérieurs, en concurrence avec les produits des autres parties du pays. En cela je ne fais qu'appuyer les observations très justes qui ont été soumises à cet égard à la chambre par l'honorable M. Tesch.
M. Tesch. - Messieurs, je dois m'être extrêmement mal expliqué ou l'honorable M. Christiaens et l'honorable M. Jullien m'ont très mal compris. Je n'ai pas voulu dire le moindre mot désagréable pour ces honorables membres.
J'ai dit que l'appel continuel de l'intervention du gouvernement dans des affaires que je regarde comme appartenant au domaine de l'industrie privée ; que cette immixtion trop prononcée dans les affaires industrielles et commerciales, menait un socialisme, au communisme et à l'organisation du travail. Eh bien! je défie l'honorable M. Christiaens de me dire quelle différence il y aurait entre une loi qui défendrait à un particulier de mettre en macération plus de dix hectolitres de matière par jour, et une loi qui dirait aux ouvriers : « Vous ne travaillerez que 10 heures par jour. » Il n'y a pas de différence entre ces deux choses. Eh bien ! l'honorable M. Christiaens propose pour l'industrie ce que Louis Blanc a proposé pour le travail manuel. (Interruption.) Je suis prêt à soutenir la discussion...
M. Christiaens. - C'est une discussion qui durerait une heure.
M. Tesch. - Je déclare qu'en entrant dans cette enceinte, je me suis promis de ne jamais rien dire de désagréable à mes honorables collègues. Telle n'a pas été non plus mon intention aujourd'hui. Mais je juge des doctrines qui ont été émises dans la séance d'hier, et je crois que c'est dans mon droit.
On me reproche, à moi, de repousser l'immixtion du gouvernement dans les affaires de l'industrie, et d'avoir cependant demandé la construction d'un chemin de fer par l'Etat dans le Luxembourg. Sous ce rapport, je n'ai demandé qu'une chose, c'est que le Luxembourg soit doté des mêmes avantages que les autres provinces ; et j'ai dit que, comme encouragement agricole, cette mesure est la seule qui puisse produire des résultats propres à élever notre province au même degré de prospérité que les autres parties de la Belgique.
Le gouvernement a doté les autres provinces de chemins de fer. Entré dans cette voie, pourquoi s'arrêter, quand il s'agit de franchir la frontière du Luxembourg?
Je sais, et ici je réponds à l'honorable M. Jullien, je sais que nous avons des rivières qui peuvent être canalisées ; mais je ne pense pas que l'ingénieur dont a parlé M. le ministre de l'intérieur, ait été envoyé dans le Luxembourg pour étudier la question de la canalisation au point de vue de la flottabilité. Sous ce rapport, la question a de l'importance ; mais ce ne sera pas, je pense, une question d'irrigation. Voilà ce que j'avais à répondre à l'honorable M. Jullien.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, quel que soit mon désir de ne pas prolonger la discussion générale, je suis cependant obligé, ne fût-ce que par convenance, de répondre à différents orateurs qui ont pris la parole. Je tâcherai d'être court. Nous sommes lancés dans un champ immense ; si chacun de nous ne s'impose pas la loi de modérer son ardeur, il n'y a pas de raison pour que nous ne recommencions pas une discussion de huit jours. Peut-être pourrons-nous reprendre, lors de la discussion du budget de 1850, divers points que nous ne ferons qu'effleurer aujourd'hui.
Messieurs, un honorable orateur qui a parlé hier, s'est élevé contre l'espèce de manie qu'aurait le gouvernement de vouloir concourir, d'une manière efficace, au défrichement du pays. Je pense que cet honorable membre professe ici une opinion à peu près isolée.
Les chambres ont donné au gouvernement une loi dans le but d'aider au défrichement du pays. Les effets de l'application de cette loi sont déjà très satisfaisants. Je ne pense pas qu'elle excite des plaintes, là où elle est appliquée; bien au contraire. Je dirai, en passant, que déjà 13,000 hectares ont été mis en état de culture par suite de l'application de la loi.
L'honorable membre auquel je réponds, trouve qu'on a tort de ne procéder au défrichement que par le moyen des irrigations ; il nous a signalé le moyen des assèchements comme étant tout aussi efficace.
Mais ce moyen n'est pas perdu de vue par le gouvernement; lorsqu'en traçant des canaux pour les irrigations, il rencontre des terrains marécageux (et il s'en trouve de tels dans la Campine), il les assèche. Très incessamment il sera vendu dans la Campine 200 hectares asséchés. Plus tard, lorsqu'on devra procéder à l'assèchement des terrains marécageux, lorsque les eaux malfaisantes auront disparu de ces terrains, il faudra bien y amener des eaux bienfaisantes, et là encore les irrigations seront utiles.
L'honorable M. Tesch ne paraît pas se soucier des irrigations pour le Luxembourg, si elles doivent se faire avec l'intervention de l'Etat.
Si telle devait être l'opinion générale du Luxembourg, le gouvernement aurait à examiner s'il doit chercher à améliorer la situation agricole de cette province, malgré cette province même, quoiqu'il ait des devoirs à remplir alors que des intérêts locaux s'y opposent ; mais il ne s'agit pas encore pour le moment d'introduire dans le Luxembourg des irrigations. L'administration supérieure se borne à faire étudier les différents cours d'eau dans le Luxembourg. On sait quelle influence les cours d'eau peuvent exercer sur l'agriculture, d'après leur bonne ou mauvaise direction.
Nous avons voté, l'année dernière, une loi qui pourra faciliter l'exécution des projets sur les différents cours d'eau. Un ingénieur pratique, a été envoyé sur les lieux. L'on craint que les frais de route n'entraînent pour le trésor public des dépenses considérables ; mais ces études se feront avec la plus grande économie possible ; l'honorable M. Tesch peut se rassurer à cet égard.
(page 707) Les honorables députés du Luxembourg ne paraissent pas être d'accord sur un autre point. L'honorable M. Jullien désire qu'on puisse substituer à la chaux fusée des dépôts de chaux vive.
Cette question de détail a été examinée par le conseil provincial du Luxembourg qui l'a renvoyée à la députation permanente. La députation a été d'avis que des dépôts de chaux fusée suffisaient. Le conseil d'agriculture a été du même avis.
La chaux vive pourrait, dans certains cas, être très utile à l'agriculture ; mais il y a un obstacle pratique à ce qu'on fasse des dépôts de chaux vive. On craint que l'agriculteur n'applique à des constructions la chaux vive qu'il viendrait réclamer comme engrais; il y aurait en outre des contestations sur la qualité de la chaux entre l'entrepreneur qui ferait les dépôts et l'agriculteur qui viendrait s'approvisionner.
Puisqu'on a parlé de ces dépôts de chaux, je pense que la chambre me saura gré de lui apporter quelques faits au milieu des théories nombreuses qui se font jour dans la discussion. Eh bien, en ce qui concerne les dépôts de chaux dans le Luxembourg effectuées par l'intervention du gouvernement, qui n'a pas envie de faire en cela du socialisme, ni du communisme, mais qui doit tâcher de faire le plus de bien possible aux populations, huit dépôts de chaux existent déjà et au moyen de ces dépôts, on pourra fournir aux besoins de 1,380 hectares dans 91 communes et sur la demande de 3,078 déclarants.
Ce qui, à raison de 100 hectolitres par hectare, suppose un dépôt de 138 mille hectolitres pour le Luxembourg. Le gouvernement procure cet engrais aux cultivateurs à des prix réduits. De ce chef il y a un sacrifice assez considérable en faveur de la province du Luxembourg. Sous ce rapport, loin d'être traitée en enfant déshérité, elle est traitée un peu en enfant gâté.
On réclame pour le Luxembourg, comme le seul remède efficace, des voies de communications parmi lesquelles figure un chemin de fer. Un chemin de fer avait été voté pour le Luxembourg, et moi qui me suis opposé à l'exécution de plusieurs chemins de fer par les sociétés, j'ai voté pour la concession de celui-là. D'ailleurs quand on a décrété les chemins de fer de l'Etat, une somme de deux millions a été votée pour construire dans le Luxembourg des routes ordinaires en compensation des lignes de chemin de fer qui se construisaient ailleurs. J'espère que l'honorable M. Tesch voudra bien nous permettre de continuer à étudier les divers cours d'eaux comme moyen d'irrigation et de canalisation. Quand ces études seront faites, nous verrons si le gouvernement doit intervenir ou laisser soit à la province soit aux propriétaires, le soin de mettre à profit le fruit de ces études.
L'honorable M. Christiaens, après s'être opposé à ce que le gouvernement poussât aux défrichements, a présenté comme le remède le plus puisant l'établissement de petites distilleries agricoles. Je suis convaincu du bon effet des petites distilleries agricoles ; mais dépend-il du gouvernement de confisquer les grandes distilleries au profit des petites? Serait-il au pouvoir des chambres même d'exproprier les grandes distilleries qui sont le produit des progrès de la science et de l'industrie, pour faire prospérer les petites?
Voyons d'ailleurs les faits.
Toutes les théories ont leur valeur, mais les faits ont aussi leur signification. Les distilleries rurales sont loin d'être anéanties en Belgique; toutes les distilleries sont d'ailleurs agricoles, qu'elles soient situées à la campagne ou dans les villes. Si on voulait distinguer entre les distilleries des villes et celles des campagnes, on trouverait pour les premières 97 et pour les secondes 927. (Interruption.)
Je ne sais dans quelle catégorie on entend placer les distilleries de Hasselt.
M. de Theux. - Elles sont toutes agricoles.
M. Rodenbach. - Toutes les distilleries sont agricoles.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Elles sont situées dans la ville de Hasselt ; mais elles ont exercé la plus grande influence sur la culture dans tout le rayon.
D'après un honorable préopinant, ce ne serait pas dans la substitution de petites distilleries aux grandes, dans les défrichements, les irrigations, la distribution d'engrais, dans les dépenses faites pour les haras ni dans aucune des mesures dans lesquelles le gouvernement met la main, que l'agriculture devrait chercher des améliorations ; selon lui, il n'y a qu'un seul remède; tout le reste n'est pas un but à poursuivre, ce sont des prétextes. Ce grand remède serait d'assurer au travailleur agricole le prix rémunérateur de son travail. Voilà bien le but ; mais quel est le moyen d'assurer au travailleur agricole le prix rémunérateur de son travail? On ne l'a pas dit, mais c'est le droit de douane.
M. Coomans. - C'est la protection.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais la protection existe dans tons les moyens directs que nous vous indiquons; ils protègent plus efficacement l'agriculture que votre soi-disant protection. Chacun protège l'agriculture à sa manière, vous, vous voulez la protéger au moyen d'un droit de douane. Nous croyons nous que tous les moyens directs que nous avons énumérés sont plus efficaces pour rassurer à l'agriculteur le prix rémunérateur de son travail que le droit de douane.
Je n'ai pas vu que dans la discussion de la dernière loi sur les céréales que l'opinion de M. Coomans ait trouvé beaucoup de partisans. Si nous venons aux faits, que trouvons-nous ? Comparons les pays à droits élevés avec ceux où ils n'existent pas. La France est encore en possession d'un droit de douane très élevé. Comparez les prix de France avec les prix de Belgique. Ils sont beaucoup plus bas que les prix de Belgique; cependant la France jouit de ce droit si puissamment efficace, que vous proclamez le seul remède à l'agriculture.
M. Coomans. - Cela prouve qu'il n'est pas dangereux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cela prouve qu'il n'est pas efficace. Pourquoi le demander s'il n'est pas efficace ?
M. de Mérode. - Il vous donnerait de l'argent.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Au point de vue fiscal, un droit modéré produit plus qu'un droit élevé. C'est si vrai que le trésor recevra plus en 1849 que sous l'empire de l'échelle mobile.
Je puis donc dire à mon tour : «Votre droit n'est donc qu'un prétexte, ce n'est pas un moyen. Y a-t-il un moyen plus certain d'assurer au travailleur agricole le prix de son travail que les moyens directs d'amélioration que nous employons? » En multipliant, en perfectionnant les produits, nous accroissons la valeur territoriale ; et lorsque le cultivateur produira davantage et mieux, son travail sera mieux récompensé.
Produire davantage et mieux, voilà je crois, le problème. Nous soutenons que tous les moyens directs ou indirects, il va de soi que le gouvernement encourage, assurent à l'agriculture les avantages que nous voulons pour elle, et cela, d'une manière beaucoup plus certaine qu'un droit de douane dont on a grand tort de fasciner l'esprit des populations.
A l'agriculteur qui est venu lui dire qu'il avait renvoyé ses ouvriers, qui allaient devenir des mendiants, j'espère que l'honorable M. Coomans aura répondu qu'il ne fallait pas attribuer l'absence du travail au système de douanes.
Il possède, j'en suis convaincu, trop de lumières pour avoir laissé subsister dans l'esprit de cet homme des champs, ce préjugé que si le travail agricole manque, c'est parce qu'on a substitué le droit fixe de 50 c. à l'échelle mobile.
Il serait dangereux d'entretenir de tels préjugés dans l'esprit des campagnards. En France, les droits sont considérables. Cependant le cultivateur français ne tire pas de son blé autant que le cultivateur belge. Les exemples abondent. Je ne les cite pas, parce que je ne pense pas qu'on veuille entamer en ce moment une longue discussion sur les céréales. Je suis prêt, du reste, à la soutenir.
Je défends ici le système que j'ai défendu dans toutes les positions. Chercher à assurer au pays les denrées alimentaires en abondance et à aussi bon marché que possible, voilà la loi des lois.
Afin que nous puissions aujourd'hui faire autre chose que discuter, à voter au moins quelques articles, je bornerai là mes observations.
M. T’Kint de Naeyer. - Plusieurs orateurs ont reproché au gouvernement son engouement pour les défrichements. L'honorable M. Peers a été plus loin; dans son opinion, les efforts que les particuliers tenteront dans ce sens ont peu de chances de succès.
Mais si l'on écarte les défrichements, quels sont les moyens auxquels vous aurez recours pour venir en aide à une population qui manque de terres et qui est trop nombreuse pour trouver dans l'industrie seule un soulagement efficace?
Le gouvernement, s'appuyant sur l'avis des conseils provinciaux et sur celui de tous les hommes spéciaux qui ont été consultés sur la question des Flandres, a encouragé les défrichements en ouvrant de nouvelles routes, en creusant des canaux, en faisant des travaux d'irrigation. En général, le gouvernement s'est borné à stimuler, à faciliter les défrichements ; lorsqu'il a été plus loin, c'est que l'activité particulière faisait complètement défaut.
On l'a déjà fait observer dans cette discussion, une partie considérable des Flandres était encore couverte de bruyères il y a à peine deux siècles.
Messieurs, il serait imprudent de décourager les efforts de ceux qui ne reculent devant aucun sacrifice pour entreprendre des travaux qui peuvent donner lieu à quelques désappointements, mais dont l'utilité, au point de vue de l'intérêt général, est incontestable.
Dans la partie des Flandres que j'habite, on a depuis cinquante ans défriché plusieurs centaines d'hectares ; les bois disparaissent partout où le terrain est susceptible de culture ; on conserve les sapinières ou bien on en établit de nouvelles, lorsqu'il est bien constaté qu'il y a avantage à le faire.
Cette combinaison offre aux cultivateurs un supplément de travail pendant la mauvaise saison.
Je ne prolongerai pas, messieurs, cette discussion. J'attendrai une autre occasion pour discuter la question des défrichements. J'ai demandé la parole pour protester contre certaines allégations qui pourraient avoir pour résultat de décourager jusqu'à un certain point les propriétaires, qui ont entrepris des travaux considérables de défrichement, en comptant sur l'appui que la législature leur a toujours accordé.
M. David. - Sans ce que vient de nous dire M. le ministre de l'intérieur, je n'eusse pas pris la parole; la discussion ayant déjà été assez longue. M. le ministre a prétendu que jamais il n'y avait eu de plaintes contre la loi des défrichements, que l'honorable M. Christiaens était seul dans cette enceinte à s'opposer aux mesures qu'elle décrète. A mon tour, je viens, au nom de la partie ardennaise de l'arrondissement de Verviers, protester contre les défrichements en grand et déclarer devant vous, messieurs, que jamais loi ne fût plus impopulaire dans mon pays que celle du 25 mars 1847.
L'honorable M. Christiaens, en homme spécial, vous a parfaitement expliqué pourquoi le défrichement en grand était impossible. Il a prouvé, (page 708) par des chiffres irréfutables, que l'engrais ne suffisait actuellement pas au maintien en bon état de fertilité des terres en culture, qu'en les éparpillant sur des bruyères, vous appauvririez davantage encore vos campagnes et produiriez, en résumé, moins de grains qu'à présent, but opposé à celui qu'on recherche.
En Ardennes, les cultivateurs qui, au moyen des pâturages en commun, peuvent tenir quatre têtes de bétail, six mêmes, seraient, si on procédait en grand au défrichement, réduits à se défaire de ce bétail, ne produiraient plus de fumier et seraient obligés de laisser retourner en bruyères les champs qu’ils ont gagnés sur le désert à grande peine, à la sueur de leur front.
Je parlerai, avant de terminer, d'un autre point à M. le ministre de l'intérieur. Il semble que l'on veuille rendre plus impopulaire encore la loi des défrichements. Des commissions de reboisement ont été instituées. Je ne connais pas leur mission, mais je dois croire qu'elle ne va pas jusqu'à empiéter sur les attributions des conseils communaux.
Cependant, je sais que dans une commune qui avait arrêté son budget, lequel avait été approuvé par la députation permanente, une somme de 2,000 francs, à peu près, était supposée devoir rentrer par la vente de la coupe annuelle de bruyère pour litière. La commission de reboisement en fût informée et intima à l'administration communale d'envoyer des délégués, choisis dans son sein, sur les lieux tel jour, à telle heure pour qu'un garde forestier lui indiquât ce qui devrait être fauché, reboisé et défriché. Je vous le demande, messieurs, une telle manière d'agir, est-elle faite pour encourager les administrations communales à pousser au défrichement et au reboisement?
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la règle générale est de ne pas procéder à l'exécution de la loi sur le défrichement sans le concours et l'assentiment des communes, et c'est cette règle que j'ai généralement suivie. Il est très rare qu'on défriche le territoire d'une commune contre son gré. Ce sera toujours l'exception.
Messieurs, on vient de vous parler d'une véritable amélioration et de vous la signaler comme une espèce d'abus : ce sont les moyens mis en œuvre par le gouvernement pour arriver au reboisement des terrains communaux.
On sait quelle est à cet égard l'inertie, pour ne pas dire l'incurie de beaucoup de conseils communaux. Le gouvernement, mu par les plus louables intentions, a créé dans quatre provinces, des commissions de reboisement, afin de vérifier quels sont les terrains communaux qui pourraient, avec le concours de l'Etat, être livrés au reboisement. Ces commissions n'ont pas été investies d'une autorité de commandement sur la commune. Les droits de la commune restent ce qu'ils sont. Mais ces commissions, lorsqu'elles ont étudié sur les lieux, les parties du territoire les plus propres au reboisement, éclairent et stimulent les communes. Elles n'ont pas le droit d'agir d'autorité sur, les décisions des conseils communaux.
Je considère l'établissement et les travaux des commissions de reboisement comme devant encore amener les meilleurs résultats pour le défrichement d'une partie de nos terres incultes, et je ne vois vraiment pas ce qu'il peut y avoir d'impopulaire dans l'action, toute de surveillance et de sollicitude, exercée par ces corps purement consultatifs.
M. de Haerne. - Messieurs, je suis un de ceux qui ont applaudi très sincèrement aux mesures prises par le ministère en faveur de l'agriculture. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à cet égard dans une séance précédente. Mais je tiens, messieurs, à répondre à une assertion que vient d'émettre M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur vous a cité l'exemple de la France. Il vous a dit que, dans le moment actuel, malgré la protection dont jouissent les céréales en France, les prix y sont cependant moins élevés qu'ils ne le sont en Belgique ; il en a conclu que le prix des céréales était moins rémunérateur en France qu'il ne l'est en Belgique.
Messieurs, j'ai aussi parlé dans le temps en faveur d'un essai à faire en matière de protection à accorder à l'agriculture, au moyen d'une augmentation des droits de douane. Je dis en faveur d'un essai, parce que dans l'étal actuel de la question, je crois qu'on ne fait que des essais, tant dans ce pays que dans d'autres pays, comme l'Angleterre et la France.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On avait annoncé que l'Angleterre reviendrait, au 1er février, sur sa loi libérale en matière de céréales. Elle ne l'a pas fait. Elle a maintenu cette loi et lord John Russell s'en est expliqué récemment d'une manière très catégorique.
M. de Haerne. - D'après les dernières nouvelles , je crois qu'en Angleterre on en est encore aux essais.
- Plusieurs membres. - Non ! c'est fini.
M. de Haerne. - C'est fini pour le moment. Mais je dis qu'au sein du parlement anglais il y a encore une opinion puissante qui voudrait revenir au système de protection, aussitôt que les circonstances politiques le permettraient. Je ne dis pas quel est le meilleur système, mais je soutiens que jusqu'ici on n'a fait que des essais en Angleterre comme ailleurs.
Voici, messieurs , sur quoi je voulais surtout faire une observation.
Lorsque dans le temps nous avons cru qu'on pouvait faire, à l'aide de droits de douane, un essai en matière de protection agricole, je n'ai pas du tout entendu que par cette mesure de protection, il fallût nécessairement arriver à une augmentation du prix du pain. Si tel était le résultat nécessaire, le résultat inévitable de la protection agricole, j'éprouverais la plus grande répugnance à donner les mains à une telle mesure.
Messieurs, nous avons souvent combattu cette idée qu'une protection douanière accordée à l'agriculture devait nécessairement entraîner une augmentation du prix du pain. L'exemple qu'on a cité de la France prouve encore que cette idée n'est nullement exacte.
Je crois qu'on peut affirmer qu'en matière d'agriculture aussi bien qu'en matière d'industrie, lorsqu'on protège la fabrication, on n'augmente pas toujours le prix des produits, parce que, par la protection, vous augmentez la production intérieure et vous faites surgir à l'intérieur une concurrence avantageuse aussi bien au consommateur qu'au producteur. Vous aviez la concurrence étrangère et vous la remplacez par la concurrence intérieure. Voilà comment j'entends qu'on peut protéger une industrie sans cependant peser sur le consommateur par une augmentation de prix, augmentation qui souvent ne se réalise pas, comme on le voit en Belgique et ailleurs à l'égard d'une foule de produits manufacturés, plus ou moins protégés par le tarif des douanes.
C'est ce qu'on a vu en France, non seulement cette année, mais depuis que ce pays a un régime protecteur, depuis la mise en vigueur de la loi actuelle, loi dont la portée protectionniste est beaucoup plus forte encore que ne l'était en Belgique celle de la loi de 1834.
Si l'on voulait faire la moyenne, et elle a été présentée dans le temps dans cette enceinte, du prix des céréales en France et en Belgique pendant les années du régime protecteur, et sous la loi française et sous la loi belge de 1834, on verrait qu'année commune, les prix ont été moins élevés en France qu'en Belgique. C'est là un fait incontestable.
Comment expliquer ce fait, messieurs? Je ne puis me l'expliquer autrement que par la raison que je viens d'alléguer tout à l'heure, à savoir que la protection a considérablement augmenté la production.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Tenez-vous la France pour supérieure en agriculture à la Belgique?
M. de Haerne. - Non ; mais voici ce que je dis ; quoique la France ne soit pas supérieure en agriculture à la Belgique, je soutiens que si vous établissez une protection suffisante, une protection raisonnable, une protection qui fait vivre le producteur, celui-ci cultive de préférence les céréales; il abandonne certains autres produits pour cette culture qui, ce fait est reconnu, est toujours la meilleure.
Les prix baissent par l'abondance, mais le cultivateur se récupère par la quantité. Voilà comment je comprends que le cultivateur profite du droit protecteur et que le consommateur y trouve également son avantage.
Je dois ajouter qu'il y a une limite à tout, que si l'on frappait les céréales étrangères de droits exorbitants, de droits tels que ceux qui existaient autrefois en Angleterre avant la réforme introduite par sir Robert Peel, on atteindrait un effet tout contraire. Mais c'est là l'excès de la protection. Ce n'est plus même de la protection, c'est de la prohibition, et c'est ce que personne ne voudrait dans cette enceinte.
On veut un droit protecteur, mais un droit raisonnable, un droit qui soit calculé sur les besoins du pays, sur les circonstances dans lesquelles il se trouve placé. Si le droit est trop élevé, les céréales étrangères ne sont jamais admises à faire concurrence sur le marché intérieur ; il en résulte, vu les mauvaises récoltes qui se présentent de temps en temps, qu'année commune, les blés sont chers, comparativement à ceux d'autres pays. Mais le contraire a lieu, sous le régime d'un droit modéré, droit qui stimule la culture des céréales, et qui en permet l'entrée dans les années de disette et de cherté. Ce droit d'ailleurs ne représente qu'en partie, à l'égard du cultivateur étranger qui souvent est fort (erratum, page 713) peu imposé, l'impôt que paye le cultivateur indigène ; ce qui est parfaitement juste, à moins qu'on ne veuille soutenir qu'il faille accorder à l'étranger une prime pour la production des céréales.
Messieurs je reviens à ce que j'avais l'honneur de vous dire en commençant, c'est que je ne me prononce pas définitivement sur la mesure. J'ai seulement tâché de faire comprendre à la chambre que dans ma manière de voir, on explique très bien qu'une protection efficace peut s'accorder avec des prix inférieurs pour les céréales, et je voulais arriver à cette conclusion que ceux qui demandent des droits sur les céréales sont loin de demander une augmentation de prix sur le pain.
- La discussion sur l'ensemble du chapitre est close.
Article 52
« Art. 52, Indemnités pour bestiaux abattus : fr. 200,000. »
La section centrale, d'accord avec le gouvernement, propose de transférer de cet article à l'article 56, une somme de 43,000 francs.
M. Veydt. - Messieurs, à l'occasion de l'article dont il s'agit en ce moment, des sections ont engagé le gouvernement à s'occuper du système général d'assurances pour l'agriculture. La section centrale a appuyé le vœu émis et nous avons entendu un honorable député de Bruges parler dans le même sens. Loin de moi de combattre ces conclusions ; je voudrais plutôt les défendre, si elles devaient rencontrer des contradicteurs.
J'ai demandé la parole pour entretenir un instant la chambre d'un autre genre d'assurances, des assurances sur la vie des hommes. On m'objectera que ce n'est pas ici le lieu ; mais aucun autre article du budget que nous discutons, ni de ceux que nous avons encore à discuter, ne fournit une occasion opportune, et cependant il s'agit d'un sujet d'un grand intérêt pour le pays et qui mérite de fixer sérieusement l'attention. Tant de digressions ont été faites à l'occasion du budget de l'intérieur, qu'on voudra bien m'en permettre une fort courte.
Il n'existe en Belgique qu'un très petit nombre de sociétés d'assurances sur la vie, et les opérations qu'elles font sont limitées. On trouve généralement que leurs conditions ne sont pas assez favorables et on s’adresse à des compagnies étrangères, surtout à des compagnies françaises.
(page 709) Durant ces dernières années, les contrats qu'elles ont obtenus se sont considérablement multipliés. N'est-ce pas au préjudice de la Belgique, qui voit ainsi passer en de mains étrangères les bénéfices assez importants que les compagnies prélèvent, sous le titre de frais de gestion, et appliquer des capitaux belges à l'achat de rentes étrangères, dont ils contribuent à consolider le crédit ? Et alors, si de graves événements politiques éclatent, que de soucis, que d'inquiétudes !
Je crois, messieurs, qu'il y a une chose bien utile et en même temps bien facile à faire. En Angleterre, les assurances sur la vie ont pris un développement immense; on pourrait dire qu'elles sont passées dans les mœurs. Elles tendent aussi à se répandre beaucoup en France. L'intervention du gouvernement suffirait sans doute pour les propager en Belgique, où le principe en existe déjà. La caisse des veuves et orphelins est une véritable tontine. Les caisses des instituteurs primaires, des ouvriers des charbonnages et d'autres plus récentes, sont des institutions du même genre. Il ne faut que généraliser. L'Etat, en devenant un grand assureur, ou en se bornant au rôle de gérant des intérêts des assurés, procurerait à tous les habitants du royaume les garanties de sécurité et d'avenir qu'il s'est appliqué à assurer à des classes spéciales.
Ce serait un immense bienfait. En même temps son intervention consoliderait le crédit national, en employant à des achats en rentes belges des capitaux considérables, dont une partie sert à présent à fortifier le crédit étranger. Et tout en rendant de pareils services, l'Etat se créerait une source de revenus sans aucune charge pour les contribuables, avantage que n'offrent pas la plupart des projets dont nous avons entendu parler.
On peut différer d'opinion sur l'utilité et surtout sur les avantages financiers des assurances contre incendie faites par le gouvernement ; mais il me semble qu'aucune objection sérieuse n'est possible contre son intervention directe et efficace pour les assurances sur la vie. Je puis citer, à l'appui de ce que j'avance, la discussion qui eut lieu dans une des séances de la commission des assurances, instituée au département des finances, au commencement de 1847. Tous les membres de cette commission se sont prononcés en faveur de la solution que je voudrais voir donner à une question, que je crois digne de la plus sérieuse attention.
Je suis convaincu, messieurs, que le ministère ferait bien d'examiner s'il n'y a pas lieu d'élaborer et de présenter prochainement un projet de loi sur cette matière. Le moment est opportun, et aucune des objections que soulèvent les assurances contre incendie, attribuées à l'Etat, n'est ici à craindre. Je verrais avec plaisir que le cabinet actuel eût le mérite d'avoir doté le pays d'une institution qui lui manque; et dont l'utilité est si universellement appréciée dans des pays voisins.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je désire seulement faire une observation, c'est que l'intitulé de cet article ne répond pas à l'objet des dépenses. Au lieu de faire la dépense pour les bestiaux, on la fait presque entièrement pour les hommes. Il n'y a pas le quart du crédit qui profite à ceux qui font des pertes de bétail; plus des trois quarts passent entre les mains des artistes vétérinaires. Quant à moi, je voterai contre toute allocation de ce chef, parce qu'il est inutile de faire payer à la nation 200,000 francs pour 50,000 fr. qui servent cette espèce d'assurance sur le bétail. Peut-être qu'en n'ayant plus cet article au budget, nous serions amenés à avoir plus vite une véritable assurance contre les épizooties et la mortalité du bétail.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable préopinant est dans l'erreur, s'il croit que la somme de 200,000 fr. passe presque entièrement entre les mains des artistes vétérinaires.
Il y avait, messieurs, sous ce rapport, certains abus, mais ils ont disparu. Par suite des mesures qui ont été prises à cet égard, l'allocation a été successivement réduite. En 1845, ce crédit s'élevait à 215,000 fr., en 1846, à 245,000 fr., en 1847, il était descendu à 156,000, et pour 1848 tout porte à croire que ce dernier chiffre ne sera pas atteint. C'est ce qui me permet de réduire considérablement l'allocation pour 1849 et de reporter 45,000 fr. sur l'article 56.
Pour le service vétérinaire, il y a eu aussi des réductions assez considérables. D'après les résultats de l'année 1848, nous pourrons également pour cet objet descendre de 75,000 à 70,000 fr.; mais de ces 5,000 fr. de diminution, je demanderai d'en reporter 3,500 sur l'article 54. Autrefois les deux articles 53 et 54 n'en faisaient qu'un; aujourd'hui ils sont séparés, ce qui me force à demander une légère augmentation sur l'article 54, mais en proposant en même temps une diminution plus forte sur l'article 55.
Je dépose, messieurs, cette proposition. Si la chambre ne vote pas aujourd'hui, l'amendement pourra être imprimé. Il consiste à réduire le chiffre de l'article 53 à 70,000 fr. et à reporter 3,500 fr. sur l'article 54.
- La séance est levée à quatre heures et demie.