(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 389) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. Troye lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants de Werken demandent que le chef-lieu des arrondissements réunis de Dixmude et Furnes soit établi à Dixmude.
« Même demande de plusieurs habitants de Vladsloo. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur et renvoi à la commission des pétitions.
« Les employés du service actif de la recherche maritime des douanes prient la chambre de leur conserver les avantages que leur assure la loi sur les pensions. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui modifie la loi sur les pensions.
« Quelques distillateurs et cultivateurs de l'arrondissement de Soignies proposent des modifications à la loi sur les distilleries. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Cornu, capitaine pensionné, prie la chambre de réviser la législation sur le recrutement de l'armée, et demande que tout étudiant soit dispensé d'entrer au service avant sa 23ème année. »
- Même renvoi.
« Plusieurs débitants de boissons distillées demandent-que le droit de consommation sur ces boissons soit remplacé par un impôt sur les distilleries. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Gesves et d'Ohey demandent la révision de la loi sur l'enseignement primaire. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Zarren demandent que le tribunal de première instance de Furnes soit transféré à Dixmude. »
« Même demande de plusieurs habitants de Bovekerke et Vladsloo. »
- Même renvoi.
M. de Man d'Attenrode (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole afin de réclamer une rectification au compte-rendu de la séance d'hier.
Hier, il s'est agi du traitement du secrétaire du diocèse de Namur ; le crédit a été rejeté; le procès-verbal qui vient de vous être lu le constate; le compte-rendu porte cependant que le crédit a été adopté.
Le dernier littera de l'article 26, bourses de séminaire, 62,010 fr. 55 c, a été adopté.
Le compte rendu n'en fait pas mention.
Ces erreurs prouvent que le service du Moniteur n'est pas amélioré, comme le disait hier M. le ministre de la justice, puisque le lendemain même de cette déclaration le compte rendu contient des erreurs semblables.
Ces négligences ont de la gravité, car lorsque l'on consulte nos Annales les personnes qui ont foi dans ce que leur texte a d'officiel sont induites en erreur.
Je demande donc que la rectification ait lieu, et qu'il soit fait une nouvelle distribution de la feuille 60 des Annales rectifiée de la manière que je viens d'indiquer.
M. le président. - Messieurs les questeurs donneront les ordres nécessaires pour que cette distribution ait lieu.
M. Orts, rapporteur (pour une motion d'ordre). - La chambre avait renvoyé, dans une séance précédente, à l'examen de la section centrale du budget de la justice diverses pétitions qui concernent les traitements du personnel judiciaire. La section centrale a cru qu'elle n'avait pas à s'occuper de ces traitements dans la discussion des budgets, puisque ce personnel et ses traitements sont mis en question par d'autres lois, dont d'autres sections centrales auront à s'occuper. Pour que ces pétitions ne restent pas sans examen, pour rendre hommage au droit de pétition, il faudrait que la chambre en ordonnât le renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi relatif au personnel des cours et tribunaux.
- Ce renvoi est prononcé.
« Art. 34. Frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés dont le domicile de secours est inconnu : fr. 30,000. »
M. Thiéfry. - Depuis quelques années on a beaucoup amélioré les établissements d'insensés ; mais on ne songe pas au village de Gheel, si remarquable sous le rapport des services qu'il rend à l'humanité.
Les habitants ont un soin particulier de leurs pensionnaires, et le travail des champs est des plus favorables à la guérison de ces sortes de maladies.
Je pense qu'il est impossible de rencontrer un concours de circonstances plus avantageux.
J'ai seulement remarqué que les espèces de loges, où doivent nécessairement être renfermés les insensés, sont des obstacles réels à tout traitement : aussi y a-t-absence complète de soins médicaux.
La nature seule opère les guérisons !
L'humanité exige que l'on crée dans ce village, un hôpital avec des jardins spacieux. Il devrait suffire pour 40 à 50 insensés; on n'y recevrait que ceux susceptibles de pouvoir subir avec succès certains traitements; ils y seraient soignés aux frais des communes où les insensés auraient leur domicile de secours.
Je me suis assuré, dans une visite que j'ai faite, que ce projet est réalisable sans de grandes dépenses.
Le conseil général des hospices de Bruxelles vient de faire choix d'un médecin, d'un talent distingué, nais il n'y traitera que les insensés envoyés par cette administration, et il ne pourra les soigner que chez les paysans où ils sont placés.
Il y a dans ce village 1,000 insensés et pas un seul petit coin de bâtiment réservé au traitement d'une maladie pour laquelle ces malheureux y sont envoyés.
Le gouvernement fera acte de bonne administration en aidant, par des subsides, il création d'un hôpital.
Les provinces du Brabant, d'Anvers, de Namur et d'autres localités encore, sont particulièrement intéressées à ce qu'il soit donné suite à mes observations.
J'appellerai encore l'attention de M. le ministre de la justice sur la position financière des hospices.
Obligés par la loi d'accorder des secours aux indigents des communes étrangères, ils ne savent pas récupérer les avances qu'ils font de ce chef.
S'il y a quelques communes dont les ressources sont insuffisantes, la province ou le gouvernement pourrait les aider par des subsides; mais le plus grand nombre ne sont pas dans ce cas.
Des instructions données par M. le ministre engageraient les députations permanentes à porter d'office au budget les dépenses obligatoires.
Il est impossible que les hospices restent dans cette situation ; M. le ministre le comprendra très bien, quand il saura que ceux de Bruxelles sont encore en avance de 286,000 francs pour les années 1837 à 1847.
Je sais que d'autres hospices sont dans le même embarras.
M. Dubus. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appuyer ce que vient de dire l'honorable M. Thiéfry. La création d'un hôpital à Gheel est indispensable.
La commune de Gheel compte au-delà de 9,000 habitants. Sa colonie mérite l'attention du gouvernement. Elle est l'espoir de bien des familles qui ont le malheur d'avoir un de leurs membres atteint de la plus cruelle des maladies. Les guérisons qui s'y opèrent sont nombreuses, car il faut considérer que parmi les aliénés qui s'y t-ruvent, à l'exception peut-être de ceux placés par les hospices, un grand nombre ont déjà été traités ailleurs et déclarés incurables par leurs médecins. Il s'y trouve des aliénés étrangers, anglais, prussiens, français et hollandais.
Cet établissement est seul dans son genre, il n'en existe point d'autres dans le monde. C'est la création la plus belle, la plus philanthropique de l'univers. Elle fait l'admiration des étrangers, des savants, tels que M. Ramon de la Sagra, qui viennent la visiter.
Il est à regretter que cette colonie ne reçoive pas une organisation définitive. Dans les temps anciens cette organisation n'était pas nécessaire à cause du petit nombre d'individus que comptait la colonie ; mais aujourd'hui que le nombre d'aliénés est au-delà de mille et qu'il va toujours croissant, il conviendrait que M. le ministre de la justice s'en occupât le plus tôt possible.
La colonie étant une institution spéciale, elle a besoin d'un règlement tout particulier et qui n'ait aucune analogie avec ceux des autres (page 390) établissements de bienfaisance ou d'aliénés du royaume. L'absence de cette organisation est peut-être en partie la cause des difficultés, voire même des troubles qui à différentes reprises ont eu lieu dans cette commune.
M. Coomans. - Messieurs, je ne veux qu'ajouter un mot à ce que vient de dire l'honorable M. Dubus.
Je m'associe aux éloges que l'honorable M. Thiéfry accorde à la colonie de Gheel. Je crois pouvoir constater que l'expérience qui y a été faite depuis un grand nombre d'années, ne laisse aucun doute sur l'efficacité du traitement qui y a prévalu. Je dois cependant protester contre une allégation que vous venez d'entendre, et qui pourrait, être défavorable à la double population de Gheel. L'honorable M. Thiéfry a dit que les insensés y sont dépourvus des soins nécessaires, convenables; eh bien, messieurs, cela est loin d'être exact.
M. Thiéfry. - Parfaitement exact.
M. Coomans. - Le traitement pourrait être perfectionné, mais je crois dire la vérité en déclarant qu'il y a à Gheel des médecins dont la science et le zèle ne sont pas à dédaigner, et à qui les amis de l'humanité ont des éloges à décerner. J'en ai pour preuve les guérisons nombreuses qu'on a obtenues dans cette localité. Toutefois, je le répète, je suis loin de dire qu'on ne puisse pas améliorer le système de traitement qu'on pratique à Gheel ; le gouvernement pourrait y exercer judiciairement une excellente influence : aujourd'hui la police y est forcément négligée; quels que soient le patriotisme et les connaissances de l'autorité, il y éclate quelquefois des désordres regrettables, quoiqu'ils aient lieu dans un petit cercle.
Le gouvernement aurait d'autant plus raison d'intervenir médicalement, judiciairement et surtout financièrement, que la colonie de Gheel est susceptible de prendre des développements qui seraient aussi utiles à l'humanité qu'aux intérêts matériels de la province d'Anvers. C'est un établissement qui fait honneur à la Belgique et que l'étranger nous envie.
M. Dedecker. - Le gouvernement ayant manifesté l'intention de présenter sous peu à la législature un projet de loi relatif à la réorganisation des établissements d'aliénés, je crois que la chambre fera bien de surseoir à toute discussion, jusqu'à ce qu'elle soit saisie de ce projet.
Je m'associe, moi aussi, aux éloges que l'honorable M. Thiéfry a donnés au traitement tout spécial qui s’applique, dans la commune de Gheel, aux maladies mentales; cependant, messieurs, il ne faudrait pas que ces éloges pussent avoir un caractère exclusif, et il me semble qu'ils ont eu un peu ce caractère, dans le discours que vient de prononcer l'honorable M. Thiéfry.
Il a prétendu que dans les établissements qui existent dans nos grandes villes le traitement des aliénés ne peut pas être convenable, que l'on n'y donne pas tous les soins que leur position réclame et qu'en tout cas on n'y obtient pas les résultats désirables. Eh bien, je dois dire à l'honorable membre qu'il y a dans cette assertion tout au moins beaucoup d'exagération : plusieurs de nos villes renieraient des établissements parfaitement bien organisés. Je ne citerai que les deux établissements de la ville de Gand, qui sont dirigés par un homme éminent dont le nom seul fait autorité dans la science et dont l'intervention est une garantie de succès.
A part cette réserve, que j'ai cru devoir faire, j'approuve les observations de l’honorable M. Thiéfry.
M. Thiéfry. - Je veux seulement dire, messieurs, que les insensés envoyés à Gheel ne sont pas déclarés incurables, car s'ils l'étaient réellement je ne réclamerais pas pour eux un hôpital. Nous en avons de Bruxelles, 380, qui ont seulement été conservés ici pendant quelques jours. Je ne m'étendrai pas sur le défaut de soins médicaux, je pense que cela est inutile et je sais, à cet égard, à quoi m'en tenir. Mais, comme l'a dit l'honorable M. Dedecker, un projet de loi nous sera présenté et nous pourrons alors nous occuper de cette question.
M. Christiaens. - J'appuie la demande qui vient d'être faite par l'honorable M. Thiéfry, d'améliorer par un certain établissement civil la colonie de Gheel, mais je voudrais cependant que la main du gouvernement ne se fît pas trop fortement sentir ; car on ne doit pas ignorer ; que les guérisons qui s'opèrent à Gheel ne sont pas dues exclusivement aux soins hygiéniques; le sentiment religieux y a une très grande part. Je voudrais donc que le gouvernement, en intervenant dans cette partie du service hygiénique des aliénés de Gheel, n'y fît pas exclusion du sentiment religieux, c'est-à-dire n'organisât pas l'hôpital qu'il s'agit d'établir, indépendamment des considérations religieuses, qui y font affluer les aliénés.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, il n'est pas tout à fait exact, comme l'a dit l'honorable M. Thiéfry. que le gouvernement . ne songe pas à la colonie de Gheel ; il s'en occupe très sérieusement dans les limites des pouvoirs qui lui sont attribués par la loi; ainsi le gouvernement alloue, chaque année, à la commune de Gheel, un subside pour venir en aide aux insensés indigents.
Quant aux soins médicaux à donner à ces insensés, c'est là une affaire tout à fait communale qui concerne, non le gouvernement, mais l'administration de la commune et celle du bureau de bienfaisance. Je crois, au surplus, que le service médical de la colonie de Gheel a été suffisant jusqu'ici; je n'ai pas de motifs pour supposer le contraire. Je sais cependant que l'administration des hospices de Bruxelles a envoyé récemment, pour y rester à demeure, un médecin d'un grand talent, et sous ce rapport j'applaudis à la mesure, puisqu'elle contribuera à améliorer l'état sanitaire de cette classe de malheureux.
Au surplus, tant que la loi sur le régime des aliénés dont la chambre avait été saisie et que le gouvernement représentera incessamment ne sera pas votée, le gouvernement ne pourra pas exercer une action efficace sur les établissements de ce genre.
Quant à l'hôpital qu'il s'agit de créer, je crois aussi que ce serait un établissement très utile. Le gouvernement y concourra, sans doute, par un subside, aussitôt que la commune et le bureau de bienfaisance, aidés par la province, auront eux-mêmes arrêté le plan de cet hospice, et pris les mesures nécessaires pour son érection.
L'honorable M. Thiéfry a parlé de la position financière des hospices de Bruxelles, et comme il l'a fort bien dit, ces hospices ne sont pas les seuls qui aient un arriéré considérable à charge de différentes communes, pour frais de mendiants et d'indigents secourus par eux et appartenant à ces communes.
Malheureusement, il existe dans la loi communale une lacune qu'il faudra combler tôt ou tard : c'est que les députations permanentes qui ont le pouvoir de porter d'office aux budgets des communes les dépenses obligatoires, n'ont pas également le pouvoir d'obliger les communes à voter des ressources pour l'acquit de ces dépenses. Or, il y a un assez grand nombre de communes qui se refusent à voter de semblables ressources et pour ne pas s'exposer au désagrément de voir rayer de leur budget des dépenses facultatives, plusieurs d'entre elles se bornent à y porter les dépenses purement obligatoires; en sorte que les députations permanentes sont désarmées vis-à-vis de ces administrations communales.
Je crois, messieurs, qu'il faudra s'occuper d'introduire dans la loi communale une modification analogue à celle qui existe dans l'article 87 de la loi provinciale, lequel autorise le gouvernement à porter aux budgets provinciaux les allocations nécessaires pour le payement des dépenses obligatoires des provinces, en y ajoutant pour sanction que si les fonds provinciaux sont insuffisants, il y sera pourvu par une loi.
M. Ch. de Brouckere. - M. le ministre de la justice vient de dire qu'il faudrait tôt ou tard aviser pour combler la lacune qui se trouve dans la loi communale. Je lui demanderai d'aviser immédiatement. Il y a plusieurs années que M. le ministre de l'intérieur, M. Liedts, a proposé un projet de loi pour combler cette lacune. Malheureusement, le ministre qui est venu après lui a amendé le projet, en a fait une loi politique. C'est parce qu'on a fait de cette loi de finances une loi politique, qu'elle est restée dans les cartons de la chambre. Maintenant il y a urgence ; depuis une série d'années, des communes se refusent à payer aux hospices des villes des arriérés considérables, et entre autres aux hospices de la ville de Bruxelles une somme qui, au mois de décembre 1848, s'élevait à près de 400 mille fr.
Marchons encore quelque temps ainsi et plus d'une année du revenu total des hospices de Bruxelles se trouvera ainsi engagée pour des tiers.
Il y a autre chose, les communes rurales refusent de payer aux dépôts de mendicité l'entretien de leurs pauvres; elles se bornent à dire : Nous n'avons pas d'argent, nous ne pouvons pas payer. Ce sont les villes qui supportent la charge totale, non rue nous payions pour les pauvres des autres communes; mais les payements sont toujours arriérés ; toutes les chose? coûtent plus cher, les villes qui payent régulièrement payent les intérêts et le prix fort pour les communes qui ne payent pas.
Le mal va si loin que si les villes ne payaient pas d'avance on devrait supprimer les dépôts. Nous payons 3 mois d'avance, tandis qu'il y a des communes qui doivent depuis 5 et 6 ans. Je demande que M. le ministre se hâte de prendre des mesures s'il ne veut pas que les dépôts finissent par faire faillite.
M. Christiaens. - Puisqu'on parle de lacunes que présente la loi communale, il me sera permis d'appeler l'attention de la chambre sur une anomalie qui me semble exister dans cette loi, en ce qui concerne les administrations de bienfaisance, c'est-à-dire le personnel de ces administrations. Le personnel des bureaux de bienfaisance a le moyen de se perpétuer en vertu de la loi communale, c'est-à-dire que les conseils communaux qui élisent tous les ans un membre de l'administration des hospices et des bureaux de bienfaisance doivent les élire parmi les candidats présentés.
Or, ce candidat est présenté par l'administration des hospices elle-même, contre lequel l'administration communale a le droit de présenter aussi un candidat. Sous le régime des institutions qui nous régissent, pourquoi ne pas donner à tous les habitants ou aux conseils communaux une présentation de candidats, le droit de nommer les membres de l'administration des hospices? Vous n'auriez pas alors une administration qui se perpétue aux dépens de l'intérêt public. On veut des administrateurs des hospices ayant la gestion de 30 à 60 mille fr. tandis que des conseils communaux n'en ont pas la moitié à gérer.
Cependant les conseils communaux sont élus par le corps électoral entier, et les administrations des hospices peuvent se perpétuer indéfiniment.
- Plusieurs membres. - C'est une erreur!
M. Thiéfry. - Messieurs, la différence que vous avez remarquée entre les chiffres que j'ai eu l'honneur de vous citer et ceux indiqués par l'honorable M. Charles de Brouckere, vient de ce que je n'ai compris que les sommes dues jusqu'en 1847, tandis que M. de Brouckere va jusqu'en 1848.
Ce n'est pas pour cela que j'ai réclamé la parole.
On dit qu'il faut une nouvelle loi pour forcer les communes à payer. Je crois qu'en grande partie les lois existantes suffisent. L'article 147 de la (page 391) loi communale donne aux députations permanentes la faculté de porter d'office aux budgets des communes les dépenses obligatoires.
Cet article dit que cette décision tient lieu de mandat, et le receveur de la commune est tenu, sous sa responsabilité personnelle, de payer la dépense.
- Un membre. - Si la commune a de l'argent.
M. Thiéfry. - Certainement. Mais parmi les communes qui restent débitrices envers l'administration des hospices de Bruxelles, il en est qui certainement peuvent payer.
Est-ce que la ville de Namur ne peut pas payer 1,300 fr. ? Dinant 340 fr.? Tournay 968 fr. ? Leuze 471 fr.? et ainsi de suite.
Je vois dans la Flandre orientale la ville de Renaix, qui est dans le même cas.
Il y a dans le Brabant la commune de Laeken, qui doit 1,900 fr. Cependant il y a dans cette commune assez de familles aisées pour couvrir cette dépense.
Ce qui manque, ce n'est pas l'argent ; mais l'énergie aux députations permanentes pour porter d'office aux budgets des communes les dépenses obligatoires.
M. de Theux. - Un honorable membre a pensé qu'un intérêt politique avait empêché de discuter la loi.
M. Ch. de Brouckere. - Ce n'est pas à vous que j'ai fait allusion.
M. de Theux. - Je le sais; mais qu'il me soit permis de dire quel est l'intérêt politique qui s'est trouvé en jeu dans cette question. C'est que, par suite de l'adoption du projet de loi, la députation permanente ou le gouvernement aurait été dans le cas de faire le budget de la ville de Bruxelles, qui, à cette époque, ne payait pas ses dettes. Le gouvernement, par un arrangement, a fait à la ville de Bruxelles un cadeau de quelques millions, au moyen duquel elle s'est tirée d'affaire.
Quoi qu'il en soit du passé, je n'hésite pas à dire que cette question est l'une des plus délicates que la chambre ait à traiter, parce qu'elle touche directement à l'indépendance des communes.
D'après la législation existante, la députation permanente peut rayer les dépenses facultatives pour donner le moyen d'acquitter les dépenses obligatoires. Mais quand il s'agira de frapper des impôts dans la commune de par l'autorité supérieure, la question changera de face.
Je n'entre pas dans le fond de la question. Je me borne à en signaler l'importance et les difficultés.
M. Toussaint. - Si les communes ne payent pas , ce n'est pas toujours mauvaise volonté. Il y en a qui sont dans l'impossibilité de payer. Je pourrais en citer un très grand nombre qui, non contentes d'avoir épuisé toutes leurs ressources ordinaires et d'avoir doublé leurs impositions locales, ont voté des centimes additionnels sur les contributions foncière, personnelle et des patentes, dans l'intention de payer, et qui ont vainement cherché à emprunter sur ce gage. J'en connais qui se sont adressées au gouvernement pour obtenir que, sur ce gage qui est en sa possession, il leur prêtât la somme nécessaire pour s'acquitter envers leurs créanciers, afin que le service de la charité publique ne soit point interrompu.
J'espère donc que les députés de Bruxelles m'appuieront lorsque je demanderai que le gouvernement aide les communes à sortir d'embarras, en leur prêtant lui-même, moyennant intérêt, à charge de remboursement par les centimes votés et dont il fait lui-même la perception.
M. de Haerne. - Ce n'est pas pour m'occuper de l'objet qu'on vient de traiter que j'ai demandé la parole, mais j'ai un renseignement à demander. Il s'agit d'un hospice à établir dans une commune de l'arrondissement d'Ypres. Il m'est revenu qu'une personne charitable a fait un don très important pour l'érection de cet hospice, un don qui, si je suis bien renseigné, monterait à 80 mesures de bonnes terres. M. le ministre de la justice paraît ne pas avoir accepté ce don, je ne sais par quel motif. Mais je sais que des plaintes très sérieuses et très vives se sont élevées à cet égard, dans l'endroit et dans l'arrondissement.
Je trouve la chose d'autant plus regrettable que l'Etat, les communes et les provinces sont obérées, et qu'elles ont de la peine à trouver les subsides nécessaires pour l'érection d'hospices et d'écoles. Vous savez que, dans l'état de misère des Flandres, ce sont les hospices et les écoles de travail, où l'on entretient les enfants, qui donnent le soulagement le plus considérable à la population. Sans ces institutions, la misère, quelque grande qu'elle soit, serait bien plus grande.
Je regrette donc que M. le ministre de la justice n'ait pas accepté ces offres.
Je le regrette d'autant plus que je crains que cela soit dans le cas de paralyser le zèle qui se manifeste dans les Flandres, et de tarir les sources de la bienfaisance qui a fait, dans les années précédentes, des actes très nombreux de charité, et qui a doté les Flandres en particulier d'un grand nombre d'institutions semblables.
Je désirerais savoir ce qui a guidé le ministre dans cette manière d'agir.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. de Haerne fait, je crois, allusion au don fait par Mme de Montmorency à l'hospice de Vlamertinghe. Je m'empresse de rassurer l'honorable membre, en déclarant que je n'ai pas refusé d'accepter ce don. On ne refuse pas des dons aussi généreux. Mais Mme de Montmorency veut attacher à cette donation des conditions que je considère comme illégales, et qui ne peuvent être acceptées aux termes de la législation existante. J'ai donc demandé à Mme de Montmorency de vouloir modifier à cet égard les conditions de la donation projetée, qui a été soumise à l'approbation du gouvernement.
J'ai même indiqué les moyens à employer, pour respecter autant que possible les intentions de la bienfaitrice, tout en se conformant à ce qu'exigent les lois existantes. J'espère que Mme de Montmorency, ainsi que ses conseils, se rallieront à l'avis que je me suis empressé de leur donner et que cette affaire se terminera promptement.
M. de Theux. - Lorsque je me suis rendu dans cette localité pendant les vacances de la chambre, j'ai entendu parler ne cette donation. Je dois dire que l'espèce de refus de M. le ministre de la justice avait produit une fâcheuse impression, d'autant plus qu'il s'agit d'une commune très populeuse, et que la donation contient un ancien château, qui n'est plus habité par les propriétaires, mais qui convient parfaitement à la destination charitable à laquelle la dame de Montmorency voulait l’affecter.
Le conseil de cette dame avait puisé le modèle d'acte de donation dans les rétroactes ; il y en avait entre autres un dans une donation, faite par un ancien sénateur, M. de Coninck, lorsque l'honorable M. Lebeau était ministre de la justice et avait les établissements de bienfaisance dans ses attributions. On a copié textuellement un acte de donation et on a été singulièrement étonné qu'aujourd'hui le gouvernement crût illégal ce que l'honorable M. Lebeau avait trouvé légal, à la grande satisfaction, je dois le dire, de la commune de Wytschaete qui avait aussi besoin de cette donation.
Cependant, messieurs, je ne crois pas que la législation soit devenue proscriptive, depuis 1833, d'actes de donation de cette espèce; je crois qu'au contraire l’article 84 de la loi communale a donné au gouvernement beaucoup de latitude, s'il en avait besoin. Cet article autorise formellement le gouvernement à admettre des administrateurs spéciaux pour certaines fondations. Je sais qu'il appartient au gouvernement d'apprécier l'opportunité de l'approbation de ces sortes d'actes. Je ne conteste pas sa prérogative. Mais chacun conviendra qu'il est nécessaire d'interpréter avec bienveillance et largeur une disposition qui est aussi favorable aux infortunes. Dans tous les cas, s'il manquait quelque chose à la législation, si M. le ministre avait besoin d'éclairer ses doutes, il y aurait un moyen très simple ; ce serait de saisir la chambre d'un projet à cet égard qui mît fin aux difficultés qui ont surgi non seulement dans cette circonstance, mais aussi dans plusieurs autres circonstances, soit que M. le ministre veuille proposer un projet de principe, soit qu'il veuille soumettre à la sanction de la chambre des projets spéciaux.
J'attire sur ce point l'attention sérieuse du gouvernement. Car je ne crains pas de dire que ce qui fait l'impression la plus douloureuse dans le pays, c'est lorsqu'on apprend que des actes de bienfaisance ont été arrêtés de par l'autorité supérieure, qui est considérée comme le protecteur de toutes les infortunes.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, si les autorités avec lesquelles j'ai dû correspondre à ce sujet, avaient fait connaître aux personnes qui se sont occupées de cette affaire, les véritables motifs pour lesquels le gouvernement ne pouvait momentanément accorder l'autorisation demandée, je crois que l'impression douloureuse dont vient de parler l'honorable comte de Theux, n'aurait pas existé. Car ces motifs sont très simples ; ils sont fondés sur des dispositions précises de la loi.
L'honorable M. de Theux dit qu'on a puisé dans les rétroactes le projet d'acte qui a été adopté pour cette donation, et il cite un acte de libéralité analogue, qui aurait été fait sous le ministère de l'honorable M. Lebeau. Je ne connais pas cet acte. Mais si l'on puisait dans les rétroactes de l'administration, on en trouverait beaucoup d'autres qu'on ne pourrait plus admettre, et que pour mon compte je ne voudrais pas admettre aujourd'hui. Beaucoup de libéralités de cette espèce ont été acceptées avec des conditions et des stipulations que je considère comme réprouvées par nos lois. Ces faits ont été posés par négligence ou par inadvertance, à des époques où ces questions étaient moins bien comprises, moins étudiées qu'elles ne l'ont été depuis.
Je n’ai pas présent à la mémoire les faits spéciaux concernant la donation faite au profit de l'hospice de Vlamertinghe. Mais, si je me rappelle bien, Mme de Montmorency prétend, en faisant cette donation, constituer une administration spéciale, et réserver à ses héritiers ou à d'autres personnes qu'elle désigne, curés ou bourgmestres, je ne puis rien préciser, le droit de nommer à toujours les administrateurs de cette fondation.
Je pense, messieurs, que la législation actuelle ne permet pas de souscrire à de semblables conditions.
L'honorable M. de Theux cite l'article 84 de la loi communale. Mais en citant cet article, il soulève de nouveau cette question qui a occupé la chambre, l’année dernière, pendant trois ou quatre séances.
Nous avons soutenu à cette époque, et ni mes convictions ni celles du gouvernement n'out changé depuis, que cet article ne s'applique qu'aux fondations préexistantes, qu'il n'a pas statué pour l'avenir, et qu'il n'a pas autorisé le gouvernement à admettre de nouvelles fondations, à leur accorder la personnification civile et à leur reconnaître une existence (page 392) indépendante du contrôle et de la surveillance du gouvernement et des administrations instituées par la loi pour la gestion des affaires qui se rattachent à la bienfaisance publique.
Je ne crois pas qu'il soit dans l'intention de la chambre d'engager un nouveau débat sur cette question. La jurisprudence qui, à cette époque, avait été adoptée par le gouvernement, a été maintenu depuis. Nous ne pourrions en dévier sans manquer à nos convictions qui sont restées les mêmes.
Quoi qu'il en soit et pour en revenir à l'affaire spéciale dont a parlé l'honorable M. de Haerne, j'ai l'espoir que les difficultés qui se sont élevées pourront bientôt s'aplanir, et que la libéralité très importante, je le reconnais, faite à l'hospice de Vlamertinghe, pourra être incessamment acceptée dans la forme légale.
M. de Theux. - Messieurs, l'interprétation que j'ai donnée à l'article 84 de la loi communale est celle qu'il a reçue dès le principe de la promulgation de cette loi; et, comme j'ai pris part à la discussion, je me rappelle très bien quels étaient le sens et l'esprit qu'on a attachés à cette disposition.
Elle n'avait, d'ailleurs, rien de nouveau. La même disposition existait dans les règlements des administrations centrales faits par le roi Guillaume, et je puis dire qu'on en a fait l'application. Il existe des fondations de cette nature où des administrateurs spéciaux ont été constitués et que le gouvernement a ratifiées.
Sans doute, le législateur n'aurait pas admis pour le passé une forme d'administration publique qu'il n'aurait pas voulue pour l'avenir. L'administration publique est une. Ce qu'on admet pour le passé, on le maintient pour l'avenir. Pour moi, je ne fais aucun doute sur le sens de l'article 84.
Dans tous les cas, j'engage fortement le gouvernement à revoir cette question et à examiner s'il ne serait pas utile, dans le but d'encourager les donations, et de venir en aide à des populations souffrantes, d'admettre quelques exceptions au principe, à mon avis, trop rigoureux qu'il professe à cet égard. Le gouvernement serait toujours maître d'accorder ou de refuser sa sanction, selon qu'il le jugerait à propos.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 36. Frais de la commission instituée dans le but de rechercher les moyens propres à améliorer le sort des classes pauvres, et indemnité de son secrétaire : fr. 2,000. »
La section centrale propose le rejet de cet article.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je demanderai que cet article soit maintenu pour la somme de 1,000 francs, ainsi que la section centrale y a, en quelque sorte, consenti dans son rapport.
Il ne s'agit pas de pourvoir au traitement du secrétaire de cette commission, qui est un employé du ministère de la justice et qui, par conséquent, remplit ces fonctions gratuitement. Mais cette commission est composée de membres assez nombreux. Plusieurs sont étrangers, et lorsque le gouvernement est dans le cas de requérir leurs conseils, il doit naturellement leur offrir des indemnités pour frais de voyage. C'est dans ce but que je demande que l'article soit maintenu jusqu'à concurrence seulement du chiffre de 1,000 fr.
M. Orts, rapporteur. - M. le ministre s'est mépris, messieurs, sur la portée du rapport de la section centrale. La section centrale n'a pas consenti le moins du monde à modifier sa première décision, et son rapport en fait foi ; vous lirez en effet à la page 22 que « la section centrale persiste, malgré les observations du ministre, dans sa demande de suppression du chiffre. »
La section fait cependant observer que si la chambre ne partageait pas son avis, il y aurait lieu, dans tous les cas, à opérer une diminution de 1,000 fr. Ce qui a déterminé, messieurs, la section centrale à proposer la suppression totale du chiffre, c'est que l'utilité de la commission ne lui a pas paru démontrée dans les circonstances actuelles. Sans contester les services que la commission a pu rendre, elle croit que dès l'instant où la commission n'est plus saisie d'aucun travail, comme le gouvernement l'avoue, il est inutile de porter au budget la somme destinée à rétribuer une partie de ce travail.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, cette commission a rendu des services importants. Elle a été appelée à donner son avis sur des questions excessivement graves ; la chambre connaît le résultat de ses travaux ,car je crois que le recueil spécial qui en a été fait a été distribué à chacun de ses membres. Dans le moment actuel la commission n'est pas, il est vrai, très occupée. Une seule question, celle qui concerne l'organisation des hospices de maternité, lui est soumise, mais d'autres questions concernant le paupérisme et la bienfaisance publique peuvent être, à chaque instant, soulevées et le gouvernement peut avoir besoin d'invoquer les lumières de cette commission. Il importe donc qu'elle soit maintenue, et que le gouvernement ait le moyen de subvenir aux indemnités de voyage des membres étrangers qui en font partie. J'insiste, en conséquence, pour que la chambre veuille bien voter la somme de mille francs.
- Le chiffre de 1,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 37. Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et des provinces : fr. 145,000. »
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, le gouvernement accorde pour les enfants trouvés un subside de 145,000 francs, je ne viens pas, dans les circonstances actuelles, demander l'augmentation de ce chiffre, parce que je craindrais de ne pas avoir d'écho dans la chambre. Mais je dois faire observer à l'assemblée que, dans la situation actuelle des choses, ce chiffre est insuffisant pour compenser les sacrifices que l'on impose à quelques villes et qu'elles ne devraient pas supporter. Chaque commune répond nécessairement des pauvres qui y ont leur domicile de secours, mais il est impossible de découvrir le domicile de secours d'un enfant trouvé. Si la législation primitive était en vigueur, si dans chaque arrondissement du royaume il y avait un hospice d'enfants trouvés et un tour, les charges seraient partagées d'une manière plus ou moins égale entre toutes les parties du royaume; mais plusieurs grandes villes ont supprimé leurs tours, d'autres les ont conservés, et celles-ci reçoivent les enfants de toutes les localités où les tours ont été supprimés.
Mon opinion personnelle est pour la suppression absolue des tours. Je ne veux pas aujourd'hui traiter ce sujet, mais je demanderai que le gouvernement, au moins, examine la question, qu'il y ait une législation qui domine les règlements des communes et que l'on agisse uniformément pour toutes les localités. Le gouvernement nous donne un subside pour les enfants qui pourraient appartenir à d'autres communes, la province donne aux villes où il y a des tours, des hospices, aussi un subside; elle intervient pour moitié parce que des enfants des communes voisines de la province sont déposés dans ces tours ; mais ces subsides ne sont donnés que jusqu'à ce que l'enfant ait atteint l'âge de 12 ans; et en vertu de la nouvelle loi sur le domicile de secours, nous l'avons à notre charge jusqu'à vingt-neuf ans.
Autrefois c'était 25 ans, aujourd'hui c'est 29. Jusqu'à 29 ans l'enfant conserve son domicile de secours là où il est présumé avoir son lieu de naissance et l'enfant trouvé est présumé avoir son lieu de naissance là où il a été trouvé. Je fais observer que ce subside ne compense pas à beaucoup près les charges des communes qui ont des hospices d'enfants trouvés, et je demande que le gouvernement examine sérieusement cette question et qu'il avise. De deux choses l'une : il faut qu'on oblige les communes à obéir à la prescription de la loi, il faut qu'il y ait un tour dans chaque arrondissement, ou bien il faut affranchir toutes les communes de la nécessité d'avoir des tours et aviser d'une autre manière au recueillement des enfants trouvés et surtout s'occuper de leur avenir. Il y a énormément à faire pour diminuer le nombre d'enfants abandonnés et améliorer leur sort.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, les inconvénients signalés par l'honorable M. de Brouckere sont en grande partie très réels ; je ne crois pas cependant qu'il soit absolument vrai de dire que les communes qui ont des tours reçoivent les enfants des communes ou des provinces qui n'en ont pas. Jusqu'à un certain point, cela peut être vrai ; mais je crois qu'en général, dans les provinces où il n'y a pas de tours, les mères conservent, élèvent leurs enfants, ce qui vaut beaucoup mieux. Il n'y a plus, messieurs, que 5 tours en Belgique : c'est, je crois, à Bruxelles, à Louvain, à Gand, à Mons et à Anvers, car celui de Namur a été supprimé. Eh bien, messieurs, l'on remarque que la charge de l'entretien des enfants trouvés pèse presque exclusivement sur les provinces qui ont conservé des tours. L'honorable M. de Brouckere n'est point partisan des tours, et je ne le suis pas plus que lui; je crois que la suppression des tours pourrait être prononcée sans qu'il en résultât d'inconvénient.
Déjà, messieurs, les statistiques nous prouvent que là où les tours ont été supprimés, il n'y a pas plus d'infanticides que dans les provinces où ils ont été maintenus. C'est même une chose assez difficile à expliquer peut-être, mais les faits et les chiffres sont là pour le prouver, qu'il y a moins d'infanticides encore dans les provinces où les tours ont été supprimés.
Maintenant faut-il une loi, messieurs, pour supprimer les tours? Je ne le crois pas. Plusieurs villes ont supprimé leurs tours sans y avoir été autorisées par une loi ; celles qui en conservent encore pourraient aussi les supprimer successivement. Je conviens cependant qu'une transition trop brusque pourrait présenter des inconvénients, mais je crois que l'on pourrait le faire graduellement et que nous arriverons un jour à cet état, que je considère comme normal, où cette institution aura complètement cessé d'exister.
Quoi qu'il en soit, je dois dire, messieurs, que je n'émets ici qu'une opinion personnelle; la question n'a pas encore fait l'objet des délibérations du gouvernement; il l'examinera, et s'il y a quelque mesure législative à prendre, il s'empressera de la proposer.
- Le chiffre de 145,000 francs est mis aux voix et adopté.
« Art. 38. Subsides pour le patronage des condamnés libérés : fr. 50,000. »
- Adopté.
M. de Theux. - Messieurs, le rapport de la section centrale nous fait connaître que les prisons renferment une population de 9,000 individus. J'ai examiné les tableaux qui sont déposés sur le bureau de la chambre; j'ai pris aussi des renseignements particuliers. J'ai été très étonné de voir que la population militaire des prisons comprend 1,500 individus, alors que la population civile des prisons n'est que de 7,600.
Savez-vous, messieurs, quelle est la différence de proportion entre ces deux populations? Quant à la population civile, la proportion est de (page 393) 2 par 1,000; quant à la population militaire, elle est de 15 par 1,000. La prison militaire d'Alost seule renferme 953 individus.
On se demande comment il est possible qu'alors que la population civile ne fournît que 2 hommes par 1,000 à la prison, la population de l'armée lui fournit 15 par 1,000.
Il y a là quelque chose d'exorbitant qui mérite l'attention la plus sérieuse du gouvernement et de la législature.
Parmi la population civile qui malheureusement garnit déjà nos prisons en trop grande quantité, beaucoup y sont conduits par la misère qui les a entraînés à commettre des délits. Mais cette cause ne peut être alléguée pour l'armée. Là le soldat est physiquement bien traité. Comment donc se fait-il que l'armée fournisse un contingent si considérable aux prisons?
Il y a quelques années que le prédécesseur de M. le ministre de la justice actuel, conjointement avec le ministre de la guerre, a présenté un projet de loi de réforme de la législation pénale militaire. Ce projet avait pour but de détourner le militaire de commettre certains délits qui le font condamner à la prison et à la déchéance militaire. Des militaires préféraient une détention momentanée à la continuité du service militaire.
Ce fait est sans doute regrettable. Mais il importe encore d'examiner la cause de cette aversion qu'un certain nombre de militaires montrent pour le service des armes. Assurément le Belge n'a pas d'antipathie pour le service militaire; à toutes les époques de son histoire, il a fait preuve de bravoure, et ce sentiment, il le pousse quelquefois si loin qu'il déserte son pays pour aller combattre à l'étranger. On ne peut donc pas dire qu'il y ait une répugnance invincible dans la nation pour le service militaire.
Quant à ce dégoût qu'un certain nombre de militaires éprouvent pour le service, il faudrait rechercher les causes qui le provoquent. ; J'aime à croire que le soldat n'est pas assez maltraité pour qu'il soit par cela même amené à prendre le service militaire en dégoût. Mais je suis porté à croire que si des récompenses étaient accordées, soit aux sous-officiers, soit aux officiers qui ont le plus contribué à soutenir le moral du militaire, et qui par là l'ont empêché de tomber dans ces délits entraînant la peine de la prison, nous ne verrions pas des condamnations si fréquentes. Ceci mérite l'attention la plus sérieuse du gouvernement. Je regrette que M. le ministre de la guerre ne soit pas présent, mais j'espère qu'à l'occasion de son budget, il sera à même de traiter plus spécialement cette question.
Indépendamment des récompenses dont je viens de parler, je voudrais que la législation militaire pénale fût révisée, de manière que ces peines de prison ne fussent plus aussi nombreuses qu'elles le sont aujourd'hui. Car si la prison est fâcheuse pour tous les citoyens, si elle est une cause de démoralisation, en même temps qu'une chose fâcheuse pour les familles, c'est surtout dans l'armée que cette peine produit la sensation la plus pénible.
Rien ne mérite plus l'attention du gouvernement que la révision de la législation pénale militaire, ainsi que les encouragements dont j'ai indiqué l'objet et le but. J'espère que le gouvernement ne tardera pas à saisir la chambre d'un nouveau projet de loi, puisque le projet primitif est venu à tomber par suite de la dissolution des chambres.
M. Orts, rapporteur. - Messieurs, je ne veux pas laisser la chambre sous l'impression d'un sentiment pénible, concernant la moralité de notre armée. La Belgique a le droit d'être fière de son armée au point de vue de la discipline et du courage, comme au point de vue de la moralité, quoique les chiffres qui viennent d'être cités dans le débat puissent rendre mon observation quelque peu suspecte. Mais je vais expliquer tout de suite à l'honorable M. de Theux comment il est très possible que les proportions données par lui soient vraies, sans que pour cela il y ail là quelque chose de bien effrayant, ni moins encore de déshonorant pour notre armée.
Le chiffre des détenus civils appartenant à d'autres professions que la profession militaire, a été comparé à la population générale du royaume, et c'est par ce moyen qu'on est arrivé à lui trouver une infériorité relative dont je vais donner l'explication.
Le chiffre proportionnel de la population militaire comparée avec le chiffre des détenus militaires, est tout différent du premier pour une excellente raison. C'est que le chiffre des détenus militaires a dû être comparé avec le chiffre de l'armée, qui ne se compose pas, comme la population générale, d'une moitié d'individus qui ne sont pas en position par leur âge, par leur sexe ou par leur condition sociale, de commettre des délits qu'on punit de la prison. Dans l'armée, au contraire, vous avez tout d'abord un chiffre de population pris uniquement parmi des hommes, et parmi les hommes de l'âge où la criminalité est le plus développée ; par conséquent, le point de comparaison pris par mon honorable collègue M.dle Theux, qui l'a conduit à constater un résultat si effrayant, est un point de comparaison injuste, faux, qu'en bonne statistique on ne peut admettre. Pour être équitable, il faut comparer les délinquants militaires de notre armée, aux délinquants d'autres armées ; ou, tout au moins, au chiffre moyen des délinquants mâles civils, de 18 à 30 ans.
D'un autre côté, les faits qui amènent des détenus dans les prisons militaires n'ont pas ce caractère d'immoralité absolue que présentent les faits qui amènent les individus dans les prisons civiles. Ou va dans les prisons militaires pour infractions aux lois spéciales de la discipline.
Je comprends que ces infractions ne doivent pas être tolérées, mais elles entachent moins la moralité que les infractions aux lois pénales civiles.
Je m'associe d'ailleurs au vœu émis par l'honorable membre auquel j'ai cru devoir répondre. Je pense qu'un code pénal militaire moins prodigue de prison serait utile pour l'armée et pour le pays. Mais, le nombre des condamnés militaires a été attribué à d'autres causes encore que je prie le gouvernement de ne pas perdre de vue. Je signalerai l'extrême bon marché des boissons fortes, du genièvre entre autres, comme une cause qui a déjà été indiquée souvent par les ministres de la guerre dans cette enceinte chaque fois que des efforts ont été faits pour diminuer les taxes perçues sur cette base d'impôt. Cette considération doit encore attirer l'attention du gouvernement. Mes observations sortent quelque peu, je le sens, de mon rôle de rapporteur, mais je n'ai pris la parole que parce que je ne voulais pas laisser la chambre sous l'impression d'un sentiment pénible et injuste à l'égard de l'armée belge, exprimé en l'absence de M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je m'associe aux observations que vient de présenter l'honorable rapporteur de la section centrale. Une remarque essentielle à faire, c'est que le nombre des militaires condamnés pour délits militaires est infiniment plus considérable que celui des militaires condamnés pour délits communs; la proportion est de 13 à 14 p. c. au plus. Si donc l'on n'a égard qu'aux délits communs commis par des militaires, l'on voit disparaître cette différence si choquante au premier abord entre les condamnés militaires et les condamnés civils. Les condamnations des militaires ont lieu pour la majeure partie pour des infractions plus ou moins graves à la discipline et pour des délits spéciaux contre lesquels le code pénal militaire commine des peines assez sévères.
Le fait signalé par l'honorable M. de Theux n'en est pas moins très regrettable; il constate des vices dans notre législation militaire. Le gouvernement s'occupe de cet objet. La chambre avait été saisie non d'un projet complet, mais d'un projet spécial en 20 ou 30 articles, ayant pour objet de remédier à ce que cette législation a de plus défectueux. Ce projet a été récemment soumis à un nouvel examen, diverses modifications ont été introduites, il est maintenant préparé et aussitôt que la chambre pourra s'en occuper ce sera un des premiers qui lui seront présentés.
M. de Theux. - Inutile de dire qu'il n'a en aucune façon été dans mon intention de jeter de la défaveur sur notre armée, c'est l'intérêt que je lui porte qui m'a conduit à présenter mes observations.
J'admets volontiers les considérations présentées pour diminuer les conséquences qui résultent des chiffres que j'ai signalés. Il n'en est pas moins vrai de dire que ce chiffre est effrayant, exorbitant. Si dans l'armée il y a beaucoup de délits purement militaires qui tiennent aux infractions aux règlements, il faut tenir compte aussi de cette circonstance que le militaire est constamment sous la surveillance de l'autorité, que toute l'action de ses chefs tend à le maintenir dans la voie de l'ordre. La se trouve un contrepoids qui n'existe pas pour la population civile. Du reste, il me suffit de savoir que l'attention du gouvernement s'est portée sur cette partie de notre législation pour que je me tienne satisfait.
« Art. 39. Frais d'entretien, d'habillement, de couchage et de nourriture des détenus.
« Charges ordinaires : fr. 1,100,000.
« Charges extraordinaires : fr. 500,000.
M. Dumortier. - Messieurs, je suis frappé du chiffre élevé que nous coûtent les prisons. Si l'on examine les budgets, il est facile de voir que la somme s'élève à près de 4 millions. Si vous divisez cette somme par le nombre des détenus, vous arrivez à ce résultat, que les prisonniers coûtent chez nous un franc par jour. Or dans les hospices pour l'entretien des individus qu'on y reçoit on est loin d'arriver à ce chiffre; généralement il est de 50 centimes. Je connais même des localités où il est de 36 et 25 centimes; dans les Flandres cela descend jusqu'à 17 centimes.
M. de Brouckere. - Et la matière première !
M. Dumortier. - En déduisant la matière première vous avez toujours un franc par jour pour les prisonniers. Le gouvernement devrait examiner cette question, voir si les prisonniers ne sont pas beaucoup mieux traités que les pauvres. La vérité est qu'ils sont beaucoup mieux traités que les pauvres des Flandres.
- Plusieurs voix. - C'est vrai !
M. Dumortier. - J'entends dire : C'est vrai ! A quoi sert d'être condamné à des pénalités si en définitive le condamné est mieux traité que le pauvre ouvrier qui n'a qu'un seul et unique défaut, de n'avoir pas de travail, de ne pouvoir gagner sa vie ?
Il y a là un véritable abus. Si l'Etat a des charités à faire, des sommes dépenser, qu'il les donne aux ouvriers des Flandres. Mais mettre celui qui a commis des délits ou des crimes dans une situation meilleure que celle des pauvres, cela n'est pas tolérable.
J’aime beaucoup les philanthropes. Mais il me semble que la philanthropie bien entendue doit s'adresser d'abord à ceux qui n'ont commis ni crimes ni délits.
Si l’on continue de la sorte, on arrivera à ce résultat que bien des malheureux s'appliqueront à commettre un petit délit pour avoir une position meilleure.
- De toutes parts. - C'est ce qui arrive tous les jours !
M. Dumortier. - Je le sais ; mais je tenais à provoquer ce cri unanime de la chambre : C'est ce qui arrive tous les jours ! Eh bien, c'est (page 394) un véritable abus auquel il faut savoir porter remède. Il n'est pas juste encore une fois que le détenu pour un crime ou un délit soit dans une position meilleure que le malheureux.
J'appelle sur cette question toute l'attention du gouvernement.
M. Lebeau. - La comparaison par laquelle l'honorable M. Dumortier a terminé ses observations ne prouve rien, parce qu'elle prouverait trop.
Il est évident que vous ne pouvez établir de parallèle entre l'homme que vous laissez en liberté et l'homme à qui vous avez ravi sa liberté, quoique légitimement. Il est bien clair que quand vous ôtez à un homme sa liberté, vous contractez par cela même l'obligation de le nourrir. Ainsi le fait que vient d'alléguer l'honorable M. Dumortier, qu'un homme commet parfois un délit, pour se faire nourrir en prison ne prouverait rien. Il faut donner à l'homme à qui vous ôtez la liberté, en fait de nourriture, le strict nécessaire. Toute la question est là. Ce qui est au-delà du strict nécessaire me paraît non seulement une hérésie financière, mais une hérésie en fait d'expiation, en fait de législation pénale.
Sur ce point, on peut, à bon droit, appeler l'attention du gouvernement, et je me joins volontiers, en ce sens, à l'honorable M. Dumortier.
Puisqu'on a soulevé une discussion sur l'article dont nous nous occupons, je soumettrai au gouvernement une observation sur laquelle j'appelle son attention la plus sérieuse.
Je crois que la liberté individuelle réclame depuis longtemps une amélioration importante dans notre législation : c'est celle qui rendrait beaucoup plus rares les détentions préventives obligatoires.
Sous ce rapport, nos institutions pénales sont en complète désharmonie, non seulement avec les institutions politiques belges, mais avec les institutions politiques de tous les pays où il y a des gouvernements libres. Je citerai notamment l'Amérique du Nord et l'Angleterre.
Je ne fais aucun reproche au gouvernement. Je devrais d'ailleurs en accepter ma part; je pense que c'est le temps qui a manqué, plutôt que le bon vouloir, tant au gouvernement qu'aux chambres. Mais puisqu'on a fait des observations sur le chiffre de la dépense des prisons, qui, je le reconnais, est très élevé et suit une progression constante, je crois pouvoir appeler l'attention du gouvernement sur un moyen d'atténuer cette charge, tout en faisant à la liberté individuelle une réparation qu'elle est en droit d'exiger depuis longtemps,
M. de Haerne. - Je m'associe à ce que vient de dire l'honorable préopinant, en ce qui concerne les réformes à introduire quant aux arrestations préventives. Je connais des faits qui se sont passés dans la localité à laquelle j'appartiens. Je connais des pères de famille qui sont en prison depuis plus d'une année, par arrestation préventive.
Pour ce qui regarde les frais des prisonniers, je crois aussi, comme les honorables préopinants que ces frais sont exorbitants, et que le gouvernement doit faire ses efforts pour les diminuer autant que possible.
L'honorable M. Dumortier a appelé votre attention sur ce point important ; il vous a cité des faits qui sont frappants ; il vous a dit que, par suite de la bonne nourriture qu'on donne aux prisonniers, la tentation vient à certaines personnes de commettre un délit pour se faire emprisonner. Ce fait se présente souvent, notamment dans les Flandres, où la misère est à son comble.
Il ne faut pas sans doute du luxe dans la nourriture des prisonniers. Mais il y a une question d'humanité. On ne doit pas perdre de vue que les prisonniers doivent être nourris d'après les lois de l'humanité. On ne peut sortir de là.
Je crois que les faits regrettables et malheureusement réels, dont a parlé l'honorable M. Dumortier, continueront à se présenter, dans les localités les plus pauvres, aussi longtemps que la cause principale existera. Or la cause principale, selon moi et selon ceux qui sont au courant de ce qui se passe, n’est pas la nourriture plus ou moins abondante, plus ou moins bonne, qu'on donne aux prisonniers, mais l'extrême misère de certaines populations.
Voulez-vous porter remède à ce grand mal qui sévit dans certaines parties du pays et principalement dans les Flandres, donnez du travail aux ouvriers; c'est le seul remède. J'engage donc le gouvernement à procurer par tous les moyens du travail aux populations qui en manquent. J'applaudis à ses efforts; niais je l'engage à persister autant que possible dans cette voie.
Nous aurons l'occasion de revenir sur cette immense misère dans la discussion du budget de l'intérieur. Mais je ne pouvais m'empêcher d'appeler l'attention de la chambre et du gouvernement sur ce point important.
M. de Luesemans. - Au point où eu est venue la discussion, mon intention n'est pas de la prolonger. Je ne dirai que quelques mots des observations qui viennent d'être présentées. il résulte pour moi un fait acquis, c'est que tout le monde est convaincu d'une chose, à savoir que les détentions préventives devraient être considérablement diminuées. Je pense que, de ce point, il y a unanimité dans la chambre. Mais il paraît que les honorables préopinants pensent que cette diminution du nombre des détentions préventives doit uniquement résulter de la réforme des lois pénales et du Code d'instruction criminelle.
Quant à moi, je pense que, pour une grande partie, les détentions préventives pourraient diminuer au moyen d'une simple circulaire ministérielle, au moyen d'instructions adressées aux parquets et aux juges d'instruction, qui ont un pouvoir en quelque sorte discrétionnaire pour convertir le mandat de comparution en un mandat de dépôt.
Ce serait là un grand pas fait dons les améliorations projetées. Le moment est bien choisi, puisque le vœu en a été si unanimement manifesté, l'adhésion de la chambre aura donné aux fonctionnaires dont j’ai parlé la mesure de leur conduite.
Je voudrais que dans l'avenir aucune arrestation préventive n'eût lieu en matière correctionnelle, que l'on se montrât très large pour accorder la même liberté sous caution, qui aujourd'hui est entourée de formalités trop difficiles et trop lentes surtout.
Je sais qu'en raison du grand nombre de projets de loi dont nous sommes saisis, il y a pour ainsi dire impossibilité de s'occuper d'un projet de loi spécial dans ce but; mais par le moyen que j'indique on obtiendrait déjà une grande amélioration. Ce moyen ne s'opposerait pas à ce que l'on s'occupât immédiatement d'un projet de loi relatif à l'ensemble des réformes.
M. Van Hoorebeke. - Messieurs, je viens présenter quelques observations à l'appui de celles qui ont été soumises à la chambre par l'honorable M. Lebeau.
Je crois aussi que la première réforme, la réforme la plus urgente à accomplir, est celle de notre code d'instruction criminelle. Dans tous les pays civilisés, la loi de procédure est le complément indispensable des libertés publiques. En Angleterre, aux Etats-Unis la loi de procédure a la même importance que les lois politiques ; et lorsqu'il s'agit de la liberté civile des citoyens, cette loi de procédure forme une véritable charte à laquelle on n'a pas songé à toucher depuis des siècles.
Je ne veux pas me borner ici à une critique de nos institutions. Je crois que nous n'avons sous ce rapport, sous le rapport de la législation criminelle; rien à envier à nos voisins. Ainsi il est évident, pour signaler quelques faits, qu'en Angleterre la qualification des faits, la quotité des peines sont souvent abandonnées à l'arbitraire du juge au lieu d'être réglées par la loi. Le droit d'arrestation est abandonné à une foule d'agents subalternes, et même à de simples particuliers qui, sous la probabilité de ce qu'on appelle de graves soupçons, peuvent priver un citoyen de sa liberté. En Angleterre, le pouvoir exécutif pourrait usurper sur le pouvoir judiciaire ; il aurait le droit de délivrer des ordres d'arrestation et, dans ce cas, ces ordres d'arrestation ne sont autre chose que de véritables lettres de cachet.
Le gouvernement, depuis quelque temps et à en juger par les projets dont il nous a saisis, paraît vouloir entrer résolument dans la voie des réformes. Je ne veux pas juger les projets qu'il nous a soumis ; le moment n'en est pas venu, mais je crois que le gouvernement ne va pas assez loin.
Il y a un an qu'une commission a été instituée pour réviser les bases du Code d'instruction criminelle. Jusqu'ici cette commission n'a pas donné signe de vie.
Pour ma part je voudrais qu'on remît aux mains du juge instructeur les pouvoirs nécessaires pour assurer plus efficacement la répression des crimes, car plus de la moitié des crimes restent impunis en Belgique. Mais autant je voudrais voir affermir entre les mains de ce magistrat les pouvoirs nécessaires pour assurer à cette répression toute son efficacité, autant je voudrais voir disparaître de notre Code d'instruction criminelle des dispositions qui sont en désaccord complet avec nos institutions constitutionnelles.
On a parlé des détentions préventives. C'est précisément sur ce point que la réforme devrait porter. Voici ce qui arrive aujourd'hui.
Le juge d'instruction est obligé, en vertu d'un article du code d'instruction criminelle, de rendre compte au moins une fois par semaine des affaires dont l'instruction lui est dévolue. Mais cette disposition est purement réglementaire. Elle ne rassure par les prévenus contre les anxiétés d'une détention préventive qui se prolonge quelquefois pendant un an. Et puis, elle n'oblige pas le juge d'instruction à faire son rapport dans un délai déterminé.
En Angleterre, ces détections préventives ne sauraient jamais être de longue durée, parce qu'il y a des dispositions formelles qui considèrent comme un attentat à la liberté individuelle toute captivité inutilement prolongée.
Dans le système de notre Code d'instruction criminelle, ces détentions préventives sont d'autant plus cruelles, que le juge se trouve maintenu dans les entraves d'une loi inexorable. Ainsi lorsqu'il n'existe que des indices légers à l'égard de l'accusé, le juge n'est pas autorisé à ne pas décerner un mandat d'amener, et lorsque ce mandat d'amener est converti en mandat de dépôt, c'est bien différent.
Alors non seulement le juge d'instruction d'accord même avec le représentant légal de la société, avec le procurer du roi, ne pourrait ordonner la mainlevée de ce mandat de dépôt quand les doutes qui l'ont fait décerner se sont dissipés; mais bien plus, la chambre du conseil elle-même ne peut révoquer ce mandat qu'en statuant sur le fond de l'affaire et en rendant une ordonnance de non-lieu.
Une autre cause de ces détentions préventives, c'est que, hors le cas de flagrant délit, le juge d'instruction ne peut faire un pas, faire un acte de poursuite et d'instruction, sans donner communication de la procédure au procureur du loi.
Autre anomalie: c'est que dans les cas très rares où la liberté provisoire peut être accordée sous caution, cette liberté est une faveur ; elle ne constitue jamais un droit comme en Angleterre, où ce n'est que dans des cas très rares, comme le cas de trahison et de meurtre, que l'on est autorisé à ne pas accorder la liberté sous caution.
(page 395) En cas d'arrestation arbitraire, quelle garantie le code pénal présente-t-il? Une garantie insuffisante, une sanction pénale dérisoire. Le fonctionnaire en effet coupable de l'arrestation arbitraire en sera quitte pour ne plus appartenir au corps dont il faisait partie.
Les dispositions qui se rapportent aux visites domiciliaires sont aussi en désaccord formel avec les institutions constitutionnelles que la Belgique s'est données.
Je crois pouvoir me borner à ces observations qui, me paraît-il, sont dignes de l'attention de la chambre.
M. Toussaint. - Messieurs, je crois devoir aborder l'objet même du débat, qui est la question financière.
On a énuméré des améliorations à apporter à la législation dans le but d'avoir moins de détenus. Je m'associe de grand cœur aux observations faites dans ce sens ; mais ce n'est pas là le seul moyen de diminuer les frais des prisons.
On a surtout insisté pour à la diminution du nombre des détenus préventifs. Il y a aussi moyen, messieurs, de diminuer le nombre des détentions en réduisant les cas auxquels s'applique la peine de l'emprisonnement, et j'espère que lorsqu'il sera question de la révision de nos lois pénales, ce point ne sera pas perdu de vue. Je crois que pour beaucoup de délits on peut remplacer la peine de l'emprisonnement par des peines pécuniaires, surtout en considérant que le payement de l'amende à la sanction de la contrainte par corps.
Les lois anglaises comminent énormément de peines pécuniaires ; et un grand nombre de ces peines se payent; elles se payent à l'avantage du trésor, c'est-à-dire à la décharge des frais généraux.
Un deuxième moyen, c'est de diminuer les frais de détention. Sans aller aussi loin que mon honorable voisin M. Dumortier, je dois avouer que ces frais, après les avoir compulsés de très près dans les tableaux qui nous ont été fournis, et même dans ceux qui ne nous ont pas été fournis, mais que je me suis procurés, m'ont paru excessifs. Je crois que le gouvernement, en se livrant à un examen sévère sur ce point, parviendra, si pas cette année, au moins pour l'exercice prochain, à des améliorations importantes.
Il y a un troisième moyen de diminuer les frais des prisons : c'est de faire faire un travail productif dans les prisons, au lieu d'un travail improductif qui s'y fait dans ce moment. Les sommes portées au budget pour achat de matières premières rentrent, il est vrai, par la voie du budget des voies et moyens; mais elles rentrent purement et simplement sans bénéfices ni intérêt.
On doit pouvoir employer 9 à 10,000 individus non seulement sans perte sur le capital payé en achat de madères premières, mais avec bénéfices. Or, il ne rentre dans les caisses de l'Etat aucun intérêt du capital employé en matières premières; il n'y rentre que la somme avancée, sans plus ; et encore, avec le mode de comptabilité qui est suivi, il ne m'est pas du tout démontré que cette somme rentre intégralement.
Un quatrième moyen, c'est un contrôle sévère sur les détails du service et sur la comptabilité. Je pense que le mode de comptabilité qui est suivi, c'est-à-dire le mode de comptabilité en partie double ne convient pas aux écritures destinées à être soumises à des personnes non initiées et au public. Ce mode n'offre pas les moyens de vérifier avec facilité l'exactitude des comptes et de s'assurer de près des progrès que font les prisons.
En effet, dans les tableaux qui sont joints au budget, je vois toujours, quel que soit l'état des prisons, renseigner un équilibre complet, une balance parfaite; les chiffres qui soldent le compte représentent des bâtiments, du mobilier, des objets de toute espèce, dont il est impossible de vérifier la valeur véritable. Au lieu d'un compte on fait un bilan; où l'on évalue non seulement les bâtiments, les meubles, mais les objets les plus minimes, et qui offre invariablement l'équilibre trop parfait pour n'être pas quelquefois trompeur. Eh bien, je ne suis pas du tout convaincu que les neuf ou dix millions portés pour les bâtiments, que les deux à trois millions portés pour le mobilier sont des réalités, et j’appelle toute l'attention du gouvernement sur ce point.
Ainsi, messieurs, je pense qu'il faut réduire les dépenses des prisons, d'abord en diminuant le nombre des prisonniers par une bonne réforme de la législation pénale, par l'extension de l'enseignement professionnel, par le développement du travail dans le pays, ensuite en diminuant les frais d'entretien des détenus; en troisième lieu, en leur faisant faire un travail productif; et enfin en établissant la comptabilité sur des bases qui facilitent le contrôle. Je ne fais à cet égard de reproches à personne, je fais seulement des observations pour que l'année prochaine on puisse nous présenter un résultat autre que celui dont nous nous occupons aujourd'hui et qui est réellement peu satisfaisant.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. de Luesemans paraît croire qu'il suffirait d'une simple circulaire émanée du département de la justice, pour faire cesser les abus très réels des détentions préventives, trop nombreuses et trop prolongées ; si ce moyen, qui a déjà été employé, pouvait être suffisant, nous nous empresserions, messieurs, de l'employer de nouveau. Je ne dis pas qu'au moyen d'instructions et de circulaires on ne puisse pas, jusqu'à un certain point, remédier à cet inconvénient; mais je crois qu'il résulte presque entièrement de l'imperfection de nos lois pénales et de notre code de procédure criminelle. Ce n'est que par la révision de cette législation qu'on pourra parvenir à faire disparaître les abus de la détention préventive. Il y aura lieu de préciser à cet égard les pouvoirs du juge d'instruction; il faudra également rendre plus facile la mise en liberté sous caution; en un mot, il y a une foule de mesures à prendre pour atteindre ce résultat. Une commission spéciale, messieurs, s'occupe en ce moment de la révision de la législation pénale; son travail est déjà assez avancé: il consiste à examiner de nouveau le projet de loi qui avait été présente à la chambre, il y a déjà longtemps, par l'honorable M. Lebeau, projet qui doit nécessairement aujourd'hui subir différentes modifications.
Une autre commission s'est également occupée de la révision du Code d'instruction criminelle et déjà, messieurs, des projets sinon complets, au moins très avancés, sont préparés sur cette importante matière et pourraient être présentés dans un très bref délai: mais vous connaissez l'immensité des travaux qui sont devant la chambre et le peu d'espoir qu'il y a qu'elle puisse s'occuper prochainement de tous ces projets, quelque urgents, quelque utiles qu'ils puissent être.
L'honorable M. Dumortier s'est récrié contre le chiffre très élevé du budget des prisons et a calculé que nos prisonniers coûtent environ un franc par jour.
Messieurs, la dépense que nous occasionne l'entretien de nos détenus est, en effet, très considérable. Mais cela tient à diverses circonstances qui se sont produites dans les années précédentes et à des causes qui, certainement, tendront à s'affaiblir de plus en plus. Le nombre des prisonniers est arrivé à un chiffre qu'il n'avait pas atteint jusqu'ici; d'un autre côté, l'élévation du prix des denrées a singulièrement grevé le budget des prisons. Tout cela est dû aux années calamiteuses que nous avons traversées. Ces causes n'existent plus au même degré d'intensité, et il faut espérer que la situation continuera graduellement à s'améliorer.
Quant au régime intérieur de nos prisons qui, d'après quelques honorables membres, serait tellement avantageux, ou confortable, que l'on commettrait des crimes ou des délits pour se faire emprisonner, ii y a là, messieurs, une question excessivement délicate, c'est la question du régime alimentaire de nos établissements pénitenciers. Ce régime alimentaire est réglé par différents arrêtés auxquels il n'est pas facile de toucher sans s'exposer à de graves inconvénients.
Je conviens que l'on pourrait faire une certaine économie en rendant moins substantiel le régime alimentaire de nos maisons centrales; mais cette modification pourrait avoir pour résultat d'augmenter le nombre des maladies et la population des infirmeries, et d'occasionner ainsi un surcroit de dépense qui compenserait et au-delà l'économie que nous aurions réalisée. J'avais moi-même remarqué une anomalie entre le régime de nos maisons centrales et celui de nos maisons d'arrêt et de justice; j'avais remarqué que dans les maisons centrales on donnait quatre soupes à la viande par semaine, tandis que dans les maisons d'arrêt et de sûreté on ne donne que deux soupes grasses ; j'ai voulu connaître quel était le motif de cette différence, d'autant plus étonnante que les détenus de nos maisons centrales sont les plus coupables, qu'ils sont condamnés à un emprisonnement plus ou moins long, tandis que ceux de nos maisons de sûreté ne sont que de simples prévenus.
Eh bien, messieurs, on m'a mis sous les yeux des procès-verbaux nombreux, dressés par des commissions composées d'hommes spéciaux, principalement de médecins qui se sont occupés de cette question du régime alimentaire des prisons et qui ont été unanimement d'accord que le régime alimentaire des maisons de force et de réclusion devait être plus substantiel que celui de nos maisons de sûreté ; que la santé des détenus condamnés à un emprisonnement pourrait souffrir d'une alimentation trop faible, que la mortalité augmenterait dans une grande proportion, que les frais des infirmeries seraient de beaucoup plus considérables. Je crois qu'il est inutile de mettre sous les yeux de la chambre toutes les raisons données par la commission spéciale, qui tout récemment encore a été appelée à s'occuper de cette question, mais j'en reviens à ce que je disais tout à l'heure, que c'est là une question extrêmement délicate et à laquelle on n'ose presque pas toucher, contre l'avis des hommes les plus compétents pour la décider.
Quant à l'économie qu'on pourrait réaliser, elle ne serait pas non plus très importante. Si vous supprimez deux soupes grasses dans nos maisons centrales, il faudrait y substituer deux soupes maigres, et la différence ne serait que d'une quarantaine de mille francs; et cette économie pourrait être bientôt absorbée par des frais plus considérables d'infirmerie et de maladie.
L'honorable M. Toussaint a signalé différents moyens pour diminuer la dépense.
Son système consiste principalement à rendre le travail des prisons plus productif qu'il ne l'a été jusqu'à présent.
C'est encore là, messieurs, une question très grave. Le gouvernement a fait tout ce qui était en son pouvoir pour augmenter le travail des prisons, mais il a été constamment entravé dans ses efforts par les plaintes de l'industrie libre auxquelles il a fallu faire de nombreuses et de larges concessions. C'est ainsi qu'il a fallu successivement supprimer dans les prisons plusieurs ateliers productifs qui occupaient un assez grand nombre de détenus. Il en est résulté une réduction considérable dans le travail et par conséquent dans les produits qu'il procure.
En 1840, le travail des prisons, pour une population moyenne de 4,792 détenus, donnait 1,013,845 fr. de produits; en 1842 et en 1843, 1,133,000 fr.; mais dans les trois dernières années, la réduction a été énorme; en 1845, le produit n'a plus été que de 711,000 francs; en 1846, de 726,000 fr.; et en 1847, de 841,000 fr.; ainsi, entre le produit (page 393) de 1842, par exemple, et celui de 1847, nous trouvons une différence en plus de 300,000 fr.
Maintenant, si nous prenons attention à la valeur du travail de chaque détenu, nous voyons que cette valeur, pour 1847, n'a été que de 155 fr. 74 c, tandis qu'elle s'élevait, en 1842, à 253 fr. 38 c. Ainsi, voilà une différence de 100 fr. environ sur le produit du travail de chaque détenu, et pour une population qui s'élève aujourd'hui à 5,400 détenus, car je ne parle que des détenus dans les maisons centrales où le travail est organisé, pour cette population, une diminution dans le produit du travail, de 100 fr. par détenu, occasionne au trésor public une perte de 540,000 fr.
Quant aux causes de cette diminution de travail, c'est la suppression successive de plusieurs ateliers importants, c'est la nécessité où l'on s'est trouvé de faire droit jusqu'à un certain point aux plaintes continuelles de l'industrie privée, plaintes qui, dans mon opinion, ont présenté beaucoup d'exagération.
En France, messieurs, le gouvernement provisoire, par un arrêté du 24 mars dernier, avait cru aussi, par sympathie pour l'industrie privée, devoir supprimer le travail des prisons.
Deux ou trois mois ne s'étaient pas écoulés, qu'on a reconnu tous les abus de ce système, car l'indiscipline, le désordre, l'immoralité avaient pénétré de toutes parts dans les prisons. Le gouvernement a dû revenir sur cette détermination ; un projet a été soumis à l'assemblée nationale ; une commission a été nommée pour l'examiner. Je citerai une seule phrase du rapport de l'honorable M. Bouhier, après avoir posé cette question : « Le travail doit-il être rétabli dans les prisons? Pour hésiter, dit le rapport, sur la solution affirmative de cette question, après les mois qui viennent de s'écouler, il faudrait refuser ses regards au désolant tableau d'insubordination, de cynisme, d'ignoble débauche que présente aujourd'hui l'intérieur de chaque maison centrale. »
C'est assez vous dire, messieurs, que la commission a conclu au rétablissement du travail dans les prisons. Voici dans quels termes elle a présenté ses conclusions à l'assemblée nationale :
« La commission, après avoir examiné la question sous toutes ses faces, après avoir interrogé tous les renseignements susceptibles de l'éclairer, conclut à l'abrogation du décret du gouvernement provisoire et au rétablissement du travail dans les prisons, aux conditions suivantes :
« 1° Les produits fabriqués par les détenus des maisons centrales de force et de correction ne pourront pas être livrés sur le marché en concurrence à ceux du travail libre ;
« 2° Les produits du travail des détenus seront consommés autant que possible par l'Etat, qui les emploiera de préférence à la fabrication et à a confection des effets d'équipement pour l'armée ;
« 3° Dans le cas où le travail des détenus serait fait à l'entreprise, les objets laissés pour compte de l'entrepreneur par l'Etat ne pourront être livrés sur le marché qu'après une autorisation spéciale du tribunal de commerce dans la circonscription duquel est établie la maison centrale de force ou de correction.
« 4° Les condamnés avancés en âge, infirmes ou que le directeur reconnaîtrait ne pouvoir être employés autrement, seront occupés à des travaux dont la nature sera déterminée par un règlement d'administration publique, et les produits pourront être exportés ou vendus à l'intérieur. »
Je crois, messieurs, que nous n'établirons le travail dans les prisons sur un pied convenable qu'avec des mesures à peu près semblables. Vous le voyez, il ne s'agit pas ici de faire concurrence aux produits de l'industrie indigène sur le marché intérieur. L'administration pourrait prendre l'engagement de ne vendre dans le pays aucun des produits fabriqués dans les prisons, mais il faudrait qu'elle pût vendre tous ses produits à l'armée, à la marine, à la douane ; cette fabrication jointe à celle des objets nécessaires aux détenus eux-mêmes suffirait pour alimenter convenablement le travail des prisons.
Mais jusqu'ici nous n'avons pu réaliser cette pensée, parce que les plaintes de l'industrie privée ont forcé l'administration à lui abandonner la moitié des fournitures de l'armée, de la douane et de la marine.
Depuis 1845, que l'administration est entrée dans cette voie, le produit du travail des prisonniers a diminué de plus de trois cent mille francs. Cette diminution s'est maintenue en 1846; mais en 1847, (erratum, page 411) les deux tiers de ces fournitures ayant été rendus aux prisons, le produit s'est relevé jusqu'à 841,973 fr., et la perte n'a plus été comparativement que de 300,000 fr. Vous voyez qu'il y aurait peu de chose à faire pour rétablir le travail des prisons dans un état convenable, et sans s'exposer à compromettre l'industrie privée.
C'est là un système que je me propose de soumettre au conseil, et j'ai l'espoir que mes honorables collègues s'y rallieront. Sans cela il serait impossible de promettre des améliorations au budget des prisons et de relever le produit du travail des détenus. Dans l'état actuel, ce produit tend continuellement à décroître, et la discipline des prisons commence même à en souffrir ; car on a été obligé de laisser beaucoup de prisonniers inactifs et de réduire les heures de travail, et le travail du soir est à peu près abandonné dans toutes les prisons.
M. de Haerne. - Je n'admets pas le système de M. le ministre de la justice, et j'espère que la chambre se joindra à moi pour empêcher que le travail des prisons ne vienne faire concurrence à l'industrie privée, car cette concurrence serait désastreuse. Nous faisons des sacrifices pour maintenir les ouvriers dans les ateliers, et le gouvernement viendrait leur faire une concurrence insoutenable au moyen du travail des prisons? C'est impossible. Il nous dit qu'il ne jettera rien sur le marché, mais il équipera l'armée, la douane, la marine ; alors l'industrie privée ne pourra pas leur fournir ce qui leur est nécessaire. C'est autant que vous lui aurez enlevé. Il ne faut pas imiter ce que la France vient de faire, il faut exporter le produit du travail des prisons; de cette manière, vous obtiendrez un résultat favorable, vous n'aurez pas enlevé à l'industrie privée la fourniture d'objets dont la fabrication procure du travail à vos ouvriers. Voilà le seul système qui puisse avoir des résultats favorables. En l'adoptant vous rendrez service à l'industrie du pays à l'étranger, en y faisant connaître ses produits.
M. le ministre n'a pas répondu aux observations que j'ai faites, quant au prix exorbitant que coûtent les prisonniers. J'ai dit qu'ils coûtaient un franc par jour. En effet, la somme de la dépense est de 3,636,900 fr., de cette somme il faut déduire 570,000 fr. pour achat de matières premières, de façon que les prisonniers coûtent en réalité 3,066,900 fr.; il y a neuf mille prisonniers, calculez à 540 fr. par an, vous avez 3,060,000 fr., 340 fr. par an c'est à peu près un franc par jour, cela est-il raisonnable? C'est inconcevable, de vouloir que des criminels coûtent plus à l'Etat que les pauvres qui sont reçus dans les hospices.
Et comment arrive-t-on à ce chiffre? Au moyen de dépenses incessantes. Il y a encore aujourd'hui un demi-million pour constructions nouvelles- Faut-il loger les prisonniers dans des palais ? Que les prisonniers soient logés vainement, rien de plus juste, mais le luxe qu'on apporte dans de pareilles constructions est inutile.
On vient nous dire : Nous ne donnons que quatre soupes grasses par semaine. Je demande combien il y a de pauvres ouvriers qui ont de la viande quatre fois par semaine? Ils n'en ont pas une. Je ne le cache pas. Ma sympathie n'est pas pour les coquins, pour les délinquants. S'ils sont coupables, l'emprisonnement ne doit pas être une amélioration de leur sort. Il est évident que le régime qu'on leur applique est une amélioration de leur sort. Si vous avez de l'argent à dépenser, employez-le au profit, dans l'intérêt des pauvres. On m'a répondu : On a consulté les médecins, ils sont d'avis que le régime adopté ne peut être changé. Il fallait consulter les administrateurs des bureaux de bienfaisance, ceux-là vous diront comment on entretien des malheureux, au moyen de 50 c. par jour. Ce qui se fait pour les hospices peut se faire pour les prisons.
Quand un prisonnier aura le sort d'un pauvre admis dans un hôpital, il n'aura pas le droit de se plaindre. Je sais qu'on a poussé la philanthropie très loin ; on a été jusqu'à s'enquérir si, 7, 8 ou 9 grains de sel dans la soupe des prisonniers n’étaient pas trop.
Le condamné est un coupable et, à mon avis, il ne doit pas être traité à l'égal des infortunés !
On a parlé du produit du travail dans les prisons. Si j'examine le rapport qui nous est fait, je vois que le produit ne s'élève pas à des centaines de mille fr. .
En effet, dans le rapport, nous voyons qu'il a été en 1844 de 61,000 fr., en 1845 de 16,000 fr. et en 1848 de 28,000 fr.
Voilà à quels chiffres s'élève le produit net du travail des prisons, outre la restitution du capital. Mais ce n'est pas l'intérêt de l'argent que vous employez ! Comment le travail des trois mille détenus des maisons centrales ne rapporte-t-il pas davantage ? Cela est éminemment déraisonnable. En définitive, on donne aux condamnes tout le produit de leur travail.
J'ouvre le budget et j'y trouve : Gratifications aux détenus, 190,000 francs. Ainsi on ne se contente pas de mettre les individus eu prison pour un crime ou un délit; on leur donne encore 190,000 francs de gratifications !
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - C'est une partie seulement du produit de leur travail.
M. Dumortier. - Cette partie est tellement forte, qu'il ne reste rien à l'Etat. Je dis qu'il y a là un véritable abus : je demeure convaincu qu'il serait très possible d'opérer sur le budget des prisons une réduction considérable, qu'on pourrait facilement obtenir une réduction d'un million.
Je demande si, dans une année comme celle-ci, il ne serait pas convenable de suspendre les constructions. Qu'avons-nous besoin de faire un demi-million de constructions pour les prisons.? On pourrait ajourner de telles dépenses. Nous sommes gênés dans nos finances ; nous devons faire des réductions qu'il nous est pénible de faire, et l'on dépense un demi-million en constructions. Pourquoi ne pas ajourner cette dépense? Ce qui a servi jusqu'ici peut encore servir cette année.
Il y a évidemment beaucoup à faire. J'insiste sur ce point que les objets fabriqués dans les prisons ne doivent pas être fournis à la marine, à l'armée, à la douane. Si l’on donnait cette destination à la toile fabriquée dans les prisons, évidemment on causerait aux Flandres un préjudice considérable, et cela dans un moment où une si grande misère désole cette province. Le seul moyen, c'est l'exportation. Que les condamnés travaillent; mais les objets qu'ils ont fabriqués, exportez-les. Ne les livrez pas à la consommation du pays au détriment des travailleurs nationaux.
M. Bruneau. - Chaque année, les dépenses du budget, en ce qui concerne les prisons, donnent lieu à des critiques amères. Cela se conçoit; car c'est une plaie sociale ; on ne les aime pas, surtout quand elles coûtent cher. Mais si la critique est aisée, l'art est difficile. Il est (page 397) facile de dire : Il faut abaisser la dépense; mais il est difficile d'en indiquer les moyens. Ainsi, l'on dit que l'entretien des prisons coûte beaucoup trop cher, qu'un détenu coûte trois fois autant qu'un malheureux, qu'un malade dans un hospice.
Sous ce rapport, il y a une grande inexactitude. L'entretien d'un détenu, en ce qui concerne la nourriture et l'habillement, coûte par année, non pas 300 francs, mais 175 francs, c'est-à-dire un demi-franc par jour à peu près.
Ce qui augmente la dépense, c'est le personnel. Or, vous savez que le personnel des prisons ne peut être réduit au taux du personnel des hospices, car il n'y a pas seulement des sœurs de charité dans les prisons, il y a des gardiens et un personnel nombreux d'employés. Il y a en outre des dépenses considérables pour constructions et travaux.
Le bien-être des prisonniers ne tient pas seulement à la nourriture, il tient aussi aux soins de propreté et de salubrité dont ils sont entourés. Voulez-vous diminuer ces soins? Evidemment non; car à l'instant tous auriez une mortalité contre laquelle l'opinion publique se soulèverait avec raison.
Quant à la nourriture, pouvez-vous la réduire? Quelle nourriture donne-t-on aux détenus ? En Belgique on leur donne du pain de seigle. En Angleterre, à la prison de Pentonville on donne du pain blanc. En Belgique, les détenus ont de la soupe composée de pommes de terres, de légumes, de riz, de gruau, on y met quelquefois de la viande, mais il n'y a plus de viande quand on la donne aux prisonniers ; elle est réduite en bouillon , ce qui entre de viande dans la nourriture d'un détenu est imperceptible, je puis l'attester de visu. J'ai vu et goûté de la soupe des détenus; j'en goûte toutes les semaines ; jamais je n'ai pu y pêcher un morceau de viande.
M. le ministre a dit que ces distributions de soupe ont été calculées d'après les règles de l'hygiène et de l'expérience. Il a dit que l'expérience avait démontré qu'une soupe répétée très souvent pouvait amener des maladies. Ainsi les frais de nourriture des détenus ne peuvent être réduits.
L'honorable M. Dumortier s'élève contre le travail qu'on donne aux détenus. Si on ne leur donnait pas de travail, la dépense s'élèverait bien davantage, car comment entretiendrait-on leur oisiveté? II faudrait y subvenir d'une autre manière.
L'honorable M. Dumortier veut bien que l'on donne du travail aux détenus, mais à la condition que les objets qu'ils fabriquent seront exportés. Il dit : Ces objets ne doivent pas faire concurrence au travail national. Mais n'est-il pas nécessaire d'apprendre un état aux détenus afin qu'à l'expiration de leur peine ils puissent se rendre utiles à la société et ne se mettent pas dans le cas d'être arrêtés de nouveau dans les huit jours de leur mise en liberté.
On ne se borne pas, dit l'honorable M. Dumortier, à nourrir les détenus mieux que des pauvres, on leur donne des gratifications. Mais ces gratifications ont un but utile. Le détenu se fait ainsi un petit pécule qui le met momentanément à l'abri du besoin et en position de se procurer un travail utile. Ce pécule n'est pas laissé à la disposition du détenu. On l'envoie ou au comité de patronage ou au bourgmestre chargé de le remettre partiellement au condamné libéré, à mesure de ses besoins. Je fais partie depuis 18 ans de la commission administrative de la prison d'Alost. J'ai acquis la conviction qu'un détenu qui n'aurait pas, à l'expiration de sa peine, un petit pécule n'aurait d'autre ressource que le crime.
Quant au travail, l'honorable M. Dumortier dit que les produits fabriqués dans les prisons devraient au moins être exportés, qu'ainsi on ne ferait pas concurrence au travail national. Mais qu'il dise où l'on trouvera des débouchés pour ces produits.
M. Dumortier. - C'est facile.
M. Bruneau. - Si c'était si facile, le commerce ne réclamerait pas une société d'exportation ; c'est au contraire la chose la plus difficile à trouver. Mais s'il est facile de trouver des débouchés, nos fabricants les trouveront également. Ainsi vous ferez concurrence au travail national, car ce que nos négociants prendront dans les prisons, ils ne le demanderont pas au travail libre. Ce sera donc un préjudice que vous causerez au travail libre.
Vous tournez là dans un cercle vicieux. Il n'est pas possible qu'une administration qui n'a pas l'activité de l'intérêt particulier, puisse trouver à l'étranger des débouchés que nos négociants ne parviennent pas à se procurer. Ce n'est donc pas là un remède.
Je veux bien contribuer, autant que possible, à diminuer la dépense des prisons. Mais il faut qu'on nous indique les moyens pratiques. Or, ceux qui ont été indiqués ne sont pas du tout pratiques, et je ne peux pas m'y rallier.
M. Orts, rapporteur. - Les explications qui viennent d'être données sur le travail des prisons, m'amènent à en demander aussi à MM. les ministres de la justice et des finances, sur un point que je considère comme très important.
Je remarque au budget de la justice un chiffre pour gratifications données aux détenus sur le produit de leur travail. Je dirai d'abord que je partage, à l'égard de cette gratification, les sentiments qu'a exprimés tout à l'heure l'honorable député d'Alost. Je les considère comme un moyen de moralisation ; mais je n'en admets l'emploi que dans une certaine limite; dans la limite du juste et du possible.
Pour m'assurer si les gratifications sont accordées dans cette limite, je voudrais savoir si le gouvernement, à la sortie du détenu, retient sur le pécule qu'il s'est formé à l'aide de cette sorte de caisse d'épargne établie dans les prisons, les frais de justice auxquels ce détenu avait été condamné avant son entrée. Si le gouvernement ne le fait pas, je trouve qu'il joue un métier de dupe et qu'il traite le prisonnier beaucoup mieux qu'il ne traite le soldat qui n'a pas complété sa masse.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne puis répondre bien positivement à l’honorable M. Orts. Je pense cependant que ces frais ne sont pas retenus. Il y a un arrêté en vertu duquel le produit du travail des prisonniers se divise en diverses parties. La moite environ est retenue par le gouvernement et forme une compensation telle quelle des frais que ces prisonniers occasionnent. Une autre partie est distribuée aux prisonniers comme gratification ou deniers de poche. Au moyen de cet argent, ils peuvent se procurer différents objets qui se vendent dans les cantines des prisons. Une dernière partie forme ce qu'on appelle la masse de sortie ou de réserve des prisonniers.
Celle-ci est tenue en dépôt par les trésoriers des commissions. Elle est même placée à intérêt, et à sa sortie, le détenu reçoit le montant de cette masse ainsi que les intérêts. Aujourd'hui, d'après un dernier arrêté sur le patronage, cette masse de sortie sera adressée au comité de patronage qui en fera l'emploi qu'il jugera le plus convenable dans l'intérêt des détenus libérés.
Il y a une distinction entre les condamnés aux travaux forcés, les réclusionnaires et les simples condamnés correctionnels. Ceux-ci ont une part plus forte dans le produit de leur travail que les réclusionnaires, et que les condamnés aux travaux forcés.
Mais je ne sache pas, messieurs, que l'on retienne le montant des frais de justice. Si ces retenues étaient faites, la plupart des gratifications et des masses de sortie seraient complètement absorbées.
Cependant il est une réforme que je crois possible, dont je me suis déjà occupé et que je crois pouvoir opérer bientôt : c'est la suppression des cantines dans les maisons centrales. Je crois que ces cantines donnent lieu à de nombreux abus. Elles occasionnent d'ailleurs une comptabilité et des écritures telles qu'elles nécessitent l'emploi d'un nombre considérable d'écrivains dans les prisons.
Je crois que ces cantines, et les gratifications ou deniers de poche pourront être supprimés sans aucun inconvénient. Mais il y aura une transition qui sera peut-être un peu dure, un peu pénible, et il y aura certaines mesures à prendre pour opérer cette transition. J'ai à cet égard communiqué mes vues aux gouverneurs des provinces, aux directeurs des prisons et aux commissions administratives. J'ai déjà reçu sur ce point un grand nombre d'avis. L'instruction n'est pas encore tout à fait complète, mais j'espère qu'elle le sera prochainement et que la mesure dont je viens de parler pourra être prise dans un assez bref délai.
Si cette mesure est possible, si des inconvénients trop graves ne viennent pas s'y opposer, il en résultera pour le trésor une économie que j'évalue de 100 à 150 mille fr. Car une partie de ce chiffre de 183,000 fr. qui figure au budget sous le titre de gratifications aux détenus, devrait alors être employée à différentes mesures qui seraient nécessaires, au moins pendant un certain temps, pour adoucir la transition du régime actuel à ce nouveau système.
Je ne pourrais, en ce moment, donner des détails plus étendus sur ce projet, mais l'administration s'en occupe sérieusement et j'espère qu'elle pourra le réaliser.
M. Orts, rapporteur. - Je n'insiste pas sur mon observation pour le budget actuel. Mais je me réserve de la reproduire et de demander la cessation de l'état actuel des choses, lorsque nous discuterons le prochain budget des voies et moyens. Je crois sincèrement qu'il est hors de toute convenance de laisser sortir des prisons de l'Etat, avec de l'argent payé par l'Etat, des hommes qui doivent à l'Etat, et vis-à-vis de qui l'Etat n'est tenu à aucune sympathie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas sans motif que l'on consent à laisser aux prisonniers une certaine somme prélevée sur le produit de leur travail dans la prison ; c'est dans l'intérêt de la société elle-même. On ne veut pas qu'au moment où l'on rendra la liberté à ces malheureux ils soient dans de telles conditions qu'ils soient obligés de tomber en récidive. C'est pourquoi on leur fait un petit pécule.
Que demande l'honorable M. Orts? Il demande que le gouvernement, qui a cru nécessaire, dans un intérêt d'ordre et d'humanité, de ménager quelques ressources aux prisonniers pour le moment de leur libération, mette la main sur ce pécule au moment où les portes de la prison s'ouvriront pour laisser rentrer le condamné dans la société.
Vous comprenez que ce système serait inconséquent, et il me semble certain qu'il ne serait pas admis par la chambre. Ce serait faire choses contradictoires. Ou reprendrait d'une main ce que l'on aurait trouvé juste et utile d'accorder de l'autre main.
Je pense donc que l'honorable membre y réfléchira avant de soulever au prochain budget la question qu'il a annoncée.
M. Bruneau. - J'ajouterai à ce que vient de dire M. le ministre des finances, que l'Etat récupère les frais de justice, puisqu'il retient la moitié du salaire que gagne le prisonnier.
- Un membre. - il le nourrit.
M. Bruneau. - Il le nourrit ! dit-on. Mais vous devez le nourrir, qu'il travaille ou qu'il ne travaille pas. Vous ne pouvez pas le laisser mourir (page 398) de faim. Il a donc droit à la nourriture, s'il n'a pas droit au travail. On lui impose le travail et il paye la moitié de son salaire à l'Etat. C'est une considération qui vient s'ajouter à celles qu'a fait valoir M. le ministre des finances pour qu'il n'y ait pas de préjugé quant à présent sur cette question.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable M. Dumortier est revenu sur les inconvénients que présente le travail des prisons faisant concurrence au travail libre. Il s'est livré à cet égard à des observations critiques.
Le gouvernement s'est beaucoup préoccupé et s’est beaucoup occupé des moyens de faire cesser ces inconvénients qui sont réels. Aujourd'hui, les travaux qui autrefois étaient confiés aux prisonniers, sont partagés entre les prisons et l'industrie libre. Nous recherchons les moyens d'introduire successivement dans les prisons des produits nouveaux ne faisant pas concurrence aux produits de l'industrie libre ; le Moniteur donne des informations à tous les industriels, afin que le gouvernement puisse s'assurer qu'une industriel introduite dans les prisons ne fera pas concurrence à une industrie libre déjà existante dans le pays.
Messieurs, par l'introduction d'industries nouvelles dans les prisons, ces établissements peuvent devenir des espèces d'ateliers modèles.
On a parlé d'exportations; eh bien, en ce moment, il se tente un essai pour l'exportation, qui a produit, jusqu'à présent, des résultats heureux : au moyen de fils anglais , dont le gouvernement se paye à lui-même les droits d'entrée, la maison de Saint-Bernard fabrique des toiles qui se vendent avec la plus grande facilité sur le marché étranger ; elle ne peut pas en produire assez, à tel point que l'administration de la prison de St-Bernard, au zèle et à l'intelligence de laquelle je dois rendre hommage, a demandé l'autorisation d'employer des tisserands libres au tissage de ces toiles. Déjà un grand nombre de tisserands flamands sont occupés à ce travail. Il est vrai que ces toiles se font en grande partie de fil étranger, mais il est meilleur marché et c'est ce qui permet de livrer la toile également à meilleur compte que si elle était faite de fil fabriqué dans le pays.
Il ne faut pas perdre de vue que la main-d'œuvre du tissage est beaucoup plus considérable que celle du filage, surtout depuis l'établissement des filatures à la mécanique.
Voilà, messieurs, ce que nous cherchons à faire dans les prisons. Nous nous attachons à partager autant que possible entre les prisons et l'industrie libre la fourniture des objets dont le gouvernement a besoin. Nous tâchons ensuite d'introduire dans les prisons des industries nouvelles ne faisant pas concurrence aux industries libres.
Enfin nous favorisons la fabrication d'objets destinés à l'exportation et vous voyez que nous avons déjà réussi. Nous continuerons à marcher dans cette voie, et, pour le dire en passant, la discussion récente qui a eu lieu en France prouve que sous ce rapport encore la Belgique a fourni des exemples que l'on trouve bon de suivre.
- Le chiffre de 1.600,000 francs est mis aux voix et adopté.
« Art. 40. Gratifications aux détenus employés au service domestique : fr. 34,000. »
- Adopté.
« Art. 41. Frais d'entretien, d'habillement et de couchage des gardiens et des surveillants : fr. 24,000. »
- Adopté.
« Art. 42. Frais de voyage des membres .des commissions administratives des prisons, ainsi que des fonctionnaires et employés des mêmes établissements : fr. 7,500. »
- Adopté.
« Art. 43. Traitement des employés attachés au service domestique : fr. 420,000. »
- Adopté.
« Art. 44. Frais d'impression et de bureau : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 45. Constructions nouvelles, réparations, entretien des bâtiments.
« Charges ordinaires : fr. 160,000.
« Charges extraordinaires : fr. 470,000. »
M. de Luesemans. - Messieurs, dans la note b qui se trouve au budget, page 35, je remarque l'observation suivante :
« b) La somme de 470,000 fr. est destinée à couvrir les frais d'exécution des travaux de construction des prisons de Liège, de Marche et de Bruxelles, et aussi une partie des frais de construction de la prison projetée à Dinant.
« Il a d'ailleurs paru convenable de ne plus confondre les allocations pour constructions avec celles pour achat et entretien du mobilier des prisons. »
Dans le rapport de la section centrale on trouve des explications fournies par M. le ministre de la justice à la suite des demandes qui lui avaient été adressées; voici un passage de ces explications :
« Les constructions nouvelles demandées exigeaient 728,000 francs ; on en a porté seulement 470,000. Pour arriver à ce chiffre, il a fallu ajourner des dépenses qui sont reconnues indispensables et qui le deviendront de plus en plus. On citera la construction des nouvelles maisons de sûreté ou d'arrêt à Gand, à Charleroy et à Verviers. Dans cette dernière ville la prison actuelle menace ruine. Si l'on veut encore diminuer la somme de 470,000 francs, il faudra ou bien ne pas commencer en 1849 la nouvelle maison d'arrêt à Dinant, ou bien retarder l'achèvement des prisons cellulaires de Bruxelles, Liège et Marche. »
Je n'ai pas, messieurs, une grande tentation de faire de vaines réclames de localité; cependant comme l'objet dont je vais entretenir la chambre est tombé en quelque sorte dans le domaine général, quoique se rattachant intimement aux intérêts de la localité qui m'a envoyé dans cette enceinte, j'aurai l'honneur de demander à M. le ministre de la justice si la construction de la prison centrale, qui n'est plus à l'état de simple projet puisqu'une enquête fort longue, une enquête administrative en a démontré non seulement la nécessité, mais l'urgence, et que la construction en a été décrétée par un arrêté royal du 23 août 1846; je demanderai, dis-je, à M. le ministre de la justice si la construction de cette prison ne se trouve plus, en 1849, aussi urgente qu'elle l'était en 1846. Tous les rapports qui ont été adressés par des commissions composées des hommes les plus expérimentés dans la matière, disent que des motifs d'humanité, autant que de bonne administration, exigent impérieusement que l'on construise cette maison centrale sans perdre de temps. A la suite de cet arrêté (il s'agit ici, messieurs, non seulement de l'intérêt général que je viens de signaler, il s'agit aussi de sauvegarder des contrats accomplis), à la suite de cet arrêté, le gouvernement fit un contrat avec l'administration communale de Louvain, et aux termes de ce contrat, l'administration communale doit fournir le terrain nécessaire pour la construction.
Tous les ans, elle a porté au budget de la commune une somme de 6,000 francs pour l'acquisition de ce terrain, qui est acquis; il est même clôturé au moyen d'une cloison assez dispendieuse, que le vent s'avise, parfois, d'emporter, et, à l'heure qu'il est, il est prêt à recevoir des constructions; depuis trois années il se trouve dans cet état. Je prierai M. le ministre de dire s'il a abandonné ce projet, afin que la ville de Louvain sache à quoi s'en tenir et si elle doit maintenir à son budget la somme destinée à rembourser en partie au gouvernement le prix de son acquisition.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, le gouvernement n'a pas renoncé au projet d'ériger une nouvelle prison à Louvain, projet qui a été adopté par l'arrêté royal du 23 août 1846. L'instruction de ce projet a même été continuée ; on s'est occupé des plans et devis ; enfin différents préliminaires ont été accomplis.
Ce qui prouve que le gouvernement n'a pas renoncé à l'idée de cette construction, c'est que dans le projet de loi qu'il avait présenté au mois de février dernier, et par lequel il demandait des crédits assez considérables pour l'exécution de différents travaux publics, une somme de trois millions avait été comprise et était destinée à l'établissement de cette prison de Louvain, en même temps qu'à la construction de la nouvelle maison de sûreté de Gand. Mais la chambre connaît les circonstances qui n'ont pas permis, et qui probablement ne permettront pas, d'ici à quelque temps, de donner suite à ce projet.
La construction de la nouvelle prison de Louvain entraînera une dépense qui ne peut pas être évaluée à moins de 1,500,000 fr. Ce n'est pas dans le moment actuel que nous pourrions, avec quelque espoir de succès, venir demander à la chambre un crédit aussi considérable.
La prison de Louvain avait été projetée dans le but de diminuer l'encombrement qui existait alors et qui existe encore aujourd'hui jusqu'à un certains point dans la prison de St-Bernard, et à une époque où l'on avait conçu des craintes sur la salubrité de cette prison.
Aujourd'hui ces craintes ont disparu en grande partie, l'encombrement a un peu diminué, de sorte que l'utilité de l'établissement d'une nouvelle prison à Louvain n'existe plus au même degré qu'à cette époque. Je crois donc que le projet que l'honorable préopinant a rappelé devra être ajourné pendant assez longtemps encore.
Quant au crédit actuellement en discussion, sauf une faible portion destinée aux premiers frais de construction d'une nouvelle prison à Dinant qui en a le besoin le plus pressant, le crédit sera entièrement consacré à payer les frais de constructions déjà commencées ou presque terminées (prisons de Liège et de Marche, maison cellulaire pour les femmes à Bruxelles). Un crédit beaucoup plus considérable eût été nécessaire, s'il avait fallu entreprendre d'autres constructions.
M. de Luesemans. - Messieurs, le motif pour lequel j'ai demandé la parole, c'est que, ni dans les développements donnés par la section centrale, ni dans les explications fournies par le gouvernement, il n'est fait aucune mention de la prison dont j'ai parlé et dont l'établissement a été décrété par un arrêté royal ; M. le ministre de la justice en est convenu. Il reconnaît également qu'il y a nécessité d'évacuer certaines prisons qui sont trop encombrées ; mais il trouve que, dans les circonstances actuelles, la dépense évaluée à 1,500,000 fr. est trop élevée, pour qu'on puisse réclamer en une fois le crédit nécessaire.
Mais, remarquez, messieurs, qu'il ne s'agit pas de voter une somme de 1 500,000 fr. en une fois ; ces travaux s'exécutent en plusieurs années; le payement peut donc en être échelonné sur plusieurs exercices. Puisque l'extrême urgence de ce projet a été reconnue, eu égard, non seulement aux détenus eux-mêmes, mais encore à la salubrité publique dans une partie notable du pays, il me semble que le gouvernement pourrait, sinon à présent, du moins dans le budget de 1850, se borner à proposer la somme nécessaire pour commencer les travaux, sauf à demander le complément de l'allocation au fur et à mesure que l'état financier du pays le permettrait.
J'aime par-dessus tout les positions franches ; de deux choses l'une : ou l'urgence ou même l’utilité du projet existent ou elles n'existent pas: si l'urgence existe, si elle est fondée sur des motifs d'humanité ou de salubrité publique, il me semble qu'on ne peut reculer plus longtemps (page 399) devant la dépense. Si, au contraire, l'urgence ou l'utilité n'existent pas, il faut renoncer au projet. Or, l'urgence est incontestable; personne ne la révoquera en doute en présence du volume qui a été distribué aux autorités de la province, et où l'on démontre à l'évidence la nécessité absolue de construire cette prison à Louvain.
- L'article 45 est mis aux voix et adopté.
« Art. 46. Honoraires et indemnités de route aux architectes, pour la rédaction de projets de prisons, la direction et la surveillance journalière de constructions : fr. 13,500. »
- Adopté.
« Art. 47. Traitement et frais de route du contrôleur des constructions dans les prisons : fr. 5,500. »
- Adopté.
« Art. 48. Achat et entretien du mobilier dans les prisons : fr. 40. »
- Adopté.
« Art. 49. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 570,000. »
- Adopté.
« Art. 50. Gratifications aux détenus : fr. 190,000. »
- Adopté.
« Art. 51. Frais d'impressions et de bureau : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 52. Traitements et tantièmes des employés : fr. 87,400. »
- Adopté.
« Art. 53. Service des passeports : fr. 20,000. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je proposerai une réduction de 10,000 fr. sur cet article. Le visa des passeports s'opérera désormais dans, les bureaux de l'hôtel de ville de Bruxelles, ce qui nous permet d'économiser la moitié de ce crédit. Les 10,000 fr. restant sont destinés à rétribuer, comme par le passé, les agents spéciaux de la ville qui seront chargés, comme ils l'ont toujours été jusqu'ici, de cette vérification.
Je demanderai ensuite que les articles 53 et 54 soient réunis en un seul, avec ce libellé : mesures de sûreté publique. Je fais cette proposition, afin d'éviter des difficultés avec la cour des comptes. Les 10,000 fr. que je réclame pour le service des passeports, seront payés à la ville de Bruxelles, à titre de subside, pour le service des agents spéciaux. Il y aurait donc lieu de réunir deux articles en un seul article, comprenant les deux sommes, c'est-à-dire 58,000 fr.
Je ferai observer qu'il y a quelques années les deux chiffres étaient réunis sous cette rubrique : mesures de sûreté publique. C'est par suite de quelques observations et explications faites et données dans cette enceinte qu'on a divisé le chiffre en deux articles : service des passeports et mesures de sûreté publique. Les deux chiffres doivent se confondre puisque le service des passeports ne se fera plus à l'administration centrale du ministère de la justice, mais à l'hôtel de ville de Bruxelles, et que le crédit est destiné à donner un subside à la ville pour ce service.
J'ai la satisfaction d'annoncer à la chambre que le crédit alloué l'année dernière a été suffisant pour pourvoir à tous les besoins de la sûreté publique pendant l'année et qu'aucun crédit supplémentaire ne sera nécessaire de ce chef.
M. Delfosse. - Je ne viens pas m'opposer à la réduction proposée par M. le ministre de la justice ; je l'appuie, au contraire. Mais je voudrais savoir pourquoi la ville de Bruxelles obtient un subside pour le service des passeports, alors que les autres villes n'en obtiennent pas ? il ne faut pas que le gouvernement ait deux poids et deux mesures.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, Bruxelles est la capitale du royaume; c'est ici que se réunissent de nombreux étrangers. La vérification des passeports, qui est une besogne insignifiante, même dans les grandes villes qu'a citées l'honorable préopinant, est une besogne très considérable à Bruxelles. Six vérificateurs sont occupés chaque jour à parcourir les hôtels pour assurer ce service et pour transmettre à l'administration tous les renseignements qu'elle doit recueillir sur le compte des étrangers, dans l'intérêt de la police générale du royaume.
Bruxelles est donc dans une position exceptionnelle qui lui occasionne des dépenses extraordinaires; elle a droit à un subside pour l'aider à les couvrir.
M. Delfosse. - S'il y a affluence d'étrangère à Bruxelles tant mieux pour elle, c'est une source de profits pour ses habitants, ce n'est pas une raison pour lui accorder une faveur. Les autres villes consentiraient volontiers à supporter les frais de service des passeports, pour obtenir le même avantage.
M. Lebeau. - J'ai demandé la parole pour obtenir de M. le ministre une explication sur un autre point. Je voudrais savoir si des nouvelles attributions données à l'autorité communale de Bruxelles, il doit résulter une modification quelconque dans le service de surveillance ,qui se fait aujourd'hui pour les passeports à nos frontières. Je crois qu'il y aurait là d'assez graves inconvénients.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Le service des passeports à la frontière continuera à se faire sur le même pied que par le passé; le service de vérification continuera également à se faire dans la capitale sur le même pied qu'auparavant ; seulement la formalité du visa sera donnée à l'hôtel de ville au lieu de l'être à l'administration centrale ; les mêmes agents feront le service, les mêmes renseignements.,; les mêmes bulletins concernant les étrangers seront recueillis.
C'est un simple changement de bureau pour les passeports qui, en réalisant une économie de 10,000 fr., n'apportera d'ailleurs aucune modification, soit à l'administration de la sûreté publique, soit au service qui se fait actuellement à la frontière et dans la capitale. Je puis sous ces rapports tranquilliser complètement l'honorable membre.
- La proposition de M. le ministre de la justice est mise aux voix et adoptée.
« Art. 55 (54). Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 56 (55) Solde de dépenses arriérées concernant des exercices dont les budgets sont clos : fr. 50,000. »
La section centrale propose la suppression de cet article.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je me rallie à cette proposition sous la réserve de demander un crédit supplémentaire. Je ferai remarquer qu'il s'agit ici d'un solde de dépenses arriérées se rapportant presque en totalité à l'exercice clos de 1845. En portant cette allocation au budget de la justice de 1849, je n'ai fait que me conformer à un usage suivi depuis plusieurs années, puisque dans chaque budget l'on avait coutume de porter un crédit pour solder les dépenses des exercices clos.
Je reconnais que c'est un moyen indirect, et d'ailleurs peu régulier, de demander des crédits supplémentaires. Je présenterai donc un projet de loi spécial. Sous cette réserve je me rallie à la proposition.
M. Orts, rapporteur. - La section centrale n'a pas demandé autre chose.
- L'article est supprimé.
M. le président. - Il ne reste que les articles tenus en surséance jusqu'après le vote de la loi concernant la haute cour militaire qui est à l'ordre du jour de demain.
- La séance est levée à 4 heures 3 quarts.