(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 361) M. de Luesemans fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. Troye lit le procès-verbal de la séance du 23 décembre dernier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Remy, juge de paix du canton de Beveren, présente des observations contre le projet de loi sur la compétence en matière criminelle. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le président du tribunal de commerce de St-Nicolas présente des observations contre le projet de loi sur la compétence en matière civile et commerciale. »
« Mêmes observations de la chambre de commerce de St-Nicolas. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Verstappen réclame l'intervention de la chambre pour être maintenu dans ses fonctions d'employé des accises. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Antoine-Charles Hennequin, comte de Villermont, propriétaire, à Frasnes, né à Rouen (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Plusieurs habitants de Moorslede demandent que la ville de Roulers demeure le chef-lieu des arrondissements réunis de Roulers et de Thielt.»
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Plusieurs habitants d'Eessen demandent que le tribunal de première instance de Furnes soit transféré à Dixmude. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs anciens officiers de la réserve dont la solde a été réduite par un arrêté du 6 décembre 1839, réclament l'intervention de la chambre pour obtenir le bénéfice de l'arrêté du 25 mai 1837 qui leur garantissait les droits dont ils jouissaient dans la ligne. »
- Même renvoi.
« Le sieur Motlhumert demande que les greffiers des juges de paix ne puissent s'immiscer dans les affaires qui ne rentrent pas exclusivement dans leurs attributions. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Fouron-le-Comte demande le maintien du bureau des contributions directes établi dans cette commune. »
- Même renvoi.
« Plusieurs habitants de Charneux demandent que la section de ce nom soit séparée de la commune de Harsin , pour être réunie à celle de Roy, si elle ne peut être érigée en commune distincte. »
- Même renvoi.
« Le marquis d'Auxy demande la réforme judiciaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Troadec, cultivateur, à Koekelberg, né à Brest (France), demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur George, major pensionné, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le payement de ses frais d'entrée en campagne de l'année 1830. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs docteurs en médecine, à Anvers, demandent l'abolition du droit de patente sur les médecins. »
- Même renvoi.
« Les employés du service actif des douanes au port d'Anvers prient la chambre de leur conserver les avantages que leur assure la loi sur les pensions. »
« Même demande du sieur Gilson, fabricant et ancien employé, et des employés du service actif des douanes dans la province de Liège. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui modifie la loi sur les pensions.
« Les sieurs de Ceuleneer et Peeters, président et secrétaire de la société de médecine à Termonde, proposent des mesures qui ont pour but d'améliorer la situation du corps médical. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Bonnier prie la chambre de l'autoriser à faire imprimer, sans frais, à l'imprimerie du Moniteur, un mémoire sur des faits qui ont été jugés contre lui par l'autorité judiciaire. »
- Même renvoi.
« Quelques habitants d'Oostroosebeke prient la chambre de leur procurer les moyens de se transporter sans frais aux Etats-Unis d'Amérique. »
- Même renvoi.
« Plusieurs expéditeurs à Bruxelles demandent que le gouvernement mette en adjudication publique les entreprises de camionnage du chemin de fer. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vanlandeghem présente des observations sur la proposition de loi qui tend à mettre des valeurs à la disposition du gouvernement. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi.
« Le conseil communal de Wonck présente des observations sur le tracé à donner à la route de Riempst à Hullembaye et demande que le gouvernement fasse au plus tôt commencer les travaux de construction de cette route. »
M. de Renesse. - Messieurs, je demanderai le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec prière de présenter un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Duvivier, boulanger et cultivateur à Zwevezeele, prie la chambre de statuer sur la pétition de quelques habitants de cette commune, tendant à ce que le gouvernement leur fournisse le moyen de se rendre en Amérique, pour y fonder une colonie. »
- Même renvoi.
« Le sieur Muschart, greffier du tribunal de première instance à Tongres, demande que le traitement des greffiers de deuxième classe soit augmenté ou du moins maintenu au chiffre de 2,500 fr., si les projets de loi relatifs à la compétence des juges de paix étaient adoptés. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
« Le sieur Van Belleghem réclame l'intervention de la chambre pour que des poursuites soient dirigées contre des magistrats. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame Ingels, veuve de P. Marchand, prie la chambre de rejeter la disposition de la loi sur les pensions qui prive de ses droits à la pension la veuve qui se remarie. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui modifie la loi sur les pensions.
« Plusieurs habitants de Mons demandent que la garde civique soit divisée en deux bans et que le premier ban, composé d'hommes âgés de 21 à 35 ans soit seul, en temps de paix, astreint aux obligations imposées par la loi sur la garde civique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs industriels dans la province d'Anvers et dans les deux Flandres demandent l'abolition des droits d'entrée sur les potasses, sels, cristaux de soude, natron d'Egypte et tout autre sel alcalin pouvant servir à la blanchisserie et au dégraissage des laines. »
M. Coomans. - Je demanderai, messieurs, le renvoi de cette pétition à la commission d'industrie avec prière de présenter un prompt rapport. Les pétitionnaires réclament l'abolition du droit d'entrée sur les potasses et sur le sel de soude. La fabrication de ce dernier article en Belgique est protégée par un droit de 20 p. c. ; ce droit est purement fiscal, il n'a pas développé cette industrie dans notre pays. La fabrication du sel de soude n'est exploitée que par trois établissements peu considérables et par un quatrième, qui ne l'est pas du tout. Il conviendrait, disent les pétitionnaires (et je me réserve d'appuyer cette demande en temps et lieu), d'abolir ce droit, parce qu'il nuit aux progrès de l'industrie linière et à quelques autres industries qu'il importe plus que jamais de favoriser. C'est dans l'intérêt du travail national que je solliciterai la suppression d'une fausse application des principes du système protecteur.
- La proposition de M. Coomans est mise aux voix et adoptée.
Par quatre messages, en date du 28 décembre, le sénat informe la chambre qu'il a rejeté autant de projets de loi de naturalisation ordinaire.
- Pris pour notification.
Par seize messages, en date du 28 décembre, le sénat informe la chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de loi de naturalisation ordinaire.
- Pris pour notification.
Par divers messages, en date des 23,28 et 31 décembre, le sénat informe la chambre qu'il a rejeté le projet de loi relatif à l'érection de la commune de Ville-en-Waret, et qu'il a adopté le projet de loi portant suppression de la commission des monnaies, le budget des dotations, le projet de loi prorogeant la loi relative aux primes pour construction de navires, le projet de loi relatif au timbre des lettres de voiture, les budgets de la dette publique, des affaires étrangères, des voies et moyens, le projet de loi fixant le contingent de l'armée, le projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires au département de la justice, le projet de loi relatif à la réduction des péages des canaux et rivières, le budget des dépenses pour ordre, le projet de loi qui ouvre des crédits provisoires aux départements de la justice, de l'intérieur, des travaux publics, de la guerre et des finances, le projet de loi relatif aux denrées alimentaires »
- Pris pour notification.
M. le ministre de la justice adresse à la chambre plusieurs demandes de naturalisation, accompagnées de renseignements relatifs à chacune d'elles.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Rousselle, retenu par indisposition, demande un congé.
- Accordé.
M. Cans. (pour une motion d’ordre). - Messieurs, on a distribué, il y a quelques jours, aux membres de la chambre le projet de révision des lois sur les faillites et banqueroutes. Ce projet contient environ 200 articles qui doivent être coordonnés, et je crois que ce travail se fera beaucoup plus convenablement par une commission composée de jurisconsultes et de négociants que par les sections. Je proposerai à la chambre de revenir sur la décision par laquelle elle a renvoyé ce projet aux sections, et de le faire examiner par une commission spéciale.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ai aucune objection à faire contre la proposition de l'honorable membre. Je crois même qu'une commission pourrait plus utilement s'occuper de ce projet qu'une section centrale. Il s'agit ici d'une loi tout à fait spéciale, et il serait important que la commission fût composée tout à la fois de jurisconsultes et de négociants.
- La proposition de M. Cans est mise aux voix et adoptée.
La chambre décide ensuite que la commission sera composée de 7 membres, qui seront nommés par le bureau.
La discussion générale est ouverte. Personne ne demandant la parole, on passe aux articles.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service.
« Charges ordinaires : fr. 172,150.
« Charges extraordinaires : fr. 12,400. »
- Adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 23,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais d'impression de recueils statistiques.
« Charges ordinaires : fr. 6,000.
« Charges extraordinaires : fr. 4,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 6. Cour de cassation. Personnel.
« Charges ordinaires : fr. 199,000. »
« Charges extraordinaires : fr. 30,500. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, une loi sur la réduction du personnel de certaines cours et tribunaux a été présentée à la chambre. Cette loi n'a pas été discutée; je crois dès lors qu'il serait nécessaire de rétablir les chiffres du budget, en conformité de la loi d'organisation de 1832. Cela n'empêchera pas, si la loi dont il s'agit est adoptée, que les économies qui en résulteront ne soient immédiatement réalisées; mais, dans la situation où nous nous trouvons aujourd'hui, je crois qu'il conviendrait, en vertu du principe qui a été dernièrement soutenu dans cette enceinte, que les chiffres du budget fussent réglés conformément à la législation existante. Je proposerai donc de porter le chiffre des traitements de la cour de cassation à la somme de 238,500 francs.
M. Orts, rapporteur. - Messieurs, je pense que la demande de M. le ministre de la justice, comme mesure d'ordre et de comptabilité, est parfaitement juste et ne rencontrera aucune opposition dans cette chambre. Il est cependant un point sur lequel la chambre devrait obtenir une explication.
Des lois sur la réduction du personnel des tribunaux sont proposées; en section centrale, il a été entendu, d’accord avec le gouvernement, que le vote du budget ne préjugeait en aucune façon le vote de la chambre sur les projets de lois présentés, on a voulu maintenir dans le budget le statu quo et réserver ultérieurement le libre examen de la chambre.
Aujourd'hui M. le ministre demande qu'on rétablisse le chiffre de l'année dernière, en conformité de la loi d'organisation judiciaire de 1832.Mais je demanderai si, par cette majoration de chiffre, le gouvernement entend s'attribuer le droit de combler les vacatures actuellement existantes.
Si telle était l'intention du gouvernement, cela pourrait présenter des difficultés sérieuses. Mais s'il est entendu qu'on propose le rétablissement du chiffre sans vouloir en faire usage, sans intention de nommer aux places vacantes, je n'y vois aucun inconvénient.
M. de Brouckere. - Il me semble que nous pourrions voter le chiffre porté au budget et adopté par la section centrale, sans préjuger aucun principe; la seule conséquence qu'on pourra tirer du vote de la chambre, c'est qu'il est convenu entre le gouvernement et elle qu'il ne sera pas pourvu aux places vacantes pendant le présent exercice. Il sera donc bien entendu qu'aucun principe n'est préjugé, que ce n'est pas une modification à une loi existante que nous aurons votée et que nous n'aurons voulu qu'approuver l'intention annoncée par le gouvernement de ne pas pourvoir aux places vacantes, avant que les projets modifiant les lois d'organisation aient été adoptés.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Il ne sera pas pourvu aux places actuellement vacantes, pour autant qu'elles soient comprises dans la catégorie de celles dont la suppression est prévue dans la loi concernant la réduction du personnel des cours et tribunaux. C'est ainsi entendu ; si je demande le rétablissement du chiffre de l'année dernière, c'est pour maintenir un principe soutenu dans cette enceinte, que le budget doit être réglé d'après les lois existantes, sans égard aux modifications qu'elles pourraient subir d'après des projets dont la chambre est saisie, mais qui ne sont encore qu'à l'état de projet. Je fais sans hésiter la déclaration qu'il ne sera pourvu à aucune des places actuellement vacantes ou qui pourraient le devenir, si elles font partie de celles que le gouvernement propose de supprimer.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - M. le ministre insiste-t-il sur sa proposition?
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Rien n'étant préjugé, je n'ai pas de motifs pour insister sur ma proposition, mais je devrais la renouveler à l'occasion d'autres articles du budget. La loi sur la haute cour militaire n'étant pas votée, le budget des dépenses devrait être voté avec le chiffre de l'année. Je crois donc qu'il serait plus conforme aux règles de la comptabilité, aux principes d'après lesquels tous les budgets ont été formés jusqu'à ce jour, de maintenir les allocations basées sur la législation existante, sans égard à des projets de lois qui pourraient ne pas être adoptés ou qui subiront peut-être d'importantes modifications.
M. de Brouckere. - En réalité, la question est très peu importante. Qu’on porte au budget le chiffre que demande actuellement M. le ministre de la justice, ou qu'on laisse subsister le chiffre proposé par la section centrale, il n'en sera ni plus ni moins. Mais du moment qu’il est convenu qu'aucun principe ne sera préjugé par la décision que prendra la chambre, je demande s'il ne serait pas mieux de ne pas faire figurer au budget une somme qui décidément ne sera pas dépensée. Car telle est la question : faut-il porter au budget les appointements d'un conseiller à la cour de cassation, alors qu'il y a accord entre le gouvernement et la chambre qu'il ne sera pas pourvu à la place vacante? Je ne sais pas pourquoi nous grossirions inutilement les chiffres du budget du département de la justice.
On me demande ce que nous ferons quand nous arriverons à la haute cour militaire. Quand nous arriverons à ce chapitre, nous venons ce que nous avons à faire.
Si la chambre veut suivre la voie que je regarde comme la plus régulière, elle ajournera le vote définitif du budget de la justice, quand elle aura examiné les articles de ce budget, et elle passera à la discussion du projet de loi relatif à la haute cour militaire.
Pour le moment, il ne s'agit que de savoir si nous ferons figurer au budget, pour la cour de cassation, le chiffre de l'année dernière, ou si nous le réduirons du montant des appointements d'un conseiller, une place étant vacante, et tout le monde étant d'accord sur ce point, qu'il ne sera pas pourvu à la vacance.
M. Orts, rapporteur. - J'ai demandé la parole pour maintenir notre droit à tous, en ce qui concerne l'application du principe qu'invoque M. le ministre de la justice au chiffre concernant la haute cour militaire. J'ai, sous ce rapport, des observations que je me réserve de présenter, lorsque ce chapitre sera en discussion.
La proposition que la section centrale vous fait relativement à la magistrature civile n'est pas la même que pour la magistrature militaire. Là le principe que veut appliquer M. le ministre de la justice n’est en aucune façon applicable.
Lorsque nous en viendrons à ce chapitre, je me réserve d'insister auprès de la chambre dans le sens des observations que vient de présenter l'honorable M. de Brouckere.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, il ne s'agit que de 9 mille francs, montant du traitement d'un conseiller à la cour de cassation qui est décédé, et à la place duquel il ne sera pas pourvu tant que la chambre n'aura pas statué sur le projet qui lui a été présente.
Il n'y aurait donc aucun inconvénient à ce que le chiffre que propose la section centrale fût voté. Mais si l’on ne rétablit pas le chiffre intégral de l’année dernière, il faudra également adapter les réductions faites sur les autres chapitres.
(page 363) Par exemple, l'article 10 concernant le personnel des tribunaux de première instance contient une réduction sur les traitements des greffiers. Je crois que le chiffre primitif doit être rétabli, tant que la loi nouvelle n'a pas été votée. Là il s'agit de réduction de traitements; il ne s'agit pas de vacances de places auxquelles il peut ne pas être pourvu.
Si nous ne rétablissons pas le chiffre normal qui devrait être fixé en vertu de la législation existante, pourrons-nous le faire, lorsque nous arriverons à l'article 10? Et n'y aura-t-il pas inconséquence, si nous procédons d'une manière pour cet article et d'une autre manière pour un autre article?
M. Delfosse. - Il n'y aura pas la moindre inconséquence à procéder pour les greffiers de première instance autrement que pour la place vacante à la cour de cassation. Le gouvernement déclare qu'il ne sera pas pourvu à la place vacante, tant que les chambres n'auront pas statué sur le projet de loi qui supprime définitivement cette place ; il n'y aura, en attendant, rien à payer. Pour les greffiers de première instance, c'est autre chose, l’ancien traitement devra leur être payé, tant que la loi qui le modifie n'aura pas été adoptée ; on peut sans inconséquence suivre pour les deux cas une marche différente.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - D'après ces explications, je n'ai pas de motifs d'insister.
- Les chiffres proposés par la section centrale sont adoptés.
« Art. 7. Cour de cassation. Matériel.
« Charges ordinaires : fr. 5,250.
« Charges extraordinaires : fr. 1,500. »
- Adopté.
« Art. 8. Cour d'appel. Personnel.
« Charges ordinaires : fr. 483,100.
« Charges extraordinaires : fr. 123,500. »
- Adopté.
« Art. 9. Cours d'appel. Matériel : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 10. Tribunaux de première instance et de commerce.
« Charges ordinaires : fr. 1,009,395.
« Charges extraordinaires : fr. 62,784. »
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je demanderai à la chambre de bien vouloir rétablir ici le chiffre nécessaire pour les traitements des greffiers. La réduction ne pourrait avoir lieu qu'en vertu de la loi qui est soumise à la chambre et qui ne sera discutée que dans quelque temps. Il est donc nécessaire de rétablir les chiffres de manière à pouvoir pourvoir aux traitements des greffiers des tribunaux de première instance avec la distinction par classe dont le gouvernement a proposé la suppression.
- Le chiffre du budget de l'année dernière est adopté.
« Art. 11. Justices de paix et tribunaux de police.
« Charges ordinaires : fr. 550,800.
« Charges extraordinaires : fr. 5,140. »
- Adopté.
M. le président. - La section centrale propose de surseoir à la discussion des articles 12, 13, 14 et 15, jusqu'à ce que la chambre ait statué sur le projet relatif à la justice militaire.
M. le ministre se rallie-t-il à cette proposition ?
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Si la chambre s'occupe très prochainement de la loi sur la réorganisation de la haute cour militaire, je n'ai aucune objection à faire contre cette proposition. Mais si elle devait s'occuper d'autres travaux, de manière que la discussion du budget fût interrompue et que ce budget ne pût être soumis au sénat, lors de sa prochaine réunion, je devrais m'opposer à la proposition de la section centrale et demander que le chiffre nécessaire pour pourvoir au traitement de la haute cour soit maintenu soit pour l'année entière, soit au moins pour le premier trimestre. Dans tous les cas, il faudra porter au budget un prorata de traitement, puisque la haute cour militaire fonctionne encore aujourd'hui, conformément à la législation existante.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, le projet de loi concernant la réorganisation de la cour militaire est à l'ordre du jour; rien n'empêche donc que nous passions à l'examen de ce projet de loi immédiatement après la discussion du budget de la justice. Nous pourrions suspendre le vote du chiffre total du budget, examiner le projet concernant la haute cour militaire, puis revenir au chapitre III, dans lequel nous intercalerions les chiffres qui nous seraient présentés par M. le ministre de la justice, d'après les décisions prises par la chambre sur le projet de loi dont il s'agit. J'ai l'honneur de proposer à la chambre de suivre cette marche.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je me rallie à la proposition de M. de Brouckere.
- La proposition de M. H. de Brouckere est mise aux voix et adoptée.
« Art. 16. Frais de justice en matière criminelle , correctionnelle et de police : fr. 746,385. »
La section centrale propose une réduction de 100,000 francs.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, la section centrale propose une réduction de 100 mille francs sur les frais de justice. Elle pense que l'on pourra, dans le courant de l'exercice, économiser cette somme. Elle fonde son opinion sur la réforme très prochaine du tarif criminel de 1811. Elle se fonde encore sur ce qu'il y aurait moyen de réaliser des économies en substituant les gendarmes aux huissiers pour les significations en matière de répression. Enfin elle pense que les lois qui ont été présentées à la chambre, et qui doivent modifier la compétence en matière de simple police et en matière correctionnelle et criminelle, amèneront également des économies dans les frais de justice. Je crois, en effet, messieurs, que nous pourrons opérer quelques économies dans les frais de justice, dont le chiffre s'accroît tous les jours d'une manière réellement effrayante; mais j'aurai l'honneur de faire observer à la chambre, ainsi que je l'ai dit dans la section centrale, que le chiffre proposé est déjà de 92 mille francs inférieur à la somme qui sera nécessaire pour couvrir toutes les dépenses de 1848. Ajouter à cette réduction déjà si importante une nouvelle réduction de 100 mille francs, ce serait, messieurs, s'exposer à ce que le crédit fût insuffisant et à ce que le gouvernement fût obligé de venir demander des crédits supplémentaires.
Je ne pense pas, messieurs, que les causes signalées par la section centrale puissent amener une économie aussi importante que celle qu'elle espère. Je désirerais beaucoup que ses prévisions pussent se réaliser, mais je n'ose pas y compter.
La question de savoir si l'on peut employer la gendarmerie aux notifications en matière de répression, cette question n'en est pas une au point de vue du droit, puisque des dispositions formelles de nos lois permettent d'employer pour ces notifications les agents de la force publique. Mais le personnel de la gendarmerie est déjà insuffisant, on réclame des augmentations de toutes parts et il est impossible au gouvernement de satisfaire à toutes les demandes des localités. D'un autre côté les gendarmes n'ont pas le temps d'écrire les exploits à signifier ; leur imposer cette charge, ce serait entraver continuellement leur service.
Les huissiers que l'on emploie aujourd'hui font la copie des exploits; les procureurs du roi se bornent à leur envoyer des cédules. Il faudrait donc que l'on fît, à l'avenir, ce travail dans les parquets, dont le personnel des bureaux deviendrait insuffisant. Je crois donc qu'il serait difficile de substituer les gendarmes aux huissiers pour ces sortes d'exploits. Cependant je ne dis pas qu'il n'y ait pas quelque chose à faire; déjà des instructions ont été envoyées aux procureurs du roi ; il leur en sera adressé de nouvelles pour les inviter à employer les gendarmes aussi souvent qu'ils pourront le faire sans inconvénient. Dans tous les cas, l'économie qui en résulterait serait loin de s'élever à la somme de 100,000 fr.; car j'ai fait vérifier sur les tableaux des frais de justice que toutes les dépenses de ce genre ne s'élèvent, en moyenne, qu'à une somme d'environ 45,000 fr. Quoi qu'il en soit, je prendrai toutes les mesures possibles pour qu'on utilise les gendarmes dans toutes les circonstances où la chose sera possible sans désorganiser le service; mais je crois qu'on ne pourrait les employer constamment ni même fréquemment, sans nuire au service spécial dont ils sont chargés, et conséquemment sans devoir augmenter le personnel de la gendarmerie, ce qui entraînerait un accroissement de dépense beaucoup plus considérable que l'économie qu'on pourrait réaliser.
Quant à la réforme du tarif de 1811, la chambre est saisie d'un projet qui, j'espère, pourra être discuté incessamment, et je pense que la révision de ce tarif amènera nécessairement des économies assez importantes. Il ne faut pas cependant s'exagérer l'importance de ces économies, car, d'un autre côté, il en résultera quelques dépenses nouvelles : ainsi, il est reconnu que les interprètes, les médecins et différents fonctionnaires appelés souvent devant la justice, à raison de leur ministère, ne reçoivent pas, en vertu du tarif de 1811, une taxe suffisante, et qu'il y aura lieu, sous ce rapport, à modifier le tarif. Quoi qu'il en soit, je pense qu'en général la réforme de ce tarif amènera des économies assez majeures.
Quant à ce que l'on peut espérer de la réforme des lois sur la compétence, d'après !es projets soumis à la chambre, je crois que l'économie qui en résultera, n'aura pas une grande importance, et que ce n'est point sur elle réforme que l'on pourrait s'appuyer pour justifier une réduction aussi considérable que celle qui est proposée par la section centrale.
Je ferai une dernière objection : c'est que le crédit dont il s'agit n'est nullement limitatif; les frais de justice sont taxés et payés en vertu de décrets et de règlements auxquels le gouvernement doit se conformer, tant qu'ils ne sont pas modifiés ; si donc les frais de justice venaient à dépasser le montant du crédit, il faudrait bien que le gouvernement les payât, et vînt, pour les payer, vous demander un crédit supplémentaire.
M. Orts, rapporteur. - Messieurs, lorsque la section centrale a proposé une diminution de 100,000 fr. sur le crédit des frais de justice, elle a cru faire une chose sérieuse, utile au pays. La section centrale a estimé que le chiffre des frais de justice prenait un accroissement dangereux depuis plusieurs années, et en émettant cette opinion, la section centrale s'est conformée aux précédents des chambres devancières delà législature actuelle.
Chaque année, depuis 1842, des plaintes du genre de celles que nous avons traduites en une réduction de 100,000 fr., se sont élevées; chaque année, on y a répondu par des promesses d'économes ; chaque année, il est arrivé, au lieu d'économies, des crédits supplémentaires, variant de 40,000 à 120,000 fr.
(page 364) Messieurs, l'économie de 100,000 fr. nous a paru juste; elle nous a paru nécessaire, au point de vue de l'administration de la justice, et cette nécessité est singulièrement fortifiée par le besoin d'économies importantes qui se manifeste à l'époque actuelle.
M. le ministre de la justice croit que la réduction de 100 mille francs ne peut pas être votée par la chambre; il en donne quatre raisons. Il dit que déjà une économie de 92 mille francs est réalisée dans le budget de 1849, comparativement aux dépenses de 1848; que l'économie ne pourrait être obtenue qu'en compliquant le service de la gendarmerie, de manière à rendre ce service impossible ou à nécessiter une augmentation dans le nombre des gendarmes; que, du reste, l'économie, en la supposant réalisable, n'atteindrait pas le chiffre de 100 mille francs, et qu'enfin le crédit n'étant pas limitatif, le gouvernement est bien forcé de payer les dépenses qui sont faites, et ne payera que les dépenses nécessaires.
Messieurs, nous pensons que les réductions ne se font jamais toutes seules; qu'il faut y aider un peu, et c'est pour cela que la section centrale, en demandant une diminution de cent mille francs, a indiqué le moyen de l'opérer; et si ce moyen est goûté par la chambre, il est évident que le moyen ne sera employé que si la chambre vote la réduction.
Messieurs, le chiffre des frais de justice suit en Belgique une progression démesurée, lorsqu'on le considère en lui-même et lorsqu'on le compare avec ce qui se passe dans les pays qui ont avec nous une communauté parfaite d'organisation judiciaire, de procédure et d'instruction criminelle. Le chiffre des frais de justice était, au budget de 1835, de 575,000 francs, et au budget de 1848, de 779,000 francs, et on nous a demandé, pour 1848, un crédit supplémentaire de 40,000 francs ; ce qui élèvera la dépense, pour cet exercice, à 830,000 francs environ.
Messieurs, j'ai recherché quel avait été l'emploi de ce chiffre dans les années antérieures; j'ai trouvé des renseignements très complets sur ce point dans le rapport de la section centrale, qui s'est occupée du budget de la justice de 1842, rapport fait par un homme qui connaissait parfaitement le mécanisme intérieur de l'administration de la justice, car il en sortait tout récemment; c'était mon honorable ami, M. Malou, qui, un mois ou deux avant la présentation de son rapport, avait donné sa démission de directeur au département de la justice.
L'honorable M. Malou a fait ressortir ce que je fais ressortir aujourd'hui, l'exagération du chiffre; et il a constaté que depuis 1855 à 1840, époque pendant laquelle des crédits supplémentaires n'étaient jamais venus augmenter les prévisions du budget, on était toujours resté, pour les dépenses effectuées, au-dessous des crédits alloués. C'est seulement quand on a commencé à entrer dans la voie des crédits supplémentaires, qu'on a dépensé plus qu'il n'avait été alloué au budget et qu'on est venu demander des crédits qui ont varié de 20,000 à 120,000 francs.
De 1835 à 1842, le chiffre est resté entre 575,000 fr. et 584,000 fr.
En 1842, on a réclamé un premier crédit supplémentaire ; depuis 1842, les prévisions du budget ont toujours été dépassées; le chiffre est devenu 679,000 fr. (chiffre normal); pour 1843 à 1847, des crédits supplémentaires ont été ou seront nécessaires.
Nous pensons qu'il importe de s'arrêter dans cette voie, surtout s'il est possible de le faire, sans porter la perturbation dans la législation. Nous n'avons pas voulu compliquer la question de réduction, d'une question de révision de Codes ou de tarifs. Mais ayant trouvé sous la main le moyen d'opérer une économie de 100,000 francs à l'aide d'une simple circulaire ministérielle, nous avons pensé que la situation du pays commandait de le faire.
Messieurs, le chiffre des frais de justice est hors de proportion avec deux points de comparaison importants. Le premier de ces points de comparaison est le rapport entre l'allocation figurant au budget de la justice et les recouvrements figurant au budget des voies et moyens. Messieurs, vous savez tous que les frais de justice sont, en définitive, une avance dont une partie, malheureusement trop minime, doit être récupérée par le gouvernement sur les individus condamnés. Or nous constatons, ce qui est pour nous l'indice sûr d'un vice radical dans cette branche du service; nous constatons une infériorité étrange entre les résultats obtenus sous le rapport des recouvrements dans notre pays et dans les pays voisins.
Comparez tous les recouvrements opérés sur les frais de justice depuis dix ans; jamais ils n'ont dépassé 21, 22, 23 et 24 p. c; donc perte absolue chiffre rond de 75 p. c. sur les frais de justice. En France où les tarifs sont les mêmes, l'organisation judiciaire la même, la procédure la même, les frais de poursuites les mêmes, les recouvrements sur frais de justice atteignent le chiffre de 48 p. c. en moyenne au lieu de 24 p. c. Non seulement la France est singulièrement favorisée sous ce premier rapport, mais la France qui recouvre une plus grande partie de ses avances fait relativement moins d'avances que nous, tout en usant des mêmes moyens, de la même législation, de la même procédure fonctionnant de la même manière qu'en Belgique.
En Belgique, ces avances dépassent 800,000 francs ; en France, savez-vous quelle a été la dépense en 1848? Elle a été de 4,400,000 francs ! Nous devrions dépenser moins avec notre population plus morale que celle de la France, où la criminalité est moins développée, et nous dépensons 830,000 francs! Cela dépasse toute proportion. En Hollande où, s'il n'y a pas similitude complète de législation comme en France, il y a du moins des rapports d'analogie nombreux, le chiffre des frais de justice est porté à 170,000 fl. ou 350,000 fr., chiffre rond, tandis que nous payons 830,000 fr. Si l'on répartit cette charge d'après la population nous trouvons, en divisant les 4,400,000 fr. dépensés en France par une population de 35 millions, nous trouvons une charge de 12 1/2 centimes par tête. Pour la Hollande nous trouvons 170,000 fl., soit 350 000 francs pour 3,500,000 habitants ou 10 centimes par tête, tandis que chez nous 830,000 fr. divisés par 4,300,000 habitants donnent une dépense par tête de 18 centimes, 6 centimes de plus qu'en France et huit de plus qu'en Hollande.
Il y a donc urgence à porter remède à un mal qui se développe avec autant de rapidité et d'énergie. Ce remède, l'avons-nous trouvé? Nous le pensons. Ce qui l'a indiqué, c'est un raisonnement bien simple. Nous avons trouvé que ces frais de justice étaient occasionnés pour la majeure partie par les frais que font les huissiers chargés d'instrumenter en matière de procédure criminelle. Nous avons remarqué que ces officiers ministériels, quand ils fonctionnent pour le compte de l'Etat, sont rétribués comme s’ils fonctionnaient pour le compte des particuliers ; le tarif est le même. Mais à côté de ces fonctionnaires, nous avons vu que la loi plaçait une catégorie d'agents placés plus immédiatement encore sous la main de l'Etat qui les emploie, et que la loi charge de faire la même besogne gratis. Nous avons dit : Pourquoi l'Etat, qui peut obtenir gratuitement des services qu'il paye 830,000 fr., ne les demande-t-il pas ?
M. le .ministre a reconnu que légalement la section centrale avait raison, c'est-à-dire qu'en fait il est exact de dire avec elle que les agents de la force publique, d'après la législation existante, avaient qualité pour faire ce que font les huissiers et devaient le faire gratis. Les textes cités dans le rapport sont trop positifs pour qu'il y eût contestation possible.
Que s'est dit la section centrale? Puisque la majeure partie de ces frais peut être évitée en faisant agir des fonctionnaires dont le service est gratuit, usons de ce moyen. Ne payons plus ce que nous pouvons avoir gratis. La section centrale a indiqué comment les choses devraient se faire. Remarquez qu'elle n'a pas exagéré son économie. Elle n'est pas venue vous dire que tout le chapitre devrait disparaître du budget, que tout ce qui était payé aux huissiers ne devait plus l'être à l'avenir. Elle a pris un moyen terme. Si le moyen que nous proposons était adopté comme réforme radicale, ce ne serait pas de 100,000 francs qu'il faudrait réduire le chiffre, mais d'une somme triple.
Nous demandons comme preuve qu'on entrera dans la voie que nous indiquons, une simple réduction de 100 mille francs. Nous avons en cette réserve été guidés et par l'intérêt du service et par la nécessité de ménager les transitions pour une classe estimable de fonctionnaires. Nous avons donc demandé que M. le ministre prît les mesures nécessaires afin de faire remplacer, le plus souvent possible, l'huissier rétribué par les agents de la force publique non rétribués.
Que la chambre ne s'imagine pas que l'on entende faire faire tout ce service uniquement par la gendarmerie. Il y a d'autres agents de la force publique que les gendarmes, la section centrale a rappelé elle-même ce que la loi entend par agents de la force publique. Ce sont les gendarmes, il est vrai, mais aussi les gardes champêtres et forestiers, pour certaines matières et pour le territoire où ils sont commissionnés, les agents de police, les sergents de ville dans l'intérieur des villes. Ainsi, ce n'est pas sur une catégorie unique d'agents de la force publique que le service enlevé aux huissiers doit retomber. Cela doit diminuer de beaucoup les craintes de désorganisation pour la gendarmerie et dans le service public éveillées par M. le ministre.
Maintenant, en évaluant le bénéfice qu'on pourrait obtenir raisonnablement, sans porter de perturbation dans les existences individuelles ni dans le service public, la section centrale est-elle allée trop loin? Je dis que non; car, en définitive, si la substitution est possible dans certaines limites, elle doit l'être jusqu'à concurrence de 100,000 fr. Quoiqu'il soit difficile de parler chiffres devant une assemblée délibérante, et dans une discussion purement orale, je crois devoir le faire. Je tâcherai d'être aussi clair et aussi bref que possible.
M. le ministre a fait une observation que je dois rencontrer d'abord en démontrant la justesse du chiffre proposé par la section centrale.
M. le ministre de la justice pense qu'il y a exagération, d'autant plus que le salaire payé aux huissiers pour frais en matière répressive, n'aurait atteint, d'après les renseignements qu'on lui a fournis que le chiffre de 45 mille francs en moyenne par année.
Si ce chiffre était exact, il serait évident que la section centrale se serait grossièrement trompée, puisqu'en supprimant une dépense de 45 mille francs, elle proposerait une économie de 100,000 fr.
Mais la section centrale a raisonné sur des chiffres tout différents de ceux que pose M. le ministre. Devant cette divergence, je crois que la section centrale est dans le vrai , et que M. le ministre de la justice se trompe; ce qui arrive fréquemment en matière de chiffre et ce qui partant est très excusable. Ce qui le fait croire à la section centrale, c'est que les données des chiffres qu'elle a recherchés à l'appui de sa proposition, sont publiques, officielles , émanées du département de la justice lui-même. Le département de la justice publie des statistiques (nous venons de voter à l'instant le chiffre destiné à continuer ces publications); dans ces documents se trouve le compte exact de ce qui a été dépensé en frais de justice de toute espèce. Les dépenses sont séparées, sont soigneusement distinguées. Or, je vois au dernier compte fourni, le compte statistique de 1839, formant la dernière page de la dernière publication officielle émanée du département de la justice, je vois qu'en 1839 il a (page 365) été payé pour salaire d'huissiers en matière répressive (c'est-à-dire en matière correctionnelle, de simple police et d'assises) une somme de 168,462 fr. 98 c. Donc, loin de demander la suppression de tous les salaires d'huissiers, nous demandons une réduction de 100,000 fr. c'est-à-dire la réduction à une somme inférieure d'un tiers à celle qui a été payée à ce titre, en 1859, il y a près de dix ans.
Or, la besogne a constamment augmenté depuis. En voulez-vous la preuve? En 1839, les frais avaient été faits évidemment en raison de poursuites. Des poursuites avaient été dirigées contre 43,941 délinquants (c'est la statistique de 1839 qui le dit). En 1846, le chiffre des personnes poursuivies, et c'est l'indication la meilleure de la besogne aux frais de laquelle doit subvenir le crédit demandé, le chiffre a été de 72,086. Ce qui était 44 mille est devenu 72 mille, chiffres ronds.
D'après ce qu'a dit M. le ministre de la justice, il est probable que la progression ne s'arrêtera pas. Dans la supposition, évidemment trop faible, qu'une augmentation de 44 mille à 72 mille dans le chiffre des personnes poursuivies n'aurait amené qu'une augmentation très minime dans le salaire des huissiers, je puis, sans encourir le reprocha d'être trop radical, trop avancé, proposer une réduction de 100,000 fr. Ce chiffre que nous proposons est proportionnel à la besogne, c'est-à-dire au chiffre des individus poursuivis.
M. le ministre parle des économies qu'il a déjà opérées, M. le ministre est ici dans l'erreur. Aux budgets antérieurs, le chapitre IV. Frais de justice ne comprenait que deux articles : l'article 17. Indemnité pour le greffier de la cour de cassation 1,000 fr., qui figure également au budget actuel pour le même chiffre. Mais le chapitre frais de justice, qui était de 679,000 fr. comprenait les articles 16 et 18. De sorte qu'en réalité (tout à l'heure, je montrerai que ce chapitre comprenait même un troisième article) il faut, pour avoir le chiffre réel, réunir le montant des articles 16 et 18.
De plus on comptait dans les frais de justice, à cette époque, 2,940 fr. que M. le ministre n'y comprend plus et qu'il porte à l'article 15, sous la rubrique : Frais de bureau et indemnité pour feu et lumière aux auditeurs militaires. Nous voyons à la note litt. d des développements, page 29, que cette allocation a été distraite de l'article Frais de justice. De sorte que, maintint-on le chiffre de l'année dernière, il y aurait déjà une majoration de 2,940 fr.
Ainsi il est bien entendu que la section centrale ne demande pas, par sa réduction, la suppression immédiate des salaires des huissiers, et le report de toute leur besogne sur les agents de la force publique et spécialement sur les gendarmes. Mais en fût-il ainsi, dans cette supposition toute gratuite, dans beaucoup de localités, la substitution pourrait se faire, d'abord pour une quantité d'actes que les gendarmes font matériellement par eux-mêmes en même temps que les huissiers.
Je citerai un détail comme exemple de la substitution à opérer sans augmentation de besogne pour les gendarmes. La chambre me pardonnera ce détail de ménage. Pour tous les actes d'écrou, par exemple, c'est-à-dire, pour la procédure qui consiste à transporter à la maison d'arrêt un délinquant par l'ordre du juge d'instruction, devant qui il se trouve déjà, il y a un salaire pour l'huissier; il y a un acte, consistant en une feuille imprimée dont les blancs ont été remplis au cabinet du juge d'instruction, et à laquelle il ne manque qu'une formalité : la signature du directeur de la prison, qui forme le reçu de la personne du délinquant.
Que fait-on? Lorsqu'un emprisonnement s'opère ainsi à la suite de l'arrestation sur l'ordre du juge d'instruction dans son cabinet, on donne la feuille à l'huissier chargé de la faire signer par le directeur de la prison. A côté de l'huissier, marchent le délinquant et un gendarme chargé d'empêcher que celui-ci ne s'échappe.
Quel mal y aurait-il à ce que le gendarme portât lui-même le panier et le rapportât signé chez le juge d'instruction? Evidemment aucun. L'économie ne serait pas insignifiante ; car le nombre des écrous est considérable. Vous en avez la preuve dans une annexe déposée par M. le ministre de la justice, sur le bureau de la chambre. Une section avait demandé à connaître le nombre des individus arrêtes préventivement; dans le but de faire connaître ce nombre, M. le ministre nous a donné un tableau statistique qui constate le nombre des arrestations préventives en matière correctionnelle seulement. En 1847, il y a eu 15,472 individus écroués. Ainsi l'économie dont je parlais tout à l'heure et que l'on ferait en chargeant le gendarme du port du morceau de papier qu'il accompagne, devrait être multipliée par 15,472. Il est évident qu'il s'agit d'une économie qui n'est pas à dédaigner et qui entre pour une grande partie dans le chiffre de 100,000 fr. que nous demandons de retrancher au budget de la justice.
Remarquons, messieurs, que les gendarmes se rendent tous les jours aux prisons en acquit de la besogne qui leur incombe. Ils y vont conduire des prisonniers. Dans tous les grands centres, ces transports sont permanents.
Il y a des prisonniers transportés soit pour être écroués, soit pour être entendus devant le juge d'instruction. Il n'y a pas de ville importante où il n'y ait des voyages quotidiens de prisonniers du cabinet d'instruction aux prisons. Quel grand mal y aurait-il à ce que les gendarmes qui vont dans les prisons pour d'autres besognes, emportassent du parquet : les formules imprimés qui servent de citations, et y écrivissent les noms des prévenus, seule chose qu'il y ait à faire, et cela sans recourir à l'intervention d'un huissier ? Rien n'est plus facile.
La gendarmerie n'aurait pas un pas de plus à faire, n'aurait pas une minute de plus à perdre, si cette besogne lut était confiée. La gendarmerie est d'ailleurs parfaitement capable et intelligente, au point de remplir du nom d'un délinquant un modèle imprimé. Ne l'oublions pas, la gendarmerie fait des actes beaucoup plus importants. Elle rédige des procès-verbaux sans avoir pour cela des formules imprimées.
Y aurait-il maintenant un si énorme surcroit de besogne à charger une certaine quantité de gendarmes, d'agents de police, de gardes forestiers, etc., de remettre, eux qui rédigent des procès-verbaux, ces mêmes formules qui servent de citations, aux témoins qui sont cités pour les audiences de police correctionnelle? Dans les grandes villes, où le service de la police est très actif, à Bruxelles, par exemple, où, dans l'intérêt de la surveillance quotidienne, les agents de police doivent constamment circuler, ils pourraient facilement, et sans surcroît de besogne, remettre, de maison en maison, les citations aux témoins, comme ils remettent des avertissements de contributions ou des sommations de venir déclarer si vous êtes propriétaire d'un chien soumis à l'impôt.
Cela ne prendrait pas beaucoup de temps et procurerait une économie importante dont je veux encore donner une idée par un chiffre. Nous avons eu, en 1846, une quantité considérable d'affaires correctionnelles portées devant les tribunaux; et remarquez-le, ces affaires sont surtout fréquentes dans les villes où le nombre des agents de la force publique et plus considérable, plus concentré que dans les campagnes. Je conçois qu'il y ait des difficultés pour les campagnes, aussi nos calculs ne portent-ils pas sur les campagnes.
En 1846, 26,432 affaires correctionnelles ont été portées devant les tribunaux correctionnels de la Belgique. Supposez deux témoins pour chacune de ces affaires, cela fait deux fois 26,432 citations qui ont été données et qui ont coûté chacune, dans les villes de plus de 40,000 habitants, 1 fr. 95 c., et dans les villes d'une population inférieure, fr. 1-50 de frais, soit 90,000 fr. environ.
Je demande encore une fois si des économies de ce genre, appliquées à ce chiffre de 26,432 affaires, ne justifient pas en grande partie la réduction de 100,000 fr. que nous demandons.
Il n'est donc pas exact de dire qu'une réduction de ce genre entraverait le service de la gendarmerie. Mais je veux bien le supposer un instant. Je veux bien admettre avec M. le ministre de la justice, que dans quelques grandes villes, comme à Gand, à Bruxelles, à Anvers, peut-être même à Liège, quoique le mouvement des affaires de répression soit loin d'y être considérable, que là il faille ajouter quelques gendarmes pour faire gratis ce que font aujourd'hui les huissiers en étant payés, voici ce qui arriverait.
Croyez-vous qu'il y ait un nombre important d'huissiers chargés de ces actes dans une ville comme Bruxelles? Croyez-vous qu'il y ait un nombre d'employés plus considérable qu'une brigade de gendarmerie? Non, messieurs, à Bruxelles, tout le service d'huissiers en première instance se fait par quatre huissiers attachés au cabinet du juge d'instruction ! Il y en a également quatre pour le service d'audience, mais je n'en parle pas dans ce moment.
C'est donc un personnel bien moins fort qu'une brigade de gendarmerie. Or, savez-vous ce qui est payé à ces huissiers pour frais de justice en matière correctionnelle? Il leur a été payé en 1848, si mes informations sont exactes, une somme de 24,000 fr. Croyez-tous qu'une brigade de gendarmerie vous coûterait 24,000 fr.? Vous auriez donc, en supposant quelques gendarmes de plus, une économie notable, et vous auriez en plus une force protectrice de l'ordre qui rendrait des services incontestables.
Il n'y aura pas, je le répète, de surcroît de besogne écrasant pour les agents de la force publique. Il y en aurait peut-être dans la supposition d'une réduction générale, absolue. Or, nous ne voulons pas de réduction pareille ; nous ne demandons qu'une réduction graduelle et limitée.
Il faudrait faire des écritures, il faudrait faire des exploits? Cela n'est pas exact ; il ne faut pas faire d'écritures, il ne faut pas faire des exploits Là où les écritures sont nombreuses, on y supplée par les feuilles imprimées. Là où les écritures sont peu nombreuses, les employés du parquet ou les greffiers attachés aux cabinets des juges d'instruction peuvent très facilement exécuter la besogne nouvelle qui leur incombera. De plus, je l'ai dit tout à l'heure et je le répète, il ne faut pas prendre les agents de la force publique pour des hommes complètement illettrés, incapables de toute besogne judiciaire. Les faits sont là pour prouver que les juger ainsi serait une erreur. La loi le suppose aussi, puisqu'elle leur donne qualité pour rédiger des actes bien autrement importants.
Un dernier mot, messieurs. N'est-il pas convenable, au point de vue de la bonne discipline judiciaire, qu'une reforme de ce genre ramène à de justes limites le salaire de fonctionnaires très estimables sans doute, mais qui aujourd'hui sont ainsi placés dans une condition supérieure à celle des magistrats auxquels ils sont attaches à titre d'inférieurs? Aujourd'hui, messieurs, pour ne parler que de ce que je connais, n'est-ce pas une chose qui révolte que de voir un huissier de tribunal, rétribué à raison de frais de justice pour des actes que d'autres fonctionnaires pourraient très bien faire gratis, de manière à avoir ses services payés plus cher que les services des magistrats près desquels il est placé ? 24,000 francs payés aux huissiers de Bruxelles représentent une somme supérieure' aux traitements des juges du tribunal de première instance près duquel ils sont placés. C'est une position qui ne peut être maintenue. Lorsque nous touchons aux traitements des fonctionnaires auxquels il n'avait eu donné que ce que demandent les exigences les plus légitimes, lorsque (page 366) nous sommes obligés à contrecœur, malgré nous, de réduire les traitements d'hommes auxquels leur position commande une certaine dépense; nous nous abstiendrions de toucher à de pareils traitements? Nous agirions mal. Nous agirions en dehors des conditions d'une bonne justice distributive.
Reste, messieurs, une dernière objection de M. le ministre de la justice. Le crédit n'est pas limitatif! Mais je le sais, le crédit n'est pas limitatif ; s'il avait été limitatif, nom serions peut-être encore dans les conditions de 1835 et nous n'aurions certes pas marché de 500,000 à 800,000 fr. Le crédit n'est pas limitatif, je le sais, mais si nous ne le limitons pas nous n'obtiendrons pas d'économies. Depuis 1842 on a promis constamment des économies dans les frais de justice, il en a été question en 1842 tout particulièrement, de même en 1843.
Je me rappelle que l'on proposait alors, pour arriver à des économies, des moyens autres que ceux dont il s'agit aujourd'hui dans le projet de la section centrale, et qui n'impliquent pas un changement dans la législation. On a répondu qu'on n'irait pas au-delà du strict nécessaire; le strict nécessaire est aujourd'hui de 800,000 fr. On ne peut pas rester sur ce pied.
Maintenant un mot pour rassurer les esprits les plus timorés. Si la seule source d'économie pour l'année prochaine se trouvait dans les moyens que propose la section centrale, on pourrait peut-être, surtout à propos d'une matière spéciale, ne pas avoir une entière confiance dans ses appréciations. Mais, on nous promet déjà d'autres économies à résulter des moyens dus à l'initiative de M. le ministre de la justice.
Nous demandons la substitution d'agents gratuits à des agents rétribues, nous évaluons l'économie qui en résultera à 100,000 francs, cela est vrai; mais M. le ministre nous dit de son côté que, en dehors de cette économie, nous arriverons à une réduction notable de dépense ; il a des moyens d'économie à lui. Ces moyens se traduisent en des projets de lois qu'il a présentés et que nous pouvons discuter incessamment ; il a évalué la réduction à résulter de l'application de ces projets, à une somme de 150,000 à 200,000 fr., c'est là une économie en sus de celles que propose la section centrale.
Or, si pour ces deux catégories d'économies nous ne proposons qu'une réduction de 100,000 fr., nous sommes évidemment dans de justes limites. Ce n'est pas tout ; outre l'économie de 150,000 à 200,000 fr. qui doit être le résultat des modifications à apporter dans la compétence des corps judiciaires et entre autres de la procédure sommaire que M. le ministre vient d'adopter pour la répression des délits de vagabondage et de mendicité, M. le ministre propose encore la révision du tarif des frais et dépens. Cette révision va être immédiate, car la section centrale chargée d'examiner ce projet est formée ou sur le point d'être formée. Or, on nous annonce de ce chef encore une réduction très notable de dépense. Eh bien , messieurs, en présence des promesses résultant du projet sur la compétence, dont il doit résulter une économie de 150,000 à 200,000 fr., en présence de ces autres promesses renfermées dans l'exposé des motifs du projet de révision du tarif, où des économies très notables nous sont également annoncées, en présence enfin des moyens d'économie qui sont indiqués par la section centrale et qui consistent dans la substitution d'agents gratuits à des agents rétribués, en présence de ces trois sources d'économie on peut, je pense, sans aucune espèce d'exagération, proposer une réduction de 100,000 fr., la moitié d'une seule des prévisions ministérielles, et j'espère que la chambre adoptera par suite sans hésiter la proposition de la section centrale.
M. Toussaint. - Messieurs, je me félicite de la discussion qui a lieu devant vous relativement aux frais de justice. Comme l'honorable rapporteur de la section centrale, je suis d'avis que les frais de justice sont trop élevés, mais je ne suis pas d'accord avec lui et la section centrale sur la question de crédit; je ne pense pas qu'il suffise de réduire le chiffre porté au budget pour que les frais de justice s'abaissent dans la même proportion. Pour faire subir une diminution aux frais de justice, il faudrait simplifier la procédure, et surtout il faudrait tâcher de diminuer le nombre des justiciables de la justice correctionnelle et des tribunaux de police; il faudrait, en un mot, changer les conditions qui ont fait que depuis 9 ou 10 ans le nombre des délits et des contraventions est allé constamment en croissant.
L'honorable M. Orts s'est imaginé que les frais de justice se sont successivement élevés parce qu'on s'est mis sur le pied d'accorder des crédits supplémentaires. Mais il a confondu la cause avec l'effet ; on a dû accorder des crédits supplémentaires parée que le nombre des délits est devenu plus grand, parce que le nombre des poursuites est devenu plus grand, parce que la justice a eu plus de délits à punir et, par conséquent, plus de formalités à remplir. Voilà la vraie cause de l'augmentation des frais de justice. Cette cause est infiniment plus profonde qu'une question de chiffres. Cette question touche à l'organisation sociale ou plutôt à la situation sociale de certaines classes, à la prédominance successivement plus grande de l'industrie agglomérée, à la tendance qu'ont les campagnards à venir se fixer dans les villes où ils sont exposés à des tentations beaucoup plus fréquentes. Ce n'est donc pas une question de chiffres. C'est une question sociale; et j'appellerai l'attention de la chambre sur cette question chaque fois que j'en aurai l'occasion.
L'augmentation des frais de justice pendant les dernières années est résultée en grande partie de la disette des denrées alimentaires, et je signale à dessein cette cause pour faire voir encore une fois que la question des frais de justice est une question sociale.
Les frais de justice sont plus grands dans une disette, parce que le nombre des mendiants et des vagabonds est plus grand et que le nombre des délits commis par cette partie de la population est plus grand.
Si par cela seul que vous réduisez le chiffre du budget, de 100 000 fr., vous dépensiez 100,000 fr. de moins, je m'empresserais de voter la réduction; mais je pense que la réduction serait purement nominale et que l'année prochaine on viendrait nous demander un crédit supplémentaire. Je crois, messieurs, qu'il serait bien plus efficace de passer de l'effet à la cause et de simplifier la procédure.
Nous pourrions même aller plus loin que de substituer les gendarmes aux huissiers; nous pourrons, lorsque vous aurez introduit dans le service des postes, la réforme qui est promise, autoriser le juge d'instruction à faire usage de la poste pour appeler chez lui les personnes qu'il a à entendre sur les faits qui lui sont dénoncés ; mais ce sont là des faits futurs qui ne touchent ni au crédit en discussion, ni aux tarifs de 1811 et de 1813, ni à la législation en vigueur.
Je crois que nous faisons bien d'engager M. le ministre de la justice à réaliser toutes les économies qui seront en son pouvoir, et à employer le plus possible les gendarmes et même les gardes champêtres pour les significations à faire; mais dans l'état actuel de la société en face de la justice, c'est-à-dire avec une augmentation croissante de délits et de contraventions, je ne pense pas que les espérances que l'honorable rapporteur cherche à vous faire concevoir, se réalisent; et c'est pour cela que, peu habitué à voter des choses sans sanction, je voterai pour le chiffre du gouvernement, si M. le ministre de la justice insiste pour l'obtenir, bien entendu avec l'économie de 92,000 fr. qu'il a lui-même annoncée.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, s'il suffisait de limiter un crédit pour réduire la dépense, à coup sûr je m'associerais aux efforts qu'a faits l'honorable rapporteur de la section centrale ; mais en présence de la législation, en présence des faits qui se sont passés les années précédentes, il m'était impossible de venir dire à la chambre, avec quelque espoir de succès, que les frais de justice pourraient, cette année, subir une réduction de 200,000 francs.
Ainsi que j'ai eu l'honneur de le faire remarquer, il y a une diminution de 92,000 francs. Ce n'est pas comme économie que j'ai proposé cette réduction è la chambre ; mais j'ai pensé que les causes qui ont élevé les frais de justice à une somme si considérable les années précédentes, et qui viennent d'être signalées en partie par l'honorable M. Toussaint, n'agiraient pas aussi fortement cette année, et, qu'en conséquence, le nombre des affaires correctionnelles et criminelles venant à diminuer, nous pourrions obtenir une économie que j'ai évaluée à 92,000 fr. Maintenant si la chambre vote une nouvelle réduction de 100,000 fr., je ne puis espérer que le crédit sera suffisant.
L'honorable M. Orts nous signale le remède; c'est toujours l'emploi des gendarmes, en lieu et place des huissiers. Je réitère à cet égard ma déclaration, que tout ce que je pourrai faire, pour substituer les gendarmes aux huissiers sera fait ; mais je répète, pour rester dans la vérité, que cette mesure ne peut pas être générale, sinon qu'elle aurait nécessairement pour conséquence de désorganiser le service de la gendarmerie.
L'honorable M. Orts nous a dit qu'à Bruxelles, quatre huissiers suffisaient pour le service du juge d'instruction ; que ces quatre huissiers gagnaient 24,000 fr. par an ; que quatre gendarmes qui seraient spécialement attachés à ce service, coûteraient beaucoup moins. Il serait possible à la rigueur que quatre gendarmes pussent faire le service des quatre huissiers à Bruxelles; mais dans les campagnes où les huissiers doivent se transporter de commune en commune, je crois que le service de la gendarmerie serait journellement entravé, si les gendarmes devaient souvent remplacer les huissiers.
Cependant je reconnais que cela peut se faire facilement pour l'exécution des mandats de dépôt et les actes d'écrou, et j'ai déjà donné des instructions pour que les gendarmes soient presque exclusivement chargés de cette partie du service.
Il en sera de même pour les citations et pour les notifications des jugements en matière criminelle et correctionnelle toutes les fois que cela sera possible. Mais on ne peut pas le faire d'une manière générale.
Quant aux autres agents de la force publique, et entre autres les gardes champêtres, il serait assez difficile de les employer ; ces agents ne pourraient instrumenter en dehors du territoire de la commune, et, en général, ils sont trop peu instruits.
Au surplus, déjà aujourd'hui, le ministère des gendarmes est requis souvent par les juges d'instruction, et il ne faudrait pas croire que les dispositions du Code d'instruction criminelle qu'a citées l'honorable rapporteur, soient restées une lettre morte.
Par ces considérations, je crois devoir persister à repousser la réduction de 100,000 fr., proposée par la section centrale.
M. Orts, rapporteur. - Messieurs, la question se déplace singulièrement, et je m'y attendais, parce que, laissée sur son véritable terrain, elle est trop claire et trop simple pour qu'il puisse y avoir deux opinions.
On est d'accord en droit que les huissiers peuvent être remplacés légalement par des agents gratuits. On est également d'accord sur ce point, qu'administrativement cela est possible. Cela peut être dangereux, dit M. le ministre de la justice, mais dangereux si cela est général; dans certaines limites, disons-nous, cela peut se pratiquer.
Par notre réduction, ailons-nous au-delà de ce qui est praticable? Nous ne demandons qu'une chose : le remplacement partiel des huissiers par (page 367) des agents gratuits. En 1839, les huissiers ont reçu 169,000 fr. ; de 1839 à 1846, le nombre des affaires a augmenté de moitié; 44,000 poursuivis ont monté à 72,000. Il est donc évident que le salaire des huissiers a dû augmenter depuis 1839 dans une proportion analogue. Nous demandons aujourd'hui une réduction qui consiste à diminuer à peu près d'un tiers ce qui a été payé aux huissiers en 1839. Voilà toute la question. Si nous demandions quelque chose de plus, on pourrait alors appréhender jusqu'à un certain point de désorganiser le service.
Un honorable membre est venu en aide à M. le ministre de la justice, pour combattre la réduction de 100,000 fr. ; il s'est fondé sur ce que l'augmentation des frais de justice tenait à une autre cause que l'absence du moyen d'économie proposé par la section centrale.
Messieurs, je sais très bien que ce n'est pas seulement parce qu'au lieu de gendarmes ou d'agents de la force publique on emploie des huissiers, qu'on dépense annuellement 800,000 fr. aujourd'hui.
Je sais que la crise alimentaire, le développement de la population, d'autres causes encore agissent sur le développement de la criminalité. Mais si ce développement de la criminalité nous force à faire des dépenses aussi considérables, nous voulons les réduire par les moyens que nous proposons. Nous ne cherchons pas à détruire les causes, mais à amoindrir les effets, et nous en indiquons le moyen. M. le ministre nous dit : Mais j'ai déjà réalisé une économie de 92,000 fr. J'ai déjà répondu à M. le ministre que c'était une erreur. Il se trompe, et son erreur provient de ce que le budget de 1849 divise le crédit en plusieurs littera, tandis que dans le budget précédent il y avait une somme globale. La différence entre le budget de 1848 et celui de 1849, en y comptant le crédit supplémentaire, la différence ne sera que de 40,000 fr., c'est-à-dire du crédit supplémentaire voté. Le chiffre normal est le même. M. le ministre demande séparément le traitement des exécuteurs et celui des frais des auditeurs militaires, qui étaient compris dans le crédit de l'année dernière. Telle est la source de son erreur.
J'ajoute un dernier mot pour rectifier une observation présentée par un de mes honorables collègues, M. Toussaint. Il m'objecte que l'augmentation des frais de justice a été la conséquence nécessaire de l'augmentation du nombre des individus poursuivis. Je répète encore que je ne nie pas cette augmentation, mais je dis en outre que pour les chiffres, cela n'est pas exact ; car les frais ont augmenté d'une manière plus rapide que le nombre des affaires et des prévenus en 1846 et 1847. Je ne sais pourquoi; ce que je sais, c'est qu'il y a là des causes cachées auxquelles il faut qu'un remède prompt soit apporté. Ce remède, on le trouve en faisant la règle de ce qui aujourd'hui est l'exception, c'est-à-dire en exigeant que des agents gratuits soient employés pour un tiers au moins de la besogne, au lieu d'huissiers rétribués. L'amendement n'a pas d'autre portée.
M. Delehaye. - Si la proposition de la section centrale devait avoir pour conséquence d'amener une économie réelle, je m'empresserais de lui donner mon assentiment; mais l’habitude que j'ai eue de ces sortes d'affaires, quand j'étais procureur du roi, me donne la conviction entière qu'on ne fera aucune économie en substituant les agents de la force publique aux huissiers. En principe, il vaut mieux que les services rendus à l'Etat soient salariés. Si vous adoptez le système qu'on vous propose, les huissiers seront déchargés d'une partie de leur besogne, mais elle va tomber sur les agents de la force publique, c'est-à-dire qu’il faudra en charger une partie de la force publique, les gendarmes, car il ne peut entrer dans la pensée de la section centrale que ces attributions soient confiées à des gardes champêtres ; sur vingt, il n'y eu a pas un à qui un membre du parquet vomirait confier l'exécution des mandats. Mais allons plus loin; supposons que les gardes champêtres soient aptes à faire ce service; ils sont à la disposition d'autres autorités, ils doivent obéir aux magistrats municipaux des communes; ils peuvent être appelés à remplir leurs devoirs par des autorités communales et, d'un autre côté, chargés d'exécution de mandats du parquet; leur position deviendrait donc difficile quand même ils auraient la capacité nécessaire pour remplir les fonctions dont on veut les charger. Vous seriez donc forcés de confier l'exécution des mandats aux gendarmes. Qu'arriverait-il ? Au bout d'un an ou de deux ans, on viendrait demander l'augmentation du nombre des agents chargés d'exécuter ces mandats; il faudrait augmenter le personnel de la gendarmerie. L'augmentation de besogne imposée à des fonctionnaires salariés par l'Etat n'est presque jamais une source d'économies. L'expérience prouve que cette augmentation de besogne entraîne toujours une augmentation de personnel.
Autre considération très importante ; les huissiers sont des agents ministériels dont l'intervention est nécessaire dans un grand nombre de cas ; elle est indispensable pour l’exécution de certains mandats comme de certaines mesures judiciaires. Vous devez donc leur confier des affaires très importantes.
S'ils sont dans une position à ne pouvoir pas vivre et élever convenablement leur famille, ils n'inspireront pas de confiance. Pourquoi avez-vous augmenté le traitement de la magistrature? Pour que la position pût inspirer confiance. Il est utile pour la société que les huissiers inspirent aussi cette confiance. Or, si vous leur enlevez la ressource que leur procure l'exécution des mandats judiciaires, j'ai la conviction intime qu'il y aura pour eux, du moins dans la localité que j'habite, impossibilité réelle de se maintenir. Je crois donc qu'il est utile, nécessaire, si l'on veut introduire de véritables économies, de réduire le nombre des huissiers. Dans la ville que j'habile, le nombre des huissiers et des avoués est trop considérable. Ces agents, dont l'intervention est nécessaire dans beaucoup d'actes fort importants, ne gagnent plus de quoi élever convenablement leur famille.
Il importe, dans l'intérêt de la société, d'en diminuer le nombre et de continuer à leur confier l'exécution des mandats qu'on ne peut remettre à d'autres. Je repousse donc la proposition, d:abord parce qu'elle n’amènerait pas d'économie, et ensuite parce que les agents qu'on veut substituer aux huissiers n'offriraient pas aux membres du parquet assez de garantie pour l'exécution de leurs mandats.
- Le chiffre de 746,385 fr., proposé par le gouvernement, est mis aux voix; l’épreuve est douteuse; il est procédé au vote par appel nominal.
En voici le résultat :
Nombre des votants, 60.
28 votent pour l'adoption.
33 votent contre.
La chambre n'adopte pas.
Ont voté pour l'adoption : MM. Rogier, Rolin, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Troye, Van Grootven, Bruneau, Coomans, Cumont, Debroux, de Haerne, Delehaye, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Mérode, de Pouhon, de Renesse, Desoer, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, Frère-Orban, Jouret, Lebeau, Mascart et Verhaegen.
Ont voté contre : MM. Moxhon , Orts , Pirmez , Prévinaire , Thiéfry, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), (erratum, page 387) E. Vandenpeereboom, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Vilain XIIII, Ansiau. Cans, Clep, Dautrebande, David, de Brouwer de Hogendorp, Delfosse, Deliége, de Man d'Attenrode, de Meester, de Pitteurs, de Royer, de Theux, de T'Serclaes, Dumortier, Jacques, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne et Loos.
L'article 16 est mis aux voix et adopté avec le chiffre de 646,385 fr., proposé par la section centrale.
M. le président. - Le bureau a composé de MM. Lesoinne, Delehaye, Cans, Ernest Vandenpeereboom, Bruneau, Tesch et H. de Brouckere, président, la commission chargée de l'examen du projet de loi relatif à la révision de la législation sur les faillites et banqueroutes.
- La séance est levée à 4 heures 5/4.
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