(Annales parlementaires de la chambre, chambre des représentants, session 1848-1849)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 317) M. Dubus procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Dubus fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Marchant demande un changement dans le système des inspections des écoles primaires ; la réduction des traitements des gouverneurs de province et des chefs diocésains, la substitution de jetons de présence à l'indemnité dont jouissent les représentants ; le transfert du tribunal de première instance de Furnes à Dixmude ou la suppression de ce tribunal moyennant un changement de circonscription des arrondissements judiciaires de Bruges et d'Ypres. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Georges Clermont présente des observations sur le projet de loi relatif à la réforme postale et demande la taxe uniforme de dix centimes pour le transport d'une lettre simple à l'intérieur du royaume, et celle d'un décime en sus pour toute lettre recommandée. »
- Renvoi à la section centrale! chargée d'examiner le projet de loi.
« Le président de la chambre de commerce d'Anvers présente des observations contre le projet de loi sur la compétence en matière civile et commerciale. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Plusieurs habitants de Merckem demandent que le chef-lieu des arrondissements réunis de Dixmude et Furnes soit établi à Dixmude. »
- Renvoi à la section chargée d'examiner le budget des voies et moyens.
« Plusieurs habitants de Dixmude demandent que le tribunal de première instance de Furnes soit transféré à Dixmude. »
« Même demande de plusieurs habitants de Merckem. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de Renaix demandent que la garde civique soit divisée en deux bans et que le premier ban, qui serait composé de célibataires et de veufs sans enfants, de 21 à 36 ans, soit seul astreint, en temps de paix, aux obligations imposées par la loi sur la garde civique.»
M. Debourdeaud’huy. - L'organisation de la garde civique, dans certaines communes populeuses et peu fortunées, offre quelques difficultés. On conçoit combien il est difficile d'arracher au soin de ses affaires celui dont le travail est indispensable à sa famille. Pourquoi donc ne pas modifier la loi dans le sens de la pétition? J'en propose le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
M. Rodenbach. - Si cette proposition est accueillie par la chambre, il y a lieu à inviter la commission des pétitions à faire également un promut rapport sur les pétitions, dans le même sens, qui nous ont été adressées par les habitants de Roulers, Gand et d'une foule d'autres villes. J’en fais la proposition.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs habitants de Cortemarcq demandent que le chef-lieu de l'arrondissement administratif de Dixmude soit rétabli dans cette ville.»
M. de Breyne. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée de l'examen du budget de l'intérieur.
M. Clep. - Messieurs, décidément la manie du pétitionnement a fait invasion dans la ville et les environs de Dixmude.
Sans compter les pétitions reçues depuis trois semaines desdites localités, nous en avons encore dans la séance d'aujourd'hui quatre au moins. J'en ai pris connaissance, et toutes contiennent des prétentions que je crois exagérées.
Néanmoins, et quoi qu'il en soit, j'appuie la proposition qui vient d'être faite par mon honorable collègue de Dixmude.
Mais comme la même demande s'est déjà présentée devant la chambre dans des sessions précédentes, et qu'elle a, par deux fois, échoué, je prie la section centrale de bien vouloir examiner mûrement cette réclame, dont je me réserve de démontrer le non-fondement, lorsqu'une proposition sera faite régulièrement à cet égard.
- La proposition de M. de Breyne est adoptée.
« L'administration communale d'Ath transmet 120 exemplaires de la pétition tendant à obtenir que les deux millions de cautionnement de la compagnie du chemin de fer de la Dendre soient affectés à la canalisation de la rivière. »
- Distribution aux membres.
Le bureau du sénat fait connaître la renonciation des sieurs J.-U Romanetti et Marc Schad à leurs demandes de naturalisation ordinaire.
- Pris pour information.
M. Allard, au nom de la section centrale du budget de la guerre qui a. examiné, comme commission, le projet de loi relatif au contingent de l'armée, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met ce projet de loi à l'ordre du jour de demain.
Rapports sur des demandes en naturalisation
M. Moreau et M. Van Cleemputte déposent plusieurs rapports de la commission des naturalisations, sur des demandes de naturalisation.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports.
M. Vanden Branden de Reeth. - Je demande la parole pour présenter à la chambre un rapport sur deux pétitions adressas à la chambre par des négociants et armateurs d'Anvers, et qui ont été renvoyées à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
M. le président. - Ne serait-il pas convenable de comprendre ces pétitions dans le prochain feuilleton?
M. Coomans. - Je ne pense pas qu'il y ait discussion.
M. le président. - Il paraît que la chambre est d'accord pour comprendre ces pétitions dans le prochain feuilleton.
M. Vanden Branden de Reeth. - Je sais, M. le président, qu'il est dans les usages de la chambre de faire imprimer des feuilletons de pétitions. Mais il est arrivé plusieurs fois que, lorsque des pétitions d'un intérêt majeur étaient présentées à la chambre, le rapport s'en faisait isolément. Du reste, je n'insiste pas. En faisant la proposition de présenter son rapport, la commission dont j'ai l'honneur d'être l'organe a seulement voulu prouver que lorsque des pétitions lui étaient renvoyées avec demande d'un prompt rapport, elle s'empressait de déférer au désir manifesté par la chambre.
M. de Haerne. - Il est vrai que quelquefois, pour des objets d'une grande importance, la chambre entame une discussion particulière sur une pétition quelconque. Mais il me paraît que les pétitions sur lesquelles il s'agit de faire rapport peuvent être traitées en même temps que d'autres, parce qu'il n'y a pas péril en la demeure et que la chambre ne pourrait sans inconvénient interrompre son ordre du jour, pour se livrer à une discussion qui pourrait se prolonger.
Cependant je ferai remarquer qu'on a demandé un prompt rapport et que ce prompt rapport est motivé sur une circonstance particulière: c'est qu'une décision doit être prise avant la fin de l'année. Je demanderai donc que les pétitions sur lesquelles l'honorable préopinant doit faire rapport soient comprises dans le prochain feuilleton, et que la chambre s'occupe de ce feuilleton vendredi en huit ou plus tôt, s'il est possible, de manière que la chambre puisse se prononcer avant sa séparation.
M. Coomans. - Je ferai remarquer à la chambre que les pétitions dont il s'agit soulèvent une question qui peut gêner jusqu'à un certain point les opérations du commerce en laissant subsister un certain doute sur le maintien d'une disposition de la loi des droits différentiels. Ces sortes de questions, quand elles sont soulevées, doivent être résolues le plus tôt possible, et pour ma part j'insiste pour que le rapporteur de la commission des pétitions soit entendu.
Je ne pense pas d'ailleurs qu'il y ait lieu de craindre que des discussions bien longues ou même qu'une discussion quelconque s'élève à ce sujet. J'espère que la chambre sera unanime pour écarter la pétition première qui en a provoqué une autre.
M. H. de Brouckere. - Je ferai remarquer qu'une discussion n'amènerait aucun résultat possible. A la suite de la discussion, tout ce que la chambre pourra faire sera de renvoyer les pétitions à M. le ministre des affaires étrangères. La question restera tout entière et les intéressés ne seront pas plus avancés qu'avant la présentation du rapport.
J'insiste donc pour qu'on ajourne ce rapport qui pourrait entraîner une très longue discussion.
M. le président. - M. de Haerne a proposé de comprendre les pétitions sur lesquelles M. Vanden Branden de Reeth doit faire rapport, dans le prochain feuilleton, feuilleton dont la chambre s'occuperait avant la fin de l'année.
Je mets cette proposition aux voix.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La parole est à M. Moncheur.
M. Moncheur ; - Messieurs, je serai bref, car après la discussion intéressante que vous avez entendue hier, discussion dans laquelle tant de faits pertinents, tant d'arguments concluants, ont été apportés à la tribune et d'où résulte au moins la nécessité d'apporter de profondes modifications dans les tarifs des péages sur nos voies navigables, je conçois et je partage (page 318) l'impatience de la chambre d'entendre enfin l'honorable ministre des travaux publics. Cependant, messieurs, j'ai cru nécessaire de faire à la chambre quelques observations à l'occasion d'un fait qui a été allégué hier par un honorable député de Liège. L'honorable M. Lesoinne a dit hier, messieurs, que par suite de l’abaissement du tarif des péages sur la Sambre inférieure, le marché de la France était entièrement perdu pour le bassin houiller de Liège. Messieurs, les données me manquent pour apprécier jusqu'à quel point, depuis 1847, époque à laquelle le péage a été abaissé sur la Sambre inférieure, jusqu'à quel point, dis-je, il a pu y avoir diminution dans les rapports si anciens qui existaient entre le bassin de Liège et le marché de France.
Je ne sais pas non plus, messieurs, jusqu'à quel point, cette année notamment, les événements politiques ont pu influer sur un ralentissement plus ou moins considérable dans les rapports existant entre le bassin houiller de Liège et les marchés de Charleville et de Mézières; mais, messieurs, ce que je sais c'est qu'à présent encore de nombreux et forts convois de bateaux venant de Liège se voient remontant la Meuse et se dirigeant vers la France. Toutefois, messieurs, dans la supposition que le fait avancé par l'honorable M. Lesoinne ne soit pas exagéré, ce que je tiens à dire à la chambre, surtout pour les membres nombreux de cette assemblée qui ne se trouvaient point ici lorsque la loi réparatrice de 1847 a été portée relativement à la Sambre inférieure, c'est que celle loi n'a fait que réparer une injustice et ramener à un état normal un état de choses qui était injustifié et injustifiable.
En effet, messieurs, d'après un tarif établi en vertu de la loi du 1er septembre 1840, les péages sur la Sambre inférieure, c'est-à-dire, entre Charleroy et la frontière française, étaient de 10 centimes seulement, sur les houilles, les ardoises, les fontes, les terres plastiques, le sable et les briques réfractaires, tandis que sur la Sambre inférieure canalisée, c'est-à-dire, entre Charleroy et Namur, le péage était de 19 centimes et une fraction, c'est-à-dire à peu près 100 p. c. en sus. Vous comprenez, messieurs, que cela constituait une véritable injustice. J'ignore quelle a pu être l'opinion de l'honorable membre dont je viens de parler, relativement à la question des péages sur la Sambre inférieure, mais je connais assez ses principes larges en matière de tarifs, de péages et de barrières, en général, pour être convaincu qu'il n'a pas pu s'opposer à une semblable mesure.
L'état auquel un terme a été mis par la loi du 16 mai 1847 était d'autant plus injuste à l'égard de Namur qu'avant la canalisation, qui a élevé les péages à un taux exorbitant, la navigation était, il est vrai, défectueuse, mais le fret ne coûtait presque rien.
Ainsi, messieurs, la loi de 1847 n'a fait que réparer une injustice. Mais a-t-on même perdu de vue, en faisant cette loi, les intérêts du bassin de Liège ? Non, messieurs, il a été prouvé à la section centrale que l'abaissement des péages sur la Sambre inférieure n'aurait pour résultat que d’amener le fret entre Charleroy et Namur au même chiffre que le fret entre Liège et Namur.
En effet, avant l'abaissement du tarif, le fret entre Charleroy et Namur était de 4 francs, et le résultat de l’abaissement a été de le réduire à 3 fr. Or, 3 francs, c'est le fret entre Liège et Namur.
Vous voyez donc messieurs, qu'il y a au moins égalité, par suite de cette mesure réparatrice.
Ce qu'il faut à Liège, et ce que Liège aura, car c'est dans la nature et la nécessité des choses, c'est une amélioration considérable du régime de la Meuse. Lorsque des travaux assez importants auront été exécutes à la Meuse, pour admettre constamment une navigation utile...
M. de Man d'Attenrode. - Vingt millions !
M. Moncheur. - Il ne s'agit pas de 20 millions, parce que je ne prends pas pour point de départ la fameuse déviation qui n'est pas nécessaire, à mon point de vue, pour amener une navigation utile ; je dis que lorsque des travaux qui ne peuvent pas coûter, selon moi, la huitième partie du chiffre qu'on vient de mettre en avant, auront été exécutes (et il en a déjà été sur plusieurs points), le fret diminuera sensiblement en amont de Liège et sur la partie que Liège doit parcourir pour atteindre la frontière française; alors Liège pourra espérer peut-être et je l'espère aussi pour le bassin liégeois, pourra, dis-je, espérer de rivaliser avec Charleroy, non pas seulement contre la Sambre canalisée, mais surtout contre le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse, chemin de fer qui de Marchiennes conduira les charbons à Vireux.
Voilà, messieurs, un objet que j'ose recommander vivement à la sollicitude de M. le ministre des travaux publics : c'est la continuation et le perfectionnement des travaux qui ont été entrepris sur la Meuse, pour améliorer la navigation dans ce qu'on appelle les mauvaises passes, c'est-à-dire dans de nombreux endroits où il est impossible de naviguer, les trois quarts de l'année, avec un chargement quelque peu considérable. Ce ne sont pas là des travaux gigantesques ; ils ont été entrepris et finis déjà sur un grand nombre de points. Je ne dis pas qu'ils aient atteint un immense résultat, je ne dis pas que l'on n'eût pas pu faire mieux encore ; mais il est certain que sur un grand nombre de points où l’on a déjà fait des travaux, une amélioration considérable a été apportée à la navigation de la Meuse.
Eh bien, je ne sache pas que des sommes immenses aient été dépensées jusqu'à présent pour l'amélioration de ces points, il en reste encore beaucoup à traiter, mais je crois qu'avec une dépense modérée on pourra arriver à rendre la Meuse navigable en toute saison, sauf celle des gelées, de manière que la moyenne du fret éprouvera une diminution très sensible.
Messieurs, pour en revenir aux péages, je conclurai en émettant un vœu: c'est qu'il y ait constamment de la part de l'administration une tendance à ramener l'égalité dans les tarifs des péages eu égard à un même poids transporté et à une même distance parcourue.
En effet, il m'est avis qu'il ne faut pas que dans le même Etat les uns payent 4 fois, 8 fois même autant que d'autres pour transporter le même poids de la même marchandise sur des voies identiques ou de même espèce.
Or, c'est ce qui arrive aujourd'hui. Il a été, en effet, prouvé, dans la discussion d'hier, que sur certains canaux on paye 5 et 6 fois autant que sur certains autres pour transporter le même poids de la même marchandise à la même distance. Je crois qu'il faut ramener l'égalité dans ces péages ; cela pourrait, il est vrai, donner lieu à quelques tiraillements, aussi je ne pense pas qu'on puisse arriver trop brusquement à cet étal d'égalité, mais on doit au moins avoir constamment en vue ce but qui, s'il est atteint, peut seul nous soustraire aux difficultés inextricables qui, comme vous le voyez, renaissent sans cesse sous nos pas.
(page 359) M. Ansiau. - Messieurs, les orateurs qui ont pris la parole dans la séance d'hier, sont presque tous d'accord en un point : à savoir qu'il y a lieu de dégrever le bassin du Centre, de la charge inique de n'user de la navigation sur le canal de Charleroy, qu'à la condition de payer, pour le parcours de la moitié de ce canal, des péages aussi élevés que pour le parcours entier.
C'est qu'en effet, l'injustice est flagrante, et qu'il n'est pas possible de justifier, aujourd'hui surtout, une mesure aussi préjudiciable aux intérêts de la localité à laquelle on l'applique, qu'aux intérêts des consommateurs eux-mêmes, qu'aux intérêts généraux.
On vous l'a dit, messieurs, le péage perçu sur le canal de Charleroy, est de 20 centimes, et une fraction pour le bassin de Charleroy.
Ce même péage est de 36 centimes pour le bassin du Centre !
Savez-vous qu'elle est la moyenne des péages sur les autres voies navigables du pays? Cette moyenne est à peine de 7 centimes, par tonne et par lieue.
Le péage pour les charbons du Centre est donc quintuple de ce qu'il est sur les autres canaux de la Belgique.
Le rapprochement seul de ces chiffres, eu dit plus que tous les raisonnements auxquels on pourrait se livrer.
D'un autre côté, les capitaux absorbés par l'établissement du canal de Charleroy ont été recouvrés depuis assez longtemps par les péages perçus; il n'y a donc de ce chef aucune objection à opposer à la demande des exploitations du Centre.
Et quant à cette prétendue nécessité de maintenir l'équilibre entre les divers bassins, par l'application de tarifs différents selon l'origine ou la qualité d'un produit, on en a fait déjà grâce à Dieu bonne justice. On' a montré tout ce qu'un pareil système a d’absurde, et comment, poussé à ses dernières conséquences, il réaliserait certaines idées chères à nos réformateurs modernes.
L'Etat n'a rien à voir dans la condition de la production ; il n'a pas la mission de se poser en arbitre au milieu des foyers de l'industrie. Son devoir, on l'a dit, est de laisser faire, et sous prétexte de rétablir l'équilibre, il ne peut rançonner l'un à l'avantage de l'autre: pas de privilège en matière d'impôt, c'est le devoir du gouvernement, et c'est notre droit à tous.
(page 318) M. Jullien. - Je demande à la chambre la permission de dire quelques mois dans cette discussion. Trois systèmes ont été produits par les différents orateurs que vous avez entendus.
Le premier système consiste à rétablir l'ancien tarif du chemin de fer pour le transport des houilles et à maintenir celui des péages du canal de Charleroy. Dans le second système, on abaisserait le tarif des péages de ce canal pour le mettre en rapport avec le tarif des prix du chemin de fer; enfin, messieurs, d'après le système du gouvernement, il n'y aurait lieu d'introduire aucune modification au tarif du chemin de fer établi le 1er septembre, pas plus qu'il n'y aurait lieu d'en introduire au tarif fixé pour le canal.
Quel est le système auquel on doit s'arrêter?
Deux points me paraissent désormais irrévocablement acquis à ce débat ; le premier, c'est que le gouvernement est tenu de mettre le tarif des chemins de fer en rapport avec le tarif des péages; le second, c'est que d'après l'état des choses résultant du tarif du 1er septembre, il y a entre les deux tarifs une différence assez sensible, différence que certains orateurs ont portée à 30 p. c.
- Un membre. - C'est la question.
M. Jullien. - Cette différence, ne fût-elle pas aussi sensible, n'en constitue pas moins une anomalie illégale. Le gouvernement ne peut maintenir cette anomalie, sans engager sa propre responsabilité, sans fouler aux pieds le principe, et la prescription même de la loi de 1834. Il ne peut maintenir cette anomalie, alors même qu'il serait vrai, comme il le soutient, que la réduction du tarif du chemin de fer ne doit affecter en aucune manière les revenus du canal de Charleroy, alors que ce canal, nonobstant la réduction des prix du chemin de fer, devrait toujours produire le revenu de 1,500,000 fr.
Car dans cette hypothèse toute gratuite, les industriels des bassins de Charleroy et de Mons pourraient toujours dire au gouvernement : Faites concorder le tarif ou chemin de fer avec celui des péages ; c'est une obligation à laquelle vous ne pouvez vous soustraire.
Cette concordance, comment l'obtenir ?
Les uns veulent l'élévation du tarif du chemin de fer ; les autres, veulent l'abaissement du tarif des péages.
C'est au gouvernement qu’il appartient de choisir. A lui revient toute la responsabilité de ce choix. Cette responsabilité tout entière pèsera sur lui, tant et aussi longtemps que le tarif du chemin de fer n'aura pas été réglemente par une loi. Je reconnais qu'on ne doit point forcer la main au gouvernement: je reconnais qu'il lui faut un délai moral pour se prononcer sur le choix qu'il est appelé à faire parmi les moyens qui lui sont indiqués. Mais encore une fois il ne peut décliner l'obligation de faire concorder les tarifs du chemin de fer avec ceux des péages.
Quelles sont les bases que suivra le gouvernement dans la révision des tarifs du chemin de fer ? Je l'ignore. Je n'ai pas la prétention de formuler une proposition sur ce point.
Peut-être cependant, le gouvernement, dans des vues de conciliation, et pour ne pas céder plutôt aux exigences des uns que des autres, donnerait-il apaisement à tous les intérêts, en augmentant modérément les tarifs du chemin de fer, et en diminuant modérément le tarif des péages du canal de Charleroy.
Quoi qu'il fasse, quelque parti qu'il prenne, le gouvernement n'en a pas moins un acte de justice à accomplir envers les autres personnes du pays qui ne sont pas, elles, en rapport direct avec le chemin de fer ou avec les canaux.
On a dit que le gouvernement ne devait avoir qu'un poids et qu'une mesure.
On veut qu'il n'y ait qu'un poids et qu'une mesure dans l'assiette des tarifs du chemin de fer et des péages. Eh bien, pour être juste il faudrait aussi dégrever les frais de transport par l'abaissement des droits de barrière dans la partie du pays déshérites de canaux et de chemins de fer. Sans ce dégrèvement, il y aura toujours avantage pour les provinces dotées de ces voies de communication et fardeau pour les autres.
L'abaissement des droits de barrière, vous a dit M. le ministre des travaux publics dans une précédente séance, est une chose impossible. Eh quoi ! Vous trouvez le moyen d'abaisser le tarif du chemin de fer, en vous exposant à créer un déficit pour le trésor, et vous ne trouveriez pas moyen d'abaisser les droits de barrière ! Ce que vous faites pour le chemin de fer, vous ne le feriez pas pour les droits de barrière dont le fonds général (page 319) réduit sera toujours suffisant pour pourvoir à l'entretien des routes, entretien qui dans l'origine était sa première, son unique destination.
Y. aurait-il dans la famille belge des provinces bâtardes ? Les provinces de Limbourg et de Luxembourg, pour avoir été honteusement mutilées, n'attireraient-elles donc les regards du gouvernement, que lorsqu'il s'agira de leur demander des impôts !
Qu'on veuille bien y réfléchir, nous avons le droit d'être traités sur le même pied d'égalité que les autres provinces.
Le gouvernement ne peut méconnaître cette vérité, sans enfreindre la première loi de toute association politique. Aussi, j'ai l'entière confiance que M. le ministre des travaux publics reviendra à un autre ordre d'idées et qu'il saura veiller aux intérêts des provinces dont le malheur est un titre de plus sollicitude du gouvernement.
M. Deliége, rapporteur. - Je m'attendais fort peu, lorsque j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre le rapport sur la loi qui est aujourd'hui en discussion, que cette loi serait l'occasion d'un débat de plusieurs jours. Je dis l'occasion ; car vous avez remarqué tous qu'il ne s'est nullement agi du projet de loi maintenant en discussion, qu'il s'agit de toute autre chose; que c'est une espèce de combat engagé d'un côté entre le bassin du Centre et le bassin de Charleroy, d'un autre côté entre les partisans du canal et les partisans du chemin de fer.
D'un côté, le bassin du Centre attrait devant vous le bassin de Charleroy. Il demande pourquoi il paye 31 c. 1/2 par tonneau et par ligne, tandis que le bassin de Charleroy ne paye que 31 c.
Cette demande a fait l'objet du discours de l'honorable député de Soignies.
D'un autre côté, c'est le bassin de Charleroy qui vient nous dire : La grande diminution, la diminution de 75 p. c. que le ministère vous propose de me continuer sur les charbons que j'exporte ne me suffit plus. Il est juste que l'on abaisse aussi les péages sur les charbons que je transporte à l'intérieur.
Cette dernière requête, messieurs, on l'appuie par tous les moyens possibles.
Les membres les plus éloquents de la chambre, M. Dumortier, M. Dechamps, M. de Brouckere, enfin M. Dolez lui ont prêté l'appui de leur talent.
Quant à la question soulevée par l'honorable député de Soignies, elle est traitée dans le rapport que la section centrale m'a chargé de vous présenter.
Le bassin de Charleroy, avant la construction du canal, se trouvait, par les routes anciennes, à dix lieues de Bruxelles; le bassin de Charleroy en était également distant de dix lieues.
N'était-il pas juste que les deux bassins acquittassent le même péage? C'est ce qui a toujours eu lieu; et c'est ce qui a encore lieu aujourd'hui Seulement le péage qui était primitivement de 3 fr. 60 c. par tonneau est depuis le 17 décembre 1832 de 3 fr. 7 c, ce qui fait une différence de plus de 17 p. c.
J'ai dit, dans le rapport, que Charleroy se trouve dans une position relativement moins bonne vis-à-vis du bassin du Centre quoique acquittant le même péage ; car pour arriver sur l'important marché de Bruxelles, il a 15 lieues à faire et le Centre 10 lieues.
Ainsi les produits du Centre peuvent arriver neuf fois sur le marché de Bruxelles, quand les produits de Charleroy y arrivent six fois, ce qui fait 50 p. c. de différence dans les frais de voyage.
Le bassin du Centre a un second avantage; celui de fournir des produits relativement meilleurs, celui de fournir des produits excellents. Ils sont, en outre, d'une exploitation plus facile, moins dispendieuse.
Le bassin du Centre a un troisième avantage, c'est d'être relié à toutes les exploitations charbonnières, par des embranchements et par des chemins de fer.
Ces avantages si grands, si évidents, l'honorable député de Soignies ne les a pas contestés ; il les a passés sous silence. Mais il s'est borné à contester deux points tout à fait secondaires du rapport de la section centrale.
. Dans ce rapport, j'ai dit que si on avait construit le canal de manière à faire faire aux charbons de Charleroy un détour de 5 lieues; que si on n'avait pas suivi le tracé par Nivelles, c'était pour passer à portée du Centre. L'honorable M. Faignart a dénié cette allégation. Il a dit que la réalisation du tracé par Nivelles était impossible.
Cette allégation, je l'ai trouvée d'abord dans la pétition d'un homme qui a fait partie de cette chambre et qui y a laissé une réputation bien méritée de loyauté et de sincérité, je l'ai trouvée dans une requête présentée à la chambre par l'honorable M. Gendebien.
J'ai trouvé, messieurs, une autre preuve que le tracé de Nivelles n'était pas impossible. Cette preuve, je la rencontre dans le rapport fait par M. l'inspecteur Vifquain. en 1839. On y lit à la page 161 :
« Entre ces deux tracés qui eurent dans le temps leurs partisans respectifs, le choix ne pouvait être douteux; car tandis que celui qui touchait Nivelles offrait de plus grandes difficultés d'exécution, en exigeant plus de dépenses et en restant constamment éloigné des carrières, avant d'entrer dans le district houiller de Charleroy, la ligne qui traversait Seneffe et Bestrefaite touchait les riches carrières de Feluy et d'Arquennes et venait ensuite se serrer contre la zone des houillères district du Centre. Ces deux puissantes considérations décidèrent la question. »
Ainsi, messieurs, ces deux puissances considérations qui ont fait faire un détour de 5 lieues au canal, ce sont 1° les riches carrières de Feluy et d'Arquennes, et 2° la zone des riches houillères du Centre, et non, comme l'a dit l'honorable député de Soignies, l'impossibilité de réaliser le tracé par Nivelles.
J'avais aussi dit, dans mon rapport, que lorsque l'on avait établi le péage de 3.07 c, pour le bassin du Centre comme pour le bassin de Charleroy, les exploitants du premier de ces bassins s'étaient bien gardés de réclamer, que la conception de faire payer les mêmes péages aux deux bassins, qu'ils traitent aujourd'hui de bizarre, n'avait pas été alors le sujet d'une seule réclamation.
L'honorable M. Faignart a répondu que je me trompais, que les exploitants du Centre avaient réclamé. M. Faignart a été mal renseigné sur ce premier point. Le rapport de M. Vifquain le prouve; et en attendant qu'il me démontre que les réclamations dont il parle ont été formulées par des pétitions au gouvernement, je me permettrai de lui dire qu'il est mal renseigné sur le second point, comme il a été mal renseigné sur le premier.
Maintenant, messieurs, je me permettrai de vous dire quelques mots de la question soulevée entre le chemin de fer et le canal. Je vous demande quelques moments de bienveillante attention. Liège a été attaqué; il faut que Liège se défende.
Suivant les honorables membres qui ont porté hier la parole, on ne peut sortir de ce dilemme : ou il faut augmenter le tarif du chemin de fer, ou il faut diminuer les péages.
Je crois, messieurs, que nous pouvons en sortir. Je crois que l'on a trompé grossièrement les bateliers du canal ou au moins qu'ils sont atteints d'une panique qui disparaîtra devant l'évidence des faits.
Quel est le prix du transport de 1,000 kilog. de charbon par chemin de fer et par le canal de Charleroy ?
Par le chemin de fer il est, pour le parcours sur le chemin de fer de la société anglaise, de 80 c., et pour le parcours sur le chemin de fer de l'Etat, de 3 fr. 70 c. Total 4 fr. 50 c.
Par le canal de Charleroy il est, suivant la déclaration du sieur Kupper et consorts, de 6 fr. 80. c.
Différence 2 fr. 30 c.
Mais dans ces 2 fr. 30 c, on compte 2 fr. pour arriver au canal.
« Droit des embranchements », y est-il dit, 1 fr.
Prix moyen du transport de la fosse aux embranchements, 1 fr.
Total, 2 fr.
Si l'on paye 2 francs par 1,000 kilogr. pour arriver au canal, mais ne faut-il pas certains frais pour arriver au chemin de fer?
A Liège, ces frais grossissent considérablement le fret.
Au chemin de fer de Manage, en supposant même que toutes les houillères soient rattachées par des lignes de chemin de fer secondaires, il a fallu aux exploitations des capitaux pour établir ces lignes. Il faut sur ces lignes des frais de traction, il faut des frais de chargement et de déchargement, il faut un personnel. Il y a donc déjà de ces divers chefs un chiffre à déduire, des 6 fr. 80 cent, dont il vient d'être fait mention.
Mais il y a encore une autre déduction à faire, M. Kupper et autres commissaires délégués par les marchands de charbon ont compté pour frais d'usure du bateau, goudron, etc., 800 fr. pour dix-huit voyages; je me crois autorisé à dire que c'est la une grande exagération.
On dit que le bateau jaugeant 69 tonneaux coûte 2,500 fr., tandis que je lis à la page 182 du rapport de M. Vifquain : « Le bateau qui transporte à Bruxelles et sur toute la navigation de la Belgique, coûte 2,500 francs bien conditionné et entièrement gréé. Un tel bateau charge 70 tonneaux de marchandises.
« Son entretien , y compris l'amortissement, coûte annuellement fr. 412-50. »
Ainsi, M. Kupper et les autres délégués des marchands de charbons, ne se sont trompés que de moitié, quand ils ont portés dans leur déclaration le chiffre de 800 fr. au lieu de 412 fr. 60 c, et les bateaux on les a portés pour une valeur de 3,500 fr., alors que le prix n'en est que de 2,500 fr.
M. Vifquain, dans le même rapport, dit que le prix du fret monte à 5 fr., par le canal.
Il y a, messieurs, une chose que je puis vous garantir, c'est que, il y a deux ans, il y a trois ans, le prix du fret était de 5 francs. Celui qui veut me faire l'honneur de venir à quelques pas d'ici, après la séance, je puis le lui prouver par une quantité de factures. Je ne vous les lirai pas, messieurs, mon habitude n'est pas de citer des noms propres, mais je puis vous dire et je puis vous certifier que le fret par le canal pour arriver à Bruxelles, est de 5 fr. (Interruption.) Ces messieurs disent que le prix est de 5 francs à 5 fr. 35 c. Ainsi, messieurs, la différence n'est pas bien grande, lorsque ceux qui détendent le canal de Charleroy viennent vous dire qu'il est de 5 fr. à 5 fr. 55. c.
Enfin, messieurs, le déchargement des waggons et le rechargement sur (page 320) les voilures pour la conduite dans l'intérieur de la ville exigeront presque toujours le dépôt, et un dépôt d'autant plus coûteux qu'il devra se faire hors de la station, tandis qu'une grande quantité de charbon, conduite par le canal, dit M. Vifquain, page 182 de son rapport, reste ordinairement, et surtout pendant les gelées et les interruptions de la navigation, emmagasinée dans les bateaux. Cet avantage rendra toujours les opérations par le canal bien moins coûteuses. Enfin, messieurs, pour le transport de la houille sur le chemin de fer, il s’opère un tamisage qui fait perdre considérablement à !a marchandise. Il s'opère un déchet qui doit entrer en ligne de compte.
Faisons état : 1° de ce déchet; 2° des frais d'emmagasinage ; 3° des exagérations faites pour les frais d'entretien et d'usure du bateau portés au double, enfin 4° des 2 francs portés pour aller de la houillère au canal et vous verrez que, même avec le dernier tarif, le canal pourra soutenir la concurrence avec le chemin de fer ; que l'état actuel continuera, c'est-à-dire que le canal restera couvert de bateaux chargés de houille, enfin que les craintes chimériques inspirées aux bateliers disparaîtront.
Messieurs, on vous propose une chose, on vous propose de réduire les péages sur le canal de Charleroy et l'on donne à cette question de grandes proportions. Eh bien, messieurs, réduisons-la à sa juste valeur, savez-vous ce qu'elle est? C'est une question entre les marchands de charbon et les consommateurs. Qu'arrive-t-il aujourd'hui? Il arrive que les habitants de Bruxelles, par exemple, payent le charbon, première qualité. 13 fr. les 500 kil.
A combien revient-il au marchand? 5,000 kil. de houille toute première qualité coûtent 45 fr.; le chemin de fer, d'après le tarif, prend 22 fr. 60 c. ; l'octroi de Bruxelles est de 20 fr. 60 ; le transport à domicile, en le portant bien haut, coûte 10 fr. ; total 98 fr. 20 c, soit pour 500 kil. 9 fr. 82 c. au lieu de 13 fr., et souvent encore le consommateur n'a que des produits d'où l'on a tiré la grosse houille, n'a que des produits mêlés.
Il est fort beau, sans doute, messieurs, par le temps qui court, de faire un bénéfice net de 25 p. c, et je conçois que cette question ait pu émouvoir les marchands de charbon.
Dans l'état actuel des choses qu'arrivera-t-il? On ne détaille pas un bateau de charbon de 70 tonneaux, comme on détaille un waggon de 5,000 kilog.
Aujourd'hui, l'habitant de Bruxelles s'adressera directement à la fosse, et la fosse lui enverra du charbon ; par cette opération bien simple, il fera un bénéfice net de 25 p. c.
Je suis donc fondé à croire que l'émotion ne provient pas des bateliers; mais qu'elle a été inspirée par les marchands de charbon.
Du reste, je me place à un point de vue beaucoup plus élevé, et je me demande : Le chemin de fer, pourquoi transporte-t-il? Pour qui transportera-t-il par la suite, alors qu'il sera même augmenté?
Mais, messieurs, il transportera pour toute la Belgique; déjà aujourd'hui il transporte pour beaucoup de localités, tandis que les canaux ne transportent que pour certains districts. On ne parviendra certainement jamais à faire des canaux partout. Il y a plusieurs provinces qui en sont encore aujourd'hui déshéritées.
Il est évident que le point de vue auquel je me place est beaucoup plus élevé que celui auquel se placent les défenseurs des canaux.
Messieurs, on vous a dit aussi : « Si vous ne voulez pas voir s'augmenter le déficit qui existe dans le trésor public, augmentez les péages sur votre chemin de fer. »
Eh bien, moi, je dis : « Si vous ne voulez pas voir s'augmenter le déficit qui existe dans le trésor public, diminuez plutôt les péages sur le chemin de fer. » Cela est évident. J'ai les faits pour moi.
Qu'est-il arrivé en Angleterre? Qu'arrive-t-il aujourd'hui en France? Qu’est-il arrivé, entre autres, pour le chemin de fer anglais d'Arlington.
Lorsque le chemin de fer d'Arlington a été construit, les propriétaires des terrains qu'il devait traverser, voulant en empêcher la construction, formèrent une espèce de ligue; ils prirent une meure qui, selon eux, devait le rendre impossible, ils parvinrent à faire insérer dans l'enquête et dans le cahier des charges que le chemin de fer devait transporter, non au prix de 39 centimes, taux auquel on transporte sur notre chemin de fer, mais au prix fabuleux de 15 c.
Eh bien, messieurs, la compagnie a fait le chemin de fer d'Arlington, et qu'est-il arrivé ? C'est que la compagnie a été constamment dans un état prospère, qu'elle a réalisé des bénéfices qui se sont élevés à 11 et à 12 p. c. !
Voilà, messieurs, un des effets de la tarification du chemin de fer que l'on repousse avec tant de paroles et avec des paroles si énergiques.
On a cité la France, eh bien, le chemin de fer du Nord transporte les marchandises pondéreuses à des prix moindres que les nôtres. C'est ainsi que le tarif français est de 25 centimes pour les houilles. Cette circonstance est certainement une des causes par lesquelles le chemin de fer est en voie de prospérité.
Il y a une seconde cause de cette prospérité, c'est que le chemin de fer du Nord a organisé ses services sur une plus grande échelle que les nôtres, c'est qu'il a établi de nombreux services de nuit, avantage que nous n'avons pas encore chez nous et qui doit faire l'objet de l'attention de l'honorable ministre des travaux publics; voilà pourquoi ce chemin de fer est en vue de prospérité.
Messieurs, je dois dire quelques mots de la prospérité et de la prospérité toujours croissante qu'à obtenue la province de Liège par le moyen de ses députés. On vous a dit hier : « Les députés de Liège ont toujours obtenu et obtenu beaucoup. »
Eh bien, je le demande à cette chambre ; qu'avons-nous obtenu ?
Nous avons obtenu le canal latéral qui n'est pas encore fait. Qu'avons-nous obtenu de plus ? Le chemin de fer ? Eh bien, le chemin de fer, comme il a été fait, ne procure pas à Liège toute l'utilité que Liège pourrit en tirer. Le chemin de fer de Liège n'est pas à Liége, il est tout au bout de Liège. Jusqu'à présent nous avons réclamé une station intérieure, nous n'avons pas encore pu l'obtenir.
Pour la Meuse, qu'avons-nous obtenu? La Meuse est encore aujourd'hui à peu près à l'état de nature, à l'état sauvage.
Pour l'Ourthe, qu'avons-nous obtenu ? Il a été projeté un canal; ce canal est toujours à l'état de projet.
Qu'avons-nous obtenu pour la Vesdre? La Vesdre était navigable jusqu'à Fraipont; la Vesdre est aujourd'hui un misérable ruisseau.
Et qu'avons-nous obtenu pour nos charbons?
Nous possédions avant l'établissement du chemin de fer le marché de Louvain. Nos charretiers, qui avaient conduit en Allemagne les marchandises arrivant d'Anvers, chargeaient nos charbons, en retournant dans cette ville. Aujourd'hui les nouveaux tarifs du chemin de fer nous permettent de concourir de nouveau avec le charbon de Charleroy sur le marché de Louvain et on veut nous le fermer.
Nous transportions nos charbons à Rotterdam et maintenant les charbons du Hainaut y arrivent au moyen d'un fret qui est à celui qui grève nos charbons, comme un est trois ! Une lueur d'espérance s'était levée pour nous, du côté de la Prusse, et bientôt en peu de mois, elle a disparu.
Nous possédions, au moins en partie, le marché français, et le Hainaut nous l'a enlevé.
Je conçois que l'honorable M. Moncheur, à son point de vue, ait contesté ce fait. Il a vu, dit-il, il a vu de ses propres yeux, des bateaux remontant la Meuse, et venant de Liège aller en France, chargés de charbon.
Eh bien ce fait est vrai. Dans la disette, il y a eu ici un grand mouvement de grains, et ces grains ont été conduits à Liège ; les bateaux vides, retournant en France, ont chargé du charbon.
Je prends les chiffres que l'honorable membre a bien voulu nous donner; il a dit : « Les charbons du Centre arrivent chez nous au prix de 3 francs 10 centimes, et aujourd'hui Liège arrive aussi chez nous avec un fret de 3 fr. et des centimes. »
Messieurs, c'est la plus grande des erreurs. Il est impossible que le bassin de Liège conduise à Namur au prix de 3 francs et des centimes; le fret est encore aujourd'hui de 5 fr. Je demande à l'honorable M. Moncheur, dont je connais toute la loyauté, qu'il veuille bien se renseigner.
M. Moncheur. - C'est dans le rapport de la section centrale que j'ai puisé ces chiffres.
M. Delfosse. - Il a été démontré que c'était une erreur.
M. Deliége. - Messieurs, il me semble que cette discussion doit aboutir, et voici ma conclusion, elle est fort simple ; des faits sont en présence; les faits que je vous ai cités, je les ai puisés tous dans des pièces authentiques ; aucun de ces faits n'a été avance par nous, sans que nous l'ayons prouvé ; c'est sur des pièces authentiques imprimées depuis plusieurs années et non pour le besoin de la cause que je me suis appuyé.
Je demande que le gouvernement veuille bien examiner la question quand elle sera mûrie, quand tous les intérêts auront été entendus, le grand intérêt public, j'en suis certain, prévaudra. Je prie M. le ministre de s'occuper le plus tôt possible de cet examen. S'il y a quelque chose à faire, le gouvernement proposera une mesure, nous y adhérerons tous.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, les orateurs qui ont pris la parole dans la séance d'hier ont adressé au gouvernement, et en particulier au ministre des travaux publics, des reproches de diverse nature ; on a accusé le ministre des travaux publics d'avoir montré, dans l'application de la mesure qui fait aujourd'hui l'objet de vos délibérations, une déplorable légèreté. On a dit (ce sont les termes mêmes dont on fait usage) que le gouvernement et le ministre des travaux publics en particulier semblaient avoir voulu faire sur la Belgique une expérience in anima vili. Ce ministre a traité son pays comme une matière expérimentale qui lui aurait été livrée en pâture; elle fait en ce moment l'objet de son éducation.
On a accusé en outre le gouvernement, et ce reproche remonte à mon honorable prédécesseur, de s'être laissé diriger, dans la création du nouveau tarif, par un esprit de partialité locale; d'avoir, sous l'aspiration d'un patriotisme étroit, rompu l'équilibre industriel au profit de Liège, sa ville natale, au détriment des bassins de Mons et de Charleroy.
Enfin, messieurs, on a fait encore un reproche au gouvernement de l'incroyable obstination qu'il montre à ne pas nous soumettre un projet de loi qui fixerait définitivement les tarifs.
Je pourrai, en ce qui me concerne, me justifier en très peu de mots ; je pourrai m'abriter derrière les actes de mon prédécesseur, et, rappelant à la chambre que ce tarif, objet de tant d'accusations, était décrété en principe alors que j'ai été appelé aux affaires, m'écrié comme dans la fable : « Mais je n'étais pas né ».
Toutefois, messieurs, je n'aurai garde de le faire : mon amour-propre, bien plus que ma générosité, s'y oppose. Je revendique une part de la responsabilité qui revient à mon prédécesseur pour avoir le droit de revendiquer (page 321) une part de son mérite. Car je crois que l'affaire à laquelle nous avons travaillé est excellente ; car j'ai la conviction qu'elle réalisera tout ce que mon prédécesseur et moi nous en avons attendu, tout ce que nous persistons à en attendre.
Au moment où je fus nommé au département des travaux publics, le tarif, comme je viens de le dire, venait à peine d'être décrété.
Ce fut le premier objet de mes études. Il devait être mis en vigueur à partir du 21 août. J'avais quelque temps devant moi, pour délibérer sur son exécution; et j'en profitai pour étudier mûrement, scrupuleusement ce mémoire dont mon honorable collègue a eu l'occasion de vous entretenir, et qu'il a eu raison de vous signaler comme une œuvre de conscience et de talent. Ce mémoire est celui de MM. Grosfils et Dandelin; il leur servira plus tard de titre à la reconnaissance publique.
C'est après que j'eus terminé cet examen, après que j'eus vérifié les faits et les données sur lesquels cet ouvrage repose, qu'en pleine connaissance de cause, et avec une parfaite tranquillité d'esprit, je fis mienne l'œuvre de mon prédécesseur. C'est cet examen qui a fait reculer la mise en vigueur du nouveau tarif du 21 août au 1er septembre. Du reste, le danger que mon inexpérience pouvait faire courir au pays était peu grave, par la raison très simple que voici. L'expérience d'un ministre ne se fonde pas seulement sur les faits de son observation personnelle; ce serait peu de chose , alors même que, par un miracle de longévité ministérielle, il resterait pendant 5 ou 6 ans au pouvoir, comme un honorable membre a eu l'obligeance de m'y engager dans une de vos précédentes séances.
L'homme politique qui marcherait à la lumière des faits qui se seraient passés dans un temps aussi limité, courrait risque de tomber dans des fautes nombreuses. Il faut qu'il fasse autre chose ; il faut qu'il embrasse une foule de faits dans le passé; il faut qu'il sorte des limites de son propre pays, et qu'il prenne conseil des faits qui se passent dans les pays étrangers ; et ce ne sera qu'en comparant ces faits entre eux qu'il pourra éclairer, asseoir sa conviction. C'est ainsi que j'ai fait. C'est pour cela que je suis convaincu que l'affaire qui n'est pas mon ouvrage, mais que j'ai faite mienne, est bonne. Voilà pour ce qui regarde le reproche qui m'a personnellement atteint.
J'aurai peut-être plus de difficulté à justifier mon prédécesseur de l'accusation d'injustice et de partialité qui a été élevée contre lui.
Il me semble qu'il y a quelque danger à jeter une telle accusation au milieu d'une discussion parlementaire. Car si elle est démentie par le cœur et par la pensée de celui qui la formule, si elle ne peut exercer aucune influence dans cette enceinte même, elle peut en exercer au dehors. Il importe donc de la détruire. Non, messieurs, mon honorable prédécesseur n'a pas été mû par un étroit amour de sa localité, par ce patriotisme mal compris qui fait disparaître le pays derrière le clocher d'une ville ou d'un village.
M. Dechamps. - Si c'est à moi que l'on veut faire allusion, je déclare volontiers....
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Pas le moins du monde ! Ce n'est pas à l'honorable membre que je viens de faire allusion.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a dit positivement que par le tarif du 1er novembre les intérêts de Charleroy et de Mons ont été sacrifiée aux intérêts liégeois.
M. Dechamps. - Ce sont des faits. Il ne s'agit pas d'intentions.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - On a fait remarquer que, par une coïncidence fâcheuse, l'influence liégeoise semblait depuis quelque temps avoir prédominé dans les mesures prises par le cabinet. C'est pour cela qu'il importe de revenir sur ce point.
A cette accusation s'en rattache une autre.
On prétend que mon honorable prédécesseur et moi-même, nous avons subi trop exclusivement l'influence de notre entourage, de l'administration du chemin de fer. Il n'aurait pas fallu se borner à consulter les employés placés au département. La plus vulgaire prudence aurait dû conseiller de prendre aussi conseil des intérêts engagés dans l'importante question du tarif.
On oublie, en parlant ainsi, que ce qu'on demande à la prudence du ministre, c'est précisément ce que le ministre a fait.
Après que l'ouvrage dont j'ai parlé eut été élaboré, toutes les chambres de commerce du pays furent invitées à nommer des délégués à l'effet de délibérer sur le projet de tarif; et remarquez bien qu'elles ne furent pas appelées à délibérer sur un projet qu'on leur avait laissé ignorer jusqu'au moment de leur réunion. Non, on eut soin de leur en donner communication préalable, et toutes les chambres de commerce répondirent à l'appel.
Inutile de dire que les bassins de Mons, de Charleroy, de Liège furent représentés dans les conférences qui eurent lieu, à deux jours différents, au département des travaux publics. Ce fut le 16 et le 24 juin de cette année.
Rien ne s'oppose à ce que je nomme quelques-uns des honorables et habiles délégués qui reçurent la mission de défendre les intérêts de leurs localités respectives. Pour Charleroy, ce fut M. Gendebien fils ; pour Mons, M. Sainctelette; pour Namur, M. Kegeljan ; pour Liège, M. Bellefroid. Bruxelles, qui, comme vous le savez, a des intérêts très graves engagés dans ce débat, Bruxelles pour qui plusieurs honorables membres ont pris la parole, fut représenté par un homme environné à juste titre de l'estime et de la confiance publiques, par le président de la chambre de commerce, M. Vanderelst.
Je tiens à la main le procès-verbal des délibérations de ces délégués. Pas une seule réclamation ne s'éleva contre l'abaissement du tarif ! Pas une ! Non seulement, il ne s'éleva pas une réclamation contre le trop grand abaissement du tarif, mais plusieurs réclamations se produisirent contre sa trop grande élévation.
Il y a deux manières d'expliquer ce fait extraordinaire : je n'admets ni l'une ni l'autre. La première, c'est de dire : On se sera probablement fait illusion sur les conséquences du changement projeté. Charleroy, qui a toujours été bien éclairé sur ses intérêts, aura oublié, ces deux jours, quelle était la condition d'existence de son canal, et quelle condition devait lui faire l'innovation soumise à son examen.
Même explication pour le délégué de Mons.
Vous allez voir qu'il n'en est rien, que ces messieurs ont parfaitement compris ce qui était en question ; vous allez voir que l'intérêt de la houille, l'intérêt des charbonnages n'a pas été perdu de vue.
On lit, à la page 70 de l'annexe du travail dont j'ai parlé, ce qui suit:
« M. Sainctelette (c'était, comme je viens de le dire, le délégué de Mons) reconnaît que les frais de traction sont très bas, mais il regarde les frais fixes comme pesant trop sur les petites distances.
« M. Kegeljan (le délégué de Namur) abonde dans ce sens et donne pour exemple la comparaison des prix actuels aux prix nouveaux, qu'il trouve trop élevés entre Namur et Charleroy.
« Affirmant que la plus grande quantité des transports entre Namur, Louvain et Anvers se font actuellement sur axe, malgré la création du chemin de fer, il cherche à démontrer que, pour s'assurer tous les transports de cette ville, il faudrait que l'administration lui accordât de notables avantages, soit par des prix exceptionnellement très bas, soit par des réductions sur les distances réelles de parcours. »
Ainsi vous l'entendez, messieurs, ce sont les délégués des centrer houillers eux-mêmes qui ont réclamé contre le tarif, non comme étant trop bas, mais comme étant trop élevé. Ils ont annoncé que, si on ne le baissait davantage, ils ne soutiendraient pas la concurrence contre les. rouliers eux-mêmes.
Mais écoutez, et vous comprendrez pourquoi il importait que je voue donnasse connaissance de ce document. S'il ne s'agissait que de justifier le ministre qui est aux affaires ou son prédécesseur d'une accusation dirigée contre leurs personnes, je ne voudrais pas un instant prolonger cette discussion.
Mais il s'agit d'autre chose, messieurs, il s'agit de l'autorité ou gouvernement, de l'autorité morale dont il a besoin pour remplir la tâche, l'importante et périlleuse tâche qui lui est imposée.
Quels furent les défenseurs de l'intérêt financier du pays? Quels furent ceux qui s'opposèrent à un trop grand abaissement du tarif ?
M. Dandelin répond à MM. Sainctelette et Kegeljan, « que la proposition qui vient d'être faite revient à demander que le gouvernement fasse une concurrence à tout prix aux autres moyens de transport actuellement existants; que ce système ne lui paraît pas compatible avec les intérêts bien entendus du commerce, puisque le chemin de fer, après avoir fait de notables sacrifices pour se substituer, quand même, au transport par axe ou par eau, serait obligé de revenir à une tarification plus élevée, tarification que les négociants seraient alors obligés de subir. Or la proposition de M. Kegeljan conduirait à ce résultat ; car, en accordant a une réduction de 5 lieues ou de 22 p. c. sur la distance, et conséquemment sur les prix déjà très bas du tarif nouveau, il est certain que les transports entre Bruxelles et Namur se feraient à perte. »
Les délégués insistent cependant. De même que MM. Sainctelette et Kegeljan, M. Gendebien dit : « que l'élévation des frais fixes forcera les industriels à se passer du chemin de fer entre Charleroy et Châtelineau. »
Je m'arrête un instant.
On peut me dire : L'observation de M. Gendebien porte exclusivement sur un transport à très petite distance et par terre. Le délégué de Charleroy n'a pas parlé des transports par le canal. Cette observation est juste, messieurs. Mais je vous le demande, admettrez-vous qu'au moment où il parlait ainsi, au moment où il faisait des observations contre l'élévation des frais fixes, pour le transport de Charleroy à un point donné, il aurait perdu de vue les conséquences du tarif pour le transport par le canal de Charleroy à Bruxelles ?
Que si cela pouvait se concevoir, messieurs, comment alors pourriez-vous faire un reproche au ministre de n'avoir pas été plus éclairé sur les intérêts de Charleroy que Charleroy lui-même ?
De même que les délégués des bassins houillers de Charleroy et de Mons persistèrent à défendre l'intérêt de leur industrie, les délégués du ministre persistèrent à défendre l'intérêt du trésor. M. Grosfils ne se montre pas moins zélé que M. Dandelin, et voici ce que je lis : « Faisant ensuite ressortir la nécessité de ménager les intérêts du trésor qui, de concession en concession, pourrait se trouver compromis, M. Grosfils prie MM. les membres des chambres de commerce de ne pas insister davantage sur des modifications qui pourraient tendre à diminuer les recettes, et en conséquence de maintenir intégralement les frais fixes qui ont été calculés de manière à assurer, par leur combinaison avec les frais variables, non pas un revenu exagéré, mais un produit équivalent seulement au produit de 1846, en supposant une même quantité de mouvement. »
(page 322) A la page 73, M. Sainclelette propose « pour favoriser autant que possible l'exploitation des houillères, source de travail et de richesse pour notre pays, de réduire de 50 p. c. les prix des tarifs nouveaux pour tous les transports de l'espèce destinés à l'exportation; » et plus bas, MM. Sainctelette et Bellefroid, c'est-à-dire Mons et Liège, Mons, la spoliée, et Liège, la privilégiée, déclarent, par un touchant accord, « qu'un abaissement de tarif qui permettrait aux produits des divers bassins houillers d'arriver au port d'Anvers à des prix qui rendraient possible l'exportation vers les contrées transatlantiques, satisferait à un grand intérêt national, et qu'ils appellent de tous leurs vœux la réalisation de cette mesure. »
Vous le voyez, messieurs, il y a loin de là à une protestation contre la rupture d'un double équilibre, à une protestation de Charleroy contre le centre, de Mons contre Liège.
Je crois avoir suffisamment répondu à cette accusation, dont mon honorable collègue et moi nous avons été l'objet, de n'avoir consulté que les employés du département, d'avoir subi trop exclusivement leur influence. Car, en vérité, il me semble qu'il eût été bien difficile de s'y prendre autrement qu'on ne l'a fait pour ne point s'exposer à être aveugle ou partial.
Je pourrais encore faire connaître à la chambre plusieurs autres passages non moins significatifs que ceux que je viens de lire; je les passe sous silence, et je termine par la citation de ce témoignage de reconnaissance qui clôt le procès-verbal et qui doit servir aujourd'hui encore de consolation à mon honorable prédécesseur.
« La commission est unanime pour voter de vifs remerciements aux auteurs du travail vraiment consciencieux et remarquable sur le nouveau tarif du chemin de fer, et demande instamment que le système proposé soit mis à exécution, aussi promptement que possible, par M. le ministre des travaux publics. »
Maintenant, messieurs, je suppose que cette apparente unanimité de réprobation qui s'est élevée contre le nouveau tarif, ait quelque fondement réel, quelque fondement sérieux. Mon honorable prédécesseur et moi, ne pouvons-nous pas dire : Si nous nous sommes trompés sur les intérêts du commerce, le commerce s'est trompé tout le premier ; c'est lui qui a conseillé le nouveau tarif, c'est lui qui en a pressé l'exécution?
De quel droit venez-vous prétendre que nous avons agi avec imprudence, que moi en particulier j'ai voulu faire une expérience in anima vili? Non, je n'ai point traité mon pays comme une âme vile, comme une matière expérimentale, comme un instrument de mon éducation politique. Si nous sommes coupables, les délégués de toutes les chambres de commerce de la Belgique sont nos complices.
J'ai dit, messieurs, qu'il y a deux manières d'expliquer le silence des délégués de Mons et de Charleroy, au sujet de l'injustice dont le projet de tarif menaçait les charbonnages de leurs localités. La première tirée de leur négligence ou de leur oubli ; je l'ai réfutée.
Une autre explication a été proposée dans votre séance d'hier : c'est celle qui consiste à dire que ces délégués se sont peut-être bien abstenus d'élever la voix, parce qu'ils étaient convaincus que l'abaissement du tarif aurait pour conséquence nécessaire un abaissement de péage. Je n'admets pas plus cette explication que la première. D'abord il n'y aurait pas eu de loyauté à laisser le ministre consommer ce qu'on appelle une injustice, pour le réduire, par surprise, à la nécessité de racheter cette injustice par une faveur. Ensuite cette politique, cette habileté peu digne, eût été en même temps bien périlleuse. Car, aujourd'hui encore, bien hardi serait celui qui compterait sur une réduction de péage.
Troisième reproche qui m'a été adressé.
Pourquoi, m'a-t-on dit, ne pas dégager votre responsabilité? Pourquoi vous obstiner à ne pas soumettre aux délibérations de la chambre un projet qui fixe définitivement le tarif? Un autre membre au contraire dit aujourd'hui avec plus de raison : Que le ministre se tire d'affaires comme il pourra ; qu'il élève de nouveau les tarifs, ou qu'il baisse les péages, ou bien qu'il fasse tout à la fois l'un et l'autre, pourvu qu'il le fasse à ses risques et périls ; à lui la responsabilité tout entière.
Cette responsabilité, nous l'acceptons, messieurs : c'est ainsi que nous entendons le gouvernement.
Mais un projet de tarif avait été soumis aux chambres. Pourquoi a-t-il été retiré? Ici je me suis trouvé embarrassé, car si j'avais retiré le projet, c'était tout à fait sans le savoir.
Dans mon inexpérience, je suis allé aux informations, et j'ai appris que jamais projet de loi de cette nature n'avait été soumis aux chambres.
- Un membre. - Pour les marchandises.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - N'est-ce point de marchandises qu'il s'agit? Donc, je ne suis pas coupable d'avoir retiré un projet de loi qui n'a jamais existé.
Plusieurs honorables membres nous ont demandé quand finirait cette série d'expériences. On nous a fait observer que depuis le commencement de l’établissement du chemin de fer, tous les ministres qui se sont succédé n'ont cessé de dire : Nous expérimentons, nous sommes à la recherche d'un problème dont nous n'avons pas encore trouvé la solution. Le chemin de fer est en perte, nous en convenons ; mais nous espérons de le rendre productif au moyen d'un nouveau système.
Messieurs, en relisant attentivement. depuis hier, le travail des auteurs du mémoire que j'ai eu l'occasion de citer, j'ai trouvé en effet qu'un grand nombre d'expériences avaient été tentées. Mais il y a quelque chose de consolant dans ces expériences, et le voici : C'est que toutes ont conduit à un même résultat ; c'est que toutes ont été faites en vue de procurer au commerce des transports plus faciles ou des conditions plus modérées, et ont eu en même temps pour conséquence des recettes plus abondantes; toutes, à l'exception d'une seule. Une seule, en effet, a été tentée dans un sens réactionnaire. Le but était de rendre le chemin de fer un peu moins accessible aux marchandises ; d'en faire un petit bijou de luxe destiné à transporter des voyageurs aisés, pas trop nombreux, et quelques articles de diligence, pas trop lourds, tels que dentelles et autres. Mais les grosses marchandises, il fallait les écarter ; il fallait ménager ces pauvres locomotives et les rails qui étaient destinés à les porter.
Je n'exagère rien, messieurs : car un des motifs qui furent invoqués pour rendre les conditions d'admission plus difficiles, c'est que, si l'on n'y mettait bon ordre, on n'aurait bientôt plus assez de matériel. C'est exactement la crainte qui a été manifestée l'autre jour dans cette enceinte.
M. de Mérode. - C'est une charge.
M. le ministre des travaux publics (M. Rolin). - C'est une charge, dit M. le comte de Mérode. Comme je ne suis pas habitué à faire des charges...
M. de Mérode. - Ce n'est pas vous qui avez fait la charge, ce sont ceux qui ont dit cela.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je vais lire un des considérants de l'arrêté auquel je viens de faire allusion ;
Ce considérant dit qu'il importe « de faire cesser les embarras résultant de la pénurie du matériel, en présence du développement pris tout à coup par le transport des marchandises pondéreuses sur la ligne du Midi. » (Rires sur tous les bancs.)
M. de Mérode. - C'est là la charge.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je crois avoir répondu aux diverses accusations, dont le ministère a été l'objet; mais, ces accusations écartées, il reste un débat fort grave, et sur lequel j'appelle toutes vos lumières.
Le nouveau tarif a procuré aux transports de charbons du centre, depuis Manage jusqu'à Bruxelles, un dégrèvement. On transportait autrefois les charbons de Manage à Bruxelles, à raison de 4 fr. 57 le tonneau. Aujourd'hui le transport ne coûte plus que 3 fr. 70. Je laisse de côté, de part et d'autre, les 80 centimes que l'on paye au chemin de fer de Mons à Manage. Il y a donc là un dégrèvement sensible pour le bassin du centre; et, pour ne rien dissimuler, j'ajouterai que ce dégrèvement a eu pour résultat d'amener un plus grand mouvement de marchandises, de houille, sur la ligne du Midi.
Entre les trois mois de septembre, octobre et novembre 4848 et les trois mois correspondants de l'année dernière, il y a une différence en plus de 4,755 tonneaux, soit environ 80 bateaux. De là la conséquence que le batelage, c'est-à-dire toute la population intéressée dans la navigation du canal, et les marchands de charbons de la ville de Bruxelles, se plaignent de ce que leur condition est devenue intolérable.
Il y a là, messieurs, beaucoup d'exagération; mais il y a- un côté vrai qu'il ne faut pas dissimuler. Avant de le mettre en lumière, voyons s'il peut y avoir quelque autre intérêt compromis,
Aucun, messieurs; il serait impossible d'en imaginer un seul ; le changement opéré par le nouveau tarif ne peut être qu'un bienfait pour tout le monde, les commerçants de charbons de Bruxelles, et les bateliers seuls exceptés.
Les producteurs ? Ils y gagnent de transporter leurs produits à moins de frais dans tous les centres de population, et par conséquent d'en rendre la consommation plus accessible à toutes les classes, plus abondante.
Les consommateurs? A peine, messieurs, en a-t-il été question jusqu'à ce moment.
L'honorable membre de Liège s'est souvenu d'eux aujourd'hui et j'ai été heureux de l'entendre. Car en définitive à quel point de vue le gouvernement doit-il se placer, lorsqu'il s'agit d'ouvrir des communications nouvelles, ou lorsqu'il s'agit de rendre les communications existantes plus faciles, ou plus rapides, ou moins coûteuses ? Quel est l'intérêt qu'il doit avoir en vue?
Mais, messieurs, il me semble que ce doit être avant tout l'intérêt du consommateur, surtout quand il s'agit du chai bon , c'est-à-dire quand il s'agit de cette matière qui chauffe le peuple, c'est-à-dire quand il s'agit de cette matière qui sert à alimenter toutes nos industries, toutes nos usines. (Très-bien ! très-bien!)
N'est-ce donc rien , messieurs, que de procurer à tous les fabricants le combustible à bon marché? N'est-ce donc rien, pour me placer au point de vue le plus restreint, pour ne parler que de l'intérêt de la population de Bruxelles, n'est-ce rien que de lui dire : «Votre consommation annuelle s'élève à peu près à 93,000 tonneaux; eh bien ces 95,000 tonneaux, par l'effet du nouveau tarif, vous les obtiendrez, je ne dis pas à 2 fr. 30 cent., (comme le disent les commerçants de Bruxelles), mais je suppose à 1 fr., à 75 cent, meilleur marché qu'auparavant. » (page 323) N'est-il pas vrai que c'est là un grand bienfait pour toutes les classes de consommateurs, pour le peuple , proprement dit, qui ne se chauffe que de charbon, pour le pays tout entier ?
L'honorable comte de Mérode a souvent parlé de l'intérêt des contribuables! eh bien, qu'il veuille le remarquer, ces consommateurs sont des contribuables; eussent-ils à payer 25 cent, de contributions de plus, par année, combien de fois, en un seul hiver, n'auront-ils pas regagné cet accroissement de charge ?
Les orateurs qui ont pris successivement la parole dans la séance d'hier, ont proposé des remèdes différents à un mal qui leur paraissait incontestable.
Les uns ont dit que les tarifs étaient excellents en eux-mêmes, et qu'il était impossible de songer à les élever de nouveau.
Les autres ont dit, au contraire, que nous n'avions rien de mieux à faire que de détruire au plus vite une œuvre mal conçue, et de rétablir le tarif sur l'ancien pied.
Nous remercions les premiers de l'appui qu'ils veulent bien nous prêter. Malheureusement, en disant qu'on ne peut pas élever le tarif, ils ajoutent qu'on doit abaisser les péages. Et aussitôt les divers bassins se lèvent : ici Mons, là Liège, là le Centre; chacun réclamant dans son intérêt ; celui-ci se fondant sur. l'équilibre primitif, l'équilibre de la nature; celui-là sur l'équilibre secondaire, l'équilibre qui est le fait de l'homme.
Ils prétendent que du moment que l'Etat, par l'ouverture d'une communication nouvelle, a procuré à un centre d'industrie des facilités de transport dont il ne jouissait point auparavant, il est de son devoir de compenser cet avantage par une charge plus lourde, comme il est du devoir d'une mère de partager d'une manière égale, entre tous ses enfants, ses soins et sa tendresse.
Ainsi les deux équilibres sont en présence et viennent compliquer la question à ce point, qu'il est difficile de modifier le système des péages sur une seule voie navigable, sans le modifier sur toutes les voies de la Belgique.
N'eussé-je que cette raison pour vous prier de me permettre de peser mûrement le parti que je suis appelé à prendre , je crois que je serais bien excusable d'invoquer pour moi le bénéfice du temps. J'ai entendu hier avec plaisir un des honorables membres qui ont le plus vivement critiqué les conséquences du nouveau tarif, terminer son discours en se bornant à appeler mon attention toute particulière sur les questions qu'il soulève. Qu'on en soit bien convaincu, mon attention, pas plus que ma bonne volonté, ne restera en défaut. Mais à ceux qui me disent: Le mal est clair, vous voyez qu'il y a une injustice flagrante; portez-y remède sur-le-champ; vous êtes en présence d'un dilemme, choisissez le parti que vous voudrez, mais choisissez immédiatement ; à ceux-là je résisterai de toutes mes forces.
Messieurs, pour bien se pénétrer de la condition dans laquelle le canal de Charleroy se trouve placé, il ne faut jamais perdre de vue les conditions de sa création. Le canal de Charleroy a été décrété par un arrêté du 27 mai 1827. Une condition essentielle de la concession qui en a été faite à cette époque, ce fat que la navigation par le canal se serait soumise à un péage d'un florin 70 cents (fr. 3-56) par tonneau. La concession fut sollicitée et acceptée, à la condition que je viens de dire, comme un immense bienfait, par tous les industriels des bassins de Charleroy et du Centre.
Ce péage fut fixé au même chiffre pour les deux bassins, bien qu'à partir du point où viennent aboutir les canaux d'embranchement du Centre, jusqu'à Charleroy, les sinuosités du canal ajoutent plus de six lieues à son parcours; et voici, comme on vous l'a dit, comment cette bizarrerie s'explique et se justifie. Je tâcherai de rendre l'explication plus claire encore qu'on ne l'a fait précédemment.
Bruxelles, Mons et Charleroy forment un triangle, dont la base, appuyée sur ces deux dernières villes, passe très près des charbonnages du Centre. De ceux-ci à Bruxelles, comme de Bruxelles à Charleroy, la distance, soit qu'on la mesure à vol d'oiseau, soit qu'on suive les deux routes qui, partant du Centre et de Charleroy, se rejoignent vers Braine-l'Alleud, est à peu près la même.
Le tracé primitif du canal, passant par Nivelles, eût maintenu ce rapport. Il fut ensuite modifié et dirigé vers le bassin du Centre ; mais, en le modifiant, on ne voulut point que le bassin de Charleroy pût en souffrir; c'est dans ce but que les bateaux venant de cette ville furent assimilés, pour le péage, à ceux sortis des canaux d'embranchement.
Nous avons vu que les industriels des deux bassins avaient sollicité et accueilli la création du canal, sous la condition du péage ainsi fixé, comme un grand bienfait. Cependant, dès le 17 septembre 1832, ils obtinrent que le péage fût réduit de 25 cents ; et c'est ainsi qu'il a été fixé au taux encore existant de 1 fl. 45 c, soit de 3 fr. 07 c.
Ce péage devait être perçu par les concessionnaires pendant 29 ans qui ont pris cours en 1833, et qui n'auraient expiré, en conséquence, qu'en 1862. Mais le canal fut racheté dès le 1er juin 1839, en vertu d'une loi du même jour; et trois ans après, de nouvelles et importantes modifications furent apportées au régime de sa navigation.
En vertu d'une loi du 30 juin 1842, dont la prorogation est aujourd'hui même en discussion, deux arrêtés royaux du même jour et un arrêté du 18 décembre 1845 réduisirent les péages des canaux et rivières perçus au profit de l'Etat :
1° De 75 p. c. pour les charbons de terre exportés vers la Hollande ou par mer;
2° De 50 p. c. pour une foule de productions du sol et de l'industrie du pays, fontes.de fer en gueuse ou en saumon, pierres, marbres, chaux, ardoises, sel, sucre, farines, huiles, etc, qui seraient exportés;
3° De 50 p. c. sur un très grand nombre de matières premières exotiques importées en Belgique.
La seule conclusion que je veux tirer en ce moment des faits exposés, c'est que la loi de concession du canal de Charleroy a été acceptée avec reconnaissance, à des conditions beaucoup plus onéreuses que celles dont on se plaint si amèrement aujourd'hui :
Pendant que Charleroy se plaint, par l'organe de l'honorable M. Dechamps, d'être sacrifié au Centre, Mons, par l'organe de l'honorable M. Dolez, se plaint d'être sacrifié à Liège, le canal à son tour, par l'organe de l'honorable M. Ch. de Brouckere et de plusieurs autres membres, se plaint d'être sacrifié au chemin de fer. Mais Charleroy se trouve dans cette singulière situation, qu'en même temps qu'il reproche au nouveau tarif d'avoir rompu l'équilibre qui existait auparavant entre ses charbonnages et ceux du Centre (parce que les frais variables qui en constataient la base principale, sont exactement proportionnels à la distance parcourue), il conteste la justice de cet équilibre, en demandant la réduction du péage du canal, comme étant cinq fois plus élevé que la moyenne des péages de la Belgique.
Comme l'a fort bien dit l'honorable M. Dechamps, ceux qui se posent les défenseurs de l'équilibre entre les divers charbonnages considèrent tels marchés déterminés comme appartenant en quelque sorte, en propriété, à tel ou tel centre d'exploitation houillère; et chaque fois qu'un changement de péages vient permettre à un charbonnage rival de se placer à côté du possesseur primitif, ils crient à l'équilibre rompu, aux droits de la propriété violés.
Les adversaires de ce système ne reconnaissent d'autre équilibre que celui qui a été établi par Dieu même. Ils veulent que chacun profite de la condition, de la situation que la nature lui a faite, et ils estiment qu'il n'y a rien de plus simple et de plus rationnel que de proportionner généralement et uniformément le péage à la distance parcourue.
Mais, messieurs, une voix éloquente vous l'a dit hier : le gouvernement doit se placer à un point de vue paternel. Il est le tuteur des intérêts de tous, il doit tenir compte des faits établis, il doit les concilier tous. La longue possession crée le droit; vous ne pouvez pas doter une industrie de voies de communication plus faciles, moins onéreuses, sans bouleverser les conditions d'existence d'une industrie concurrente ; ce serait d'un mauvais père.
Je pense, messieurs, qu'on ne peut admettre absolument ni l'un, ni l'autre de ces systèmes. La preuve qu'on ne peut admettre d'une manière absolue le système de l'équilibre, c'est que, poussé à ses dernières conséquences, il conduirait droit à l'absurde.
Le premier chemin vicinal qui a été créé a rompu un équilibre. Chaque fois qu'on a construit des routes, on a créé des avantages pour les localités que ces routes ont traversées, pour les usines placées à proximité de leur parcours. On a changé l'ordre de la nature. Les propriétés, les industries moins favorisées, ont-elles crié à l'injustice, à l'équilibre rompu, à la nécessité d'une réparation immédiate? Elles ne l'ont pas fait, et elles n'eussent pas été en droit de le faire. A ce prix, aucune administration ne serait possible, aucun progrès social réalisable.
Donc la proposition ne peut être vraie d'une manière absolue. Cependant à certains égards, dans certaines limites, le gouvernement ne peut méconnaître les droits de la possession ; il ne peut se placer en dehors des faits, quand les intérêts engagés sont si considérables, et que, d'un seul coup, il s'exposerait à ruiner une population tout entière.
Transiger, concilier, rejeter ce qu'il y a de trop absolu dans chaque système, faire la part de ce qui existe, et sacrifier le mieux au bien, c'est la tâche du gouvernement à toutes les époques ; c'est celle qu'aujourd'hui plus que jamais je m'efforcerai de remplir. Je ne puis dire à la chambre quel est le parti auquel le gouvernement s'arrêtera ; mais ce que je puis dire, c'est qu'il ne s'arrêtera à aucun, sans avoir pris conseil de tous les intérêts engagés.
Messieurs, j'ai dit, dans une autre séance, qu'il n'y a pas péril en la demeure; et je me suis fondé, pour le dire, d'abord sur ce que le mouvement du canal ne s'est pas ralenti jusqu'à ce jour ; ensuite, sur ce que la différence du prix de transport, d'une part par le canal, et d'une autre part par le chemin de fer, est loin de s'élever, comme on vous l'a dit, à 2 fr. 30 c. par tonneau.
L'honorable rapporteur de la section centrale vient de vous offrir la preuve que le fret, depuis le centre jusqu'à Bruxelles, ne s'élève pas à plus de 5 fr. en temps ordinaire, 5 fr. 25 c. dans des moments d'encombrement.
Je suis moi-même en mesure de vous le prouver. J'ai sous les yeux une facture où le fret de Mariemont à Bruxelles n'est pas porté à plus de 5 fr. ; et qu'on ne dise point que c'est le besoin de soutenir la concurrence avec le nouveau tarif qui l'a réduit à ce point. La facture est de 1845 ; le tarif est du 1er septembre 1848.
A la vérité, dans ce prix de 5 francs ne sont point compris les frais de traction sur les petites ramifications ferrées qui conduisent des bassins des canaux d'embranchements jusqu'au carreau des houillères ; mais ces petits chemins de fer appartenant aux sociétés charbonnières elles-mêmes, les frais de traction qu'occasionne leur parcours (soit qu'on les estime, arbitrairement et par exagération, à 60 ou 75 centimes, ou à un franc), sont confondus dans le prix de la marchandise.
(page 524) Or, le prix du transport par le chemin de fer de l'Etat et par celui de Mons à Manage, étant de 4 fr. 80, et celui du transport par eau étant, au maximum, de 5 fr. 35, la différence entre ces deux chiffres constitue, à mes yeux, tout l'avantage de la voie ferrée sur celle du canal.
Ce résultat, auquel m'ont conduit les informations les plus précises, se trouve confirmé par un mémoire imprimé qui n'a point été publié pour le besoin de la cause, puisqu'il est antérieur à la mise en vigueur du nouveau tarif, et où l'on trouve détaillés les frais de transport de tous les points du Centre jusqu'à Bruxelles. Ce mémoire, c'est la demande de concession du canal de Seneffe à Louvain.
On peut dire, il est vrai, que t'avantage du prix, quel qu'il soit, ne doit point être dédaigné. Mais c'est ici le lieu de remarquer, ainsi que vous l'a dit l'honorable M. Deliége, que cet avantage est compensé par plusieurs autres qui existent au profit de la navigation, et que M. l'ingénieur Vifquain, dans son remarquable mémoire sur la reprise du canal de Charleroy, a fort bien énumérés. Ne pas tenir compte de ces avantages serait une injustice. En déterminer la mesure, serait chose difficile, sinon impossible.
Maïs, nous a-t-on demandé, quelque faible que puisse être l'avantage du prix de transport par le chemin de fer sur le transport par le canal, cet avantage fût-il nul même, comment l'Etat, propriétaire de deux voies, dont l'une ne lui coûte presque rien et dont l'autre est très coûteuse, a-t-il pu établir son tarif de telle sorte qu'il a de préférence appelé les marchandises vers la voie la plus coûteuse?
Il y a une première réponse. Le tarif du 1er septembre n'a point été établi spécialement en vue des transports de Charleroy ou de Manage à Bruxelles, mais en vue du pays entier, et l'intérêt même de l'exploitation ayant paru commander qu'il fût établi sur le pied actuel, il eût été impossible de le régler exceptionnellement pour une ligne déterminée.
La deuxième réponse, la voici :
C'est une erreur de croire que les transports de charbons que le chemin de fer pourrait distraire du canal constituent l'Etat en perte d'une grande partie du péage. Je vais en fournir la démonstration, en comparant entre eux les produits nets par tonneau de l'une et l'autre voie.
Le péage du canal s'élève, comme chacun sait, pour la totalité du parcours, soit depuis Charleroy, soit depuis Manage à 3 fr. 07. J'en déduis pour les dépenses d'exploitation suivant les-données officielles 9 6/10 p. c, soit 29 c. Reste produit net par tonneau 2 fr. 78.
Voilà le premier terme de comparaison. Quel est le second ? On paye, pour le transport d'un tonneau de marchandises comprises dans le tarif n°3, telle que la houille, depuis Manage
jusqu'à Bruxelles 3 fr. 70
Que si l'on déduit les dépenses d'exploitation, évaluées, par hypothèse, à 50 p. c, soit 1 fr. 85 c., on trouve pour bénéfice net 93 centimes de moins que le bénéfice net du péage, soit 1 fr. 85 c.
Dès à présent, messieurs, permettez-moi de vous signaler une très grande exagération dans les calculs de plusieurs honorables membres. Lorsqu'ils ont parlé de la diminution des recettes qui pourrait résulter du nouveau tarif, ils ont considéré comme une perte totale tous les péages qui seraient soustraits au canal; et c'est ainsi qu'ils font arrivés à évaluer la perte que le nouveau tarif pourrait entraîner pour nos finances, de 1 million et demi à 2 millions, et même 2 millions et demi de francs.
C'est une erreur évidente.
Je suppose, en effet, par impossible, que la totalité des charbons qui vous arrivent aujourd'hui par le canal, vous arrive dès l'année prochaine, par le chemin de fer. Quelle serait la perte pour les finances, sur le pied que je viens d'établir ? 93 centimes par tonneau. Donc 600,000 tonneaux, aujourd'hui transportés par le canal, et qui prendraient dorénavant la nouvelle voie, ne vous occasionneraient qu'une perte de 550,000 francs environ.
Ce serait beaucoup trop assurément.
Mais je pose les chiffres comme limite extrême, et je fais cette supposition absurde, que le chemin de fer ferait inopinément et généralement déserter le canal. Supposition absurde, parce que, alors même que le chemin de fer amènerait sur un seul point du pays tout le matériel dont il dispose, il ne pourrait encore transporter qu'une partie des charbons qui arrivent à Bruxelles par le canal.
J'ai établi par supposition le chiffre de la perte que vous feriez à 93 c. par tonneau. Mais vous allez voir que ce chiffre est beaucoup trop élevé.
La ligne de Manage à Bruxelles est dans des conditions tout à fait exceptionnelles. Elle présente une déclivité telle, que le charbon arrive de ce point jusqu'à la capitale, pour ainsi dire sans frais de traction.
C'est ainsi que l'on peut tous les jours voir arriver de la station du Midi une seule locomotive, traînant sans peine 50 et 60 waggons chargés de houille. On comprend que, sur une telle ligne, les frais sont infiniment moindres que sur toute autre ; et cependant je me placerai, pour en faire le calcul, dans la supposition qu'il s'agisse d'une ligne ordinaire.
Le compte rendu de l'exploitation du chemin de fer, pour l’exercice 4847, fixe à 12 francs par lieue le coût moyen des convois de voyageurs et de marchandises, composés, l'un parmi l'autre, de quinze voitures.
Admettant ce prix de la francs pour un convoi composé de 15 waggons, il resterait à tenir compte de 45 voitures supplémentaires. Or, il existe entre le gouvernement et la compagnie de Manage, une convention en vertu de laquelle l'Etat paye à la compagnie 15 centimes pour la location d'un waggon par lieue de parcours. Donc je porte en compte 45 fois 15 centimes par lieue, soit 6 fr. 75 c. pour l'usage et l'usure des 45 waggons, et je suis certain qu'en faisant cette évaluation, je vais au-delà de la vérité.
En effet, il va de soi que la compagnie ne louera pas ses waggons à un prix inférieur à ce qu'il doit être, mais qu'elle compte au contraire trouver un bénéfice dans le prix de la location.
Ces 45 voitures supplémentaires coûteront donc par lieue, 6 fr. 75 c, lesquels ajoutés à 12 francs, donnent 18 francs par lieue pour l'aller, et autant pour le retour, soit pour l'ensemble du convoi et pour les neuf lieues qui séparent Charleroy de Bruxelles, 337 fr. 50 c. ou 1 fr. 13 c. par tonneau et par lieue.
Avec ces éléments, messieurs, vous pourrez facilement vérifier le calcul que je vais vous soumettre.
J'ai dit que le produit net du péage est de 2 fr. 78. Or, le prix du tarif étant de 3 fr. 70, et les frais d'exploitation s'élevant à 1 fr. 13, il en résulte que le produit net du chemin de fer sera de 2 fr. 57, soit de 21 centimes seulement inférieur au produit net du péage. C'est là la totalité de la différence entre le produit du chemin de fer et celui du canal.
Vous voyez maintenant, messieurs, à quoi viennent aboutir toutes les exagérations auxquelles on s'est livré. Il suit de ce que je viens de dire, qu'en évaluant la totalité des transports par le canal à 600,000 tonneaux par année, et en supposant que cette quantité fût entièrement distraite de la navigation pour être livrée au chemin de fer de l'Etat, celui-ci n'en souffrirait pas une perte de plus de 126,000 fr. par an.
Reste à examiner la question de savoir si le gouvernement, abstraction faite même de la question du canal, n'a pas abaissé le tarif du chemin de fer outre-mesure, et si le gouvernement, en transportant à ces nouvelles conditions, ne se constitue pas journellement en perte, comme le prétend l'honorable M. Dumortier, ou si du moins il ne dépendrait pas de lui, en augmentant son tarif, d'élever ses recettes.
Dès la première fois que j'examinai cette question, je ne tardai pas à me convaincre qu'elle n'était pas susceptible d'être résolue à priori, et à l'aide de la logique pure; que ce n'était qu'en consultant les faits, qu'on pouvait arrivera une solution de quelque certitude.
Quels sont donc les éléments, que nous fournit l'expérience pour la solution du problème? Il en est de très saillants et sur lesquels j'appelle toute votre attention.
Vous avez entendu qu'en 1832 on a diminué les péages du canal de Charleroy de 25 cents. La diminution n'était point accordée en vue de l'exportation, du transit; elle l'était pour le transport intérieur.
Or, qu'est-il arrivé?
Je ne tiens pas compte de l'année 1832. L'année suivante, le produit des péages du canal de Charleroy s'élève à 536,317. Et il continue à progresser de la manière suivante :
1834, 609,000 fr., 1834, 686,000 fr., 1836, 886,000 fr., 1837, 918,000 fr.
En 1838, il offre une diminution sur l'année précédente ; mais immédiatement après il se relève,et en 1839, il atteint le chiffre de 1,027,000 fr.
En 1840, 1,044,000 fr. ; en 1841, 1,320,000 fr.
Le 30 juin 1842, réduction de 75 p. c. sur le péage des charbons exportés en Hollande ou vers la mer; réduction de 50 p. c. sur une foule d'autres matières, en vue de l'exportation. Le 18 décembre 1843, réduction de 50 p. c. du péage sur un grand nombre des matières premières importées.
On devait s'attendre à une diminution de recettes assez notable; voyez ce qui arrive : En 1841, la recette s'était élevée, comme je l'ai dit, à 1,320,000 fr. En 1842, elle s'élève à 1,339,000 fr. ; en 1843, à 1,369,000 fr., e, 1844, elle n'est plus que de 1,267,000 fr., mais immédiatement après, en 1845, elle se relève et monte au chiffre de 1,568,000 fr. Vous savez, messieurs, que depuis lors le canal s'est maintenu à peu près dans les mêmes conditions.
Ainsi, chose remarquable, la diminution du péage, loin d'être une cause de diminution et de ruine pour les recettes , les augmente et les féconde.
Ce n'est pas tout. Que signifie la réforme postale ? Quels sont les faits qu'elle a produits en Angleterre? Quels sont ceux que le premier essai de cette mesure a produits chez nous? Il n'est pas inutile de vous en dire quelques-uns.
Vous savez, messieurs, qu'en Angleterre le nombre de lettres qui, en 1837, était de 75,907,500, s'est élevé en 1846, par des accroissements successifs, à 299.586,000.
M. Dumortier. - Et la recette ?
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Si la recette ne s'est pas élevée dans la même proportion, c'est d'abord parce que la réduction (page 325) du port a été immense, et ensuite parce que l'accroissement des dépenses a été considérable. Je n'ai voulu citer les effets de la réforme postale en Angleterre, que pour démontrer qu'une diminution de prix amène invariablement, constamment une augmentation de mouvement et de recettes.
Même expérience en Belgique, bien que sur une échelle très petite.
A partir du 1er janvier 1848, la taxe des lettres cantonales a été réduite de 20 centimes à 10. Le nombre des lettres cantonales qui était, en 1847, de 424,000, s'élèvera, en 1848, d'après les résultats connus des 9 premiers mois de l'année, à 525,000.
Notre chemin de fer lui-même a fourni des expériences analogues. Fixez votre attention sur le travail de MM. Grosfils et Dandelin, et vous y verrez constaté en chiffres officiels, que chaque réduction de tarif a déterminé une augmentation de transports, soit de voyageurs, soit de marchandises.
Messieurs, j'ai hâte de finir; et cependant il y a encore des faits que je me reprocherais de vous laisser ignorer. Il ne faut pas laisser se reproduire éternellement cette accusation, que nous avons trop abaissé le tarif, que nous diminuons gratuitement les recettes.
C'est le contraire qui est établi à la dernière évidence. Il faut, pour soutenir la thèse qu'on nous oppose, répudier les faits qui se reproduisent partout et toujours, aussi bien au chemin de fer du Nord, dont l'honorable M. Dumortier vous a entretenus, que partout ailleurs. Dans un rapport qui a probablement échappé aux investigations de l'honorable membre , rapport présenté, cette année même, par le conseil d'administration de la compagnie du chemin de fer du Nord à l'assemblée générale, ce conseil a mis sous les yeux de l'assemblée générale un tableau comparatif des tarifs autorisés par le cahier des charges et de ceux que la compagnie avait perçus pour le transport des marchandises entre Paris et Valenciennes.
Ce tableau présente des réductions considérables sur le tarif d'un grand nombre de marchandises comprises dans les premières, deuxièmes et troisièmes classes, et ensuite le rapport continue en ces termes :
« Il résulte de cette comparaison que la réduction moyenne opérée par la compagnie a été, sur la première classe, de 30 p. c. pour le transport de Valenciennes à Paris, et de 40 p. c. pour le transport de Paris à Valenciennes;
« Que, pour la deuxième classe, de la frontière vers Paris, elle a été de 54 p. c. et de Paris à la frontière de 60 p. c;
« Que, pour la troisième classe, la réduction a été de 54 p. c. delà frontière vers Paris, et de 73 p. c. de Paris vers la frontière;
« Enfin, pour la 1ère classe, qui comprend les houilles, la réduction a été de 40 p. c, et, d'après une proposition transmise à l'homologation du ministre des travaux publics, elle serait portée, pour le mois d'été, à 50 p. c. »
Cet exemple est surtout fait pour séduire l'honorable M. Dumortier qui nous a cité la compagnie du chemin de fer du Nord comme modèle, et il regrettera sans doute que nous, n'ayons pas suivi son modèle plus hardiment ! (Rires sur tous les bancs.) Je le dirai comme vous, monsieur, l'intérêt privé est intelligent, il sait bien ce qu'il fait et pourquoi il le fait. Donc nous ne pouvions mieux faire que de suivre ses traces, de loin et avec prudence.
Dans le même rapport que je viens de citer, la compagnie du chemin de fer du Nord fait une autre observation remarquable, à savoir que « la réduction opérée sur ses tarifs de marchandises, appliquée aux quantités transportées, représente pour le commerce, relativement aux prix fixés par le cahier des charges, une économie d'au moins trois millions pour l'année 1847, et que, si l'on prend pour point de comparaison les anciens prix de roulage et de navigation, l'économie est d'au moins 5 millions, sans compter la célérité. » Or à qui le bénéfice de 3 ou de 5 millions a-t-il profité? A qui profitent les millions que le commerce économise sur les transports qu'effectue le chemin de fer de Belgique? A lui-même d'abord, et aux consommateurs ensuite, qui payent d'autant moins cher les marchandises et les produits qu'ils consomment, qu'on les transporte à meilleur compte chez eux, soit des grands marchés, soit des lieux de production.
Que dirai-je de l'Angleterre? L'honorable M. Dumortier nous a opposé l'exemple de ses tarifs élevés comme un reproche vivant contre l'abaissement des nôtres.
Notre réponse, messieurs, c'est que les compagnies anglaises ont reconnu leur erreur, qu'elles ont baissé leurs tarifs dans une proportion énorme et qu'elles s'en sont bien trouvées. J'ai besoin d'en citer quelques preuves en terminant.
La lettre de M. Edmond Teisserene à M. Dufaure publié en 1840, sur sa mission en Angleterre, et l'ouvrage intitulé Raltway reform, en sont pleins.
On voit, dans ce dernier, que quelques lignes aristocratiques ont pu, à la vérité, augmenter leurs revenus, en augmentant leurs tarifs; mais que le plus souvent elle ne sont parvenues à ce résultat qu'après avoir ruiné toute concurrence rivale, routes et canaux, et en abaissant momentanément leurs tarifs. Ces lignes, du reste, sont celles qui aboutissent à de grands centres de populations et d'affaires, tels que Londres, Birmingham et Liverpool. Mais partout ailleurs les tarifs ont baissé elles recettes ont augmenté dans la même proportion.
La compagnie de Blackwall avait vu tomber ses actions de 16 liv. à 5. Elle essaye d'augmenter le tarif; perte plus considérable. Elle le réduit de 30 p. c. Le mouvement des transports s'accroît de 40, et les revenus s'élèvent proportionnellement.
Chemin de Dublin à Kingstown : La compagnie diminue son tarif de 80 p. c. Elle augmente ses dividendes de 5 p. c.
Chemin de Greenwich. En vue d'améliorer ses recettes, la compagnie augmente son tarif de 30 p. c, et ses recettes diminuent de 20 p. c. Elle l'abaisse, et ses revenus se relèvent.
En parlant du chemin de Dublin à Kingstown, que nous avons cité tout à l'heure, l'auteur du Railway reform, rapporte le fait incroyable que voici :
« Il y a deux ans, les directeurs de cette compagnie abaissèrent tellement leur tarif, qu'une classe de voyageurs est transportée maintenant pour 1/2 farthing (8/10 d'un centime) par mille; et leurs affaires ont si a bien prospéré par l'adoption de cette mesure, que les actions qui, avant, étaient à 18 p. c. au-dessous du pair, sont aujourd'hui à 16 p. c. au-dessus. »
Voilà, messieurs, des faits qui parlent haut et qui sont sans réplique.
M. de Mérode. - J'en citerai d'une autre nature.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je crois qu'il vous sera très difficile d'en trouver. Tout à l'heure j'entendais l'honorable comte de Mérode qui disait : En Angleterre on entasse les voyageurs comme des harengs.
M. de Mérode. - Comme des martyrs!
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Comme des martyrs ! Eh bien ! je puis dire à la gloire de la Belgique, que, chez nous, les voyageurs, même de la dernière classe, ne sont pas entassés comme des martyrs, mais traités comme des hommes libres ; et c'est pourquoi il m'est impossible de regretter, avec l'honorable comte de Mérode, qu'en Belgique le gouvernement se soit placé à la tête de cette vaste entreprise. Je ne m'effraye point de ce fantôme de socialisme et d'atelier national que quelques membres ont cru y apercevoir.
Si c'est là du socialisme, messieurs, c'est le socialisme le plus magnifiquement entendu qui se puisse concevoir; si c'est un atelier national, je le veux bien; mais c'est un atelier où se fabrique la prospérité du pays, c'est un atelier de civilisation et de progrès.
Le chemin de fer, pas plus que la vapeur, n'a dit son dernier mot. Qui de nous ne connaît sa puissance, qui de nous prétendrait lui poser des limites ? On veut lui interdire le transport des marchandises pondéreuses, comme si on se défiait de ses forces ! Etrange pensée! Voyez ces convois immenses qui transportent en quelques heures des cargaisons entières du bord de la mer jusqu'au cœur de l'Angleterre, et reconnaissez que c'est là une admirable conquête qui a doublé la puissance de l'homme, vaincu l'espace et le temps ! Vous dites que le chemin de fer, dans les mains du gouvernement, est un atelier national ; et moi je vous dirai à mon tour : humble ouvrier de cet atelier, jamais je ne prêterai les mains à arrêter le progrès qu'il porte dans ses flancs. (Très bien! Très bien!)
M. Dolez. - Dans l'état de fatigue où se trouve la chambre je crois devoir renoncer à la parole.
- Plusieurs voix. - La clôture !
M. Dumortier. - Il est d'usage qu'on ne ferme pas une discussion après un ministre. De tout temps on a réclamé de pouvoir se faire entendre après un ministre. Je le demande aujourd'hui avec d'autant plus de raison que les rôles sont intervertis. Nous défendons le trésor, et le gouvernement semble ne pas s'en soucier. Voilà pourquoi je demande que la discussion continue. J'ai à répondre à M. le ministre des travaux publics : je démontrerai combien de choses sont peu exactes dans tout ce qu'il a dit; je démontrerai qu'avec le système qu'il a préconisé, nous arriverons à ce résultat de devoir demander à l'impôt les moyens de couvrir les déficit occasionnés par le chemin de fer. Convient-il au pays de payer des impôts pour combler ce déficit? C'est là toute la question. Elle est assez élevée pour être digne de vos méditations. Je demande la continuation de la discussion afin de parler à mon tour d'inscription.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà trois jours que dure la discussion. Y a-t-il une proposition déposée sur le bureau? Je demanda à quel résultat on veut aboutir.
M. Dumortier. - Eclairer le gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. Dumortier l'a éclairé pendant trois séances; rien n'empêche qu'il ne reprenne son flambeau dans les séances postérieures, mais nous demandons que la discussion actuelle soit close. Il a dit qu'il démontrerait les nombreuses inexactitudes de M. le ministre des travaux publics. Je prétends qu'il ne fera pas cette démonstration. M. le ministre des travaux publics sera obligé de reprendre la parole pour démontrer les nouvelles erreurs de M. Dumortier.
M. Dumortier. - Je vous défie de me convaincre d'une erreur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Dumortier prétend qu'il ne commet jamais d'erreur, il défie tout le monde de démontrer qu'il se trompe, on a beau lui opposer toutes les démonstrations du monde, il n'en tient aucun compte, et reproduit les mêmes erreurs.
Il n'y a pas de raison pour qu'une telle discussion finisse. On dit qu'il n'arrive jamais qu'un ministre parle le dernier. M. le ministre des travaux publics a attendu que tous les orateurs eussent fini de parler pour prendre la parole, afin d'abréger les débats. Si demain on veut recommencer, force sera au gouvernement de répondre à de nouvelles assertions. Je demande donc la clôture.
(page 326) M. Dumont. - J'aurais désiré que la discussion continuât pour faire valoir quelques observations qui ne sont pas étrangères aux études que va faire le gouvernement pour mettre en concordance les péages sur les canaux et les tarifs du chemin de fer. On dit que j'en aurai l'occasion lors de la discussion du budget des travaux publics. Comme déjà on a consacré plusieurs séances à une discussion spéciale sur les péages, quand viendra le budget des travaux publics, si on veut traiter de nouveau cette question, on répondra qu'une discussion spéciale ayant eu lieu on ne doit pas la renouveler. Mais si on veut nous réserver la faculté de présenter alors nos observations, qu'on prononce la clôture; mais si on ne le veut pas, on ne doit pas refuser la parole à ceux qui ont quelques observations à recommander à l'attention du gouvernement.
M. Delfosse. - J'aurais, tout aussi bien que l'honorable M. Dumont, quelques observations à soumettre à la chambre; mais je renonce à la parole et j'appuie la clôture, par la raison bien simple que M. le ministre des travaux publics vient de nous dire que le gouvernement ne perdrait pas un jour pour étudier la question, et qu'il ferait sous peu connaître à la chambre la résolution qu'il aura prise après avoir entendu tous les intérêts. À quoi dès lors pourrait servir la discussion? Il faut laisser au gouvernement le temps de tenir sa promesse. Si l'honorable M. Dumont croit pouvoir éclairer le gouvernement sur cette question, rien ne l'empêche de se mettre en rapport avec M. le ministre des travaux publics pour lui communiquer ses idées.
- La discussion est close.
Il est procédé au vote par appel nominal de l'article unique ainsi conçu :
« Article uniqne. La loi du 30 juin 1842 (Bulletin officiel, n°51) est prorogée jusqu'au 31 décembre 1851 inclusivement.
« Toute demande en restitution de droits consignés par suite de la présente loi, devra, sous peine de déchéance, être formée dans les dix-huit mois à dater de la consignation. »
92 membres répondent à l'appel.
91 répondent oui.
1 membre s'abstient.
En conséquence, le projet de loi est adopté; il sera transmis au sénat.
M. Dumortier. - Je me suis abstenu, parce que la discussion n'ai pas suivi son cours.
Ont répondu oui : Mil. Dubus, Dumont, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Jullien, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Manilius, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Osy, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire. Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle, Schumacher, Sinave, Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Troye, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Anspach, Boedt, Boulez, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, David, H. de Baillet, de Bocarmé, Debourdeaud'huy, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, de Pouhon, de Renesse, de Royer, Destriveaux, d'Hoffschmidt, d’Hont, Dolez et Verhaegen.
M. le président. - Un membre, usant de son droit d'initiative, a déposé une proposition de projet de loi sur le bureau.
Les sections seront convoquées pour demain.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous avons demain en premier lieu à l'ordre du jour le projet de loi sur les denrées alimentaires. J'ai entendu dire qu'un autre projet de loi avait été déposé.
M. le président. - Un amendement a été déposé, mais a été retiré par son auteur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'entends pas restreindre le droit d'initiative des membres, mais je demande qu'il soit subordonné aux formalités auxquelles le gouvernement l'a assujetti.
Il ne faudrait pas que, sous prétexte d'amendement, on vînt substituer au projet du gouvernement un projet nouveau.
M. Coomans. - C'est une erreur. Il n'y a de nouveau dans ma proposition que les chiffres, qui sont plus élevés que ceux proposés par la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) ; - Dans l'intérêt de la discussion, peut-être conviendrait-il de renvoyer cette proposition aux sections. Le temps nous presse. Il faut en faire perdre le moins possible.
D'après la proposition de l'honorable M. Coomans, le droit proposé par la section centrale serait quadruplé!
M. Coomans. - Je le répète, c'est un simple amendement.
M. Delehaye. - Puisque M. le ministre de l'intérieur et l'auteur de l'amendement ne sont pas d'accord sur la portée de la proposition, je demande l'impression, afin que nous puissions l'apprécier.
- Cette impression est ordonnée.
M. le président. - Je dois rappeler à la chambre qu'indépendamment du projet de loi sur les denrées alimentaires, elle a à l'ordre du jour de demain la loi sur le contingent de l'armée ; le budget des dépenses pour ordre ; la loi des patentes et les modifications proposées à la loi générale sur les pensions. Toutes ces lois doivent être votées avant le 1er janvier. Les deux dernières doivent avoir des conséquences favorables pour le trésor.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La loi sur les denrées alimentaires, telle qu'elle est conçue, doit avoir une influence assez forte sur les recettes.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.