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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 11 novembre 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 15) M. Dubus fait l'appel nominal à 2 heures.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Fleury prie la chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Alexandre-Joseph Laurent, commis de première classe des accises, à Bruxelles, né à Willem (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Les instituteurs primaires du canton de Chimay demandent que les instituteurs soient nommés et rétribués par l'Etat, que leur traitement soit de 1,000 francs dans les communes les moins peuplées, et proposent le moyen de faire face à ces dépenses. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Cornu, capitaine du génie, pensionné, demande que le projet sur les brevets d'invention qui a été rédigé par M. Jobard soit converti en loi, et fait hommage à la chambre de 120 exemplaires d'une notice sur son Vaporivore. »

- Renvoi à la commission des pétitions ; distribution de la notice aux membres de l'assemblée et dépôt à la bibliothèque.


Par dépêche du 8 novembre, M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires d'un rapport sur l'état des chemins vicinaux améliorés dans quelques communes des deux Flandres, à l'aide des subsides accordés par le gouvernement.

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.


Il est fait hommage à la chambre par M. H. de Ceuleneer d'un exemplaire de ses Considérations sur le service sanitaire des indigents dans les communes rurales.

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi abaissant le timbre des lettres de voiture

Discussion générale

M. le président. - La section centrale a fait au projet un changement de rédaction, plus un changement à l'article 2, quant à l'amende. M. le ministre se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne vois pas d'importance dans les modifications qui ont été faites au projet. La question déforme est tout à fait indifférente. Quant à l'amende, la chambre appréciera si le chiffre de 50 francs est assez élevé.

M. le président. - La discussion est ouverte sur le projet de la section centrale.

M. Rodenbach. - Je n'ai demandé la parole que pour faire une question à M. le ministre des finances.

Si j'ai bien compris le rapport de la section centrale, il me semble que lorsqu'on met une simple adresse sur un paquet qu'on expédie, cette adresse devrait être sur papier timbré. S'il en est ainsi, il en résultera une gêne considérable pour le commerce. Ainsi il se trouve dans les Flandres et notamment dans le district de Roulers des fabricants de chicorée qui expédient 7, 8, 10 livres de cette marchandise , qui ne présente qu'une valeur de 75 c, de 80 c. ou d'un franc. Sera-t-on obligé, pour faire cette expédition, de prendre un timbre de 10 c. ?

Je trouve du vague dans le rapport de la section centrale comme dans la loi. Je désirerais donc que M. le ministre nous dît catégoriquement si son intention est de ne soumettre au timbre de 10 centimes que ce qu'on appelle les lettres de voiture, comme on en remet aux commissionnaires lorsque l'objet expédié est d'une haute importance, lorsqu'on veut rendre le voiturier responsable par une sorte de contrat.

Mais, je le répète, on ne peut, pour une adresse mise sur un petit colis ou remise à un voiturier, et désignant uniquement l'espèce de marchandise, faire payer un timbre de 10 centimes ou une amende de 50 fr. Cette amende me parait énorme. Du reste, nous pourrons en parler lorsque nous en serons à la discussion des articles.

M. Sinave. - Je demanderai également à M. le ministre une explication en ce qui concerne les expéditions par chemin de fer.

Quand on donne des marchandises au chemin de fer, on paye pour enregistrement 10 centimes et il n'y a pas de lettre de voiture. Si l'on expédie par le chemin de fer un colis avec une simple adresse, sera-t-on soumis à l'amende ?

M. Delehaye. - Messieurs, ce projet de loi se présente à la chambre comme se présentait, dans la session dernière, un autre projet par lequel nous avons aggravé la position du commerce et de l'industrie.

Chacun de vous avait compris la nécessité de faire droit aux réclamations de la presse et de supprimer le timbre des journaux. On avait substitué à cet avantage accordé à l'opinion publique une charge qu'on nous dépeignait comme très peu considérable pour le commerce. On avait dit que si les journaux payaient moins, le trésor n'en souffrirait pas, attendu que le commerce lui payerait ce que la première mesure devait lui enlever. Il n'en est pas moins vrai qu'il en est résulté pour le commerce et pour l'industrie une charge contre laquelle les commerçants et les industriels réclament aujourd'hui.

Je suis heureux de n'avoir pas donné mon assentiment à cette loi. Lorsqu'un de mes honorables amis, comme moi député de Gand, avait présenté à la chambre l'observation que je rappelle, on n'avait pas manqué de dire que la mesure avait peu d'importance, que le commerce l'accepterait sans répugnance. Les faits prouvent déjà qu'il n'en a pas été ainsi.

Je crains fort, messieurs, que le projet actuellement soumis à nos délibérations n'ait le même sort. Ce projet se présente sous les apparences les plus anodines; à en croire le rapport de la section centrale, rien n'est changé, vous restez vis-à-vis du commerce dans les mêmes termes où vous êtes maintenant ; mais dans le texte du projet on n'envisage pas comme lettre de voiture ce que le Code de commerce considère comme tel. On dit au contraire : « Sont assimilés aux lettres de voiture, pour l'application de la présente loi, les écrits signes ou non signés, qui sont destinés à en tenir lieu et qui indiquent les objets dont le transport est opéré par les porteurs de ces écrits. » Comment, messieurs, concilier cette disposition avec l'opinion de la section centrale, qui vous dit : « La section centrale a été unanime pour déclarer que la loi nouvelle ne s'applique et ne doit s'appliquer qu'aux seules lettres de voiture prévues par le Code de commerce. »

On a parlé, messieurs, d'une adresse. Je suppose qu'on expédie un ballot avec une adresse portant que ce ballot contient tel ou tel objet ; sera-ce là une lettre de voiture soumise au timbre? (Interruption.) On dit non et d'autre part j'entends dire oui. Je crois, moi, que si le projet est adopté, cette adresse sera considérée comme une lettre de voiture ; tout au moins sans une explication très positive, soit de la section centrale, soit de M. le ministre des finances, il restera toujours, à cet égard, des doutes très difficiles à éclaircir.

Mais, messieurs, il y a une autre considération qui m'engage à ne pas donner mon assentiment au projet. Il est certain que nous devons autant que possible favoriser le chemin de fer de l'Etat; eh bien, l'administration du chemin de fer devra exiger une application rigoureuse de la loi ; il en résultera évidemment une faveur pour les entreprises de transport particulières, qui ne seront probablement pas aussi difficiles et qui, par conséquent, obtiendront souvent des transports au détriment du chemin de fer de l'Etat.

Je prie M. le ministre des finances de vouloir bien dissiper les craintes que je viens d'exprimer. Je doute que le commerce puisse retirer du projet les avantages qu'on lui promet, et il me semble qu'il en résultera pour le petit commerce et la petite industrie, sinon une charge nouvelle, au moins des gênes, des entraves que nous ferions très bien de ne pas leur imposer.

Il serait bon que dans un moment où l'industrie et le commerce souffrent, nous n'augmentions pas, par des mesures quelconques, les entraves sous lesquelles déjà le commerce et l'industrie ont peine à vivre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, dans votre dernière session, le gouvernement a proposé une loi ayant pour objet de réduire le droit de timbre sur les effets de commerce. A en croire l'honorable préopinant, cette loi a été une aggravation des charges qui pèsent sur le commerce. Il serait fort difficile d'expliquer, ce me semble, comment la loi pourrait avoir un pareil résultat.

Comment, je vous prie, la réduction peut-elle se transformer en une aggravation? Est-ce par hasard en ce sens que, le droit étant élevé, il était éludé jadis au préjudice du trésor, tandis qu'étant réduit aujourd'hui, il est exactement payé ?

Ce n'est pas là, sans doute, ce que l'honorable membre entend exprimer; car il est impossible qu'il considère comme un bénéfice légitime celui qui était fait en violation de la loi.

Que l'on cesse donc de répéter que le gouvernement qui a réduit les droits de timbre, aurait augmenté les charges du commerce.

Un membre. - Il y a plus d'entraves aujourd'hui....

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Est-ce que ces entraves existaient moins, lorsque l'impôt était plus élevé? (Interruption.)

On pouvait frauder, me dit-on.... La fraude ne m'a paru jamais être qu'une variété du vol ; et je ne vois pas qu'il y ait à faire l'éloge de la (page 16) fraude commise au préjudice du trésor. C'est pour prévenir ces fraudes qui démoralisent que le droit a été abaissé ; c'est une disposition qui a été prise en faveur du commerce; le droit a été établi d'une manière tellement minime qu'on est inexcusable de vouloir l'éluder.

Eh bien, le projet de loi actuel n'a pas d'autre but ; le droit de 45 centimes a été considéré par le gouvernement comme étant trop élevé. Le gouvernement s'est convaincu par le grand nombre de procès qui ont été intentés, que la fraude était très active pour échapper à ce droit, et en conséquence, il propose purement et simplement de le réduire à 10 centimes.

A en croire l’honorable préopinant, le gouvernement voudrait changer ce qui existait précédemment; le gouvernement voudrait faire considérer comme étant une lettre de voiture ce qui n'a jamais été considéré comme tel. Il n'en est rien; le gouvernement considère toujours comme lettre de voiture ce qui a été considéré jusqu'ici comme lettre de voiture; il ne change pas le contrat qui se nomme lettre de voiture; mais il ajoute qu'aux lettres de voiture sont assimilés les écrits signés ou non signés qui sont destinés à en tenir lieu. Est-ce là une innovation ? En aucune façon.

Il était généralement admis en jurisprudence, avant que cela fût inséré dans le projet de loi, que les écrits signés ou non signés, destinés à remplacer les lettres de voilure et qui n'étaient formulés d'une façon particulière que pour éluder le droit, étaient passibles de l'amende : c’est ce que les tribunaux ont décidé plusieurs fois; je ne crois pas convenable de citer ici ces décisions judiciaires; je me bornerai à dire que l’opinion que j'émets est conforme à celle du tribunal même de l'arrondissement que représente l'honorable M. Delehaye.

Ainsi il est bien entendu que l'on n'apporte aucune espèce d'innovation à ce qui existe sous l'empire de la législation actuelle. C'est la lettre de voiture qui doit être revêtue du timbre, et pas autre chose.

On me dit: Une adresse indiquant la marchandise contenue dans le colis sera-t-elle considérée comme lettre de voiture? Oui et non... (Interruption.) Cela est très simple; c'est uniquement une affaire de bon sens ; si le papier représenté est vraiment une adresse, pas de difficulté ; mais si pour éluder le droit on simule une adresse, désignant la marchandise et que cette adresse ait pour objet de tenir lieu de lettre de voiture, de former le titre, la preuve ou un élément de preuve d'un contrat de transport, on tombera sous l'application de la loi.

Ce n'est pas là une innovation; c'est ce qui a toujours été soutenu par l'administration ; c'est ce que les tribunaux ont souvent jugé. Pour qu'il en fût autrement il faudrait non pas retrancher du projet les termes que l'on critique, mais abroger les lois de brumaire an VII et de 1809.

La section centrale, pour éviter toute équivoque, a précisé, conformément aux intentions du gouvernement, ce qu'il fallait comprendre dans la catégorie des écrits de cette nature soumis au timbre. Ce sont les écrits signés ou non signés « destinés à tenir lieu de lettres de voiture ». La question sera de savoir si l'écrit représenté est destiné à tenir lieu de lettre de voiture, à faire titre des conditions de transport; si, ne contenant pas toutes les énonciations exigées par l'article 102 du Cote de commerce, il n'y a pas été omis quelque formalité dans la seule vue d'éluder le droit.

Maintenant il faut bien que l'on prenne garde que le contrat de louage qui se constate par la lettre de voiture ne doit pas être nécessairement fait par écrit. Nul n'est tenu de faire une lettre de voiture; on peut expédier des colis, comme le font chaque jour les particuliers, sans lettre de voiture; la lettre de voiture est le contrat écrit entre le voiturier et celui qui le charge du transport, pour avoir une preuve à charge du voiturier qui a pris l’obligation de transporter des objets déterminés dans un temps déterminé pour un prix déterminé, et pour que, de son côté, le voiturier puisse se faire payer du prix du transport.

Si l'on veut renoncer à ce moyen de preuve, rien n'oblige à y recourir. Cette considération me paraît suffire pour dissiper toutes les craintes manifestées par d'honorables préopinants. Si l'on ne veut pas expédier avec lettre de voiture, on n'a pas de timbre à payer; si on veut qu'il y ait lettre de voiture, il faut payer le timbre. Ainsi on fait un bail verbal ou par écrit. Si on fait un bail verba1, on n'a ni timbre ni enregistrement à payer.

Si, au contraire, on veut avoir un contrat écrit, il faut payer le timbre et l'enregistrement. Il en sera de la lettre de voiture comme il en est du bail.

Quant au chemin de fer, il est constant que depuis qu'il est exploité par l'administration, on n'a jamais exigé ni lettre de voiture, ni droit supplémentaire pour un document sur papier timbré constatant les conditions du transport.

La raison en est simple, c'est que l'administration du chemin de fer fait son contrat avec l'expéditeur non en vertu d'une lettre de voiture, mais d'un règlement d'administration publique; c'est là qu'on trouve les conditions auxquelles le transport s'exécute; les particuliers n'ont pas à invoquer une lettre de voiture, mais les conditions déterminées par le livret réglementaire et le tarif.

Il en sera de même aujourd'hui. Ainsi l'inconvénient que signale l'honorable M. Delehaye n'existera pas. La marchandise ne sera pas repoussée du chemin de fer pour être envoyée à des intermédiaires, parce que le prix de transport serait plus élevé au chemin de fer que chez ces intermédiaires, et parce que ces intermédiaires pourraient éluder la loi. Il n’en sera pas ainsi. L'administration du chemin de fer, après la loi comme avant la loi, continuera à ne pas exiger le timbre des lettres de voiture pour les expéditions qui lui seront adressées. Mais les particuliers, tous ceux qui voudront faire une lettre de voiture pour déterminer les conditions de transport, payeront un timbre de 10 centimes au lieu d'en payer un de 45 centimes, absolument dans les mêmes termes, dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui.

M. T Kint de Naeyer. - En principe, je ne suis pas opposé à la réduction du droit de timbre sur les lettres de voiture. Je crois au contraire que c'est le moyen le plus efficace pour rendre cet impôt productif, parce qu'il y aura moins d'appât à la fraude, mais je ne puis pas admettre l'extension vague et en quelque sorte indéterminée que le deuxième paragraphe du projet de la section centrale donnerait à la loi de brumaire an VII ? L'honorable M. Delehaye a déjà fait ressortir la contradiction qui existe entre les conclusions du rapport de la section centrale et le texte même de la loi. D'un autre côté M. le ministre des finances vient de nous dire que le gouvernement n'entend rien innover. S'il en est ainsi, le paragraphe devient inutile et je ne vois pas pourquoi il serait maintenu. Si vous adoptez, messieurs, la suppression que j'ai l'honneur de vous proposer, vous éviterez beaucoup de difficulté et de tracasseries au petit commerce dont les expéditions très multipliées et souvent de peu d'importance sont aujourd'hui remises aux roulages et au chemin de fer en quelque sorte comme une lettre à la poste.

Si le gouvernement ne voulait pas consentir à cette modification, je serais obligé de voter contre un projet de loi dont l'interprétation trop rigoureuse deviendrait une véritable aggravation d'impôt pour l'industrie et pour le commerce.

M. Rodenbach. - Messieurs, si j'ai bien compris M. le ministre, on ne modifie, par le projet actuel, que le taux de l'impôt au lieu d'être de 45 centimes par timbre, il ne sera que de 10 centimes ; ce serait une diminution pour ceux qui ne fraudent pas.

Je crois également avoir compris qu'on pourra expédier un paquet avec une adresse sur laquelle il sera indiqué ce que le paquet contient, et cela sans être assujetti au timbre. Cette indication est souvent nécessaire sur une adresse; lorsque les paquets doivent traverser des villes où il existe un octroi, on exige qu'on fasse connaître sur l'adresse ce qu'ils contiennent.

Si j'étais dans l'erreur, je prierais M. le ministre de bien vouloir me le dire. Mais interprété de cette manière, le projet me paraît pouvoir être volé. Il sera pour ceux qui ne veulent pas éluder la loi un avantage au lieu d'être un impôt.

M. Toussaint, rapporteur. - Je dois, au nom de la section centrale, confirmer les paroles que vient de prononcer M. le ministre des finances. Le but du projet est uniquement de rendre plus efficace la législation qui. existe sur les lettres de voiture. L'intention de la section centrale n'a nullement été de sortir de cette législation.

Les lettres de voiture sont des titres purement commerciaux et ne concernent pas les envois dont a parlé l'honorable M. Rodenbach. L'honorable membre vous a parlé d'envois d'objets entre particuliers, et il a cité l'exemple de l'envoi d'un petit paquet de chicorée. Mais c'est là une fourniture directe qui n'est pas, ordinairement, accompagnée d'une lettre de voiture.

On entend par lettre de voiture un acte fait entre commerçants et qui forme une sorte de convention au sujet du transport.

Le timbre auquel oblige la loi de brumaire an VII, s'applique à tous les titres qui doivent ou peuvent servir de preuve entre particuliers. Or, les lettres de voiture constituent des titres semblables, aussi bien que les effets de commerce et tous les contrats civils.

La section centrale a parfaitement entendu qu'on était libre de prendre ou de ne pas prendre une lettre de voiture. Ainsi, il est hors de doute que l'administration n'a pas le droit d'exiger d'un voiturier la production de sa lettre de voiture, et que, lorsqu'il dit n'en pas avoir, on ne peut le mettre en contravention.

C'est afin d'éviter cette possibilité, que la section centrale a modifié la rédaction du troisième paragraphe, qui parlant du défaut de représentation de lettres de voiture : cela supposait une réquisition possible, à fin de production de la lettre de voiture. La section centrale n'a pas voulu qu'il en fût ainsi.

Par conséquent l'amende ne sera due que lorsqu'il sera constaté qu'il existe une lettre de voiture dépourvue de timbre ; par exemple, lorsqu'un tel document ou une pièce qui en tient lieu sera produit en justice.

Quant aux transports par le chemin de fer, il y a eu divergence d'opinion à cet égard dans le sein de la section centrale, et le rapport s'en explique; mais il est bien entendu que le projet de loi ne s'applique pas à ces transports. Pour les expéditions qui se font par le chemin de fer, la lettre de voiture résulte des livres de l'administration et les conditions du transport découlent des règlements d'administration publique qui décrètent les tarifs.

Je pense qu'au moyen de ces explications il ne s'agira plus pour la chambre que d'opter entre le maintien de la loi de brumaire au VII, modifiée comme le propose le projet, et l'opinion de ceux qui pensent qu'il faut à l'avenir dispenser du timbre les lettres de voilure.

M. Gilson. - Messieurs, je pense aussi que toute loi qui porte à la fraude doit être modifiée. Aussi j'adopte en principe la réduction proposée et je n'aurais pas pris la parole s'il n'y avait eu dans le projet que ce qui se trouve dans la loi de brumaire an VII.

Il est de toute évidence que la loi ancienne ne trouvait son application que lorsqu'il s'agissait d'une véritable lettre de voiture. M. le ministre des finances nous a dit que la jurisprudence était fixée à cet égard. Mais (page 17) si mes souvenirs sont exacts, il y a divergence d'opinion sur ce point entre les cours d'appel, et même la cour de cassation aurait jugé en sens contraire. Quoi qu'il en soit, il est évident que par le paragraphe additionnel que l'on a introduit dans le projet, il s'opère dans la législation quant aux lettres de voiture quelque chose de nouveau. Car on décide que tout écrit signé ou non signé indiquant les objets dont le transport est opéré, constitue quelque chose d'équivalent à une lettre de voiture et sera soumis au timbre.

A la première vue, un timbre de dix centimes paraît peu élevé, et on est généralement porté à désirer que des ressources arrivent à l'Etat. Mais ces ressources doivent être demandées dans un esprit d'équité. Or, si la loi était prise à la lettre, elle deviendrait une charge lourde pour les industriels et les commerçants qui expédient chaque jour un grand nombre de colis. L'envoi de ces colis est, dans l'usage habituel, accompagné d'une simple adresse contenant le nom du destinataire et la marque du colis.

D'après la loi, cet écrit pourrait, à la rigueur, constituer une lettre de voiture. De sorte qu'une maison d'une importance même moyenne expédie dans le courant d'une année 2,000 colis, et vous la chargez ainsi d'un excédant de patente de 200 fr.

M. le ministre des finances assure qu'on ne sera pas plus sévère à l'avenir qu'on ne l'a été jusqu'ici ; que ce qu'on demande aujourd'hui était établi par la législation existante. Mais si cela est vrai, à quoi bon ajouter aux dispositions de la loi de brumaire ?

Le contrat, dit-on, ne s'opère pas par une simple adresse. Mais le paragraphe dont je m'occupe laisse pourtant des doutes, et les explications de M. le ministre sont peu catégorique à cet égard; ces doutes, il faut les éclaircir ; car s'il pouvait résulter de la loi une aggravation dans la position du commerce, vous ne devriez pas l'adopter.

Remarquez, messieurs, qu'ordinairement l'adresse ne s'attache pas sur le colis. Il y a pour cela plusieurs motifs. D'abord l'adresse peut dans le transport être arrachée du colis. Ensuite l'expéditeur n'aime pas à faire connaître les chalands auxquels il adresse sa marchandise. Or, il résulterait de cette anomalie qu'un colis pourrait être expédié avec une adresse non timbrée lorsqu'elle serait attachée, et que le timbre deviendrait de rigueur, alors que cette même adresse se trouverait séparée du ballottin.

Ce sera là un moyen bien facile d'éluder les dispositions nouvelles de la loi, et on n'y manquera pas.

M. de Luesemans. - Messieurs, j'avais demandé la parole au moment où l'honorable M. Gilson l'a prise, pour faire à peu près les mêmes observations que lui.

Si M. le ministre des finances ne voit pas d'inconvénient à la suppression du paragraphe désigné par l'honorable M. T'Kint de Naeyer, je renoncerai à la parole. C'est le vague, le peu de précision avec lequel il est conçu qui inspire des craintes au commerce ; et c'est pour ce motif que plusieurs membres montrent un esprit d'opposition à la loi, qui n'est cependant pas au fond de leur pensée quant à la réduction du timbre même.

Je demanderai donc à M. le ministre des finances s'il ne voit aucun inconvénient à la suppression du paragraphe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne comprends pas bien, messieurs, le parti que l'on pourrait tirer de la renonciation que je ferais au paragraphe dont il est actuellement question. Entend-on par là que je renoncerais à reconnaître qu'un écrit, signé ou non signé, destiné à tenir lieu d'une lettre de voiture, ne serait pas soumis au timbre? S'il en est ainsi, je déclare formellement que je n'admets pas qu'un acte fait en vue d’éluder un droit stipulé par la loi soit un acte légitime, ni qu'il faille approuver un moyen détourné d'éluder la loi. Si, au contraire, on reconnaît que tout acte signe ou non signé, destiné à tenir lieu d'une lettre de voiture, doit être assimilé à la lettre de voiture elle-même, alors je ne comprends pas quelle serait l'utilité de la suppression du paragraphe. J'ai eu l'honneur de dire à la chambre qu'il est de jurisprudence constante que tout écrit, signé ou non signé, destiné à tenir lieu d'une lettre de voilure, est passible du timbre; or le paragraphe ne dit absolument pas autre chose, mais il faut le maintenir pour éviter toute espèce de doute, toute espèce d'équivoque, surtout après la discussion qui vient d'avoir lieu.

M. de Luesemans. - C 'est précisément, messieurs, parce que M. le ministre des finances a déclaré tout à l'heure qu'il n'entendait pas innover, que j'appuierai la suppression demandée par M. T'Kint de Naeyer. Nous savons aujourd'hui ce que veut la législation actuelle. La loi de l'an VII définit clairement la lettre de voiture, et le Code de commerce la définit plus positivement encore. Tenons-nous-en à ces définitions et laissons aux tribunaux le soin d'appliquer la loi : lorsqu'il se présentera un document quelconque, paraissant avoir les caractères de la mettre de voiture, les tribunaux statueront comme ils l'ont fait jusqu'à présent. Mais si vous allez dire dans une loi nouvelle : « Sont assimilés aux lettres de voiture les écrits signés ou non signés, qui sont destinés à en tenir lieu et qui indiquent les objets dont le transport est opéré par les porteurs de ces écrits, » alors je crains que dans l'application les agents du fisc ne soient tentés d'élargir l'interprétation donnée à la loi par M. le ministre des finances, et ne fassent, en définitive, abus d'une disposition que M. le ministre des finances reconnaît lui-même être parfaitement inutile.

M. Bruneau. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour vous soumettre des observations du genre de celles que vous a soumises M. Gilson. La réponse de M. le ministre des finances m'engage à insister sur ces observations.

Comment, messieurs, les choses se passent-elles ordinairement dans la pratique ? Ainsi que l'a dit M. Gilson, un négociant expédie par un voiturier, par les messageries, etc., 9, 10, 20 colis à la fois; le messager est porteur d'un registre dans lequel tous ces colis sont inscrits, et au bas de la page se trouve la signature qui constate que la marchandise a été remise à celui qui est chargé de la transporter. Ce registre est donc un titre pour le négociant qui, en cas de perte d'un ou de plusieurs colis, en réclame la valeur. D'après les explications données par M. le ministre des finances, il est évident que les indications portées sur ce registre seront considérées comme lettres de voiture, puisqu'elles forment un titre pour le négociant; faudra-t-il donc que le registre porte autant de timbres qu'il y a de colis mentionnés? (Interruption.) Ce serait là une source de vexations pour le commerce, d'autant plus que les négociants expédient très souvent des colis de fort peu de valeur, et que dès lors la charge, au bout de l'année, serait assez lourde.

Je pense, messieurs, que des explications sont indispensables à cet égard.

M. Delehaye. - Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis e& ce moment, aurait certainement mon approbation s'il n'avait pour but que de supprimer la fraude, et M. le ministre des finances doit bien savoir que la fraude n'a jamais trouvé un défenseur en moi ; souvent même j'ai demandé des lois répressives de la fraude.

Messieurs, lorsque j'ai combattu la loi qui remplaçait le timbre des journaux, ce n'était certes pas pour favoriser la fraude, c'était pour que le commerce et l'industrie ne fussent pas soumis à des vexations. La même pensée me guide aujourd'hui. M. le ministre des finances est d'accord avec nous, dit-il, pour n'apporter aucune modification à la définition que le code de commerce donne de la lettre de voiture; si cette pensée pouvait être formulée en disposition de loi, une telle disposition recevrait mon entière approbation; mais je demanderai à M. le ministre, comment les tribunaux et surtout les employés du fisc entendront le paragraphe 2 de l’article premier, qui dit tout autre chose que ce que porte le Code de commercer ? Pourquoi donc insérer dans la loi une disposition qui peut être mal interprétée et sur le sens de laquelle nous ne sommes pas d'accord nous-mêmes ?

M. le ministre des finances croit que les dangers que nous signalons ne peuvent exister. Les agents du fisc aiment à montrer du zèle, et nous craignons qu'ils ne s'emparent de cet article pour dresser indûment des procès-verbaux.

Nous sommes déjà d'accord en fait; nous demandons que nous le soyons en droit; nous proposons le retranchement du paragraphe 2 de l’article premier de la loi, et je ne comprends pas l'opposition de M. le ministre des finances à ce retranchement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il me semble que d'assez grandes erreurs servent de base à la plupart des raisonnements que vous entendez. L'honorable M. Bruneau vous disait : « Voici ce qui se pratique relativement au transport des marchandises; un négociant a un livre. Il y inscrit les colis qu'il remet au voiturier; ce dernier signe, il a ainsi une preuve de la remise de la marchandise; il possède un document propre à faire titre contre le voiturier. Est-ce que cette pièce est soumise au timbre? » La réponse à faire à l'honorable M. Bruneau est écrite dans la loi ; car elle dit que tout document devant ou pouvant faire titre est soumis au timbre. (Interruption.)

Permettez; vous avez un document propre à faire titre; vous l'invoquez en justice; ce document est celui dont parle l'honorable M. Bruneau; c'est l'accusé de réception de la marchandise, qui doit prouver vis-à-vis du voiturier qu'il a accepté l'obligation de transporter le colis déterminé. Eh bien, si vous produisez ce document, il est certain qu'on aura le droit de réclamer contre vous le timbre ; que si ce document était présenté aux agents de l'administration, ils auraient le droit de constater à votre charge une contravention, puisqu'il y aurait fraude à la loi du timbre. Il en est ainsi aujourd'hui, et il ne s'agit nullement de changer ce qui existe.

Maintenant le paragraphe dont on demande la suppression innove-t-il ? En aucune façon. Est-il vrai, oui ou non, qu'aujourd'hui les employés ont le droit de constater les contraventions à la loi sur le timbre, lorsqu'on leur présente un document signé ou non signé, destiné à tenir lieu de lettre de voiture ? Il faut bien qu'on réponde oui, puisque les tribunaux ont jugé souvent que les écrits destinés à tenir lieu de lettre de voiture, bien qu'ils ne remplissent pas toutes les conditions déterminées par l'article 102 du code de commerce, constituent le document soumis au timbre. Quel inconvénient y a-t-il donc à insérer dans la loi un principe qui a été constamment appliqué, ou sans lequel le droit serait constamment éludé? On suppose que les employés, à l'aide de cette disposition, pourront faire aujourd'hui, ce qu'ils ne faisaient pas antérieurement C'est une erreur; les agents de l'administration n'auront pas plus de pouvoir qu'ils n'en avaient autrefois, ils pourront constater les contraventions du chef des lettres de voiture ou de tous actes propres à en tenir lieu; s'il y a contestation, les tribunaux apprécieront.

Or, que demande l'honorable M.de Luesemans? C'est qu'on laisse aux tribunaux le soin d'apprécier. Mais encore une fois, les tribunaux apprécieront aussi sous l'empire de la loi proposée ; comme ils n'ont cessé de le faire sous l'empire de la loi actuelle. La loi ne contient et ne peut contenir qu'une disposition générale; mais pour l'application à chaque cas particulier, les tribunaux auront à décider si le document (page 18) représenté est, soit une lettre de voiture, soit un document destiné à en tenir lieu, ou bien si c'est un écrit qui n'est pas atteint par l'impôt.

Il n'y a donc aucun changement; ainsi les choses se passent aujourd'hui, ainsi les choses continueront à se passer; il n'y a aucun changement. Mais après la discussion qui vient d'avoir lieu, je verrais de l'inconvénient à faire disparaître la disposition proposée ; cela tendrait à répandre dans le public l'idée que du moment où l'écrit ne renferme pas les énonciations voulues par l'article 102 du Code de commerce, il n'est pas soumis au timbre.

Ce serait une erreur très préjudiciable qui pourrait engendrer des procès et que l'on ne doit pas laisser s'accréditer. Il faut, au contraire, dire nettement que du moment où l'on a l'intention d'avoir un titre propre à prouver un contrat de transport, on doit se soumettre au droit de timbre. C'est pour ce motif que j'insiste pour que le paragraphe 2 de l'article premier du projet soit maintenu dans la loi.

M. Bruneau. - Messieurs, j'avais cité un exemple d’application qui se présente communément dans le commerce. M. le ministre des finances dit que dans ce cas le droit du timbre est dû, et il cite l'obligation où l'on serait, en produisant ce titre en justice, de le faire timbrer. Cela est incontestable; il en serait de ce titre comme de tous les titres qui sont produits en justice, et qui doivent être timbrés.

Mais je soutiens que dans la pratique on n'a jamais entendu jusqu'ici que la détermination de lettre de voiture fût applicable au livret de négociant ; pendant 30 ans, le fisc n'a jamais songé à appliquer la loi à ces livrets.

Messieurs, ne changeons rien à ce qui existe; maintenons seulement la première partie de l'article premier, et adoptons la suppression du paragraphe 2 de l'article, qui est proposée par l'honorable M. T'Kint de Naeyer.

M. Pierre. - M. le rapporteur me paraît avoir émis une erreur qu'il me semble convenable de relever, lorsqu'il nous a dit tout à l'heure que le document contenant l'indication des marchandises expédiées par un commerçant à un particulier, surtout quand ces objets ont une minime importance, ne doit pas être considéré comme lettre de voiture. En effet, messieurs, il est évident que la lettre de voiture constitue contrat ou convention bien plutôt entre l'expéditeur et le voiturier qu'entre celui-là et le destinataire. J'ai cru bien faire en rectifiant cette inexactitude pour prémunir les particuliers contre l'amende à laquelle ils s'exposeraient en se basant sur l’opinion exprimée par l'honorable rapporteur, sous l'empire de la loi nouvelle, si elle est adoptée. Cette opinion, du reste, n'est point conforme aux dispositions du Code de commerce lui-même.

M. Toussaint, rapporteur. - Le registre dont a parlé M. Bruneau, s'il ne suit pas la marchandise, et si le commissionnaire n'en est pas porteur, n'est pas soumis au timbre de la lettre de voiture; le paragraphe dit formellement qu'il faut que l'écrit tienne lieu de lettre de voiture, qu'il indique les objets transportés, que l'écrit soit entre les mains du voiturier, et qu'il couvre la marchandise, pour tomber sous l'application de la loi. Le registre contenant les reçus ne donnerait lieu qu'à un visa pour timbre, s'il était produit en justice.

Quant à l'observation à laquelle a répondu l'honorable M. Pierre, je l'avais faite en mon nom personnel et non au nom de la section centrale.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Le droit de timbre des lettres de voiture est réduit à 10 centimes.

« Sont assimilés aux lettres de voiture, pour l'application de la présente loi, les écrits signés ou non signés qui sont destinés à en tenir lieu et qui indiquent les objets dont le transport est opéré par les porteurs de ces écrits.

« Un timbre spécial, dont la forme et le type seront déterminés par un arrêté royal, sera créé pour être appliqué sur la demi-feuille de petit papier établi par l'article 3 de la loi du 13 brumaire an VII. »

M. le président. - M. T’Kint de Naeyer propose la suppression du paragraphe 2.

M. Jullien propose de rédiger le premier paragraphe de la manière suivante :

« Les lettres de voiture devront être écrites sur un timbre particulier dont le prix est fixé à 10 centimes. »

Il propose en outre la suppression du 2ème paragraphe et la réduction de l'amende à 15 fr.

M. Jullien. - Quelques mots suffiront pour justifier l'amendement que j'ai l'honneur de soumettre à la chambre. L'article premier se borne, dans le paragraphe premier, à fixer le droit de timbre sans consacrer aucune prescription quant à l'usage du timbre. Selon moi, ii est utile, nécessaire, d'insérer dans le paragraphe premier de l’article premier du projet de loi, l'obligation de faire usage du timbre au droit réduit de 10 centimes pour les lettres de voiture.

Cette obligation dérivant de la loi de brumaire an VII, doit être renouvelée dans la loi qui nous occupe, parce que dans l’article 2 on punit les contraventions à l'article premier. En effet, si dans l'article premier il n'existe pas d'obligation écrite de faire usage de timbre, je vous demande quelle sera la contravention à l'article premier. Dès lors, il ne peut exister aucun doute sur la nécessité de rétablir dans le paragraphe premier, article premier, l'obligation de faire usage du timbre de 10 centimes pour les lettres de voiture.

Mon amendement tend également, comme celui de M. T'Kint, à obtenir la suppression du paragraphe 2.

M. le ministre des finances, dans ses développements, a fait lui-même justice de ce paragraphe.

M. le rapporteur a également produit un argument qui me paraît devoir nécessairement entraîner la suppression du même paragraphe.

D'une part, M. le ministre des finances a dit que le contrat, appelé lettre de voiture, était un contrat volontaire, que l'expéditeur n'était pas astreint à l'obligation d'accompagner un envoi de marchandises d'une lettre de voiture; d'autre part, M. le rapporteur vous a dit que le voiturier ne pourrait être contraint d'exhiber une lettre de voiture dont il serait nanti. Dans cet état de choses il est évident qu'on ne peut frapper d'un droit des écrits non signés, documents imparfaits qui n'ont ni la valeur ni la force d'une lettre de voiture, qui ne sont aux yeux de M. le ministre que de simples adminicules de preuve, que de simples notes qui en vertu de la loi sur le timbre n'ont été soumises à la formalité du timbre que lorsqu'elles devaient être produites en justice, mais qui n'ont jamais pu faire titre et par conséquent ne tombaient pas sous l'application le la loi du 13 brumaire an VII, laquelle ne frappe que les actes et écritures « devant et pouvant faire titre ».

Quand on convient que les lettres de voiture sont des contrats volontaires, qu'on peut rendre illusoire le timbre sur les lettres de voiture, puisqu'on n'astreint pas le voiturier à la présentation de ces lettres, on est forcé de reconnaître que l'on ne peut soumettre à l'obligation du timbre la simple note indiquant les objets transportés, à moins de créer des entraves pour le commerce dont on veut alléger les charges.

« Mais, dit-on, il faut d'une part alléger les charges du commerce, et, d'autre part, fermer la porte à la fraude. » On oublie, messieurs, que l'on ouvre la porte à la fraude par cela même que l'on permet au voiturier de conserver par devers lui la lettre de voiture dont il est porteur; or, que devient alors le paragraphe 2 de l'article premier, portant que les écrits, signés ou non signés, indiquant les objets dont le transport est opéré par le porteur de ces écrits, doivent être assimilés aux lettres de voiture? Je voudrais bien que l'on m'indiquât comment on constatera que le voiturier est porteur de ces écrits lorsqu'on n'a pas le droit d'en demander la production. Il est évident que ce paragraphe 2 pourra toujours être éludé et que dès lors il ne procurera aucun avantage au trésor, tandis que, d'un autre côté, il crée de nombreuses entraves, de nombreuses gênes pour le commerce.

M. le président. - Voici un nouvel amendement qui vient d'être transmis au bureau par M. Orts:

« Remplacer les mots : écrits signés et non signés, etc., jusqu'à la fin, par ceux-ci :

« Tous écrits faisant preuve d'une convention de transport entre l'expéditeur ou le commissionnaire et le voiturier. »

La parole est à M. Orts pour développer cet amendement.

M. Orts. - Messieurs, l'amendement que je propose ne vient pas de ma seule initiative; il avait été demandé à la section centrale par l'une des sections de la chambre, qui m'avait délégué à la section centrale, en qualité de rapporteur. Cet amendement me paraît justifié à la dernière évidence par les explications de M. le ministre des finances. En effet, messieurs, quel est le but que M. le ministre des finances veut atteindre par la loi nouvelle? M. le ministre des finances ne veut pas innover ; il veut frapper les lettres de voiture d'un droit de timbre plus modéré que celui qui les frappait antérieurement. Il veut atteindre les lettres de voiture et rien que les lettre de voiture, et il reconnaît que, si celui qui expédie des marchandises veut se priver de la preuve que peut fournir une mettre de voiture, il est parfaitement libre de le faire. S'il veut se reposer sur la bonne foi de son voiturier, laisser voyager la marchandise, sans avoir aucun titre contre le voiturier, faire par exemple ce que nous faisons tous lorsque nous mettons une lettre à la poste, dans ce cas il n'aura aucun droit à payer. M. le ministre des finances veut donc atteindre le titre appelé lettre de voiture.

Mais il fait un pas de plus, il veut avoir dans la loi le moyen de soumettre au timbre les titres qui ne sont pas précisément des lettres de voiture, d'après le Code de commerce, qui exige une foule de formalités pour constituer la lettre de voiture proprement dite. M. le ministre des finances comprend qu'on peut avoir un titre qui engage la responsabilité du voiturier, tout aussi bien que la lettre de voiture, et il dit que si ces titres ne sont pas frappés du droit, ils remplaceront les lettres de voiture. Il demande dès lors que ces titres soient soumis à l'impôt. Eh bien, messieurs, je veux aller jusque-là; mais je ne veux pas aller plus loin; parce que, restant conséquent avec la pensée du gouvernement, je ne veux pas aller plus loin que la législation actuelle. Si maintenant un expéditeur se contente d'une pièce qui ne constitue pas un titre, il ne faut pas que parce qu'un tribunal soupçonnera que cette pièce a été créée dans le but d'éluder la loi. celui qui l'aura faite puisse être frappé de l'amende, alors que ce sera une pièce ne signifiant absolument rien, un simple chiffon de papier.

Mon amendement rend cette pensée : il frappe toute espèce d'acte qui serait aussi bon qu'une lettre de voiture. (Interruption.) On me demande si je veux atteindre seulement les écrits signés? Evidemment oui. Je ne veux pas atteindre les écrits non signés, par l'excellente raison qu'un papier non signé ne signifie absolument rien. Je ne veux pas frapper d'impôt une chose qui ne sert à rien ; je veux rester conséquent avec le principe qui domine toute la loi du timbre et qui consiste à imposer les titres et rien que les titres.

(page 19) M. T'Kint de Naeyer. - Je me rallie à l'amendement de M. Orts.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs , l'amendement de l'honorable M. Jullien a deux objets : le premier , c'est de changer la rédaction du premier paragraphe de l'article premier, d'énoncer, si j'ai bien compris l'honorable membre, que la lettre de voiture doit être frappée d'un timbre de 10 centimes, au lieu de dire que le droit de timbre sur les lettres de voiture est réduit à 10 centimes. Je vous avoue, messieurs, que je n'ai pas bien saisi le but de cette modification.

Le décret de 1809 est spécial quant aux lettres de voiture ; toutes lettres de voiture, etc., dit-il, continueront à être assujetties au timbre de dimension. En restant en relation avec les dispositions existantes, le projet porte que le droit de timbre sur les lettres de voiture, c'est-à-dire, les lettres de voiture dont parle la législation actuelle, est réduit à 10 centimes.

C'est là, au surplus, une affaire de rédaction sur laquelle il n'y a pas lieu d'insister.

Le second objet de l'amendement de l'honorable M. Jullien, qui se confond avec celui de l'honorable M. Orts, auquel se rallie l'honorable M. T'Kint de Naeyer, a pour objet de supprimer le paragraphe 2 qui dispose que l'on assimile aux lettres de voiture, pour l'application de la loi, les écrits signés ou non signés qui sont destinés à en tenir lieu, et qui indiquent les objets dont le transport est opéré par les porteurs de ces écrits.

A en croire les honorables membres auteurs de ces divers amendements, il n'y aurait absolument aucune innovation dans la législation ; c'est même pour formuler ma pensée qu'ils proposent cette modification.

Eh bien ! je déclare aux honorables membres qu'il y aura là une innovation complète dans l'application constante et uniforme de la loi, aussi bien en France qu'en Belgique. C'est un changement complet, radical de la loi. Il est de jurisprudence que les écrits signés ou non signés qui sont mis en circulation en vue de tenir lieu d'une lettre de voiture, sont soumis au timbre. De semblables documents saisis par contravention à la loi du timbre ont été déclarés passibles du droit de timbre, passibles de l'amende. Or, vous ne voulez plus qu'il en soit ainsi. Vous voulez qu'à l'aide d'un moyen imaginé, d'un moyen quelconque, la loi puisse être éludée. Vous voulez en même temps que le droit est réduit, que de grandes facilités sont données sous ce rapport, on puisse complètement éluder le droit de timbre.

Messieurs, supprimez la loi, cela vaut évidemment mieux.

L'honorable M. Jullien disait tout à l'heure, et cela est répété par l'honorable M. Orts, que jamais on n'avait considéré un écrit non signé comme constituant une lettre de voiture et donnant lieu à l'application de la loi. J'ai, messieurs, sous les yeux des décisions judiciaires statuant précisément dans des cas semblables à ceux qui sont énoncés par ces honorables membres, et ces décisions ont appliqué la loi.

- Un membre. - On a eu tort.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a eu tort! Mais alors il faut dire que tout le monde peut se dispenser de payer le timbre des lettres de voiture. Il faut affranchir complètement de l'obligation d'avoir un timbre pour les lettres de voiture.

On vous a dit : Un document de cette nature, s'il n'est pas signé, n'est qu'un chiffon de papier qui ne signifie absolument rien. Mais, c'est là une erreur, je pense. Ce document non signé peut même entre les parties servir de commencement de preuve par écrit. Ce document est par conséquent un élément de preuve, et il peut être atteint par la loi tout aussi bien que la preuve complète.

Dans votre système, il faudrait aller jusqu'à soutenir que toute lettre de voiture qui ne renferme pas toutes les énonciations prescrites par l'article 102 du Code de commerce, ne signifie rien ; qu'elle n'est pas la lettre de voiture prévue par la loi, et qu'elle ne doit, par conséquent, pas être assujettie au timbre. Or, ce serait là une erreur manifeste. La loi n'a pas exigé que toutes les énonciations de l'article 102 fussent dans la lettre de voiture pour qu'elle fût soumis au timbre. Il suffit qu'il y ait preuve que les parties ont entendu se lier par le contrat nommé lettre de voiture. Si quelques-unes des énonciations indiquées par la loi sont omises, le contrat n'en est pas moins parfait.

Si, d'ailleurs, il était vrai qu'entre les parties, au point de vue de leurs intérêts privés, la loi requiert certaines formalités, il serait encore vrai que la loi pourrait regarder ces formalités comme non nécessaires au point de vue de la loi fiscale. Si vous avez un moyen quelconque d'éluder la loi fiscale, il faut paralyser cette fraude. Si vous avez la certitude qu'on peut employer un moyen détourné, il faut empêcher qu'on y ait recours. Sans cela vous décréteriez des lois avec la certitude qu'elles ne seront pas exécutées.

En France où l'on met beaucoup de rigueur dans l'application de la loi sur le timbre des lettres de voiture, en France où l'administration soutient que tout transport doit être accompagné d'une lettre de voiture, prétention qui n'a jamais été produite, je crois, en Belgique, on a imaginé divers moyens d'éluder le payement du timbre les lettres de voiture. En voici un entre cent : Un particulier fait transporter des objets et il remet au voiturier un écrit ainsi conçu : « Extrait d'une lettre de voiture timbrée, dont l'original a été transmis par la poste. » Ce document est non signé. Ce n'est que l'extrait d'une lettre de voiture, un prétendu extrait fait par le fraudeur en vue d'éluder la loi.

Eh bien; les tribunaux ont décidé que ce document, au point de vue de la loi fiscale, tenait lieu de la lettre de voiture et qu'il y avait lieu à l'application de la pénalité.

De même il a été jugé en Belgique, que des documents non signés pouvaient constituer des lettres de voiture dans le sens de la loi fiscale.

On a dit : En vain vous objectez que le document présenté ne contient pas toutes les énonciations voulues par l'article 102 du Code de commerce. Car cela fût-il vrai, l'article 102 est purement énonciatif ; il n'attache pas la peine de nullité aux prescriptions qu'il indique. Le document peut servir de commencement de preuve par écrit et cela suffirait déjà entre les parties, même sans être signé.

Mais, a-t-on ajouté, si les lettres de voiture dont il s'agit ne sont pas faites dans la forme d'usage, il est sensible que c'est uniquement pour tromper la vigilance des employés chargés de constater les contraventions à la loi du timbre ; et comme elles renferment suffisamment le caractère d'une lettre de voiture, qu'elles aient été fabriquées d'une manière plus ou moins parfaite en vue d'éluder la loi, la pénalité est encourue.

En un mot, voulez-vous que contrairement à tout ce qui s'est pratiqué jusqu'ici, tout document devant ou pouvant faire titre, car ce sont les termes de la loi de l'an VII, continue à être soumis à la formalité du timbre, sans aucune espèce d'innovation, sans changement aucun?

Si vous le voulez, il faut maintenir la rédaction du gouvernement. Il le faut maintenant pour éviter toute équivoque, pour que les particuliers soient bien avertis que du moment qu'ils font un contrat de transport, ce que la loi qualifie lettre de voiture, ils font un acte qui est passible du timbre ; que si le document ne renferme pas ces conditions, s'il n'est pas destiné à tenir lieu d'une lettre de voiture, s'il n'accompagne pas les objets transportés, il n'est pas soumis au timbre.

L'honorable M. Orts nous disait tantôt que le voiturier qui aurait une lettre de voiture non signée ne pourrait pas s'en prévaloir pour obtenir le payement du prix de transport. C'est une erreur; il pourrait s'en prévaloir; il pourrait l'invoquer pour établir et les conditions et le prix du transport. C'est dans ce sens que la pièce lui aurait été remise; on pourrait sans doute soulever des contestations, mais on le pourrait également s'il y avait une lettre de voiture signée. Cette éventualité n'est pas à considérer, car, par rapport à la loi fiscale, il suffit de rechercher si l'on a voulu donner à l'écrit la force d'une lettre de voiture.

Je le répète, en terminant, il ne s'agit d'apporter aucun changement à la législation actuelle ; on se borne à réduire le droit de 45 à 10 centimes, c'est l'unique but de la loi. Sous la législation nouvelle, comme sous la législation ancienne, tout écrit signé ou non signé, destiné à tenir lieu d'une lettre de voiture, est soumis au timbre, et si vous supprimez le paragraphe, il en sera encore de même : les tribunaux auront à apprécier s'il y a contravention, et ils se prononceront pour l'affirmative, à moins que, par la suppression du paragraphe, vous ne vouliez changer ce qui a existé jusqu'à présent.

Dans ce cas, il faudrait une disposition expresse dans la loi, si toutefois, après un pareil changement, on peut admettre qu'il existerait réellement encore une loi sur le timbre des lettres de voiture.

M. Dumortier. - Messieurs, la loi que nous discutons en ce moment nous est présentée comme une mesure favorable au commerce, mais j'éprouve la crainte que ce ne soit au contraire une aggravation de l'impôt qui pèse sur le commerce. J'entends bien M. le ministre des finances venir vous dire qu'il ne veut rien innover, mais le paragraphe qu'il soutient consacre évidemment une innovation.

En effet, messieurs, qu'est-ce qu'une lettre de voiture ? La lettre de voiture est complètement définie par le Code de commerce et M. le ministre des finances veut considérer comme une lettre de voiture un écrit même non signé. Voilà un premier embarras, mais en voici un second qui me préoccupe beaucoup : les non commerçants seront-ils assujettis au timbre des lettres de voiture? Je ne vois rien dans la loi qui décide ce point, et cependant il importe qu'il n'y ait aucun doute à cet égard.

Quant au commerce, on l'a déjà dit, la majeure partie des paquets expédiés par les petites manufactures sont accompagnés d'un simple carré de papier portant l'adresse du destinataire et la marque du paquet: est-ce là une lettre de voiture ? M. le ministre vient de dire qu'il ne veut pas aggraver les mesures fiscales ; je crois, au contraire, que la loi n'a qu'un seul but, c'est d'aggraver les mesures fiscales. Une adresse volante non attachée au colis et portant le numéro de ce colis, est-elle une lettre de voiture? Si M. le ministre des finances répond négativement à cette question, je suis prêt à voter la loi; mais si une semblable adresse peul être considérée, par le fisc, comme une lettre de voiture, alors nous devons supprimer le paragraphe; car enfin une adresse de ce genre ne donne aucune espèce de garantie à l'expéditeur, et soumettre une pareille pièce à la formalité du timbre c'est une vexation épouvantable que vous allez faire peser sur le petit commerce, sur la petite industrie. Je conçois que pour le grand commerce qui fait des expéditions d'une importance considérable, la mesure sera peu sensible ; mais pour le petit commerce qui expédie en détail, ce sera une charge énorme, une source de vexations et de procès sans nombre.

On nous a objecté, messieurs, ce qui se passe en France, mais veuillez remarquer que le commerce se pratique en France ou au moins qu'il s'y pratiquait en 1809, d'une manière toute différente de celle dont il se pratiqua aujourd'hui en Belgique. En 1809 la France était un vaste (page 20) empire; on expédiait des marchandises de Marseille à Anvers, ou d'Anvers à Marseille; souvent une lettre de voiture couvrait une quantité considérable de marchandises expédiées à une distance énorme ; ici, au contraire, la distance est presque nulle et le commerce achète à mesure de ses besoins; il en résulte une multiplicité étonnante de transports peu importants, et dès lors la charge que la loi ferait peser sur le commerce serait réellement fort onéreuse.

Je prie M. le ministre des finances de bien vouloir me dire si ces adresses volantes dont j'ai parlé seront soumises au timbre, et s'il en était ainsi, qu'on ne vienne plus nous dire que la loi procurera un adoucissement à l'industrie, je dis qu'elle aggraverait, au contraire, fortement sa position et qu'elle lui susciterait des vexations sans nombre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il me semble, messieurs, que dans les explications, déjà assez larges, que j'ai eu l'honneur de donner à la chambre , j'ai répondu très complètement aux questions que vient de faire l'honorable M. Dumortier. J'ai dit deux choses, la première que nul n'est obligé de faire par écrit avec le voiturier le contrat qu'on appelle lettre de voiture. On peut expédier par chemin de fer, par messageries, par voiturier autant de colis qu'on veut, avec une adresse, sans avoir besoin d'une lettre de voiture.

Le timbre n'est applicable qu'aux contrats qualifiés de lettre de voiture,, et pour que la loi atteigne son but, les documents qui seraient faits en vue d'éluder le droit de timbre, qui seraient de véritables lettres de voiture, dans la pensée de ceux qui les font, qui pourraient donner une action au voiturier pour obtenir le payement du prix de transport, ou à l'expéditeur pour demander l'exécution du contrat de transport, de semblables documents doivent être soumis au timbre.

On me demande maintenant: Une adresse volante qui ne sera pas attachée au colis, mais qui sera cependant et réellement une adresse, sera-t-elle soumise au droit de timbre? Non, le timbre n'est pas exigé pour les adresses. Mais encore une fois si vous faites un écrit de cette nature-là, pour tenir lieu de lettre de voiture, si vous le séparez du colis avec l'intention d'éluder la loi fiscale, les tribunaux apprécieront. (Interruption.)

On dirait, en vérité, que le gouvernement invente quelque machination étrange pour soumettre à l'impôt ce qui y avait échappé jusqu'à présent. Supprimons pour un instant le projet de loi. Est-ce qu'aujourd'hui un document de la nature de celui dont parle l'honorable M. Dumortier ne peut pas être déféré aux tribunaux, s'il n'est revêtu du timbre, comme constituant une contravention? Les tribunaux n'ont-ils pas jugé que des écrits non signés tenaient lieu de lettre de voiture ? Que l'absence de signature ou de quelque autre formalité contenue d'ordinaire dans la lettre de voiture, n'était préparée qu'à dessein d’éluder le droit de timbre. Or, ce que l'on jugeait sous l'empire de la loi de brumaire an VII, on le jugera sous l'empire de la loi nouvelle. Il ne servirait donc absolument à rien de supprimer le paragraphe 2 de l'article premier si l'on ne peut rien changer à ce qui existe aujourd'hui.

On répète toujours qu'il y aura aggravation pour le commerce. Comment peut-il y avoir aggravation ? Je propose de réduire à 10 centimes le droit qui est aujourd'hui de 45 c. Tous les discours possibles ne feront accroire à personne que cette réduction constitue une aggravation de charges pour le public. On devait payer 45 centimes, on ne payera plus que 10 centimes, c'est une réduction et rien de plus.

M. Orts. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à ajouter à ce que j'ai dit tout à l'heure. C'est pour rectifier deux principes qui ont été émis par M. le ministre des finances comme vérités incontestables, et qui ne sont rien moins que des principes ayant cette valeur.

M. le ministre des finances me dit : « Vous voulez exempter de l'application du timbre les écrits non signés parce que, d'après vous, un écrit non signé est sans aucune valeur entre les mains de celui qui le tient; c'est une erreur, dit M. le ministre; il peut servir à former un commencement de preuve. »

C'est là la plus épouvantable hérésie qui puisse être formulée en matière de jurisprudence. Il est indubitable qu'un acte non signé, demeuré aux mains de celui qui l'a écrit, est, aux yeux de tout tribunal, un chiffon sans valeur aucune qui ne peut jamais être admis pour servir de commencement de preuve. Je défie M. le ministre de produire une décision judiciaire qui consacre le principe contraire.

Maintenant si cet acte ne peut pas servir de commencement de preuve, de quel droit le frapperiez-vous d'un impôt ? L'impôt est ce que je paye pour avoir un titre, et les avantages que la loi attache à la possession du titre. Mais si je n'ai pas ces avantages, me faire payer l'impôt du timbre, c'est tout aussi bien, puisqu'on a parlé de vol, c'est tout aussi bien un vol de la part du fisc, qu'il y a vol de la part du contribuable, à frauder le fisc pour obtenir un titre, sans payer l'impôt.

Remarquez maintenant combien un écrit de cette espèce est inutile dans les mains de celui qui le détient, et combien il est injuste de vouloir le frapper du droit de timbre. Un individu a entre les mains un bulletin, non signé, constatant qu'il s'est chargé d'effectuer tel transport; vient-il maintenant devant un tribunal pour demander le payement de ses frais de voiture. peut-on trouver un commencement de preuve par écrit de celui qui l’a chargé le voiturier d'accomplir son mandat, si l'expéditeur n’a pas écrit de sa main, ce qu'il est toujours libre de faire et ce qu'il fait d'ordinaire?

Là, en fait, le bénéfice à tirer du papier non signé est irréalisable.

S'agit-il pour l'expéditeur d'exiger quelque chose du voiturier, c'est le voiturier qui a le titre entre les mains, la loi ne parle que de ceux-là; s'il a intérêt à le cacher, le titre ne viendra pas au jour.

Il est donc inutile de s'occuper de ce genre de chiffons de papier qui n'ont ni valeur légale, ni valeur matérielle.

M. le ministre des finances dit maintenant que si je veux atteindre le titre, je ne puis atteindre que les véritables lettres de voiture par mon amendement. Je réponds que l'objection n'est pas fondée. Il peut y avoir des titres qui ne soient pas les lettres de voiture et qui soient des titres parfaitement probants contre le voiturier. Voici, par exemple, un reçu que donnerait un voiturier à un expéditeur : « Reçu de monsieur un tel 12 ballots de marchandises à remettre à telle autre personne à Bruxelles. » Ce titre serait probant. Si le voiturier ne s'exécutait pas, avec ce titre-là je le ferais condamner en justice. Or, un titre de cette espèce, je le frapperais d'un impôt, parce qu'il vaut, pour l'individu qui l'a, une lettre de voiture, parce que c'est un titre comme la lettre de voiture. Mais il n'en est pas du tout de même d'un écrit non signé.

On parle d'une jurisprudence contraire qui aurait considéré comme bons, au point de vue fiscal, les écrits non signés. Cette jurisprudence est mauvaise et injuste; si dans le projet de loi actuellement en discussion,, nous pouvions atteindre ce triple résultat: assurer une recette au trésor, diminuer le fardeau qui pèse sur le contribuable et abolir une jurisprudence détestable, nous aurions fait une triple et bonne besogne, et c'est sous ce rapport que je maintiens mon amendement.

M. Dolez. - La pensée du gouvernement, celle de la section centrale et, je le crois du moins, celle de la chambre entière est de ne point modifier ce qui existe actuellement quant à l'obligation de soumettre les lettres de voiture à l'impôt du timbre. Mais il n'est pas sans utilité d'insérer dans la loi une définition qui résume cet état des choses tel qu'il résulte de la portée que la pratique et la jurisprudence ont donnée à la législation actuelle. Grâce à cette définition, le négociant saura d'une manière certaine si le document par lequel il faut accompagner l'objet qu'il expédie, est ou non soumis au timbre. Loin d'aggraver par là les obligations, les charges du commerce, nous agirons dans son intérêt, puisque nous lui donnerons dans la loi même, d'une manière fixe et précise, une règle qu'il doit chercher aujourd'hui dans les jugements et arrêts qui ont marqué la portée de la loi.

Pour bien apprécier la portée de la disposition sur laquelle l'attention de la chambre s'est arrêtée, il ne faut pas perdre de vue que ni l'emploi ni la production d'une lettre de voiture ne sont forcés. Il est parfaitement libre au commerce de ne pas se servir de ce mode si simple, si avantageux de constater les conventions qui interviennent entre l'expéditeur et le voiturier ou entre l'expéditeur, le commissionnaire et le voiturier; mais il se prive par là d'un titre qui lui est souvent de la plus grande utilité. Mais toutes les fois que le commerçant fait usage d'un document qui, sous une forme ou sous une autre, est de nature à lui donner un titre, soit à l'égard du voiturier, soit à l'égard du commissionnaire, il doit écrire ce document sur papier timbré.

Que le titre soit parfait ou imparfait, complet ou incomplet, par cela seul qu'il est un titre, qu'il a été rédigé pour avoir ce caractère, il doit être soumis à l'impôt. L'expéditeur saura donc que si le document ne constitue pas un semblable titre, que s'il ne pourrait pas le produire comme tel en cas de difficultés, ce document ne tombera pas sous les prescriptions de la loi. Il saura, au contraire, qu'il doit y être soumis, si ce document est de nature à pouvoir être invoqué comme constituant un titre.

L'honorable M. Orts voudrait que la définition ne s'appliquât qu'aux documents écrits, parce que, suivant lui, le document non signé n'est qu'un inutile chiffon de papier, qui ne peut pas même servir de commencement de preuve par écrit. Je ne puis admettre cette opinion. Dès 1819, la cour de cassation de France décidait que l'article 1347 du Code civil ne requiert pas que l'acte invoqué comme commencement de preuve par écrit soit signé ; depuis, d'autres arrêts oui consacré cette doctrine, qui est enseignée par les auteurs les plus graves, entre autres, par le savant Toullier. Au reste, on vous l’a dit, la loi actuelle, telle que la jurisprudence l'applique, atteint tout aussi bien la lettre de voiture non signée que celle revêtue d'une signature, la lettre de voiture avouée que celle voilée sous une autre forme ; écarter de la loi nouvelle une définition, qui n'a pas d'autre portée que de préciser cet état de la jurisprudence, ce serait, n'en doutez pas, donner des encouragements à la fraude, ce serait vouloir que le négociant honnête, qui se soumet aux exigences de la loi, soit dans une position moins favorable que celui qui se fait une habitude et, pour ainsi dire, un art de la frauder.

Telle n'est point, je le sais, la pensée de l'honorable M. Orts, mais tel serait infailliblement le résultat de la rédaction qu'il a proposée.

La rédaction de la section centrale, je le répète, ne présente aucun inconvénient. Elle n'aggrave en rien la situation du commerce, elle n'astreindra point à l’impôt du timbre ce qui n'y est point soumis aujourd'hui, mais elle donnera au négociant une règle fixe, d'après laquelle il saura si le document qu'il écrit doit ou non supporter cet impôt. C'est avec cette portée que la loi vous est présentée, c'est dans ce sens que j'engage la chambre à la voter.

M. Toussaint, rapporteur. - Je m'oppose à l'amendement de M. Orts, par le motif qu'il ne s'harmonise pas avec la législation actuelle et qu'il aggraverait la situation du commerce au lieu de l'alléger. Si (page 21) vous frappez du timbre toutes les pièces destinées à constater les transports, vous assujettirez à l'impôt les pièces dont parlait tout à l'heure M. Bruneau, même lorsqu'elles n'accompagneront pas la marchandise et qu'elles ne seront pas entre les mains du voiturier pour tenir lieu de lettre de voiture contre l'expéditeur ou le destinataire.

Je persiste donc dans l'amendement de la section centrale, entendu en ce sens qu'il ne modifie pas, mais seulement explique la loi actuelle, et prévient les procès auxquels la proposition de M. Orts ouvre une large porte.

- La discussion est close.

M. le président. - Je mets d'abord aux voix la rédaction proposée par M. Jullien pour le paragraphe premier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me rallie à cette rédaction.

- Le paragraphe premier, ainsi rédigé, est adopté.

Le paragraphe 2 est mis aux voix par appel nominal.

58 membres prennent part au vote.

30 votent l'adoption.

28 votent le rejet.

En conséquence, le paragraphe est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Clep , Cools, de Breyne , H. de Brouckere, Delescluse , Delfosse, de Man d'Attenrode, de Perceval, de Pouhon, de Royer, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, Frère-Orban, Julliot, Lange, Le Hon, Lesoinne, Mercier, Pierre, Rogier, Rousselle, Tesch, Thiéfry, Toussaint, Troye, Van Hoorebeke, Verhaegen,. Veydt et Anspach.

Ont voté le rejet : MM. Coomans, Dautrebande , David, de Brouwer de Hogendorp , Delehaye, de Liedekerke, de Meester, de T'Serclaes, Dumortier, Gilson, Jacques, Jullien, le Bailly de Tilleghem, Moncheur, Moreau, Orts, Prévinaire, Rodenbach, Schumacher, Thibaut, T'Kint de Naeyer, Ernest Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Renynghe , Vermeire, Allard, Bruneau et Cans.

- L'ensemble de l'article est mis aux voix et adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à lundi.

La séance est levée à 4 heures et demie.