(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session extraordinaire 1848)
(Présidence de M. Verhaegen. )
(page 41) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi et un quart. La séance est ouverte.
M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Meulemans, commis des accises de 2e classe, demande à pouvoir cumuler son traitement avec la pension civique qui lui a été accordée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Quelques fermiers de barrières, dans le Luxembourg, prient la chambre de leur faire obtenir une diminution du prix de location des barrières. »
- Même renvoi.
« Les membres de l'administration communale et plusieurs habitants de Fleurus, demandent que des mesures soient prises pour faire activer les travaux du chemin de fer de Louvain à la Sambre. »
- Même renvoi.
« Le sieur White prie la chambre de le dispenser de payer sa part contributive dans l'emprunt. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lefebvre, artiste vétérinaire, réclame l'intervention de la chambre, pour que le gouvernement lui donne la mission d'extirper les maladies épizootiques qui règnent dans les Flandres. »
- Même renvoi.
« M. Lehardy de Beaulieu fait hommage à la chambre d'une brochure intitulée : Coup d'œil sur l'avenir de la Belgique. »
M. le président. - M. le Hardy de Beaulieu transmet à MM. les membres de la chambre individuellement une brochure intitulée : De l'avenir de la Belgique, la remise sera faite à chacun de vous en son nom.
La discussion continue sur les paragraphes 7, 8 et 9.
M. de Royer. - Messieurs, c'est la première fois que je prends la parole dans cette enceinte, je serai bref; je suis un nouveau venu, et j'ai, à ce titre, pensé devoir saisir l'occasion des paragraphes de l'adresse en discussion pour faire connaître mon opinion au ministère, en ce qui concerne les économies, si vivement réclamées par le pays tout entier
Je suis pénétré de l'impérieuse nécessité d’opérer de fortes et nombreuses économies partout où elles seront compatibles avec le service de l'administration générale. J'ai suivi attentivement la discussion lumineuse d'avant-hier et celle d'hier surtout, où plusieurs de nos honorables collègues, mus par une pensée d'ordre et de conservation, ont prouvé au gouvernement que de larges réductions étaient indispensables et possibles sur les budgets de l'État.
J'ai vu avec bonheur, messieurs, que le cabinet, sans même en excepter M. le ministre de la guerre, partageait cette conviction; j'ai donc l'espoir fondé que le discours de la Couronne sera désormais une vérité, que le ministère se présentera dans peu de mois vis-à-vis de la législature avec des budgets considérablement réduits, que les traitements évidemment trop élevés seront ramenés à un taux normal et équitable, que le tarif et la loi des pensions seront justement modifiés, que les lois de l'impôt personnel seront révisées de manière à faire subir l'impôt par celui qui possède et à soulager le petit contribuable ; que l'impôt foncier sera débarrassé des centimes additionnels qui en augmentent si fortement le montant; que l'accise sur la bière, qui est la seule boisson de la classe ouvrière, sera diminuée sensiblement; que la loi et le tarif des patentes seront modifiés dans un sens avantageux au commerce de détail qui a eu tant à souffrir depuis plusieurs années; que les tarifs des douanes seront révisés dans un sens encourageant pour les relations internationales avec les puissances étrangères; que les gratifications accordées jusqu'ici par les chambres aux départements ministériels pour indemniser et récompenser les surnuméraires qui donnent gratuitement leur temps au gouvernement, et les employés à petits traitements cesseront à l'avenir d'être l'apanage des gros bonnets de l'administration; que les frais de représentation, dont on n'a point encore parlé et qui ne sont autre chose qu'une augmentation de traitement déguisée, seront entièrement supprimés ; que les cumuls, les sinécures et tons les autres abus plus ou moins déplorables cesseront aussi de peser désormais sur les contribuables. Enfin, messieurs, je conserve la pensée que les promesses contenues dans le discours d'ouverture, franchement exécutées, vont faire entrer la Belgique dans une ère de prospérité toujours croissante. A ces conditions, j'appuierai de tout mon pouvoir le ministère, dont plusieurs de ses actes lui ont acquis ma confiance.
Mais si, ce qu'à Dieu ne plaise, j'étais déçu dans mon attente; si les économies promises n'étaient pas réalisées aux budgets de l'année 1849, je le déclare hautement, je refuserais mon appui au cabinet, je voterais contre tous les budgets de l'exercice prochaine. Mon vote sera favorable aux paragraphes et à l'adresse.
M. Liefmans. - Messieurs, j'avais demandé la parole hier, avant d'avoir entendu le discours de M. le ministre des finances. Je croyais effectivement avoir à vous proposer l'adjonction de quelques paroles au projet d'adresse. Le discours du Trône et le projet d'adresse exprimaient des vœux que tout le pays exprime ; le discours du Trône exprimait la promesse d'économies sérieuses, efficaces, le discours du Trône exprimait la promesse d'une révision dans les bases de l'impôt. Mais ce que le discours du Trône, ce que le projet d'adresse n'indiquait pas, c'était l'époque à laquelle ces promesses se réaliseraient.
Je croyais donc devoir adresser à M. le ministre des finances des interpellations à cet égard, mais des explications lucides, éloquentes, ont prévenu mon interpellation. Ceci vous dit clairement, messieurs, que, quant à moi, je suis satisfait des promesses du discours du Trône, satisfait des vœux exprimés dans le projet d'adresse. Je donnerai donc un vote approbatif au projet d'adresse, et je considère ce vote comme la preuve de la confiance que m'inspire le ministère intelligent et libéral qui se trouve à la tête des affaires. Mais cette de confiance, je n'ai pu l'accorder qu'après que je me suis formé une conviction des motifs qui me dictent ce vote. Je me suis expliqué la portée du discours du Trône, je me suis expliqué la portée des vœux exprimés dans le projet d'adresse, et j'en ai tiré une conséquence qui ne sera pas mise en doute par le ministère.
Je me suis dit : puisque le ministère nous promet des efficaces, c’est qu'il est convaincu qu'il y a de grands besoins dans le pays et qu'il faut y porter remède. Mais, comme l'a dit hier l'honorable M. Dumortier, pour satisfaire à ces besoins, il faut des ressources; et les meilleures ressources, ce sont des économies.
Il faut des ressources à la situation de la Belgique, parce que la situation de la Belgique n'est pas aussi prospère que le ministère l'a dit hier. La situation du pays, surtout dans les Flandres, est désastreuse; tous les députés des Flandres l'attesteront. Or, il faut des économies ; le ministère nous en promet ; je prends acte de cette déclaration ; il faut qu'elle se réalise.
Ces économies se réaliseront sur toutes les branches d'administration, surtout sur le budget de la guerre; et je partage à cet égard l'opinion de l'honorable M. Delehaye, que c'est sur le budget de la guerre que les plus fortes économies pourront être réalisées. Je ne veux pas m'étendre maintenant sur cette question qui, comme l'a dit hier l'honorable M. d'Elhoungne, est une question réservée; je me contente de poser maintenant en principe que sur le budget de la guerre, il y a de fortes économies à faire.
Outre les économies, un moyen énergique pour satisfaire aux besoins du pays, c'est la révision des bases des impôts.
Je crois avoir entendu dire hier par l'honorable M. Dumortier que c'était un moyen très dangereux, qu'il ne fallait pas toucher à des impôts établis depuis longtemps. Je crois même que l'honorable M. Delehaye a exprimé la même opinion.
M. Delehaye. - C'est une erreur.
M. Liefmans. - Je croyais l'avoir entendu. M. le ministre des finances a émis une opinion contraire, il vous a dit qu'il fallait une révision de ces impôts.
Je crois qu'il a raison , je crois qu'au lieu de déclarer qu'il est dangereux de toucher au système actuel des impôts, on devrait reconnaître qu'il serait dangereux d'en ajourner la révision. N'oubliez pas que la loi sur la contribution personnelle et la loi sur les patentes ont été faites dans d'autres circonstances que elles où nous nous trouvons.
La contribution personnelle a une existence de plus de 25 ans ; à l'époque où elle a été établie, l'ouvrier, l'artisan, le petit industriel, qui vivait de son travail de tous les jours, non seulement pouvait se procurer de quoi alimenter et entretenir sa famille, mais avait encore un superflu qui lui permettait de payer une légère contribution personnelle et une patente.
Aujourd'hui tout est changé; l'ouvrier, l'artisan, le petit industriel, (page 42) dans les Flandres surtout, vit isolé, sans travail, ne sachant comment nourrir sa famille, et lui demander encore l'impôt qu'il paye depuis 25 ans, serait une souveraine injustice. Il faut lui tenir compte de ce qu'il a perdu, le dégrever en proportion de l'aggravation de sa situation, demander des ressources aux classes qui possèdent le plus pour soulager ceux qui possèdent le moins ou ne possèdent plus rien.
Je le déclare, dans le discours du Trône j’ai trouvé mes apaisements, parce que le ministère nous promet des économies et des économies efficaces; comme on l'a dit : Aux grands maux. les grands remèdes; pour remédier à de grandes misères il faut de grandes ressources.
Il est une classe intéressante par-dessus toutes dans la société, c'est la classe laborieuse voisine de l'indigence que la mendicité n'a pas encore écrasée sous sa main de fer ; il est urgent de seconder les efforts de cette classe qui frémit à l'idée d'aller grossir les rangs de ceux que torture et décime la faim.
Pour pouvoir lui venir en aide, il faut donc faire de grandes économies, le ministère les a promises, il les a promises efficaces, j'attends qu'il les réalise dans toute la largeur du mot.
Il faudra ensuite aborder la révision des impôts pour les rétablir sur des bases démocratiques.
L'honorable M. d'Elhoungne a dit qu'il partageait l'opinion de M. le ministre des travaux publics, je la partage aussi.
Que le ministère donc réalise ses promesses, il aura fait tout ce que le pays est en droit d'attendre de lui. Mais s'il ne le fait pas, nous ne le sauverons pas, car nous ne pouvons pas accepter la responsabilité de continuer à suivre la voie dans laquelle on marche depuis longtemps. Si donc les promesses faites ne se réalisent pas, au lieu de continuer ma confiance au gouvernement, je la lui retirerai.
M. David. - J'ai demandé la parole pour présenter un amendement.
M. le président. - M. David vient de déposer un amendement ainsi conçu :
« La chambre accueille avec empressement la déclaration que le budget normal des dépenses sera notablement réduit. »
M. David. - Dans les crises alimentaire, financière, commerciale et politique qui, pendant les trois dernières années, ont successivement sévi en Europe, la Belgique ne pouvait être épargnée; aussi toutes les classes de la société ont-elles été plus ou moins atteintes, et la plupart des contribuables, après avoir fait tous leurs efforts pour acquitter des charges disproportionnées avec leurs ressources, doivent enfin avoir le droit d'exiger de fortes réductions sur les dépenses de l’État.
Le pays a placé son dernier espoir dans l'opinion qui dirige aujourd’hui les affaires publiques; de là l'immense responsabilité qui pèse sur la législature actuelle. Elle saura, j'en suis certain, introduire de larges économies dans toutes les branches du service public ; car il ne suffit plus aujourd'hui de faire des promesses au pays; il sait à quoi s'en tenir sous ce rapport, il sait que souvent elles se sont traduites en aggravation d'impôt, et, dans ce moment encore, il pourrait, d'après le sort qu'a subi l'amendement de l'honorable M. Orts, se dire : Ce sont de vaines promesses; ; le gouvernement ne réalisera pas nos trop légitimes espérances de large réduction sur chaque budget, surtout sur ceux qui peuvent être le plus fortement diminués sans nuire à la bonne administration du pays, sur le budget de la guerre en première ligne.
L'adoption de cet amendement, messieurs, était urgente, elle signifiait : réorganisation de l'armée d'après les ressources et la position faite par les traités à la Belgique, temps d'arrêt dans les promotions incessantes qui chaque jour viennent augmenter le chiffre des positions acquises ; désarmement de la plupart de nos 35 coûteuses et inutiles forteresses ; elle signifiait encore : confiance dans la garde civique qui, divisée en garde mobilisée et sédentaire, préparée de longue main et dans les écoles déjà d'après le système indiqué par votre section centrale chargée de l'examen de la loi d'organisation de cette garde, pourra efficacement concourir avec une armée permanente réduite, au maintien de l'ordre intérieur et à la défense de notre neutralité et de notre nationalité, si jamais elles venaient à être menacées.
(Erratum, page 61)Enfin, elle signifiait non seulement : réalisation presqu'immédiate d'économies efficaces, mais encore inauguration d'un système nouveau et fixe, rendant possibles des réductions importantes et successives sur le budget de la guerre.
À mon avis, messieurs, cet amendement contenait l'expression de notre ferme volonté d'amener le gouvernement à opérer les économies larges et radicales que le pays a hâte de voir réaliser, il était pour ainsi dire le programme de nos intentions pour la session de 1848-1849 et son rejet dans la séance d'avant-hier me met dans la nécessité de voter contre l'adresse.
J'irai plus loin encore, messieurs, je dirai en réponse à la demande de déclaration franche, nous adressée hier par M. le ministre de l’intérieur, que je voterai contre tous les budgets aussi longtemps que le cabinet n'aura pas adopté un plan systématique quant aux économies à introduire successivement.
En attendant la réalisation du plan d'ensemble, il convient cependant de donner an pays l'assurance que la chambre ne se contentera pas de quelques économies insignifiantes et qui ne seraient que la conséquence de causes accidentelles, telles que les bas prix actuels des vivres en ce qui concerne la légère réduction promise sur le budget de la guerre; je demanderai donc que le mot « notablement » soit intercalé dans la deuxième phrase du paragraphe 9 qui serait rédigé comme suit :
« La chambre accueille avec empressement la déclaration que le budget normal des dépenses sera notablement déduit. »
M. Lelièvre - Je proposerai de sous-amender de la manière suivante l'amendement de M. David : « La chambre espère que le gouvernement opérera immédiatement des économies efficaces, et que le budget normal des dépenses sera notablement réduit. Depuis longtemps l'opinion publique réclame les économies. »
Cet amendement a pour but de faire constater deux faits importants : d'abord que les économies doivent être faites immédiatement, c'est-à-dire dans le prochain budget, ensuite qu'elles doivent être de quelque importance, tels sont les principes que je veux faire prévaloir. J'espère que la chambre s'associera au vœu que je lui propose d'émettre.
M. Lebeau, rapporteur. - Messieurs, il était aisé de prévoir, quand on songe aux préoccupations sous lesquelles se sont faites les dernières élections, quand on se reporte au langage tenu généralement par la presse, que la partie saillante du discours de la Couronne, du projet d'adresse et de la discussion actuelle porterait sur l'ensemble de la question financière. Il était aisé de prévoir que le mot « économie » serait l'épigraphe obligée de tout document officiel comme de tout discours parlementaire.
Les économies, tout le monde les veut; tout le monde les désire. Le discours de la Couronne fait foi que tel est le vœu du cabinet. Le projet d'adresse fait foi que ce vœu a été unanime dans le sens de la commission dont j'ai l'honneur d'être l'organe.
La question d'économie n'est pas une question de circonstance; c'est une question de tous les temps. C'est le premier chapitre du bréviaire des députés et des ministres. Ce doit l'être, au moins.
Celui qui, dans l'ordre privé, paye 100 francs pour un service qui en vaut 50, est un prodigue ou un fou. Celui qui, stipulant pour compte d'autrui, paye 100 francs ce qui en vaut 50 est un dilapidateur, un mandataire déloyal. Les économies sont donc perpétuellement à l'ordre du jour. C'est perpétuellement une question de bon sens, une question de moralité.
Le gouvernement, messieurs, on ne l'a pas fait assez remarquer, ne s'en est pas tenu à des professions de foi. Déjà dans la dernière session, l'honorable M. Veydt, alors ministre des finances, parlant au nom du cabinet, a déclaré que, malgré son court passage aux affaires, il pouvait annoncer déjà, au nom du cabinet, qu'une économie de plus d'un million et demi serait proposée à la nouvelle législature, en comparant le budget de 1849 au budget de 1848.
Mais, messieurs, si tous nous voulons des économies, notre langage ne doit pas, par des exagérations imprudentes, accréditer dans le pays des erreurs déplorables, ni faire naître des espérances qui seraient vaines, qui seraient suivies de déplorables déceptions.
Je me félicite, quant à moi, que nous ayons plein loisir, sans porter atteinte à des travaux urgents, d'examiner, autant qu'on peut le faire théoriquement, la question des économies. Je m'applaudis de la résolution qu'a prise la commission des pétitions de faire sien le remarquable travail que nous a soumis l'honorable M. Tielemans dans la session dernière. Je trouve que, eussions-nous moins de loisir qu'il ne nous en est accordé par les circonstances, nous ferions encore chose fort utile, en traitant, avec toute l'étendue que comporte un pareil sujet, la question des économies.
Mon opinion personnelle, je n'ai pas le droit sur ce point d'en émettre une autre, mon opinion personnelle est que le chiffre de nos dépenses, quoique susceptible de réductions, n'est pas frappé de ces exagérations que lui ont assignées plusieurs des honorables préopinants. Mon opinion personnelle est que sous le rapport des charges, de l'appréciation des charges qui pèsent sur le pays, le langage de nos honorables collègues est empreint de beaucoup d'exagération.
Est-ce à dire que des réformes, des réformes graves, ne sont pas possibles? Non, messieurs; si je l'avais cru, je n'aurais pas consenti à m'associer au langage si formel et si net que tient la commission d'adresse.
Des réformes sont possibles; des réformes successives, graves. Mais, messieurs, n'allons pas rêver des réformes radicales; n'allons rien promettre de fallacieux aux populations; surtout, ayons bien soin que le langage de la tribune reçoive jamais de la pratique et de la force des choses un déplorable démenti.
Qu'il me soit permis de le dire et que !a chambre veuille bien me pardonner cette espèce de paradoxe; les questions d'économies, mon expérience déjà assez ancienne dans la carrière parlementaire me l'a prouvé, sont un peu des questions d'optique.
Je dis un peu ; je me hâte d'insister sur ce correctif, afin qu'on ne dénature point, qu'on ne calomnie point ma pensée au dehors. Oui, les questions d'économies sont un peu des questions d'optique. Je m'explique. Chaque député, tous les députés, je ne m'en excepte pas, en arrivant dans l'enceinte législative, y viennent pénétrés de la conviction qu'ils sont appelés à porter une main réparatrice sur une foule d'abus; qu'ils doivent en quelque sorte attaquer au cœur la situation qu'ils sont chargés de venir examiner.
Comment se fait-il qu'à peine entrés dans cette enceinte, à peine initiés, par un examen consciencieux et par les débats de nos chambres, à la pratique des affaires, ces députés, d'abord si farouches, s'humanisent de jour en jour et finissent par réduire à peu près à un dixième, à un vingtième parfois, la masse des réclamations qu’ils apportaient ici consciencieusement, avec le désir, le désir sincère de les faire triompher?
(page 43) Eh bien, messieurs, c'est que ces députés avaient mieux appris les affaires. C'est que ces députes, par le contact des affaires, avaient peu à peu éclairé leurs convictions politiques, qu'ils avaient mieux vu, moins superficiellement vu ; ils étaient arrivés ainsi à justifier la définition tant soit peu paradoxale que je me permettais tout à l'heure de donner à la question des économies. C'est, messieurs, cela n'est pas seulement vrai pour la Belgique, c'est vrai pour tous les pays ; c'est que la grande école politique, la grande école des affaires publiques, c'est le parlement d'un pays, c'est le séjour de plus en plus prolongé, et prolongé avec fruit dans le parlement d'un pays.
Je crois exprimer ici un fait vrai et qui n'est de nature à blesser la susceptibilité de personne.
Je vous ai indiqué, messieurs, une première phase de la transformation qui s'opère dans les dispositions des députés arrivés dans cette chambre après quelques années de pratique parlementaire. En voici une deuxième qui n'est pas moins digne de votre attention. Ce député dont l'opposition était d'abord si énergique, si effrayante pour le cabinet, ce député qui s'est d’abord calmé, modifie même en restant dans l’opposition, passe un jour au banc ministériel. Vous le voyez alors demander souvent avec énergie, avec persévérance ce qu'il avait d'abord énergiquement refusé à ses prédécesseurs. Il n'est pas rare d'entendre quelques-uns des amis politiques du député devenu ministre, traiter celui-ci de renégat.
C'est à peu près là ce qui attend tous les ministres consciencieux qui veulent bien reconnaître que souvent, dans l'opposition, ils ont fait fausse route.
Eh, mon Dieu ! messieurs, la chose s'explique tout naturellement et presque toujours dans un sens qui n'a rien d'outrageant pour la nature humaine et surtout pour la moralité belge; c'est que ces hommes ont mieux appris encore les affaires quand ils ont été portés par leur nouvelle dignité au sein même des grands intérêts que doit régler un gouvernement, et que leur attention a été surtout éveillée et leur intelligence fortifiée et rectifiée par ce sentiment de la responsabilité qui parle si haut à l'esprit et au cœur de tout ce qui est honnête.
Messieurs, notre pays n'est pas le seul qui présente un tel spectacle ; il en est d'autres où ces phénomènes se reproduisent périodiquement ; il en est un surtout où l'on peut citer des faits récents qui sont de nature à impressionner fortement les esprits.
Le flot révolutionnaire vient de porter naguère au sein du gouvernement, dans un pays voisin, les hommes de l'opinion la plus avancée, les hommes qui étaient à l'avant-garde de l'opposition. Qu'ont-ils fait, arrivés aux affaires? Je crois pas, loin de là, à toutes les accusations qui traînent contre eux dans la presse; ils ont fait ce que faisaient les hommes dont je parlais tout à l'heure; ils ont été plus largement initiés aux affaires, qu'ils ne savaient qu'à moitié, qu'ils savaient à peine dans la position où ils étaient ; et ils ont un peu imité ceux qu'ils avaient si amèrement critiqués et attaqués.
Les journaux de ce pays voisin, je ne parle pas de ceux qui ont paru depuis la dernière révolution ministérielle, mais ceux des premières semaines ; à peine le nouveau gouvernement était-il installé au pouvoir, que le plus pur, le plus illustre d'entre eux, était exposé à ces mêmes accusations qu'on voit adresser à presque tous les ministres, quels qu'ils soient.
Ayons quelque peu foi dans les déclarations des membres du cabinet ; sachons-leur gré de résister, en acquit de leur conscience, à ces entraînements qui, s'ils n'étaient sévèrement réprimés, deviendraient, pour des ministres, un grand danger et pourrait les conduire à l'oubli de leurs devoirs.
J'ai montré ce qu'étaient souvent les membres de la représentation nationale, lorsqu'il s'agit des charges publiques, des impôts proprement dits. Permettez-moi, messieurs, de vous faire assister maintenant à un changement de scène complet, à un changement de scène accompli pour ainsi dire à vue.
Il ne s'agit plus d'impôts, il ne s'agit plus du budget des voies et moyens; il ne s'agit pas du budget, très peu populaire, des affaires étrangères, du budget de la guerre: il s'agit du budget des travaux publics.
Oh! alors, messieurs, adieu aux idées d'économies, adieu aux réclamations contre les charges toujours croissantes qui menacent d'écraser le trésor et le pays! Chacun de nous (je n'en excepte aucun) vient en quelque sorte livrer bataille au trésor public ; c'est souvent à qui en soutirera le plus qu'il pourra pour son district.
Ce sera tantôt pour la voirie vicinale, pour son collège, pour les routes, pour les canaux. N’avons-nous pas vu (je puis en parler sans amertume, parce que je suis parmi les complices), n'avons-nous pas vu, dans une session qui n'est pas très éloignée, des hommes qui sont volontiers ici les représentants par excellence des idées d'économie imposer à M. le ministre des travaux publics deux petites dépenses qui, réunies, s'élevaient à 20 millions de francs? Cela est-il vrai? Il me semble que c'est de l'histoire, et de l'histoire très récente. Je n'ai pas le droit d'en faire le sujet d'un grief, parce que, je le répète, je suis au nombre des coupables.
Ce qui me paraît parfois étrange, c'est le langage de quelques-uns de nos amis, députes des Flandres, car ils étaient coupables au premier chef dans la violence imposée à M. le ministre des travaux publics dont je parlais tout à l'heure.
C'est avec surprise, je le répète, que j'ai entendu hier encore les honorables députés des Flandres se poser en champions si ardents des économies, eux qui, ainsi que leurs prédécesseurs, depuis à peu près dix ou douze ans, sinon depuis les premières années de notre révolution, sont (qu'il me soit permis de le dire , non pour eux, mais pour leurs commettants), les plus grands, les plus intrépides budgétivores que j'aie rencontrés.
Faisons d'abord justice d'une comparaison qui a été plusieurs fois produite dans cette enceinte et que notre pays ne peut accepter. Puisque je viens de parler des Flandres, je dois dire que c'est avec un profond sentiment de douleur que j'ai quelquefois entendu comparer les Flandres devant la Belgique, à l'Irlande devant l'Angleterre. Rien n'est plus faux, plus injuste que cette comparaison. L'Angleterre, depuis des siècles, est coupable envers l’Irlande; l'intolérance anglicane, semblable à toutes les intolérances religieuses, a tenu sous ses pieds cette malheureuse nation, parce qu'elle ne professait pas la même religion qu'elle. L'Angleterre a donc un grand crime politique à expier, et je me hâte de dire qu'elle a noblement commencé cette expiation. Mais la Belgique n'a rien de pareil à se reprocher envers les Flandres; les Flandres ont de tout temps été associées à tous les bienfaits politiques et administratifs dont la Belgique a joui autrefois et dont elle jouit aujourd'hui.
C'est, messieurs, par douzaine qu'on compterait les millions votés par les chambres pour venir au secours des Flandres; et vous le savez, un million de réduction annuelle sur le budget de nos recettes est le prix d'un traité de commerce qui a été fait spécialement en vue de soulager les Flandres. Et si en présence de ces faits qui ne sauraient être contestés, les députés des Flandres venaient à se plaindre encore, à exiger que le ministère, espèce d'alchimiste, espèce de magicien, vînt, par un tour de baguette, transformer cette situation, nous serions encore en droit de leur dire : Cette situation vous l'avez souvent attribuée à une autre administration, à un autre système; et vous n'avez pas été, je ne dis pas cela pour vous accuser, mais pour défendre le cabinet, la chambre, le pays ; vous n'avez pas été les premiers à venir combattre et ébranler ce système, à enlever le pouvoir et l’influence à ces hommes auxquels vous avez si souvent attribué la plupart des maux qui pèsent encore sur les Flandres.
J'arrive à un sujet qui rentre directement dans le débat actuel.
J'ai beaucoup entendu parler encore, dans cette discussion, de gouvernements à bon marché. Qu'il me soit permis de le dire, il y a souvent une grande exagération, une appréciation très fausse, dans ce qu'on dit des gouvernements à bon marché. Déjà j'ai exprimé cette idée que les gouvernements libres sont, dans l'acception libérale du mot, les gouvernements les plus chers; j'ai ajouté qu'ils étaient d'autant plus chers que les pays sur lesquels leur action s'étend sont plus restreints.
Quoi ! les gouvernements libres soient plus chers que les gouvernements absolus, à rouages extrêmement simples, c'est, messieurs, de toute évidence. Si vous vous êtes quelquefois donné le plaisir ou l'ennui des études statistiques, vous avez pu voir parmi la plupart des statisticiens cette assertion formulée et prouvée en chiffres. Il n'y a pas, si l'on en juge parce qu'on nous rapporte et ce que nous savons de leurs budgets, de gouvernement plus cher que le gouvernement anglais; qui soit à meilleur marché que le gouvernement de la Chine. Je demande si, le choix étant à faire, vous hésiteriez longtemps? Dans ces gouvernements absolus, il n'y a pas de chambres législatives, ce qui coûte toujours un peu. De ce chef, si l'on prend pour modèle ce qui se passe à Alexandrie, il y aurait déjà d'assez grandes économies à réaliser.
Il y a certains pays où la justice est extrêmement peu coûteuses pour les contribuables Mais il est à peu près avéré que chaque justiciable doit la payer, à son tour, et que le plus riche fait souvent pencher la balance de son côté. Vous ne voudriez pas de cette justice à bon marché. Nous avons pour l'administration de la justice un personnel assez nombreux, trop nombreux peut-être; ce qui la rend assez coûteuse; mais, messieurs, n'avons-nous pas le droit d'être fiers de notre magistrature ? En existe-t-il dans le monde entier une qui soit plus entourée de la considération, de la confiance publiques que la magistrature belge? Si, à la différence des pays auxquels j'ai fait allusion, elle avait à prononcer entre le Roi ou un ministre et le plus modeste justiciable, il est certain que, si l'impartialité de nos magistrats pouvait fléchir, ce ne serait ni au profit du ministre ni au profil du Roi. Voilà ce qu'est la magistrature belge.
Notre budget des travaux publics grandit d'année en année. Plusieurs s'en effrayent; moi, qui ne partage pas les vues de l'honorable M. Dumortier, je m'en applaudis, car l’accroissement du budget des travaux publics dénote en général une augmentation de richesse et de prospérité : le développement des voies de communication, une augmentation dans la circulation, dans le mouvement des hommes et des affaires.
Je ne sais si en Espagne et en Italie, il y a des budgets des travaux publics; s'il en existe, ils doivent être d'une simplicité et d'une modestie admirables. Mais si vous avez voyagé dans ce pays, vous savez dans quel état s’y trouvent les routes. Je conseillerais à ceux qui auraient quelque incrédulité sur ce point de vérifier le fait par eux-mêmes.
Si notre budget des travaux publics subit chaque année une progression, la cause en est simple, et nous devons nous en féliciter. A cet égard, je citerai l'opinion d'un ingénieur étranger.
J'ai encore peine à y croire, tant le fait m'a paru surprenant. C'est que, proportion gardée, la Belgique est le premier pays de l'Europe, sans en excepter l'Angleterre, pour les chemins de fer et les voies de communication par terre et par eau réunies ; en lisant cette opinion, c'est à peine si j'en ai cru mes yeux.
(page 44) Ainsi donc on voudra bien m'accorder que, quand on veut apprécier ce que c'est qu'un gouvernement à bon marché et un gouvernement cher, il y a autre chose à faire que de considérer le chiffre respectif des recettes et des dépenses consignées dans les documents officiels des différents pays ou dans les recherches des statisticiens.
À propos de gouvernement à bon marché, on invoquera probablement encore l'exemple des États-Unis, quoique cependant le discours de M. le ministre des travaux publics doive un peu en faire perdre l'envie. Je ne connais pas de pays et d'institutions à l'égard desquels il y ait plus d'erreurs accréditées chez nous que le gouvernement des États-Unis. Je dois insister sur ce point, à cause de la généralité de la ténacité, de ces erreurs. Les ministres y ont, à la vérité, des traitements modérés , supérieurs cependant aux traitements des ministres belges; mais les administrations centrales y coûtent énormément cher.
La diplomatie des États-Unis, de ce vaste pays retranché derrière l'Atlantique, presque sans contact politique avec le continent européen, coûte cependant beaucoup plus cher qu'on ne le pense. Les ministres plénipotentiaires des États-Unis ne reçoivent, il est vrai, que 45 mille francs de traitement; mais il y a un petit correctif que je dois signaler à votre attention. On n'a pas voulu, pour ne pas entrer directement dans ce qu'on regardait comme une mauvaise voie, augmenter directement les traitements; mais on change les titulaires à peu près tous les trois ans; et comme on donne une année de traitement pour indemnité de route et frais d'établissement, il en résulte que leur traitement se trouve être en réalité de 60 mille francs ; si je compare ces dépenses à celles de notre diplomatie, vous devez être fiers des exemples d'économie que vous donnez, au lieu d'aller chercher aux États-Unis les exemples auxquels on vous renvoie souvent.
Chaque représentant reçoit, aux États-Unis, 40 fr. par jour de session parlementaire, presque trois fois ce qui est alloué à la législature belge.
Les sénateurs, aux États-Unis, reçoivent la même indemnité que les représentants. Le sénat ne nous coûte rien.
Les frais de voyage des membres des deux chambres, sont de 40 fr. par chaque vingt milles, ici ils sont à zéro. Et savez-vous, messieurs, ce que cet accessoire apparent vaut à certains membres des deux chambres des États-Unis? Parfois de 10 à 13,000 fr., parce que, dans ce gouvernement si démocratique, les dépenses ont été calculées au moment de la déclaration de l'indépendance, et alors qu'on n'avait encore ni chemins de fer ni canaux. On a eu beau multiplier sur la surface des États-Unis ces voies rapides et peu coûteuses de communication, qui ont réduit de 10 à 1, pour ainsi dire, les dépenses de déplacement et les frais de route, l’indemnité est restée imperturbablement la même. Il y a plus, il se fait une telle profusion de fournitures de bureau à l'usage de MM. les députés, de MM. les sénateurs et de leurs familles, qu'il a fallu un bill spécial pour mettre ordre à cet abus.
Voilà quelques-uns des traits que j'esquisse en passant de la république-modèle sur laquelle on s'appuie souvent pour demander tant de réductions dans les budgets de la Belgique.
Non pas, à Dieu ne plaise, que je veuille déduire de ces détails aucune conséquence qui soit de nature à rabaisser le gouvernement d'un pays où il y a tant de grands exemples à puiser dans l'ordre moral et dans l'ordre matériel ! J'ai tenu à faire ces citations, non dans une pensée hostile; je professe la plus grande sympathie, la plus grande estime pour ce gouvernement ; mais pour réduire à leur juste valeur ce qu'on dit des gouvernements à bon marché.
J'entends tout le monde ici, presque tout le monde, déclarer la guerre aux gros traitements. Messieurs, je les cherche, mais je les cherche ailleurs que dans les discours, je les cherche dans les budgets, et j'avoue que si je les y trouve, je les trouve dans un nombre extrêmement restreint.
D'abord qu'avons-nous fait dès 1830? Nous avons commencé par réduire le traitement des ministres à 21,000 fr. ; et l'honorable rapporteur de la commission des pétitions a reconnu hier, avec la loyauté et le bon sens qui le caractérisent, qu'il était parfaitement absurde que l'on vint, dans des pétitions, demander des réductions nouvelles sur le traitement des ministres
Il y a plus, messieurs, c'est qu'en 1830, époque de réactions bien naturelles, réactions de toute espèce, le congrès national avait alloué à M. le ministre des affaires étrangères une indemnité de représentation de 10,500 fr. Dans le sein du congrès pas une seule réclamation ne s'était élevée. Et de quoi se composait alors le corps diplomatique? Il se composait de deux représentants officieux. (Interruption.) Il y avait tellement traitement que j'ai l'honneur de vous déclarer que j'ai touché l'un et l'autre.
Aujourd'hui il y a quarante représentants étrangers; et parce qu'il a plu à un ministre des affaires étrangères d'invoquer la modestie et la simplicité extrême de ses goûts, on a biffé cette allocation. Cela a suffi pour qu'elle ait disparu et n'ait plus jamais osé reparaître devant vous.
M. Dumortier - Ce n'est pas dommage.
M. Lebeau. - Je dis que c'est dommage, et je vais vous dire pourquoi : c'est qu'il n'y a pas aujourd'hui un ministre des affaires étrangères qui ait le sentiment de ses devoirs de société envers le corps diplomatique, qui n'y mette largement de sa poche. Est-ce là ce que la chambre veut? C'est cependant la vérité, et j’en parle par expérience.
Les gouverneurs avaient, en 1830, 21,000 fr. de traitement, 10,000 florins. Ils ont, d'un trait de plume, été réduits à 15,000 fr.
Messieurs, si l'on parle de frapper de réduction les gros traitements, et si l'on entend par gros traitements ceux de MM. les ministres et ceux de MM. les gouverneurs, je demanderai qu'on fasse attention à quelques circonstances récentes.
Je ne fais certainement à personne, à aucun personnage politique de notre pays, l'injure de penser qu'il se décide à entrer soit dans la carrière ministérielle, soit dans la haute carrière administrative pour une question d'argent ; mais, messieurs, il est cependant des nécessités de position avec lesquelles il faut compter. Il y a tel ministre, tel gouverneur, qui est très disposé à faire honneur à la position qu'il occupe avec la totalité de ses appointements, mais qui n'est pas assez riche pour y ajouter de son revenu.
Trouve-t-on si aisément des ministres, des gouverneurs, qu'on puisse ainsi augmenter les difficultés qu'il y a de composer des cabinets et de trouver des fonctionnaires capables de diriger l'administration d'une province ? Demandez-le à ceux qui ont été chargés de composer des ministères! Demandez-le à celui de nos honorables collègues, qui s'est empressé, dès qu'il l'a pu, de quitter ce qu'on peut jusqu'à un certain point appeler le banc de douleur! Demandez-le à ces intérim qui sont condamnés à se prolonger indéfiniment !
Voilà, messieurs, quelques-unes des questions que vous devez vous adresser. N'avons-nous pas encore le gouvernement d'une des provinces les plus importantes du pays, qui est desservi par intérim? et peut-on assigner dès maintenant un terme à l'intérim d'une autre province laissée vacante par un honorable sénateur ?
Non, messieurs, certainement, les hommes politiques qui ont quelque valeur, quelque dévouement, ne se décident pas à prendre de hautes positions par des considérations d'argent. Mais il y a pourtant des nécessités matérielles avec lesquelles il faut nécessairement compter. Et s'il m'était permis, messieurs, pourquoi rougirais-je de le dire? S'il m'était permis de parler de moi-même, je dirais qu'une des nombreuses raisons qui m'ont porté à décliner les offres qui ont pu m'être faites, soit pour un portefeuille, soit pour une haute position administrative par d'honorables amis politiques, c'est que l'expérience m'avait appris que je ne suis pas assez riche pour être ministre ou gouverneur.
Serait-ce le clergé qui aurait été l'objet des largesses imprévoyantes et coupables de la législature et du gouvernement? En 1831, le ministère auquel j'avais l'honneur d'appartenir a réduit notablement les traitements des membres de l’épiscopat belge ; et je dois dire à leur honneur (ce qui ne surprendra personne) que jamais l'ombre d'une réclamation ne s'est produite de ce chef de la part de ces prélats.
J'ai eu l'occasion de faire la comparaison de ce que coûte le clergé en France et en Angleterre d'une part, en Belgique d'autre part, et j'ai constaté que notre clergé est moins rétribué, proportion gardée, que le clergé de France, et bien moins encore que le clergé d'Angleterre.
Enfin, je n'hésite pas à le dire, la plus grande parcimonie a présidé, en 1830 et depuis, à l'établissement de plusieurs services publics. Aussi a-t-on été obligé de revenir sur ce qui avait été fait dans ces moments d'entraînement. On a dû le faire pour les commissaires d'arrondissements, pour la cour des comptes, pour la magistrature. Et c'est à bon droit que l'honorable rapporteur de la commission des pétitions en parlant hier des réclamations qui s'élevaient contre les traitements des conseillers des cours d'appel, a répondu que cette partie de la pétition ne méritait en aucune façon d'être prise en considération.
Le traitement d'un conseiller de cour d'appel, siégeant dans une de nos grandes villes, quand vous en retranchez le loyer de sa maison, quand vous le supposez père de famille et sans fortune (je ne pense pas qu'un cens d'éligibilité soit requis pour entrer dans la magistrature), quand vous le supposez ayant à faire l'éducation de ses enfants, je ne pense pas qu'aucun d'entre vous trouve ce traitement exagéré.
Il est encore, je dois le dire, une illusion populaire dont on ne se défend pas toujours dans des régions plus élevées et qui peut-être est acceptée, si j'en crois ce que j'ai entendu, par quelques-uns de nos honorables collègues. C'est l’énormité des économies qu'on pourrait faire sur le budget des affaires étrangères. Or le traitement de nos agents diplomatiques s'élève à la somme de 350,000 fr. C'est moins, on vous l'a dit hier, que le traitement de deux ambassadeurs anglais. A Paris, nous avions un ambassadeur qui avait le traitement de l'ancien ministre, 48 mille fr., le plus faible traitement, je crois. que reçoivent les ministres plénipotentiaires des États de second ordre, accrédités près le gouvernement français. On l'a réduit à 25 mille francs.
Je ne sais si je dois en remercier le cabinet. Je ne sais s'il n'y pas quelque exagération dans une réduction de ce genre. Je rends hommage aux intentions, mais je me demande s'il n'y a pas là quelque imprudence, surtout si ce chiffre est accepté comme le chiffre normal du traitement de nos autres ministres plénipotentiaires.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il est accepté comme tel.
M. Lebeau. - Je désire que l'événement ne trompe pas les loyales intentions du cabinet. Mais je ne sais si je puis être rassuré, pour l'intérêt du pays, sur les conséquences de cette réduction.
N'oublions pas d'ailleurs que nous avons la prétention de vivre dans un gouvernement de plus en plus démocratique, et ne faisons pas en sorte que les emplois, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur, soient nécessairement le monopole de l’aristocratie d'argent.
J'ai déjà dit dans une autre circonstance qu'en fait de diplomatie nous étions très prodigues non d'argent, mais de titres. Nous avons des ministres résidents à Copenhague , à Lisbonne , à Madrid , à Turin. (page 45) Savez-vous quel est le gros traitement de ces ambassadeurs? II est de 15 mille francs. De telle sorte que j'ai vu peu à peu d'honnêtes pères de famille sans fortune successivement remplacés dans ces positions par des célibataires ou par des hommes que la fortune avait favorisés. Voilà la conséquence essentiellement antidémocratique de l'abaissement exagéré de certains traitements. Si c'est là ce qu'on veut, je n'ai rien à dire.
Je pourrais insister encore sur ce que coûte nécessairement, quant à ses dépenses proportionnelles, un pays qui s'est séparé d'un autre, tandis qu'autrefois il n'avait qu'une part dans les dépenses générales. Mais aucun de vous sans doute ne trouvera que l'indépendance nationale coûte trop cher. J'aurais honte d'insister sur de telles considérations.
Eh bien, malgré toutes les nécessités qu'imposent les nombreux rouages du gouvernement représentatif et l'indépendance nationale, malgré les garanties nouvelles et nombreuses que nous donnent nos institutions, je dis que les charges publiques ne sont pas entachées de l'exagération qu'on leur a reprochée dans cette enceinte.
La preuve vous en a été fournie à plusieurs reprises, et notamment par un document officiel de date récente, et que ne récusera pas M. Dumortier.
Cet honorable membre a excité hier chez M. le ministre de l'intérieur une surprise que j'ai partagée, quand je l'ai entendu dire que nos charges publiques avaient été sans cesse en grandissant, de manière à doubler presque le budget des recettes, tandis que son honorable ami, M. Malou, dans un document officiel, a établi que, loin d'avoir aggravé les impôts depuis la révolution, le gouvernement et les chambres belges les avaient réduits de plus de 18 millions ; qu'un seul impôt un peu considérable, plus moral que fiscal, l'impôt sur les boissons et le droit sur les tabacs avaient subi quelque aggravation.
Récemment on a encore réduit les frais de poste, les frais du transport des journaux ; on a supprimé le timbre des journaux, on a supprimé depuis plusieurs années, et j'espère qu'on ne les rétablira pas, les droits d'entrée sur les céréales, les droits d'entrée sur le bétail ; on a réduit notablement certains péages sur les canaux. Voilà comme on a procédé ; presque toujours par dégrèvement, jamais, pour ainsi dire, par aggravation.
Il faut, messieurs, quoique cette comparaison ait déjà été faite plusieurs fois, il faut y revenir sans cesse, pour dissiper les illusions qu'on s'est plu à répandre dans le pays.
C'est que, parmi les États constitutionnels, la Belgique est un de ceux où les charges, considérées par tête d'habitant, sont le moins fortes. Déjà l'année dernière, mon honorable ami le président de cette chambre a prouvé, par des documents irrécusables, que la comparaison sur la somme entière des différents budgets de l'Angleterre, de la Hollande, de la France et de la Belgique, faisait ressortir les chiffres suivants :
Pour l'Angleterre, par tête, 51-48, les Pays-Bas 45-54, la France 41-08, Belgique 27-88.
Et si vous mettez de côté les péages et les revenus, si vous prenez la comparaison seulement dans les impôts, vous trouverez que pour les contributions directes et indirectes, l'enregistrement, le timbre, les douanes et accises, on paye par tête : En Angleterre 40-70, dans les Pays-Bas 36-90, en France 33-83 et en Belgique 19-25.
Je tiens à fortifier par la citation de ces chiffres, puisés dans les documents officiels, ce qu'a dit hier l'honorable ministre des travaux publics et des finances.
Je crois avoir établi, messieurs, qu'il y a généralement modération, quelquefois parcimonie dans les dépenses de l'État, surtout dans celles où l'on se plaît à croire que les abus pénètrent le plus facilement, le personnel, les traitements.
Je crois avoir démontré par des chiffres qu'il y a une grande modération dans les recettes, dans les voies et moyens, dans les impôts qui pèsent sur les contribuables belges; mais je dirai ici ce que j'ai dit en commençant: N'y a-t-il rien à faire? Je suis bien loin de l'affirmer.
Oui, messieurs, il y a à faire, beaucoup à faire, mais ne promettons pas , comme le disait hier M. le ministre des travaux publics, ne promettons pas des choses merveilleuses, des choses, pour ainsi dire, fabuleuses à la crédulité de nos commettants.
Je ne parlerai pas des réductions dont on croit le budget de la guerre susceptible; cette question n'est plus à l'ordre du jour, depuis que la chambre, par un sage ajournement, par le rejet de l'amendement d'un honorable collègue, a déclaré que cette question était inopportune. Je me réserve, lorsque le budget de la guerre nous sera présenté, d'établir mon opinion et de prouver alors quel lien intime, pour tout homme qui a réfléchi mûrement à la situation, aux conditions d'existence de son pays, quel lien intime il y a entre une diplomatie intelligente et une force militaire plus ou moins respectable.
Messieurs, les vraies questions financières, ce sont d'abord, pour nous tous, le bon emploi des fonds, le bon emploi des dépenses votées par vous. Eh bien, nos institutions assurent à plusieurs degrés le contrôle le plus sévère des dépenses de l'Etat. Les chambres, d'abord, contrôlant les dépenses des ministres ; les électeurs contrôlant la conduite des chambres, et la cour des comptes veillant scrupuleusement à ce que la volonté législative ne soit jamais méconnue; voilà, messieurs, des garanties complètes.
Une autre question digne de toute votre sollicitude, ce sont les réformes à introduire dans le système de nos impôts. Je l'ai dit dans la dernière discussion des voies et moyens, après les garanties politiques, la réforme dans l'ordre matériel. Après la liberté, messieurs, le bien-être, le bien-être descendant graduellement dans toutes les classes de la population. J'aime à croire que les élections de 1847 et les élections de 1848, ayant résolu pour longtemps les questions politiques, nous permettront d'aborder dans un esprit de patriotique union toutes les réformes financières dont je viens d'indiquer la nature.
Dans des circonstances encore récentes, l'Angleterre, après avoir accompli une grande réforme politique, a réalisé aussi une réforme financière. Le système des impôts indirects a été fortement entamé, et j'espère bien que ce sera dans le même esprit que nous procéderons à la réforme de notre système d'impôts.
L'impôt indirect a contre lui, messieurs, un très grand vice, c'est qu'il frappe en aveugle, et souvent avec injustice; c'est que souvent une famille nombreuse et peu aisée perd, par sa consommation, une partie de son revenu égale à ce que payent les fortunes les plus opulentes; c'est qu'en outre, l'impôt indirect est entaché d'un autre vice fondamental, l'énormité des frais de perception, au point qu'il y a tel impôt indirect qui coûte, dans certain pays (je n'ai pas pu vérifier si la même chose existe chez nous), jusqu'à 40 p. c. pour frais de perception. C'est là une lourde charge pour les contribuables, sans profit aucun pour le trésor public. C'est que, de plus, la perception de ces impôts, l'établissement de ces impôts excite puissamment à la fraude, c'est-à-dire à la démoralisation des populations.
Dans le pays dont je viens de parler, on a opéré en quelques années des réductions sur les objets de consommation à l'usage du peuple, aliments et étoffes grossières, pour environ 200 millions de francs annuellement.
À l'exemple de l'aristocratie intelligente à laquelle je fais allusion, faisons passer de plus en plus les principes démocratiques dans l'ordre matériel, dans l'ordre financier. Mais faisons-le avec la plus grande prudence.
Déjà, messieurs, un impôt que beaucoup d'entre nous voudrions voir disparaître du budget de nos finances, a disparu du budget de l'Angleterre et du budget de la France; je veux parler de l'impôt sur le sel. Eh bien, dans mon opinion, il doit disparaître progressivement du budget belge.
Je ne me fais pas le champion de certains principes socialistes qui entraînent après eux de graves dangers. Mais, sachez-le bien, pour ceux qui ont étudié consciencieusement la plupart de ces doctrines, tout n'y est pas faux, inique, impraticable. Étudions, accueillons tout ce qui est réalisable dans les doctrines socialistes, pour avoir le droit de repousser avec énergie tout ce qui y est utopie, déception et désorganisation sociale.
L'administration, les tribunaux, la force publique, tout ce qui est coûteux, est institué principalement pour protéger surtout ceux qui possèdent. Dans l'ordre matériel, a dit un grand ministre dans un pays voisin, vous êtes désormais placés devant ce dilemme redoutable : réformes ou révolutions !
Mais, messieurs, presque tous nous sommes d'avis que c'est bien moins d'une réduction dans le chiffre que d'une transformation dans le système des charges publiques qu'il faut nous occuper, et chacun répond en quelque sorte spontanément à cet appel, tant cela est dans le vœu, dans l'esprit de l'époque.
C'est ainsi que l'honorable M. Malou et d'autres honorables membres ont recommandé particulièrement à l'attention du gouvernement le système des assurances par l'État, et c'est surtout dans un but fiscal que cette recommandation a été adressée au gouvernement.
Il est si vrai que l'opinion sollicite bien plus une modification dans le système des impôts que des réductions, que l'année dernière, la section centrale proposait une augmentation sur les sucres et les tabacs; que l'honorable M. Verhaegen, répondant, de son côté, à cet appel, propose un impôt nouveau sur les donations et sur les biens de mainmorte; que l'honorable M. Castiau lui-même, qui certes n'a jamais passé pour vouloir de gros impôts, a proposé d'imposer les titres de noblesse, les décorations, les voitures, les livrées ; que l'honorable M. de Mérode est venu, presque chaque année, réclamer l'établissement d'un droit de succession en ligne directe; j'espère qu'il ne fera pas comme certains opposants, qu'il ne changera pas d'avis le jour où on lui a donné raison.
Quant à moi, je suis bien décidé à appuyer cet impôt que je regarde comme un des mieux motivés, comme un des plus démocratiques, c'est-à-dire comme un des plus équitables (car c'est ainsi que j'entends cette qualification) que l'on puisse soumettre aux délibérations d'une assemblée législative.
Là surtout est la véritable réforme en fait d'impôts : système plus équitable; et j'ai accueilli, comme la chambre, avec bonheur les paroles que M. le ministre des travaux publics a fait entendre hier sur ce point.
Après les recettes, nous aurons à nous occuper des dépenses. Là, messieurs, s'il y a des traitements exagérés (je crois que le nombre en est extrêmement restreint), nous les réduirons sans difficultés. Mais j'appellerai l'attention de la chambre sur le danger d'une réduction qui aurait pour résultat, comme je le disais tout à l'heure, ou de favoriser (page 46) l'aristocratie d'argent ou de faire entrer dans des administrations des hommes peu capables.
N'oubliez pas qu'à côté du gouvernement, l'intérêt privé fait aussi ses recrues; les sociétés anonymes, les compagnies des chemins de fer font à M. le ministre des travaux publics une concurrence redoutable.
Où il y a encore de notables réformes à faire, c'est dans la réduction du personnel administratif. Nous vivons encore sous le régime de la bureaucratie impériale, renforcé du système du gouvernement des Pays-Bas, c'est-à-dire considérablement aggravé.
Nous aurons à examiner si dans l'ordre administratif il faut maintenir les commissariats d'arrondissement, ou en revenir à l'ancien système; mais je prévois déjà que le jour où cette question se présentera, bien des réclamations surgiront et viendront presser le ministère ; je prévois qu'alors il y aura encore, comme je le disais tout à l’heure, un changement de scène à vue.
Dans l'ordre de l'administration financière, je crois qu'il est possible d'arriver à des réductions. Mais, messieurs, quand les abus se sont faits hommes, il faut du temps pour y obvier; il y faut des ménagements ; par conséquent, ces réformes seront lentes.
On pourrait déjà signaler à l'attention de M. le ministre des travaux publics la réunion, souvent dans les mêmes mains, de la recette des contributions directes et de la recette des contributions indirectes.
Il est à ma connaissance et à celle de plusieurs membres de cette chambre que, dans telle localité, il est tel receveur des contributions à côté de tel receveur des accises, que l'un a peut-être 4 ou 5 et l'autre 40 jours de travail sérieux par mois. Eh bien, quand de telles places deviennent vacantes, il est utile, et je pense qu'il est dans les intentions du gouvernement de procéder, à des réunions de recette, et de concilier ainsi avec les égards qu’on doit aux personnes les égards qu'on doit au trésor public. Je pense que ce travail est à l'étude dans tous les ministères.
L'instruction supérieure est à son tour organisée chez nous, je dois le dire, avec un luxe qui n'est nullement en rapport, je ne dirai pas avec les ressources du pays, (je ne parlerais pas de nos ressources quand il s'agit d'un intérêt si élevé,) mais avec les besoins du pays. Cela est évident. Il y a sur ce point une dissémination coûteuse. Il pourrait y avoir une concentration qui ferait à la fois les affaires du trésor public et surtout les affaires du haut enseignement. Mais là encore, lorsque le gouvernement voudra porter la main sur ce qui est, vous entendrez crier l'intérêt local bien plus haut que l'intérêt général qui sera engagé dans cette question.
Enfin, ce vœu d'une réforme financière prudente, mais incitante, progressive, sérieuse, ce vœu est général ; vous avez pu vous convaincre qu'il est dans les intentions du cabinet, comme dans celles de tous les côtés de cette chambre, le projet d'adresse l'exprime énergiquement.
Messieurs, de retour chez vous, après cette courte session, dites, je vous en prie, à vos commettants d'avoir un peu de patience, un peu de confiance et que par l'effet de leur patriotisme, du vôtre, par les bonnes dispositions de tous les pouvoirs, on arrivera graduellement à toutes les améliorations compatibles avec une bonne administration.
L’honorable ministre de l'intérieur vous l'a dit avec raison, et je donne, quant à moi, une entière adhésion à ses paroles, la mission d'un député n'est pas. ne sera jamais de subir aveuglément, servilement, des mandats impératifs donnés par l'inexpérience des affaires.
M. de Perceval - Nous n'avons pas reçu de mandat impératif.
M. Lebeau. - J'en suis convaincu. À mesure que vous vous éclairerez, comme chacun de nous l'a fait et le fait encore, chaque jour, au contact des affaires, vous éclairerez à votre tour les populations sur les erreurs dans lesquelles elles sont trop souvent induites, à l'égard des recettes et des dépenses de l'État. Personne de vous, personne de nous ne voudrait être l'esclave du pouvoir électoral.
Nous pouvons, sans orgueil, avoir la prétention d'être les conseillers, et parfois, j'ose le dire, les précepteurs de nos commettants. La souveraineté serait inutilement, vainement déplacée pour le bien public, si cette souveraineté devait à son tour n'avoir que des courtisans. Soyons toujours les défenseurs énergiques des vrais intérêts du peuple, mais ne consentons jamais à être les flatteurs de ses préjugés Cette franchise est parfois périlleuse; parfois elle est, comme dans les anciennes cours, punie d'une défaveur et même d'un exil momentanés. Mais le jour de la justice arrive , même le jour de la justice populaire , de l'opinion publique ; car tout marche vite aujourd'hui ; c'est en sachant l'attendre qu'on peut obtenir le plus sûrement la seule popularité qui soit bonne, vraie et durable.
M. le président. - M. Delehaye propose de remplacer le mot « immédiatement » par le mot « désormais. »
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, dans le discours si remarquable que vous venez d’entendre, l'honorable M. Lebeau a cité un fait sur lequel je dois donner quelques explications.
En parlant de la réduction qui vient d'être opérée sur le chiffre alloué à la légation belge à Paris, il a exprimé la crainte que cette réduction ne fût exagérée. J'avoue que je ne m'attendais pas (j'en suis, du reste, presque heureux) à devoir défendre la première réduction par laquelle le département des affaires étrangères est entré dans la voie des économies.
Je ne devais pas, en effet, m'y attendre après les débats auxquels nous assistons depuis plusieurs jours.
Je crois qu'il faut juger cette réduction, en tenant compte des circonstances où nous nous trouvons, des changements qui se sont opérés dans un état voisin et surtout les charges qui pèsent actuellement sur les contribuables, en même temps que toutes les sources de la richesse publique sont plus ou moins taries.
Certes si ces circonstances n'existaient pas, nous n'aurions pas apporté une réduction aussi forte à un traitement qui n'est pas trop élevé dans les circonstances ordinaires, à un traitement qui, comme l'a dit l'honorable M. Lebeau, est inférieur à celui de toutes les légations des États de second ordre à Paris.
La crise politique et financière amènera aussi la plupart des autres pays à réduire les traitements des agents diplomatiques.
Déjà, dans un pays voisin, il y a eu des réductions fort importantes dans les dépenses de plusieurs de ses légations.
Du reste, tout en reconnaissant que le traitement fixé à 25 mille francs pour notre ministre plénipotentiaire à Paris est loin d'être exagéré, que c'est la dernière limite à laquelle on puisse descendre, je dois dire que nous avons pris pour base les traitements qui sont accordés aux ministres à portefeuille en Belgique.
Nous nous proposons, à une seule exception près, de réduire à 25,000 fr. tous les traitements de nos ministres à l'étranger.
Je pense que cette économie (et il y en aura d'autres fort notables dans le budget des affaires étrangères), n'apportera aucun principe fâcheux de désorganisation et même d'affaiblissement dans notre diplomatie. Si j'avais pu croire que cette réduction que j'aurai l'honneur de vous propulser au prochain budget pût apporter un principe de désorganisation ou même d'affaiblissement dans notre diplomatie, je m'y serais opposé de tout mon pouvoir.
Mais, je le répète, les circonstances exigent que chacun s'impose des sacrifices momentanés.
Si les circonstances devenaient beaucoup meilleures, si, ce que je désire ardemment, notre situation financière s'améliorait, le gouvernement et les chambres auraient à examiner s'il n'y a pas lieu d'élever le chiffre des traitements qui n'auraient été réduits qu'en vue des circonstances où nous nous trouvons.
Voilà les explications que j'ai cru devoir donner en réponse à l'honorable M. Lebeau. Lorsque nous arriverons à la discussion du budget du département des affaires étrangères, nous pourrons entrer plus complètement dans la discussion des chiffres.
Je crois aussi avoir répondu aux interpellations d'autres honorables préopinants en leur annonçant qu'il y aura d'importantes réductions sur ce budget, particulièrement sur le chapitre: Traitements des agents diplomatiques et sur le chapitre : Marine.
M. Le Hon - Messieurs, j’avais demandé hier la parole sous l'impression des incidents de la séance; car, comme membre de la commission d'adresse, je laissais, suivant l'usage, à son rapporteur le soin de défendre ses propositions.
J'avoue que ce n'est pas sans certain embarras que je me trouve appelé à succéder à l'honorable rapporteur. Il n'est jamais possible de regretter qu'il ait parlé, lorsqu'on l'a entendu. Cependant, je me demande si les opinions personnelles de l'orateur n'ont pas, dans une grande partie de son discours, pris la place des idées et des sentiments de la commission.
L'honorable membre a eu soin d'en informer la chambre; aussi je m'empresse d'ajouter que mon observation ne peut avoir, à ses yeux, le caractère de reproche; qu'elle est simplement, de la part d'un membre de la commission, l'exorde obligé du peu de mots qu'il vient mêler à ce débat. Vous concevez que si c'était en qualité de rapporteur que l'honorable membre eût développé devant vous, avec son talent ordinaire, les théories et les idées que vous venez d'entendre, vous pourriez vous demander comment la commission est venue recommander au ministère, à la Couronne une investigation aussi sévère des dépenses et des abus; comment nous nous serions associés aussi pleinement à ce vœu de réforme économique et financière qui a édité dans tout le pays.
Assurément l'honorable membre a usé de son droit et de sa liberté quand il vous a exposé les convictions qu'il a puisées dans son expérience des choses et les résistances que sa raison oppose à ce qu'il croit être une erreur populaire et un préjugé du moment. Mon intention n'est pas de le suivre, quant à présent, dans l'examen des théories du gouvernement et des combinaisons de la statistique; d aborder toutes ces questions administratives dont la discussion actuelle n'offre aucune solution possible et ne laisse dans les esprits que des incertitudes fâcheuses.
Si nous nous reportons par nos souvenirs à la séance d'hier, les charges publiques auraient reçu chez nous une aggravation excessive, depuis seize ans, en même temps que nos dépenses auraient pris un développement démesuré; et si nous en croyons l'orateur qui m'a précédé aujourd'hui, on aurait apporté une sorte de parcimonie dans l'organisation (page 47) des services et l'allocation des traitements. Je trouve une égale exagération dans ces deux opinions extrêmes : je ne puis croire à tant de prodigalités ruineuses dont la représentation nationale aurait été complice, ni aux nécessités si dispendieuses qu'entraînerait le gouvernement des États libres. À mon sens, il faut rester dans des termes plus vrais pour donner quelque influence utile au langage que nous tenons à cette tribune.
Un ministre nous a dit hier que le pays avait parfaitement compris les nécessités impérieuses de la situation et les embarras naturels du gouvernement au milieu de la crise qui agitait l'Europe. Il rendait un juste hommage à la vérité.
Je viens, à mon tour, inviter le ministère à bien comprendre les vœux du pays, à bien interpréter ce qu'il regards comme l'un du ses besoins les plus urgents, comme la plus haute question qui soit à résoudre aujourd'hui.
Oui; la nation est calme et confiante: mais pourquoi? C'est qu'en 1830, nous avons fait une révolution complète, profonde, éminemment nationale: c'est que le congrès, prenant au sérieux l'indépendance, la liberté et tous les droits qui en dérivent, a réuni dans un faisceau national les antiques franchises de la province et de la commune belges, en les combinant avec les doctrines les plus avancées de la civilisation moderne; c’est qu'il a formé de ces éléments une constitution politique conforme à notre caractère, à nos mœurs et aux enseignements de notre histoire; qu'il a doté le pays paisiblement, sans troubles, de toutes les libertés et de toutes les garanties dont les autres peuples poursuivent encore la conquête à travers les émeutes, le sang et les ruines ; c'est qu'il a créé, enfin, dans un prudent esprit d'unité et de stabilité, la monarchie constitutionnelle la plus démocratique qui ait existé en Europe.
Voilà sur quelle base, sur quel sentiment repose le calme du pays. Sa confiance, il la puise dans le libéralisme sincère et éclairé du pouvoir, dans les dispositions qu'il lui connaît à développer et appliquer loyalement, dans l'intérêt de tous, les principes libéraux de nos institutions.
Mais la liberté politique ne renferme pas en elle seule tous les éléments du bonheur social. Il faut y ajouter les conditions du bien-être matériel. C'est surtout quand les sources de la richesse publique sont atteintes; quand les souffrances du commerce, de l'industrie et de l'agriculture imposent le malaise et les privations à toutes les classes de citoyens, que le poids des charges publiques se fait péniblement sentir; et c'est alors aussi que le gouvernement doit tourner toute sa sollicitude et tous ses efforts vers l'allégement des impôts.
Voilà pourquoi la Belgique est si préoccupée des questions d'intérêt matériel, si dominée par le besoin de diminuer ses charges en réduisant ses dépenses. Heureux, messieurs, le peuple qui, en possession paisible et complète de la liberté civile et politique, n'attend plus que de son budget le complément de son bien-être social ! Mais, je n'hésite pas à le dire : il est des temps où les questions purement matérielles s'élèvent à la hauteur des plus graves questions politiques, et intéressent la défense, la consolidation même de l'œuvre nationale; ces temps sont particulièrement ceux où les passions ennemies de l'ordre de choses établi s'attachent à aigrir les souffrances populaires et à exploiter l'excès des charges publiques en les imputant à l'institution politique qu'elles veulent renverser.
Quoiqu'on fasse, la pensée, les inquiétudes du pays se portent aujourd'hui sur les sacrifices que lui imposent les dépenses de l'État; il veut, il demande des économies. Il ne faut pas donner à ce mot « économie » l'acception vulgaire qu'il a souvent reçue en d'autres circonstances.
De tout temps la représentation nationale a recommandé l'économie au gouvernement et toujours les ministres ont répondu: Oui, nous la voulons comme vous, mais nous ne pouvons la pratiquer qu'avec maturité, avec prudence, en respectant les positions acquises. Toujours mêmes instances et mêmes réponses.
Aujourd'hui, messieurs, le bon vouloir temporisateur ne suffit plus. Aujourd'hui le vœu d'économie a une signification pressante et une portée plus haute.
J'ai sous les yeux le paragraphe du discours de la Couronne et les paragraphes d'adresse que nous discutons. Je me demande qu'elle été l'intention du pouvoir en s'exprimant de la manière suivante :
« Tous nos efforts, messieurs, doivent tendre à conserver à la Belgique une bonne situation financière. Là réside en grande partie sa force et sa sécurité. Le budget normal des dépenses sera réduit. Mon gouvernement est résolu à opérer successivement des économies efficaces. Plusieurs impôts devront être modifiés. »
J'ai trouvé, dans ce langage, le dessein arrêté d'opérer des économies autrement sérieuses et profondes que celles dont on a souvent parlé jusqu'ici.
Malgré la netteté de ce paragraphe, votre commission a pensé qu'elle devait mettre plus en relief la pensée du pays. Elle a cru qu'il n'y avait pas dans cet énoncé de l'opinion du pouvoir un sentiment aussi profond qu'il devait l'être, de l'urgence des besoins, de l'importance et de la nécessité des économies. Aussi vous a-t-elle proposé cette réponse :
« Mais plus le pays a montré d'empressement à s'imposer de tels efforts et de tels sacrifices, plus il a le droit de compter sur une investigation sévère des dépenses publiques, plus il a le droit d'exiger que ses représentants se montrent empressés d'accueillir, de provoquer, de réaliser toutes les réformes, toutes les économies compatibles avec la marche des services publics, de proscrire toutes les superfétations, d'extirper tous les abus. »
Par ces termes, messieurs, votre commission a voulu faire comprendre au ministère qu’il s’agissait ici, non de ces réformes que le temps, l'observation et l'expérience des affaires amènent lentement; mais des économies qui devaient résulter d'une investigation immédiate de tous les services publics relevant du pouvoir central, de leurs attributions, de leur personnel, de leurs travaux; en un mot, de tout ce qui jusqu'à présent ne paraissait pas avoir été réglé suivant un système d'organisation mis en rapport avec nos institutions communales et provinciales.
Le ministère ne saurait trop hâter l'accomplissement de ces réformes et de toutes celles qui se rapportent à l'emploi des revenus de l'État: c'est à elles que je faisais allusion quand je disais tout à l'heure que si la nation a compris les nécessités du gouvernement, le ministère doit comprendre la volonté bien prononcée du pays.
Oui, messieurs, il faut des économies, des économies que j'appellerai radicales, quoique ce mot ait paru blesser de bons esprits, mais radicales en ce sens qu'il faut qu'elles résultent de l'exploration de tous les abus jusque dans leurs racines. Il ne suffit plus d'effleurer la surface des abus; de s'arrêter sans cesse devant les questions de personnes ou devant les positions acquises. Une réforme générale est demandée, sans exclure les ménagements que l'équité réclame; mais votre commission l'a dit à dessein: une investigation sévère des dépenses est recommandée à tous les départements ministériels, aucun excepté; et je tiens à expliquer nettement cette pensée au ministère parce qu'une adresse est le programme dans lequel la chambre énonce sa pensée, dépose ses vœux et détermine l'esprit qu'elle apportera dans l'examen des budgets, comme dans la discussion des autres lois financières.
Or, messieurs, il m'a paru, après avoir entendu successivement plusieurs ministres, qu'ils ne partageaient pas tous ma conviction sur ce sujet à un égal degré , et, qu'il me soit permis de le dire, si je n'étais pas aussi certain de l'accord qui règne entre les membres du ministère, je me serais cru autorisé, d'après les réponses que nous ont données hier MM. les ministres des finances et de l'intérieur, à leur supposer certaines tendances divergentes, quant à l'urgence et à l'étendue des économies.
Je n'exprime ici, je l'avoue, qu'une impression ; mais une impression que m'a donnée la différence sensible de leur langage. Je crois ces honorables ministres animés du même sentiment ; seulement on a pu croire que l'un comprenait et acceptait plus que l'autre la nécessité des réductions et des réformes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il n'y a pas divergence, en quoi que ce soit, entre M. le ministre des finances et moi. Je ne sais dans quelles expressions vous avez pu remarquer cette divergence.
M. Le Hon - Je prie M. le ministre de l'intérieur de me prêter quelque attention : j'ai dit que si je n'étais pas certain de l'accord qui règne entre les membres du cabinet, j'aurais été autorisé à croire, d'après la nature différente des réponses que nous avons reçues hier de deux minisires, qu'il y avait certaines tendances divergentes dans leurs opinions. Voilà littéralement ce que j'ai dit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Citez nos paroles.
M. Le Hon - Je communique à la chambre les impressions que j'ai reçues après avoir attentivement écouté hier; j'use en cela d'un droit, et M. le ministre de l'intérieur particulièrement doit m'en savoir quelque gré.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Pourquoi ?
M. Le Hon - Parce que je vous offre une occasion d'effacer des impressions que d'autres membres pourraient avoir éprouvées comme moi.
Je dirai donc, puisqu'on veut connaître toute ma pensée, que les deux honorables ministres qui ont répondu hier, ont partagé, ont exprimé l'opinion que des économies étaient nécessaires. Seulement l'un nous disait qu'il continuerait à suivre la ligne de conduite qu'il s'était tracée jusqu'à présent, la voie dans laquelle il était entré; que les économies se feraient successivement avec maturité et méditation; en un mot, ce qui s'est dit et pratique de tout temps, à propos d'économies. L'autre ministre, au contraire, m'a paru aborder franchement, résolument les nécessités hautement proclamées par le pays; il a dit, que la question des économies était dès à présent l'objet de ses études sérieuses, qu'il en ferait certainement, et que le prochain budget nous les indiquerait ; il a ajouté qu'il s'occupait aussi de réformes dans l'assiette de quelques impôts; qu'il trouvait juste que l'impôt atteignît, non le nécessaire, mais le superflu; qu'il frappât le contribuable, non à raison de ses besoins, mais à raison de ses ressources.
Eh bien, messieurs, vous conviendrez sans doute que ces différences de langage étaient de nature à produire sur nos esprits des impressions différentes. Il y avait, de part et d'autre, intention sincère da faire des économies ; mais il m'a semblé reconnaître une conviction plus formée, plus profonde de la situation et des vœux du pays dans les paroles d'un ministre que dans celles de l'autre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je demande la parole.
M. Le Hon - Au surplus, messieurs, il importait, ce me semble, qu'un membre de votre commission d'adresse vînt expliquer, comme je le comprends, comme je le conçois, l'esprit qui a dicté le paragraphe (page 48) relatif aux économies. (Interruption.) Il paraît que ma pensée , si je l'ai clairement énoncée, a le malheur de n'être pas bien comprise.
J'ai dit que le mot « économies » avait aujourd'hui, dans la situation des esprits, au milieu des besoins si vivement exprimés de toute part, une acception plus grave qu'il ne l'avait eue dans d'autres temps ; qu’en effet, souvent on a demandé et promis des économies ; mais que ces promesses ont toujours été accompagnées de considérations restrictives qui les ont fait ajourner longtemps.
Je n'ai pas dit, en critiquant ce système dilatoire, qu'il ne fallait ni maturité, ni méditations, ni ménagements équitables pour les positions acquises; mais j'ai soutenu qu'il fallait aujourd'hui que les économies fussent étudiées plus promptement, qu'elles fussent plus efficaces, plus étendues, enfin plus radicales, et qu'un ministre ne devait pas craindre de proposer toutes celles qu'il reconnaîtrait justes, utiles ou nécessaires. Voilà ma pensée.
Vous en jugerez par un exemple, messieurs. J'ai parlé de la révision de la liste des pensions. Elle est prescrite par l'article 139 de notre Constitution. Je suis convaincu que si en 1833 ou 1834 un honorable membre de cette chambre a rappelé la nécessité d'exécuter cet article, on lui aura répondu par les formules habituelles du système de temporisation : et voilà dix-huit ans écoulés sans que cette révision ait eu lieu.
J'ai voulu faire comprendre qu'il faut des effets plus immédiats ; que le pays ne veut pas qu'on viole les droits de personne, mais qu'il entend qu'on ne sacrifie pas indéfiniment ses intérêts, et, je le répète, ces intérêts sont devenus des plus graves, ils ont pris aujourd'hui l'importance d'une question politique.
Messieurs, comme membre de la commission, j'ai cru devoir donner ces explications. Comme représentant, je pourrais entrer plus avant dans le débat, j'y serais même appelé en quelque sorte par le tableau qu'où vous avait présenté hier de beaucoup d'exagérations financières et administratives ; mais cet examen de questions spéciales appartient à la discussion des budgets.
M. Lebeau. (pour un fait personnel). - Je suis bien loin, messieurs, d'attribuer à l'honorable préopinant, dont je connais parfaitement les sentiments pour moi, la pensée de me mettre dans une position difficile. Je suis convaincu que telle n'est pas son intention; mais l'honorable membre que j'avais eu le tort d'interrompre, je le reconnais, a rapporté quelques détails de la discussion à laquelle a donné lieu le projet d'adresse dont, je dois le déclarer, aucun souvenir n'est resté dans mon esprit. Il semblerait, d'après l'honorable membre, que la commission d'adresse n'aurait pas reculé devant la pensée, je n'oserai pas dire de toucher aux positions légalement acquises, puisque l'honorable membre conteste une telle opinion, mais d'examiner les titres de certaines positions que la loi a consacrées, ce qui, véritablement, ne me semble constituer qu'une différence de mois. Tout en laissant à la chambre la plénitude de ses droits, auxquels, du reste, personne ne saurait porter atteinte, quant à l'examen des titres sur lesquels reposent les positions acquises en vertu des lois, je dois déclarer que mes souvenirs ne me retracent absolument rien d'une discussion de ce genre au sein de la commission d'adresse.
Au sein de la commission d'adresse, j'en appelle à tous ceux de ses membres qui sont ici présents, on a pu parler de la révision de la législation sur les pensions; mais, et je déclare que, quant à moi, je n'entends pas du tout toucher à cette question, la chambre comprendra les raisons de délicatesse qui m'en empêchent, je dirai seulement que si je n'avais pas à consulter les principes, je provoquerais l'espèce d'examen auquel l'honorable membre fait allusion, mais, je crois qu'au sein de la commission d'adresse on a seulement voulu exprimer la pensée d'une révision nécessaire de certaines parties de la législation sur les pensions, tant de la loi générale que des lois particulières, et qu'on n'a pas voulu donner à cette révision la portée d'une question personnelle. Si l'honorable membre pense que je me trompe, ce sera une lutte entre nos deux mémoires, et je passerai volontiers condamnation pour ne pas prolonger ce débat.
M. Le Hon - Je ne pensais pas qu'une simple allusion aux délais indéfinis qu'a subis l'exécution de l'article 139 de la Constitution pût donner lieu aux observations que vient de présenter l'honorable membre; car je dois supposer qu'elles s'appliquent à ce que j'ai dit des positions acquises aux anciens titulaires de pensions. Et d'abord je déclare que rien, dans mes paroles, n'a pu porter atteinte à la loyauté de son caractère, ni mettre en doute le sentiment qui me les a dictées. La chambre a parfaitement compris que j'ai voulu rapprocher de ce qu'avait paru exposer l'honorable membre, comme rapporteur, les idées que me semblait avoir partagées la commission sur le paragraphe principal de l'adresse.
L'honorable préopinant observe, à propos de ce que j'ai dit sur les positions acquises, qu'il ne croit pas que la commission ait discuté la mesure particulière d'économie relative aux titulaires de pensions.
Cela est possible, je partage même son doute à cet égard ; mais la prescription de l'article 139 de la Constitution n'en existe pas moins. Je l'ai invoquée comme exemple, et quels que soient les ménagements qu'on puisse réclamer pour les positions acquises, il reste toujours vrai qu'on a trop souvent sacrifié les intérêts de l'État par l'ajournement illimité des économies.
M. le président. - Messieurs, voici de quelle manière se présente l'amendement ; M. David se rallie au sous-amendement de M. Lelièvre, et M. Lelièvre se rallie au sous-amendement de M. Delehaye. L'amendement consiste dès lors en ceci :
« La chambre espère que votre gouvernement opérera désormais des économies efficaces et que le budget normal des dépenses sera notablement réduit. Depuis longtemps l'opinion publique réclame ces économies, etc. »
MtpFO. - Messieurs, ma loyauté ne me permet pas de laisser sans réponse les explications qui vous ont été données tout à l'heure par l'honorable M. Le Hon L'honorable membre a pensé qu'il y avait, sur les questions qui sont actuellement en discussion, une divergence d'opinion entre mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur, et moi. (Interruption.)
Il a dit que tout au moins l'impression produite par les discours que nous avons prononcés hier l'un et l'autre, avait laissé dans les esprits la pensée qu'un dissentiment semblait exister entre mon honorable collègue et moi.
Je déclare qu'il n'en est rien. Nous avons été unanimes sur la rédaction du discours du Trône; il exprime de la manière la plus complète, la plus sincère, les intentions de tous les membres du cabinet.
Aussi, que porte le discours du Trône ? Il porte, et cela est une déclaration spontanée du ministère, il porte :
« Tous nos efforts, messieurs, doivent tendre à conserver à la Belgique une bonne situation financière. Là résident en grande partie sa force et sa sécurité. Le budget normal des dépenses sera réduit. Mon gouvernement est résolu à opérer successivement des économies efficaces. »
Qu'ai-je dit hier, sinon cela? Les paroles que j'ai prononcées, sont-elles autre chose que le développement, le complément de ce qui se trouve dans le discours du Trône?
Que vous a dit de son côté mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur ? Au fond (la forme à part, chacun a la sienne], au fond, il dit exactement la même chose. Il veut, comme je veux, des économies; il les veut aussi étendues que possible; il les veut comme je les veux, de telle sorte qu'elles soient compatibles avec une bonne organisation des services publics. Voilà ce que nous promettons, voilà ce que nous voulons faire, voilà ce que nous ferons.
Peut-on, messieurs, avant la discussion des budgets, avant que vous ayez sous les yeux l'état de l'administration et nos propositions, peut-on s'entendre? Et à quoi peut aboutir la discussion à laquelle nous nous livrons? Peut-on s'accorder sur l'importance des réductions? (Interruption.) C'est impossible, me dit-on de toutes parts.
Ainsi, chacun apporte dans cette discussion sa pensée, mais sa pensée vague, et d'un vague qui est certainement effrayant. Pour quelques-uns, j'ai le droit de présumer qu'il s'agit de réduire la dépense de 20 millions; pour quelques autres, ce sera 10 millions; pour d'autres, ce sera deux ou trois millions. Mais, messieurs, attendons; quand les budgets seront présentés, vous les discuterez, vous examinerez si nous avons été jusqu'à cette sage limite qui ne peut être franchie sans danger. Sur un pareil sujet que peut-on exprimer aujourd'hui, si ce n'est une pensée générale, une déclaration de principes communs, une volonté ferme de réaliser des économies? C'est là ce que nous ne cessons de répéter tour à tour depuis trois jours; c'est la paraphrase des déclarations insérées par le ministère même dans le discours de la Couronne.
Nous acceptons aussi la réponse au discours du Trône. Et que renferme-t-elle? Faut-il répéter ces paroles qui tout à l'heure l’ont été de nouveau par l'honorable M. Le Hon lui-même. « Il faut qu'on se montre empressé d'accueillir, de provoquer, de réaliser toutes les réformes, toutes les économies compatibles avec la marche des services publics, de proscrire toutes les superfétations, de proscrire tous les abus. »
Nous acceptons ce qui est ici énoncé, c'est notre vœu ; dès lors que demande-t-on de plus ?
Voici cependant qu'au milieu de la discussion se produisent des amendements : Quel en est le sens? Que veut-on? Qu'on le dise franchement.
À prendre l'amendement collectif à la lettre, il ne signifie rien, il signifie moins que ce que je viens de dire :
« Il faut que le gouvernement opère désormais des économies efficaces et que le budget normal des dépenses soit notablement réduit. »
Voilà l'amendement ; en l'écoutant, mes honorables collègues et moi, nous avons dit : « Qu'on introduise dans l'adresse le « désormais » enfanté par les efforts communs des honorables MM. Delehaye et Lelièvre, et le « notablement » qui appartient à l'honorable M. David, qu'y aura-t-il de changé? » Absolument rien. Et pourtant après avoir entendu les développements de l'amendement, nous repousserons le désormais et le notablement. Il est bien facile d'en expliquer les motifs.
Le « désormais » et le « notablement » signifient apparemment quelque chose dans la pensée des honorables membres qui proposent l'amendement. Or, lorsque je consulte les noms propres, qui trouvé-je pour triple auteur de l'amendement? L'honorable M. David qui le propose, en déclarant qu'il vote contre l'adresse, c'est-à-dire qu'il n'accepte pas les déclarations du cabinet et qu'il n'a pas confiance dans les explications qui ont été données (son vote contre le projet d'adresse n'a pas de sens où il a la signification que je viens d'indiquer) ; l'honorable M. Delehaye, qui vous a déclaré, après avoir entendu un des membres du cabinet, qu'il voterait contre l'adresse ; puis enfin l'honorable M. Lelièvre qui n'a pas précisément dit encore qu'il voterait contre l'adresse, mais qui, j'en suis bien persuadé, est sur le point de le dire. (Interruption.)
(page 49) L'honorable membre, je suis autorisé à le penser après le premier discours qu'il a prononcé, est disposé à voter contre l'adresse. Est-ce que la position du gouvernement serait loyale s'il acceptait cet amendement? Y aurait-il de la loyauté à l'accepter après les explications de M. David ? L'honorable membre entend le mot qu'il propose d'introduire dans le paragraphe autrement qu'il ne doit l'être d'après le dictionnaire; il l'entend et il l'exprime catégoriquement en ce sens que ce serait la reproduction de l'amendement de l'honorable M. Orts rejeté dans une séance précédente, en donnant, en outre, à cet amendement, une portée qu'il n'avait pas dans la pensée de son auteur. En effet, l'amendement de M. Orts relatif à la garde civique ne signifiait pas qu'il fallait réduire immédiatement d'une manière notable le budget de l'armée; l'honorable M. Orts disait, au contraire : Ce n'est pas à présent qu'il faut la réduire, il ne serait ni juste ni prudent de le conseiller, mais plus tard, quand le temps sera venu, quand l'organisation de la garde civique sera bonne et complète, il sera possible de réduire le budget de la guerre. Ce n'était donc dans la pensée de l'honorable M. Orts, qu'une pensée d'avenir.
Mais pour M. David, « notablement » signifie faire immédiatement; il signifie une réduction notable du budget de l'armée; or un tel amendement doit être repoussé par le cabinet, car il n'apportera pas une réduction de ce genre sur le budget de l'armée, il ne réduira pas l'armée de manière à la désorganiser; les bases du budget normal seront maintenues; l'organisation actuelle sera maintenue; nous resterons, en un mot, dans les termes de la loi de 1845 ; mais on fera disparaître de ce budget toutes les dépenses dont l'utilité ne sera pas démontrée. Aurons-nous de ce chef une économie de cent, de 600 mille francs, d'un million ? C'est une question qui se résoudra quand on discutera le budget de la guerre.
Mais nous ne pouvons pas accepter l'amendement expliqué par M. David et annoté par MM. Lelièvre et Delehaye.
Nous aurons des économies sur les autres budgets, et encore une fois nous les voulons efficaces, et en cela nous sommes d'accord avec la commission de l'adresse, avec les honorables membres qui ont pris la parole, nous les voulons de manière à ne pas désorganiser les services.
Mais j'entends que ceux qui paraissent vouloir les réductions les plus radicales, et je mets à leur tête l'honorable M. Delehaye, s'écrier qu'ils ne veulent pas toucher aux positions acquises ! Nous sommes, nous, plus radicaux que cela, car les réductions sont impossibles si on ne touche pas aux positions acquises.
Il faut donc se résigner à ne pas venir solliciter les ministres quand dans huit jours des personnes seraient atteintes par les mesures que nous serons obligés de prendre. Il faut qu'on sache bien que ce qu'on veut, ce sont de grandes douleurs ; que ce qu'on veut, c'est qu'on touche à un grand nombre de positions; que ce qu'on veut, c'est de placer beaucoup de personnes dans une position extrêmement pénible. Si vous voulez opérer une réduction de 20 millions au budget, sauf à respecter les positions acquises, j'y consens ; mais, sachez-le bien, d'ici à 20 ans vos économies ne seront pas accomplies.
S'il y a des emplois supprimés, il faudra que certains agents abandonnent le service de l'État. J'ai été réduit à cette dure nécessité dans mon département des travaux publics pour un certain nombre de fonctionnaires qualifiés temporaires, qui cependant étaient au service de l'administration depuis huit ou dix ans; j'ai été obligé de les faire disparaître sans respect pour des positions acquises: pour d'autres qui ont un titre définitif, qui ont une nomination qui est une sorte d'engagement, si leurs fonctions sont supprimées, il y aura des traitements d'attente, une demi-solde, quelque chose qui ne nous oblige pas à jeter sur le pavé des pères de famille; il y aura ainsi des économies qui s'accroîtront successivement; et nous concilierons de la sorte, autant que possible, ces sentiments d'humanité avec l'accomplissement des devoirs rigoureux, pénibles, que la situation commande.
Cela même ne vous indique-t-il pas que ces économies fabuleuses dont on paraît se bercer sont impossibles à réaliser ? Vous aurez des économies, mais non des économies qui puissent compenser les dépenses considérables que vous aurez à faire.
Le gouvernement ne veut pas qu'on le pense; il déclare solennellement que c'est impossible, parce que s'il ne le faisait pas aujourd'hui, à l'ouverture de la session prochaine en face des budgets, vous diriez que le gouvernement vous a trompés. Notre honneur s'offense à l'idée que, par notre silence, par un acquiescement douteux à l'amendement, nous aurions donné le droit de nous adresser un jour une telle imputation.
Je sens d'autant plus la nécessité de prémunir la chambre et le pays contre les conséquences que l'on veut faire découler de ce mot « économies », que je vois de quelle exagération, de quelle injustice sont empreintes les critiques que l'on fait des services publics.
Souvenez-vous de cette erreur si grande que j'ai été obligée de relever hier, dans laquelle était tombé l'honorable M. Dumortier ; il avait la conviction que le service des pensions coûtait 10 millions; je suis persuadé que beaucoup de gens qui réclament des réductions énormes versent dans des erreurs analogues. L'honorable membre ne disait-il pas encore qu'on avait ajouté à cette liste des pensions les pensions des veuves et des orphelins des fonctionnaires, ce qui augmentait pour deux générations les dépenses de ce chef? Eh bien, c'était une nouvelle erreur, car la caisse des veuves et des orphelins est formée par les employés eux-mêmes et ne coûte rien à l'État.
L'honorable membre relevait au budget de 1832 les sommes payées pour les pensions et en évaluait le chiffre à 2,600,000 francs, et c'est ce chiffre qu'il plaçait en face de son chiffre colossal du 10 millions ; c'était encore une erreur, il ne prenait pas garde que pour connaître les pensions qui existaient en 1832, il fallait ajouter aux 2,600,000, 1,522 mille francs payés par l'ancienne caisse fondée en 1822, de telle sorte que, dès 1832, les pensions s'élevaient à 4,200,000 fr.
Aujourd'hui les pensions s'élèvent au chiffre de 5 millions. (Interruption.)
Je parle des pensions. Je dis que votre chiffre était complètement inexact, et plus inexactes encore les conséquences que vous en tiriez. À vous en croire, la loi sur les pensions était tellement vicieuse que les charges s'étaient tout à coup accrues de 2,000,000 fr. à 10 millions. C'est là évidemment ce que la chambre a compris.
Or, je rectifie ce point : je dis que les pensions qui étaient servies s'élevaient à une somme plus considérable. Elles étaient payées en partie ou en totalité par l'État, cela importe peu quant à vos conclusions qui tendaient, à attribuer la différence de 2,600.000 fr. à 10 millions aux vices de la loi sur les pensions. Il reste vrai que le chiffre des pensions existant à cette époque de 1832 était de 4 millions, tandis qu'aujourd'hui le chiffre des pensions à charge de l'État est de 5 millions.
Au surplus, je n'ai signalé de nouveau ces faits à l'attention de la chambre que pour constater combien d'idées fausses, combien d'exagérations servent parfois de base aux critiques, et comment, à la faveur de ces idées et de ces exagérations, on réclame des choses impossibles.
Je répète en terminant, qu'après les explications qui ont été données sur l'amendement, il est impossible au ministère de l'accepter.
M. Gilson. - J'ai demandé la parole sous l'impression pénible que j'ai éprouvée hier. Le pouvoir a plus d'un danger; le pouvoir a quelque chose de très pénible en général; mais ce qu'il y a de plus pénible, ce que le courage le mieux trempé ne peut supporter sans un profond découragement, c'est le sentiment d'une criante injustice.
Je pense que cette injustice criante a été commise à l'égard du cabinet.
Je ne suis pas de ces hommes qui pensent que quand les représentants d'une opinion arrivent au pouvoir ils doivent avoir toujours, et pour tous leurs actes, l'appui de ceux qui appartiennent à cette opinion. Mais lorsqu'on est d'accord sur les questions de principe, et qu'on ne diffère que sur des questions accessoires, ces quelques divergences accessoires doivent disparaître devant l'intérêt de la chose publique.
Était-on bien fondé à faire hier à M. le ministre de l'intérieur un grief d'avoir dit que le pays était satisfait? Comment! lorsque tout s'écroule autour de nous, monarchie, institutions, et lorsque la Belgique reste heureuse et calme par l'union de ses enfants, le ministre qui a eu le courage d'affronter le danger des réformes les plus complètes, n'aurait pas le droit de s'applaudir de son œuvre et de déclarer que le pays est satisfait? Il a le droit de l'être sans contredit, au point de vue politique, et quant au point de vue de ses intérêts matériels, il pouvait craindre qu'il lui serait demandé de plus grands sacrifices encore. Lorsqu'à la fin de la session dernière nous nous sommes séparés, j'en appelle à votre conscience, tous nous l'avons craint.
Pour ma part, j'ai été très heureux d'entendre dire dans le discours du Trône que de nouveaux impôts ne nous seraient pas demandés. Ces impôts sont lourds. Qui le conteste? Mais l'amour du pays et de son indépendance nous commande ce sacrifice.
Ce qu'il y a de plus pénible pour le ministère, c'est de voir les reproches auxquels nous faisons allusion émaner des représentants d'une partie du pays à laquelle nous portons tous le plus vif intérêt. C'est une injustice de plus de prétendre que les Flandres ont toujours été sacrifiées.
Je le dis sans la crainte d'être démenti, les paroles les plus éloquentes proférées dans cette enceinte l'ont été pour défendre les intérêts des Flandres.
Nul de nous ne voudrait qu'il pût être dit que, dans nos belles provinces, il est encore des travailleurs qui puissent mourir de misère et de faim.
M. Rodenbach - Cela ne devrait pas être; mais c'est très vrai. Vous ne connaissez pas les Flandres. Je demande la parole.
M. Gilson. - M. le ministre de l'intérieur a proclamé que la question flamande était non pas seulement une question d'humanité, mais une question nationale. Tous nous nous sommes associés à cette grande idée.
Des crédits de plusieurs millions avaient été proposés dans l'intérêt des Flandres. Est-ce la faute du ministère si un grand bouleversement survenu dans un pays voisin a obligé à ajourner les mesures proposées ? Le cabinet a fait tout ce qu'il était humainement possible de faire.
Que ces messieurs qui crient si haut indiquent une mesure, une seule mesure efficace, nous serons unanimes pour la voter. Comme manufacturier, comme ayant fait de l'industrie l'objet de toutes mes préoccupations depuis plusieurs années, je croirai devoir présenter quelques idées sur les moyens d'améliorer le sort des populations flamandes. Mais il est difficile de faire brusquement descendre, du point élevé où elle s'est soutenue, la discussion si chaleureuse à laquelle nous assistons.
Pour le moment il me paraît plus opportun de suivre l'avis qui m'est donné autour de moi et de réserver, pour la discussion du paragraphe suivant, les conseils que je désirais donner dans l'intérêt des classes laborieuses.
(page 50) Un mot encore pourtant, messieurs. Pour parler de l'injustice, qu'on me passe l'expression, de quelques-uns de nos collègues, il n'est pas jusqu'au chemin de fer qui n'ait été attaqué; il l'a été entre autres par un honorable député de mes compatriotes et député, je crois, de Roulers. Savez-vous comment on attaque cette belle institution du chemin de fer? On l'attaque par des considérations mesquines, on se plaint de ce qu'il ne rapporte pas l'intérêt et l'amortissement du capital engagé. Mais jamais une question de cette importance ne doit être envisagée sous un pareil point de vue. Comment! nous construisons des chemins de fer pour les générations futures, et il faudrait qu'a l'instant ils rapportassent jusqu'à l'amortissement du capital engagé !
Souvenez-vous donc que ce fut, après 1830, un de nos plus beaux titres de gloire nationale; ce fut un objet d'envie pour tous nos rivaux, et lorsque nous avons devant nous le ministre qui a eu le courage de cette belle conception, vous n'avez pas un mot d'éloge pour lui ; c'est lorsque nous voyons nos ingénieurs se promener dans tous les pays de l'Europe, répandant la connaissance et la pratique des chemins de fer; c'est alors qu'on vient nous faire cette mesquine observation, que le chemin de fer ne rapporte pas les intérêts et l'amortissement du capital engagé. Ce n'est pas à ce point de vue qu'il faut envisager la question.
Rappelez-vous encore l'époque à laquelle le chemin de fer a été construit; on avait alors surtout en vue le transport des voyageurs, et bientôt on a vu le transport des marchandises rapporter une somme égale à celle que rapportaient les voyageurs.
C'est que les avantages que produit le chemin de fer sont immenses au point de vue commercial, comme au point de vue social, comme au point de vue de l'armée, comme au point de vue de tous les intérêts du pays.
Inutile de vous dire, messieurs, que je voterai pour l'adresse.
- La clôture est demandée.
M. de Mérode, contre la clôture. - Je demande que la discussion ne soit pas close. Je désire présenter quelques observations en contradiction à celles de l'honorable M. Lebeau.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
Les paragraphes 6, 7 et 8 sont adoptés.
M. le président. - Au paragraphe 9, MM. Lelièvre, David et Delehaye proposent l'amendement suivant : « La chambre espère que votre gouvernement opérera désormais des économies efficaces et que le budget normal des dépenses sera notablement réduit. Depuis longtemps l'opinion publique réclame ces économies. » (Le reste comme au projet.)
- L'appel nominal est demandé par plus de cinq membres.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je réitère la déclaration que l'amendement est repoussé par le cabinet, non pour les mots, mais pour le commentaire qui lui a été donné.
M. Delehaye. - Je demande la parole.
M. le président. - La discussion est close.
M. Delehaye. - Je n'ai d'autre part à la proposition de l'honorable M. Lelièvre que la substitution du mot « désormais » à celui de « immédiatement ».
M. le président. - Je ne puis vous accorder la parole, que si la chambre décide que la discussion sera rouverte. (Non ! non !)
M. Lebeau, rapporteur. (sur la position de la question). - Je crois qu'il est bon que M. le président appelle l'attention de la chambre sur ce que cet amendement est une substitution à un paragraphe de l'adresse qui n'a pas été lu. Je pense qu'il faudra lire ce paragraphe , pour que la chambre ait à choisir entre les deux rédactions.
M. Delehaye. - M. le ministre vient de déclarer qu'il se ralliait à cet amendement.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Pas du tout.
M. Delehaye. - Mais qu'il le repoussait pour le commentaire.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - J'ai dit que je repoussais l'amendement, non pour les mots, mais pour les commentaires dont on l'a accompagné.
M. Delehaye. - C'est ce que je dis. Eh bien, pourquoi repoussons-nous la proposition de la commission? C'est pour les commentaires qui l’accompagnent. Nous croyons que vous ne voulez pas assez d'économies, nous proposons de les étendre.
M. le président. - Vous ne pouvez parler que sur la position de la question.
M. Delehaye. - Quelle est la différence entre la proposition du gouvernement et la nôtre? C'est que le gouvernement veut des économies très peu nombreuses.
M. le président. - Je ne puis vous laisser continuer ; la chambre s'est opposée à ce que la discussion soit rouverte.
M. Rousselle. - M. le président, je demande la parole sur la position de la question. La question m'embarrasse extrêmement. Les mots, je les approuve; les commentaires, soit qu'ils viennent du ministère, soit qu'ils viennent les bancs de la chambre, je ne puis les apprécier au moins quant à présent, parce que la question est, pour moi, réservée jusqu'à l'examen des budgets. S'il était bien entendu que les commentaires sont repoussés, je voterais l'amendement; si, au contraire, les commentaires subsistent, je voterai contre. Je ne veux pas voir préjuger la question de l'examen des budgets, à laquelle est intimement liée celle de l'importance des économies.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, les observations que vous venez d'entendre ne peuvent avoir qu'un seul résultat, c'est d'établir une équivoque dont nous ne voulons pas. Il y aurait équivoque, car il résulte des paroles de M. Rousselle qu'on n'admettrait ni la pensée de ceux qui proposent l'amendement, ni la pensée de ceux qui le repoussent. Ce serait donc un vote sans signification ; il n'y aurait que des sentiments individuels ; ceux-ci voteraient pour une réduction notable et immédiate du budget de l'armée, ceux-là voteraient pour le maintien du budget de l'armée, et les uns et les autres voteraient pour le même amendement. Il faut une position nette pour la chambre, une position franche pour le ministère.
Il faut que l'on s'explique clairement, sans cela nous ne pourrons point marcher. Je n'entends point, pour ma part, me mettre à l'œuvre sans connaître, sur un point fondamental, la pensée de la chambre.
M. le président. - Cela ne rentre pas dans la position de la question.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - C'est la position de la question au point de vue moral, car il s'agit de savoir ce que l'on veut faire. Votons-nous des mots ou des idées? Si ce sont des idées, vote-t-on l'idée de M. David, qui a proposé l'amendement et qui l'a expliqué ; ou bien vote-t-on l'idée du ministère qui repousse l'amendement? Voilà la question.
M. le président. - L'amendement sur lequel la chambre est appelée à statuer a été accompagné par ses auteurs de certains commentaires, et ces commentaires, il est impossible de les séparer de l'amendement.
M. Delehaye. - On a dit qu'il y a du vague dans l'amendement; mais dans le discours du Trône, il y a aussi du vague, Au reste, les réserves que l'on fait de toutes, parts laissent la question des économies intacte...
M. le président. - La discussion est close. Je ne puis donner la parole que sur la position de la question.
M. de Perceval - Avant de procéder au vote, je désire savoir si le ministère fait du rejet de l'amendement une question de cabinet.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, la position du cabinet, il ne vous l'a point dissimulé, est difficile. Les engagements qu'il a pris spontanément, qu'il a déposés loyalement dans le discours de la Couronne, il est résolu à les tenir ; vous avez pour cela sa parole; mais, messieurs, plus sa position est difficile, plus ses engagements sont grands, plus le cabinet a besoin de la confiance, nettement exprimée de la chambre. Nous trouver en présence de ces engagements avec des réserves mentales de la part de ceux qui voteraient l'adresse, c'est, messieurs, une situation que nous ne pouvons point accepter. Plus la session prochaine doit être féconde en affaires, plus aussi nous devons avoir la certitude d'être secondés dans notre marche par la législature nouvelle. Si nous n'avions pas dès maintenant cette certitude, toute force nous serait ôtée, toute confiance en nous-mêmes nous manquerait, et mieux vaudrait dès lors, pour la bonne gestion des affaires, que le cabinet se retirât immédiatement, afin de faire place à d'autres hommes qui pourraient se préparer convenablement pour les travaux de la session prochaine.
C'est donc, messieurs, dans des vues d'intérêt public que nous croyons devoir poser ici une question de cabinet. Nous n'entendons pas, messieurs, multiplier ces sortes de questions; nous savons qu'elles ont leur gravité et qu'il ne faut pas les poser légèrement ; mais nous savons aussi qu'il est de la dignité d'un gouvernement et qu'il est de l'intérêt du pays que nos positions respectives soient nettes et franches. Placés en présence de chambres nouvelles, émanées d'un corps électoral en quelque sorte tout nouveau, nous devons particulièrement tenir à recevoir d'elles un témoignage manifeste de leur confiance.
Nous demandons le vote du paragraphe proposé par votre commission d'adresse, qui n'est que la reproduction de la pensée déposée dans le discours du Trône, nous demandons ce vote avec le commentaire que nous lui avons donné. Nous repoussons les mots introduits par l'honorable député de Namur, par l'honorable député de Verviers, par l'honorable député de Gand, parce que ces trois honorables membres, très consciencieusement, je veux le croire, ont manifesté vis-à-vis du cabinet une défiance que nous ne pouvons pas accepter.
M. Delehaye. - Cette défiance s'applique aux économies à effectuer dans les budgets.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Voter l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, de l'honorable M. David, de l'honorable M. Delehaye, serait de la part de la chambre, s'associer implicitement aux commentaires qui ont précédé, accompagné, suivi cet amendement. Que si cet amendement, isolé de ses développements, ne renferme que des mots sans portée, nous n'en demandons pas moins la suppression, parce que ces mots pourraient donner lieu à une équivoque et que nous ne voulons à aucun prix d'équivoque.
Voilà, messieurs, la déclaration que j'ai cru devoir faire. J'espère que la chambre n'y verra point de notre part une susceptibilité outrée. Nous tenons à marcher d'accord, complètement d'accord avec la majorité de cette chambre; j'espère qu'après les déclarations formelles qui ont été faites et, j'ose le dire, après les services que nous avons rendus à la chose publique, à l'ordre public, j'espère qu'une manifestation éclatante viendra nous affermir dans notre marche, et nous récompenser de nos efforts.
- M. le président donne une nouvelle lecture de l'amendement et du paragraphe auquel il se rapporte.
(page 51) - L'amendement de MM. Lelièvre, Delehaye et David est mis aux voix par appel nominal.
Voici le résultat de cette opération :
97 membres ont répondu à l'appel.
90 ont répondu non.
3 (MM. Lelièvre, David et Delehaye) ont répondu oui.
4 membres (MM. Moxhon, Pierre, Rousselle et de Selys-Longchamps) se sont abstenus.
En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
Ont répondu non : MM. Frère-Orban, Gilson, Jouret, Jullien, Julliot, Lange, Le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Bon, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Osy, Peers, Pirmez , Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Sinave, Tesch, Thibaut, Thiéfry, T’Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Van den Berghe de Binckum, Van den Brande de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Ansiau, Anspach, Boedt, Boulez, Bruneau, Cans, Christiaens, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bourdeaud'hui, de Breyne, de Brouckere, de Brouwer de Hoogendorp, Debroux, Dechamps, Dedecker, de Haerne, Delescluse, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Liège, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Perceval, de Pilleurs, de Pouhon, de Renesse, de Royer, Destriveaux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dubus, Dumont, Dumortier, Faignart et Verhaegen.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Moxhon. - Messieurs, je demandais, comme dans l'amendement, des économies notables; mais ne voulant pas renverser par mon vote le ministère qui en a fait une question de cabinet, je me suis abstenu.
M. Pierre - Je me suis abstenu précisément pour les mêmes motifs que ceux déduits à l'instant par mon honorable collègue M. Moxhon.
M. Rousselle. - Messieurs, je n'ai pas voté pour l'amendement, parce que le cabinet avait fait du rejet de cet amendement une question d'existence; d'un autre côté, je n'ai pas voté contre, parce que dans l'amendement il y avait des mots qui, pour moi, rendaient la pensée avec laquelle je désire examiner les budgets de 1849, budgets qui ne sont pas présentés et dès lors je suis sans moyen de me faire une opinion.
M. de Selys-Longchamps. - Messieurs, je me suis abstenu, en partie, par les mêmes motifs que l'honorable M. Rousselle, en ce qui concerne la signification des mots. L'adresse me semblait gagner en clarté par l'introduction de ces mots. De plus, je voulais protester contre l'interprétation que des membres du cabinet avaient donnée, hier, aux paroles de l'adresse. Je reviendrai plus tard sur cette question. Je me suis abstenu, d'un autre côté, parce que les questions de cabinet me semblent posées trop souvent; nous n'avons plus dès lors notre liberté d'action ; nous ne pouvons plus proposer des améliorations dans notre situation, sans qu'on nous suppose des intentions qui engagent le ministère à poser des questions de cabinet.
Le ministère a pris une attitude semblable au sénat, et l'impression pénible qui m'en est restée s'est reproduite aujourd'hui.
- Le paragraphe 9 du projet d'adresse est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Arrive ici la proposition de M. Sinave, considérée comme une disposition additionnelle.
Cette proposition est ainsi conçue :
« Par les événements imprévus et la situation précaire de la plupart de nos établissements financiers, le besoin se fait sentir plus que jamais de réaliser sans retard le projet d'un établissement national qui manque au pays, renfermant dans son ensemble un nouveau et large système de crédit commercial et agricole. »
M. Sinave. - Messieurs, il reste encore à réfuter quelques allégations avancées par M. le ministre de l'intérieur et à les réduire à leur juste valeur. Le ministère a la prétention d'avoir beaucoup fait pour les Flandres, il a stimulé, dit-il, l'introduction de plusieurs industries nouvelles; je ne suis nullement dans l'intention de méconnaître la bonne fois de M. le ministre, mais il me permettra de lui faire observer que sa manière de voir n'est pas partagée par ceux qui connaissent les Flandres; on doit le déclarer avec franchise, ce qui a été fait est un vrai mécompte de sa part. S'il a la bonhomie de croire que cela pouvait avoir la moindre influence, ou remplacer en partie la grande industrie dans ces provinces, que c'était peu connaître l'immense développement de cette industrie, qui se trouve depuis des siècles rivée à son sol par la production de la matière première d'une qualité supérieure. Cette industrie dont la manipulation, pour la grande part, s'opère par la main du petit laboureur, journalier tisserand, est aussi la moins exposée aux caprices des modes ; il importe d'en conserver les parties possibles et aucunement de la remplacer par d'autres industries.
Ces nouvelles industries sont d'ailleurs encore peu importantes, et ne seront utiles que parmi les populations agglomérées. Le ministère n'a absolument rien fait pour la grande industrie, il en. est de cela comme de l'assurance donnée que la Belgique est envoie de prospérité. Les produits des contributions vont successivement en augmentant, dit le ministre. Messieurs, il n'en est rien. Le produit augmente seulement en raison de l'augmentation de la population et lorsqu'une population augmente il y a plus de contribuables, plus de consommation et plus de produits, voilà tout. Supposez la population, réduite demain à 1 million, le produit sera en proportion moindre, cela est évident. En faisant la part d'une population égale, celle dans l'aisance consomme plus qu'une population dans la misère; que la misère augmente dans le pays et grandit journalièrement d'une manière effrayante, cela est incontestable; que l'influence sur le produit n'est pas encore très sensible, cela se conçoit aisément; la consommation est encore alimentée. Les communes s'imposent graduellement d'une manière désespérante pour subvenir à une portion de leur population, et certes elles ne le feraient point si elles n'y étaient forcées; nul ne vide sa poche volontairement. Cet état de choses ne peut continuer ; des mesures énergiques doivent être prises; le ministère prétend avoir fait quelque chose pour les Flandres, c'est vrai. Je vais vous le dire, mais c'est avec la plus vive émotion. Le ministère est resté le spectateur oisif, immobiles à la vue de 50 mille cadavres et plus, victimes de la misère dans les Flandres. Je demanderai à M. le ministre, si c'est là sa prospérité tant exaltée.
Ce que les députés des Flandres veulent, c'est que la vérité se fasse enfin jour au travers de ce torrent de paroles vides de tout sens. Les paroles ne sont plus de saison, il s'agit maintenant de savoir agir, de mettre la main à l'œuvre ; jetons un voile sur le passé, occupons-nous du présent et de l'avenir, et cessons nos reproches. Tous nous prêterons l'appui au ministère, mais il lui faut le courage de rester au poste et de marcher avec la nation; s'il quitte la brèche, il sera en horreur à la nation.
Lors de son avènement au pouvoir, le ministère, comme il le déclare, avait un projet pour les Flandres; lors de la session dernière, il a été question d'une mesure pour rassurer l'industrie linière par une société d'exportation; un pareil projet est complètement insuffisant : d'ailleurs, les Flandres repoussent tout esprit d'égoïsme, toute protection isolée; elles prétendent à des sentiments plus élevés. L'esprit de clocher ne domine pas chez elles. Aujourd'hui le ministère ne propose plus rien, il a parlé vaguement d'une société d'exportation dont le projet se trouve dans ses cartons; qu'il y reste, il faut autre chose d'abord. D'ailleurs, une société d'exportation fût-elle générale au lieu d'être pour les Flandres en particulier ne peut répondre seule au but qu'on se propose. Elle doit se rattacher à un système complet, sans cela son utilité est contestée, elle ne pourrait être que très imparfaite dans ses résultats, elle mourrait en naissant.
Le paragraphe que je vous ai proposé, messieurs, et dont vous avez admis l'insertion dans l'adresse, est de la plus haute importance ce n'est pas un fait isolé, il se rattache à un système, qu'il est de mon devoir de communiquer et d'en développer en peu de mois le principe fondamental, s'il est digne de fixer votre attention. Si vous en approuvez le principe comme j'ose l'espérer, plus tard viendrait le moment de vous développer toutes les ramifications dont je crois que ce système est susceptible, auquel je pense qu'on pourrait donner une extension telle, et avec toutes les probabilités de succès, jusqu'à stimuler la main de l'ouvrier véritablement travailleur, sans tomber dans l'exagération. Messieurs, c'est là une question de vie ou de mort d'une extrême gravité, c'est la question sociale et dans laquelle il faut savoir agir, et non exciter les passions par des paroles imprudentes, vous comprendrez ma réserve à ce sujet.
L'établissement que je propose, par sa nature exigera, comme on le voit, l'intervention active du gouvernement et des chambres dans la gestion. Ce serait là une condition de rigueur. De même les administrations provinciales et communales seraient obligés d'y concourir, pour ce qui aurait rapport à l'exécution, ou la marche, dans leurs provinces et communes respectives; d'ailleurs, l'extension à donner à l'établissement dépendrait toujours de la volonté du gouvernement ou des chambres, et à mesure du succès.
Jamais, à aucune époque, les événements n'ont été aussi pressants. Chaque jour de retard est un nouveau malheur pour le pays. Il est inutile, vous connaissez tous, messieurs, le tableau affligeant de nos établissements financiers, il résulte de cet état de choses qu'on ne peut plus attendre, il faut prendre une mesure énergique. J'estime aussi que, malgré certaines apparences contraires que le moment est très favorable ; tous les événements concourront à une facile exécution d'un vaste plan, qui aurait éprouvé bien des obstacles, s'il fallait de l'argent, il importe peu à son exécution que le crédit se trouve complètement anéanti et pour bien longtemps sans doute.
Messieurs, j'ai la conviction que pour doter cet établissement il ne sera nullement nécessaire de recourir à la poche du contribuable, les poches sont vides, non plus au trésor public, c'est le fameux tonneau sans fond, ni à des actionnaires, ni avoir recours à aucun emprunt. D'ailleurs, aucun de ces moyens indiqués n'atteindrait nullement le but qu'on se propose. À qui donc faut-il s'adresser ? C'est uniquement au patriotisme de la nation qui jamais n'est resté en défaut lorsqu'il est question d'un intérêt général et surtout aussi éminemment utile à toutes les classes indistinctement. Je m'explique; voici les moyens en peu de mots : Veuillez d'abord remarquer, messieurs, la position de tous les fonds publics, vous trouverez qu'ils sont tombés de 40 à 50 p. c. au-dessous du pair que ceux de notre pays sont également sensiblement affligés du mal général.
Eh bien, le gouvernement et les chambres viennent récemment de faire un heureux essai de l'opinion publique et de sa force nationale, (page 52) fondés sur nos bonnes institutions. Vous le savez, il a été émis, pour venir au secours de n'importe qui, une somme d'une certaine importance en billets au porteur, non-remboursables, et sous la garantie du gouvernement. Ajoutez à cela la circulation déjà alors existante, vous trouverez la somme forte comparativement aux événements, importante surtout lorsqu'on considère que c'est en faveur de certains établissements particuliers déjà démoralisés et tarés dans l'opinion publique. Néanmoins, et ce qui est digne de remarque, ces billets sont au pair ou à très peu de chose près. On peut donc raisonnablement s'emparer de ce précédent, et conclure qu'en réduisant successivement les émissions existantes, par contre et en même temps, on pourrait, au fur et à mesure, former ainsi le capital de notre établissement national.
Veuillez remarquer toute la portée d'une pareille combinaison ; l'établissement se trouverait bientôt en possession d'un capital, sans en devoir payer ou être tenu de payer aucun intérêt.
Il se maintiendrait, plus est, en dehors de toute crise financière. De cette position résulterait encore qu'il aurait l'avantage, et ce, à un intérêt très modique de faire ses opérations d'escompte et avances avec un bénéfice certain, n'ayant pour toute charge seulement les frais de l'administration. Il serait interdit à jamais de faire aucune opération pour son propre compte. Au résultat, l'établissement serait à même, avec les bénéfices, soit d'amortir successivement les billets qui formeraient son capital, soit de donner des primes, de temps à autres aux porteurs de ses billets, Finalement, par l'escompte et les avances à un intérêt modique, il influencerait fortement les opérations financières particulières, en maintenant l'intérêt de l'argent dans le pays à un cours normal.
Messieurs, quoique je n'aie développé qu'un principe, vous pouvez juger de toute l'étendue de ce vaste plan. Je n'entends nullement faire prévaloir mes opinions. Je puis me tromper. Je reconnais même mon insuffisance. Mais je parle de conviction. Si le ministère ou mes honorables collègues ont d'autres vues, il est de leur devoir de les faire connaître; nous devons tous nous prêter la main : les événements pressent, messieurs; pour vous convaincre, il suffit de regarder à l'entour de vous. Profitons de notre bonne position pour prévenir tous les maux prêts à fondre sur nous. Ne nous endormons pas par une fausse sécurité, et donnons l'exemple à l'Europe, en proie aux plus affreuses convulsions, que les Belges savent aller au-devant de toutes les difficultés et les résoudre, et qu'ils sont dignes d'être une nation indépendante.
M. de Pouhon. - Ce n'est pas dans la discussion de l'adresse que les questions d'intérêts matériels peuvent être utilement traitées à fond. Mais cette discussion fournit aux représentants du pays l'occasion d'indiquer et de recommander au gouvernement celles qui doivent appeler particulièrement son attention.
L'honorable M. Sinave propose d'exprimer dans l'adresse le désir de voir réaliser sans retard le projet d'un établissement national de crédit. Je prie la chambre de me permettre de présenter à l'appui de cet amendement quelques considérations sommaires.
Une banque solidement constituée, et qui étendrait son action dans tous les centres d'affaires du royaume serait, à mes yeux, l'institution la plus bienfaisante que l'on pût ériger. Elle servirait de point d'appui à l'industrie, au commerce, au gouvernement, au crédit public.
La Belgique est, sans contredit, un pays relativement très riche; elle a de grands capitaux engagés; elle possède aussi beaucoup de capitaux mobiles, mais qui sont trop divisés pour pouvoir prêter aux affaires les ressources qu'elles réclament souvent.
Aussi chaque fois qu'il se présente une opération qui exige un débours de quelques millions, la première pensée est de chercher les moyens au dehors. N'avons-nous pas vu, depuis 1830, le gouvernement lui-même s'adresser à des maisons étrangères lorsqu'il éprouvait les besoins les moins importants ?
Cette impuissance a donné au dehors une idée peu favorable, mais aussi peu exacte, des ressources de la Belgique.
Donner aux capitaux mobiles du pays une force de cohésion, ce serait les rendre plus utiles, plus efficaces.
Le moyen est dans l'établissement d'une banque offrant des garanties de nature à attirer les capitaux inactifs.
Les opérations étant limitées à l'escompte des effets de commerce et à des prêts, dans certaine mesure, sur fonds de l'État, la banque serait à l'abri de perles sensibles et elle n'aurait point à redouter tes atteintes du discrédit. On ne retire pas sans besoin son argent d'un établissement que l'on sait être en mesure de le rendre, et le public acquiert cette certitude par l'exposé hebdomadaire de la situation.
La banque se bornant aux seules opérations d'escomptes et de prêts, appelle tous les intérêts à la dispensation des ressources qu'elle présente. Placée dans ces conditions de solidité et d'impartialité, elle peut prêter à des taux d'intérêts modérés et féconder ainsi toutes les branches de la production nationale.
Vous ne comprendriez pas, messieurs, qu'une institution aussi éminemment utile fût encore à l'état de vœu, si vous ne connaissiez les causes qui ont empêché sa réalisation.
Vous devez croire à présent que l'obstacle a disparu ? Ne vous y fiez pas.
Le pays est accablé par le poids d'un établissement qui depuis dix ans est une cause d'affaiblissement du crédit public et privé. Jusqu'à la fin de février dernier, il était permis de se faire illusion sur la situation de cette société; depuis lors, la vérité s'est fait jour. Dès ce moment, il y avait une banque de moins en Belgique et il semblait qu'une banque nouvelle devait occuper la place sans résistance.
Mais la législature précédente a mis l'ancien établissement à même de parer à ses engagements jusqu'à une époque donnée qui n'est pas celle de leur extinction complète. Elle a autorisé ce secours par un moyen qui pourrait exposer l'État à de grands sacrifices.
L'établissement reste donc debout. Son administration a été renouvelée. J'y vois des hommes consommés dans les affaires; j'y vois aussi deux membres qui. par la position élevée qu'ils ont occupée dans le gouvernement du pays, par leur mérite personnel et leur influence très légitime, peuvent prêter beaucoup de consistance à tout intérêt auquel ils s'attachent. Cette administration serait sans doute telle que l'on pût le désirer, et avec elle une banque qui débuterait vierge, sans aucun capital, aurait chance de vie, et l'on pourrait encore en attendre des résultats utiles.
Mais cette administration ne peut rien contre les faits consommés, contre les préjugés acquis. Il serait possible qu'elle crût devoir chercher à restaurer l'établissement ou à en obtenir la transformation. C'est contre une idée semblable, la plus malheureuse possible, que la chambre doit protester pour que le gouvernement n'y arrête pas son attention.
Je viens de le dire, la Société Générale a été une cause d'affaiblissement du crédit en Belgique alors qu'on la croyait riche et très puissante.
À quels embarras, à quels dangers n'exposerait-elle point le pays si elle fonctionnerait comme banque avec des engagements préexistants de 30 à 60 millions qui ne seraient représentés que par des créances et des valeurs irréalisables ? Ce serait vouloir rendre les crises permanentes en Belgique ou priver le pays des bienfaits d'une banque nationale.
Une banque ne peut vivre que par le crédit, car si elle n'opérait qu'avec son capital, elle serait bientôt constituée en perte et ne produirait guère de résultats utiles. Il ne suffit pas qu'elle présente des garanties réelles, il faut encore qu'elles soient universellement appréciées, que la conviction de sa solidité pénètre dans tous les esprits.
Cette confiance absolue n'est plus possible en Belgique que dans un établissement nouveau auquel ne se rattache aucun préjugé défavorable. La Banque de Belgique vous offre l'exemple de cette vérité. Depuis plusieurs années elle a été à même de déclarer et de constater par ses bilans, qu'au moyen de sa caisse et de son portefeuille elle pouvait faire face à tous ses engagements, quelle que fût leur exigibilité; elle est gérée avec la plus grande prudence et l'intelligence des affaires ; cela n'a pourtant pas empêché qu'après les événements de février on n'allât encaisser les billets de la Banque de Belgique avec plus d'empressement que ceux de la Société Générale dont vous connaissez aujourd'hui la situation.
C'est que la Banque de Belgique est encore sous la pression irraisonnée de sa suspension de payement en 1838. Les garanties les plus positives sont impuissantes contre une pareille prévention.
Je ne multiplierai par les exemples ni les raisonnements; ils pourront être produits avec plus d'utilité dans une discussion spéciale. Mon but et mon devoir sont d'appeler la sollicitude éclairée du gouvernement sur cette importante question qui se complique de la nécessité de rétablir le plus tôt possible la circulation monétaire du pays dans une voie normale. Le besoin des transactions intérieures et internationales le commande impérieusement. C'est aussi une condition de l'érection d'une banque nouvelle qui ne pourrait s'élever en présence d'une circulation de billets avec cours forcé. Mais je crois que le premier et important service d'un nouvel établissement financier serait d’aider efficacement à rendre les billets échangeables.
J'engage avec instance le gouvernement à faire de ces questions l'objet du plus sérieux examen pour qu'à l'ouverture de la session ordinaire il puisse en exposer le résultat à la chambre.
C'est par ces motifs que je me rallie à l'amendement proposé.
M. le président. - M. de Pouhon, propose pour sous-amendement à l'amendement de M. Sinave, le retranchement des mots : «dans la situation précaire de la plupart de nos établissements financiers. »
M. Osy. - Messieurs, je viens m'opposer à l'amendement de M. Sinave, et je vous en dirai peu de mots les motifs.
La position que j'ai prise dans la session dernière doit vous donner l'assurance que ce n'est pas dans l'intérêt d'un établissement financier que je prends la parole. Messieurs, depuis notre dernière session, un grand établissement, pour lequel nous avons fait beaucoup, a été reconstitué; à la tête de cet établissement se trouvent aujourd'hui deux anciens ministres des finances, et le gouvernement a nommé trois commissaires auprès de cet établissement; dans quelque temps seulement, nous pourrons connaître à fond ce qu'on peut en espérer, si on pourra le reconstituer solidement, ou si on se trouvera dans la nécessité d’en créer un autre.
N'oublions pas que cet établissement, d'après ses statuts, n'a plus qu'une année d'existence, et que c'est en 1849 que la liquidation ou le renouvellement devra avoir lieu. Dans la loi de comptabilité nous avons dit que le gouvernement ne pourrait lui continuer les fonctions de caissier de l'État que jusqu'à cette époque. Je crois que c'est le gouvernement, quand il se sera entouré de tous les renseignements, qui pourra voir ce qu'il conviendra de proposer soit pour renouveler cet établissement, soit pour en créer un autre.
(page 53) Je crois que nous nous avançons trop en discutant aujourd'hui la question de la création d'un établissement financier. Il faut attendre la fin de 1849, le gouvernement verra alors ce qu'il doit nous proposer. Si l'amendement de M. Sinave était adopté, il faudrait y introduire le sous-amendement proposé par M. de Pouhon; mais je crois qu'on fera mieux d'écarter l'amendement lui-même.
M. Tesch - Messieurs, je suis partisan de la création d'un grand établissement national de crédit; mais je crois devoir combattre les propositions de MM. Sinave et de Pouhon. Je crois qu'il est inopportun de discuter en ce moment cette question, d'abord parce que la réalisation de la double proposition de M. Sinave est impossible, et en second lieu, parce que sur une question aussi grave, aussi complexe que la création d'un établissement national destiné à relever le crédit commercial et à fonder le crédit agricole, personne ici ne peut en ce moment se former une opinion. C'est la question la plus difficile dont un homme d'État puisse s'occuper. On veut fonder une banque; la première question pour fonder une banque, c'est évidemment d'avoir de l'argent ; or, je ne sache pas que, sauf les types vulgarisés sous le nom de Robert Macaire, on ait jamais sans argent fondé des banques.
Si vous demandez de l'argent à l'État, où l'État ira-t-il en prendre pour vous en donner? Ensuite cette banque serait-elle fondée par l'État seul, ou bien les particuliers participeront-ils à sa fondation ? et dans quelle proportion? Quelles opérations fera-t-elle? Il est évident qu'aucune solution de ces questions n'est possible.
On parle en outre de fonder le crédit agricole; mais a-t-on réfléchi que, pour fonder le crédit agricole, il faut bouleverser notre législation dans ses parties les plus importantes. Qu'est-ce que fonder le crédit agricole ? C'est donner à la terre sa plus haute valeur représentative, c'est lui donner une valeur coursable, si je puis m'exprimer ainsi. Cette proposition soulève à peu de chose près toute la discussion qui peut s'établir sur la question de la mobilisation du sol; il ne faut pas se faire illusion sur les choses : par où commencerons-nous? Par changer les principes sur la vente pour assurer la propriété, enlever les doutes qui, dans l'état actuel de notre législation, existent sur le point de savoir sur quelle tête telle ou telle propriété repose.
Les jurisconsultes qui m'entendent savent que la vente n'est qu'un contrat consensuel; vous feriez que c'est un contrat réel, que la propriété ne se transmette que par la (erratum, page 61) transcription ; vous changerez tout notre régime hypothécaire, vous supprimerez l'hypothèque légale, l'hypothèque de la femme, l'hypothèque des mineurs, pour ne conserver que l'hypothèque spéciale; vous passerez à la législation sur l'expropriation que vous détruirez de fond en comble, et vous arriverez au cadastre; vous anéantirez le cadastre actuel pour lui en substituer un autre qui ne sera que l'actif immobilier des individus, tandis que les hypothèques seront leur passif; après viendront les questions de crédit agricole, quand nous aurons bouleversé toute notre législation ; alors je demanderais à M. Sinave de quelle manière on pourra prêter , jusqu'à concurrence de quelle somme on pourra prêter sur les immeubles, dont la valeur sera constatée au cadastre, si l'on prêtera sur annuités, etc. Voilà sur quoi nous statuerons à la suite d'une discussion qui durera quatre fois plus que celle à laquelle nous assistons et que, Dieu merci, je ne prolongerai pas davantage.
M. de Pouhon. - Je n'ai pas entendu les développements que l'honorable M. Sinave a donnés à sa proposition. D'après ce que j'apprends, il résulte de ces développements que l'établissement de crédit dont il demande l'érection serait principalement destiné aux intérêts agricoles. Ce n'est pas ainsi que j'avais compris l'amendement, d'après sa signification littérale.
J'ai entendu parler d'une institution destinée à seconder toutes les branches d'affaires du pays.
Je ne demande pas qu'on discute maintenant le projet de création d’une banque nationale. Je veux seulement adjurer le gouvernement de fixer son attention sur ce point, que je considère comme un des plus importants au point de vue des intérêts matériels. Je ne connais rien qui puisse donner une impulsion au commerce et à l'industrie aussi bien que pourrait le faire une banque solidement constituée.
On a parlé de la question d'argent. Je conviens que les circonstances actuelles ne sont pas favorables à la fondation d'une institution de ce genre. Je crois cependant qu'il y a certaines combinaisons, au moyen desquelles on pourrait réunir sinon en totalité, au moins en partie, le capital nécessaire. Voyez combien une banque pourrait rendre de services, Avant la deuxième loi qui a autorisé une émission de billets de la Société Générale, un établissement nouveau aurait pu, au moyen d'une dizaine de millions, faire rentrer la circulation monétaire du pays dans son état normal. C'est plus difficile depuis la deuxième émission. Il n'en est pas moins vrai que l'on pourrait arriver à ce résultat si désirable.
L'émission des billets n'a pas révélé des conséquences très fâcheuses jusqu'à présent. Mais elles n'en existent pas moins. Il est bien connu de tous ceux qui font dans les affaires, que beaucoup de capitalistes retiennent leur argent plutôt que de le placer sur hypothèque ou en escomptes, pour ne pas être exposés à recevoir en payement des billets qui peuvent supporter une perte.
M. Toussaint. - Au nom même de l'intérêt auquel veut pourvoir M. Sinave, je prie cet honorable membre de retirer sa proposition. Toute la chambre est convaincue de la nécessité de fonder un grand établissement national de crédit où toutes les forces du pays viendraient converger. Mais cette proposition manque ici d'opportunité. Comme financier, comme homme d'affaires, l'honorable M. Sinave doit en être convaincu.
M. Sinave. - Je ne puis cependant consentir à retirer mon amendement. Les objections tirées des difficultés d'exécution ne doivent pas nous arrêter, puisqu'il n'est pas question maintenant de l'exécution. Quelles que soient les conditions d'existence de l'établissement, cela ne fait rien quant au principe.
Quant aux développements que j'ai donnés à mon amendement, je suis très souple ; je suis prêt à y renoncer, s'ils doivent compromettre le succès de la mesure.
Mais, quoi qu'en ait dit l'honorable préopinant, je pense qu'il est opportun de faire mention dans l'adresse de l'établissement de crédit don nous désirons l'institution.
M. Pirmez. - Je pense que nous devons remettre à un autre temps la discussion de cette question et ne pas voter l'amendement. Les développements mêmes de la proposition nous obligent d'en agir ainsi. Car l'auteur de la proposition ne présente pas d'autre moyen de fonder un établissement de crédit national que par l'émission d'un papier-monnaie ayant cours forcé, moyen qui, selon moi, est la destruction du crédit.
- La discussion est close.
M. le président. - M. Sinave se rallie-t-il au sous-amendement de M. de Pouhon ?
M. Sinave. - Oui, M. le président.
- L'amendement est mis aux voix; il n'est pas adopté.
La séance est levée à 4 heures et demie.