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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 4 juillet 1848

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session extraordinaire 1848)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 27) M. Dubus. procède à l'appel nominal à midi et un quart.

La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

M. Dubus fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur Leemans demande une imposition spéciale sur le travail à la mécanique, une augmentation de droit d'entrée sur les objets ainsi fabriqués, la suppression des adjudications pour les ouvrages publics et du travail industriel dans les dépôts de mendicité ou les maisons de détention. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de la Tête-de-Flandre demandent exemption du droit de passage sur l'Escaut, entre Anvers et la Tête-de-Flandre. »

- Sur la proposition de M. de 'T Serclaes., même renvoi, avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur Donnen, fermier de la barrière n°3 de Pont-à-Migneloup, prie la chambre de lui accorder la remise d'un quart sur le prix de location de sa ferme. »

- Même renvoi.


« Le sieur Kaise, fermier de la barrière n°2 de Gosselies, prie la chambre de lui aborder une remise d'un quart sur le prix de sa ferme. »

- Même renvoi.

Projet de loi qui étend les effets de la loi sur le jury universitaire à la deuxième session de 1848

Rapport de la commission

M. H. de Brouckere - J'ai l'honneur de présenter le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d’examiner le projet de loi relatif au mode de nomination des jurys d'examen pour les grades académiques.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.

Rapport sur des pétitions

M. Tesch - Messieurs, vous avez renvoyé à votre commission des pétitions deux pétitions des habitants de la ville et de l'arrondissement de Roulers. Vous nous avez demandé un prompt rapport. Je crains bien que le rapport que j'ai à vous faire ne se ressente de la promptitude que vous avez exigée.

Dans la farde des pétitions que votre commission a dépouillée, nous en avons trouvé d'autres relatives au même objet. Nous avons cru devoir les comprendre dans notre rapport. Ces pétillons sont émanées, l'une d'Alost, l'autre du conseil communal de Thildonck, une troisième de quelques habitants de Fayt.

Ce n'est pas la première fois que vous avez à vous occuper de demandes semblables. Dans votre séance du 25 février 1848, M. Tielemans vous a déjà fait un rapport sur des demandes tout à fait analogues.

Voici quelques passages de ce rapport, que votre commission a fait en quelque sorte hier et dont elle m'a chargé de vous donner lecture.

« Un peuple qui naît à l'indépendance et à la liberté, s'exagère naturellement ses ressources. Il ne compte pas ce que lui coûtent et les hommes et les choses qui concourent à l'œuvre de son émancipation ; sa défiance du pouvoir le porte à s'entourer de garanties frayeuses et multipliées; il s'organise à l'instar des États les plus puissants ; il complique les ressorts et les rouages de son administration; il recherche les institutions et les travaux qui peuvent l'élever dans l'estime des autres peuples; il encourage et développe tout ce qui donne quelque lustre à sa nationalité; et cette marche dispendieuse, il la poursuit, tant qu'il n'aperçoit pas la limite de ses ressources réelles.

« Mais à peine cette limite s'est-elle montrée, à peine la nécessité de sacrifices nouveaux et inaccoutumés se fait-elle sentir, que l'entraînement national se ralentit; et dès lors, le sentiment individuel reprend le juste empire, qu'il ne doit jamais perdre pour la conservation des États.

« C'est ce moment, messieurs, qu'un gouvernement bien inspiré doit saisir, non pour s'arrêter dans les véritables voies du progrès, mais pour jeter un coup d'œil en arrière, se reconnaître et corriger : corriger en pareil cas, c'est encore avancer. »

Nous n'avons pas la prétention d'ajouter beaucoup à ces réflexions. Cependant votre commission a cru devoir examiner paragraphe par paragraphe les divers chefs des demandes des pétitionnaires. Voici à cet égard quelle est sa manière de voir.

Les pétitionnaires demandent d'abord la suppression de toute sinécure ou emploi inutile. C'est là une demande sur laquelle tout le monde est d'accord.

Personne ne peut contester la légitimité d'une semblable demande, la difficulté ne peut exister que sur la question de savoir quelles sont les sinécures, quels sont les emplois inutiles.

2° Remplacer les ambassadeurs par des chargés d'affaires au traitement de 15 mille francs au plus.

La commission a pensé qu'il y avait là de notables économies à faire, mais elle n'a pas pensé qu'il lui appartenait de déterminer la qualification à donner ultérieurement aux représentants du pays à l'étranger ; elle a été d'avis que c'était là une chose de convenance qu'il fallait laisser au gouvernement le soin de régler ; elle n'a pas pensé davantage devoir s'occuper de la fixation d'un maximum de traitement à quinze mille francs; elle s'est bornée à exprimer le vœu que de notables économies fussent réalisées.

3° Révocation de la loi accordant une pension viagère aux ministres qui ont été en activité pendant 2 ou 3 ans et qui ont été largement rétribués pendant la durée de leurs fonctions.

La commission a pensé d'abord qu'il était inexact de dire que les ministres étaient largement rétribués pendant la durée de leurs fonctions; ce serait plutôt le contraire qu'il faudrait dire. Quant à la révocation de la loi, la commission a pensé à la majorité de 5 voix contre une qu'il y avait lieu de faire droit à la demande des pétitionnaires; elle a pensé que la pension des ministres devait faire l'objet d'une mesure individuelle, d'une loi spéciale et porter le caractère de récompense nationale. Un membre a pensé qu'il suffisait d'une simple révision de la loi. Votre commission a pensé que la loi sur les pensions en général avait donné lieu à de très graves abus et qu'elle devait être révisée dans le plus court délai possible.

4° Réduction des traitements des membres de la cour de cassation, de la cour des comptes, des cours d'appel, des bourgmestres et échevins.

Quant à la dernière partie de ce paragraphe, votre commission ne s'en est pas occupée. Quant à la réduction des traitements des membres de la cour de cassation, des cours d'appel et de la cour des comptes, la commission a pensé que ce n'était pas sur la quotité des traitements qu'il fallait faire des économies, les traitements ayant été équitablement fixés, mais sur le personnel qui dans ces différentes branches de service est beaucoup trop nombreux.

Voilà sur quoi votre commission a été unanimement d'avis de faire porter les réductions.

5° Réduction de la marine.

Si les pétitionnaires ne demandent de réduction que quant à la partie improductive de la marine, votre commission a été d'avis qu'il y avait lieu de faire droit à leur demande ; mais s'il s'agit de la marine destinée à protéger la pêche nationale, ou de celle employée aux transports entre Ostende et Douvres, loin de la diminuer, il y a lieu de l'augmenter.

6° Réduction de l'armée, renvoi dans leurs foyers d'une partie des miliciens pour ne les rappeler que dans des circonstances critiques. La commission a pensé qu'il n'y aurait lieu de s'occuper de cet objet , qu’ultérieurement.

7° Quant à la rétribution des représentants, la substitution des jetons, de présence à l'indemnité mensuelle.

La Constitution fixant l'indemnité des membres par mois, la commission a pensé qu'il n'y avait pas lieu de s'occuper de ce chef de demande.

Enfin, révision de tout le système d'impôts généralement reconnu vicieux et de toutes les dépenses publiques généralement quelconques.

Messieurs, c'est encore une de ces demandes sur lesquelles tout le monde est d'accord et sur lesquelles il est en quelque sorte impossible de s'expliquer par la généralité des termes mêmes. Personne ne veut d'impôts reconnus vicieux. Mais quels sont ces impôts? Il est évident que, de ce chef, la commission n'avait pas d'opinion à émettre quant à présent. Le temps nous eût manqué pour cela.

Dans une seconde pétition, il y a encore différents autres chefs qui ne sont pas compris dans la première.

Je lis ici : « Nous demandons aussi des économies dans les traitements, des commissaires d'arrondissement, ceux des tribunaux de première instance, des cours d'appel et de cassation. » Votre commission, par mon organe, s'en est expliquée tantôt.

(page 28) « Des économies, de grandes économies dans le personnel de l'instruction publique. »

C'est encore une demande qui pèche un peu par sa généralité. Car nous ne savons sur quelle partie de l'instruction publique on veut opérer des réductions. S'il s'agissait des inspecteurs cantonaux, si c'étaient là les fonctionnaires qu'on a voulu désigner, votre commission pense qu'il y aurait lieu d'examiner attentivement la question ; elle est portée à penser que c'est un rouage parfaitement inutile, et qu'on pourrait supprimer sans danger pour la propagation ne l'instruction.

« Économies et grandes économies dans le personnel des chemins de fer et dans le luxe de construction appliqué à ses stations. »

C'est encore là une demande générale et nous ne pouvons que la recommander à MM. les ministres.

En résumé, nos conclusions tendent à ce que, comme différents de ces chefs pourront peut-être donner lieu à une discussion à propos du projet d'adresse, les pétitions soient déposées sur le bureau pendant la discussion de cette adresse et à ce qu'elles soient renvoyées ensuite à tous les ministres.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

Projet d'adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphes 6 et 7

M. le président. - Nous sommes arrivés au paragraphe 6.

« Oui, Sire, le pays a compris tout ce que la gravité des circonstances commandait d'efforts et de sacrifices. En supportant courageusement les charges extraordinaires votées par ses représentants, il a prouvé à quel point le peuple belge est attaché à sa nationalité, à ses institutions, à son antique réputation déloyauté. Maintenir notre patriotique armée sur un pied défensif respectable, alimenter le travail, remplir fidèlement les engagements de l'État, écarter ce qu'il y avait de menaçant dans le fardeau de la dette flottante, c'était remplir noblement des devoirs rigoureux, et qu'on ne peut méconnaître sans perdre le droit de se dire une nation indépendante. »

M. Lebeau, rapporteur. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Avant qu'on n'aborde la discussion, je prendrai la liberté de proposer une petite correction de style. Je voudrais que l'on mît le mot « tenir fidèlement » au lieu de « remplir fidèlement », parce que le verbe remplir se trouve deux lignes plus bas.

- Ce changement de rédaction est adopté.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - M. le président, je désirerais prendre la parole en même temps sur le paragraphe en discussion et sur le paragraphe suivant. J'ai des explications à donner pour répondre à différentes interpellations qui ont été faites dans la discussion générale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - On pourrait ouvrir la discussion sur les deux paragraphes.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.

MpV. donne lecture du paragraphe 7, qui est ainsi conçu : « § Mais plus le pays a montré d'empressement à s'imposer de tels efforts et de tels sacrifices, plus il a le droit de compter sur une investigation sévère des dépenses publiques, plus il a le droit d'exiger que ses représentants se montrent empresses d'accueillir, de provoquer, de réaliser toutes les réformes, toutes les économies compatibles avec la marche des services publics, de proscrire toutes les superfétations, d'extirper tous les abus. »

- La discussion est ouverte sur les paragraphes 6 et 7.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - La chambre reconnaîtra, je pense, qu'il est utile de justifier par des faits que les paroles du discours du Trône que rencontre le projet d'adresse.

Nous avons dit que le pays a courageusement supporté les charges qui lui ont été imposées. On nous répond que le pays a fait, courageusement, de grands efforts et de grands sacrifices pour maintenir ses institutions et son antique réputation de loyauté. Ce langage peut-il être contesté ?

Je me souviens, messieurs, qu'à l'occasion des demandes d'emprunt que nous avons dû soumettre à la chambre, bien des prédictions sinistres ont été proférées. Les uns s'écriaient : L'emprunt ne sera pas payé ; d'autres, plus timides, répétaient : L'emprunt ne pourra pas être payé, et, l'emprunt voté, d'autres , plus audacieux , ont poussé ce cri, dans le pays: On ne doit pas payer l'emprunt. Le pays ne s'est laissé impressionnée nit par ces prédictions sinistres, ni par ces provocations insensées; le, pays a compris que si des sacrifices lui étaient demandés, c'était, pour lui, dans son intérêt. Car nous ne sommes plus au temps des mignons, nous ne sommes plus à cette époque où les deniers publics étaient employés à d'indignes usages. Le pays a montré, messieurs, le plus admirable empressement à seconder les vues du gouvernement. On sait avec quelle promptitude le premier emprunt de 12 millions de francs a été versé dans les caisses de l'État; quelques jours ont suffi pour le percevoir. Un deuxième emprunt, plus considérable, a été voté. Le premier tiers du deuxième emprunt, portant sur la contribution foncière, s'élevait à 6,112,571 fr. 18 c.

Il était exigible le 20 mai. En fait, il est aujourd'hui intégralement payé, car les versements anticipatifs de quelques-uns compensent largement le retard de quelques autres.

Le deuxième tiers de la même somme était exigible le 15 juin et le 20 juin; vingt jours après, il avait déjà été payé 1,611,468 fr. !

La moitié de l'emprunt, ayant pour base la contribution personnelle, présente une somme de 2,144,671 fr.; elle était exigible le 1er juin, et le 20 juin il ne restait plus à recouvrer que 430,071 fr.

Certes, messieurs, on ne peut citer des faits plus positifs pour montrer le dévouement, le patriotisme du pays.

On pouvait craindre que deux emprunts, prélevés successivement à de courts intervalles, n'occasionnassent quelque retard dans la rentrée des impôts ordinaires. Je suis heureux de pouvoir mettre sous les yeux de la chambre des documents authentiques qui, sous ce rapport, confirment encore d'une manière plus expresse l'empressement, le dévouement des contribuables. Ces résultats sont tout à fait dignes d'être signalés.

La contribution personnelle qui importe, comme vous savez, une somme de 18,359,749 fr., et qui était la même pour 1846, pour 1847 et pour 1848, présentait, pour quatre douzièmes échus à la date du 31 mai, 6,119,916 fr.; en 1846, on n'avait perçu au 1er mai que 5,072,916 fr. ; ainsi, 947,000 fr. de moins que les douzièmes échus.

En 1847, on avait perçu 905,000 fr. de moins que les douzièmes échus.

En 1848, on a perçu, à la même époque, 439,000 fr. de plus que les douzièmes échus.

La contribution personnelle présente absolument les mêmes résultats. Elle importait aussi à peu près la même somme pour les années 1846, 1847 et 1848, un peu plus de 9 millions de francs.

En 1846, les douzièmes échus laissaient un déficit de 336,000 fr. ; en 1847, un déficit de 425,000 fr.; en 1848, un excédent de 336,000 fr. Ainsi, tandis que dans les années précédentes, nous avions au 31 mai un arriéré assez notable sur les douzièmes échus, cette année nous dépassons les douzièmes échus de 7 p. c. sur le foncier et de 12 p. c. sur la contribution personnelle; les années précédentes, le déficit sur la contribution personnelle était de 14 p. c.

Ces résultats sont d'autant plus à considérer, pour connaître la véritable situation de l'esprit public, qu'ils sont obtenus d'une manière purement volontaire, sans aucune espèce de contrainte; car la contrainte n'était pas même possible, puisque nul ne pouvait obliger les contribuables à payer des termes non échus; on a anticipé non seulement pour l'emprunt, mais aussi pour les contributions ordinaires. Voilà la part des sacrifices volontaires.

Maintenant quelle est la situation des autres impôts ? Nous avons d'abord l'enregistrement, le timbre, les péages. Nous avons ici un déficit sur les prévisions; mais cela n'a rien d'étonnant. Si vous considérez le ralentissement de nos relations internationales, vous comprendrez que nos recettes des chemins de fer soient notablement diminuées. C'est à cette cause qu'il faut attribuer la réduction qui s'est manifestée dans nos recettes. Mais ce que nous devons principalement examiner, c'est le produit des impôts de consommation.

On s'accorde à reconnaître que leur élévation ou leur diminution indique assez bien quel est l'étal réel du pays.

Voici à cet égard des renseignements qui, je pense, seront écoutés avec intérêt :

Sur les accises, sels, vins, eaux-de-vie, bières et vinaigres au 31 mai 1848, les recettes et les échéances connues à la même époque s’élevaient à 12,937,209 fr.

En 1846, elles étaient de 12,047,000 fr.

En 1847, elles étaient de 10,959,000 fr.

Et en 1848, elles sont de 11,922,000 fr.

La situation est donc sous ce rapport extrêmement satisfaisante, il est dès à présent très probable que les prévisions du budget seront atteintes.

Quant aux sucres, les recettes et les échéances connues au 31 mai 1845 s'élevaient à 2,313,000 fr.

Au 31 mai 1846, à 2,156,000 fr.

Au 31 mai 1847, à 2,700,000 fr.

Au 31 mai 1848, à 4,618,258 fr.

Je n'ai pas compris cet article dans les relevés précédents, parce .que les recettes et les échéances qui figurent dans ces derniers chiffres forment le total des prises en charge susceptibles d'être apurées par payement ou par l'exportation avec décharge de l'accise. Mais les renseignements que possède l'administration permettent d'assurer contrairement à toutes les prévisions de ceux qui avaient élevé tant de récriminations contre cette loi, que le produit de 3 millions sera également atteint.

Quant aux droits de douanes la différence sur l’année précédente n'est pas aussi forte qu'on aurait pu le craindre; cependant si les recettes ne se relèvent pas, il y aura déficit. Ce déficit est difficile à évaluer ; toutefois, l'administration pense qu'il n'atteindra pas un million. Ce serait, relativement à aux pays voisins, une condition extrêmement heureuse.

Que résulte-t-il de ces renseignements? D'abord la conviction que la situation du pays est aussi bonne que le comportent les circonstances; en second lieu, que, sous le rapport des recettes, les prévisions seront atteintes très probablement en ce qui concerne les accises, et que le déficit ne portera que sur la douane et les péages.

Si la chambre le désire, je dirai maintenant quelle est la situation du trésor. Je pense que c’est un renseignement, qu'il est indispensable de donner ; c'est la base de toutes nos discussions financières; c'est de là qu'il faut partir pour reconnaître ce qu'on sera obligé de faire pour pourvoir à la situation de 1849. (Parlez ! parlez!)

(page 29) Messieurs, mon honorable prédécesseur a soumis à la chambre une situation du trésor à la date du 1er septembre 1847.

Il en résultait que, pour couvrir l'insuffisance des exercices antérieurs à 1848, il fallait une somme de 15 millions 219 mille francs; mais pour arriver à couvrir l'insuffisance avec cette somme, il fallait compenser une partie de notre dette par l'avoir qualifié sous le nom d'encaisse représenté par des coupons de notre emprunt 4 p. c. à concurrence de 13,460,409 fr. Or, comme ces fonds sont frappés d'indisponibilité dans les mains du gouvernement, puisqu'il faudrait une loi pour pouvoir émettre ces coupons; que d'autre part ils ne pourraient être émis avec avantage, qu'en définitive ils ne représentent pas plus qu'un autre emprunt à émettre, le déficit réel était, au 1er septembre, de 28,677,674 fr. 19 c.

Depuis, des crédits ont été votés encore; l'exercice 1846 a présenté une insuffisance de 626,200 fr.; il y a eu de ce chef un crédit supplémentaire; le budget de 1847 a été augmenté de 7,027,000 fr., de sorte que les exercices antérieurs à 1848 sont clos avec un déficit de 36,330,307 fr. 80 c.

Voilà au vrai sur ce point la situation. On a autorisé une émission de bons du trésor pour couvrir une partie du déficit; on a autorisé l'émission de 27,259,000 fr., d'où il suit qu'il y a encore un découvert de 9,071,307 fr. 80 c.

Je n'entre pas dans des détails de chiffres bien compliqués qui ne peuvent être suivis, et qui, je crois, ont eu pour résultat de ne pas permettre de de mettre facilement d'accord sur la situation financière.

Je donne quelques chiffres simples, nets, qui démontreront quelle est en réalité la situation financière du pays, antérieure à 1848.

Maintenant quelle sera la situation pour l'exercice 1848 ?

Les budgets votés s'élèvent à 118,193,870 fr. 65 c.

On a alloué des crédits supplémentaires s'élevant à 413,295 fr. 82 c.

Total des dépenses : 118,607,166 fr. 47 c.

Quels sont les voies et moyens ?

Les voies et moyens votés pour 1848 s'élèvent à 117,612,250 fr.

Plus une vente de domaines autorisée, 800,000 fr.

Soit 118,412,250 fr. 00

Ce qui laisse une insuffisance de 194,916 fr. 47 c.

Ce découvert aurait été comblé, il aurait eu un excédant assez notable si la chambre avait discuté dans la dernière session le projet de loi sur les successions que nous avions présenté.

Voyons maintenant la situation des crédits extraordinaires à prendre sur l'emprunt.

Les crédits votés s'élèvent à 21,906,611 fr. 38 c.

Les bons du trésor qui ont été émis qui viennent en déduction de l'arriéré et qui sont maintenant à rembourser, ce qui accroît nos obligations, s'élèvent à 27,239,000 fr. 00 c.

Total : 49,165.611 fr. 38 c.

Le produit probable des ressources de l'emprunt, 12,000,000 de billets de banque, le don du Roi, sera de 49,130,000 fr.

D'où i! résulte qu'il y aura une insuffisance de 35,611 fr. 38 c.

Quelle sera la situation du budget de 1849 ? Quelles seront les dépenses à porter à ce budget pour couvrir les intérêts de l'emprunt forcé qui s'élève à 36 millions? La dépense sera de 1,800,000 fr. Mais il faut en déduire les intérêts qui figurent déjà au budget de la dette publique, pour le service de la dette flottante antérieure, 750,000 fr.

Reste à couvrir, fr. 1,050,000

On peut présumer que la Société Générale disposera au moins de la moitié des billets qu'elle a été autorisée à émettre pour lesquels elle devra payer à l'État des intérêts s'élevant à 400,000 fr.

D'où il résulte que la charge incombant de ce chef au trésor se réduira, pour 1849, à 650,000 fr.

En récapitulant les différentes situations que je viens d'indiquer, nous trouvons d'une part :

Insuffisance des exercices antérieurs à 1846 : 9,071,308 fr. 27 c.

Insuffisance du budget de 1848 : 194,916 fr.

Insuffisance de l'emprunt : 35,611 fr. 38 c.

Le découvert sur les exercices antérieurs, y compris le découvert présumé de 1848, est donc de 9,301,835 fr. 65 c.

C'est là ce dont nous serons débiteurs au 1er janvier 1849.

Il est possible, il est probable, il est presque certain que nous aurons une insuffisance sur les recettes de 1848, qui viendra s'ajouter à cette insuffisance de 9,301,835 fr. 65 c. Mais en opérant comme je viens de le faire, la dette générale de l'État se trouve réduite de 13,460,409 fr., car j'ai acquitté des obligations montant à cette somme, que j'ai ajoutée au découvert des budgets antérieurs à 1848. Il faut observer toutefois que le passif s'augmenterait de 12,000,000 le jour où les billets de banque cesseraient d'avoir cours forcé.

Je dois dire ici qu'il se pourrait qu'au 1er janvier 1849, on ne fût pas obligé de pouvoir immédiatement à cette insuffisance de 9,301,835 fr. 65 c. En voici la raison : dans les fonds généraux figurent les sommes destinées à l'amortissement de l'emprunt 5 p. c. qui n'ont pas pu être employées les années précédentes, parce qu'ils ne devaient trouver d'emploi que pour autant que les fonds fussent au-dessous du pair. De sorte qu'il reste dans la caisse de l'État 5,700,000 francs qui pourraient être considérés tout au moins provisoirement, comme venant en déduction du déficit que présente notre situation.

Quoi qu'il en soit, la chambre le remarque, la situation est singulièrement améliorée. La menace d'une dette énorme, immédiatement exigible, a disparu. La dette, l'arriéré que nous aurons au 1er janvier 1849 ne sera pas fort considérable. Mais toujours résulte-t-il de la situation (en supposant gratuitement qu'il n'y ait pas des besoins plus considérables pour l'instruction publique et pour l'amélioration du sort de la classe ouvrière) que pour faire face à la situation que je viens d’accuser, il faudra ou augmenter les impôts ,ou réduire les dépenses de l’Etat.

Remarquez qu'il faut qu'enfin on établisse un équilibre réel, sérieux, qui présente des garanties; et pour qu'il en soit ainsi, il faut que vous ayez annuellement un excédant de recettes de plusieurs millions. Tant que l'excédant des recettes sur les dépenses ne sera pas de plusieurs millions, il est très vraisemblable qu'il y aura toujours des mécomptes.

En effet, beaucoup de choses ne peuvent être prévues qui surviennent dans le cours d’une année. Il y a des crédits extraordinaires, supplémentaires, dont on est obligé de reconnaître la nécessité, qu'au doit voter, sur lesquels on n'avait pas compté, et qu'il faut pouvoir imputer sur un fonds qu'on possède. On ne le pourra que si l'on a préparé un excédant de recettes sur les dépenses.

Et puis, si cet excédait reste disponible, il serait affecté d'une manière très utile aux travaux extraordinaires pour l'exercice suivant.

Comment arriver, messieurs, à établir, cette situation? Il faut des économies, des économies d'abord. Il faut réduire les dépenses au strict nécessaire. Toutes les économies compatibles avec une bonne organisation des services publics, il les faut; on les aura. Les économies porteront, messieurs, sur les budgets de chacun des départements. Mais il nous répugne de laisser croire que, quoi qu'on fasse, ces économies, puissent atteindre à ces chiffres fabuleux que quelques personnes ont fait courir et qui varient de 10 à 20 millions.

Laissons de côté, pour un instant, l'armée. Toutes les opinions exprimées hier s'accordent à reconnaître que, dans ce moment, dans la situation où l’Europe se trouve, le budget normal, quelques réductions qu'on lui fasse subir, absorbera nécessairement une somme considérable.

Sans doute, messieurs, c'est une chose triste à penser, comme l’un des honorables orateurs le répétait hier, qu'une aussi grande partie des ressources d'un pays soit affectée à la nécessité d'entretenir des armées permanentes. C'est une calamité qui pèse, non sur nous exclusivement, mais qui pèse sur tous les États, sur tous les pays. Heureux, sans doute, le jour où, par un accord fraternel, que peut-être nos neveux verront , le jour, où l'on pourra réduire de toutes parts les dépenses des armées ! Mais, quand à côté de la question nationale se dresse la question sociale; quand la barbarie semble renaître au sein de la civilisation ; quand au cœur des États les plus civilisés, les passions les plus sauvages fermentent et éclatent, nous devons avoir la conviction qu'il y a nécessité de maintenir une force publique respectable, pour défendre l'ordre, demain peut-être, la civilisation.

Or, messieurs, si cette charge est acceptée, je le répète encore réserve faite des réductions dont le budget normal est susceptible, mais en maintenant l'organisation telle qu'elle est, si cette charge est acceptée, voyons, messieurs, sur quoi nous pouvons opérer.

Nos dépenses s'élèvent à 118,193,870 fr. 65 c.

Je trouve d'abord que l'article du budget de la guerre, qui doit être mis hors de discussion, s'élève à 28,690,000 fr. Puis je trouve que la dette publique et les dotations figurent au budget pour 35,043,444 fr. 82 c. De telle sorte que sur le budget 63 millions et en tous 35,000,000 ne sont pas susceptibles de réduction.

C'est donc sur une somme relativement faible que les efforts de l'administration doivent se concentrer pour obtenir des économies.

Messieurs, le rapport sur les pétitions que vous venez d'entendre ne dit rien que le gouvernement ne puisse accepter. Les conclusions de la commission soul parfaitement conformes aux vœux du gouvernement. Il n'y a rien à reprendre dans les explications pleines de sagesse et de réserve qui ont été données. Les économies doivent porter, dit-on, sur la marine; oui, messieurs. Mais le service productif sera maintenu. Votre commission le déclare avec le gouvernement.

Le service qui, à tort pour quelques esprits, avec raison pour le plus grand nombre, ne peut rendre d'utiles services au pays, ce service sera supprimé.

On fera de larges économies dans la diplomatie. Vous me permettrez même de faire remarquer que déjà nous avons commencé. Mais vous me permettrez aussi de ne pas entrer aujourd’hui dans détails sur ce point. À quoi bon livrer à une discussion, qui n'aboutirait pas, les idées, les projets du gouvernement à cet égard? La discussion s'ouvrira utilement lois de la présentation du budget de 1849. Que résulterait-t-il, messieurs, de cette imprudence de livrer dès aujourd’hui d'une manière détaillée tous les projets, toutes les idées, toute la pensée du gouvernement à l'égard de l'administration publique? Il résulterait de là que bien certainement des exigences nouvelles, plus considérables, naîtraient. On n'aurait pas examiné; on an pourrait pas apprécier ; on ne serait pas entré dans l'examen détaillé des faits ; mais de ce qu'on présenterait, ou conclurait qu'on ne fait pas assez.

(page 30) Lors même que le gouvernement réduirait toute sa diplomatie de manière à ne pas coûter à la Belgique plus qu'un seul ambassadeur anglais à Paris, je ne m'étonnerais pas qu'on réclamât plus encore.

Il faudra, messieurs, pour les autres administrations, simplifier les services, supprimer les emplois inutiles. Encore une fois sur ce point nous sommes tous parfaitement d'accord.

On recherchera ce qu'il est possible de supprimer au département de la guerre, au département de la justice, au département des affaires étrangères, au département de l'intérieur, au département des travaux publics, au département des finances. Tout cela sera fait. Vous verrez ultérieurement, vous examinerez s'il est possible d'aller au-delà de ce que vous proposera le gouvernement. Mais ce que je puis dire, c'est que vous ne trouverez personne plus dévoué, plus décidé que nous le sommes, à opérer toutes les économies compatibles avec le bien du service.

Messieurs, il est assez facile d'entrevoir, par les explications qui précèdent, qu'à part l'éventualité de l'insuffisance des ressources sur le budget de 1848, la situation du budget de 1849 se présentera d'une manière d'ailleurs assez favorable.

Mais si d'une part on réduit les dépenses normales de l'administration, si d'autre part on crée des dépenses nouvelles, et elles seront inévitables pour les Flandres, pour l'instruction, pour les classes ouvrières, nous l'avons dit, il faudra, selon toute vraisemblance, de nouvelles ressources.

Quelles seront ces ressources? Messieurs, je rencontre ici l'interpellation qui m'a été faite hier par un honorable député de Thielt.

Le gouvernement entend-il maintenir son projet sur les successions? Oui, le gouvernement entend maintenir son projet sur les successions. Nous croyons, et nous croyons plus que jamais, que cette loi est bonne, qu'elle est juste. Sans entrer dans les détails de cette loi, nous disons que le principe en est excellent, qu'il créera des revenus puisés à une bonne source.

On nous a dit aussi : Mais la loi des assurances! Vous proposez-vous de confier les assurances à l'État ? Nous avons déjà eu occasion d'exprimer dans cette chambre qu'en principe nous ne répugnons en aucune façon à conférer à l'État le monopole des assurances. Je ne discute pas les raisons de ce principe; je crois que dans ces derniers temps on a fait beaucoup d'exagération sur ce monopole à remettre aux mains de l'État. Mais l'État ne prend le monopole des assurances qu'à la condition que ce soit une source de revenu pour lui. C'est apparemment dans ce sens que l'on en parle. C'est à ce point de vue que je l'envisage ici. Je ne m'occupe pas de la question au point de vue de la prévoyance que le gouvernement imposerait aux particuliers. C'est une autre affaire; c'est comme ressource qu'on signale les assurances, remises aux mains de l'État.

Des études déjà approfondies ont été faites sur ce point; des documents déjà considérables existent sur cette matière. Mais ce qui fait encore défaut, messieurs, ce sont des documents propres à établir, à convaincre que les assurances seraient une source de revenu pour l'État.

Nous avons les assurances immobilières, les assurances mobilières , les assurances sur les récoltes, les assurances sur les bestiaux. Toutes réunies dans les mains du gouvernement, quelles seraient les chances que courrait l'État? Quel bénéfice pourrait-il en retirer? J'avoue qu'après avoir beaucoup médité sur ce point, j'ai les doutes les plus sérieux; je n'ai rien trouvé encore de satisfaisant. Mais la question sera résolue.

Faut-il, messieurs, qu'à cette occasion, je m'explique sur une foule d'idées qui ont été mises en avant comme pouvant, dans leur application, produire des ressources pour l'Étal? Je ne pense pas que ce soit opportun. Je ne pense pas que je doive entrer dans l'examen des divers systèmes que l'on pourrait présenter, afin de créer des ressources à l'État. Je m'en abstiens donc. Cette discussion viendra peut-être utilement une autre fois.

J'arrive maintenant, messieurs, au deuxième des paragraphes sur lesquels j'avais pris la parole ; c'est celui qui est relatif, je pense, à la réforme des impôts. Si la chambre me le permet, je dirai quelques mots sur ce point.

- De toutes parts. - Parlez ! parlez! .

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, le cabinet, après avoir rempli cette tâche laborieuse de réviser l'administration et de chercher toutes les économies qu'il est possible de faire, en a une, non moins pénible, c'est celle de s'occuper d'une réforme promise depuis 18 ans, la révision des impôts. Ici encore, messieurs, quelques honorables orateurs, que vous avez entendus dans la séance d'hier, auraient voulu beaucoup de précision de la part du gouvernement. Que veut-on faire? Sur quoi porteront les réformes? Quelles sont les idées, quels sont les systèmes du gouvernement sur ces réformes ? Messieurs, le gouvernement a des idées arrêtées sur ces points, mais le gouvernement ne croit pas le moins du monde qu'il soit utile de se livrer par anticipation à la discussion de ces projets.

Les éléments nous paraissent manquer à la chambre pour bien traiter ces questions. Il faudrait, au préalable, que, par des documents qui lui seraient soumis, la chambre connût bien, d'abord tout le mécanisme de nos impôts, que la chambre connût bien le mécanisme des impôts dans les divers pays, en France, en Angleterre, en Prusse, en Autriche, aux États-Unis. Tout cela doit servir de terme de comparaison pour bien apprécier quel est, au fond, notre système d'impôts et s'il vaut moins que celui adopté en d'autres pays. Sur tous ces points des études aussi complètes que possibles seront faites, des documents seront soumis à la chambre. Je puis dire que déjà les travaux sont assez avancés sur ce point.

Je ne puis donc, maintenant, me livrer à une discussion sur la réforme des impôts, sur la théorie des impôts.

Je ne puis examiner, par exemple, le point de savoir s'il faut substituer un impôt direct sur les revenus, unique, progressif, à tous les impôts qui existent aujourd'hui, question qui se présenterait peut-être, si nos idées étaient maintenant soumises aux débats de la chambre. Tout ce que je puis dire, c'est que le gouvernement qui s'occupe, à l'heure qu'il est, très activement, de la révision des impôts, et qu'il présentera des projets de lois à l'ouverture de la session prochaine. Ce que je puis dire encore, c'est que la pensée dominante de cette révision sera de rechercher les moyens de dégrever les classes qui sont le moins en état de supporter l'impôt et d'en reporter le fardeau sur les classes aisées ; ce sera de faire que l'impôt soit réparti de la manière la plus équitable possible.

C'est, pour préciser enfin quelque chose, c'est dans cette vue que la loi sur la contribution personnelle sera révisée. Il y a lieu d'y introduire de larges exemptions en faveur des classes ouvrières. Ainsi pour citer un exemple, cette loi n'accorde aujourd'hui l'exemption de la contribution personnelle qu'aux maisons dont la valeur locative ne dépasse pas 42 fr. 32 c. Or dans les principales agglomérations de la population ouvrière quelle est la chétive masure qui ne représente pas un loyer de 42 fr. 32 c. ? Il en résulte donc que presque aucune exemption ne profite en réalité à la classe ouvrière.

Eh bien, il y aura nécessité d'accroître largement les exemptions accordées, de les accroître de telle sorte que la classe ouvrière éprouve un grand soulagement de ce chef. Ainsi encore la loi des patentes sera révisée dans le même esprit. Un grand nombre de patentes atteignent aujourd'hui des individus qui doivent fournir l'impôt à l'aide du sacrifice de plusieurs journées de salaire. Il faut que cela disparaisse. Et j'ai l'espoir que 25 mille contribuables seront effacés de la liste des patentés.

Voilà, messieurs, les traits généraux de la révision dont on s'occupe en ce moment, et dont l'étude est avancée. Je pense que ces explications seront de nature à satisfaire la chambre.

Nous serons heureux de pouvoir atteindre le but que nous nous sommes proposé; nous serons plus heureux encore si d'autres veulent entreprendre à notre place, de mener à bien l'œuvre que nous avons commencée.

M. Osy. - Messieurs, je commencerai par remercier M. le ministre des travaux publics de la franchise qu'il a mise à nous expliquer la situation financière du pays; je suis persuadé que toute la chambre s'associera à ces remerciements; je forme des vœux pour qu'à la session prochaine il soit définitivement chargé du portefeuille des finances ; je suis sûr que le peu de moments qu'il a déjà passés dans ce département, et que le bien qu'il y a fait seront pour le pays une garantie, que nos finances seront bien gérées.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics de nous dire un mot pour rassurer les porteurs de la dette publique.

Je conçois qu'au premier moment de la crise du 24 février, il n'ait pas été possible d'opérer régulièrement l'amortissement de nos fonds. Maintenant, la situation est plus normale ; je demanderai à M. le ministre des travaux publics si nous pouvons compter que l'amortissement se fera d'une manière régulière pour tous nos fonds publics.

Je demanderai également à M. le ministre si nous pouvons espérer de voir paraître bientôt les obligations définitives des deux emprunts forcés, parce que, tout en rendant justice au grand zèle patriotique de nos populations, je crois que nous devons mettre ceux de nos concitoyens qui sont dans la gêne, à même de se faire rembourser, avec une perte plus ou moins grande, les sacrifices qu'ils se sont imposés.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics, aussitôt que ces obligations définitives seront confectionnées, de donner des ordres, pour que ces obligations soient cotées aux bourses d'Anvers et de Bruxelles, parce que par là les populations connaîtront la valeur réelle et ne seront pas à la merci d'une foule de spéculateurs dans les provinces.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, je commence par remercier l'honorable préopinant des choses obligeantes qu'il a bien voulu me dire, et je m'empresse de répondre aux deux questions qu'il m'a posées.

La première est de savoir si l'amortissement fonctionnerait régulièrement.

Les fonds votés au budget de 1848 sont et continueront à être employés d'une manière complète à l'amortissement de la dette publique, conformément aux stipulations des contrats.

Quant à l'échange des récépissés des deux emprunts forcés, les mesures seront prises pour que cet échange puisse s'opérer aussitôt que possible.

Mais il y a nécessairement des lenteurs. Nous aurions désiré que cela eût pu être fait plus promptement, car c'est alors qu'on pourra réaliser le vœu qui a été émis par l'honorable préopinant, et qui consiste à faire coter à la bourse les fonds des deux emprunts.

M. David. - Je ne viens pas suivre M. le ministre dans les chiffres qu'il a posés et dans les développements dans lesquels il est entré; je ne dirai qu'un seul mot sur la prétendue facilité avec laquelle les emprunts ont été payés.

M. le ministre vient de nous dire, messieurs, que les emprunts étaient admirablement rentrés; je ne le conteste pas; mais je vous dirai de quelle manière ils ont été versés dans les localités que je connais plus particulièrement, il en aura été de même probablement dans une quantité. d'autres localités. Dans ces communes, que je connais plus particulièrement, messieurs, des hommes généreux se sont chargés de payer toutes les (page 31) cotes de 50 fr. et au-dessous, pour les individus peu à même de le faire eux-mêmes. C'est vous dire quelles énormes avances certaines personnes ont bien voulu faire, c'est vous dire aussi que la bourse d'une grande quantité de contribuables est aujourd'hui dégarnie. Je devais cette explication à la chambre et au ministère surtout, afin qu'il ne se fasse pas illusion sur la position d'une classe nombreuse de contribuables.

M. Christiaens. - Nous en sommes venus au paragraphe de l'adresse qui traite d'économies : des économies, il en faut, il les faut promptes et sérieuses. Il en faut non seulement pour améliorer les finances du trésor de l'État, mais il en faut surtout pour laisser vivre les contribuables.

On ne doit pas s'y tromper. La crise financière du contribuable ne date pas du 24 février 1848 ; elle a une date plus reculée. Depuis longtemps déjà, beaucoup d'existences n'ont pu se maintenir que par des atermoiements forcés.

Pour le dire en peu de mots, messieurs, il faut à la Belgique des économies qui fassent descendre les dépenses de l'État au niveau des principes du gouvernement même qui le régit.

Eh bien, ces principes sont ceux d'une monarchie démocratique.

Une grande modération dans les dépenses publiques est la conséquence nécessaire d'institutions de cette nature. Cette grande modération dans les dépenses est devenue désormais chez nous une nécessité si impérieuse à mes yeux, que je crois que les ministres qui sont au pouvoir aujourd'hui, et que j'aime, pour ma part, à y voir assis, ne pourront s'y maintenir qu'en se soumettant franchement aux conséquences démocratiques de nos institutions aux nécessités de notre situation.

Ceci m'amène naturellement à dire ma pensée sur la loi de pensions des ministres à deux budgets.

Eh bien, cette loi, je l'appellerai une loi déplorable ; et je voudrais que dans l'adresse solennelle qui se discute en ce moment devant cette chambre renouvelée, il fût imprimé à cette loi déplorable un stigmate d'improbation indélébile, comme blessant l'essence même des principes de nos institutions politiques, comme blessant la susceptibilité de l’honneur national, de l'honneur national qui sait comprendre la justice, la nécessité de la récompense due à de grands services rendus loyalement au pays, mais qui ne comprendra jamais ni la nécessité, ni la justice d'une récompense nationale parce que le hasard, ou le calcul peut-être, aura permis à un homme de s'asseoir pendant deux sessions législatives seulement sur un banc ministériel.

Je ne connais aucun des ministres, ni présents ni passés, qui profitent du bénéfice de la loi en question ; je n'en veux connaître aucun, parce que je craindrais que cette connaissance ne vînt altérer, ne vînt diminuer la haute estime que j'aime à professer pour quelques-uns d'entre eux.

M. Pierre - Au moment où le pays tout entier sollicite des économies réelles, sérieuses, radicales dans les diverses branches de services publics, dans presque toutes les administrations, il me paraît que le temps est arrivé de s'occuper non pas seulement de réductions de traitements et de personnels, ce qui doit nécessairement entrer dans les vues de tout le monde, mais aussi de faire de bonnes lois financières, comme nous l'indique ce paragraphe du projet d'adresse, d'améliorer celles qui en sont susceptibles, de refaire complètement celles dont les bases sont reconnues mauvaises, vicieuses, et surtout, messieurs, de tirer parti de ressources jusqu'alors abandonnées. Je me bornerai à vous en signaler une qui comporte une très-haute importance, je veux parler de la grande question des assurances contre l'incendie par l'État.

En 1846, le conseil provincial du Luxembourg a émis à l'unanimité auprès du gouvernement le vœu de voir adopter ce système; une commission a été chargée d'examiner ce nouveau mode d'impôt et nous ignorons le résultat de cet examen. Quoi qu'il en soit, il me semble que deux années d'étude et d'élaboration auraient pu suffire pour saisir la législature d'un projet de loi sur cette matière. Quand il s'agit de doter la Belgique d'une loi, dont le résultat serait de faire arriver annuellement au trésor de la nation dix ou douze millions de revenu, sans peser en quelque sorte sur personne, est-il possible, messieurs, d'hésiter un instant?

Cette loi ne serait pas une bonne affaire uniquement au point de vue pécuniaire et financier, mais encore sous le rapport moral, car elle atteindrait le but immédiat de faire cesser une spéculation odieuse dont malheureusement nous sommes chaque jour les témoins. En effet, ne voyons-nous pas très souvent des individus faire de leurs propriétés tangibles par les assurances une estimation exagérée et s'incendier ensuite eux-mêmes dans l'espoir de réaliser a l'instant, quelquefois même avec bénéfice, la valeur de ces propriétés? Inconvénient grave auquel obviera sans nul doute la loi nouvelle.

Mon intention était d'appuyer ce que vous a dit hier à ce sujet l'honorable M. Toussaint, et je prie M. le ministre des finances de nous dire où en est cette affaire, et si nous pouvons avoir l'espoir que, dans notre prochaine session, le gouvernement nous présentera un projet de loi que le pays attend avec impatience, dont le mérite serait évidemment incontestable à tous égards, et qui ne peut rencontrer d'obstacle sérieux que dans quelques intérêts particuliers. Oui, messieurs, il faut le dire pour que chacun le sache bien, on semble reculer devant le froissement de ces quelques intérêts particuliers. M. le ministre vient de nous énumérer divers autres systèmes d'assurances comme étant aussi mis en avant; mais, messieurs, une distinction doit bien être établie et le système des assurances contre l'incendie par l'État mérite la priorité sur tous les autres.

Je le recommande, eu conséquence, d'une manière toute particulière à l'attention du gouvernement; car je ne pense pas, pour ma part, qu'il puisse y avoir doute quant à la question de savoir si ce système aura un produit avantageux pour le trésor. Je le répète, messieurs, le seul obstacle réel à l'adoption de ce nouveau mode d'impôt ne peut être, à mes yeux, que la crainte du froissement d'intérêts particuliers, que nous connaissons. Mais, messieurs, l'heure ne doit-elle pas être venue de faire taire enfin les intérêts particuliers et de n'écouter que l'intérêt général, l'intérêt de tous ?

Si ce principe est vrai en thèse absolue, il l'est bien plus encore en présence de la situation de gêne financière où se trouve aujourd'hui le pays.

M. Dumortier - Messieurs, il m'est difficile de laisser passer le paragraphe en discussion et qui est relatif à l'objet qui soulève le plus de réclamations dans le pays, sans vous dire quelques mots.

M. le ministre des travaux publics et des finances, dans l'exposé qu'il vient de vous faire et auquel je rends hommage, nous a montré tout ce qu'il y a de satisfaisant dans l'attitude financière du pays; mais en même temps il ne nous a pas laissé ignorer qu'il y avait encore pour 1849 un découvert de neuf millions, à quoi il faut encore ajouter le déficit des recettes de 1848, ce qui portera l'insuffisance de 1849 au moins à 12 millions. Pour combler cette somme deux moyens seuls se présentent, ou bien d'élever les revenus, ou bien d'abaisser les dépenses. Partisan des économies, je tiens à montrer à la chambre qu'il est possible d'entrer dans la voie des réductions, même sans frapper la position des employés de l'État.

Dès 1830, la Belgique avait inscrit sur ses drapeaux : Liberté, ordre public, économies. Malgré ce vœu formé alors par le pays entier, nous avons vu chaque année le budget des dépenses et des voies et moyens s'accroître d'une manière effrayante. Je ne vous parlerai pas du budget de 1830 et 1831; on pourrait me répondre qu'alors la Belgique n'avait pas encore son assiette normale et qu'on ne peut en tirer de légitimes conséquences.

Mais en 1832, la Belgique avait pris son assiette ; elle avait une situation normale ; elle existait comme aujourd'hui ; dès lors nous pouvons prendre ce point de départ pour juger si des réductions ne sont pas possibles ; non que je pense qu'on peut en revenir au budget, mais pour en tirer des conséquences dans l'introduction des économies dans les dépenses.

En 1832, le budget des voies et moyens voté par la chambre, et qui représente naturellement les dépenses, s'élevait à 31 millions de florins, soit, en somme ronde, 64 millions de francs. Voilà ce que comportait le budget des voies et moyens en 1832, 64 millions de francs. Aujourd'hui il s'élève, vous venez de l'entendre de la bouche de M. le ministre des travaux publics, à 117 ou 118 millions. Je vous laisse à juger le chemin que nous avons fait depuis 1830.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Et le chemin de fer !

M. Dumortier - En effet, nous allons en chemin de fer. La Belgique se gouvernait en 1832 avec 64 millions de francs, aujourd'hui il lui faut un budget de 118 millions de francs. On va, messieurs, m'objecter les chemins de fer. Je le sais, les chemins de fer figurent à notre budget pour une recette de 16 millions de francs. Défalquez ces 16 millions et nous arrivons encore à ce résultat très clair qu'en 1832 nous avions un budget de 64 millions de francs, tandis qu'aujourd'hui nous arrivons à un chiffre de 102 millions. Si je retranche encore les 10 millions de la dette hollandaise, nous avons encore un budget de 92 millions au lieu de 64 qu'il était en 1832. Je conclus de là, comme premier aperçu, qu'au lieu d'impôts nouveaux, nous pouvons arriver à des économies.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Arrivez à la vérité le plus tôt possible.

M. Dumortier - Je suis dans la vérité, car je n'ai pas cité un seul chiffre qui ne soit emprunté aux lois de budget.

Venons maintenant aux périodes intermédiaires. J'ai dit qu'en 1832 le budget s'élevait à 64 millions de francs ; en 1834, il s'élevait à 85 millions; en 1835 à 92 millions; mais il y avait alors dans le budget la subvention de guerre de 7,200,000 fr., de manière que le budget restait à 85 millions ; il s'est maintenu à ce chiffre de 84 à 85 millions pendant plusieurs années.

En 1840, à la suite du traité des 24 articles, nous avions alors à payer la dette hollandaise, une très grande partie de l'emprunt pour le chemin de fer. Déjà la recette du chemin de fer était évaluée à 5,729,000 fr., le budget de tous les voies et moyens, en 1840, ne s'élevait qu'à 102 millions de francs. Si vous déduisez de ce chiffre la recette du chemin de fer, 5,729,000 fr., le budget de 140 s'élève à 96,400,000 fr. Voilà quelle était la recette en 1840. Vous voyez encore une fois que depuis lors nous avons fait beaucoup de chemin.

On me dira : On a fait beaucoup de travaux publics. C'est vrai ; mais ces travaux rapportent-ils en raison de la dépense qu'ils ont occasionnée? Il est évident que nous nous sommes laissé entraîner à des dépenses peu productives; car à l'exception du rachat des canaux du Hainaut, les dépenses en travaux publics ont d'année en année grevé notre budget. La chambre, en fait de travaux publics, a été constamment induite en erreur par nos ingénieurs, par des devis faux; elle a été amenée à voter des lois de travaux publics dont elle ne connaissait pas la portée, qu'elle n'aurait pas votées si elle avait connu le chiffre définitif des dépenses.

Je ne citerai que deux exemples. Loin de moi la pensée d'accuser des collègues, les ministres passés; je suis convaincu qu'ils ont été trompés (page 32) comme nous tous ; mais j'accuserai les ingénieurs qui ont trompé et les ministres et les chambrés.

Ainsi pour ne citer qu'un exemple , le canal latéral à la Meuse devait coûter 3 millions et demi. Combien coûtera-t-il ? Précisément le double, sept millions.

M. Vilain XIIII - Ce n'est pas la faute de l'ingénieur.

M. Dumortier - Ce n'est sans doute la faute de personne, mais le pays payera trois millions et demi de plus que ne portaient les devis. Voulez-vous un autre exemple de la conduite des ingénieurs vis-à-vis de la chambre dans la présentation des projets de loi de travaux publics ? Lorsqu'on nous a proposé la construction du chemin de fer de la Vesdre, qui a coûté de 34 à 35 millions, les ingénieurs sont venus dans cette enceinte présenter des devis avec plans, coupes et élévations établissant que la dépense devait être de 2,243,000 fr. ; et cette dépense, qui devait être de 2,243,000 fr., s'élève à 34 ou 35 millions.

Voilà comment il s'est fait que le pays s'est endetté. Les travaux publics ont ruiné le trésor. De même que Louis XIV a ruiné la France par les architectes, de même le pays a été entraîné dans une foule de dépenses par suite des faux devis présentés par les ingénieurs. Et lorsqu'il nous est arrivé de leur adresser à ce sujet des reproches , on nous disait sans pudeur : Mais si nous vous avions dit le dernier mot, vous ne l'auriez pas voté.

Ainsi, l'on est arrivé à ce résultat qu'on entraîne le pays et les chambres dans une foule de dépenses sans prévoir que plus tard cela occasionnerait un déficit considérable dans les ressources du trésor public. De là sont venus ces bons du trésor, qui servaient en réalité à couvrir les déficits du trésor et que nous sommes heureux de voir enfin disparaître.

À côté de cela, chaque année, nous avons augmenté les dépenses ordinaires, tant en élevant les traitements qu'en augmentant le nombre des employés.

À tel point que si l'on comparait les premiers budgets, ceux de 1831, 1832, 1833 et 1834, avec ceux de 1848, vous seriez convaincus que les dépenses se sont étrangement accrues dans chacun des départements ministériels.

Je n'entreprendrai pas ce travail. Je me réserve de le faire à la session prochaine, lorsque nous arriverons au budget des voies et moyens. Alors j'aurai l'honneur de mettre sous les yeux de l'assemblée les chiffres constatant l'accroissement successif de chaque budget. Vous voyez peut-être qu'il n'y a d'augmentation de dépense que pour le département des travaux publics. Ce serait une erreur. Ce sont surtout les augmentations de traitements admises dans chaque département qui nous ont écartés si loin des principes proclamés par la révolution: Liberté! Économie ! Et il est bien difficile de toucher aujourd'hui, impossible même de revenir aux fixations de 1830 à 1840 ; ce serait toucher à toutes les existences.

Parlerai-je maintenant d'au autre chancre qui ronge le trésor public? Je veux parler de la loi sur les pensions.

À l'époque du gouvernement précédent, il n'y avait en Belgique qu'un cri contre l'élévation du chiffre îles pensions. Dans toutes les pétitions adressées aux états généraux, on demandait toujours la révision de la liste des pensions. C'est parce que l'élévation des pensions était un de nos griefs contre le gouvernement des Pays-Bas que le congrès l'a inscrit en toutes lettres dans l'article 139 de la Constitution qui a prescrit de faire dans le plus bref délai la révision de la liste des pensions.

À combien se montait le chiffre des pensions contre lequel on s'élevait avec tant de force à l'époque du gouvernement précédent? Il serait difficile de le préciser, parce qu'une partie de ces pensions était servie par le syndical d'amortissement, par des institutions collatérales à l'administration de l'État. Mais si j'examine le chiffre des pensions porté au budget de 1832, alors que la Belgique payait de ses deniers le chiffre intégral des pensions, je suis profondément frappé du résultat auquel nous sommes aujourd'hui parvenus.

En 1832, vous le remarquerez, les pensions devaient s'élever à un chiffre assez élevé ; car, aux pensions accordées par le gouvernement des Pays-Bas, on avait ajouté celles des fonctionnaires renvoyés à l'époque de la révolution, qui formaient une somme assez notable.

Eh bien, examinez le budget de 1832. Vous y verrez que les pensions s'élevaient à 1,440,000 florins, y compris, 183,000 florins (environ 400,000 francs) de pensions ecclésiastiques tiercées qui existent à peine aujourd'hui. De sorte qu'en déduisant le chiffre de ces pensions, du total des pensions dent la Belgique était grevée en 1832, cette dépense s'élevait, à cette époque, en chiffre rond, à 2,600,000 fr.

Aujourd'hui, où en sommes-nous ? Les pensions se sont élevées à l'énorme somme de 8 à 10 millions de fr. Tel est, si je ne me trompe, le résultat approximatif auquel vous arrivez si vous additionnez les pensions des divers ministères.

L'augmentation des pensions a donc quelque chose d'effrayant dans notre pays. Je sais qu'il faut déduire de cette somme les retenues faites dans les diverses administrations. Mais déduisons-les, et vous verrez que la Belgique a augmenté le chiffre de ses pensions de plusieurs millions.

En effet, comment les choses se passent-elles? Lorsqu'un fonctionnaire a 30 ans de service, et que le gouvernement, pour satisfaire aux besoins du service, croit devoir le déplacer, ce fonctionnaire, pour ne pas quitter la ville qu'il habile, demande sa pension. Il fournit un certificat de médecin qui le déclare malade. Sur ce certificat, on accorde à ce fonctionnaire une pension équivalant à la moitié de son traitement. Ce n'est pas tout : on lui accorde une pension éventuelle pour sa veuve et ses orphelins. De manière que vous avez deux générations payées par le trésor public, et qui vivent à charge du budget. Vous avez aussi divisé les Belges en deux catégories : les uns vivant du budget, les autres qui le payent.

En présence d'aussi graves abus, il y a une chose à faire avant tout, c'est la révision de la liste des pensions, prescrite par le congrès.

Il y a une révision non moins importante : c'est la révision de la loi des pensions, loi qui est un véritable gouffre pour le trésor public.

En vérité, je ne sais comment il se fait que l'État accorde ainsi des pensions à tous les fonctionnaires publics. Quand un industriel, un fabricant, un commerçant, un avocat arrivent à la fin de leur carrière, l'État ne leur paye pas de pensions. Pourquoi donc en accorderait-on à tous les fonctionnaires?

Que les fonctionnaires établissent entre eux des tontines, des caisses d'assurances pour l'avenir, rien de mieux. Mais on ne peut grever ainsi le budget en ajoutant toujours des charges nouvelles aux charges anciennes.

Si vous n'y prenez pas garde, si vous ne mettez pas un terme au développement incessant des pensions, vous arriverez à ce résultat que vous devrez établir des impôts nouveaux, pour payer non seulement les fonctionnaires qui travaillent, mais encore des fonctionnaires qui ne travaillent pas. Certainement avant d'arriver à établir des impôts nouveaux, la Belgique a besoin d'examiner avec le soin le plus scrupuleux son budget des dépenses.

Messieurs, l'économie dans les dépenses est le meilleur des impôts. C'est ce que disait Tacite : magnum vectigal, parcimoma. Economisez les dépenses, vous aurez établi ainsi le meilleur des impôts, celui qui ne pèse sur personne.

Il importe donc d'examiner les budgets antérieurs; et tout en félicitant M. le ministre des travaux publics de la déclaration qu'il nous a faite tout à l'heure, que jamais un gouvernement ne porterait une attention aussi scrupuleuse sur la diminution des dépenses que le gouvernement actuel, je l'engage de la manière la plus pressante à bien vouloir se donner la peine de comparer les budgets de 1832 à 1838 et 1840 avec les budgets actuels. Il verra mieux que nous, par ces comparaisons, toutes les réductions qu'il est possible de faire sans désorganiser, les services publics.

Messieurs, je demanderai, par exemple, si, au lieu d'établir de nouveaux impôts sur le pays, il n'est pas possible de suspendre momentanément les effets de certaines lois que nous avons portées et qui ont amené une augmentation d'impôts, Il y a quatre ans, par exemple, nous avons porté deux lois pour augmenter considérablement les traitements de l'ordre judiciaire et ceux des commissaires d'arrondissement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Et les vicaires aussi.

M. Dumortier - Et les vicaires aussi. Ne croyez pas que je sois difficile sur ce chapitre. Des économies avant tout et pour tout le monde. Je demanderai s'il n'est pas possible de suspendre momentanément pendant la crise les effets de ces lois. Il est évident que ceux qui ont vécu antérieurement avec les traitements déjà majorés sous le roi Guillaume, encore majorés en 1832, pourraient très bien se contenter pendant la crise, du traitement avec lequel ils ont vécu depuis 1832 jusqu'en 1846.

Voilà, messieurs, de véritables économies à apporter dans les recettes. Car, si vous diminuez les dépenses, nécessairement vous augmenterez les recettes.

Je demande au gouvernement s'il n'est pas possible de supprimer ces bureaux de statistique qui existent dans tous les ministères, dans toutes les administrations, qui constituent une dépense considérable depuis le sommet de l'échelle administrative jusqu'à la base, qui sont pour tous les fonctionnaires publics une source d'embarras et d'ennuis, et qui en définitive ne nous apprennent que des erreurs. Car de toutes les statistiques je n'en connais qu'une seule qui puisse servir à fournir des documents réels à la chambre : c'est la balance commerciale ; et encore celle-là ne devrait-elle pas être imprimée ; elle devrait se trouver au ministère des finances à l'examen des membres des chambres ; mais elle ne devrait pas être publiée; on ne doit pas livrer ses secrets à l'étranger.

Il est évident que, hors de cette statistique, tous les éléments qui sont réunis sont une source de déboires pour les fonctionnaires publics et de dépenses pour le trésor, et qu'on pourrait supprimer ce qui est à mes yeux un véritable abus.

Avant d'établir de nouveaux impôts, il importe encore, messieurs, de comparer les dépenses anciennes avec les dépenses actuelles. Je vous parlais tout à l'heure des travaux publics et des erreurs dans lesquelles les ingénieurs des ponts et chaussées ont entraîné la chambre des représentants. Voyons, messieurs, ce qui s'est passé quant au traitement de ces ingénieurs. Je comparerai encore le budget de 1832 du budget actuel.

En 1832, le budget des travaux publics, chapitre du traitement des ingénieurs et des conducteurs des ponts et chaussées ne s'élevait qu'à 95,000 florins, c'est-à-dire, à 201,000 francs.

En 1834, il s'élevait déjà à 304,000 francs; aujourd'hui il est de 606,000 francs : augmentation de 400,000 fr. dans l'intervalle de seize ans; c'est-à-dire que la dépense est triplée depuis seize années. Et veuillez le remarquer, dans ce chapitre n'est pas compris le personnel du chemin de fer, qui se paye sur le budget du chemin de fer même.

Vous voyez combien nous avons fait de progrès en matière de dépenses, combien il est nécessaire de réviser avec un soin extrême ce que nous avons fait depuis 1832; et puisqu'on parle, dans l'adresse, de faire cesser des abus, je crois que nous pouvons, sans désorganiser nullement (page 33) le service public, arriver à des économies considérables qui nous éviteront de frapper de nouveaux impôts sur les contribuables.

Messieurs, cela est nécessaire, alors que déjà M. le ministre des travaux publics et des finances signale à l'assemblée une insuffisance de 9 millions au 1er janvier prochain, non compris le déficit qui se présentera nécessairement sur les revenus du trésor public. Ce déficit s'élèvera également à plusieurs millions. Car en examinant ce qui se passe quant aux recettes des chemins de fer, on ne peut guère élever de doute que là encore il y aura environ 2 millions de déficit.

En présence de ces faits, lorsque ces déficits sont annoncés, il importe que le gouvernement examine avec l'investigation la plus scrupuleuse, toutes les parties du budget ; qu'il examine chacun des chapitres et qu'il fasse disparaître tous les abus qui se sont glissés dans les budgets depuis 18 ans.

Un autre point, messieurs, d'une importance extrême, c'est que le gouvernement cherche à faire rapporter au chemin de fer plus qu'il ne rapporte aujourd'hui. Pour tout homme qui a examiné les faits, il est hors de doute que chaque année le chemin de fer présente un déficit de plusieurs millions de francs. Je ne veux pas en dire les motifs; chacun de vous les appréciera à sa manière ; mais il est certain que chaque année le chemin de fer présente un déficit considérable.

En effet, messieurs, la dépense du chemin de fer s'est élevée à 160 millions de francs écus. Mais la Belgique, pour se procurer cette somme, a dû faire des emprunts qui ont élevé la dépense, le prix coûtant à nous Belges, bien au-delà des 160 millions. Eh bien ! à l'intérêt de 6 p. c, y compris l'amortissement, cela donne un total de 9,600,000 fr.; et ce total est certainement bien dépassé, si vous considérez ce que nous avons perçu sur les emprunts que nous avons faits pour la construction des chemins de fer.

La repense annuelle est portée à 9 millions, de manière que la dépense totale du chemin de fer figure au budget de l'État pour une somme de 18,600,000 fr. Or, comme la recette n'est portée que pour 16 millions, il en résulte que nous avons chaque année un déficit de 2 à 3 millions sur la dépense du chemin de fer. J'ajouterai que le déficit sera cette année de 5 millions au moins.

Comment couvre-t-on ce déficit? En établissant des impôts sur les contribuables. Car, lorsque le chemin de fer ne rapporte pas de quoi couvrir la dépense, ce sont les recettes générales de l'État qui doivent parer au déficit.

Il importe donc de faire rapporter au chemin de fer de quoi couvrir sa dépense. Comment ! toutes les grandes lignes entreprises par des associations particulières donnent des revenus considérables. Vous voyez qu’on fait des entreprises en France, au moyen desquelles le chemin de fer couvre sa dépense et est remis à l'État après soixante, quarante ou trente années ; et ici, chaque année, nous nous trouvons en déficit ; et nous nous trouvons en déficit pour les lignes les plus belles, pour les populations les plus grandes, pour les points les mieux desservis!

Il est évident qu’il y a là un vice. Ce vice, nous l'examinerons quand nous discuterons le budget des travaux publics. Mais il est clair qu'il faut faire cesser cet abus. Il faut que le chemin de fer, qui est après tout une entreprise faite par l’État, rapporte ce qu'il coûte. Il ne faut pas que la généralité doive payer à l'avantage de ceux qui circulent ou qui font transporter des marchandises sur le chemin de fer.

M. le ministre des travaux publics a parlé tout à l'heure des projets du gouvernement; il a parlé du projet de révision des impôts. C'est là, messieurs, à nos yeux, une des questions les plus délicates, une des questions les plus difficiles qu'un gouvernement puisse jamais aborder. Une révision des impôts a toujours ce double inconvénient que ceux qu'elle dégrève n'en savent pas beaucoup de gré au pays, ne regardent cela que comme un acte de justice, et que ceux qu'elle surtaxe crient énormément contre le gouvernement. Eh bien, messieurs, en présence d'un pareil fait, je demande s'il est prudent d'aborder maintenant la réforme des impôts. Nous avons besoin, aujourd'hui, d'une force morale très grande, nous avons besoin d'unir tous nos efforts pour empêcher toute espèce de plainte contre le gouvernement. Je crois que ce moment est excessivement mal choisi pour opérer la réforme des impôts.

Sans doute, messieurs, certains impôts, dans l'origine, étaient éminemment odieux; par exemple, l'impôt des portes et fenêtres, dont parlait tout à l'heure M. le ministre des travaux publics, mais, en matière 'd'impôt, les mœurs viennent toujours corriger les lois, et les mesures fiscales qui accompagnent toujours des impôts nouveaux, ces mesures disparaissent peu à peu. C'est ce qui s'est passé pour l'impôt personnel. Cet impôt, avant 1830, était un grief contre lequel la Belgique tout entière s'élevait ; mais du jour où le congrès et la première législature ont fait disparaître toutes les mesures acerbes qui entouraient cet impôt, dès ce jour il a cessé de soulever les réclamations qu'il provoquait précédemment. M. le ministre des travaux publics n'a pas été rigoureusement exact lorsqu'il a parlé des exemptions accordées aux ouvriers ; ces exemptions ne s'appliquent pas seulement aux maisons, elles s’appliquent même aux chambres occupées par la classe ouvrière.

Ainsi, messieurs, il serait dangereux de toucher aujourd'hui à la révision des impôts. Cette révision aurait pour résultat d'exiger des mesures excessivement fiscales, car c'est là le corollaire inévitable de tout nouvel impôt. Si vous ne mettez pas ces mesures dans la loi, il y aura nécessairement déficit énorme dans les recettes, et si vous les y mettez, vous arriverez à un résultat plus terrible encore, vous arriverez à désaffectionner une partie des habitants de nos institutions.

Les questions d'argent exercent une très grande influence sur l'esprit des populations et il importe dès lors d'être excessivement prudent en pareille matière. Réservons cette question pour un moment plus calme, pour un moment de paix ; nous pourrons alors réviser les impôts, sans crainte de compromettre la tranquillité, la sécurité, la nationalité même.

L'adresse, messieurs, signale la nécessité d'extirper les abus. Eh bien, je demanderai comment il se fait qu'après dix-huit années, la chambre n'ait point encore voté une loi sur les cumuls. Voilà, messieurs, à mes yeux, l'un des abus les plus criants et qu'il importe d'extirper. L'article 139 de la Constitution porte :

« Le Congrès national déclare qu'il est nécessaire de pourvoir, dans le plus court délai possible : (…) Aux mesures à prendre pour prévenir les abus du cumul. »

Je pense, messieurs, qu'il importe de prendre des mesures pour supprimer ces abus, qui, dans les derniers temps, sont devenus très scandaleux sur plusieurs points de la Belgique.

Un autre abus encore, contre lequel la Belgique s'élève, c'est la facilité des naturalisations. Depuis 1834 nous avons accordé au-delà de 4,000 naturalisations, et ces naturalisations, messieurs, sont presque toutes accordées à des personnes qui occupent des fonctions, au détriment des Belges. Comment, dans un moment où la population est si développée, où l'instruction développe des besoins, où chaque famille recherche les plus petits emplois, nous allons ainsi augmenter le nombre des étrangers qui viennent vivre du budget de l'État ! Non,, messieurs, l'argent de la Belgique doit être réservé aux Belges. Il importe que la chambre comprenne enfin qu'il faut en finir avec ces naturalisations, il importe que la chambre comprenne que la Belgique a assez d'enfants qui ont besoin d'emplois, qu'ils sont capables de remplir, et qui gémissent de ne pouvoir obtenir la plus petite position alors que nous votons un nombre si considérable de naturalisations en faveur de gens qui viennent absorber les deniers publics. Je déclare dès aujourd'hui à la chambre que, dès l'ouverture de la session prochaine, je proposerai une modification au règlement de la chambre, tendant à ce que la commission des naturalisations ne puisse plus présenter de projets de lois de naturalisations, mais à ce qu'elle se borne à examiner les projets qui seraient présentés par le gouvernement. Nous verrons ainsi diminuer considérablement le nombre des naturalisations, qui se font aujourd'hui par fournées de 20, 30 ou 40 à la fois.

Messieurs, je viens de vous dire ce qui, selon moi, est nécessaire dans les circonstances actuelles. Ce qui importe avant tout, c'est, comme le disait M. le ministre des travaux publics, et ici je suis parfaitement d'accord avec lui, c'est que nos dépenses soient au-dessous de nos recettes réelles; mais je ne puis partager son avis lorsqu'il attribue cette nécessité au besoin fe travaux extraordinaires. Je préférerais, pour mon compte, que l'excédant des recettes fût réservé pour des cas extraordinaires, pour former une réserve afin d'éviter, à l'avenir, de nouveaux emprunts forcés.

Si l'opinion que j'ai si souvent exprimée dans cette enceinte sur la nécessité de former une réserve, si cette opinion avait pu prévaloir, on aurait évité une partie notable des emprunts forcés qu'on a été obligé de faire peser sur les contribuables. Profitons de l'expérience, et si le budget présente plus de recettes que de dépenses, formons un fond des réserve afin que, le cas échéant, nous n'ayons plus besoin de recourir à des emprunts forcés pour faire face aux circonstances extraordinaires qui peuvent se présenter.

Un autre besoin, c'est celui de favoriser les exportations. On. veut donner du travail aux ouvriers, cela est parfaitement juste et légitime ; mais ce qu'il y a de mieux à faire. pour l'ouvrier, c'est, non pas de le déplacer, mais de l'occuper dans sa manufacture, c'est de lui donner le travail auquel il est le plus propre.

À cet égard, que la chambre me permette de lui présenter une observation.

On s'est plaint du malaise des Flandres, on a parlé de la nécessité d'y porter remède. Eh. bien, il est une chose à laquelle vous devez prendre garde, c'est que dans quelques années ce malaise peut considérablement augmenter. Le jour où le traité douanier avec la France cessera d'exister, ce jour-là les Flandres seront exposées à une crise affreuse, si d'ici-là, nous ne prenons pas des mesures pour procurer un nouvel écoulement aux produits des Flandres.

Le gouvernement, pendant qu'il en a encore le loisir, devrait chercher à créer de nouveaux débouchés, et surtout des débouchés transatlantiques en faveur des Flandres, devrait créer des primes pour l'exportation des toiles.

C'est surtout dans l'établissement d'une société de commerce que la Flandre doit trouver un grand moyen d'écoulement de ses produits. Il est vivement à désirer que la chambre, à la session prochaine, s'occupe tout d'abord d'un projet aussi important.

Messieurs, je j'ai pas cru devoir laisser passer cette discussion sans mettre devant vos yeux la comparaison de nos budgets anciens avec les budgets actuels. Je n'entrerai pas maintenant dans les détails, cela viendra plus à propos lorsque nous examinerons chaque budget. Mais je maintiens que chaque année, nous avons augmenté nos dépenses, et si je devais rappeler ici un membre de cette chambre en témoignage (page 34) à l'appui de l'opinion que je professe, je vous rappellerais les paroles et les discours qui ont été prononcés par l'honorable M. Delfosse, il y a quelques mois, précisément sur la même matière.

Il importe donc, si nous voulons arriver à des économies, d'examiner scrupuleusement l'augmentation annuelle de nos dépenses, afin de pouvoir amener des réductions, sans nuire aux services publics. Ce n'est pas dans des impôts nouveaux, c'est dans les économies que nous devons chercher à l'avenir des ressources pour le trésor.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, l'honorable préopinant est un de nos vétérans parlementaires; il a eu souvent occasion de prendre la parole dans les discussions financières; il doit être mieux que personne à même de connaître au vrai cette situation et de fournir à ses nouveaux collègues des notions complétement exactes sur cette situation. J'ai donc vu avec regret que cet honorable collègue, qui a siégé pendant de longues années dans cette enceinte, ait énoncé dans son discours improvisé, des erreurs tellement manifestes, qu'il m'a été impossible de ne pas l'interrompre pendant ce discours, et qu'il m'est impossible de laisser une partie de ce discours sans réponse.

L'honorable préopinant, adoptant un thème que nous pensions devoir être relégué dans ce que la presse compte d'écrivains les plus inexacts et les plus contraires à l'ordre de choses actuel ; l'honorable préopinant est venu nous dire que depuis la révolution, le budget de la Belgique s'était accru d'une manière effrayante, que le budget des voies et moyens, qui en 1831 s'élevait à peine à 84 millions, s'élève aujourd'hui à 118 millions.

Quelle est la conclusion que les membres nouveaux de cette chambre auraient pu tirer de cette déclaration de l'honorable préopinant ? C'est que la Belgique, depuis 1830, aurait marché de progrès en progrès dans l'augmentation des impôts.

Eh bien, rien n'est plus inexact qu'une pareille assertion. Non, messieurs, l'augmentation du budget belge ne provient pas d'une augmentation d'impôts; les impôts proprement dits, depuis 1830, loin de subir des aggravations, ont été successivement et notablement réduits. Je prie l'honorable M. Dumortier de me citer un seul de nos impôts qui a été aggravé par le fait de la législature.

Nous avons supprimé depuis 1830 l'impôt sur l'abatage, qui figurait au budget pour 3,300,000 francs; nous avons supprimé la loterie qui rapportait 1,600,000 francs. Je ne parle pas des leges et autres droits qui n'étaient pas versés dans la caisse du trésor, mais qui n'en étaient pas moins payés par les contribuables; il y en avait pour 200,000 francs. Nous avons supprimé l'accise sur le vin indigène; nous avons réduit l'accise sur les bières. Sur les vins étrangers, il y a eu une réduction de près d'un million.

La loi sur les distilleries a enlevé au trésor près de deux millions. L'impôt sur les successions par la suppression du serment a enlevé un million au trésor public: vient ensuite la réduction des péages sur tous les canaux, sur le canal de Pommerœul, le canal de Charleroy et sur la Sambre. En matière de contribution personnelle, on s’est contenté depuis 1830 des déclarations faites à cette époque par les contribuables, sans tenir compte des accroissements de fortune ; pouvez-vous calculer la perte que le trésor de ce chef peut éprouver? Ajoutez à cela la réduction des centimes additionnels sur la contribution personnelle et les patentes. Je. ne puis citer eh détail le chiffre exact de chacune des réductions, mais je déclare que, réunies, elles peuvent s'évaluer à un revenu annuel de 20 millions de francs. Cela est incontestable.

On parle de nouveaux impôts créés, mais quels sont ces impôts? La patente sur les boissons distillées; de ce chef on perçoit 900,000 fr., voilà le seul impôt nouveau qui ait été créé, alors qu'on en a réduit un si grand nombre.

Si nos impôts ont été réduits, comment se fait-il que le budget se trouve porté de 98 millions à 118 ?

Il y a là quelque chose d'inexplicable au premier aperçu. Cependant rien n'est plus simple à expliquer. Le budget qui résulte des impôts proprement dits s'élève à 86 millions; ces 86 millions représentent l'impôt foncier, la contribution personnelle, les patentes, les accises, tous les impôts directs et indirects. Le surplus, la différence de 86 à 118 millions, représente les sommes payées par le public, en compensation de services qu'il reçoit du gouvernement. Le chemin de fer y figure pour 16 millions, les canaux, les routes, la poste, voilà des services publics pour lesquels des sommes sont payées; mais ces sommes ne sont que le prix d'un service rendu.

Quand on parle des impôts qui grèvent le pays, ce n'est donc pas à la somme de 118 millions qu'il faut s'élever, mais seulement à 86 millions. Je prends le chiffre des impôts portés au budget de 1848 : 86,229,000 fr. voilà le montant de tous les impôts payés par le pays.

Maintenant, qu'est-il arrivé? C'est que les impôts qui n'ont pas subi d'aggravation, de centimes additionnels, se sont améliorés, se sont accrus par une progression naturelle; la consommation a été plus forte; tels impôts qui ne rapportaient que 3 millions en 1831 en rapportent cinq en 1848. Un plus grand nombre de contribuables a concouru, la quote-part de chacun ne s'est pas augmentée. Ce fait doit être acquis à la discussion : Depuis 1830 les impôts ont été réduits dans des proportions très élevées; peut-être n'avons-nous pas été assez sages; si nous avions maintenu certains impôts dans les limites où nous les avions trouvés, nous nous serions épargné de grands embarras financiers.

L'honorable membre auquel je réponds n'avait pas de document sous les yeux quand il a prononcé son discours, et sa mémoire lui a fait défaut. Il a parlé de 10 millions pour les pensions. Il se trompe à peu près de moitié.

Nos dépenses se sont accrues cela est vrai ; mais il faudrait apprécier si ces dépenses ont été mal faites. Ici encore je m'étonne de rencontrer l'honorable M. Dumortier parmi les adversaires des 18 dernières années.

Il y a joué un grand rôle, un rôle marqué; il doit se rappeler que si quelques dépenses ont été faites en pure perte, ont été mal faites, un grand nombre ont été faites très utilement pour le pays, à tel point que le pays regretterait qu'elles n'eussent pas été faites.

Ainsi, quant au chemin de fer, vous avez paru déplorer les sommes énormes qu'il a coûté. Croyez-vous que la Belgique serait plus forte et plus riche si elle pouvait rentrer dans les millions que le chemin de fer a coûté. Le chemin de fer a contribué à la prospérité de la Belgique, on pourrait dire qu'il équivaut pour elle à l'adjonction d'une ou deux provinces.

Regrettera-t-on davantage les sommes dépensées dans la création de canaux, de routes, de chemins vicinaux, dans le développement donné à tous les éléments de la prospérité publique?

J'ai dit que l'accroissement des recettes est dû, non à des impôts nouveaux, mais à l'accroissement naturel des impôts existants.

Voici, comparés entre eux, les exercices 1831 et 1845 pour quelques impôts :

Impôt foncier : 1831, fr. 19,478,000 ; 1845 : fr. 18,383,000. (Il faut tenir compte du dégrèvement qui a été opéré dans deux provinces et de la séparation de deux parties de nos provinces.)

Patentes : 1831 : fr. 1,400,000 ; 1845 : fr. 2,854,000. (Le droit de patente n'a pas été augmenté pour les patentables. Il a été réduit. Mais le nombre des patentés s'est accru par l'accroissement de l'industrie.)

Douanes : 1831 : fr. 3,940,000 ; 1845 : fr. 12,000,000. (J'ai dit tout à l'heure l'origine de ces 12 millions. La consommation a été plus grande. Puis certains produits ont été soumis à une taxe plus forte pour favoriser l'industrie du pays.)

Accise : 1831 : fr. 15,600,000 ; 1845 : fr. 21,000,000. (Mais l'accise n'a pas été augmentée. On a, au contraire, diminué l'accise sur les distilleries et les bières. D'où vient cette augmentation ? D'une consommation plus considérable, signe infaillible d'une plus grande prospérité dans le pays.)

En prenant la parole pour répondre à l'honorable M. Dumortier, nous avons tâché de ramener la vérité dans l'exposé de la situation financière qu'il nous a fait. Mais il ne faudrait pas pour cela supposer que l'intention du gouvernement ne serait pas d'améliorer encore, de réduire de nouveau les réductions déjà faites. Nous l'avons annoncé, on doit avoir foi dans nos paroles.

Mais nous ne devons pas permettre qu'on répande cette fausse croyance que le contribuable belge a eu à payer, depuis 1830, 118 millions d'impôt, au lieu de 84. Cela est complètement inexact.

La représentation nationale doit être sans doute le reflet de l'opinion publique. Mais je pense que les représentants de la nation ont autre chose à faire, une fois installés dans cette enceinte, que de caresser en quelque sorte les préjugés de l'opinion.

Il ne faut pas seulement chercher à plaire à la nation électorale; il faut aussi chercher à l'éclairer, rectifier les erreurs, combattre les préventions qu'au moment des élections, dans les deux opinions qui luttent, on cherche à faire naître parfois pour assurer le succès d'une candidature.

Ainsi il m'est revenu qu'au nombre des moyens mis en avant, dans l'intérêt de certains candidats, auprès des contribuables, celui-ci était produit: Nommez tel candidat ; arrivé à la chambre, son premier acte sera de faire une motion ayant pour but de supprimer le dernier emprunt; nommez-le, vous ne payerez pas l'emprunt. En attendant, ne le payez pas. Voilà le langage qui a été tenu à de certains contribuables.

M. Dumortier - Pas par moi !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne fais pas allusion à l'honorable M. Dumortier Mais je suis persuadé que lui-même doit savoir ce qui s'est passé à cet égard-là.

Mon honorable ami, M. le ministre des travaux, publics vous a montré que le contribuable a été dans cette circonstance plus dévoué, plus patriote que les amis du candidat.

(page 35) Aujourd'hui il ne faudrait pas concourir à répandre dans le pays cette erreur que les ennemis de nos institutions n'ont cessé de répandre avec une persévérance qui ferait honneur à leur caractère si elle s'appliquait à un autre but, cette erreur que la Belgique, depuis 1830, aurait été en s'appauvrissant, qu'elle gémirait sous le poids d'impôts intolérables.

La Belgique, quoi qu'on en dise, à part des souffrances locales très graves, je le reconnais, a marché dans une voie de progrès matériel que nul ne peut nier.

Je tiens là un langage, messieurs, qui, je le sais, sera de nouveau envenimé, sera de nouveau calomnié. On dira que nous parlons comme des satisfaits. Oui, messieurs, nous croyons que, comparée à la position de tous les autres pays du continent sans exception, la Belgique a lieu d'être satisfaite de sa situation.

Dès lors, messieurs, loin de propager l'erreur, loin de jeter le découragement parmi les populations, je vous en supplie, rectifiez les erreurs, envoyez des lumières, envoyez des paroles d'encouragement à ces populations; éclairez-les; fortifiez-les; exhortez-les à soutenir, de concert avec vous, le gouvernement.

M. Dumortier - Messieurs, je regrette que l'honorable ministre de l'intérieur n'ait pas compris, ou du moins n'ait pas exprimé la pensée que j'ai eu l'honneur d'exposer à la chambre.

Je n'ai pas dit à la chambre, veuillez le remarquer, que les impôts avaient été augmentés depuis 1830. Ce n'est pas là la thèse que j'ai soutenue. Mais j'ai prétendu que les dépenses avaient été augmentées depuis 1830, ce qui est complètement différent.

M. le ministre de l'intérieur me reproche de propager des erreurs, de. Chercher à décourager mes concitoyens. Messieurs, je dois repousser cette pensée, et je suis convaincu que M. le ministre de l'intérieur ne pourra jamais m'attribuer, avec raison, une intention semblable. J'ai assez contribué à la constitution de la nationalité et à la confection de, lois, depuis la révolution, pour qu'on ne puisse m'accuser de chercher à jeter la déconsidération sur les grands événements qui ont constitué la Belgique, ni sur l'ordre de choses qui nous régit et qui fait le bonheur de la patrie.

Mais dans quelle situation nous trouvons-nous aujourd'hui? Nous sommes en face d'un découvert, d'un déficit considérable. Eh bien, il était de mon devoir de montrer au pays les faits comme ils se sont passés. Je pourrais, si je le voulais, venir donner à la chambre l'énumération des. impôts qui ont été établis depuis 1830. Je pourrais dire que les 20 millions de réduction dont parle M. le ministre de l'intérieur s'appliquent principalement au congrès national et à la session de 1831. Je pourrais lui faire remarquer que toutes les charges dont j'ai parlé tout à l'heure datent de 1832 à 1847, époque à laquelle il n'y a pas eu de réductions sur les impôts. Je me borne à dire que les chiffres que j'ai indiqués sont des chiffres puisés dans les budgets.

Je reconnais volontiers avec l'honorable ministre que la grande majoration du revenu public est due surtout à l'accroissement de la prospérité générale du pays qui est le résultat naturel de notre nationalité. Je le reconnais de grand cœur. De son côté, il ne peut méconnaître que la part des impôts nouveaux a été aussi pour quelque chose dans cet accroissement.

Mas laissons là les impôts nouveaux. Je ne veux pas en entretenir la chambre, parce que je craindrais que mes paroles fussent mal interprétées à l'extérieur. Ce qui est certain, c'est que si les recettes ont été en augmentant, les dépenses publiques ont aussi été en s'aggravant; que non seulement nous avons employé cet excédant à donner plus de bien-être aux populations, mais aussi que nous en avons employé une partie notable à augmenter considérablement les traitements; que cet accroissement de recettes n'a pas empêché l'accroissement de la dette publique, des bons du trésor; et qu'aujourd'hui qu'il faudra recourir à des ressources nouvelles, qu'il faudra modifier des lois uniquement dans le but de parer au découvert du trésor, il est donc du devoir d'un député de venir exposer à la chambre l'augmentation réelle qui a eu lieu et de lui faire entrevoir qu'il y a des moyens différents de parer au découvert du trésor sans recourir à des charges nouvelles, ou à des révisions d'impôts dont le résultat serait d'aggraver les charges qui pèsent sur le pays.

Si, messieurs, dans les paroles que j'ai prononcées il s'en trouvait quelqu'une qui pût tendre à jeter le plus petit découragement chez mes concitoyens, je déclare que je la retirerais à l'instant même. Car avant tout, ce dont nous avons besoin en Belgique c'est de l'union, c'est de la force dans le gouvernement, et jamais je ne permettrai, surtout dans des circonstances comme celles où nous nous trouvons, de l'entraver dans sa libre action.

Prétendant toutefois me réserver l'acceptation ou la non acceptation des projets qui seront présentés par lui, j'entends conserver mon libre arbitre, et je conserve ce libre arbitre, non pour entraver le gouvernement, mais pour le seconder, si ses mesures me paraissent utiles, et pour empêcher des mesures dans lesquelles je pourrais croire qu'il n'a pas vu les choses au point de vue qui me paraîtrait préférable pour le pays.

J'ai cru devoir dire ce peu de mots pour qu'on ne puisée se tromper sur le motif qui a dicté les observations que j'ai présentées tout à l'heure à l'assemblée. Je suis d'accord avec M. le ministre de l'intérieur, que la grande augmentation du budget est due principalement à la prospérité toujours croissante de notre pays. Mais je pense aussi que la grande augmentation de dépenses est due surtout à une foule de faits qu'on aurait pu éviter.

Ce sont ces faits qu'on aurait pu éviter, que nous devons aujourd'hui examiner soigneusement. Au lieu de chercher à combler le déficit par des moyens différents, c'est en examinant sérieusement s'il n'y a pas moyen de remédier à certains abus qui se sont infiltrés avec le temps, que nous parviendrons à équilibrer les recettes avec les dépenses, ce qui est le vœu de chacun de nous, sans créer de nouveaux impôts, sans augmenter les charges des contribuables et surtout sans déplacer trop fortement les impôts actuels, chose que je crains au-dessus de tout; car, ainsi que j'ai eu l'honneur de vois l'exposer tout à l'heure, la transformation des impôts est toujours entourée d'une foule de difficultés, de nombreuses mesures fiscales qui feraient mauvais effet dans les circonstances actuelles, et qui n'auraient d'autre résultat que de désaffectionner une partie notable des citoyens.

Je repousse donc toute espèce de reproche que j'aurais voulu faire croire que l’augmentation des recettes serait due en grande partie à l'établissement de nouveaux impôts. Je ne me suis nullement servi de pareilles expressions. Je n'ai nullement cherché à représenter l'augmentation des recettes comme provenant d'impôts nouveaux, établis depuis la révolution, bien que je pourrais citer plusieurs de ces impôts nouveaux, et l'honorable M. Delfosse les a cités avant moi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il y en a un, je l'ai cité.

M. Dumortier - Vous avez cité l'impôt de consommation sur les boissons distillées, mais vous avez oublié de citer l'impôt sur le café, l'impôt sur les objets de consommation; les centimes additionnels sur beaucoup d'objets.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Pas du tout.

M. Dumortier - Ainsi, en 1831, la douane ne rapportait que 3 millions; elle rapporte aujourd'hui 12 millions. Bien certainement ces 12 millions ne sont pas venus sans que des mesures aient été prises pour rapporter des recettes au trésor.

Je ne veux pas entrer dans plus de détails sur ce point. C'est en déplaçant la question que M. le ministre de l'intérieur m'a attiré sur un terrain différent de celui où je l'avais posée. Je me borne à dire que nous avons des réformes à opérer dans les dépenses. En disant cela, que dis-je autre chose que ce que M. le ministre des travaux publics nous a déclaré lui-même? Il a dit qu'il y avait lieu de réviser beaucoup de choses. J'ai développé sa pensée, peut-être pas sa pensée dans son entier, mais sa pensée comme je la comprenais. Je n'ai fait autre chose que de développer à ma manière la pensée qui me paraît devoir être celle du cabinet.

Je maintiens donc que, dans les circonstances actuelles, ce que nous devons faire, c'est examiner de très près les budgets, afin de voir s'il n'y a pas, dans les réductions à faire, de quoi combler toute espèce de déficit, et que nous devons surtout éviter de bouleverser notre système d'impôts par une révision intempestive de nos lois financières, de crainte de frapper ce qu'il y a de plus utile pour le peuple, la part destinée au travail de l'ouvrier dans la fortune de chaque père de famille. Que le gouvernement y réfléchisse bien; si la modification des impôts, avec ses incertitudes et ses fiscalités, n'avait d'autre résultat que d'amener des vexations chez les uns, et chez les autres l'absence de la dépense, la séquestration au profit du trésor de la part destinée an travail, cette modification, loin d’être utile à l'ouvrier, n'aurait fait que rendre plus difficile encore son existence et compromettre ainsi l'avenir de la patrie.

M. Delehaye. - En émettant un vote approbatif sur l'adresse, je suis en droit d'espérer que ce vote eût paru à tout le monde subordonné à la question des économies que je poursuis depuis plusieurs années dans cette enceinte.

Je comptais ne pas prendre part à la discussion. Les dernières paroles de M. le ministre de l'intérieur me forcent de rompre le silence.

J'ai été péniblement affecté quand j'ai entendu sortir de la bouche de l'honorable M. Rogier des paroles qui, j'en suis sûr, seront repoussées dans toutes les parties du royaume. M. le ministre de l’intérieur vient de dire que l'augmentation des impôts est la conséquence d'une plus grande prospérité dans le pays. Non, nous ne pouvons laisser passer des paroles de cette nature sans y répondre. Quoi ! dans la séance d'hier encore, tous les députés que vous avez entendus ont parlé de la nécessité de faire des économies ; les députés des Flandres vous ont fait connaître la mortalité effrayante qui règne dans ces provinces, on vous a dit que les familles étaient décimées par la faim, et l'on viendra nous parler de la prospérité du pays !

Quelle est donc la ville en Belgique, si ce n'est peut-être la capitale, qui puisse se flatter d'être dans une position aussi favorable qu'avant 1830? Les impôts n'ont pas été augmentés depuis 1830! Mais consultez donc tous ceux qui payent des impôts et surtout les impôts communaux et provinciaux. Mais dans les communes rurales, savez-vous que les impôts communaux dépassent et l'impôt personnel et la contribution foncière, réunis quelquefois, même toutes les contributions payées à l'État?

(page 36) Joignez à cela les contributions provinciales, et les contributions perçues au profit de l'État.

Mais quel est donc le but que l'on se propose quand on vient nous parler de la prospérité de la Belgique et nous dire que l'on ne paye pas plus ici que dans les autres pays? Ce but n'est caché pour personne: on veut vous arracher un aveu pour faire taire le pays, qui exige des économies et qui aura des économies.

Ne vous le dissimulez pas, messieurs, le grand danger qui vous menace c'est moins une invasion de l'étranger que votre position financière. Si vous voulez le maintien de vos institutions, il faut commencer par réduire vos dépenses et surtout les dépenses de l'armée. En effet je ne suis pas non plus de ceux qui pensent qu'on pourra satisfaire aux justes exigences du pays par toutes les économies à opérer sur le budget des affaires étrangères, de la marine, de l'ordre judiciaire et de l'enseignement ; ce qu'il faut surtout, c'est la réduction de l'armée.

J'ai été péniblement affecté quand j'ai entendu, hier, M. le ministre de la guerre dire que l'organisation de la garde civique ne pouvait amener aucune réduction sur les dépenses de l'armée. Pourquoi la loi de la garde civique a-t-elle été votée par la chambre? Est-ce pour nous convertir en soldats? Mais pas le moins du monde ; c'est précisément pour rendre possible une réduction de l'armée. Pourquoi dans la ville qui m'a envoyé dans cette enceinte et où l'esprit militaire n'est certes pas très développé, pourquoi s'y montre-t-on empressé à faire partie de la garde civique? Parce que l'on est écrasé sous le poids des impôts, et que pour le cas où un événement viendrait à éclater, on aime mieux se soumettre au service de la garde civique que d'avoir continuellement à supporter cette charge accablante des impôts dont le tiers est absorbé par l'armée.

M. le ministre des travaux publics a dit, en commençant son discours, que de faux prophètes avaient annoncé que l'emprunt ne serait pas payé. Messieurs, lorsqu'il s'est agi de l'emprunt, j'ai dit que, malgré le patriotisme des Belges, malgré leur désir le plus vif de maintenir leurs institutions, une partie des contribuables ne pourraient pas le payer. On dit aujourd'hui que j'étais faux prophète. Eh bien, messieurs, je bénirais le Ciel s'il en était ainsi ! Mais j'ai aussi des renseignements et ils ne sont pas entièrement conformes à ceux de M. le ministre des travaux publics.

En effet, messieurs, si le premier tiers de l'emprunt est rentré, cela provient uniquement de cette circonstance qu'un grand nombre de contribuables, animés d'un grand sentiment du patriotisme, ont payé la totalité de leur cote ; ils ont ainsi comblé le déficit causé par l'impossibilité où d'autres contribuables se trouvent d'acquitter leur part, mais ce déficit se reportera tout entier sur les deux derniers tiers.

Ce qui échappe au ministère, c'est que l'emprunt porte l'atteinte la plus grave au travail national. Consultez ce qui se passe dans toutes les localités. Où travaille-t-on comme précédemment? Où les maçons, les charpentiers, les peintres, etc., ont-ils du travail comme les autres années ? Non, messieurs, le travail ne se fait point comme d'habitude, parce que celui qui doit verser au trésor la partie de ses revenus qu'il affecte en temps ordinaire à divers travaux, se trouve dans l'impossibilité de faire exécuter ces travaux. N'envisagez donc pas seulement l'emprunt sous le rapport des conséquences qu'il doit avoir pour le trésor, portez vos regards plus loin, envisagez-le dans s-s conséquences funestes pour le travail des populations, et ces conséquences sont des plus déplorables.

Je reconnais que. dans les circonstances où le pays se trouvait, il était nécessaire de recourir à des moyens extraordinaires.

Je n'étais pas grand partisan de l'emprunt, mais enfin il fallait des ressources, et sans parler maintenant de l'utilité ou de l'inutilité des dépenses qui ont été faites, ce qui sera plus à propos dans la discussion des budgets, je me bornerai aujourd'hui à voter pour le projet d'adresse tel qu'il est présenté, mais je déclare aussi au ministère que s'il n'entre pas franchement dans la voie des économies, s'il ne propose pas des réductions notables sur le budget normal de l'armée, s'il ne propose pas la réforme de cette malheureuse loi des pensions, je serai forcé de lui refuser mon concours.

Je le ferai à regret, car c'est un ministère sorti de nos rangs; j'aurais voulu lui accorder ma sympathie et je la lui accorderai aussi longtemps que je le pourrai; mais s'il veut persister dans une voie fatale au pays, je lui retirerai mon vote.

Messieurs, en finissant, je dis que la loi sur les pensions doit être nécessairement révisée. J'ai voté contre cette loi; je puis donc en parler librement. Eh bien, messieurs, je dois dire que la loi est interprétée par le gouvernement d'une manière telle que, si on avait pu prévoir l'abus qui en serait fait, tout le monde l'aurait repoussée. J'ai vu des fonctionnaires à la fleur de l’âge, momentanément empêchés de remplir leurs fonctions, mis à la retraite à l'aide de je ne sais quelle combinaison. C’est là un abus révoltant; je ne citerai pas de noms propres, mais le ministère connaît les personnes auxquelles je fais allusion; il est inconcevable qu'un fonctionnaire public puisse prétendre avoir droit à une pension, lorsque, par son fait, il se met dans l'impossibilité de continuer les services que l'État est en droit de réclamer de lui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je suis à me demander d'où viennent les protestations de l'honorable député de Gand; je ne pense pas avoir rien dit, dans mon discours, qui fût de nature à le blesser personnellement.

M. Delehaye. - Comme Belge.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Encore moins, pensé-je, comme Belge.

Je n'ai entendu atteindre ni personnellement, ni comme Belge, l'honorable député de Gand.

Je suis donc étonné des protestations qui me sont venues de sa part.

Messieurs, qu'avais-je dit dans mon discours? Que l'augmentation signalée au budget des voies et moyens de la Belgique, provenait, non pas d'une augmentation d'impôt qui serait le fait du gouvernement et de la législature belge, mais de l'accroissement en quelque sorte naturel, de chaque impôt pris en lui-même; les impôts ont rapporté plus, mais ils n'ont pas été augmentés par la loi ; cela est incontestable.

Qu'est-ce que l'honorable député de Gand vient objecter? Il est dans l'impossibilité absolue d'établir que les impôts ont subi une augmentation par le fait de la loi, mais il vient dire : Les impôts communaux se sont accrus, les impôts provinciaux sont intolérables.

Je n'avais pas parlé de ces deux catégories d'impôts. J'admets que, dans certaines communes, l'impôt local s'est accru, mais je pense que si on faisait la révision des budgets de toutes les communes, là encore on ne trouverait pas d'augmentation.

L'honorable député de Gand parle de l'augmentation des impôts dans les budgets provinciaux. Je suis étonné de cette assertion ; l'honorable préopinant a été membre du conseil provincial de la Flandre orientale ; eh bien, les budgets provinciaux des deux Flandres figurent précisément parmi ceux qui portent le moins de centimes additionnels à la contribution foncière et à la contribution personnelle.

Au reste, j'ai parlé des impôts de l'État, je n'ai parlé ni des impôts communaux, ni des impôts provinciaux. Les chambres ne devraient pas être responsables d'une mauvaise gestion qui aurait entraîné telle ou telle commune dans un accroissement d'impôts. Au surplus, n'oubliez pas que les affaires communales sont aujourd'hui gérées par des administrations qui émanent directement du peuple; on doit croire dès lors qu'en général ces administrations gèrent les affaires communales dans l'intérêt et non contre l'intérêt du peuple qui les nomme ; supposer le contraire, c'est faire la guerre à nos institutions.

L'honorable préopinant nous a fait savoir à quelle condition il accorderait sa confiance au cabinet; il a déclaré que si nous continuions à marcher dans la voie où nous sommes entrés, il serait obligé de nous refuser sa confiance.

Eh bien, je tiens à le dire tout de suite à l'honorable préopinant; qu'il nous retire immédiatement sa confiance, car notre ferme intention est de persévérer dans la voie où nous sommes entrés.

Un membre. - Même pour les dépenses?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je demande quelles sont les dépenses inutiles qui auraient été faites par le gouvernement. Qu'on me cite une seule dépense inutile que le cabinet actuel aurait faite. On parle de l'accroissement du nombre des emplois, de l'augmentation des traitements ; mais depuis que nous sommes aux affaires, depuis bientôt un an, nous n'avons pas fait une seule nomination nouvelle. Pour mon compte, je n'en ai pas fait une seule; plusieurs emplois sont devenus et restent vacants dans mon administration. Ce que je dis du ministère de l'intérieur, je crois pouvoir le dire des autres ministères.

Il est encore un point que je veux relever dans le discours de l'honorable député de Gand. Parmi les économies qu'il signale, il cite celle qu'on pourrait faire sur l'enseignement public. Eh bien, là encore, si le vote de confiance de l'honorable préopinant doit dépendre de la marche que nous suivrons, je lui dirai tout de suite de nous retirer sa confiance, car ce n'est pas sur l'enseignement public que nous entendons proposer des réductions. Nous croyons, nous, que l'enseignement public n'est pas suffisamment doté, qu'il faut augmenter sa dotation, qu'il faut aller chercher les populations pauvres d'esprit et de corps, pour leur donner la nourriture morale en même temps que la nourriture matérielle. Voilà un des grands devoirs de la législature, et si nous faisons des réductions dans certaines dépenses, ce sera pour en consacrer le résultat, au moins en partie, à l'enseignement public. Nous avons encore à faire immensément dans cette direction. L'enseignement agricole et professionnel est nul en quelque sorte. Nous devons aux classes inférieures une instruction abondante et forte, et pour cela il faudra un budget autrement fourni que celui que nous présentons aujourd'hui ; il y aura de ce chef des augmentations, et pour ces augmentations, je ne crains pas de le dire, nous comptons sur l'adhésion de la chambre comme nous continuons à y compter pour la marche que nous avons suivie dans la direction des affaires générales du pays.

M. de Mérode - Je ne puis m'empêcher, messieurs, d'éprouver quelque surprise en entendant M. le ministre de l'intérieur refuser à l'ensemble des observations de l'honorable M. Dumortier l'approbation qu'elles méritent. Il est certain que les dépenses ont toujours augmenté depuis les premiers budgets votés par les chambres qui ont succédé au congrès; et s'il est vrai qu'on n'a pas augmenté les impôts en raison de ces dépenses, c'est qu'on a trouvé un autre moyen de charger les contribuables sans qu'ils y fissent attention ; c'est-à-dire qu'on a eu constamment recours à d'énormes emprunts que l'engouement des prêteurs favorisait et qui viennent aujourd'hui peser, dans un moment difficile, sur ces mêmes contribuables d'une manière fort pénible, quoi qu'on (page 37) en dise. Et n'oubliez pas, messieurs, que la veille même du jour où l'on renversait en France la monarchie constitutionnelle, on nous proposait un nouvel emprunt de 78 millions. Ce n'est point dans un esprit de récrimination que je rappelle cette circonstance, mais pour préserver à jamais le pays de semblables combinaisons.

Messieurs, quoi qu'on en ait pu dire, lorsque j'ai combattu les dépenses exagérées et critiqué les recettes trop faibles des chemins de fer, je n’n'ai jamais été l'adversaire d'une invention très remarquable et très utile quand on en use avec convenance et modération.

Mais comme depuis qu'on y a appliqué, en Belgique, des centaines de millions, je n'ai pas vu diminuer le paupérisme, j'ai dû m'opposer à l'exagération de confiance que l'on place dans le développement excessif des chemins de fer, et j'ai dû réclamer plus de justice distributive pour ceux qui, loin d'en profiter, subissent, par suite de leur établissement, des pertes considérables.

En effet, combien de belles et grandes routes précédemment très fréquentées, sont aujourd'hui presque désertes ! Et cependant leurs riverains sont obligés de payer leur quote-part des trois millions que le trésor public doit fournir chaque année pour l'exploitation ou pour les intérêts des emprunts faits par l'État, en suite de la création des voies ferrées dont on ne s'efforce pas assez de combler le déficit.

Messieurs, si ces trois millions étaient donnés aux communes pour améliorer les chemins nécessaires à l'agriculture, combien n'en résulterait-il pas d'avantage pour la production des subsistances ! Et cette production est aujourd'hui le principal des besoins.

L'honorable M. Dumortier a donc eu raison de signaler au gouvernement ce qu'il trouve de défectueux dans l'administration des chemins de fer, il a eu raison de signaler l'énorme accroissement du chapitre des traitements appliqués aux ingénieurs, il a eu raison aussi de demander au ministère beaucoup de prudence dans la révision des impôts. Et j'ajouterai qu'avant de surcharger de nouvelles classes de contribuables, il faut que l'État perçoive les taxes que ceux-ci payent réellement et effectivement, comme l'impôt des sucres dont une si grande part est soustraite au trésor public et dont la perception à son bénéfice a été si vivement sollicitée par la très-grande majorité de la chambre dans la dernière session.

M. le ministre des travaux publics chargé du portefeuille des finances me fait observer qu'il compte retirer du sucre trois millions. Mais si les contribuables en payent quatre et demi ou cinq, pourquoi perdre ainsi quinze ou dix-huit cent mille francs qu'il vaudrait en tout cas bien mieux appliquer à l'industrie linière, dont la ruine fait souffrir tant de milliers de malheureux en Flandre, qu'à une industrie qui ne profite qu'à un petit nombre de personnes ?

On a parlé de réformer des impôts, n'entrons pas légèrement dans cette voie.

Nous courrions risque, en augmentant les charges de certaines classes de contribuables, de nuire à ceux que nous voulons servir; car ces classes font travailler les ouvriers et si vous réduisez leurs moyens vous réduirez les ressources des ouvriers, car vous ôterez les moyens de leur donner un travail qui les faisait vivre. Je prie MM. les ministres d'apporter la plus grande attention dans toute révision, et même, avant de recourir à ce moyen, de faire produire au chemin de fer le plus possible.

M. Delehaye. - M. le ministre a émis sur l'enseignement une opinion qu'il doit savoir n'être pas la mienne. J'ai dit qu'on devait introduire des économies dans l'enseignement; ce n'est pas la première fois que j'exprime cette opinion; je l'ai fait avant les élections, sachant les susceptibilités que je blesserais; je parlais non de l'enseignement qui est à la portée des classes malheureuses, mais de l'enseignement supérieur; il est inouï que l'État ait une université, je parle de celle de Gand, où le personnel est tellement nombreux, que la moitié des professeurs ne donnent pas de leçons.

Peut-on concevoir que le gouvernement maintienne dans un établissement d'enseignement un personnel tel qu'il ne donne qu'une leçon par semaine. M. le ministre sait bien que je ne fais pas allusion à l'enseignement destiné aux classes ouvrières; pour celui-là je serai aussi libéral que lui ; quelque sacrifice qu'il veuille faire, je serai le premier à y applaudir; mais ce que je ne puis souffrir, c'est qu'on entretienne dans un établissement universitaire un personnel qui ne fait qu'absorber les deniers de l'État.

Comme conseiller provincial, je devais connaître la situation de la Flandre orientale. Pourquoi le nombre des centimes additionnels a-t-il été diminué? Que le gouvernement me dise les motifs de cette réduction, C'est parce que nous étions persuadés que les contribuables ne pouvaient plus suffire à les payer. Il n'y a pas longtemps que cette mesure a été prise, et nous ne l'avons fait que parce que nous avions la conviction qu'il allait porter la hache sur tous les impôts que les conseillers provinciaux oui réduit leur budget.

M. le ministre a attribué à la mauvaise administration la situation des communes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - De certaines communes.

M. Delehaye. - Je n'excepte pas une seule commune des deux Flandres, il n'en est pas une seule qui n'ait triplé ses impôts. Je connais une commune de la Flandre orientale qui, indépendamment d'un impôt communal de 4 mille francs, s'est imposée de 14,000 fr. pour la classe nécessiteuse. Il est plusieurs communes où le contribuable qui en 1830 payait 30 florins d'impôt paye aujourd'hui 3 ou 400 fr.

Des cultivateurs qui payent 30 francs d'impôt personnel payent une contribution locale de 3 et 400 francs.

Vous voyez qu'il n'y avait de ma part aucune exagération, qu'il fallait considérer, non seulement les impôts payés au profil de l'État et de la province, mais les impôts de toute espèce.

Je n'ai aucune raison de faire de l'opposition au ministère; il est sorti de nos rangs, c'est nous qui l'avons formé, mais ce n'est pas une raison non plus pour taire mon opinion. Je pense qu'il ne faut pas s'arrêter à une réforme des impôts. Une nation ne songe à réformer ses impôts que quand elle les trouve trop lourds. Mais je ne vois pas de remède à espérer de la réforme des impôts.

Quand on aura réformé les impôts, qu'en résultera-t-il, c'est qu'on dépensera un peu plus.

Voulez-vous une réforme radicale et en même temps utile? Réduisez d'abord vos dépenses et puis supprimez les octrois, tous les impôts qui pèsent sur les communes. Faites en sorte que ce que vous payez à l'État du chef de la contribution personnelle et de la contribution des patentes soit payé au profit des communes. Il y aura là une réforme utile.

Le pays payera moins et obtiendra immédiatement la même somme d'avantages. Je sais bien qu'il est quelques modifications à apporter dans notre système des impôts, il est des bases qui sont injustes, qu'on les fasse disparaître, mais qu'on les accompagne d'un système d'économies qui donne pleine et entière satisfaction au pays, car ce que le pays veut avant tout, c'est de ne pas succomber sous le poids des charges publiques.

Quand vous aurez, au moyen du système que je viens d'indiquer, obtenu une économie efficace, réelle, de 20 millions, soyez convaincus que le besoin de la réforme des impôts ne se fera plus sentir. Comme je l'ai dit, on n'éprouve le besoin de voir changer l'assiette de l'impôt que lorsqu'il y a du malaise. On paye volontiers l'impôt lorsqu'on gagne beaucoup. Mais quand on a de la peine à vivre, on réclame la réforme de l'impôt parce qu'on espère y trouver un soulagement, une amélioration.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas trop comprisse l'avoue, le discours si vif, si chaleureux de l'honorable député de Gand. Le premier et le deuxième discours m'étonnent également. Je ne sais en vérité à quel propos l'honorable membre a montré tant de chaleur dans ses réserves à l'égard du ministère. Critique-t-il les actes du ministère? A-t-il quelque chose à reprendre dans la conduite qu'il a tenue depuis le 12 août 1847? Le ministère a-t-il été, oui ou non, fidèle à son programme ? Le ministère, à la suite des événements du 24 février, ne s'est-il pas mis résolument à la tête des réformes, et sauf certains dissentiments sur l'extension plus ou moins grande à donner à de certaines réformes promises, le ministère n'est-il pas complètement d'accord avec te parlement?

Depuis la dissolution des chambres, depuis que les chambres nouvelles sont assemblées, qu'a fait le ministère? Le ministère avait reçu des sommes considérables en quelque sorte à titre de vote de confiance de la part des chambres. Il avait été entendu, exprimé que ces fonds étaient destinés à faire face aux dépenses jusqu'au 1er septembre. Le ministère se présente devant les chambres nouvelles et déclare tout d'abord de la manière la plus solennelle que ces fonds serviront pour toute l'année. Est-ce à cet acte que s'appliquent les critiques de l'honorable membre?

M. Delehaye. - Je n'en ai pas parlé.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Vous n'en avez cité aucun, c'est pour cela que je passe en revue les actes du ministère pour vous demander auquel s'appliquent vos critiques.

Vous êtes resté dans le vague; vous n'oseriez pas, vous ne pourriez citer aucun acte. C'était cependant ce qu'il fallait faire. Quand vous faites des réserves à l'égard du ministère, il faut dire nettement, franchement quels sont les actes que vous critiquez.

L'honorable membre sur ce point, sur ces réserves, comme sur les critiques qu'il a faites à l'égard des impôts, est tombé dans la plus grande exagération. Ainsi, il vous dit que le contribuable gémit, expire sous le poids de l'impôt, il fait allusion plus particulièrement à certaines communes des Flandres. Il dit que, dans certaines localités, l'impôt communal est tel, qu'en effet, les contribuables sont accablés. Mais nous ne pouvons prendre, pour juger de la situation d'un pays quelques faits isolés, ce qui se passe dans certaines localités.

Dans une publication récente, on a relevé quelles étaient les charges qui pèsent sur la Belgique, sur la France et sur les États-Unis. On a relevé ces charges au point de vue de l'impôt général, de l'impôt provincial et de l'impôt communal. Ces trois termes de comparaison existent pour les trois pays ; aux États-Unis, taxes de comté et taxes locales. Qu'est-il résulté de ce relevé ? Il en est résulté qu'en Belgique on paye, somme toute, un peu plus qu'aux États-Unis, et beaucoup moins qu'en France.

Voilà la situation; voilà ce qui est vrai. Ce n'est pas à dire qu'il ne faille pas réduire les impôts si cela est possible. Si c'est possible, qu'on le fasse. Mais encore une fois qu'on cesse d'exagérer aussi la véritable situation du pays. C'est contre cette exagération que je ne cesse de protester, parce que ce pourrait être une cause de l'affaiblissement de (page 38) l'esprit national, parce qu'on finirait par propager ces erreurs dans les populations et par leur faire accroire que le régime inauguré en 1830 a été fatal à la Belgique.

Dans cette comparaison des taxes des trois pays que je viens de signaler, je dois faire remarquer que l'auteur de la brochure à laquelle je fais allusion a pris pour terme de comparaison : d'une part, la commune belge qui, en définitive, paye la taxe la plus élevée, Bruxelles, et d'autre part, New-York qui, dans les États de l'Union, n'est pas la ville la plus imposée.

Une autre exagération a été également produite dans cette discussion. L'honorable M. Dumontier a fait un tableau effrayant de notre situation, en ce qui touche le pays. À l'en croire, la Belgique paye dix millions de pensions. Je comprends, du moment que l'honorable membre croit que les pensions s'élèvent à dix millions, qu'un grand nombre de personnes aient pu commettre la même erreur, car il est peu de personnes dans le pays qui soient à même d'être aussi bien informées sous ce rapport que l'honorable M. Dumortier

Je comprends donc que de si grandes clameurs se soient élevées contre le chiffre exagéré des pensions. Mais, qu'y a-t-il de vrai là-dedans? Que la Belgique supporte la moitié de la somme indiquée par l'honorable M. Dumortier 5,128,000 fr., voilà la somme exacte.

Encore une fois, ce n'est pas à dire qu'il n'y ait rien à faire à cet égard, qu'il ne faille pas réviser la loi des pensions. J'ai omis, dans mon premier discours, de parler de cette question.

Cependant je pouvais m'en expliquer, car j'avais sous la main des documents complets que j'avais fait préparer depuis que je suis provisoirement au ministère des financés, où sont indiqués les vices de la législation de 1844 et les remèdes possibles à y appliquer. Vous voyez que le ministère, sur ce point comme sur les autres, n'a été sourd ni aux réclamations du pays, ni à celles que plusieurs d'entre vous ont fait entendre. Cette loi sera révisée.

Messieurs, elle touche ou plutôt elle se rapproche d'une autre loi : la loi sur les pensions des ministres.

Vous comprenez quelle position délicate on fait aux membres du cabinet en les interpellant sur ce point. Mais je crois qu'il y a une solution possible.

L'honorable M. Dumortier s'est élevé avec beaucoup de vivacité contre la loi des pensions. Il est, si je ne me trompe, l'auteur de la proposition de la pension en faveur des ministres. Cette proposition est due à l'initiative d'un membre de la chambre et non à l'initiative d'un membre du gouvernement. Eh bien ! que l'honorable membre reprenne maintenant son œuvre, et, qu'il fasse des propositions au parlement.

Quant à nous, messieurs, nous faisons bon marché de cette question. Nous ne prendrons certainement pas part à un débat qu'on peut supposer nous intéresser personnellement. Quoi que fasse la chambre, elle fera bien. Que la chambre s'exprime, que la chambre adopte l'opinion émise par un des honorables orateurs que vous avez entendu et qui consiste à faire voter, par la majorité qui vient de renverser le ministère, une pension civique au ministère renversé; qu'on adopte un autre mode, nous y applaudirons.

Voilà, pour moi et pour mes amis, notre déclaration. Je n'aspire pas à rester au ministère assez longtemps pour y acquérir éventuellement un droit quelconque à la pension ; j'en fais d'avance, et très volontiers, le sacrifice.

Que cette question ne préoccupe donc aucun membre de cette chambre; que cette question de la pension des ministres, comme de toutes les autres pensions, soit examinée à l'abri de toute espèce d'influence, qu'elle le soit impartialement et complètement par la chambre.

M. Delehaye. - J'envisage aussi comme un acte de très mauvais citoyen, que de chercher à caresser l'opinion des électeurs en exagérant les charges qui pèsent sur le pays. Mais j'ai tout lieu de croire que M. le ministre des travaux publics, aujourd'hui ministre des finances, ne connaît pas aussi bien la situation des Flandres qu'il prétend la connaître.

Il est si vrai que je n'ai commis aucune exagération, que je défie tous les membres des Flandres de dire que la situation de nos communes n'est pas telle que je l'ai dépeinte. Messieurs, il y a eu dans cette enceinte des membres qui ont fait parfois de la situation des Flandres des tableaux véridiques, mais autrement rembrunis que celui que je vous ai tracé.

Qu'ai-je voulu? C'est que le ministère connût, qu'il appréciât un peu mieux la situation du pays qu'il ne le fait. En effet, quand on parle aux ministres, il semble réellement que tout pour eux se borne à bien connaître la situation de Bruxelles. Il semblerait que l'on jouit partout de la prospérité et de l'aisance qui semblent régner à Bruxelles. Or, c'est là une grande erreur. Dans toutes les autres parties du pays, et notamment dans les Flandres, à l'égard desquelles je prétends avoir des renseignements aussi véridiques que M. le ministre de l'intérieur, je déclare que la situation que j'ai dépeinte non seulement n'est pas exagérée, mais qu'elle est au-dessous de la vérité.

On nous a dit qu'il y avait une statistique, et que cette statistique nous prouvait qu'on payait moins en Belgique que dans les autres pays. On peut faire des statistiques de toutes les manières, et je doute que celle dont parle M. le ministre soit la plus digne de foi. Je l'engage à consulter les documents des communes. Il verra qu'il n'y a pas une seule commune où les ressources ne soient inférieures aux besoins.

Il n'y a donc de ma part aucune exagération. Je combattrais, au contraire, de tous mes efforts celui qui, en matière semblable, se livrerait à des exagérations ; car, poussées trop loin, elles produiraient plus de mal que de bien. Il faut, pour obtenir toutes les améliorations possibles, que nous nous tenions bien sur nos gardes, que nous ne disions rien que nous ne puissions prouver. Eh bien, toutes les preuves à l'appui de l'opinion que j'ai émise se trouvent au ministère.

M. le ministre des finances n'a pas compris la vivacité que j'ai mise dans ma réponse à M. le ministre de l'intérieur; mais c'est que probablement M. le ministre n'était pas présent quand j'ai pris la parole. J'ai dit à M. le ministre de l'intérieur que ce qui me peinait, c'est qu'il prétendît que la situation de la Belgique était favorable, que nous étions dans un état de prospérité.

Qu'ai-je voulu? C'est que nous obtenions de grandes économies dans nos dépenses ; et ce que veut le ministère, c'est qu'à l'aide des considérations qu'il vous soumet vous n'obteniez pas ces grandes économies.

Toute la question est là.

Le pays exige et obtiendra tôt ou tard de grandes économies, parce que les impôts qui pèsent sur nous ne sont plus supportables; parce qu'une situation semblable, si elle se prolongeait, pourrait soulever de grands dangers. Eh bien ! voulez-vous éviter ces grands dangers? Entrez franchement, loyalement dans la voie des économies. Ne vous laissez pas arrêter par la crainte de froisser quelques amours-propres, de blesser quelques positions isolées. Tous, les militaires aussi bien que les professeurs, les employés financiers aussi bien que les magistrats, doivent se soumettre à une part de sacrifices. Tous, nous sommes obligés de supporter une part dans les sacrifices que réclame l'État; et j'ai trop bonne opinion de nos fonctionnaires publics, à quelque ordre qu'ils appartiennent, pour ne pas être convaincu que, tout en remplissant leur devoir, ils sauront se soumettre à un sacrifice momentané

Nous ne voûtons, d'ailleurs, pas porter atteinte aux positions acquises. Et ici je rappellerai une opinion que nous avons émise dans le temps et qui a été favorablement accueillie alors par M. le ministre de la guerre : c'est que les militaires qui deviendraient disponibles par suppression d'emplois, pourraient entrer dans d'autres administrations. Pourquoi, en effet, un officier ne pourrait-il pas remplir les fonctions de receveur ou toute autre fonction, celle de gouverneur, de commissaire de district? C'est de cette manière que je crois que vous devez arriver à des économies. Je ne veux donc pas détruire les positions; Je veux, au contraire, que les positions acquises soient maintenues. Mais ce que je veux aussi, c'est que le pays entre dans une voie d'économie ; et, je dois le dire avec un grand regret, d'après les observations de M. le ministre de l'intérieur, nous ne devons pas espérer de l'obtenir de sitôt.

Messieurs, M. le ministre de l'intérieur a mis beaucoup de franchise dans sa réponse à mes observations. Il a dit qu'il persévérerait dans la voie qui avait été suivie jusqu'ici. Eh bien, je serai tout aussi franc avec lui. Comme je suis venu dans cette enceinte avec la ferme volonté d'obtenir un dégrèvement d'impôts ; comme les commettants qui m'y ont envoyé exigent ce dégrèvement, je lui déclare que je lui refuserai mon vote.

M. Dumortier - J'ai deux mots à répondre à ce que vient de dire M. le ministre des travaux publics. Je crois que la différence qui existe entre lui et moi relativement au chiffre des pensions, c'est qu'il tient compte des retenues et que je m'étais borné à les indiquer. Il est vrai que je n'ai pas les chiffres sous les yeux ; mais si ma mémoire ne me trompe, ceux que j'ai indiqués doivent approcher beaucoup de la vérité.

M. le ministre des travaux publics a parlé de la pension des ministres et il a semblé indiquer que les paroles que j'avais prononcées pour amener une révision de la liste des pensions, devaient s'appliquer principalement aux pensions des ministres.

Je ne veux pas, messieurs, laisser croire à la chambre et au pays que le chiffre élevé des pensions dépend des pensions des ministres.

Il est vrai que j'ai été, non pas l'auteur, mais l'un des auteurs de la proposition qui a été faite à la chambre relativement à la pension des ministres. On m'engage à proposer à la chambre de la retirer. Je ne le ferai pas.

Je ne proposerai pas le retrait de la loi sur la pension des ministres, parce que j'ai présenté cette loi avec 20 ou 25 de mes collègues, dans un but que chacun a pu apprécier, dans un but tel que je ne conçois pas que le gouvernement actuel puisse venir m'en faire un reproche. Je dis, messieurs, que cette loi est éminemment démocratique; elle peut prêter à des abus, mais j'ai toujours pensé et je pense encore que ceux qui, n'ayant pas de fortune, se sont dévoués à la défense des intérêts de l'État, qui ont tenu le limon des affaires publiques, ne doivent pas être plus privés de toute espèce de pension que les fonctionnaires publics qui ont vécu de leurs fonctions pendant un grand nombre d'années.

Supprimez toute espèce de pensions, je le veux bien ; admettez le système d'une tontine pour les fonctionnaires et employés, à la bonne heure; mais je dis qu'il faut par des moyens quelconques permettre à tout citoyen que ses talents et la confiance de la Couronne appellent aux fonctions de ministre, de remplir ces fonctions quel que soit l’état de sa fortune. Voilà la pensée qui nous a guidés, mes honorables amis et moi, lorsque nous avons proposé la loi sur les pensions des ministres. Je le répète, cette loi est éminemment démocratique et, loin de nous blâmer de l'avoir présentée, on devrait nous en faire un mérite. Il faut, messieurs, (page 39) quelque courage pour s'exprimer de la sorte, lorsque d'un bout du pays à l'autre cette loi soulève tant de réclamations ; mais j'espère que mes paroles seront comprises dans une chambre qui représente à un si haut degré l'élément démocratique.

M. Lebeau, rapporteur. - La chambre doit être trop fatiguée de cette longue discussion, pour que je puisse en ce moment réclamer utilement la parole. Cependant, pour suivre les usages et pour remplir mes devoirs de rapporteur, il faudra que je présente aussi quelques observations. Je demanderai donc que la parole me soit accordée à l'ouverture de la séance de demain. (Adhésion.) Je demanderai ensuite que la discussion embrasse les paragraphes 6, 7, 8 et 9, qui se rapportent tous à la question des économies, à la question financière, à la question de la réforme des impôts.

M. d'Elhoungne. - Je demanderai à la chambre de pouvoir dire deux mots avant que la séance ne soit levée.

M. le président. - Je dois d'abord entretenir la chambre de la proposition une vient de faire M. Lebeau. Si l'on est d'accord sur cette proposition, nous aurons à nous occuper, en même temps que des quatre paragraphes dont il s'agit, d'un amendement de M. Sinave, qui a été développé dans une séance précédente et qui se rapporte à l'un de ces paragraphes.

Je demanderai si cet amendement est appuyé. (L'amendement est appuyé.) Ainsi, s'il n'y pas d'opposition, la discussion portera sur les paragraphes 6, 7, 8 et 9 et sur l'amendement de M. Sinave. (Assentiment.)

M. d'Elhoungne. - Je n'ai demandé la parole, messieurs, que pour avoir quelques éclaircissements et afin que le vote que chacun de nous est appelé à émettre soit un vote réfléchi, clair et concluant.

Il me semble qu'il règne en ce moment dans cette discussion quelque incertitude, qu'il y plane quelques nuages. J'ai beaucoup applaudi au discours prononcé à l'ouverture de la séance par M. le ministre des travaux publics. Je l'ai entendu, avec plaisir, déclarer qu'il comprenait et qu'il était profondément pénétré de la nécessité des économies qui est aujourd'hui le mot d'ordre de tous les partis.

J'ai entendu avec plus de plaisir encore, car là il y avait plus de courage, M. le ministre des travaux publics aborder avec franchise et précision la question de la réforme des impôts, et vous dire, non point précisément les détails de la réforme qu'il entend opérer, mais les principes qui serviront de base à cette réforme, principes véritablement démocratiques, véritablement et heureusement inspirés par les besoins de la situation et pour la réalisation desquels je serai heureux de lui prêter mon appui énergique. Mais je ne puis éprouver la même satisfaction à entendre la réponse que M. le ministre de l'intérieur a adressée à mon honorable ami M. Delehaye. M. le ministre m'a paru établir une confusion qui serait fâcheuse entre les chiffres du budget et la politique du cabinet.

Je suis tout prêt, pour mon compte, à appuyer la politique du cabinet; mais je n'entends nullement approuver les chiffres des budgets qui ont été votés jusqu'à présent. J'avais cru entendre que la question des économies était une question entièrement réservée. Si l'adresse que nous allons voter réserve complètement la question des économies ; si, comme il est naturel et logique, la question des économies est ajournée à la discussion des budgets; si pour les budgets, chacun de vous est libre, je puis voter l'adresse. Mais si la politique du cabinet s'identifie avec les dépenses portées jusqu'à présent au budget normal; si l'adresse que nous allons voter doit s'opposer aux économies que nous avons le droit d'exiger, et former contre elles une sorte de préjugé, je refuserai mon vote à l'adresse. Car, je le déclare, je n'accepterai point avec orgueil l'épithète de satisfaits que M. le ministre a lancée dans cette discussion. Je ne m'enorgueillirai point de porter un titre, qui fut donné à la majorité qui a perdu la royauté en France et qui a presque perdu la France avec elle.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je suis d'accord avec l'honorable préopinant qu'il faut, dans cette enceinte, pour le ministère et pour chacun des représentants, une position franche et nette; qu'il ne faut pas de nuages, point d'équivoque, qu'il faut donner son concours ou refuser son concours par des motifs avouables et clairement énoncés.

Je ne vois pas en quoi la réponse que j'ai faite à l'honorable ami de M. d'Elhoungne aurait pu jeter le moindre doute, le moindre nuage dans un esprit si distingué et si éclairé. À moins de vouloir que nos discours ne soient qu'une répétition perpétuelle des mêmes phrases, à moins de supposer que nous sommes capables de dire à la chambre des choses que nous aurions la résolution de ne pas faire, de mettre en avant des promesses que nous aurions la résolution de ne pas accomplir, il me semble que la chambre doit être complètement édifiée sur les intentions du gouvernement en ce qui concerne les économies.

Je ne pense pas que la chambre veuille exiger de nous une répétition nouvelle de tout ce qui a été dit à cet égard. Croit-on que le gouvernement est pénétré de la nécessité d'introduire des économies, après les déclarations qu'il a faites? Si l'on n'a pas cette croyance, il faut nécessairement refuser le vote de confiance qu'il réclame.

L'honorable membre me demande si je me suis identifié avec toutes les dépenses qui ont été faites, si j'en accepte, en quelque sorte, la responsabilité, la solidarité? (Interruption.)

L'honorable membre a cru trouver dans mon discours l'opinion que j'identifiais la politique du cabinet avec les dépenses faites.

Quant aux dépenses, nous nous identifions complètement avec celles que le cabinet a faites, mais nous n'entendons pas prendre à nous l'héritage des 18 dernières années; nous prenons la responsabilité de nos actes, et nous déclarons que nous persévérerons dans de pareils actes. (Interruption.)

Si ce n'est pas là ce qu'a voulu dire l'honorable préopinant, je ne puis comprendre la réserve qu'il a faite.

M. d'Elhoungne. - Je dois avoir été malheureux dans mes expressions, car vous dénaturez complètement ma pensée. Permettez-moi de m'expliquer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je serai charmé de vous entendre.

M. d'Elhoungne. - J'ai dit que je voterais l'adresse, si la question des économies était une question réservée , dont l'examen était ajourne jusqu'à la discussion des différents budgets : ce qui est son terrain naturel.

Mais M. le ministre de l'intérieur, dans la réponse qu'il a faite à l'honorable M. Delehaye, m'avait paru identifier la politique du cabinet et la confondre avec la question des économies. Or, c'est là une question parfaitement distincte.

Il s'agit de savoir si, pour les budgets à venir, nous allons suivre les errements que l'on a suivis jusqu'ici, ou si nous allons entrer dans une voie nouvelle.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - La politique du cabinet est identifiée complètement avec les dépenses qu'il a faites. Qu'on nous prouve que ces dépenses ont été mal faites. Mais personne jusqu'à présent ne nous a adressé de reproche sur ce point.

Mais, demande-t-on, la politique du cabinet s'identifie-t-elle avec la question des économies ?

Je demanderai, à mon tour, à l'honorable M. d'Elhoungne s'il a entendu le discours du Trône; ce discours place les économies en tête du programme de la session. Donc la politique du cabinet s'identifie avec le système des économies.

Maintenant vous faites une réserve sur la question des économies: mais j'ai peine à comprendre cette réserve.

Quand nous aurons présenté les budgets, si vous trouvez que nous ne sommes pas entrés assez avant dans la voie des économies, vous refuserez les budgets. Ceci est une question réservée non pas seulement pour l'honorable M. d'Elhoungne, mais pour tous les membres de cette chambre.

Maintenant, lorsque j'ai déclaré que nous nous tenions pour satisfaits de la situation, je n’aurais pas cru que l'honorable M. d'Elhoungne eût relevé une pareille expression.

M. d'Elhoungne. - Le mot est malheureux, et vous avez eu tort de l'employer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le mot sera heureux ou malheureux, suivant qu'il sera interprété par des esprits bienveillants ou malveillants.

Du reste, si cette expression peut déplaire, je consens volontiers à la changer. Je dirai que le pays a lieu d'être content de sa situation, s'il la compare à celle de la plupart des autres nations.

- La chambre remet à demain la suite de la discussion.

La séance est levée à 4 heures et demie.