(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1493) M. Troye procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Troye présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les membres de l'administration communale de Pâturages demandent l'exécution du canal de Jemmapes à Alost et du canal de Mons à la Sambre, et prient la chambre d'autoriser le gouvernement à employer à ces travaux les 2,000,000 de cautionnement qui ont été déposés par la société concessionnaire. »
M. Dolez. - Messieurs, je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Plusieurs habitants de Charneux demandent l'abrogation ou la révision de la loi du 31 décembre 1835 sur le bétail. »
M. Moreau. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
Par message du 26 avril, le sénat informe la chambre qu'il a décidé, dans sa séance du même jour, qu'il n'y a pas lieu de revenir sur la résolution négative qu'il a prise le 12 novembre 1846 sur la demande de naturalisation ordinaire du sieur Jean-Herman Van Saarloos, maréchal des logis au premier régiment de chasseurs à cheval. »
- Pris pour notification.
M. de T'Serclaes demande un congé de trois jours.
- Accordé.
M. le président. - Dans la séance d'hier, la chambre a chargé le bureau de nommer la commission qui sera chargée d'examiner le projet de loi portant modification à la loi monétaire.
Cette commission est composée de MM. Cans, Lejeune, Pirmez, Cogels et d'Huart.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le second rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi concernant le crédit de 8,577,390 fr. 97c. demandé par le département des travaux publics.
- Il est donné acte à M. le rapporteur du dépôt de ce rapport, qui sera imprimé et distribué.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs, c'est une affaire urgente ; il s'agit de dettes à payer. Je demanderai que la chambre, si elle n'y voit pas d'inconvénient, mette cet objet à l'ordre du jour après les projets qui y sont déjà.
M. le président. - Le projet ne pourra pas être imprimé pour demain, et il n'y a rien à l'ordre du jour de demain. Cet objet pourrait être mis à l'ordre du jour de vendredi.
M. le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Bien, M. le président.
- La chambre, consultée, met ce projet à l'ordre du jour de vendredi prochain.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter à la chambre un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à instituer un conseil de prud'hommes 1° à Boussu ; 2° à Pâturages.
- La chambre donne acte à M. le ministre des affaires étrangères de la présentation de ces projets de loi, en ordonne l'impression et la distribution et les renvoie à l'examen d'une commission qui sera nommée par le bureau.
M. le président. - La section centrale propose de modifier l'article premier du projet de loi et de le rédiger comme suit :
« Les deux cantons de justice de paix d'Audenarde sont réunis. »
M. le ministre se rallie-t-il à cette rédaction ?
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Non, M. le président.
M. le président. - En conséquence, la discussion s'établit sur l'ensemble du projet du gouvernement.
M. de Villegas. - Si l'honorable ministre de la justice n'apporte pas à la discussion des motifs plus fondés et plus puissants que ceux qui accompagnent la présentation du projet de loi, je voterai contre la suppression du deuxième canton de la justice de paix d'Audenarde.
En général, je suis peu disposé à accueillir les demandes de suppression de canton, et j'y suis complètement hostile, lorsque, comme dans l'espèce, l'intérêt du public n'est pas en cause. Je crois que le gouvernement doit être sobre de ces suppressions, de crainte de fausser l'organisation ou l'institution des justices de paix. Pourquoi en 1834 les demandes de changement de circonscriptions cantonales étaient-elles aussi multipliées ? L'agrandissement des cantons était proposé, parce que le juge de paix ne trouvait pas dans l’exercice de ses fonctions la source d'une existence convenable ; dans ce but, l'auteur du projet de 1834 proposait d'améliorer la position de cette classe de fonctionnaires.
Mais il est à remarquer que ce motif n'existe plus depuis la loi qui a augmenté leurs traitements. Au surplus, il nie faut pas perdre de vue que tôt ou tard il sera nécessaire d'étendre la compétence des juges de paix, en ce qui concerne la police judiciaire. Il est reconnu que la plupart des tribunaux correctionnels sont surchargés de besogne. La connaissance de certains délits pourrait sans le moindre inconvénient être dévolue aux juges de paix. Dès lors ne craignez-vous pas que l'extension de ressort et de compétence ne nuise à la marche régulière de cette branche de l’administration de la justice ?
Après. ces considérations générales, j'examinerai très brièvement les motifs qui m'engagent à repousser le projet de loi.
Il est clair pour moi que le projet de loi n'a aucun caractère d'utilité publique et qu'il n'a été proposé qu'à la suite d'une réclamation individuelle, et intéressée. Aussitôt qu'il a été connu, les justiciables ont protesté contre cette proposition qui froissait leurs habitudes, sans le moindre intérêt ou avantage public.
Il ne leur est pas indifférent, quoi qu'en pense M. le ministre, d'être jugés par un fonctionnaire qui a dans son ressort une vingtaine de communes, ou par celui dont le ressort est réduit à la moitié. En d'autres termes, il est évident que la justice sera mieux et plus promptement rendue dans le second que dans le premier cas.
L'exposé des motifs porte que la réunion des cantons a été projetée à toutes les époques. Cela est complètement inexact. Jamais, depuis 1830, la réunion pure et intégrale des deux cantons n'a été proposée. En 1834 comme en 1843, le gouvernement et la commission de la chambre avaient décrété un plan général de circonscription cantonale pour tout l'arrondissement d'Audenarde. Le chef-lieu devait être composé aux dépens d'un canton limitrophe, sauf la distraction de quelques communes. Mais je le répète, à aucune époque, la réunion pure et simple n'a été demandée par qui que ce soit.
Ou dit que les autorités judiciaires ne sont pas contraires à la suppression du canton. C'est une erreur ; des quatre autorités judiciaires, trois ont été d'avis de maintenir le statu quo ; une seule a demandé la réunion.
Le gouvernement appuie son projet sur la nécessité de faire des économies. Mais sous quel rapport s'il vous plaît, l'économie est-elle réalisable dans l'espèce ? Le suppléant actuel de la justice de paix que l'on veut supprimer est un ancien fonctionnaire qui peut avoir des droits à une pension. Soyez persuadé qu'il ne manquera pas d'en poursuivre la liquidation. D'un autre côté, le greffier a droit à un traitement d’attente. A propos de ce greffier, je dois faire connaître à la chambre que depuis nombre d'années la place avait été vacante. Le greffier du premier canton cumulait les deux fonctions, moins le traitement. Le prédécesseur de l'honorable M. de Haussy a présenté en 1847 une loi qui doit supprimer plusieurs cantons de justice de paix ; il y est fait une réserve à l'égard des justices de paix de Nivelles et d'Audenarde. Le 8 mai dernier, ce projet est converti en loi. La nomination du greffier du deuxième canton est faite quelques jours après et voilà que le 25 novembre de la même année, le gouvernement propose la suppression du même canton ! Cela est-il concevable ? Comment expliquer cette manière d'agir, autrement que par le désir de céder à une réclamation individuelle et intéressée, comme je l'ai dit, il n'y a qu'un instant ?
Je termine par une motion d'ordre :
La chambre est saisie, d'une part, d'une pétition émanée de plusieurs notables d'Audenarde, contre la suppression du deuxième canton ; d'autre part, d'une réclamation de la ville de Renaix, tendant à obtenir la distraction de quelques communes du premier canton et leur adjonction à celui de Renaix. Je demande avec l'honorable M. Thienpont, rapporteur du projet de loi, que la pétition de Renaix soit envoyée à M. le ministre de la justice pour y être fait droit, s'il y a lieu, après l'avoir soumise à l'avis des autorités judiciaires et du conseil provincial, aux termes de l'article 83 de la loi provinciale. Je suis convaincu que si l’honorable rapporteur n'eût pas été empêché, comme il me l’a écrit, d'assister (page 1494) à la séance de ce jour, il se serait associé à ma motion. Je demande donc que la discussion actuelle soit ajournée jusqu'après l'instruction des requêtes des habitants d'Audenarde et de Renaix.
Cet ajournement ou ce sursis ne sont pas de nature à causer un préjudice quelconque à la marche de la justice. Il n'y a pas péril en la demeure. Le service de la justice de paix du deuxième canton est très bien assuré. A sa tête se trouve un homme capable, très considéré et qui remplit sans interruption, depuis quinze ans, si je ne me trompe, les fonctions de suppléant, à la grande satisfaction du public et des autorités judiciaires, qui sont sur les lieux. Quelle que soit la décision de la chambre sur cette motion d'ajournement, j'aurai rempli mon devoir.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je dirai d'abord que je ne puis me rallier à l'amendement de la commission qui a fait le rapport sur le projet de réunion des deux cantons de justice de paix d'Audenarde. Ce projet portait : « A partir du 1er janvier 1848, le deuxième canton de la ville d'Audenarde sera supprimé et réuni au premier canton de cette ville. » Je ferai observer qu'au lieu du 1er janvier, il faudra substituer la date du 1er juin prochain.
Votre commission propose de modifier cette rédaction, et de dire : les deux cantons seront réunis. Je ne puis accepter ce changement de rédaction, je crois qu'il est nécessaire de faire pour les deux cantons de justice de paix d'Audenarde ce qui a été fait pour les autres cantons dont la réunion a été décrétée par la loi du 8 mai 1847, c'est-à-dire de supprimer l'un des deux cantons et de le réunir à l'autre.
Si l'on se bornait à prononcer la réunion, il en résulterait que les fonctionnaires des deux justices de paix, et je veux surtout parler des suppléants, resteraient en fonctions, et que le gouvernement serait dans l'impossibilité de faire de choix entre les uns et les autres, tandis qu'en supprimant le canton, les fonctions des suppléants cessent de plein droit. Au surplus, messieurs, le but que la commission se proposait peut être atteint sans ce changement de rédaction.
En effet, elle avait voulu laisser entièrement libre l'action du gouvernement dans le choix à faire entre les deux greffiers, pour conserver celui qu'il jugerait le plus digne d'être maintenu. Or, le gouvernement aura cette liberté de choix, car ces fonctionnaires ne sont pas inamovibles. Il lui sera facultatif, après le vote de la loi, de préférer celui des deux qui aura le plus de titres pour être maintenu en fonctions.
L'honorable M. de Villegas combat le projet ; il prétend qu'il n'est pas réclamé par l'intérêt public ; mais d'abord des motifs d'économie doivent nous porter à prendre des mesures semblables, toutes les fois qu'elles ne sont pas contraires à l'intérêt des justiciables. Or, l'intérêt des justiciables ne réclame pas le maintien des deux justices de paix d'Audenarde.
L’honorable M. de Villegas ne demande pas que le siège de la deuxième justice de paix d'Audenarde soit déplacé ; c'est donc à Audenarde que les deux justices de paix continueraient à siéger. Il n'y aurait donc pour les justiciables aucun avantage, puisqu'il leur est complètement indifférent, lorsqu'ils sont appelés devant la justice de paix, que les fonctions soient remplies par deux magistrats ou par un seul, alors qu'un magistrat unique suffit pour l'expédition régulière des affaires.
Or, il suffit de jeter les yeux sur les tableaux statistiques dont un extrait a été inséré dans l'exposé des motifs pour se convaincre que le chiffre des affaires portées devant les deux justices de paix d'Audenarde est tellement insignifiant qu'il n'y a pas de quoi occuper complètement un seul juge de paix. En effet, nous voyons que, pendant les trois dernières années, la moyenne des affaires portées en conciliation devant les deux justices de paix d'Audenarde n'a été que de 14 annuellement, et la moyenne des affaires contentieuses terminées par jugement, de 31 à 32. De sorte qu'il n'y aura pas même une affaire par semaine pour le juge de paix des deux cantons réunis. Vous voyez donc, messieurs, que les deux justices de paix d'Audenarde sont de véritables sinécures lorsqu'elles sont remplies par des fonctionnaires différents, puisqu'un seul magistrat ne pourra même trouver une occupation suffisante.
Quant aux affaires de simple police, le nombre dans les deux justices ne s'élève pas à 100 par année, c'est-à-dire, moins de deux par semaine ; or, vous savez ce que sont les affaires de simple police, et combien on peut en expédier en une heure.
Les affaires dite de juridiction s'élèvent de 100 à 110 par année. Ce sont, en général, des affaires de très peu d'importance, et qui presque toutes s'expédient au chef-lieu même.
Vous voyez qu'il n'y a aucun motif réel pour maintenir les deux cantons, alors que, par la loi du 8 mai 1847, vous avez réuni des cantons bien plus importants, quant au nombre des justiciables et des affaires et à l'étendue territoriale. Ainsi, vous avez réuni les deux cantons de Louvain, qui ont près de 66 mille habitants, tandis que dans les deux cantons d'Audenarde, il n'y en a guère plus de la moitié, puisque la population des deux cantons n'est que de 37,582 habitants.
Vous avez réuni également les deux cantons de Charleroy qui ont ensemble une population de 60,091 habitants et où le chiffre des affaires est plus que double de celles portées maintenant devant les deux cantons de justice de paix d'Audenarde.
Quant aux fonctionnaires de l'ordre judiciaire, je reconnais qu'ils n'ont pas été unanimement favorables au projet présenté par le gouvernement. Je reconnais aussi que l'honorable préopinant s'y est toujours opposé. Mais M. le procureur général près la cour d'appel de Gand a. fortement insisté pour cette réunion, et le conseil provincial de la Flandre orientale l'a également admise à l'unanimité.
L'honorable M. de Villegas nous a dit qu'il n'avait jamais été question de réunir ces deux cantons, mais seulement de leur faire subir une modification au moyen de laquelle quelques communes du canton d'Audenarde auraient été incorporées au canton de Renaix.
Je sais, en effet, messieurs, que dans le projet de circonscription cantonale, il s'agissait de faire passer trois communes du canton d'Audenarde au canton de Renaix ; mais d'un autre côté, l'on réunissait en même temps aux deux cantons d'Audenarde une commune du canton de Maria-Hoorebeke et une autre commune du canton de Nederbrakel ; ce qui faisait une espèce de compensation.
Messieurs vous vous rappellerez que la loi des circonscriptions cantonales a été en quelque sorte abandonnée, et qu'il a été convenu que si la nécessité de quelques modifications dans les circonscriptions cantonales se faisait sentir, elles feraient l'objet de propositions partielles qui seraient soumises aux chambres.
Ces changements de circonscription entraînent toujours des conséquences assez graves, en ce que la loi provinciale doit être modifiée sous le rapport électoral quant au nombre des députés à envoyer au conseil provincial. C'est ce qui arriverait, si la modification dont a parlé l'honorable M. de Villegas devait avoir lieu ; je ne dis pas, messieurs, qu'elle n'est pas utile, et qu'elle ne pourra pas se faire plus tard ; mais cela n'a rien de commun avec le projet de loi actuel, qui n'a d'autre but qu'une mesure d'économie, et d'autre objet que la réunion de deux cantons qui peuvent facilement être administrés par un seul et même juge de paix.
Je crois donc que la chambre ne peut pas accueillir la motion d'ordre de l'honorable M. de Villegas, motion tendant à renvoyer d'abord au gouvernement la requête des habitants de Renaix lesquels demandent que le canton de Renaix soit agrandi de quelques cantons à détacher des cantons d'Audenarde. Le gouvernement connaît cette pétition, il en est saisi ; elle est en ce moment en instruction ; elle sera soumise au conseil provincial de la Flandre orientale à sa prochaine session ; mais quant à présent il serait impossible d'y statuer.
J'insiste donc pour que la réunion des deux cantons d'Audenarde soit prononcée ; c'est, je le répète, une mesure d'économie à laquelle la chambre hésitera d'autant moins à s’associer qu'elle peut avoir l'assurance qu'il n'en résultera aucune espèce de préjudice pour les justiciables des deux cantons, quant à la prompte expédition des affaires et à la bonne administration de la justice.
M. Lejeune. - Messieurs, l'amendement de la commission avait pour objet d'empêcher que dans la loi même on ne posât un acte de pouvoir exécutif ; il avait pour but délaisser au gouvernement le choix de celui des deux fonctionnaires amovibles qui doit être mis en disponibilité par la réunion des cantons. La commission avait craint qu'en maintenant la rédaction du gouvernement, la question de la mise en disponibilité de l'un des greffiers ne fût tranchée législativement ; c'est ce qu'elle a voulu éviter. Je comptais maintenir l'amendement de la commission ; mais après les explications si précises de M. le ministre de la justice, je renonce à présenter d'autres observations. Le gouvernement entend conserver le choix entre les deux greffiers, et assume ainsi la responsabilité d'un acte qui est tout à fait du domaine du pouvoir exécutif.
- La chambre consultée n'adopte pas la proposition d'ajournement faite par M. de Villegas.
Art. 1er. A partir du 1er juin 1848, le deuxième canton de la ville d'Audenarde sera supprimé et réuni au premier canton de cette ville. »
- Adopté.
« Art. 2. A partir de la même date, le premier canton de la ville de Nivelles est supprimé et réuni au deuxième canton de cette ville. »
M. Jonet. - Je ne prends la parole que pour motiver mon vote, qui sera négatif.,
Cette affaire remonte à l'année 1831.
A cette époque, dans le but d'améliorer la position des juges de paix, le gouvernement proposa aux chambres d'étendre les juridictions territoriales cantonales.
En 1844, nommé membre de la commission chargée d'examiner le projet et ne trouvant dans le dossier aucune trace d'opposition, je votai, avec mes collègues de la commission, pour la réunion des deux cantons de Nivelles.
Mais bientôt il surgit des réclamations ; la ville de Nivelles, les commune de Braine-l'Alleud, de Tubize, d'Ittre, de Quenast, de Rebecq, etc., présentèrent des pétitions à la chambre, pour l'engager à repousser le projet.
Les autorités furent consultées, et sauf le premier président de la cour d'appel de Bruxelles, toutes donnèrent un avis contraire à la proposition du gouvernement.
Parmi ces dernières autorités, on trouve nommément le conseil provincial du Brabant et le procureur général de la cour précitée.
Nonobstant ce, M. le ministre de la justice persista à demander la suppression d'une des deux justices de paix actuelles pour n'en faire qu'une seule à l'avenir.
Y est-il fondé ? Voyons et pesons.
La seule raison plausible que puisse donner le gouvernement pour appuyer sa demande, c'est que, dans cette suppression, l'Etat trouve une économie de 2,700 fr.
Cette somme est bonne à garder sans doute ; mais cette économie est-elle admissible en présence des raisons puissantes que donnent les adversaires du projet.
(page 1495) D'abord, remarquons-le, il ne s'agit plus aujourd'hui d'améliorer la position des juges de paix. Leur sort a été réglé par une loi spéciale qui a augmenté leurs traitements.
Le motif principal du projet primitif de 1834 est donc venu à cesser.
Ensuite ce ne sont pas les habitants des deux cantons que l’on veut réunir qui sollicitent cette réunion, car, si les renseignements que l'on me donne sont exacts, il n'y a qu'une seule personne dans les deux cantons qui la désire. Je ne nommerai pas cette personne, mais elle est bien connue à Nivelles.
En troisième lieu, les cantons de Nivelles sont fort populeux et fort étendus.
La population va de 37 à 40 mille habitants. La distance du chef-lieu à Waterloo est de près de quatre lieues.
La distance du chef-lieu à Tubise, Rebecq-Rognon, Quenast, etc., est au moins égale, si elle n'est pas plus grande.
La distance de Rebecq à Waterloo est de plus de cinq lieues.
Dans ces circonstances, si vous ne conservez qu'un seul juge pour ces deux cantons, que fera ce magistrat, lorsque le même jour il devra siéger à Nivelles, apposer des scellés à Braine-l'Alleud ou à Waterloo ; lever des scellés, ou instruire une procédure criminelle à Tubize, Virginal, Clabecq, etc. ?
La chose sera impossible, et une partie de sa besogne demeurera nécessairement à faire.
On objecte que quelques cantons déjà reconnus ont une population ou plus grande ou tout au moins aussi grande que les deux cantons de Nivelles réunis ; et à cet égard on cite les justices de paix de Bruxelles, de Wavre, de Jodoigne, etc.
Mais on semble oublier que les cantons de Bruxelles ne dépassent pas les murs de la ville, et, partant, que chaque juge de paix n'a pas une demi-lieue de chemin à faire, pour aller de l'extrémité de sa juridiction à l'autre extrémité.
Les villes de Wavre et de Jodoigne sont aussi dans une position beaucoup plus concentrée que la ville de Nivelles, en ce qui concerne leur circonscription.
Je pourrais m'étendre beaucoup plus loin, mais je me borne à renvoyer aux nombreuses pétitions qui ont été présentées à la chambre et dans lesquelles on trouve des raisons propres à combattre le projet de loi qui vous est soumis.
Je ne citerai que deux des nombreuses pièces qui composent le dossier de cette affaire. Ces deux pièces résument toutes les autres.
» Si on examine l'étendue territoriale des deux cantons, disait M. François Cols dans sa requête de novembre 1846, on trouvera qu'elle a presque cinq lieues carrées ; que Nivelles, chef-lieu, se trouve à l'une des extrémités ; que Rebecq et Tubize, communes de plus de 7,000 âmes, sont distantes de leur chef-lieu de 4 à 5 lieues à défaut de communications directes ; que les extrêmes limites de Braine-l'Alleud et de Waterloo, communes de près de 9,000 âmes, sont distantes de 3 à 4 lieues du chef-lieu, et de 4 à 5 lieues de Tubize et Rebecq. Provoquer la réunion de ces communes en un seul canton, n'est-ce pas méconnaître l’esprit du législateur, et établir pour Nivelles une exception qu'on ne trouverait pas ailleurs ?
« Si l'on examine sa population, on trouvera qu'en 1841 elle s'élevait déjà à 36,350 habitants, que cette population n'a fait qu'augmenter depuis, et qu'on peut, sans exagération, la porter aujourd'hui à 40,000, ainsi que le démontrera le résultat du recensement. Ces 40,000 habitants, dispersés dans 20 communes différentes, donnent, pour chaque canton, une population de 20,000 âmes, c'est-à-dire, le double de celle fixée pour chaque canton par la loi du 8 pluviôse an IX ; chiffre que deux tiers des cantons de la Belgique n'ont pas atteint, non plus que les communes des cantons où il a été récemment pourvu. En troisième lieu, si l'on examine les relations que les habitants de ces 20 communes ont entre eux, quelles sont ces relations ? Il n'en existe aucune, il n'en existe même pas entre ces communes et le chef-lieu. En considérant la question sous des rapports secondaires, c'est-à-dire au point de vue de l'importance des affaires traitées, par les juges de paix des deux cantons et sous celui de l'économie qui résulterait pour le gouvernement, on ne serait guère plus heureux ; d'abord, les actes consignés au répertoire des greffiers s'élèvent, année commune, de 170 à 180, et parmi ces actes se trouvent des oppositions et levées de scellés avec inventaire, qui ont exigé plusieurs jours et quelquefois des semaines entières ; outre ces actes, les juges de paix assistent régulièrement à 30 à 35 ventes par licitation et partages, actes dont la plupart exigent le transport du juge de paix à 3 ou 4 lieues du chef-lieu ; enfin, les audiences de police, au nombre de 2 par mois, donnent aux greffiers, pour 150 jugements qui en résultent, une occupation suffisante. »
M. le procureur général près de la cour d'appel écrivait à M. le ministre de la justice, le 13 décembre 1847 :
« Aux considérations générales que je déduisais alors de la nécessité de maintenir une bonne police judiciaire dans les campagnes, et de l'apathie, quelquefois même du mauvais vouloir des bourgmestres en cette matière, je puis joindre, pour le deuxième canton de Nivelles, une circonstance particulière, qui me semble également décisive. Si on ne maintient qu'un seul juge de paix dans cette localité, il sera impossible qu'il exerce simultanément une bonne police judiciaire dans les communes populeuses de Rebecq-Rognon, Tubize, Waterloo et Braine-l'Alleud, qui sont situées à trois lieues de Nivelles et dans des directions tout opposées, dont Nivelles est le centre ; et cependant, ces communes ont des populations assez considérables, puisque les deux premières comptent 5,353 habitants, et les deux autres 8,276. Sous le rapport des appositions de scellés, l'établissement d'un seul juge de paix n'offrira pas de moindres inconvénients, puisqu'il pourrait être appelé tout à la fois aux deux extrémités de son canton, qui sont séparées l'une de l'autre par un espace de plus de cinq lieues. Je pense donc qu'il y a lieu de maintenir le deuxième canton de Nivelles. »
N'oublions pas de dire que les communes de Nivelles, de Braine l'Alleud, de Waterloo, d'Ophain, de Bois-Seigneur-Isaac, de Wauthier-Braine, de Braine-le-Château, de Tubize, de Clabecq, d'Oisquercq, de Virginal, de Quenast, de Rebecq-Rognon, etc., réclament, ou le maintien des choses actuelles, ou le transfert du chef-lieu d'une des deux justices de paix dans une autre localité ; et s'il est vrai que les fonctions sont faites pour les justiciables, et non les justiciables pour les fonctionnaires, il me semble que l'on devrait bien avoir égard aux réclamations de tous les habitants, moins un peut-être, des deux cantons de Nivelles.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, ce n'est pas dans un moment où on réclame de toutes parts des économies et où le besoin s'en fait si vivement sentir, que la chambre hésitera à prononcer la suppression d'une juridiction dont l'inutilité est depuis longtemps démontrée.
En effet, messieurs, il y a bientôt vingt ans, en 1828, une loi de circonscription cantonale, qui a été votée par les états généraux sous l'ancien gouvernement, avait prononcé la réunion des deux cantons de Nivelles. Cette loi n'a pu être mise à exécution à cause des événements de 1830.
En 1834 le gouvernement présentait son grand projet de circonscription cantonale. Les deux cantons de Nivelles étaient encore réunis.
En 1843 ce projet a été remanié et révisé. La réunion des deux cantons était encore maintenue ; et la commission qui a été chargée de l'examen de ce projet de loi a émis un avis favorable à cette réunion.
La question a été réservée lors de la loi du 8 mai 1847 ; c'est en vertu de cette réserve que le gouvernement a présenté le projet de loi sur lequel vous avez à statuer aujourd'hui.
L'honorable M. Jonet vous a dit que de nombreuses réclamations avaient surgi de toutes parts. Cela est vrai. Mais ce qu'il ne vous a pas dit, c'est que ces réclamations avaient des buts différents.
Selon l'honorable M. Jonet, elles demanderaient le maintien de ce qui existe, c'est-à-dire que le siège des deux cantons restât à Nivelles même. Or, les habitants de Tubize et des communes voisines ont adressé des pétitions pour la reconstitution de l'ancienne justice de paix qui existait il y a quarante-cinq à cinquante ans, et dont le siège était à Tubize. Les habitants de Braine-l'Alleud en ont fait autant de leur côté ; de sorte que les commettants de l'honorable M. Jonet sont loin d'être d'accord sur cette question.
Au milieu de ces dissidences, ce dont nous devons exclusivement nous préoccuper, c'est l'intérêt public. Il y a ici une économie à faire, mais il faut que cette mesure d'économie ne puisse léser en aucune manière les intérêts des justiciables. Or, loin qu'il en soit ainsi, les chiffres de la statistique judiciaire prouvent, au contraire, pour les deux cantons de Nivelles comme pour ceux d'Audenarde, qu'il n'y a pas même assez d'affaires dans ces deux cantons pour occuper convenablement un seul magistrat.
La statistique qui a été publiée en 1843 donne pour moyenne des affaires portées en conciliation devant les deux cantons de Nivelles, trente-cinq affaires par année ; la moyenne des affaires contentieuses terminées par jugement a été de vingt-deux à vingt-trois, ce qui fait à peu près une affaire par semaine à juger ou à concilier. Vous pouvez juger par là quelle peut être l'occupation de deux magistrats.
Pour les affaires de simple police, la moyenne a été de 119 par année, c'est encore un chiffre extrêmement faible et suffisant tout au plus pour occuper un juge de paix une heure de temps chaque séance.
Quant aux affaires de juridiction gracieuse, la moyenne est de 137 par année, ce qui est encore très peu important en comparaison du nombre des affaires de cette nature qui sont portées devant plusieurs autres justices de paix du royaume.
Maintenant, messieurs, si nous établissons une comparaison entre les deux cantons de Nivelles et quelques autres cantons du royaume, il est facile de se convaincre qu'on ne peut pas hésiter à se prononcer pour la mesure de la réunion proposée par le gouvernement.
Le canton de Wavre, dont a parlé l'honorable M. Jonet, contient en étendue territoriale 37,077 hectares, c'est-à-dire 3,000 hectares environ de plus que les deux cantons réunis de Nivelles, et la population est à peu près la même, puisqu'elle s'élève à 53,956 hectares.
Eh bien, un seul juge de paix suffit amplement pour le canton de Wavre ; l'expédition des affaires n'y subit aucune espèce de retard.
Je vous ai parlé tout à l'heure des cantons de Louvain et de Charleroy, dont la population s'élève à plus de 60,000 habitants et où un seul juge de paix suffit également à l'expédition des affaires. A plus forte raison est-il en être de même pour les deux cantons de Nivelles où il n'y a que 37,415 habitants et où le nombre d'affaires est relativement bien moins considérable.
L'honorable M. Jonet vous a dit que les autorités avaient été généralement contraires à la réunion des deux cantons.
(page 1496) D’abord, en 1836, le conseil provincial du Brabant a émis à l’unanimité un avis favorable à la réunion.
M. Jonet. - C’est la députation.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je crois que c'est le conseil provincial.
En 1847, le conseil provincial, consulté de nouveau, a donné, il est vrai, un avis négatif, mais un avis qui n'est pas motivé et à la suite d'un rapport qui ne contient aucune espèce de conclusion.
Quant aux magistrats qui ont été consultés, il est vrai que M. le procureur général, dont oh vous a lu un extrait de la dépêche, a été d’un avis contraire. Mais quelques mots suffiront pour vous démontrer que cet honorable magistrat était dans une erreur complète.
En effet, quel est le motif allégué par M. le procureur général pour combattre la mesure de la réunion ? C'est, dit-il, qu'il est nécessaire de maintenir une bonne police judiciaire dans les campagnes et de combattre l’apathie, quelquefois même le mauvais vouloir des bourgmestres en cette matière.
J'ai voulu savoir quelle était positivement l'occupation des deux juges de paix du canton de Nivelles en ce qui concerne la police judiciaire, et il est résulté des rapports qui m'ont été adressés par M. le procureur du roi de Nivelles, que depuis trois ans les deux juges de paix des cantons de Nivelles n'ont été requis ni délégués pour aucune affaire quelconque de police judiciaire. Et la raison, messieurs, en est facile à comprendre ; "ces juges de paix siègent au chef-lieu du tribunal, où résident le procureur du roi et le juge d'instruction, chargés principalement de la poursuite et de l’instruction des affaires criminelles, de manière qu'ils ne sont jamais ou ne sont que très rarement délégués pour ces sortes d'instruction, à la différence des juges de paix des cantons plus éloignés.
M. le procureur général se fonde encore sur ce que, en raison de la distance entre certaines communes des deux cantons de Nivelles, il serait impossible que le juge de paix pût vaquer à toutes les affaires qui pourraient se présenter sur l'un ou sur l'autre point de ces cantons, s'ils étaient réunis ; mais d'abord vous avez vu que le chiffre des affaires est tellement peu important qu’un seul magistrat peut toujours suffire à leur expédition.
Je supposerai cependant que par extraordinaire ce magistrat soit appelé de deux côtés à la fois ; eh bien, dans ce cas il y a des suppléants pour le remplacer ; c'est pour cela que les suppléants sont institués. Ainsi dans aucun cas, il ne peut y avoir ni inconvénients pour les justiciables, ni retard dans l'administration de la justice.
Je crois donc, messieurs, que par la même raison que vous avez prononcé, l’année dernière, la réunion de plusieurs cantons qui ont une population beaucoup plus considérable et un nombre d'affaires plus important, vous devez, pour être conséquents, voter aujourd'hui la réunion des deux cantons de Nivelles, comme vous venez de le faire encore pour les deux cantons d'Audenarde.
M. Zoude. - Peu de mots me suffiront pour établir que jamais réunion de cantons de justice de paix n'a rencontré pareille unanimité. En effet, la réunion des deux cantons de justice de paix de Nivelles en un seul a été admise par le gouvernement en 1829, 1834 et 1843. La commission de circonscription cantonale a admis à l'unanimité les propositions présentées en 1834 et 1843. Depuis le gouvernement est revenu à la charge ; la proposition a été admise par 5 voix contre une.
- L'article 2 est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Les greffiers actuels, que l'exécution des dispositions qui précèdent privera de leur emploi, conserveront leur traitement fixe jusqu'à ce qu'ils soient replacés. »
- Adopté.
« Art. 4. Le nombre des notaires qui, par suite de la réunion des deux cantons, excédera le maximum fixé par la loi du 25 ventôse an XI est maintenu, et il pourra être pourvu aux places qui deviendront vacantes. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
Voici le résultat du vote :
Nombre des votants, 62.
56 membres votent pour l'adoption.
6 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l'adoption : MM. Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Moreau, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rousselle, Van Cleemputte, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Huffel, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Zoude, Brabant, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Clep, Cogels, d'Anethan, Dautrebande, David, de Bonne, de Brouckere, de Clippele, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Roo, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, d'Hane, d'Huart, Dubus (aîné), Duroy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Frère-Orban, Herry-Vispoel, Huveners, Lange, Le Hon, Lejeune.
Ont voté contre : MM. Mercier, Desaive, de Villegas, Dumont, Jonet et Liedts.
M. Maertens, au nom de la commission des naturalisations, dépose 19 projets de loi de naturalisation ordinaire.
M. Cogels, au nom de la commission qui a examiné le projet de loi relatif à des modifications à la loi monétaire, dépose le rapport, sur le projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces pièces.
La séance est levée à 4 heures et demie.