(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 436) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. de Villegas lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
: « Le sieur J.-L.-AIex. Follet, bijoutier à Bruxelles, né à Pont-Saint-Maxence (France), demande la naturalisation ordinaire, »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Alfred Saint-Martin demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« Un grand nombre d'habitants de Bruxelles demandent qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. ».
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs propriétaires et commerçants de la commune de Heule demandent la révision du système des impôts. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs cultivateurs de la commune de Saint-Médard demandent qu'il soit donné suite à leurs soumissions pour le défrichement de biens communaux. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs capitaines et seconds de navires de commerce qui, se trouvant en voyage au moment où la naturalisation leur a été conférée, n'ont pu faire, en temps utile, la déclaration prescrite par la loi, demandent à être relevés de la déchéance de la naturalisation. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de la commune de Hougaerden demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1838, qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées.
« Mêmes demandes de plusieurs cabaretiers et débitants de boissons distillées du Sas de Slykens, près d'Ostende, de la commune de Peer et de plusieurs habitants de Baeyguem. ».
- Renvoi au ministre des finances.
« Le conseil communal de Braine-le-Château prie la chambre de rejeter le projet de loi qui supprime le premier canton de justice de paix de Nivelles. »
- Renvoi à la commission de circonscription cantonale.
« Plusieurs cultivateurs à Waerbeke demandent une augmentation des droits d'entrée sur les tabacs. »
- Renvoi à la commission d'industrie.
« Plusieurs officiers supérieurs en retraite prient la chambre de leur faire rembourser les retenues opérées sur leurs appointements.
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.
« Le sieur Morion présente des observations contre les usurpations dé prérogatives ou qualifications nobiliaires. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de Moll demandent que le gouvernement statue sur la direction de la route de Moll au camp de Beverloo, et qu'il fasse commencer les travaux.
« Même demande de plusieurs habitants de Baelen. »
M. A. Dubus. - Messieurs, les pétitions dont il s'agit sont couvertes d'un grand nombre de signatures. Plusieurs autres pétitions semblables ont déjà été adressées à la chambre et renvoyées par elle à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics. Comme je suppose que la section centrale a terminé ses travaux, je proposerai que les pétitions actuelles soient déposées sur le bureau de la chambre pendant la discussion du budget des travaux publics et renvoyées ensuite à M. le ministre de ce département.
J'engage M. le ministre des travaux publics à statuer, le plus tôt possible, sur la question définitive du tracé en question. Il lui sera facile, je pense, de concilier tous les intérêts. La route de Turnhout vers le Limbourg est déjà décrétée en principe, il ne s'agit donc plus que de son exécution et de sa direction.
Cette route devant être la grande communication reliant la province d'Anvers à celle du Limbourg, j'appelle l'attention du gouvernement sur la nécessité de faire route de l'Etat la partie de route dont il est aujourd’hui question.
Je me bornerai, pour le moment, à ces observations. La discussion du budget des travaux publics me fournira l'occasion d'examiner cette communication.
- La proposition de M. Dubus est adoptée.
M. Gilson, retenu chez lui par une indisposition, s'excuse de ne pouvoir assister à la séance.
- Pris pour information.
M. Dolez informe la chambre qu'une indisposition l'empêche d'assister à la séance.
- Pris pour information.
M. le président. - La chambre a renvoyé à la commission qui a examiné la loi sur la comptabilité un projet de loi que M. le ministre des finances a présenté dans une séance précédente. Le bureau a complété cette commission en nommant M. Bricourt en remplacement de M. Duvivier, et M. Cogels en remplacement de M. Desmet.
M. le président. - . le ministre des finances a déposé sur le bureau des explications sur la pétition du nommé Pasque. Conformément aux antécédents de la chambre, je propose le dépôt de ces explications au bureau des renseignements.
- Adopté.
M. de Corswarem (pour une motion d’ordre). - Messieurs, l'un des objets les plus importants et les plus difficiles dont nous nous occuperons dans le courant de cette session, est sans doute la question des sucres. Plusieurs renseignements ont déjà été demandés à M. le ministre des finances, mais il me paraît que nous ne pouvons assez nous éclairer sur cette question, que nous ne pouvons recueillir assez de lumières pour mettre chacun de nous à même de se prononcer en pleine connaissance de cause.
Je prierai donc M. le ministre des finances de vouloir nous donner quelques renseignements, que je vais avoir l'honneur d'indiquer, et dont quelques-uns ont peut-être déjà été demandés ; mais je le prierai de vouloir bien présenter ces renseignements en forme de tableaux, pour que nous puissions faire des comparaisons avec facilité.
Je demanderai donc, conformément au tableau dont j'aurai l'honneur de déposer un modèle sur le bureau : « Un relevé général des comptes de mise en raffinage et d'exportation de sucres, du ier juillet 1846 jusqu'au 31 octobre 1847», tant pour le sucre de canne que pour le sucre de betteraves séparément.
Je demanderai ensuite que le taux et le montant des décharges accordées soient indiqués séparément pour chaque espèce de produit : sucre, cassonade et sirop.
Ces renseignements ne seront pas difficiles à fournir.
Seulement il y a quelque chose qui, jusqu'à présent, n'a peut-être pas encore été demandé et que nous désirerions connaître, ce sont les noms des fabricants et des exportateurs. Les noms des fabricants de sucre de betteraves ont été livrés à la publicité, et les noms des raffineurs et des exportateurs ne l'ont pas encore été. J'ai cru comprendre que quelques personnes attachent à cette circonstance une importancequ'elle n'a pas ; mais je crois que pour dissiper tout ombrage provenant de cette inégalité de publicité, l'on pourrait, sans aucun inconvénient, publier les noms des raffineurs et des exportateurs, en regard des quantités raffinées, des quantités exportées et des droits de douanes et d'accises, tant apurés par l'exportation que réellement payés au trésor. C'est ce qu'on a fait pour le sucre de betteraves et je crois qu'il n'y a y pas d'inconvénient à le faire pour le sucre exotique.
Je dépose sur le bureau le modèle du tableau d'après lequel je désire que les renseignements que je demande nous soient donnés.
M. le président. - M. le ministre des finances est absent.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il est au sénat.
M. le président. - La note de M. de Corswarem lui sera communiquée.
M. le président. - L'ordre du jour appelle en premier lieu la discussion du budget des dotations, mais nous n'avons pas encore reçu le chiffre du budget du sénat. Il nous parviendra probablement dans le cours de la séance. Nous passerons donc, s'il n'y a pas d'opposition, au second objet à l'ordre du jour, qui est la discussion du budget de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, plusieurs fois déjà, dans différentes circonstances, quelques membres de cette chambre ont demandé la réduction de l'armée et la diminution de la dépense qu'elle occasionne. Plusieurs fois déjà, messieurs, on a aussi contesté dans cette enceinte l'utilité et la nécessité d'une armée, en présence de la position de neutralité qui nous a été imposée par les traités, et sous l'empire de cette idée erronée que la Belgique était impuissante à se défendre, qu'elle était trop faible pour résister à ses ennemis, pour faire respecter son indépendance, et qu'elle devait, par conséquent, laisser aux autres le soin de la protéger.
Mais chaque fois que cette opinion a été émise, elle a été aussitôt victorieusement combattue, et l'armée a toujours trouvé parmi vous, messieurs, dans tous les partis, sur tous les bancs de cette chambre, je me plais à le reconnaître, d'éloquents défenseurs et un puissant et sympathique appui.
Ce n'est donc pas la défense de l'armée, bien qu'on dise qu'elle est (page 437) menacée dans son existence, que je viens prendre dans ce moment, et au milieu de vous, messieurs, qui avez été en tous temps ses défenseurs ; mais je viens simplement vous donner quelques renseignements sur l'armée, pour vous prouver qu'elle répond aujourd'hui à tout ce que vous attendez d'elle, qu'elle a compris sa mission, le but pour lequel elle a été instituée, et je viens essayer de vous démontrer qu'elle est utile et nécessaire, non seulement pour la défense du territoire, de l'indépendance et de l'honneur national, mais encore pour le maintien de l’ordre public, pour la conservation et le développement de nos institutions et de nos libertés, et bien plus encore dans l'intérêt de la moralisation, de l'instruction, de l'amélioration physique et intellectuelle du peuple.
A ces différents titres, je suis persuadé que l'armée excitera la sympathie de ceux qui la combattent encore, parce qu'ils ne se sont peut-être pas rendu compte de ses sentiments, de sa mission, de son utilité, des résultats qu'elle produit. J'ai l'espoir que, lorsqu'ils auront été éclairés à cet égard, ils se rallieront à la majorité d'entre vous, messieurs, pour maintenir une institution que vous avez créée au prix de si grands sacrifices, et dont vous pouvez vous enorgueillir aujourd'hui comme de l'institution qui fait peut-être le plus d'honneur à la Belgique.
Le maintien de l'armée sur le pied actuel est d'autant plus nécessaire qu'il n'est plus possible d'en diminuer l'effectif sans porter atteinte à son organisation.
L'armée a été réduite à sa plus simple expression.
La diminuer encore serait l'énerver complètement.
Mes prédécesseurs vous ont démontré plusieurs fois qu'il restait à peine sous les armes le nombre de soldats nécessaires pour les besoins du service et pour leur donner l'instruction en ligne et les faire manœuvrer.
Du moment que cette instruction ne pourra plus être donnée à la troupe, du moment que l'armée se sentira trop faible et trop peu manoeuvrière pour être à la hauteur des autres armées, pour faire face aux éventualités de l'avenir, pour soutenir l'honneur national, elle se démoralisera, elle perdra cette confiance en elle-même qui est une des principales forces des armées.
Une armée ne peut être utile et répondre à sa destination qu'autant qu'elle est bien organisée, que toutes les parties qui la constituent sont en rapport les unes avec les autres.
La force publique d'une nation ne se crée pas arbitrairement, elle ne s'improvise pas ; il faut que l'organisation militaire d'un Etat soit préparée de longue main, constituée en vertu de principes fixes, en suivant un système immuable, poursuivi avec persévérance, à l'abri des variations qui entraînent trop souvent les revirements ministériels.
La fixité est un des éléments essentiels de toute bonne organisation militaire.
Aucune institution n'a besoin d'autant de stabilité que l'armée.
Rien n'est plus difficile et plus long à créer, à instruire, à discipliner qu'une armée et rien n'est plus promptement désorganisé.
Je ne crains pas de le dire, la plus funeste économie serait celle qui jetterait la désorganisation dans notre état militaire. Quelques millions retranches du budget de la guerre rendraient le reste de la dépense inutile, car mieux vaut ne pas avoir d'armée que d'en entretenir une qui, par impuissance, ferait défaut au pays le jour où il en appellerait à son courage et réclamerait ses services.
Il serait plus rationnel de supprimer entièrement le budget de la guerre et d'économiser tout d'un coup les 28 millions qu'il nous coûte, pour vivre au jour le jour, en attendant avec résignation les conséquences de cette mesure, conséquences qui ne se feraient pas longtemps attendre, que de sacrifier 25 ou 26 millions pour avoir une armée incomplète, sans nerf, sans consistance, inhabile à remplir sa mission, car ce serait un sacrifice fait en pure perte.
Je le répète donc avec une profonde conviction, une réduction nouvelle de l'armée équivaudrait à sa destruction ; une diminution dans le budget de la guerre entraînerait les plus funestes résultats, et pour ma part je n'accepterai pas la responsabilité d'une semblable mesure.
La neutralité, qu'on a souvent invoquée pour demander la réduction de l'armée, ne nous garantit d'aucun danger, ne nous met à l'abri d aucune des éventualités de l'avenir. La neutralité cesse d’être un engagement pour les grandes puissances et une garantie pour le pays, lorsqu'elle n'est pas appuyée, soutenue par des forces assez imposantes pour la faire respecter. Cela est si vrai qu'il n'y a pas d'exemple dans l'histoire d'une nation qui soit restée neutre étant désarmée et qui n'ait payé cet abandon d'elle-même par des calamités, des exactions de tous genres, des spoliations ruineuses et souvent même par un honteux anéantissement.
La neutralité désarmée serait l'abâtardissement du caractère national, l'abnégation absolue des principes qui la consacrent, la perte de toute foi dans l'avenir.
La Belgique a compris que laisser aux autres le soin exclusif de la défendre et de la protéger, c'était abdiquer son libre arbitre, se placer en tutelle éternelle et s'exposer à des exigences inouïes en se mettant à la merci d'autrui ; c'était s'avouer inconséquente avec la révolution qui n'aurait secoué le joug étranger que pour courber la tête sous le bon plaisir de toutes les puissances européennes.
Elle a compris de plus que c'était, à la première conflagration éventuelle, attirer sur elle toutes les calamités de la guerre, en s'exposant à voir toutes les puissances jalouses les unes des autres, et connaissant la valeur des faits accomplis, se précipiter à l'envi sur son riche et populeux territoire sans défense, comme sur une proie dévolue au premier occupant.
Elle a compris encore qu'accepter cette éphémère et humiliante situation, c'était s'amoindrir, renoncer à l'estime et à la considération du monde ; se reconnaître inhabile à se gouverner, se laisser frapper d'interdiction, en un mot, que c'était faire amende honorable des glorieux faits de 1830 !
Enfin la Belgique a compris qu'elle n'avait pas rempli toute sa tâche, qu'elle n'avait pas achevé son œuvre, accompli sa destinée par la conquête de son indépendance et de sa liberté, mais qu'elle devait se tenir toujours en mesure de maintenir, de conserver, de défendre, de faire respecter cette glorieuse et légitime conquête.
Une nation peut succomber, messieurs ; mais lorsqu'elle succombe sans défense, sans énergie, sans combat, elle succombe sans retour. On se relève du malheur, on ne se relève jamais de la honte. Ce serait une funeste erreur, une imprévoyance coupable que de compter uniquement, comme quelques-uns le font encore, sur les improvisations et les élans de la nation, sur les efforts patriotiques des masses populaires au jour du péril.
Si, à certaines époques d'enthousiasme, l'instinct populaire dirigé par l'intelligence de quelques hommes de cœur, a pu suffire pour organiser la défense nationale, les progrès de l'art militaire ne permettent plus de compter désormais sur cet unique appui.
Les événements de 1831, qu'il faut oser rappeler pour en tirer une leçon profitable, démontrent qu'une puissante organisation militaire est indispensable pour triompher d'une armée régulière et que l'enthousiasme, le dévouement inexpérimenté ne préservent plus des grands désastres.,
Ce serait encore une erreur de croire que la Belgique est impuissante à se défendre par elle-même, qu'elle est condamnée à vivre au jour le jour, et qu'elle ne pourrait résister à l'agression de ses ennemis. .
Avec les ressources qu'elle possède, sans s'imposer des charges au-dessus de ses forces, la Belgique peut vivre de sa propre vie ; elle n'a besoin de tendre la main à personne ; elle peut se défendre, se protéger, se faire respecter par elle-même, et donner à son épée un poids suffisant pour faire pencher en sa faveur la balance de ses destinées.
En effet, l'organisation militaire dont elle est dotée lui permet de mettre promptement sur pied, au premier cri d'alarme, une armée de 80,000 hommes, et 80.000 hommes ne seraient pas son dernier mot, puisque pendant plusieurs année, de 1832 à 1839, l'effectif de l'armée a été de 110,000 hommes, qui ont été souvent présents sous les armes. Dans un moment suprême, la Belgique saurait supporter encore le même effort.
Si cette armée reste bien organisée, bien entretenue, si elle est instruite, manœuvrière, disciplinée, pourvue d'un matériel suffisant ; si elle est assez mobile pour se concentrer instantanément ; si elle est commandée par des officiers actifs, habiles, énergiques et dévoués, elle pourra faire face à toutes les éventualités, conjurer tous les périls,
Quelle est la nation, quelque puissante qu'elle soit, qui puisse lui opposer, sur un champ de bataille, une armée beaucoup plus nombreuse, une armée supérieure ?
J'ose dire qu'il n'en existe pas, car les grandes nations ont de grandes frontières à garder, des villes populeuses souvent turbulentes, des partis hostiles, des possessions importantes à surveiller, à contenir, à défendre ou à combattre, et sont par conséquent obligées de répartir leurs nombreuses armées sur toute l'étendue d'un vaste territoire ; elles ne peuvent pas concentrer toutes leurs forces pour en accabler un seul adversaire, sans s'exposer à prêter le flanc ou à ouvrir une issue à tous les autres.
Il est d'ailleurs impossible d'agglomérer et de faire vivre sur un seul point d'un pays, quelque riche et fertile qu'il soit, sans d'immenses et longs préparatifs, une réunion de plus de 80,000 hommes, et il est en outre impossible à un général. quelque habile qu'il soit, de faire mouvoir sur un champ de bataille une force plus considérable.
Dans les plus mémorables batailles de la république et de l'empire, il n'y a jamais eu plus de 80,000 hommes engagés de part et d'autre, et cependant il s'agissait dans ces grandes actions du salut de la nation, et quelquefois des destinées du monde.
Dans les plaines de Hohenlinden, de Marengo, de Wagram, d'Austerlitz, d'Iéna et de Waterloo même, il n'est pas entré en ligne plus de 80,000 hommes de chaque côté, et quelquefois les armées belligérantes ne s'élevaient même pas à ce nombre.
On peut conclure de ces considérations que, bien loin de s'abandonner aux hasards de l'avenir, de renoncer à se défendre, à se faire respecter par elle-même, la Belgique peut attendre avec confiance et en sécurité les événements futurs, certaine que son indépendance et sa neutralité seront suffisamment sauvegardées, aussi longtemps qu'elle possèdera une armée régulière, maintenue à la hauteur des progrès de la science militaire, une armée telle enfin qu'elle la possède aujourd'hui.
Mais le rôle des années se borne-t-il à défendre les frontières, à maintenir l'intégrité du territoire, à faire respecter la dignité nationale ?
Les armées n'ont-elles pas encore une autre mission à remplir ?
Si au point de vue de la défense extérieure, du maintien de l’indépendance, de la neutralité et de l'honneur national, une armée est indispensable à la Belgique, l'est-elle moins pour le maintien de l'ordre (page 438) public à l'intérieur, pour le développement et la conservation de nos institutions et de nos libertés ?
Dans les pays qui jouissent d'une grande liberté, où chacun peut exprimer son opinion, la proclamer du haut de la tribune, la publier, la répandre, la propager par la presse, où chacun peut prêcher et professer les doctrines les plus contradictoires, et quelquefois les plus fatales, si elles étaient prises au sérieux, préconiser des utopies subversives de tout ordre social, ne serait-il pas à craindre que ces théories, ces doctrines, ces utopies ne se traduisissent en faits violents, si une armée forte et disciplinée, calme et modérée, mais énergique et dévouée à ses devoirs et au pays, n'était pas toujours prête à prévenir et à réprimer toute action désordonnée ou oppressive ?
Messieurs, j'aborde une question délicate, et cependant je n'éprouve aucun embarras à m'expliquer devant vous, parce que je vous parle avec la conviction d'un homme dévoué aux idées d'ordre, de progrès et de liberté, tout dévoué à la Belgique.
Eh bien ! messieurs, je dis qu'à une époque où presque tous les biens moraux ont perdu la plus grande partie de leur force, où la foi politique, où la foi religieuse n'ont plus la puissance de persuasion nécessaire pour guider et contenir des populations, trop peu éclairées encore pour ne pas être induites en erreur par de fausses lueurs, par des excitations, des espérances, des promesses ou des menaces fallacieuses, surexcitées quelquefois aussi par des douleurs réelles : je dis qu'il n'y a qu'une armée ferme et solide qui puisse prévenir une explosion et empêcher la société de tomber dans la confusion, le chaos et l'anarchie.
Lorsque l'armée est faible au contraire, sans énergie ; lorsqu'elle n'inspire ni respect, ni confiance en sa force et dans sa puissance d'action, on voit presque toujours, et l'histoire de ce qui se passe dans d'autres pays nous le prouve, on voit les discussions dégénérer en luttes, les partis s'opprimer tour à tour, s'abandonner à la violence, se faire justice à eux-mêmes avec tout l'emportement de l'exaltation ou du fanatisme ; on voit les mauvaises passions déchaînées triompher souvent, les arguments de la force aveugle et brutale substitués à ceux de la raison, et le désordre, la misère et l'anarchie succéder à la modération, à la prospérité et à la paix.
Je dis plus encore, messieurs, je dis que toutes ces doctrines qui se prêchent et se publient, toutes ces libertés dont vous êtes si justement fiers et heureux, seraient dangereuses sans une armée forte et régulière, et qu'au contraire sous cette égide protectrice, vous pouvez les développer, les discuter, les augmenter, sans crainte et sans péril.
Car remarquez-le bien, messieurs, le rôle des armées n'est pas exclusivement un rôle coercitif, c'est surtout et heureusement un rôle préventif, et c'est leur plus beau rôle ; mais elles ne peuvent le conserver qu'autant qu'elles sont fortes et bien organisées.
En effet lorsqu'une armée est dans ces conditions, elle enlève tout espoir aux mauvaises passions ; elle contient par sa seule présence tous les projets violents, et les empêcher de naître ; elle fait échouer sans avoir besoin d'agir, par le seul fait de son existence, toute action désordonnée.
Au sein du calme et de la paix que les armées font naître et maintiennent, les idées saines, les idées utiles, les idées de progrès se font jour, se propagent, pénètrent graduellement dans les esprits, et l'humanité s'avance sans perturbation vers ce but de perfection et de félicité qu'elle ne peut atteindre que pas à pas et par le triomphe de la raison.
Voilà le rôle et la mission conservatrice et providentielle désarmées en temps de paix, dans les pays libres, et c'est parce qu'elles comprennent la grandeur et la sainteté de cette noble mission, qu’elles acceptent avec résignation, avec orgueil et fierté, la vie d'austérité, de dévouement, de privation ; la vie d'abnégation en un mot, qui est imposée à chacun de ses membres dans la société moderne.
Voilà pourquoi, lorsque l'indépendance personnelle est devenue le but de toutes les institutions politiques, l'abnégation de soi-même est encore, aujourd'hui, comme il y a deux mille ans, la première vertu du soldat.
Il me reste, maintenant, messieurs, à vous montrer l'armée dans sa vie intérieure, à vous rendre compte de ses travaux, à vous dire comment elle se prépare incessamment à remplir sa mission ; il me reste à vous présenter sommairement l'organisation militaire sous une autre face, pour établir qu'elle exerce une influence salutaire sur le bien-être matériel, moral et intellectuel de la classé la plus nombreuse de la société, sur le peuple, et qu'elle est aussi utile au développement de la civilisation qu'elle est indispensable au maintien de l'indépendance nationale et de l'ordre public.
L'opinion que je vais émettre n'est pas nouvelle pour moi, il y a déjà plusieurs années que j'ai publié ma manière de voir sur ces questions, et pour vous prouver» messieurs, que mon opinion d'aujourd'hui n'est pas une opinion de circonstance et de position, je me bornerai à vous répéter ce que j'écrivais il y a sept ans, mais je vous le répéterai avec une conviction fortifiée par sept ans d'observations et d'expérience.
Voici ce que j'écrivais :
« Dans notre pays où l'industrie devient de plus en plus exubérante, il est nécessaire de contrebalancer les idées de positivisme qu'elle développe, et de ne pas laisser étouffer par ses envahissements incessants les instincts nobles, généreux, désintéressés, qui maintiennent l'amour de la patrie, et préparent aux grandes choses.
« L'armée est l’institution la plus propre à entretenir ces sentiments, à conserver ce dépôt sacré, parce que le désintéressement, la loyauté, le dévouement sont traditionnellement en honneur chez elle, et que ces vertus sont faciles à y maintenir par la discipline, par l'exemple des chefs, par la rigidité du gouvernement envers ceux qui s'en écarteraient, et enfin par l'esprit de corps, ce lien moral du soldat.
« A d'autres égards encore l'armée exerce une influence salutaire d'une manière plus directe, et néanmoins peu appréciée.
« Dans plusieurs de nos provinces les plus manufacturières, dans nos bassins houillers, dans nos polders, les exigences de l'industrie et même de l'agriculture sont quelquefois telles que, sans le principe régénérateur de la milice, elles absorberaient et dévoreraient prématurément une grande partie de la population, pour créer ces produits qui font la richesse et l'orgueil de la nation.
« Il faut avoir visité nos nombreuses fabriques, respiré l’air méphitique de quelques-uns de nos ateliers, être descendu au fond de nos mines, avoir parcouru nos polders et quelques parties de nos provinces, pour juger à quel prix s'acquiert la supériorité industrielle.
« Il faut avoir vu la dégénérescence, l'abâtardissement physique et moral de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants entassés dans des établissements de tous les genres, pour se rendre compte de ce que coûte de misères privées la richesse publique.
« La dégénération physique d'une portion notable de la classe ouvrière provient de ce qu'à partir de l'enfance, elle est enfermée dans des ateliers, ou enterrée au fond de houillères, ou condamnée à des travaux malsains, respirant un air impur, privée d'une exercice salutaire, d'une nourriture saine et suffisante.
« La dégénération morale provient de ce que son intelligence reste inculte, de ce que toutes ses facultés se concentrent à regarder fonctionner et à surveiller pendant des années la même mécanique, à pousser le même ressort, ou à faire le même mouvement machinal.
« Ces races dégénèrent encore parce que cet engourdissement des facultés morales développe les instincts physiques et pousse aux excès abrutissants, immoraux et pernicieux.
« S'il est une institution qui ait le privilège d'arrêter cette dégénération physique et morale, c'est la milice. Chaque année elle vient enlever à ses travaux une portion notable de la classe ouvrière :
« Elle s'empare de ces hommes au moment où leur esprit, comme leur corps, est encore susceptible de développement ; ; elle les met au grand air ; elle remplace leur nourriture insuffisante et nuisible par une nourriture saine et vivifiante, leurs haillons par de» uniformes chauds, propres et commodes ; elle leur donne des soins hygiéniques. ; elle leur fait faire un exercice salutaire qui accroît leurs forces ; en un mot elle les entoure de soins éclairés et réparateurs et rend ensuite à la société, après un certain laps de temps, des hommes régénérés.
« La milice ne borne pas son œuvre à l'amélioration physique du soldat ; ses résultats sont plus nobles, sa mission va plus loin.
« Elle agrandit son intelligence par des soins moraux, par des leçons graduelles, raisonnées et données avec cette patience et cette persévérance qui sont un résultat naturel des habitudes du service militaire.
« Combien d'hommes arrivent dans nos régiments d'infanterie malingres, chétifs, presque idiots,, et en sortent robustes, sains et l'intelligence si ouverte et si développée, qu'on peut dire qu'ils ont subi une transformation complète.
Cela est si vrai que l'homme qui a passé quelques années sous les armes conserve un cachet qui ne s'efface jamais, un cachet indélébile, et qu'un le reconnaît et le distingue entre tous à son maintien, à sa tenue, à une certaine dignité personnelle, à l'ascendant qu'il exerce sur ses compagnons.
« Quiconque a vécu avec l'armée, a observé son organisation, l'intelligence qui a présidé à certaines de ses institutions, les soins dont le soldat, est l’objet, le régime paternel qui le forme, les succès étonnants obtenus dans nos écoles régimentaires, est convaincu de l'utilité, de la nécessité du maintien de l’armée dans un pays promis au plus grand développement de l’industrie.
« La milice est eu outre un des moyens les plus efficaces pour répandre dans les masses l'esprit et le sentiment de la nationalité. Le mélange continuel des. hommes des différentes provinces dans le même régiment, vivant fraternellement ensemble, modifiant leurs mœurs, et leurs habitudes de localité, les réunions de. troupes de toutes armes dans les camps, le contact des soldats avec les officiers, le séjour dans les principales villes du royaume, les voyages en corps, la vue de nos beaux édifices, de nos monuments pittoresques, etc., etc, élargissent les idées de ces hommes, leur font connaître la patrie, les y attachent par orgueil ; et, rentrés dans leurs foyers, ils en racontent les merveilles à leurs concitoyens avec l'enthousiasme hyperbolique naturel au soldat. »
Voilà ce que j’écrivais il y a sept ans.
Eh bien, messieurs, pour contrôler la vérité de mes assertions, prenez la peine d'aller visiter nos établissements militaires, nos casernes, nos ateliers, nos magasins, nos arsenaux, nos dépôts, nos écoles régimentaires, notre école militaire ; allez assister aux leçons du soir dans nos casernes, aux cours scientifiques donnés par les officiers les plus instruits à leurs camarades, aux sous-officiers et aux simples soldats eux-mêmes, et vous en reviendrez le cœur ému, vous en reviendrez persuadés que l'armée est une école d'ordre et de moralisation.. Allez voir, messieurs, avec quel dévouement, quel zèle, quelle abnégation, plusieurs de nos officiers consacrent leur vie à instruire, à moraliser des hommes dont ils n'ont personnellement rien à attendre ; et après cet examen vous reconnaîtrez, messieurs, j’en ai la conviction, (page 439) que l'armée est véritablement le bouclier de la patrie, la sauvegarde de nos institutions et de nos libertés, et qu'elle est pour le peuple un bienfait réel.
Après cet examen, vous serez rassurés sur l'avenir du pays, vous aurez plus de confiance dans les destinées futures de la Belgique, vous serez fiers lie l'armée, j'ose le dire, et vous continuerez à lui prêter l'appui sympathique que vous lui avez toujours accordé.
Messieurs, si je n'avais pas vu par moi-même tout ce que l'armée renferme de vertu, si je n'avais la certitude du bien qu'elle produit, si je n'étais profondément convaincu qu'à son existence est attachée celle du pays et celle de nos libertés et de l'œuvre de 1830, je ne serais pas venu appeler si longuement, si vivement, peut-être, votre attention sur elle.
Mais, depuis 17 ans que je vis au milieu de l'armée, depuis 17 ans, depuis le premier jour de sa création, je la vois à l'œuvre, et il m'a semblé que, dans ma position, c'était un devoir pour moi, envers vous, messieurs, et envers le pays, de vous dire ce qu'elle est, ce qu'elle fait, les sentiments qui l'animent ; de vous signaler les services qu'elle rend chaque jour, ceux plus importants encore que, peut-être un jour, elle sera appelée à vous rendre, et de vous dire enfin que, si ce jour doit bientôt arriver, ce qu'à Dieu ne plaise, vous pouviez avoir toute confiance dans l'armée, comme l'armée a toute confiance en vous.
M. Osy. - Messieurs, après le discours si énergique, si patriotique, si éloquent que M. le ministre de la guerre vient de prononcer, la tâche de ceux qui veulent des économies est bien difficile. Aussi je réclamerai toute votre indulgence, d'autant plus qu'il s'agit d'une question qu'il n'est pas dans mes habitudes de traiter.
Je suis, messieurs, intimement convaincu qu'en présence de la situation actuelle des finances du pays, nous devons faire tous nos efforts pour trouver des ressources nouvelles sans créer des impôts nouveaux, et je crois, d'un autre côté, que le plan que j'aurai l'honneur de proposer peut être admis sans que vous méconnaissiez les considérations sur lesquelles M. le ministre de la guerre s'est principalement appuyé. Je veux également une armée forte pour la défense du pays et pour le maintien de l'ordre intérieur. Cependant, quant aux éventualités de l'avenir, quant à une guerre que nous pourrions avoir à soutenir contre de puissants voisins, je vous avoue, messieurs, que j'en suis moins préoccupé que l'honorable ministre de la guerre, Quelles sont les puissances contre lesquelles nous pourrions tôt ou tard avoir à lutter ?
C'est au Midi, à l'Est et au Nord. Au Nord, nous n'avons aucune inquiétude à avoir, car si pendant la paix générale, nous avions des difficultés avec nos anciens frères, pas de doute que les puissances ne nous empêchent de nous battre, n'arrangent nos affaires, comme elles l'ont fait depuis 1831 jusqu'en 1842. Sous ce rapport donc, nous ne devons avoir aucune inquiétude, d'autant plus que la Hollande a elle-même réduit considérablement son armée.
Messieurs, en ce qui est d'avoir une guerre avec nos voisins du Midi ou de l'Est, ce serait la guerre générale ; si dans la guerre générale, nous étions envahis par une de ces puissances, ce serait de sa part déchirer le traité de reconnaissance de la Belgique ; et ce ne serait pas avec une armée de 80,000 hommes que vous pourriez vous défendre.
Si les puissances qui nous environnent avaient des difficultés entre elles, nous pourrions protester, mais pas nous battre ; car il nous serait impossible de tenir tête à une armée prussienne ou française qui viendrait en Belgique.
Ne perdons pas de vue qu'avec un pays couvert de forteresses comme la Belgique, vous avez besoin de 30,000 hommes pour garder ces forteresses ; vous ne pourriez mettre plus de 65,000 hommes sous les armes. La première classe ne serait pas exercée. Il y aurait encore au moins 5,000 hommes à décompter pour les condamnés et pour les malades ; vous n'auriez donc en définitive que 68,000 hommes.
Comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, je ne veux rien désorganiser. Le plan que je me suis tracé vous prouvera que votre armée, en réduisant à 15 régiments d'infanterie les hommes de cette arme, restera aussi forte en augmentant les compagnies ; mais je réduis les armes spéciales.
Messieurs, si l'éventualité d'une guerre générale se réalisait, vos sept régiments de cavalerie, 14 régiments d'artillerie seraient trop considérables pour tenir la campagne, et vous ne pourriez pas les mettre dans vos forteresses.
C'est surtout la situation financière qui me préoccupe. Nous sommes tous d'accord sur ce point, que nous finirons la session avec un déficit de 50 millions ; certainement, je reste en dessous des chiffres du gouvernement ; eh bien ces 50 millions nécessiteront des voies et moyens d'environ 3 millions ; eh bien, après avoir bien examiné la situation militaire, je trouve que nous pouvons réaliser là une économie de 3 millions ; alors le gouvernement sera à son aise pour faire un emprunt de 50 millions, et nous ne devrons pas chercher de nouveaux voies et moyens. Il est sans doute plus agréable de trouver des voies et moyens par des économies, que dans des impôts nouveaux contre lesquels tout le monde se récrierait, parce que la Belgique n'est pas dans une situation à pouvoir payer de nouveaux impôts.
Messieurs, nous avons 17 régiments d'infanterie ; tous les ministres de la guerre, sans exception, ont toujours dit que ces 17 régiments sont tellement faibles qu'en temps de paix vous ne pouvez pas avoir 25 soldais par compagnie ; eh bien, je réduis le nombre des régiments, et vous aurez 35 soldats par compagnie.
Messieurs, nous avons également sept régiments de cavalerie ; ces 7 régiments de cavalerie sont également très faibles. Je voudrais en réduire deux ; en réduisant deux et surtout un de grosse cavalerie, vous auriez un bon régiment, et en cas de guerre, vous pourriez l'augmenter d’un escadron. La gendarmerie devient tellement forte que vous pouvez très bien, comme cela a déjà eu lieu, immobiliser quelques escadrons de gendarmerie.
Quant à l'artillerie, pendant nos difficultés avec la Hollande, alors que nous avions 110,000 hommes, vous n'avez jamais eu que trois régiments d'artillerie, et tout d'un coup en temps de paix, on en crée un quatrième ! Ces quatre régiments vous donnent 152 bouches à feu de campagne ; il est impossible que vous utilisiez cette artillerie avec l'armée de 65,000 hommes.
Sous ce rapport, je propose la réduction de deux régiments d'artillerie ; deux régiments suffisent.
J'ai examiné avec attention le budget du ministère de la guerre ; et persuadé que nous ne désorganisons pas l'armée, en réduisant nos cadres, il ne me reste à parler que des officiers que nous aurons de trop.
En effet, vous aurez un nombre assez considérable d'officiers en trop. On me dira : « Ce sont des positions acquises, vous allez attaquer des positions acquises. »
Je crois, messieurs, que je ne mécontenterai personne, car quant aux officiers que nous aurons en trop, je les mets en disponibilité avec deux tiers de leur solde. Si je suis bien renseigné, lorsqu'en 1845 nous avons réglé l'organisation de l'armée, il y avait un régiment de cavalerie où l’on croyait que l'on adopterait ce système ; eh bien ! 21 officiers de ce régiment avaient demandé à être mis en disponibilité avec deux tiers de solde. Je tiens ce fait d'un officier général, et je le crois exact d'après les renseignements pris à d'autres sources encore.
Messieurs, je commencerai par les grades les plus élevés. Vous avez en 1845 décrété en activité de service 9 lieutenants généraux et 18 généraux-majors. Eh bien, je trouve ce nombre beaucoup trop considérable. Six lieutenants généraux et 12 généraux-majors suffiraient. Nous avons trois divisions militaires.
Un membre. - Nous en avons quatre.
M. Osy. - Vous pourrez très bien le faire. Vous avez un inspecteur pour l'artillerie et le génie et un inspecteur pour la cavalerie ; avec six généraux de division, nous pourrions aller ; nous en avons neuf. Pour les généraux-majors, c'est la même chose. Vous augmenterez votre réserve pour rester dans la proportion de la loi de 1845. Un service qui entraîne des dépenses considérables par les accessoires, est celui des commandants de province. Je voudrais que les provinces fussent commandées par des généraux de brigade. Il en résulterait une économie assez forte, comme vous pourrez le voir par le tableau que j'ai dressé. Une autre économie que l'on peut faire, c'est sur la distribution des fourrages. D'après le règlement, on ne peut donner de fourrages qu'aux officiers possédant réellement des chevaux dont le signalement doit être remis au département de la guerre. En cas de mort, le remplacement doit être constaté par acte authentique. Si mes renseignements sont exacts, vous pouvez trouver à faire là de 100 à 200 mille francs d'économie. Il y a des généraux qui n'ont jamais eu de chevaux et qui reçoivent quatre rations de fourrage. Je demande qu'on ne donne les rations de fourrage qu'en nature, et qu'on n'en délivre que quand la possession des chevaux est constatée, et qu'on ne donne plus rien en argent.
Je pourrais vous exposer en détail les chiffres des diverses économies que je voudrais opérer, mais ce serait trop long à lire, la chambre ne pourrait guère suivre attentivement une semblable lecture ; j'ai fait imprimer un budget à ma manière, calqué sur celui du gouvernement. Je demanderai la permission de le faire distribuer à mes collègues et de l'insérer au Moniteur, à la suite de mon discours. La lecture vous ferait perdre beaucoup de temps.
La somme de mes économies s'élève à 2,900,000 fr.
Maintenant, il me reste à vous dire quelques mots des nations qui nous environnent.
En Hollande, après la paix de 1842, les états généraux ont exigé des économies, ils ont réussi, et, certainement, les militaires en Hollande ont parlé comme vient de le faire M. le ministre de la guerre ; ils ont plaidé leur cause, et malgré cela, les états généraux ont réussi à obtenir un budget réforme. Je ne crois pas qu'on craigne pour la tranquillité.
D'un autre côté, il est à remarquer que la Hollande n'est pas un pays neutre, elle doit songer aux éventualités de guerre tandis que nous, nous n'avons besoin d'une armée que pour assurer la tranquillité intérieure. Sous ce rapport, je suis d'accord avec ce qu'a dit M. le ministre de la guerre. Eh bien, le budget de la guerre de la Hollande, pour 1845 n'était que de 9,485,000 fl.., soit 20,000,000 de francs. A cela je dois ajouter, comme dépense extraordinaire, 185,000 fl. ; pour l'artillerie, 430,000 ; pour la solde des officiers en non-activité, 785,000 ; ce qui fait 10,800,000 florins ou 21,600,000 fracs, sans les pensions.
Vous verrez dans les tableaux que le total est de 25,600,000 francs, mais il y a 4 millions de pensions.
Dans le budget de 28,600,000 fr. que le gouvernement nous présente, ne se trouvent pas comprises les pensions, qui s'élèvent à 2 millions et demi, ce qui le porterait à 31 millions. Eh bien, en Hollande, avec 4 millions de pension, le budget de la guerre n'est que de 25,600,000 fr. (page 440) Vous voyez qu'en réduisant le budget à 25 millions et demi, sans les pensions, il est encore de 5 millions supérieur à celui de la Hollande.
Maintenant peut-être me répondra-t-on en me citant la Bavière. Eh bien, d'après le budget de la guerre de la Bavière, que j'ai déposé après un voyage à Munich, je trouve que là le budget total, y compris les pensions, se monte à 6 millions 500 mille florins, soit en somme ronde 14 millions de francs. C'est un pays de 4 millions d'habitants comme le nôtre, avec cette différence qu'il n'est pas neutre et qu’il n'est pas centralisé comme le nôtre ; car la Bavière a des provinces du Rhin et un grand-duché. Or, si la Bavière peut défendre un pays beaucoup plus étendu que le nôtre, et qui a des obligations envers la confédération, avec un budget de 14 millions, je ne vois pas pourquoi nous devrions continuer à avoir un budget de 31 millions avec les pensions.
J'ai examiné quelle était l'armée de la Bavière avec le budget que je viens d'indiquer. J'ai trouvé qu'elle avait 1,834 officiers, 21,700 soldats, 32 mille hommes en congé, total 54 mille hommes. Pour une armée de 54 mille hommes la Bavière ne dépense que 14 millions 500 mille francs. Voilà son budget ; et elle a 7,536 chevaux.
D'après mon projet, je conserve sous les armes 1,796 officiers en activité, 25 mille soldats et 5,800 chevaux. Nous aurons en temps de paix une armée plus considérable que la Bavière. Si la Bavière, où l’on est plus turbulent qu'en Belgique, car il y a eu récemment des troubles...
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Si l'armée avait été plus forte il n'y aurait pas eu de troubles.
M. Osy. - C'est de plus un pays beaucoup plus étendu que le nôtre, qui a une frontière à garder du côté de la France ; si son armée lui suffit, je crois qu'avec une armée telle que je la propose, de 25 mille soldats, 1,800 officiers et 5,800 chevaux, nous n'avons rien à redouter ! que nous pouvons très bien être assurés de la tranquillité en réalisant une économie de 3 millions, de telle sorte que notre situation financière ne nous obligerait à apporter aucun changement à notre budget des voies et moyens. Ce n'est pas, au reste, notre situation financière qui me détermine principalement à prendre la parole pour demander des réductions au budget de la guerre. Mais je ne pense pas que l'on doive avoir en temps de paix une armée si forte. Si nous trouvons en temps de paix que c'est pour nous une difficulté immense de former notre budget, comment ferons-nous pour suffire aux dépenses d'une armée en temps de guerre ? Je crois donc qu'il faut revenir sur la loi de l'organisation de l'armée qui n'en est pas une, mais qui est simplement une loi d'application de ce qui existe.
Après le discours que vient de prononcer M. le ministre de la guerre, il est inutile de lui demander quelles sont, à cet égard, ses intentions. Comme je vois que le gouvernement ne vient pas nous donner les mains pour ce changement, je suis bien décidé à demander toutes les réductions possibles au budget de la guerre, et à repousser le budget par mon vote, si je ne les obtiens pas. Il n'y a dans cette opposition rien de personnel de ma part contre le ministère. Il m'en coûte extrêmement de venir demander des économies à un ministère qui a mes sympathies ; mais c'est pour moi une affaire de conscience, c'est, à mes yeux, une question d'existence pour la Belgique. Le gouvernement ne peut donc m'en vouloir d'énoncer cette opinion.
M. le président. - Le projet de budget déposé par l'honorable membre va être distribué aux membres de l'assemblée.
Plusieurs membres. - Est-ce comme amendement que ce projet de budget est présenté ?
M. Osy. - Il est impossible de présenter un amendement au budget de la guerre avant d'avoir reformé la loi d'organisation. Or cette question n'est pas à l’ordre du jour. (Réclamations.) C'est, messieurs, mon opinion ; je ne crois pas pouvoir réformer la loi d'organisation par des amendements au budget de la guerre.
M. Manilius. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Je comprends ce qui a suggéré à l'honorable M. Osy ses observations. C'est une opinion assez générale qu'il convient de réviser la loi d'organisation de l'armée pour sortir de la situation ; car sans toucher à la loi d'organisation, il est impossible de toucher au budget. Si nous voulons nous occuper réellement du budget, nous devons renoncer à nous occuper de ce qui a trait à la loi de l'organisation de l'armée. Si nous voulons, au contraire, suivre les traces de l'honorable M. Osy et aborder la question de la loi d'organisation il y a un moyen extrêmement simple, c'est que l'honorable membre, usant de ses prérogatives (et en cela, d'après ses convictions, il ne fera que remplir un devoir), dépose une proposition ayant pour objet la révision de la loi d'organisation ; nous traiterons alors cette question dont nous serons régulièrement saisis. Pour le moment, nous ne sommes saisis que du budget qui est le résultat de la loi d'organisation en vigueur. Vous pouvez réduire quelques chiffres, s'ils vous semblent trop élevés, sans toucher à la loi qui est votre œuvre. Vous ne faites qu'exécuter la loi organique, vous ne faites que ce que vous devrez fane aux autres budgets, par exemple au budget de la justice.
Quand nous arriverons à ce budget, je ne pense pas qu'il s'agisse de réorganiser l'ordre judiciaire. De même il ne peut s'agir aujourd'hui de réorganiser l'ordre militaire, parce qu'on vous demande de l'argent en vertu de la loi d'organisation.
Pour continuer la discussion dans le sens indiqué par l'honorable M. Osy, pour ne pas perdre notre temps, il faut qu'un de nous, avant la discussion du budget prochain, fasse la proposition de réorganiser l'armée. Sans cela nous devons revenir à la discussion des chiffres du budget résultant d'une loi qui est notre œuvre et que nous devons respecter.
M. Osy. - J'ai pensé qu'à l'occasion d'un budget il m'était permis d'émettre un vœu. J'ai émis l'opinion qu'il était possible de faire des économies.
Si nous étions occupés à la loi de réorganisation de l'armée, je présenterais des amendements. Il n'est pas question de cela. Mais j'ai voulu prouver qu'il est possible de faire des économies sans désorganiser l'armée.
Je crois qu'il m'était permis de dire mon opinion. C'est au ministre à la combattre ou à dire ce qu'il y aurait à faire.
M. Anspach. - La Belgique possède avec orgueil les institutions les plus libérales qui existent ; aucun pays ne peut lui être comparé sous ce rapport ; nous jouissons de toutes les libertés compatibles avec l'état de l'homme en société ; cette heureuse position qui n'a pas été acquise sans beaucoup d'efforts, sans beaucoup de sacrifices, est appréciée par tous les Belges quelles que soient leurs opinions politiques ; la nationalité belge est dans toutes les bouches et, ce qui vaut mieux encore, dans tous les cœurs. Comment donc se fait-il que nous ne soyons pas unanimes pour conserver tous les moyens, toutes les ressources dont nous pouvons disposer pour préserver de toute atteinte, autant qu'il est humainement possible, cette précieuse nationalité ?
C'est déjà vous dire, messieurs, quel sera mon avis sur les propositions qui vous sont faites pour une réduction de notre armée, cette année que je regarde comme une des colonnes les plus solides sur lesquelles repose notre indépendance ! Mais, me dira-t-on, il nous faut des économies, les impôts sont trop lourds, on ne peut pas les augmenter. Je dis aussi : Faisons des économies, mais des économies bien entendues ; ne les faisons pas aux dépens d'une institution qui est la défense et le soutien du pays. Quant à nos impôts, ils ne sont pas trop lourds ; mais ils sont mal répartis ; le pays est assez riche pour les supporter. Abaissons certains impôts qui pèsent également sur le riche et sur le pauvre, ce qui constitue une grande inégalité, puisque la somme la plus minime est d'un grand intérêt pour le pauvre tandis qu'elle est insignifiante pour le riche ; mais établissons-en de nouveaux qui n'atteignent que les fortunes. Le ministère, et je l'en félicite, vient d'entrer dans cette voie, en proposant un droit sur les successions directes ; c'est un excellent impôt qui n'atteint pas le pauvre et qui n'atteint que très faiblement celui qui reçoit, et qui par conséquent peut payer. Cet impôt mérite et obtiendra l’approbation générale.
Notre petite Belgique est plus importante que ne l'indique l'étendue de son territoire. Sa population, ses richesses, sa position géographique, le caractère de ses habitants en font un royaume sur lequel la politique européenne a toujours les yeux ouverts. Notre existence comme nation neutre importe à la balance politique qu'on a cherché à établir en 1815. N'est-il pas dès lors évident, messieurs, que si dans une guerre, nos voisins du Nord voulaient s'emparer de nous, nous aurions immédiatement du secours de nos voisins du Midi ? Mais ces secours, seront-ils assez prompts, assez efficaces ? Devons-nous exposer notre existence en la soumettant à des chances qui ne dépendent pas de nous ? Ce n'est pas mon avis, je suis de ceux qui veulent qu'on s'aide soi-même, et qu'on mette en pratique le précepte, devenu si célèbre, du bon Lafontaine : Aide-toi, le ciel t'aidera.
Qui doute qu'une armée de 50 mille Belges manœuvrant sur son propre territoire, appuyée par des places fortes, ne puisse arrêter pendant quelque temps une année forte même de plus du double qui viendrait pour occuper la Belgique ? Cette résistance permettrait à nos alliés d'arriver et pourrait changer complètement le résultat de la campagne.
L'armée, sous un point de vue secondaire, offre une carrière à nos jeunes gens, ce qui n'est pas à dédaigner à une époque où les abords de toutes les places sont encombrés. Ensuite si elle coûte beaucoup, ne croyez pas, messieurs, que les dépenses qu'elle occasionne soient sans compensation. Si vous en exceptez un certain nombre de chevaux achetés à l'étranger, elles sont toutes faites dans le pays, et y répandent le bien-être et l’aisance.
Voyez à combien de milliers de bras elles fournissent du travail ! voyez combien d'industries leur doivent leur existence et beaucoup leur prospérité ! Mais ce qui est bien plus important, elle est une garantie d'ordre public, et nous en avons eu la preuve sous nos yeux, lorsqu'il n'y a pas encore longtemps, à la suite de la disette, des désordres occasionnés par une affreuse misère ont éclaté dans quelques-unes de nos provinces, la présence de nos soldats a suffi pour les réprimer.
Dans un pays aussi libre que le nôtre, où l'on peut dire, écrire et faire tout ce que l’on veut et de la manière qu'on le veut, il faut que le gouvernement soit fort pour réprimer les abus qui pourraient surgir de ces mêmes libertés mal comprises, abus qui dégénéreraient en anarchie avec son cortège obligé de tous les désordres, de tous les excès auxquels peut se livrer une populace effrénée et dont un écrivain célèbre vient récemment encore de nous dérouler le sinistre tableau. Cette force, messieurs, par cela seul qu'on sait qu'elle existe, empêche bien des désordres, parce que ceux qui les excitent et qui ont intérêt à les exciter, voient peu de chances d'en faire leur profit. Cette dernière considération est la même, mais dans un autre ordre d'idées, touchent nos voisins du Midi et du Nord. On saura que l'occupation de notre pays ne pourra plus être l'affaire d'un coup de main, qu'on y sera reçu à coups de canon, que le terrain en sera disputé pied à pied et que ce ne sera que (page 441) sur le corps de nos braves soldats qu'on pourra y pénétrer ; ce sera donc le signal d'une guerre générale ! les chefs des nations y regarderont à deux fois.
En me résumant, messieurs, et pour répondre aux propositions qui vous sont faites d'opérer une réduction dans notre armée, je dis que je les repousse de toute la force de mes convictions, parce que je les crois funestes à notre indépendance comme nation ; je les repousse parce que je les crois funestes au maintien de l’ordre et delà tranquillité publique ; je les repousse enfin parce que je les crois funestes à l’opinion que l'on doit avoir à l'étranger de notre force et de la résistance que nous sommes décidés à opposer à une agression quelconque.
M. Eenens. - Messieurs, une grave question s'est soulevée à l'occasion de la discussion du budget de la guerre.
Cette question peut être envisagée sous deux rapports bien distincts :
Celui de l'armée, de la force militaire en elle-même, et celui du pays, eu égard à ses ressources et à sa situation financière.
Ce qu'il faut considérer d'abord, comme point fondamental, ce sont les ressources financières du pays.
Quel peut être le chiffre de ces ressources ? A quelle hauteur peut-il s'élever, sans que les besoins du trésor deviennent une charge trop lourde pour le contribuable ?
Si nous parvenons à connaître exactement ce que le gouvernement peut prélever sans obérer le pays, nous pourrons établir la répartition normale du budget des recettes, entre les divers départements du service public, nous la fixerons d'après l'intérêt général, et non d'après l'intérêt particulier de chaque ministère.
Mais il y a des réductions à faire subir aux charges publiques lorsque toutes les transactions qui alimentent la prospérité nationale sont paralysées, lorsque le commerce et l'industrie sont profondément atteints par la crise qui nous frappe ainsi que les Etats voisins. Faisons donc droit aux justes demandes d'économie, et que le budget de la guerre, comme tous les autres budgets, se prête, jusqu'au retour de temps meilleurs, à toutes les réductions possibles dans les dépenses.
Pour les dépenses de la guerre, il faut combiner de la manière la plus avantageuse au pays ces deux données, si difficiles à concilier :
L'armée doit être la plus forte possible, pendant la guerre.
L'armée doit coûter la moins possible pendant la paix.
C'est à la solution de ce problème que doivent tendre nos efforts.
Abordons successivement cette solution par les trois principaux éléments qui composent l'armée.
L'infanterie, l'arme la plus nombreuse, est celle où le soldat est le plus promptement exercé. Il est superflu de chercher à obtenir de lui une excessive régularité dans le maniement d'armes, une précision mathématique ; il suffit que, bien encadré, il sache exécuter, avec la promptitude et l'ordre suffisants, les quelques mouvements nécessaires sur un champ de bataille.
Je pense donc que le moyen le plus sûr d'obtenir de fortes économies sur cette arme, c'est de ne retenir le contingent que le temps strictement nécessaire pour le dresser.
J'ai suivi, avec attention, l'instruction des levées d'infanterie des divers régiments en garnison dans les mêmes villes que le régiment d'artillerie dans lequel je servais, et j'ai reconnu qu'en général l’adjudant-major les remettait bien exercés à leurs compagnies, au bout de deux mois. Puisque deux mois suffisent à cette instruction, on pourrait immédiatement après les former à la marche, en les envoyant au camp ; puis on les congédierait au retour.
Je crois qu'il n'est pas indispensable de conserver le soldat sous les drapeaux, presque uniquement pour lui faire monter la garde. D'après mon opinion, ce n'est pas à la caserne qu'il peut se former pour la guerre. La grande économie serait de le renvoyer le plus tôt possible dans ses foyers. Toute charge pour le trésor devrait cesser dès le retour du camp, où chaque régiment enverrait annuellement un bataillon, en y versant toutes les recrues de l'année, aussitôt après les deux mois consacrées à leur instruction. Il n'y aurait d'exception que pour quelques bataillons.
, Le campement serait de seize bataillons, au lieu de douze ; mais le rappel des miliciens en congé ne viendrait plus porter la perturbation dans les travaux auxquels ils doivent renoncer et qu'ils n'ont pas toujours la chance de retrouver, à leur retour, lors de la levée du camp.
Tous les trois ans, chacun de nos bataillons se rendrait au camp, véritable école pratique, en temps de paix, tandis qu'aujourd'hui son tour ne revient qu'au bout de quatre ans.
Les miliciens n'étant plus sous les armes que pendant 3 mois d'été, il serait rationnel de retrancher de leur habillement le pantalon de drap, l'habit et le shako. Quant à la capote, vêtement indispensable, dont la durée est de 4 ans, elle servirait à douze levées, et l'homme, à sa grande satisfaction, n'aurait plus à payer que le douzième de sa valeur.
Ainsi réduit, le premier équipement du milicien, congédié au bout de 3 mois, serait presque entièrement payé, et lors du congé définitif, il ne resterait qu'une dette bien minime à liquider.
Quant à la prévision d'une mise sur pied de guerre, il est inutile de dire que, pour assurer la prompte confection des effets d'habillement, il faudrait une réserve d'étoffes dans les magasins des corps. Cette confection s'effectuerait bien vite dans nos villes populeuses où la main-d'œuvre surabonde.
Ma proposition, je le sais, fera jeter les hauts cris à la routine qui a dominé si longtemps et sous le régime hollandais et sous le régime belge ; mais la continuation du système.ne saurait ébranler ma conviction.
Renvoyez dans ses foyers le milicien dès qu'il est suffisamment exerce, et vous aurez deux avantages :
Il n'est plus payé par l'Etat, bien qu'il soit apte au service militaire, si la guerre le réclame.
Rentré chez lui, il utilise son travail, et l'imputation qu'on lui adresse si fréquemment aujourd'hui de n'être qu'un consommateur improductif, ne lui est plus applicable.
Je ne partage nullement l'opinion qu'un séjour prolongé à la caserne, une année durant, puisse augmenter de beaucoup l'aptitude du milicien à la guerre. Ce qui lui manquera toujours, ce qu'on ne peut lui donner, pendant la paix, c'est le baptême du feu, que rien ne remplace, quelle que soit d'ailleurs sa perfection à manœuvrer sur la plaine d'exercice.
Les prescriptions réglementaires pour habituer progressivement à la marche les troupes en garnison sont, pour moi, la meilleure preuve qu'elles peuvent s'y faire sans transition. Dès lors, pourquoi des miliciens en congé, ouvriers travaillant à de rudes travaux, exposés aux intempéries de l'atmosphère, ne seraient-ils pas tout aussi propres à résister aux fatigues de la guerre, que s'ils étaient sous les drapeaux, à la caserne ?
Dans les circonstances difficiles où se trouve le pays, en face d'un accroissement de dépenses pour aider les populations nécessiteuses des Flandres, en face d'une augmentation d'impôts qui nous a été annoncée par le cabinet, j'appelle vivement l'attention de M. le ministre de la guerre sur le moyen que je lui propose pour réduire les dépenses du budget de la guerre.
Que les partisans du séjour prolongé du milicien sous les armes aient tort ou raison, n'importe ; je tiens à faire comprendre qu'il y a nécessité, urgence même, à adopter ma proposition ou telle autre qui tendrait à alléger les dépenses du service de la guerre, jusqu'à ce que le pays soit dans des conditions plus favorables.
L'Etat et le milicien, tous deux gagneront à ce que je propose, sans qu'on doive modifier en rien la loi organique de l'armée.
On ne peut dire que l'adoption de la mesure viendrait bouleverser l'armée. Toute dans l'intérêt du bien-être matériel et financier du pays, elle joint à une forte économie l'avantage de conserver les cadres qui sont toujours prêts à recevoir, en peu de jours, pour le pied de guerre, un nombre respectable de soldats tout dressés. Il est superflu de faire ressortir qu'au besoin, on conserverait à quelques bataillons destinés à la garnison des places les plus importantes l'effectif auquel ils auraient été portés pour aller au camp.
Je n'entrerai pas dans de plus amples développements sur l'arme de l'infanterie. Ce que j'en ai dit suffira, je l'espère, pour faire comprendre ma pensée à mes collègues et à M. le ministre de la guerre.
Je passerai à la cavalerie.
La cavalerie est l'arme la plus coûteuse ; on ne saurait l'improviser. Pour qu'elle soit bonne, il faut qu'elle ait le sentiment de sa force. La mauvaise cavalerie coûte autant que la bonne ; elle n'est qu'un embarras, et on ne saurait guère compter sur elle, car elle dépérit bien promptement en campagne.
Un homme de guerre dont personne ne contestera la longue expérience et l'esprit pratique, le maréchal Bugeaud, qui joint à sa réputation militaire celle d'agronome habile, a proposé l'établissement de troupes à cheval dans les grandes fermes, afin de parvenir à de fortes économies sur l'entretien de cette arme.
Cette idée est depuis longtemps réalisée en Suède où presque toute la cavalerie est établie dans des fermes et se livre à la reproduction des chevaux.
Les tendances pacifiques de l'époque, la volonté du pays d'arriver à des économies notables sur les dépenses de l'armée, doivent porter les esprits sérieux à prendre en mûre considération l'opinion émise par le maréchal Bugeaud de rallier à la production l'arme de la cavalerie. Il cite un résultat remarquable obtenu à Oran par le deuxième chasseurs d'Afrique, au milieu d'une guerre qui impose de grandes fatigues et des courses continuelles. Nous, qui vivons en paix et en repos, pourquoi ne pourrions-nous pas consacrer une partie de notre temps à un travail fructueux pour le pays, alors que d'autres trouvent simultanément le moyen et de cultiver et de faire la guerre ?
L'établissement de la cavalerie dans de grandes fermes n'est pas applicable en Belgique ; les propriétés y sont trop chères ; mais on pourrait acquérir dans la Campine et dans les Ardennes une grande étendue de bruyères, où l'on entretiendrait une partie des troupes à cheval.
Les travaux de défrichement seraient exécutés par l'artillerie montée, dont les chevaux de trait sont éminemment propres à cette destination. Lorsque les terres seraient mises en culture, l'installation de la cavalerie aurait lieu.
Hommes et chevaux seraient endurcis à la fatigue, habitués aux rigueurs de l'atmosphère, si dangereuses pour les chevaux qu'on entasse privés d'air dans les casernes, à l'intérieur des villes. Tous seraient propres à résister aux marches forcées.
L'entretien de la cavalerie sera réduit dans une forte proportion et le budget de la guerre allégé de beaucoup, si on occupe modérément aux travaux de culture les hommes et les chevaux, et qu'on utilise les engrais si précieux là où je propose d'établir les troupes à cheval.
Le duc d'Isly fait le calcul rigoureux des économies qu'on obtiendrait (page 442) pour un régiment de 700 hommes et de 700 chevaux, utilisés à la culture du grain et des fourrages qu'ils consomment. Il cite à l'appui de ses idées ce précepte bien connu en agronomie que le fumier d'un gros animal, s'il est bien employé, peut nourrir le bêle et l'homme qui la soigne.
N'oublions pas que nos escadrons de cavalerie en cantonnement étaient bien supérieurs, comme cavalerie, à ce qu'ils sont en garnison. Ceux qui furent casernes dans la bruyère de Merxplas étaient remarquables surtout par la vigueur et l'instruction des hommes et des chevaux, On pouvait dire, à juste titre, qu'ils étaient aptes à entrer en campagne et à y figurer honorablement.
Les escadrons destinés à faire le service dans quelques garnisons pourraient recevoir l'avoine de nos établissements agricoles de cavalerie, et les adjudications de fourrages qui absorbent de si fortes sommes aujourd'hui (plus de deux millions et demi), seraient réduites à la paille et au foin nécessaires à quelques garnisons.
On ne peut pas objecter que les chevaux de selle de la cavalerie sont impropres aux travaux de culture, car tous ils étaient employés à ces travaux en Allemagne et en Danemark avant leur acquisition pour la remonte.
Chacun de vous, messieurs, comprendra combien il est urgent d'adopter un système réellement économique, qui crée la nourriture des chevaux, qui assure leur conservation et pourvoit aux remontes.
On se plaint de l'insuffisance de la solde, de l'accroissement des dépenses, de la cherté des logements et des subsistances, dans les villes de garnison. Installés dans la Campine, les officiers dépenseraient moins et vivraient mieux, ce qui leur permettrait de se monter convenablement en chevaux.
Il me reste à parler de l'artillerie.
Ce que j'ai dit de l'impossibilité d'improviser la cavalerie s'applique à plus forte raison encore à l'artillerie, arme dont l'instruction est compliquée et difficile. Sa spécialité qui embrasse tant de branches diverses et notamment le service des pièces, la construction des batteries, la confection des munitions, nécessite l'exercice continuel du jugement de l'homme.
Un service moins uniforme et moins mécanique que dans les autres armes y développe l'intelligence du canonnier et le rend propre à tout genre de travail, lorsqu'il est bien dirigé.
: Dans l'artillerie montée, la moitié des canonniers sont chargés de la conduite et des soins des chevaux d'attelage.
Elle réunit ainsi, par son organisation, les deux éléments de tout travail agricole, la main-d'œuvre et les moyens de transport.
Quelques batteries pourraient être organisées pour l'opération même du défrichement du sol des bruyères. Les autres batteries viendraient, comme je l'ai dit pour la cavalerie, s'installer successivement, après la mise en culture.
Les travaux de l'agriculture n'absorberaient les bras et les attelages qu'à l'époque des semailles et à celle des récoltes. Le reste du temps serait, en majeure partie, disponible pour l'instruction militaire. Pendant l'hiver on utiliserait les attelages à la construction de routes pavées.
Les batteries attelées se rendraient, chaque année, au camp ou au polygone pour manœuvrer avec les autres armes et tirera la cible.
J'indiquerai encore un autre moyen d'économie. Le nombre trop considérable de forteresses que la Belgique doit entretenir pendant la paix, et qu'elle aurait à garder pendant la guerre, est à la fois une source de dépenses et une cause de faiblesse.
Il lui serait donc doublement avantageux, au point de vue économique, comme au point de vue militaire, de raser toutes celles qui ne sont pas indispensables à un bon système de défense.
On réduirait dans une très forte proportion les frais d'entretien des fortifications et des bâtiments militaires, frais qui s'élèvent à un chiffre considérable, comme le prouve le budget de la guerre.
Les sommes qui en proviendraient pourraient être momentanément utilisées au point décisif de la défense du pays, point où l'on concentrerait, selon toute apparence, le gros de nos forces, pour les opposer en un seul faisceau aux moyens agressifs dirigés contre la Belgique.
Toute dissémination de forces est une cause de faiblesse. Nos forteresses nous obligent à disséminer et à immobiliser une partie de nos forces.
Les places de guerre ne sont réellement utiles que lorsqu'il convient à l'ennemi de conduire ses opérations dans leur voisinage. Si au contraire il les évite, toutes les ressources qu'elles renferment, hommes, artillerie, vivres, argent sont complètement inefficaces parce qu'on ne peut en disposer là où la question se décide, là où leur absence peut assurer le succès de l'ennemi.
L'armée, avons-nous dit, doit coûter le moins possible pendant la paix ; elle doit être la plus forte possible pendant la guerre.
Je crois avoir suffisamment démontré qu'on tendrait à ce premier résultat en Belgique, en combinant avec prévoyance et économie les trois principaux, éléments qui composent l'année : l'infanterie, la cavalerie et l'infanterie.
Quant au second point, c'est-à-dire pour que l'armée soit la plus forte possible pendant la guerre, il faut que ses rangs puissent instantanément se grossir d'un grand nombre de soldats, déjà dressés et prêts, au premier appel, à se ranger sous les drapeaux.
Il faut que toute notre organisation tende à faciliter le passage du pied de paix au pied de guerre.
Il faut aussi que notre système de défense, bien déterminé, bien clair, bien précis, ne laisse ignorer à aucun le rôle qu'il aura à remplir.
Chacun alors pourra s'y préparer de longue main, tandis que, s'il fallait tout créer au dernier moment, ou aurait à craindre des tâtonnements infructueux, des contre-ordres fréquents qui, venant user le zèle et fatiguer la bonne volonté, ne laisseraient guère de chance de mener les opérations de la guerre à une issue favorable.
Voilà les moyens que je propose et que je recommande à l'honorable ministre de la guerre, pour qu'on se décide une bonne fois à satisfaire au vœu général exprimé par le pays, de diminuer, dans une forte proportion, le budget des dépenses pour la guerre.
M. Lebeau. - L'honorable député d'Anvers, fidèle à ses antécédents et à de très sincères convictions, est venu proposer de faire subir au chiffre du budget de la guerre une réduction considérable.
Je dis, messieurs, que l'honorable M. Osy est fidèle à ses convictions et il les a exposées, nous lui devons cette justice, à une époque où elles étaient moins populaires peut-être qu'elles ne paraissent l'être en ce moment. Je suis bien aise de rendre cette justice à l'honorable préopinant.
Mais nous, qui ne partageons pas ces convictions, nous qui, en venant combattre d'intempestives réductions sur le budget de la guerre, restons aussi fidèle à nos antécédents et à de sincères convictions, nous avons le droit de réclamer pour notre opinion dissidente la justice que nous nous plaisons à accorder à l'honorable député d'Anvers.
Oui, messieurs, par un de ces revirements d'opinion qu'il vous a été donné de voir s'opérer à plusieurs reprises depuis notre organisation politique, la cause de l’armée, à en juger d'après quelques symptômes extérieurs, semblerait avoir perdu de sa popularité.
Messieurs, s'il en était ainsi, savez-vous quel serait le sens de ce revirement d'opinions ? Ce serait une nouvelle preuve fournie à l'appui de cette assertion que si le gouvernement démocratique, et le nôtre a essentiellement ce caractère, comporte le développement d'une foule de qualités morales et intellectuelles, mais que la prévoyance n'est pas au nombre de ces qualités.
Et, messieurs, ce n'est pas moi seul qui le dis. Je le dis après une autorité qui ne sera suspecte à aucune des opinions qui divisent cette chambre ; je ne fais que répéter ici la substance des paroles de l'illustre Washington : La démocratie est essentiellement imprévoyante.
Messieurs, si l'espèce de préjugé populaire, qui prend sa source dans un désir bien légitime d'économie dans les dépenses de l'Etat, avait véritablement acquis une grande consistance dans le pays, notre devoir à nous ne serait pas de courber la tête devant un tel préjugé. Notre devoir à nous serait de chercher à le détruire, de chercher à éclairer la nation. Nous avons été envoyés ici, messieurs, par des hommes qui avaient confiance, non seulement dans notre patriotisme, mais aussi dans nos lumières, par des hommes qui, en nous accordant leurs suffrages, avaient la conviction que nous connaissions aussi bien qu'eux, sinon mieux qu'eux, quels sont les véritables intérêts du pays ; c'est pour cela, ce ne peut être que pour cela qu'ils nous ont envoyés dans cette enceinte.
Ce n'est pas de gaieté de cœur, croyez-le bien, messieurs, qu'on se décide à lutter contre ces tendances vers des réductions dans les charges publiques. Il faut, pour remplir cette mission souvent ingrate, un profond sentiment des devoirs attachés à la position qu'on a l'honneur d'occuper.
Il y a parfois du danger.je le sais, à défendre un grand intérêt qui n'est pas suffisamment compris ; mais ce danger, il faut savoir l'affronter ; et, quant à moi, jamais, quelles que soient les éventualités auxquelles pourrait m'exposer l'expression d'une opinion à laquelle faillirait une popularité éphémère, je ne reculerai jamais devant son émission sincère, loyale et complète.
Ah ! messieurs, si des autorités imposantes, si des hommes compétents, après une étude approfondie, faite avec la conscience des dangers que peut courir le pays, des véritables besoins de notre état militaire, venaient nous apporter ici un budget de 25 millions, je serais le premier, tous mes honorables amis, qui résistent à ces invitations d'opérer des économies considérables, mes amis et moi, nous serions les premiers à battre des mains, à porter, en quelque sorte, sur le pavois le ministre de la guerre qui viendrait faire une pareille proposition. Nous accueillerions avec empressement, avec reconnaissance le ministre prudent, expérimenté, qui viendrait nous dire qu'il peut convenablement organiser notre état militaires avec un budget ainsi réduit.
.Mais l'honorable M. Osy, quelque confiance que j'aie dans sa sagacité, me permettra, sur ce point, de préférer l'opinion de M. le ministre de la guerre, homme du métier, à celle de l'honorable membre. M. Osy ne peut avoir la prétention, quelle que soit d'ailleurs son aptitude à traiter la plupart des questions qui se présentent dans cette enceinte, il ne peut pas avoir la prétention de lutter ici avec toutes les spécialités. L'opinion de l'honorable M. Osy, d’ailleurs, aurait bien plus de poids si elle était consacrée, comme celle de M. le minière de la guerre, par la responsabilité. Ah ! si l'honorable M. Osy, après avoir fait des études longues et pénibles, après avoir acquis l'expérience des véritables besoins de notre état militaire, était au banc ministériel et venait nous donner pour gage, non de sa sincérité, je n'ai besoin pour cela que de ses paroles, mais de la manière approfondie dont il a étudié toutes les questions engagées dans ce grave débat ; s'il mettait comme enjeu, au besoin, son (page 443) portefeuille, alors l'opinion de l'honorable M. Osy aurait beaucoup plus de poids qu'elle n'en a maintenant pour moi.
.Messieurs, l'opinion publique, ce que du moins on produit comme telle, ne me paraît pas avoir conservé toujours, à l'égard de l'armée, ce juste milieu qui, ordinairement, en toutes choses, est la vraie sagesse. Il me souvient qu'à certaines époques, voisines de notre régénération politique, les ministres de la guerre étaient harcelés par l'opinion publique, par le congrès, par cette chambre, non. messieurs, pour faire des économies, mais parce qu'ils ne demandaient pas assez d'argent à la législature, pour organiser notre état militaire. Un ministre de la guerre, qui se montrait sobre de demandes de crédits, était presque exposé au soupçon de trahir. Aujourd'hui, messieurs, par un revirement singulier, on viendrait proposer des réductions susceptibles, si elles étaient immédiates de désorganiser complètement notre état militaire. Si c'était là l'opinion publique vraie, il faudrait dire que le pays ressemble quelque peu à ces marins qui, au moment de la tempête, se mettent à genoux devant la madone, et qui, lorsque le calme est revenu, se disposent à la mettre en pièces.
Non, ce n'est pas là la véritable opinion publique, et j'ai la conviction que le vote de la chambre prouvera que si elle veut des économies, c'est à la condition du maintien de tous les services publies et surtout de celui sur, lequel repose une des plus grandes garanties de l'indépendance nationale et de la sûreté intérieure du pays.
Messieurs, on a beaucoup parlé, dans des séances antérieures, et je me crois moins incompétent pour cette partie du débat que pour d'autres, on a beaucoup parlé de la neutralité belge. A entendre plusieurs de nos honorables collègues, il suffit qu'on ait inscrit dans notre droit public le principe de la neutralité pour que nous n'ayons plus besoin d'armée, ou, au moins, pour que nous n'ayons plus besoin que d'une armée dont le rôle serait réduit au maintien de l'ordre intérieur.
.Cette idée, il faut la combattre comme une des plus fâcheuses qui puissent se propager dans les esprits.,
La neutralité, messieurs, pour les uns ce n'est rien, c'est un chiffon de papier ; et pour les autres, elle remplace complètement notre état militaire, qui devient une ruineuse superfluité. Eh bien, messieurs, ni l'une ni l'autre de ces opinions n'est soutenable ; la neutralité n'est pas un chiffon de papier, c'est, au contraire, un principe très important écrit dans notre droit public ; mais la neutralité n'est pas à elle seule non plus complètement suffisante, indépendamment d'une force militaire.
Remarquons, d'abord, que nous ne sommes pas seuls intéressés au maintien de la neutralité. Ou a quelquefois parlé de la nécessité de se protéger contre notre voisin du Nord ; eh bien, messieurs, quant à moi, je crois qu'aucun danger ne peut venir désormais de ce côté ; je crois que nous avons au-delà du Moerdyk, non pas un adversaire, mais un allié naturel ; je crois que, pour tous les hommes d'Etat de la Hollande, l'inviolabilité la neutralité du territoire belge sont des garanties imposantes, précieuses de l'inviolabilité, de la neutralité du territoire hollandais.
Jamais, à aucune époque de son histoire, la Hollande ne s'est crue en sécurité, le jour où le territoire des anciens Pays-Bas autrichiens a été entamé.
La preuve de cette tradition politique chez tous les hommes d'Etat de la Hollande, c'est la succession de ces humiliants et odieux traités de la barrière qui ont été conclus, pour préserver notre pays de l'invasion de l'étranger, uniquement par suite de cette conviction que les Pays-Bas autrichiens ne pouvaient être entamés, sans que la sécurité de la Hollande fût menacée.
Eh bien, ces traditions n'étaient pas de circonstance, elles sont permanentes ; c'est encore, croyez-le bien, la conviction de tous les hommes politiques de la Hollande, et par une entente toute naturelle, par une prévoyance commune, la Hollande et la Belgique, dans le cas où l’orage s'annoncerait à l'horizon, devraient être préparées à combiner leurs forces, à mettre ensemble deux budgets de cent millions, deux armées de 100,000 hommes, non pour guerroyer, mais pour dire à nos grands voisins qui voudraient s'attaquer : « Passez à côté ; ne vous donnez pas rendez-vous chez nous ; rencontrez-vous comme vous le pourrez ; si vous voulez passer par chez nous, vous passerez d'abord sur le corps de 200,000 hommes, armés pour défendre leur nationalité respective. »
Et pourquoi les grandes puissances auraient-elles intérêt à violer la neutralité belge ?... La neutralité belge, croyez-le bien, messieurs, n'a pas été inscrite dans le droit public européen, pour l'intérêt exclusif ou prédominant de la Belgique ; la neutralité belge a été inscrite dans le droit public européen, avant tout, dans l'intérêt des grandes puissances elles-mêmes.
Et déjà, dans l'intérêt des grands cabinets, cette neutralité a été recommandée par un des plus grands génies qui aient apparu sur la scène politique au moment de la grande révolution de 1789 ; déjà l'illustre Mirabeau avait présenté à l’attention de l'Europe la neutralité des Pays-Bas autrichiens, érigés en Etat indépendant, comme un des plus grands éléments, une des plus grandes garanties de l'harmonie et d'un sage équilibre entre les puissances.
A la tribune française, tous les hommes d'une véritable valeur politique se sont accordés à dire que la neutralité belge, pratiquée sincèrement, loyalement, fortement appuyée, valait pour la France, autant au moins que l'occupation, que l'incorporation, quant à la question de sa défense. C’est ce que M. Thiers a dit plusieurs fois à la tribune de France.
Mais aussi M. Thiers, non plus à la tribune, mais dans des conversations particulières, ne s'est pas fait faute de dire souvent : La neutralité belge n'est rien, tant que la Belgique n’aura pas un état militaire imposant, capable de protéger cette neutralité, de la traduire en un état sérieux, et respectable pour tout le monde.
La presse allemande, l'opinion de l'Allemagne elle-même, a pris également la neutralité belge très au sérieux. Je demanderai à la chambre la permission de lui faire connaître, à ce sujet, une opinion fort respectable, eu égard aux relations que l'auteur même de cette opinion a avec l'Allemagne.
Voici comment M. Arendt, dans son excellent traité sur la neutralité belge, s'exprime sur l'opinion de l'Allemagne à l'égard de cette même neutralité.
« Les événements de 1840 ayant fait craindre une guerre avec la France,, l'opinion s'en émut vivement dans tous les pays de la confédération ; de tous côtés on se mit à étudier les moyens de repousser l'agression d'un si redoutable voisin : on dressa des plans de campagne, on examina les points les plus favorables à l'attaque et à la défense, les chances probables de l'une et de l'autre. On fut ainsi amené tout naturellement à se' demander quel serait le rôle de la Belgique dans un conflit qu'on croyait prochaine Au commencement on fut presque unanime à ne pas croire à la conservation de sa neutralité. Les sympathies de la nation, disait-on, sont pour la France ; le gouvernement, quand même il voudrait s'en tenir à la position que les traités lui ont faite, sera entraîné et forcé en quelque sorte à ouvrir sa frontière et ses forteresses aux troupes françaises et à joindre son armée à ces dernières pour marcher contre nous
« On fut si convaincu que telle serait la conduite de la Belgique, qu'on bâtit des plans entiers de campagne sur cette supposition. Plusieurs écrivains militaires la prirent pour point de départ dans l'exposé de leur combinaison stratégique. Survint alors la déclaration si catégorique du gouvernement belge de vouloir maintenir une neutralité loyale, sérieuse et forte, déclaration qui fut corroborée par l'altitude calme et ferme à. la fois du pays, qui ne montrait aucune espèce de disposition à embrasser tel parti plutôt que tel autre dans la lutte entre la France et les puissances.
« Ces faits donnèrent à réfléchir : on étudia de nouveau et d'une manière moins superficielle et moins prévenue, les questions qui, se rattachent à la conservation de la neutralité belge. Il s'opéra alors un revirement dans l'opinion qui bientôt fut complet, au point que, dans des écrits publiés sur le système de défense à adopter par l'Allemagne en cas d'une guerre avec la France, on alla jusqu'à baser tous les plans sur cette neutralité. »
Messieurs, on a souvent cité comme une preuve de la faiblesse qu'offrait cette garantie de la neutralité inscrite dans le droit public européen, ce qui s'est passé en Suisse en 1814. Il faut lire ce qui a. été déclaré alors par les puissances qui ont occupé le territoire helvétique. Il faut se rappeler surtout qu'aux yeux de l'Europe, la Suisse, placée sous le protectorat de la France, n'avait plus, à leurs yeux, son caractère de neutralité. Voici comme, tout en entrant en Suisse, les cours alliées se sont expliquées à l'égard de cette neutralité.
Décision des puissances alliées, en 1814 :
« Le but qu'on s'est proposé a conduit sur les frontières de la Suisse les armées des souverains alliés, et les force, pour la continuation de leurs opérations, de traverser une partie du territoire suisse. Aux yeux du monde, cette démarche est peut-être suffisamment justifiée par la nécessité qu'impose une entreprise dont la justice est généralement reconnue ; cependant une considération d'une si haute importance ne paraîtrait pas suffisante aux puissances alliées, si la Suisse se, trouvait dans une situation qui lui permît d'opposer aux progrès de leurs armes une neutralité légitime et véritable. Mais la Suisse est si peu dans ce cas que tous les principes du droit des gens autorisent à regarder comme nul ce qu'aujourd'hui elle appelle sa neutralité. »
Nous n'avons pas à examiner si cette déclaration est bien sincère ; mais ce que nous pouvons dire, c'est que chaque fois qu'il s'agirait de violer sans prétexte à l'avenir un principe écrit dans les traités, on aurait à y réfléchir mûrement. A mesure que les nations s'éclairent, à mesure qu'il s'établit entre elles une sorte de droit des gens, une sorte de droit nouveau, une opinion qui finira par devenir dominante en Europe, la violation des traités devient de plus en plus difficile. On se souviendra longtemps de ce qui s'est passé il y a peu de temps pour la petite république de Cracovie dont la neutralité était écrite dans les traités et ne s'appuyait malheureusement que sur un chiffon de papier. Cet événement a eu un retentissement immense, et peut-être cette violation du droit européen est-elle destinée à produire un jour de graves conséquences. Quoi qu'il en soit, cela doit nous apprendre ce que c’est qu'une neutralité, une nationalité abandonnée à elle-même, et impuissante à se protéger.
Messieurs, je me souviens que dans les premières années de notre régénération politique, chaque fois qu'ici on manifestait quelque confiance dans le maintien de la paix, on était accusé de se livrer à des utopies. Chacun voyait la guerre générale, la guerre de principes inévitable. Aujourd'hui, par un revirement complet d'opinion, il semble que nous soyons en face d'une paix perpétuelle et inaliénable ; il semble qu'il n'y ait plus dans les événements si divers, si compliqués du monde politique rien qui puisse amener une conflagration. Etrange optimisme ! En présence de cette question d'Espagne, qui déjà dans les siècles passés a engendré de longues et sanglantes guerres ; en présence du réveil (page 444) complet de l'Italie, à côté de l'Autriche, inquiète et menaçante de ce réveil, qui alarme jusqu'à la Russie elle-même ! lorsque sept années nous séparent à peine de cette question d'Orient qui a été sur le point de mettre le feu aux quatre coins de l'Europe ! En présence de cette affaire de la Suisse qui a eu un dénouement si inattendu même de ceux qui avaient pour la diète les plus vives sympathies ! En présence de l'attitude que prennent à l'égard de la Suisse, quatre des plus grands gouvernements de l'Europe ! Eh, messieurs, ne savons-nous pas que depuis les événements de 1840, la plus grande garantie de la paix de l’Europe a disparu, l'union intime de la France et de l'Angleterre ? Nous croirions à la paix perpétuelle, la sécurité serait entrée dans tous les cœurs, le calme et la confiance seraient dans les esprits, la quiétude la plus complète existerait, et la simple perspective d'un changement éventuel de règne dans un pays voisin remplit d'anxiété, tient palpitants de crainte, tous les Etats de l'Europe ! Et ce serait dans un pareil moment qu'il faudrait s'exposer à faire à notre armée des réformes intempestives, des réformes radicales, sans même les faire précéder d'études sérieuses ! Il faudrait s'engager dans une voie qui pourrait aboutir à une désorganisation de notre état militaire ! Non, messieurs, aucun de vous ne peut le vouloir sérieusement, persévéramment.
Le malheur de l'armée belge, je vais le dire à la chambre et au pays, c'est de n'avoir pu prouver sur les champs de bataille son courage, son dévouement, son patriotisme. Mais ce malheur, est-ce à elle qu'il faut l'imputer ? Ne sont-ce pas les pouvoirs publics qui, lorsqu'au signal du chef de l'Etat, ivre de joie et de bonheur, je puis le dire, je l'ai vu, elle était prête à s'élancer sur les champs de bataille, ce sont vos décisions qui ont enchaîné son courage, qui ont brisé dans ses mains l'arme qu'elle brandissait avec enthousiasme.
L'armée alors, bien loin d'avoir démérité du pays, a acquis de nouveaux droits à son estime, à sa reconnaissance, car l'armée, la douleur dans l'âme, n'a pas poussé un seul cri de reproche, la discipline la plus sévère n'a cessé de régner dans ses rangs, et on doit lui tenir autant compte de l'abnégation si pénible qu'elle a montrée alors que de l'héroïsme qu'elle était prête à montrer sur les champs de bataille. Partout ailleurs, peut-être, une autre armée, en présence de la bonne fortune qui lui aurait manqué, comme à la nôtre, de s'associer à la conquête de l'indépendance nationale, de propager la gloire du pays et sa puissance, ne se serait pas résignée si facilement ; mais croyez-le bien, l'inaction de l'armée a été pour elle une véritable torture morale.
Loin de nous l'idée de nous complaire à éterniser dans notre pays un était militaire imposant, qui pourrait être au-dessus de nos moyens ! Nous appelons de tous nos vœux le moment où les gouvernements européens, poussés par une nécessité impérieuse, par leur situation financière, seront forcés de désarmer. Au moment où le désarmement commencera, nous serons heureux de suivre les grandes puissances dans cette voie ; c'est avec une véritable satisfaction civique que, de commun accord avec le chef responsable du département de la guerre et de ses collègues, nous procéderions à un dégrèvement notable du budget de la guerre. Mais, messieurs, ne procédons pas avec précipitation, ne faisons pas un acte d'imprévoyance dont nous pourrions avoir bientôt à nous repentir.
Savez-vous bien que faute par vous d'avoir donné à votre gouvernement les moyens de sauvegarder votre nationalité et l'intégrité du territoire, savez-vous ce qui arriverait si nous subissions une seule occupation ? Savez-vous ce qui arriverait si l'on se donnait encore une fois, comme on l'a déjà fait tant de fois, rendez-vous dans les plaines de la Belgique pour vider un sanglant conflit ? Une seule occupation absorberait dix de vos budgets, non pas dix budgets de la guerre, mais dix fois le budget de l'Etat. Parlerai-je de vos champs ravagés, de vos villes brûlées ! Et qui sait même si votre nationalité survivrait à une telle conflagration ?
Ah ! oui, il peut y avoir une certaine popularité plus ou moins superficielle dans les tentations d'opérer des réductions exagérées sur le budget de la guerre. Mais si les événements auxquels je fais allusion venaient à s'accomplir, ce ne serait plus de la popularité, ce seraient des malédictions que recueilleraient ceux qui auraient exposé le pays à de pareilles catastrophes.
Messieurs, tâchons de juger les choses sainement ; défendons-nous toujours de l'exagération. Quel est le peuple, je le demande, qui a conquis son indépendance au prix de la nôtre ? Est-ce la Suisse, qui a eu des guerres séculaires avec l'Autriche avant de faire reconnaître son indépendance ? Sont-ce les Provinces-Unies, qui ont lutté pendant près d'un siècle contre l'Espagne avant d'être reconnues par leur ancienne métropole ? Sont-ce les Etats-Unis ? Mais je voyais tout à l'heure encore que, selon un historien moderne, la seule guerre de l'indépendance a coûté aux Etats-Unis 350 millions de francs.
Lisez les historiens de la Turquie et de la Pologne ; lisez celui qui passe pour le plus consciencieux, le plus vrai, Rulhière, et vous y verrez à chaque page que la désorganisation militaire a été la principale cause de l'affaiblissement notable de la Turquie et de l'anéantissement de la Pologne. Là le courage ne manquait pas plus qu'en Belgique ; il a été porté souvent jusqu'à l'héroïsme ; mais c'a été une nouvelle preuve que le courage et l'héroïsme sont impuissants lorsqu'ils ne sont pas secondés par une forte organisation militaire.
Vous parlerai-je maintenant des nécessités que je puis appeler intérieures et qui recommandent à votre attention la plus sérieuse le maintien d'une organisation militaire imposante ? Il me restera peu de mots à dire sur ce point après les observations si claires, si pratiques, dans lesquelles sont entrés M. le ministre de la guerre et l'honorable M. Anspach.
Il est évident que dans un pays comme le nôtre où de grands centres industriels et manufacturiers sont pour ainsi dire placés à côté les uns des autres, où une crise soit alimentaire, soit industrielle, peut jeter souvent dans la rue des populations que la misère prépare aux suggestions des factions et de l'anarchie ; il est évident dis-je, qu'il y a nécessité d'avoir une bonne et forte armée. Et ne croyez pas, comme on l'a dit souvent, que la gendarmerie puisse suffire à réprimer de pareils désordres ; je sais pertinemment par ce qui s'est passé dans une de nos grandes villes industrielles, où la misère avait fait naître de fâcheux désordres, que sans le secours de l'armée régulière, la gendarmerie aurait peut-être payé de sa vie et payé inutilement le tribut qui lui était imposé. Non pas, à Dieu ne plaise ! que j'appelle contre des hommes égarés une répression sanglante et cruelle. Mais, comme l'a si bien dit M. le ministre de la guerre, savez-vous quand le besoin d'une répression sanglante n'arrive pas ? C'est quand il y a conscience profonde dans les masses de l'inutilité de leurs attaques et certitude du triomphe de la force publique.
Vous avez, dit-on, pour assurer le maintien de l'ordre public, le concours de la garde civique. C'est là sa mission, c'est là son rôle. Je ne demanderais pas mieux que de pouvoir partager cette opinion, je ne demanderais pas mieux que de voir la garde civique recevoir une organisation analogue à celle des gardes nationales de France ; mais ouvrons les yeux ; voyons ce qui se passe, et ne nous repaissons pas d'utopies. Est-ce que depuis 17 ans, nous ne nous sommes pas consumés en efforts stériles pour organiser la garde civique ?
Est-ce qu'à tous les efforts du gouvernement on n'a pas répondu par une invincible répugnance, par une force d'inertie devant laquelle tout à peu près a échoué ?
La cause de cela, c'est que nous n'avons pas, comme nos voisins du Midi, cet esprit militaire qu'enfante peut-être le système de centralisation qui existe depuis des siècles en France, et qui s'accorde moins avec des traditions et des mœurs pour ainsi dire fédératives ? Ici l'on est avant tout, industriel, agriculteur, commerçant, artiste, mais on est très peu soldat. Qu'on essaye encore d'organiser la garde civique sur une grande échelle, nous accueillerons de nos vœux les efforts du cabinet ; mais nous devons le dire, nous avons peu de confiance dans les résultats de ces efforts.
Et puis, s'il y a de la part de notre bourgeoisie cette répugnance à s'organiser militairement, alors qu'il s'agit de faire un service purement intérieur, purement municipal, je vous demande quel service vous pouvez attendre d'une pareille milice le jour où il faudrait se dépayser, aller à la rencontre de l'ennemi, à l'extrémité du royaume !
J'admets le civisme, le patriotisme de la garde civique à l'égal de l'armée ; mais alors encore l'organisation militaire, le nerf d'une force armée, pouvez-vous espérer de la trouver dans les rangs de la garde civique comme dans les rangs de l'armée ? Ce serait encore là une utopie, personne n'y peut penser.
Malgré toutes ces considérations qui ne me permettent pas de répondre quant à présent à l'appel de plusieurs de mes collègues sur le terrain des réductions, je n'hésite pas à dire que de toutes parts M. le ministre de la guerre doit être convié à étudier l'organisation de l'armée sous le point de vue des réductions possibles, éventuelles, prudentes, de nos dépenses.
: Sous ce rapport je ne suis pas assez compétent pour me prononcer ; : mais, je dois le penser, quelques considérations présentées par un homme du métier seront probablement abordées par le chef du département de la guerre. Je veux parler de l'honorable colonel Eenens. J'oserai, moi, soumettre à mon tour une idée. Je dois le dire, j'ai souvent entendu exprimer certaine opinion défavorable à l'armée par suite de l'impulsion qu'on recevait du spectacle de son inaction absolue. Ce sont, comme on le disait tout à l'heure, des consommateurs improductifs.
Je, réponds encore à cette dernière observation, que l'armée n'est pas oisive par goût ; je l'ai déjà dit ; je ne reviendrai pas là-dessus. Mais alors que l'armée est condamnée à cette oisiveté par le maintien de la paix, ne serait-il pas possible de l'utiliser dans des travaux purement pacifiques ?
Ou a fait des essais, ailleurs. Je ne suis pas sûr qu'ils aient été partout couronnés du succès. Mais je compte assez sur l'indépendance d'esprit de M. le ministre de la guerre et sur l'intérêt qu'il porte à l'armée, pour qu'il renouvelle ces essais, s'il ne considère pas ce qui a été fait ailleurs comme des utopies.
S'il y avait quelque préjugé dans les rangs de l'armée pour un travail qui pourrait en quelque sorte passer pour un travail purement bourgeois, purement civil, il appartiendrait encore à un esprit aussi distingué que M. le ministre de la guerre de combattre ce préjugé, et de rappeler que dans toutes les conditions le travail n'a jamais dégradé et qu'il a toujours honoré.
J'attends beaucoup sous tous ces rapports de l'honorable général qui est à la tête du département de la guerre. J'ai foi dans ses convictions, parce que ces convictions, elles ne lui sont pas absolument propres et exclusives. J'ai vu aussi un autre honorable général, un homme de cœur, tomber devant vous martyr de convictions pareilles. Oui, messieurs, j'ai foi, je l'avoue, j'ai foi dans les convictions qu'on n'arbore pas pour arriver au pouvoir, mais qu'on soutient même aux dépens de son portefeuille.
M. Thienpont. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission de circonscriptions cantonales sur le projet de loi relatif à la suppression d'un des cantons de justice de paix d'Audenarde.
Depuis la présentation de ce projet, une pétition nous est arrivée de la part de l'administration centrale de Renaix qui réclame des modifications au projet du gouvernement. La commission propose le renvoi à M. le ministre de la justice.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
La séance est levée à 5 heures.