(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Verhaegen, vice-président.)
(page 170) M. Troye fait l'appel nominal à 2 heures un quart.
M. T’Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.
M. Troye présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs propriétaires d'abeilles en ruches à Wachtebeke et à Wynkel demandent une augmentation de droits d'entrée sur le miel et sur la cire, et la suppression des droits de douane sur les abeilles transportées en ruches en Hollande pour les laisser butiner sur les fleurs.
« Même demande, quant à la suppression des droits de plusieurs propriétaires d'abeilles en ruches à Exaerde. »
Renvoi à la commission d'industrie.
« Plusieurs propriétaires et directeurs d'établissements industriels dans le bassin de la Sambre prient la chambre d'étendre aux minerais de toute espèce, à la castine propre, aux hauts fourneaux et aux verreries, ainsi qu'aux perches de houillères, la réduction des droits de péages sur la Sambre canalisée accordée par la loi du 16 mai 1847. »
M. Pirmez. - Je demanderai que cette pétition soit renvoyée à la commission permanente d'industrie. La chambre a pris la même décision pour plusieurs pétitions du même genre.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Masquelin demande que la valeur locative actuelle de toutes les habitations soit mise en rapport avec celle de 1831, afin de rétablir l'égalité proportionnelle entre les contribuables. »
M. de Roo. - Cette pétition contient des observations très judicieuses et je demanderai qu'elle soit renvoyée à la section centrale du budget des voies et moyens qui s'occupe d'une semblable question.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Floor, notaire à Loo, présente des observations contre la disposition du projet de loi sur le notariat, portant que les actes seront parafés sur chaque feuille, tant par les parties que par les notaires. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur le notariat.
Par dépêche en date du 27 novembre, M. le ministre de l'intérieur annonce que les renseignements statistiques demandés par M. Delfosse sur les corporations religieuses, et en particulier sur celles qui se livrent à l'instruction primaire, sont prêts à être livrés à l'impression.
M. Delfosse. - Je remercie M. le ministre de l'intérieur de la communication de ces documents ; je crois qu'ils doivent être imprimés.
M. de Man d’Attenrode. – Messieurs, par décision du 26 novembre, la chambre a renvoyé à la commission permanente des finances une pétition de 25 habitants de Waereghem (Flandre occidentale), qui demandent une réduction sur l'impôt du sel ; votre commission n'a pu se dissimuler qu'il serait désirable, que cet impôt pût subir une réduction en faveur des classes pauvres. Mais cette réduction serait de nature à occasionner un déficit considérable dans le budget des recettes.
Elle s'est donc posé cette question :
Cette réduction est-elle opportune dans les circonstances actuelles ?
Il a paru à votre commission que c'était une question que la section centrale du budget des recettes était plus à même d'examiner.
Elle vous propose, en conséquence, le renvoi de cette requête à la section centrale des voies et moyens.
- Cette proposition est adoptée.
M. Mercier. - Messieurs, à l'occasion du chiffre de la dette flottante, une discussion s'est élevé hier sur la situation générale du trésor. M. le ministre des finances, après avoir évaluée cette partie de notre dette à 25 millions, a supputé toutes les recettes extraordinaires et accidentelles qui ont été faites depuis dix ans, et a déclaré qu'elles s'étaient élevées à 35 millions. L'honorable ministre est convenu toutefois que pendant cet espace de dix années, des dépenses productives avaient été faites et qu'une partie de ces 35 millions pouvait avoir été employée à de telles dépenses. Pourquoi n'a-t-on pas relevé ces travaux extraordinaires, utiles au pays, avec le même soin qu'on a mis à indiquer le chiffre du déficit ? Il me semble que l'intérêt même de notre crédit l'exigeait tout autant que celui de la justice et de la vérité.
Pour présenter une situation complète, le gouvernement aurait dû mettre en regard des recettes accidentelles toutes les dépenses extraordinaires ou productives qui ont été faites depuis 10 ans, toutes celles enfin qui ne pouvaient raisonnablement pas être couvertes par les revenus ordinaires ; c'est seulement à l'aide d'un tel travail que nous pourrions faire une juste appréciation de la situation ; jusque-là nous restons complètement dans le vague, et nos discussions ne peuvent avoir de résultat vraiment utile.
J'engage donc beaucoup le ministère, qui a jeté une espèce de blâme sur les cabinets précédents, je l'engage beaucoup à présenter, non seulement le tableau des recettes extraordinaires, mais aussi celui des dépenses consacrées à des travaux d'utilité publique ou à l'acquisition de valeurs immobilières.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ces détails se trouvent dans la situation du trésor.
M. Mercier. - Ils n'y sont pas d'une manière complète, la distinction que j'indique n'est pas établie ; mais voici ce que je demanderai actuellement au ministère : je lui demanderai quelles sont les dépenses extraordinaires faites depuis 4 ans, qu'il entendrait, lui, couvrir par les recettes ordinaires ? Un honorable membre de la cour des comptes, dans un tableau que nous avons sous les yeux,, a fait le relevé des dépenses de cette nature faites depuis 4 ans ; leur montant excède le chiffre de la dette flottante. J'indiquerai quelques-unes de ces dépenses :
Travaux du canal de la Campine : fr. 1,110,000
Travaux du chemin de fer : fr. 8,260,000
Travaux du canal de la Meuse à Bois-le-Duc : fr. 3,500,000
Travaux du chemin de fer : fr. 3,712,000
Travaux du canal de Zelzaete : fr. 1,390,000.
Je m'arrêterai à ces citations ; mais ce relevé qui ne comprend pas encore toutes les dépenses extraordinaires, en renseigne pour 27,700,000 fr. Eh bien ! qu'on le dise, quelles sont celles de ces dépenses que le ministère actuel aurait jugées de nature à être couvertes par les ressources ordinaires du trésor ? Car enfin les reproches adressés aux cabinets précédents n'ont point de base ou doivent porter sur ce que l'on aurait employé des moyens extraordinaires pour faire face à des dépenses ordinaires.
Le ministère considère-t-il comme dépenses ordinaires celles dont je viens de parler ? S'il ne les envisage pas comme telles, que reproche-t-il donc à l'administration précédente ? Serait-ce de ne pas avoir fait il y a quelques mois un emprunt pour faire entrer les 25 millions, de dette flottante dans la dette constituée ?
Or chacun de nous sait que les circonstances n'étaient guère favorables, il y a quelques mois, pas plus qu'elles ne le sont aujourd'hui pour (page 171) faire des opérations de cette nature. Ainsi ce reproche lui-même n'aurait, aucune espèce de fondement.
Messieurs, hier l'honorable ministre des travaux publics a fait une très longue argumentation sur le chiffre de 13,500,000 fr. qui formait en 1830 l'encaisse du caissier général, encaisse qui nous a été dévolu par le traité de 1842. Il me semble pourtant que la question est extrêmement simple ; comme l'honorable M. Malou l'a fait observer, ou cette somme vient réduire la dette constituée si les obligations rachetées avec l'encaisse ne sont pas remisée dans la circulation, ou bien elle fait disparaître une partie de la dette flottante si les obligations sont négociées ; mais ces valeurs ne proviennent pas moins d'un encaisse qui existait primitivement en numéraire. Je le répète, si vous annulez les obligations qui représentent l'encaisse, vous diminuez la dette constituée, si vous les émettez de nouveau, vous diminuez la dette flottante. Pour moi, cette question est tellement simple, que je ne puis comprendre qu'elle ait si longuement occupé la chambre.
On a également parlé d'une dépenses de 20 millions à faire pour le chemin de fer. Je ne pense pas qu'on ait eu l'intention d'adresser des reproches, sous ce rapport, aux administrations précédentes. Le chemin de fer, messieurs, a souvent trompé toutes nos prévisions. En 1840 nous sommes venus demander un crédit pour le parachèvement du chemin de fer. Nous croyions de bonne foi que ce crédit suffirait, et remarquez bien que nos prédécesseurs, avant 1840, avaient déjà demandé un crédit pour l'achèvement de ce même chemin de fer. Et cependant tel est l'imprévu des dépenses relatives à ces travaux, que déjà, depuis l'administration de 1840, deux ou trois autres crédits ont été demandés pour le complément de cette voie de communication.
On n'attribuera pas ces demandes successives à ce que ces administrations auraient voulu cacher sciemment le chiffre réel de la dépense de construction du chemin de fer ; je ne puis les attribuer qu'un défaut d'expérience suffisante en cette matière. On comprend qu'on ait pu se tromper dans des prévisions qui concernent des travaux d'une nature toute nouvelle et dans les exigences d'un service qui n'avait pas d'analogue ; mais il n'en est pas moins vrai que les dépenses dépassent le double des prévisions et ce doit être pour nous un avertissement de ne pas entreprendre légèrement de nouvelles lignes de chemins de fer ; jusqu'ici nous ne pouvons pas apprécier les frais de construction et d'exploitation du chemin de fer existant, nous ne savons pas quelles seront les dépenses de renouvellement du matériel ; on n'a pu jusqu'à présent former un travail complet qui pût nous indiquer le revenu net de cette grande entreprise.
J'appelle l'attention sérieuse du gouvernement et de la chambre sur ce point ; nous ne devons pas nous laisser entraîner facilement à décréter de nouvelles lignes, dans l'ignorance de ce que coûte et de ce que peut rapporter le chemin de fer actuel dont, du reste, je reconnais les immense avantages.
Je dirai encore quelques mois sur la dette flottante dont j'ai parlé hier au début de la discussion. Je persiste dans l'opinion qu'une dette flottante couvrant un déficit, est un danger pour l'Etat.
Mes honorables contradicteurs ne sont pas non plus d'accord sur cette question.
L'honorable M. Malou estime que la dette flottante peul être considérable ; M. le ministre des finances dit que 15 à 18 millions de dette flottante ne présentent pas un grand danger ; mais il a soin d'ajouter : « pourvu qu'on parvienne à la classer plus convenablement. » L'honorable M. Osy trouve que 10 à 15 millions suffiraient.
Pour moi, je repousse, comme pouvant être la source des plus grands embarras, toute dette flottante de cette nature.
On nous a cité l'exemple de la France ; on a dit que dans ce pays les départements et les communes ont leur fortune liée à celle de l'Etat ; mais est-il nécessaire, pour atteindre le même but, que ce soit en dette flottante que les fonds provinciaux et communaux soient placés, plutôt qu'en dette constituée ? Je ne le crois pas. Il ne sera pas inutile de voir comment la dette flottante est classée dans l'Etat que l'on a donné pour exemple. Cette dette s'élevait, il y a quelques années, à 620 millions.
Pourrons-nous, messieurs, opérer un classement de la dette flottante analogue à celui qui se fait en France ? Je ne le pense pas, et d'abord en ce qui concerne les cautionnements et consignations, nous ne pourrions prendre cette mesure sans déclasser notre dette constituée, puisque ces fonds sont placés en obligations de nos divers emprunts. Certes, ce déclassement entraînerait de graves inconvénients, et je ne vois pas, d'ailleurs, pourquoi on donnerait la préférence à la dette flottante. Je sais même qu'en France, un habile financier, un fonctionnaire éminent, a proposé de placer désormais les cautionnements en dette inscrite.
Pourrons-nous espérer de placer notre dette flottante en fonds des provinces, des communes ou des établissements de bienfaisance ?
Ils représentent entre autres :
125 millions placés par les communes et les établissements de bienfaisance ;
40 millions déposés par des administrations spéciales ;
50 millions d'avances de comptables ;
15 à 20 millions de traites nécessaires aux relations de la caisse de Paris avec celles des départements ; ?
122 millions pour travaux publics à longues échéances ; ces bons ont été créés en 1821 et 1822 ; les remboursements sont successifs et devront se prolonger jusqu'en 1868 ; cette partie ne peut être considérée comme dette flottante ordinaire ;
Enfin 240 millions de dépôts en cautionnements, etc.
Nos provinces elles-mêmes empruntent ; elles conseillent aux communes et aux bureaux de bienfaisance de placer leurs fonds dans les emprunts provinciaux....
M. Malou. - Il y a eu jusqu'à 14 millions de fonds des provinces, communes et établissements publics à la caisse d'épargne.
M. Mercier. - Il n'y a pas bien longtemps que la Belgique se trouve sous le régime actuel ; nos provinces, ayant de grandes dépenses à supporter, ont été obligées de contracter des dettes ; il en est plusieurs qui n'ont pu placer encore qu'une partie des emprunts qu'elles ont décrétés, malgré les appels fréquents qu'elles ont faits aux communes et aux établissements de bienfaisance.
Enfin, messieurs, je l'ai déjà dit, en ce qui concerne les cautionnements des comptables et les consignations, nous les avons placés en dette constituée. Je ne vois aucun avantage à opérer de changement sous ce rapport.
L'honorable M. Cogels, dont j'aime à partager les opinions dans les questions financières, a dit qu'il serait bon de placer les fonds des caisses d'épargne en bons du trésor. Je ne suis pas de cet avis, car ce serait à mes yeux aggraver le danger. En effet, le danger de la dette flottante n'existe que dans les moments de crise ; c'est précisément dans les moments de crise que les déposants réclament le remboursement de leurs fonds.
Qu'adviendrait-il si la dette flottante représentait un déficit et qu'on vînt verser les contributions en bons royaux et en même temps réclamer les fonds des caisses d'épargne ? Cette position serait vraiment désastreuse.
Je ne partage donc pas l'opinion que nous puissions avoir une dette flottante quelque peu élevée, et en avoir une autre que celle destinée à faciliter l'action du trésor. Cette dernière a été évaluée à sept ou huit millions par l'honorable M. Veydt, contrairement à l'opinion que j'ai émise qu'elle ne dépasserait pas trois à quatre millions, et qu'il y aurait des années où aucune émission ne serait nécessaire.
Je suis persuadé que si M. le ministre veut voir quelles ont été les émissions dans les quatre premiers mois, il verra que ces émissions n'ont pas dépassé le chiffre des émissions autorisées pour faire face au découvert, et que s'il n'y avait pas eu de déficit, il n'y aurait pas eu de dette flottante en circulation.
Je terminerai par quelques mots sur la légalité du nouveau mode d'émission des bons du trésor.
L'honorable M. Malou pense que la loi ne défend pas d'émettre des bons du trésor dont l'échéance fixe peut être abrégée, si le preneur juge convenable de verser antérieurement à cette époque les bons du trésor en payement des impôts, c'est-à-dire, en d'autres termes, si le preneur juge convenable de se faire rembourser avant cette époque.
Ainsi, messieurs, le trésor est à la merci du preneur ; c'est là précisément ce que la loi a voulu empêcher par une disposition expresse, en déclarant que les bons seraient à échéance fixe.
Bien plus, le législateur a eu soin de prévoir le seul cas où le remboursement des bons du trésor se ferait avant l'époque de leur échéance ; ce n'est pas le preneur ou le porteur des bons du trésor qui est laisse juge de l'opportunité et de la quotité de ce remboursement, mais bien l'Etat lui-même représenté par le ministre des finances.
En effet, l'article 4 de la loi porte que les bons pourront être rachetée par le gouvernement.
Le motif de cette disposition est facile à expliquer ; on a voulu que si, dans un moment où l'émission serait considérable, des ressources extraordinaires rentraient au trésor soit par l'emprunt, soit de toute autre manière, il y eût possibilité de réduire la dépense en retirant une partie des obligations de la circulation.
Il me paraît de la dernière évidence que tout autre remboursement est implicitement interdit par la loi.
M. Malou. - Il n'est, je pense, messieurs, aucune discussion plus importante dans l'ordre des intérêts matériels de la nation, que celle dont nous nous occupons aujourd'hui. Il faut qu'une publicité pleine, entière, complète se fasse dans notre situation financière. Je me félicite de ce que l'occasion me soit donnée de contribuer à répandre, autant qu'il est en moi, le jour sur notre véritable situation : l'intérêt des contribuables y est engagé, car, vous l'avez entendu, dans l'opinion du gouvernement la nécessité de créer de nouveaux impôts serait dès à présent démontrée.
L'intérêt du gouvernement lui-même est en jeu, parce que si le gouvernement ne faisait pas une juste appréciation de notre état financier, il lui importerait, pour avoir plus de puissance, pour mieux réaliser les combinaisons qu'il croit nécessaires, que cette situation ne fût pas rembrunie outre mesure.
J'ai défini l'importance que ce débat offre à mes yeux. C'est assez dire qu'il n'a aucun caractère politique ou de parti, qu'il s'agit d'examiner des chiffres, de se livrer à un examen calme, réfléchi, sans aucune ironie, sans mêler au débat ces formes que nous rencontrons malheureusement quelquefois dans des discussions d'un autre genre. J'ai, personnellement, un motif de plus de me livrer à cet examen avec beaucoup de calme et de prudence. J'ai eu, dans diverses positions, des relations avec mon honorable successeur, j'attache du prix à ces relations ; je désire les conserver, quels que soient nos dissentiments politiques.
M. le ministre des finances (M. Veydt). -Moi aussi, bien volontiers.
M. Malou. - Il a été fait sur la situation de nos finances depuis le commencement de cette année quatre publications différentes.
(page 172) La première est l'exposé que j'ai fai.t insérer au Moniteur le 25 juillet 1847.
La seconde, qui a paru presque en même temps, émane d'un ancien membre de la chambre, devenu depuis secrétaire-directeur au ministère des finances.
Une troisième publication émane de l'ancien greffier devenu conseiller à la cour des comptes, qui, attaché à cette institution depuis l'origine, a pris à ses travaux nombreux et importants une part que j'aime à qualifier de large, utile et très honorable.
La quatrième publication est la situation du trésor que l'honorable ministre des finances a déposée au début de la session.
J'ai étudié les trois dernières. J'avais fait la première.
Aujourd'hui, je crois pouvoir démontrer à la chambre que, sauf quelques variations de détail, sauf quelques points tout à fait accessoires, les trois publications dont les éléments ont été puisés à des sources officielles convergent exactement vers le même but, aboutissent au même résultat.
Je dois le dire, en passant, l'auteur de la publication qui n'a pas puisé à des sources officielles s'est trompé sur plusieurs points, précisément parce qu'il n'avait pas à sa disposition des documents complets. Depuis qu'il a ces matériaux, il a, si je ne me trompe, reconnu lui-même quelques erreurs, par une lettre devenue publique.
Tel est donc le point de départ.
Si la question devait être résolue par les autorités, si l'on devait chercher dans le caractère, dans la position des auteurs des publications, la confiance que l'on doit y avoir, la question serait bien près d'être résolue, puisque les trois publications officielles arrivent au même résultat.
Mais ce n'est pas une question de foi et d'autorité, c'est surtout une question de chiffres.
Ayant à choisir entre ces trois publications officielles, je prends pour texte de mes observations à la chambre, la dernière, qui émane de M. le ministre des finances, la situation qu'il nous a distribuée.
Il y a, dans la situation des finances, trois points à examiner :
Le solde des budgets, quant aux dépenses et aux recettes ordinaires.
Le chiffre et la nature de la dette flottante.
Les besoins du présent et de l'avenir.
Je crois, messieurs, qu'en examinant ces trois points, je rencontrerai à la fois le discours prononcé hier par l'honorable ministre des finances et celui qu'a prononcé à la fin de la séance l'honorable ministre des travaux publics.
Voyons d'abord, messieurs, ce qui se rapporte au solde matériel des dépenses et des recettes ordinaires depuis 1830.
Une partie des faits a acquis, aujourd'hui l'autorité de la loi. Une autre partie, celle qui concerne les années dont les comptes ne sont pas encore arrêtés par la législature, a acquis aujourd'hui en quelque sorte l'autorité de la loi, soit parce que les comptes sont soumis à la chambre, soit parce qu'ils sont déjà examinés par la cour des comptes.
Un dernier ordre de faits se rattache aux exercices en cours d'exécution. Là, quelques faits nouveaux, encore inconnus aujourd’hui, peuvent déranger un peu les calculs que l'on a faits. Mais je crois qu'il n'est guère possible que les variations soient importantes. Du reste j'accepte sur ce point, comme sur presque tous les autres, l'exposé que M. le ministre des finances vous a présenté.
Quelle est la conclusion de cet exposé quant aux recettes et aux dépenses ordinaires ? Déjà, messieurs, à la séance d'hier j'ai cité cette conclusion, c'est que les exercices antérieurs au 1er janvier I848 présenteront probablement, lois de leur clôture, un bénéfice de 643,000 francs.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - A la date du 1er septembre.
M. Malou. - A la date du 1er septembre. J'ai commencé par dire, précisément pour aller au-devant de l'interruption, que quelques faits nouveaux pouvaient survenir encore qui vinssent déranger en certaines parties les probabilités qui concernent les exercices en cours d'exécution. Nous sommes d'accord, je pense, sur ce point.
M. Delfosse. - Je demande la parole.
M. Malou. - Messieurs, je dois l'avouer, lorsque je me suis fait produire, d'après les livres de la trésorerie, d'après les documents officiels que j'ai pu réunir, tous les chiffres qui concernent la gestion de ces 17 années, et lorsque je suis arrivé, moi aussi, à voir le solde de toute cette gestion établi par quelques centaines de mille francs de boni, j'ai été surpris ; le doute m'a gagné. J'ai voulu vérifier par moi-même tous les faits.
Je ne pouvais comprendre que nous eussions organisé à l'intérieur nos forces militaires, que nous eussions maintenu pendant dix ans notre armée sur le pied de guerre, que nous eussions augmenté dans le but de les rendre productives, de les rendre plus utiles, toutes les dépenses que nous consacrons aux services publics ; lorsque nous avions augmenté la dotation du clergé, de la magistrature, de l'armée ; lorsque nos administrations centrales, nos administrations dans les provinces avaient été réorganisées et réorganisées de telle manière que bien souvent on vient chercher des modèles chez nous ; je ne pouvais comprendre, dis-je, qu'en présence des circonstances politiques, en présence des crises qui avaient accompagné la naissance de notre jeune nationalité, nous fussions arrivés, après dix-sept années, à avoir tant fait dans l'ordre matériel et dans l'ordre moral, et à avoir en définitive un boni comme résultat de cette gestion.
Je parlais, messieurs, de ce qui s'est passé. Vous savez combien le produit des impôts a dû être affecté par les événements politiques. Vous savez que depuis 1830 on a fort peu touché aux lois d'impôts pour les rendre plus productives, et que si votre budget est beaucoup plus fort pour le produit de ces impôts qu’il ne l'était en 1831, c'est par le développement même de la prospérité publique et non par l'aggravation directe de l’impôt.
Arrêtons-nous un instant à une seule catégorie de dépenses.
Lorsque les négociations diplomatiques se sont rouvertes en 1838, le gouvernement s'est trouvé en présence d'une réclamation pour les arrérages des rentes mises à la charge de la Belgique. La rente annuelle était de 8,400,000 florins, je dirai de 17,600,000 fr. On a négocié sur ce point ; on a obtenu la remise des arrérages. Et pourquoi ? Parce que le gouvernement a démontré à la conférence de Londres que pendant ces années notre état militaire nous avait coûté une somme équivalente aux arrérages.
El quelle est cette somme ? Cette somme est de plus de 150 millions que nous avons pris, que nous avons puisés dans les revenus ordinaires.
Je ne citerai plus qu'un fait sur cette gestion. Nous avons, par le traité de 1842, annulé d'un trait de plume 32 millions de los-renten, que nous avions reçus comme de l'argent depuis 1830, et qui étaient entrés dans nos caisses, pour être brûlés en définitive.
Voilà encore un fait qui, si notre situation financière n’était pas aussi forte.si la richesse, si les forces productives du pays n'étaient pas aussi énergiques, aurait certainement, après dix années, présenté un chiffre bien différent de celui que M. le ministre des finances indique, et dont je fais en ce moment un commentaire.
Vous avez, nous dit-on, pendant cette gestion, absorbé des capitaux immenses et des capitaux qui ne doivent pas se reproduire.
Messieurs, lorsqu'on examine bien le mécanisme de la gestion financière d'un pays tel que le nôtre, d'un pays surtout qui a pris à lui tant d'entreprises, laissées, dans d'autres pays, à l'industrie privée, on voit qu'il est inévitable que dans notre organisation il se fasse chaque année de très grandes transformations de capitaux. Mais on oublie trop souvent, selon moi, que ces capitaux n'ont pas été anéantis, n'ont pas été dépensés comme revenus, mais se sont simplement transformés ; on ne tient pas compte des contre-valeurs qui se sont réalisées.
Ainsi, par exemple, nous avons fait, dans l'ordre matériel, des entreprises immenses pour notre pays. Nous avons consacré aux travaux du chemin de fer, aux travaux des routes, à des acquisitions de toute nature, un capital que l'on peut évaluer, sans exagérer, à 250 millions.
Que l’on me dise, en présence de pareils faits :Vous avez absorbé quelques millions de vente de domaines, vous avez absorbé quelques restes des anciens capitaux de l'industrie ; sans doute ; mais il faut voir si nous n'avons pas, chaque année, en place des capitaux qui se trouvaient forcément, par le mouvement des affaires, entraînés vers une autre destination, créé des valeurs capitales qui ont enrichi directement la nation ; car là se trouve la question essentielle qu'il faut examiner pour juger une gestion financière ; si nous n'avons pas surtout donné à ces capitaux la direction qui pouvait réagir le plus énergiquement sur les forces productives du pays, sur l'activité, sur la prospérité publique.
Or, cet examen, qu'on le fasse. Ceux qui ont été à la tête des affaires depuis dix-sept ans, n'ont rien à en redouter ; ils peuvent l'attendre : avec confiance ils peuvent se dire que si dans tous les pays on n'avait pour cause de la dette que des travaux de cette nature, on se rebellerait hautement d'avoir cette dette ; notre dette, messieurs, a ce caractère spécial, qu'elle est représentée dans notre revenu, dans notre budget des voies et moyens par des valeurs plus qu'équivalentes, tandis que, dans d’autres pays, la dette est presque exclusivement un legs des temps calamiteux. Ce sont les charges résultant des guerres ou d’autres calamités publiques dont il faut payer l'amortissement dans les temps de prospérité.
Le temps m'a manqué aussi, messieurs, comme à l’honorable préopinant pour établir, quant aux 17 années qui se sont écoulées depuis la révolution, la comparaison entre les capitaux anéantis, ceux qui ont été transformés et ceux qui ont été créés, soit au moyen des revenus ordinaires, soit au moyen d'anticipations sur l'emprunt, je dirai même qu’aucun document public complet n'existe sur ce point, et je m'associe entièrement au vœu émis par l'honorable M. Mercier, de voir le gouvernement publier ce travail, dût-il coûter une somme assez considérable, une véritable statistique financière, un compte rendu du produit de tous les impôts, un compte rendu complet, systématique de toutes les dépenses depuis 1830. Il n'y aurait pas, messieurs, de dépense mieux faite que celle-là.
Je ne puis donc, messieurs, retracer en détail toutes les transformations de capitaux opérées pendant 17 années ; mais, messieurs, deux faits me sont revenus en mémoire et je les cite comme exemple entre plusieurs. Nous avons aujourd'hui le canal de Charleroy, il a coûté 13,155,000 fr., je pense ; il produit aujourd'hui 1,500,000 fr., peut-être même 1,560,000 fr. de revenu.
Voilà, messieurs, quelques capitaux qui ont été mangés suivant certaines théories ; mais plût au ciel que nous eussions mangé un milliard de cette manière, car nous pourrions évidemment réduire de moitié tous les impôts qui existent aujourd’hui. Le canal de Charleroy nous donne ce résultat d'un intérêt de 25 à 30 p. c., eh bien, le canal de Charleroy, (page 175), comment a-t-il été payé ? En grande partie au moyen de capitaux produits par les impôts.
Ainsi, messieurs, pour les années 1841 à 1846, on a prélevé sur les ressources ordinaires (et l'équilibre subsiste dans ces budgets), on a prélevé sur les exercices de 1841 à 1846, 3,712,000 fr. Nous avons acquis la Sambre canalisée : elle nous rapporte entre 6 et 700,000 francs. Sur quels fonds a-t-on prélevé les capitaux consacrés à cet objet ? Encore une fois, pour la plus grande partie sur les fonds ordinaires, sur les recettes provenant de l'impôt ou des ressources ordinaires du trésor. Ainsi, par la loi du 17 avril 1845, on a ouvert au gouvernement, sans créer ni dette flottante, ni dette constituée, un crédit de 4,466,000 fr. Si je pouvais suivre ainsi tous les faits, je rendrais aisément compte de tous les capitaux qui ont pu être absorbés ; mais pour être juste, pour faire un compte vrai, il faudrait mettre en regard toutes les valeurs qui ont été créées et, j'en appelle à la future statistique, ces valeurs dépassent infiniment celles qui ont été absorbées.
Pour les routes le même fait se présente. On a affecté aux routes depuis 1830, non seulement le fonds des barrières, c'est-à-dire le produit des barrières puisque ce n'est plus un fonds spécial, non seulement des capitaux provenant d'emprunts, mais presque chaque année on a affecté aux routes, sur les recettes ordinaires, des sommes très considérables. Je crois que dans l'état actuel des choses, on en est venu à doubler presque le fonds des barrières en affectant aux routes des sommes prises directement sur le produit des impôts. Ce sont là des capitaux que vous créez et dont vous devez, encore une fois, tenir compte lorsque vous voulez apprécier la situation financière.
Nous avons fait autre chose depuis 1830. Nous avons réduit les charges de l'avenir. Nous avons, au moyen des impôts, amorti une partie notable de notre dette. Ainsi lors de la conversion de l'emprunt de 100,000,000 fr. contracté en 1831, ces frais de la guerre, de ces dépenses de premier établissement, comme on les a appelées, se trouvaient déjà réduites à 84 millions.
Voilà donc 16 millions prélevés sur les ressources ordinaires pour amortir notre dette, pour amortir la dette de l'indépendance belge. Et les effets de notre système d'amortissement sont tels, je tiens à fixer l'attention de la chambre sur ce point, que s'ils continuaient pendant 30 ou 40 ans toute la dette créée soit pour l'indépendance belge, soit pour des travaux d'utilité publique, serait complètement éteinte au moyen des ressources ordinaires, tandis que nous conserverions au budget des voies et moyens tous les produits directs, que nous conserverions dans la circulation, dans le mouvement des affaires tous les produits indirects résultant des travaux d'utilité publique que nous avons créés. C'est là un fait immense dont il faut tenir compte lorsqu'on veut examiner la question de nos finances depuis 1830, dans son ensemble.
La deuxième question que présente l'examen de notre situation financière, concerne le déficit. Le déficit a été évalué de diverses manières, tantôt à 15 millions, tantôt à 25 millions ; on l'a même élevé, dans une publication dont je parlais tout à l'heure, jusqu'à 50 ou 54 millions. Mais, messieurs il faut s’entendre, il faut bien fixer ses idées sur le sens du mot déficit. Pour moi, il existe un déficit dans les finances de l'Etat lorsque les recettes et les dépenses ordinaires ne se balancent pas. C'est là, mais seulement là qu'il y a un déficit.
Dans l'acception qu'on donne souvent à ce mot, on est trop modeste en disant que le déficit ne s'élève qu'a 25 ou 50 millions ; il faudrait dire que le déficit est de 586 millions.
En effet, messieurs, qu'importe qu'une dette soit constituée ou qu'elle soit flottante ? Si tout espèce de dette est appelée déficit, vous devez appliquer la même qualification de déficit, aussi bien à la dette constituée qu'à la dette flottante ; car si vous raisonniez alitement, ce qui est aujourd’hui déficit cesserait de l'être demain ; il suffirait pour cela de convertir la dette flottante en dette consolidée.
Le profit ne serait pas grand puisque la dette consolidée se serait accrue de toute la somme de la dette flottante que vous auriez éteinte. Ainsi, si vous voulez donner au mot déficit le sens large que, par une erreur fondamentale, on y donne trop souvent, il faudrait dire que le déficit comprend les 25 ou 30 millions de la dette flottante, plus tous les capitaux dont vous êtes débiteurs, plus 586 millions de francs, capital de notre dette.
Lorsque vous anticipez sur l'avenir, lorsque vous levez des capitaux pour créer des travaux d'utilité publique, pour faire des acquisitions d'immeubles, un emploi quelconque de capitaux, ce n'est pas réellement un déficit que vous créez, c'est un capital que vous engagez, et toute la question est de savon si l'on ne va pas trop vite dans cet engagement de capitaux, si l'on ne crée pas des embarras pour des circonstances difficiles ; la question est encore de savoir si l'emploi auquel on affecte les capitaux est utile, réellement productif soit d'une manière directe soit d'une manière indirecte.
Voyez, en effet, messieurs, la singulière position que l'on se ferait si l'on entendait le mot déficit d'une autre manière.
Je prends pour exemple le canal latéral à la Meuse, et je suppose qu'au lieu d'autoriser le gouvernement à émettre 3,500,000 fr. de bons du trésor pour la création de ce canal, on eût, comme on pouvait très bien le faire, autorisé le ministre des finances à négocier, au cours du jour, des rentes perpétuelles, des rentes inscrites, à raison de 3,500,000 francs de capital. D'après les honorables membres qui entendent le mot déficit dans ce sens large, mais inexact, la création du canal latéral à la Meuse ne nous eût pas créé de déficit, parce que ces capitaux seraient entrés élans la dette constituée, tandis que le mode qui a été suivi aurait créé, d'après eux, un déficit de 3,500.000 fr. Eh bien, je vous le demande à vous tous, en raison comme en bonne arithmétique, le résultat financier n’est-il pas identiquement, à un centime près, le même dans les deux cas ?
La question est donc double sous ce rapport. La destination donnée aux capitaux pour travaux d'utilité publique, est-elle justifiée ? Ces dépenses sont-elles bonnes en elles-mêmes ? Et enfin le capital de ces dépenses pouvait-il, devait-il raisonnablement être demandé à l'impôt ?
Si vous me dites que l'emploi de ces capitaux est mauvais, qu'on aurait pu donner à cette partie du crédit public une application plus utile, vous qualifiez un acte ; vous dites : « On a eu tort de faire telle ou telle dépense. » Mais vous ne me dites pas que j'ai créé un déficit.
Si vous reconnaissez, au contraire, et je pense que personne ne peut le méconnaître, qu'on a utilement géré la fortune publique en créant le chemin de fer, en développant notre système de communications, en perfectionnant nos voies navigables, en rachetant des canaux, en affranchissant notre territoire du ravage des eaux dans certaines localités, ah ! alors il ne s'agit plus de savoir si ces capitaux devaient être demandés soit à l'impôt, soit à la dette flottante, soit à la dette constituée.
Eh bien, cette question ne comporte pas cinq minutes de discussion ; tous les précédents de la chambre sont là, la nature des choses elle-même est là pour dire que pour créer des chemins de fer, des routes, des canaux, le contribuable d'aujourd'hui n'a pas, ne peut pas avoir l'obligation de donner sur ses revenus le capital nécessaire à ces travaux dont les générations futures doivent profiter comme lui. L'obligation que nous avons envers l'avenir est largement remplie, lorsque nous, contribuables d'aujourd'hui, nous faisons face, par nos revenus, aux intérêts de ces capitaux et que nous contribuons (je vous ai démontré que nous le faisons) à les amortir.
.Messieurs, permettez-moi, sous ce rapport, une comparaison bien vulgaire. Un propriétaire possède un immeuble de la valeur d’un million ; il emprunte 200,000 fr. pour améliorer cette propriété, pour donner plus de travail, plus d’aisance aux ouvriers qu’il a attachés à sa propriété : direz-vous que ce propriétaire s’est appauvri, qu'il a mal géré sa fortune ; que cette propriété d'un million ne vaut plus que 900,000 fr. ? Non ; si l’emprunt qu'il a fait pour améliorer ce territoire a donné une plus-value directe à cette propriété, peut-être pourra-t-il, en la réalisant, avoir fait un profil de 2 ou 300,000 fr.
En bien, ce que je viens de dire de cet acte d'un bon propriétaire, c'est identiquement ce que le gouvernement belge a fait dans les actes dont je m'occupe en ce moment. Nous avons amélioré, fécondé notre sol ; nous avons consacré à ces améliorations des capitaux ; nous payons les intérêts de ces capitaux ; nous contribuons pour une large part à les amortir ; nous avons fait, nous continuerons, j’espère, à faire acte de bon propriétaire.
Il y a loin de là à un déficit, à cet espèce de fantôme financier qu'il faille se hâter de faire rentrer dans les ténèbres !
La dette flottante doit être analysée, non seulement quant à la nature des dépenses qu’elle représente en quelque sorte, mais aussi quant au temps pendant lequel on l’a créée. Et ici je touche à une question qui a été souvent agitée dans cette enceinte ; il y a du danger dans la dette flottante ; selon moi, le danger existe, lorsqu’on se lance précipitamment et étourdiment dans des entreprises trop considérables.
Sous ce rapport, examinez le tableau de notre dette flottante actuelle, et vous verrez qu’elle ne représente que la somme des travaux d’utilité publique, entrepris pendant les quatre ou cinq dernières années. Je fais des vœux pour que dans l’avenir on soit aussi prudent dans l’adoption des dépenses nouvelles.
Le chiffre de la dette flottante, d'après le mode d'émission actuel, n’est pas, selon moi, disproportionné avec les facultés, avec la situation du pays ; déjà ce point a été traité hier, je m'abstiens d'y revenir en ce moment.
Le chiffre, quel doit-il être ? D'après le projet de budget des voies et moyens, que nous avons soumis à la chambre vers la fin de la dernière session, l'émission maximum en 1848 aurait dû être de 21 millions ; par suite des amendements de mon honorable successeur, le maximum de l'émission devrait être de 25 millions.
J'accepte un moment le chiffre de 25 millions et je me demande quelle est aujourd'hui la force réelle de notre dette flottante, en d'autres termes, pourquoi, d’après le gouvernement, sommes-nous obligés d'autoriser une émission de 21 ou de 25 millions ?
Ce n'est pas parce que nous avons autorisé des travaux publics jusqu'à concurrence de cette somme, car nous avons autorisé des travaux publics et des émissions pour une somme supérieure à celle-là ; il y a donc une déduction à faire sur notre dette flottante, et cette réduction résulte de la réserve de l'amortissement.
On vous disait hier, si je ne me trompe, que, quand vous employez la réserve de l’amortissement à éteindre ou à réduire la dette flottante, c'est encore une fois un capital que vous mangez. Il n'en est absolument rien. L'amortissement est fourni par l'impôt, et se trouve dans notre budget. Il est parfaitement rationnel, il est très utile de ne pas donner l'allocation à l'amortissement, lorsqu'on est forcé à émettre d'une autre main une nouvelle dette et lorsque le contrat relatif à la dette existante n'oblige pas à faire agir l’amortissement. Je conçois donc fort bien que la loi de 1844 ait décidé que, quand le contrat n’oblige pas à amortir, la réserve de l’amortissement, c'est-à-dire, une partie de nos revenus, viendrait en déduction de la dette flottante. Voilà pourquoi le (page 174) chiffre des émissions est moindre que le chiffre des autorisations pour travaux publics, sans que cependant l'on consomme des capitaux.
Pourquoi, d'un autre côté, en raisonnant d'après les faits indiqués par M. le ministre des finances, notre émission peut-elle être au-dessus de ce qu'elle devrait être réellement ? C'est parce que parmi les valeurs que le trésor possède, ainsi que le déclare le gouvernement, une certaine partie n'est pas immédiatement réalisable. Vous trouverez, messieurs, des explications détaillées sur ce point à la page XIII de la situation du trésor. Ces valeurs non réalisables en ce moment s'élèvent à 13,460,409 fr.
Si elles étaient émises, la dette flottante ne serait ni de 21 ni de 25 millions, mais elle varierait entre 9, 10 et 11 millions, suivant qu'on adopte les calculs présentés dans la situation du 25 juillet ou dans le travail remarquable de M. Hubert, ou, en dernier lieu, ceux qu'indique M. le ministre des finances lui-même.
Ces valeurs, non immédiatement réalisables, quelles sont-elles ? Il y en a de deux espèces comprises au chiffre de 13,460,000 fr. et une troisième qui n'y est pas comprise. La première, c'est l'encaisse de 1830 ; la deuxième, ce sont quelques capitaux à 2 1/2 p. c, dont le gouvernement est aujourd'hui propriétaire ; je citerai notamment le million de florins qui a été restitué à la Belgique et qui provient de l'ancien fonds d'agriculture.
M. le ministre des travaux publics, parlant de l'encaisse de 1830, a dit que c'était un joujou financier, que c'étaient des chiffons de papier.
Je me permettrai de faire remarquer à M. le ministre des travaux publics que son collègue des finances n'en juge pas ainsi et que, dans la situation sur laquelle je raisonne, il compte cette somme comme une bonne et belle valeur, car si ce n'est pas cette somme qui se trouve comprise dans les 13,400.409 fr., je voudrais qu'on me dît quels sont les éléments de cette somme. J'insisterai du reste, sur ce point, parce que je partage l'opinion de M. le ministre des finances sur la réalité de ces valeurs et que je voudrais faire partager mon opinion à la chambre.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je vous répondrai.
M. Malou. - Vous me répondrez ? Mais vous voudrez bien remarquer qu'en même temps vous répondrez à votre collègue le ministre des finances.
Rappelons sommairement les faits quant à l'émission de 1830. La Société Générale, caissier du gouvernement des Pays-Bas, se trouvait nantie d'une somme, pour le compte de l'Etat, de 12 millions et quelques cent mille francs. cette somme était improductive. Une convention est intervenue sous le ministère de MM. Rogier et Lebeau, quand notre ancien collègue M. Duvivier avait le portefeuille des finances ; par suite de cette convention l'encaisse tout entier y compris la somme qui appartenait aux provinces, a été placé en bons du trésor, de manière qu'il est devenu productif d'intérêts au profit de l'Etat. Mais sans détruire un encaisse réel en numéraire, une valeur qui est revenue ou qui est restée, si l'on veut, au gouvernement belge, on l'a transformée en une valeur productive. L'encaisse de 1830 a subi deux autres transformations, suivant les convenances du crédit public ; d'abord on l'a placé en 5 p. c., c'est-à-dire qu'on a retira les bons du trésor et qu'on les a remplacés par des obligations 5 p. c. , ces obligations 5 p. c. ont ensuite été remplacées par des obligations à 4 p. c. en titres de l'emprunt de 30 millions qui représentent encore l'encaisse. Depuis lors sous toute réserve vis-à-vis du caissier général, on a porté les intérêts en recettes et on a continué de porter en dépenses au budget de la dette publique la totalité des intérêts de l'emprunt de 30 millions. Ici encore, je pense que nous sommes d'accord en fait.
Maintenant il y a deux partis à prendre à l'égard de ces titres qui représentent une partie de la dette consolidée, qui proviennent d'un versement matériel de plus de 12 millions de numéraire ; ou bien vous remettrez ces titres en circulation ou vous les brûlerez. Si vous remettez ces titres en circulation, c'est, selon moi, l'hypothèse la moins probable, je le dis franchement, vous réalisez, au fur et à mesure des émissions, une somme capitale de 12 millions, et en même temps si vous réalisez une somme d'argent de 12 millions, vous aurez 12 millions de bons du trésor de moins à émettre. C'est là une vérité première qu'on ne contestera pas.
Je fais séparément le compte des capitaux. Vous reconnaîtrez que dans cette première hypothèse notre dette flottante peut être diminuée de 10 millions.
Je vais faire le compte des intérêts. Vous réduirez votre budget des dépenses de la dette flottante de 537 mille francs, de sorte que l'émission vous donne 12 millions de capitaux et 12 millions de réduction de la dette flottante et laisse votre dépense dans la situation où elle est aujourd'hui, bien que vous diminuiez dans votre budget des voies et moyens 537 mille francs ; je pense que cela est parfaitement clair.
Je viens à la deuxième hypothèse que je crois la plus probable, qu'on se décidera, par des raisons de crédit public que j'approuve et que j'appuierai au besoin, à brûler cette partie de l'emprunt ; quel sera le résultat de cette opération ? Le voici : Vous devrez porter en boni des années antérieures à 1848, comme non dépensé ou amorti, un capital en plus de 12 millions. C'est tout ce que je. demande ; c'est ce qui prouve dans cette deuxième hypothèse, comme dans la première, la réalité de la valeur. Si vous brûlez ces titres, vous ne pouvez pas continuer à compter au passif la totalité des 30 millions ; vous devez déduire la partie non émise ou amortie. Il me parait que dans l'une et l'autre hypothèse, on a pour résultat la réalité de l'encaisse de sa valeur. Je conclus en disant que M. le ministre des finances a bien fait de compter cette valeur comme devant venir en allégement de notre situation financière.
Ces considérations que je viens de présenter à la chambre, cette appréciation qui a été constamment faite, depuis que l'encaisse existe, par tous les ministres des finances qui se sont succédé, est faite encore par l'auteur du travail dont j'ai déjà parlé. Voici ce que dit M. Hubert dans ce travail, p. 17. « Le découvert ou la dette flottante serait reporté ainsi à 33,879,605 fr. 23 c.
« Mais par contre nous posséderions des valeurs pour une somme de 23,360,880 fr. 53 c. Il s'agit aussi d'autre chose encore que de l'encaisse qui pourrait être appliquée à la réduction de notre dette consolidée.
« Que ce soit la dette flottante ou la dette consolidée qui profite de ces valeurs, cela est complètement indifférent au point de vue de notre situation financière envisagée dans son ensemble, puisque, si nous devions plus en dette flottante, nous devrions moins en dette inscrite, et vice-versa. »
Il en est de même de la deuxième valeur non immédiatement réalisable qui se trouve comprise dans les 13,400,000 fr. Nous avons acquis au profit du trésor des inscriptions s'élevant à peu près à 2 ou 3 millions en 2 1/2 p. c. Ces inscriptions ont été acquises ; elles ont été versées, comme capital acquis dans les caisses de l'Etat. Mais par cela seul qu’elles sont versées dans les caisses de l'Etat, elles ne sont pas amorties. Elles sont susceptibles d'être émises ou d'être amorties ; dans l'une comme dans l'autre hypothèse, elles viennent en allégement à notre dette flottante.
Je disais tout à l'heure qu'il y avait une troisième valeur non réalisable, et qui, par des motifs que j'approuve, n'a pas été réalisée jusqu'à présent. Je veux parler des fonds que la Belgique a acquis à forfait pour achever les anciennes liquidations.
C'est là encore un capital qu'on pourra émettre, ou qu'on pourra amortir, selon qu'on le jugera convenable. Mais dans tous les cas, c'est un capital que vous avez. Les considérations que j'ai eu l'honneur de présenter, quant à l'encaisse, s'appliquent à tous les capitaux que le gouvernement possède comme propriétaire.
Pour rendre plus sensible la réalité de l'encaisse, je ferai deux suppositions extrêmes.
Je suppose que M. le ministre des finances fasse acheter aujourd'hui à la bourse une pièce de l'emprunt de 1840, montant, je suppose, à 980 fr. Il est possesseur d'un titre de l'emprunt. Il dépend de lui ou de remettre cette pièce en circulation, et de retirer ses 980 fr. soit une somme supérieure ou inférieure, selon le cours, et de le brûler. Lorsqu'il l'aura brûlé, il aura enrichi l’Etat de 980 fr., puisqu'il aura diminué d'une somme égale la dette inscrite.
Ce que je dis d'une pièce, pour rendre ma pensée plus palpable en quelque sorte, je le suppose, par impossible, appliqué à toute notre dette. Je suppose que le gouvernement soit devenu propriétaire des 586 millions qui forment aujourd'hui notre dette. Vous vous trouverez dans cette heureuse alternative de dire si vous voulez avoir une dette, ou n'en pas avoir. Vous pourriez décider que vous amortissez toute cette dette. Dans tous les cas, l'Etat serait enrichi de 88o millions.
Ainsi, quelque supposition que l'on fasse, on arrive toujours à ce résultat que l'encaisse de 1830, comme les fonds à 2 1/2 p. c. provenant de la liquidation avec la Hollande, comme les fonds des anciennes créances, sont des valeurs réalisables qui viennent alléger, améliorer votre situation financière.
Du reste, je le répète, dans la situation du 23 juillet, et dans les observations que je viens de présenter à la chambre, il y a des lacunes immenses quant aux acquisitions que le gouvernement a faites.
Ainsi, je n'ai pas compris dans la situation du 23 juillet les quatre millions d'actions du chemin de fer rhénan. Je n'ai pas compris non plus (ce qui est une valeur très intéressante aujourd'hui) plus de 3 millions que le gouvernement possède dans un des plus grands établissements du pays, qui est en pleine prospérité. Les actions de Seraing rapportent aujourd'hui à l'Etat au-delà de 10 p. c.
Le seul point de dissentiment qui puisse exister entre M. le ministre des finances et moi, c'est la différence entre le chiffre de 21 millions et le chiffre de 25 millions indique comme maximum des émissions en 1848. Je crois qu'une discussion approfondie sur ce point, que je puis qualifier d'accessoire, est impossible en ce moment. Il faudra parcourir les renseignements que j'ai demandés hier à M. le ministre des finances. Je ne doute pas qu'il ne les transmette à la chambre avant la discussion du budget des voies et moyens auquel se rattache cette question, puisqu'il s'agit là de déterminer le maximum d'émission.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je les ai déjà transmis au rapporteur de la section centrale du budget des voies et moyens.
M. Malou. - Quant à ce point, je m'abstiendrai donc d'entrer dans des détails. Nous nous en occuperons à la discussion du budget des voies et moyens.
S'il était démontré que les crédits supplémentaires, pour les années antérieures à 1848, doivent être nécessairement couverts par des bons du trésor, je voterai bien volontiers une émission maximum de 25 millions. I y a déjà, de l'aveu de M. le ministre des finances, une déduction à faire quant à ces dépenses, puisque pour le département des finances il y a une simple régularisation à faire.
Il me reste deux points à examiner : ce qu'on a appelé hier les dettes du passée ce que j'appellerai les besoins du présent et de l'avenir. Je (page 175) place en première ligne parmi les dettes du présent, ces crédits supplémentaires dont je vous parlais tout à l'heure ; ils sont pour ainsi dire inévitables. A quelque époque que s'opère un changement ministériel, on trouvera des crédits supplémentaires à présenter aux chambres. On se fait illusion lorsqu'on espère en réduire beaucoup le nombre et l'importance. Je suis convaincu que les efforts de tous mes prédécesseurs comme les miens n'ont pas manqué pour réduire dans les limites les plus étroites les crédits supplémentaires. Mais en examinant le nombre des dépenses comprises dans le budget, on conçoit facilement que quelque exactes que puissent être les prévisions du gouvernement, des événements naturels, fortuits viennent les démentir à certains égards.
Une partie de nos dépenses n'est pas facultative, mais obligatoire d'après les lois. Sur une autre partie, et elle est très considérable, le prix des denrées réagit d'une manière très forte.
Quelles que puissent être vos évaluations, une mauvaise récolte, une bonne récolte vient les changer en bien ou en mal. Vous arrivez, ainsi forcément, quelle que soit votre prudence, quelles que soient vos précautions, à présenter aux chambres des crédits supplémentaires.
Si c'est là une dette du passé, ce sera toujours une dette du passé, à quelque point que l'on veuille fixer la ligne de démarcation pour apprécier une situation ;
Il y a, dans ce que l'honorable ministre des travaux publics appelait les dettes du passé, la dépense à résulter des lois déjà admises par la chambre, mais qui n'ont pas encore reçu leur complète exécution : ainsi le canal de Zelzaete, les canaux de la Campine, une partie, je crois, du canal latéral à la Meuse, d'autres travaux peut-être que je ne me rappelle pas en ce moment, exigent encore des crédits que M. le ministre des travaux publics a évalués à 4,800,000 fr.
La chambre et le gouvernement ont prudemment agi en échelonnant sur un certain nombre d'exercices des travaux considérables.
Celle idée se rattache au système que j'ai défini tout à l'heure, qu'il ne faut pas se lancer trop imprudemment dans des travaux publics qui pourraient grossir inopinément, dans des circonstances défavorables, le chiffre de notre dette flottante. Mais, pour ces travaux, il ne s'agit pas de savoir si c'est une dette du passé ou un besoin de l'avenir.
La question est de savoir si cette dépense fait partie de nos dépenses ordinaires ou si elle doit être demandée, comme l'ont été les premiers crédits, à l'emprunt. Eh bien ! je suis d'accord avec l’honorable ministre des travaux publics ; quand on devra demander des crédits pour compléter ces travaux dont je viens de parler, c'est à la dette flottante ou à la dette constituée, en d'autres termes, pour m’exprimer d'une manière négative, ce n'est pas aux revenus ordinaires de l’Etat que ces sommes devront être demandées.
J'ajouterai, comme on le dit à côté de moi, que beaucoup de ces sommes sont destinées à devenir productives, et que pour certaines d'entre elles, il y a des remboursements partiels à faire par les propriétaires intéressés.
Je viens, messieurs, au fonds des routes.
L'honorable ministre des travaux publics nous a dit, hier, que ce fonds était complètement absorbé, si j'ai bien compris, pour deux années.
Je regrette, messieurs, que mon ancien collègue, M. le ministre des travaux publics d'alors, aujourd'hui ministre des affaires étrangères, ne soit pas présent pour compléter ce que mes souvenirs pourraient avoir d'incomplet, d'infidèle en ce qui concerne le fonds des routes. Je fais, du reste, un appel à sa loyauté ; il verra dans le Moniteur mes observations, et il pourra les compléter au besoin.
Quelques-unes de nos dépenses sont nécessairement, par la force des choses, échelonnées sur plusieurs exercices. Ainsi, vous adjugez une route. Vous n’irez pas, lorsque vous donnez un subside de 50,000 fr. et qu’une lieue de route doit coûter, par exemple, 100,000 fr., vous n’irez pas adjuger une demi-lieue de route, parce que vous ne trouveriez pas d'adjudicataire, ou que vous subiriez des conditions très onéreuses. Que faites-vous alors ? Vous prenez des engagements échelonnés sur plusieurs années et vous trouvez ainsi le moyen, avec le concours des provinces et des communes, d'entreprendre des sections de routes l'une après l'autre.
Cela s'est toujours fait ; je dirai même plus : c'est un antécédent administratif qui est formellement consacré par la loi, et je vais le prouver.
Quand on a discuté la loi de comptabilité, on a posé en principe qu'un ministre ne pourrait jamais prendre d'engagement pour une durée plus longue que celle de l’existence du budget, mais on a eu soin de faire des exceptions, et surtout une exception pour les routes. J'ai un souvenir très précis de la discussion. Je me rappelle que j'ai invoqué, dans la discussion, la nécessité où se trouvait le gouvernement d'imputer sur plusieurs exercices les subsides qu'il accordait pour les roules.
M. Osy. - Pour l'entretien.
M. Malou. - Non, pas pour l'entretien, mais pour la construction. Il suffit de consulter la discussion.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - C'est complètement inexact ; je répondrai.
M. Malou. - Je ne dis pas que l'exception pour les routes soit écrite dans la loi de comptabilité ; mais qu'on a admis des exceptions et que dans le débat, il a été question des routes, de la nécessité d'échelonner sur plusieurs exercices les dépenses de cette nature.
Messieurs, voici ce qui s'est passé, si je me rappelle bien, en 1845 et en 1846, quant au fonds des routes.
Nous avons d'abord porté au budget, de commun accord, l'honorable M. d'Hoffschmidt et moi, un crédit extraordinaire de 400,000 fr., qui a été maintenu également en 1847, et qui, je le vois avec plaisir, est proposé aussi pour 1848. Si j'ai bien saisi les développements du budget de M. le ministre des travaux publics, ce fonds des routes ne serait pas complètement engagé ; seulement il y en aurait une partie engagée pour 1848 et 1849.
La question, pour moi, est de savoir si l’on a bien ou mal fait d’engager cette partie du fonds des routes ; si l'on a engagé une somme trop forte, de manière à ce que M. le ministre des travaux publics n'ait pas la faculté d'engager à son tour une somme raisonnable, en proportion avec celle qui est votée au budget. Là est, pour moi, toute la question. Mais en principe administratif, en principe de gestion financière (je défends ici un collègue actuel de M. le ministre des travaux publics) ; en bonne gestion financière, cet acte me paraît irréprochable.
Si l'on avait trop engagé le fonds des routes pour 1848 et 1849, je me permettrais, messieurs, de plaider, quant aux routes, ce qu'on appelle, ailleurs les circonstances atténuantes ; à raison de la crise des subsistances que nous avons traversée, et du reste si mes collègues avaient pris des engagements trop étendus, qui limitassent trop la liberté d'action de M. le ministre des travaux publics actuel, surtout pour une dépense aussi populaire, aussi utile que les route, je serais le premier à m'associer à une demande de crédits supplémentaires.
Nous voilà encore d'accord sur ce point, sauf à discuter le chiffre.
Il reste enfin, messieurs, deux catégories de dépenses : les lois proposées à la chambre, telles que les lois sur l'instruction moyenne ; sur l'organisation de l'école vétérinaire ; sur la réforme des dépôts de mendicité et des prisons, etc., c'est-à-dire des principes posés par les précédents cabinets, qui se résoudraient, s'ils étaient admis, en dépenses annuelles au budget de l'Etat.
L'honorable ministre des travaux publics a évalué hier ces dépenses à 3 millions. Je me permettrai de lui demander si c'est 3 millions de capital ou 3 millions, de rente. La différence est énorme. Je crois que si c'est 3 millions de capital c'est beaucoup trop peu, que si c'est 3 millions de rente c'est beaucoup trop.
Mais permettez-moi, messieurs, de m'étonner de la singulière arithmétique qu'a employée hier, dans cette partie de son discours, M. le ministre des travaux publics. Voilà des projets de lois émanés de l'initiative du gouvernement, qui n'ont reçu ni la sanction de la chambre, ni la sanction du sénat, ni la sanction du Roi et que l'on compte comme dettes du passé ! Mais, messieurs, il ne tient qu'à vous de rendre au passé un singulier service sous ce rapport : retirez ces projets de lois et le passé n'aura pas de dette de ce chef. Vous êtes libre de les retirer.
Dès lors pourquoi mettez-vous sur le compte du passé les charges que l'adoption de ces projets peut entraîner ? Vous ne voulez pas les retirer, vous les modifierez, vous les ferez adopter, il en résultera des dépenses. Eh bien, si vous ne les retirez pas, si vous les faites adopter, vous les faites vôtres et les dépenses qu'ils doivent entraîner ne sont pas une dette du passé. Ce sont là des besoins de l'avenir, constatés par vous.
Vous ne pouvez pas répudier les dépenses et adopter les principes ; les deux choses sont liées étroitement, intimement entre elles. Repoussez donc les projets ou admettez les dépenses, qui seront la plupart justifiées, j'aime à le croire, qui sont des dépenses utiles, mais qui doivent être couvertes par nos revenus ordinaires.
Une autre dette a été injustement, selon moi, mise à charge du passé ; c'est le complément du chemin de fer. Au milieu des deux années de crise que nous avons traversées (et je prie la chambre, dans l'appréciation des actes, de ne jamais perdre de vue les circonstances où ils ont été posés), le gouvernement devait s'abstenir de faire de propositions larges, complètes pour terminer, si l'on peut terminer jamais, cette grande œuvre que l'on a déjà déclarée terminée depuis si longtemps. Nous discuterons ces besoins. Nous verrons si et jusqu'à quel point, dans l'avenir, il faut voter des sommes pour le chemin de fer ; mais, encore une fois, messieurs, qu'importent ces dépenses à notre situation financière ?
Ii faut faire une distinction, et la maintenir toujours entre ce que vous demandez à l'impôt et ce que vous demandez à l'emprunt. D'ailleurs, messieurs, en supposant qu'il faille une somme de 7 ou 8 millions, 10 millions, le gouvernement dit 20 millions, pour compléter le chemin, de fer, pour compléter notamment le matériel, cette dépense doit nécessairement se résoudre en une augmentation des recettes. Je ne comprendrais pas cette dépense, si elle n'avait pas en elle-même sa compensation. Permettez-moi de le dire, c'est la continuation du système suivi depuis 1830, de faire des dépenses utiles directement, productives. Nous examinerons donc, quant au chemin de fer, quelle somme sera nécessaire pour le compléter, et cette somme, comme les 175 millions que nous avons dépensés pour la construction du chemin de fer, nous la demanderons à l'emprunt, soit à l'emprunt consolidé, soit à la dette flottante.
Je crois avoir rencontré sommairement tous les points de détail indiqués par M. le ministre des travaux publics, et je suis d'accord avec lui sur la nécessité de quelques dépenses, sur la probabilité de quelques autres ; le seul point sur lequel je diffère d'opinion avec lui se rattache au règlement de compte de la situation antérieure à la formation du cabinet actuel.
(page 176) L’honorable ministre des travaux publics, avec lequel je suis d'accord sur certains points, a demandé hier, et M. le ministre de l'intérieur vient de demander tout à l’heure encore, comment je couvrirai les dépenses que l'avenir peut rendre nécessaires. Je pourrais, ici, messieurs, décliner ma compétence en disant que je ne suis point ministre et que si le gouvernement fait adopter dans l'avenir le principe de dépenses nouvelles, son devoir, son initiative naturelle, nécessaire est de proposer les moyens de couvrir ces dépenses ; mais, messieurs, je veux aller beaucoup plus loin et me permettre de faire un instant comme si j'étais encore ministre. Je n'avais pas, messieurs, pendant les deux années que j'ai passés au banc ministériel, perdu de vue cette nécessité d'augmenter les ressources de l'Etat, cette nécessité de donner plus de jeu, plus de liberté d'action au gouvernement, dans notre mécanisme financier, dans notre situation, plus d'élasticité en quelque sorte, dans les dépenses que l'on réclame de toutes paris et qui toutes ont en elles une certaine somme d'utilité. Et, messieurs, voici mon système ; je m’estime heureux qu'on m'ait fourni l'occasion de l'exposer, afin que le pays, les contribuables puissent juger s'il vaut mieux que celui dans lequel on paraît vouloir entrer.
D'abord je n'aurais point proposé la loi sur le droit de succession ; je n'aurais point propose d'autres lois qui touchent, pour les aggraver, aux lois d'impôt actuellement existantes.
Je ne l'aurais pas fait et je crains, d'après les premiers actes qui ont été posés, que ce soit précisément ce que le cabinet actuel est disposé à faire.
J'avais mis à l'étude, j'avais presque complété l'étude d'une mesure que je considère comme éminemment utile, comme éminemment féconde en ce qu'elle est un impôt avec compensation ; je veux parler, messieurs, de la question des assurances par l'Etat. Dans mon opinion, opinion que je maintiendrai, que je défendrai toutes les fois que l'occasion s'en présentera, le seul impôt véritablement utile que vous puissiez introduire en Belgique, c'est l'établissement du système des assurances, dans son acception la plus large.
Je dis dans son acception la plus large, parce qu'il faut pourvoir non seulement aux assurances contre les dégâts matériels, mais organiser en Belgique les institutions sociales, les institutions de crédit qui ont acquis dans d'autres pays une puissance immense ; je veux parler du règlement des fonds d'accumulation, espèce de tutelle que le gouvernement exerce soit sur les classes inférieures de la société, soit sur les classes supérieures, quand elles veulent assurer leur avenir. Je voulais remettre au gouvernement le système des tontines, les assurances sur la vie comme au tuteur des ouvriers et de toutes les classes de la société, comme à celui qui était en quelque sorte le président-né de la prévoyance de toutes les classes de la nation.
Vous avez là un impôt nouveau, à larges bases, un impôt qui donnerait des produits et qu’on payerait sans la moindre répugnance. On ne regretterait pas les quelques centimes que chacun pour sa part devrait verser au trésor parce qu'on verrait, chaque jour, à chaque instant, qu'il y a une compensation, qu'à cote de l'impôt, il y a un grand, un immense bienfait.
En parlant des fonds d'accumulation, des tontines, des assurances sur la vie, j'y comprends, quelles que puissent être les objections de détail, les caisses d'épargne qui tout aussi une forme de la prévoyance, à la tête de laquelle le gouvernement, seul tuteur des intérêts de tous, doit se trouver, s'il veut remplir d'une manière complète la mission sociale que les idées, les mœurs du siècle lui ont donnée.
J'y aurais compris, parce qu'il faut agir, non seulement dans l'intérêt des masses, mais aussi dans celui du gouvernement, comme représentant la nation ; j'y aurais compris le système des banques auquel vous devrez fatalement arriver, si vous voulez être, non seulement une puissance matérielle, exploitant des chemins de fer, mais encore une puissance financière, une puissance réelle enfin, au siècle où nous vivons.
Voilà quel est mon système ; et ce système (les faits sont déjà acquis, connus] pourvoyait très largement et pour longtemps à tous les besoins de l'avenir. Il ne fallait pas ici remuer, inquiéter tour à tour telle et telle classe de contribuables, il ne fallait pas fouiller dans les secrets de famille et de la conscience.
Eh bien, le système que je viens de définir, que je voulais réaliser au pouvoir, conséquent avec moi-même, je travaillerai de tous mes moyens, de toute mon énergie, à la réaliser dans ma position nouvelle, parce que j'ai la conviction profonde que c'est le seul qui puisse donner au gouvernement les résultats qu'il doit avoir en vue, sans froisser les mœurs et les sentiments du pays, sans désaffectionner les populations.
Car pour moi la question d'impôt n'est pas de savoir si vous aurez un million ou deux de plus ou de moins ; c'est de savoir si le gouvernement national conservera dans le pays les racines puissantes qu'il y a jetées à la suite de la révolution de 1830.
Telle est ai question d'impôt, comprise, non au point de vue de quelques millions, mais au point de vue de notre nationalité, de notre avenir, au point de vue des intérêts vitaux du pays.
Pour les besoins prochains, pour les besoins immédiats, j'avais compté sur deux choses ; j'avais compté, et j'avais droit de compter, sur un fait qui n'a jamais fait défaut au budget des voies et moyens depuis 1830, c'est-à-dire sur le développement régulier, progressif des impôts existants, dans les circonstances normales. Je dis que j'avais doit d'y compter, et quand nous en viendrons au budget des voies et moyens, j’espère établir que, pour avoir l'équilibre entre les recettes et les dépenses ordinaires de 1848, on n'avait pas besoin de recourir à de nouveaux impôts.
Comment l'équilibre dans le budget de 1848 est-il détruit ? Que l'honorable ministre des travaux publics me permette de le lui dire : Il a très mal saisi, ou il a exagéré mon observation. Je n'ai pas de parti pris sur le point de savoir s'il faut, au budget de 1848, porter la recette du chemin de fer à 16 millions ou à 16 millions 500 mille francs. Mais voici mes doutes, doutes que j'ai émis hier d'une manière un peu vive peut-être, mais avec simplicité, pour qu'on les levât, s'ils n'étaient pas fondés.
En exploitant le chemin de fer tel qu'il est, avec un matériel incomplet, en exploitant moins de routes, et ayant à faire des transports gratuits considérables, à raison de la crise des subsistances, vous avez eu, année commune, une augmentation de 1,100,000 à 1,200,000 fr. dans la recette du chemin de fer. Ce fait nous est acquis par tous les précédents du chemin de fer.
Que fait-on dans le projet de budget des voies et moyens, présenté par l'honorable ministre des finances ? On y comprend uniquement cette augmentation de 1,200,000 fr., somme ronde. Or, vous n'aurez pas l'année prochaine ces transports gratuits, qui ont imposé des sacrifices de recettes de 3 à 400,000 fr. ; vous aurez en plus les 400 wagons dont la construction a été décrétée ; vous aurez en plus l'exploitation de deux nouvelles lignes, Jurbise et Hasselt ; pour tous ces faits, vous ne portez pas un centime d'augmentation dans l’évaluation de la recette présumée du chemin de fer en 1848, puisque vous fixez l'augmentation normale à 1,2000,000 fr.
Ce fait a excité chez moi, non pas du scandale comme l'a prétendu M. le ministre des travaux publics, mais de l'étonnement et quelque doute ; la chambre reconnaîtra que ce doute était, jusqu'à un certain point, légitime. Mais il l’est beaucoup plus aujourd'hui. Je lis dans le discours de M. le ministre des travaux publics, qu'y compris le service de nuit, on compte, pour 1848, sur une augmentation d'un cinquième de mouvement.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Pardon : on compte sur un cinquième de ligne de plus à exploiter ; ce qui est différent.
M. Malou. - Soit, j'aurai mal compris ; mais dans les développements du budget des travaux publics, l'on porte en général un dixième de mouvement en plus ; sur cette base sont fondées les prévisions des dépenses au budget des travaux publics. Mais, s'il en est ainsi, nous devons avoir au moins un dixième de recette en plus, et cependant les prévisions ne sont pas d'un dixième de recette en plus. Tels sont encore aujourd'hui les motifs de mon doute à cet égard.
Du reste, nous verrons, lors de la discussion du budget des voies et moyens, s'il est réellement nécessaire de créer de nouveaux impôts, parce que l'équilibre aurait été détruit dans les budgets, à raison du chemin de fer, car c'est toujours là qu'on aboutit.
L'on m'objecte que pour 1847 il faudra un crédit supplémentaire considérable. Je le reconnais ; mais aussi n'ai-je pas pris pour point de départ la comparaison entre les dépenses de 1847 et celles de 1848 ; j'ai pris pour point de départ la comparaison entre les recettes des deux années ; et c'est de là exclusivement qu'est né le doute que je me suis formé. Si ce doute existe, si nous ne trouvons pas dans le développement régulier, probable, presque certain même, si nous ne trouvons pas dans les économies de détail à réaliser dans les autres budgets, le moyen d'équilibrer notre situation financière, alors il y aura lieu d'examiner quelles mesures, il y a lieu de prendre pour amener cet équilibre ; mais je fais toutes mes réserves, pour qu'il ne soit rien préjugé pour ou contre l'adoption de tel ou tel impôt.
Ici je termine ; je regrette d'avoir abusé si longtemps de la bienveillante attention de la chambre.
Des membres. – Non ! Non !
M. Malou. - Je me résume eu quelques mois : Nous avons depuis 1830 géré la fortune publique d'une manière utile et féconde. Quand je dis nous, je ne parle pas de moi dont la part est bien fable dans les travaux de ces 17 années, je parle du gouvernement, d'un système politique qui a été représenté par diverses personnes, quelquefois même par d'honorables membres du cabinet actuel.
Pour quiconque examine les faits en dehors des préoccupations actuelles, pour quiconque sonde notre situation dans tous ses replis, il est démontré à la dernière évidence, sinon devant les préjugés d'aujourd'hui, du moins devant l'histoire, plus importante que les passions politiques, que la fortune de la Belgique a été gérée, depuis 1830, avec intelligence comme un propriétaire bon administrateur gérerait la sienne.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Messieurs, je serai extrêmement bref dans les observations que j'aurai à vous soumettre en réponse au discours que vous venez d'entendre.
Il y a, messieurs, deux lignes parallèles qu'on peut suivre pour apprécier la situation financière du pays ; et selon qu'on adopte l'une ou l'autre de ces lignes, on aboutit à un point différent. L'honorable M. Malou, dans les observations qu'il vient de présenter, ne s'est préoccupé que d'une seule chose. Il a constamment supposé que les observations que nous avons eu l'honneur de soumettre à la chambre constituaient une critique du passé, et se résumaient en récriminations.
Une voix. - C'est évident.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Cela n'est pas évident ; j'ajouterai même que c'est complètement inexact.
Je disais donc que l'honorable préopinant a supposé que mes observations (page 177) avaient en vue des récriminations sur les actes posés par les ministères précédents ; parlant de là, l'honorable membre s'est attaché à démontrer ce qui n'était pas en question, à savoir quel emploi avait été fait des fonds mis à la disposition des ministères qui se sont succédé depuis dix-sept ans. L'honorable membre a dit : On a dépensé de fortes sommes ; mais ces sommes ont-elles été bien employées, ont-elles été employées d'une manière productive ?
Qui, messieurs, l'avait contesté ? Qui avait mis en discussion le point de savoir si parmi les dépenses des dépenses utiles n'avaient pas été faites dans l'intérêt du pays ? Quelle avait été la question soulevée ? Celle qui devait être décidée et ne l’a pas été dans le discours que vous venez d'entendre. A l'aide de quelles ressources est-il possible de faire face à la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui ? Voilà la question ; voilà ce que vous n'avez pas dit....
M. Orban. - On nous l'a dit : à l'aide des assurances.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - L'honorable membre peut être certain que ceci recevra sa réponse en temps et lieu.
Je dis qu'on n'a pas indiqué, parce qu'il était impossible d'indiquer, comment on devait faire face à la situation telle qu'elle a été laissée ; et je parle ainsi sans songer à des récriminations inutiles, sans entreprendre une revue rétrospective, pour me livrer au blâme ou à l'admiration ; sans discuter les chiffres du passé, mais en les prenant comme nous les trouvons.
Je pose la question comme hier. Quelles sont les obligations devant lesquelles nous nous sommes placés ? Vous avez disserté sur le chiffre de la dette flottante, vous avez discuté longuement sur ce qu'il fallait entendre par déficit. Tout cela est complètement inutile dans le débat. Vous convient-il de soutenir que nous n'ayons pas 25 millions de dette flottante ? Voulez-vous que j'énonce avec vous que cette dette varie entre 8, 9, 10 millions, comme l'honorable membre l'a indiqué ? Mais, de grâce, prenez ce chiffre comme premier article du passif, c'est bien là le premier article du passif ! Voilà donc 10 millions ; avons-nous oui ou non des crédits supplémentaires pour 5,600,000 Ir. ? Avons-nous oui ou non des crédits complémentaires pour 4,800,000fr. ?Avons-nous besoin oui ou non d'un crédit extraordinaire pour dégager le fonds des routes, de 1,300,000 fr. ? Avons-nous oui ou non de larges besoins estimés comme vous l'entendrez, pour faire face à la situation du chemin de fer : 8, 10, 20 millions ? Prenez la somme qui ira le mieux à vos calculs. Mais reconnaissez qu'il faut des sommes importantes pour couvrir les dépenses utiles, indispensables qu'entraînera l'exécution des projets de lois que vous avez présentés.
Je n'ai pas récriminé non plus à cet égard ; j'ai simplement constaté le fait de la présentation de projets de lois que nous reconnaissons utiles, nécessaires en certaines limites, que nous défendrons comme vous les auriez défendus ; mais ne faut-il pas, pour les exécuter, des sommes considérables ?
Vous avez demandé si, pour l'exécution de ces projets soumis aux chambres, j'avais voulu parler de trois millions de rente ou de trois millions de capital. Je vous avais averti qu'en faisant des évaluations, je mettais une extrême modération dans l'intention de vous obliger à le reconnaître, et votre ironie prouve assez que je ne m'étais pas trompé. Eh bien, Oui, trois millions ne sauraient suffire ; vous l'avouez. Pour donner vie aux lois dont vous avez saisi la chambre, il faut, au minimum, cinq à six millions.
Si vous voulez compléter l'enseignement primaire, si vous voulez organiser l'enseignement moyen, si vous voulez organiser l'enseignement agricole et l'enseignement vétérinaire, si vous voulez pourvoir sous ce rapport à tous les besoins, une dépense de 5 à 6 millions est indispensable ; vous l'aviez prévu, vous ne pouviez pas l'ignorer ; vous étiez convaincu qu'il fallait pourvoir à des dépens s nouvelles ; et, cela posé, je vous ai demandé, à vous, qui niez la nécessité de créer des ressources extraordinaires, quelles étaient vos ressources ? quels étaient vos moyens pour faire face à ces besoins constatés ?
J'ai ajouté qu'il y avait d'autres dépenses non moins importantes, que nous serions obligés de soumettre à la chambre, dans un avenir plus ou moins prochain ; je les ai énumérées hier en les évaluant à 20 millions.
Si je résume cette masse de millions que je viens de faire rouler devant vous, que trouverai-je ? En prenant les évaluations les plus modérées, il ne me serait pas difficile d'arriver à soixante et dix millions de dettes à payer ou de dépenses à faire dans un temps rapproché....
M. Orban. - On n'admet pas tout cela.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - L'honorable membre a l'habitude de m'interrompre. Prenez la parole, monsieur, discutez les chiffres, si vous le trouvez bon. Mais l'honorable M. Orban ne pourra pas en contester un seul, pas plus que ne l'a fait l'honorable M. Malou.
Dites-moi donc à l'aide de quelle réserve mystérieuse votre entendiez pourvoir à ces dépenses ? Vous me répondez par la question de savoir si l’équilibre est rompu entre le budget des dépenses et le budget des voies et moyens pour 1848. Vous me répondez par des protestations anticipées sur la loi relative aux droits de succession, que nous saurons défendre quand le moment sera venu de la discuter ; loi juste, loi honnête, loi morale, qui est appliquée dans d'autres pays, qui est appliquée en France et en Angleterre ; en Angleterre, pays aristocratique qui n recule pas devant la nécessité d'imposer les riches pour faire face aux dépenses publiques ! Il faudra autre chose que cette ressource en supposant que la chambre l'admette, pour satisfaire aux exigences de la situation !
Quand vous aurez discuté les budgets avec scrupule, quand vous en aurez fait disparaître tout ce qui peut en être élagué, vous reconnaîtrez que l'équilibre tant désiré nous échappe, et vous voterez ces recettes comme indispensables pour mettre nos revenus au niveau de nos besoins. Mais quand vous aurez fait cela, aurez-vous acquitté toutes les dettes que j'ai indiquées ? Aurez-vous les moyens de pourvoir aux dépenses que j'ai signalées ?
Il est vrai que l'honorable M. Malou, sans s'expliquer catégoriquement sur les chiffres qui lui sont opposés, essaye de faire entendre qu'il a médité jadis quelque grande mesure qui était destinée à liquider les dettes du passé, les obligations d'aujourd'hui et les engagements qui viendront à échoir demain. Il nous entretient de projets qu'il a nourris pendant qu’il était au ministère, mais qu'il s'est bien gardé de réaliser pendant qu'il occupait le pouvoir.
Il nous parle vaguement des espérances qu'il avait conçues de transformer le gouvernement en assureur général, en agent de la prévoyance universelle, en institution sociale, ayant pour but de consacrer définitivement le bonheur de tous les Belges ! Il m'est impossible de prendre ces idées au sérieux, moins encore d'y découvrir le moyen actuel de venir efficacement en aide au trésor obéré. Sans doute, dans une certaine mesure et en acceptant ce qui paraît praticable dans les idées de l'honorable membre ; sans doute en monopolisant les assurances, il est possible de procurer quelques ressources au trésor de l'Etat. Mais je veux être large en escomptant vos espérances ; je veux admettre que le trésor trouve ainsi une ressource de 3 millions.
M. Malou. - Davantage.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Vous voulez davantage ? Eh bien, mettons cinq millions. En supposant que nous puissions réaliser votre idée, nous aurons donc cinq millions ! Mais c'est là ce qu'il faudrait pour payer les intérêts et l'amortissement des capitaux à emprunter si l'on veut payer la dette, si l'on veut acquitter les dépenses déjà faites, si l'on veut exécuter les lois projetées et les travaux extraordinaires prévus depuis longtemps. Ainsi la nécessité de créer des ressources extraordinaires apparaît de plus en plus évidente, et puisque l'on ne saurait pas opérer d'assez notables économies pour faire face à la situation, il faudra bien se résigner à cette nécessité.
Un mot maintenant en réponse à quelques détails dont l'honorable M. Malou s'est également occupé.
L'honorable M. Malou, répondant à l'objection que j'ai eu l'honneur de vous soumettre quant au fonds des routes et au crédit extraordinaire de 1,300,000 fr., a prétendu que le ministère auquel nous avons succédé n'avait fait que suivre les précédents, en engageant le fonds des routes pour un grand nombre d'années.
L'honorable membre a ajouté que la loi de comptabilité autorisait même ce mode d'opérer. Je suis profondément convaincu que l'honorable membre est dans l'erreur sur le sens qu'il attache à la loi de comptabilité.
L'article 19 de cette loi, que j'ai sous les yeux, porte que « quand la dépense, à raison de l'importance des travaux, ne peut se réaliser complètement dans le cours du budget, ils (les ministres) peuvent stipuler pour un plus long terme sans pouvoir dépasser celui de 5 années, à compter de celle qui donne son nom à l'exercice. »
Le sens de cette disposition ne peut être douteux. Elle ne signifie pas que si l'on ne peut payer en une année des dépenses pour des travaux qui doivent s'exécuter en une année, On pourra répartir ces dépenses sur les exercices futurs. S'il en était ainsi, il serait au pouvoir de tous les ministres, contrairement au vœu de la loi, d'engager indéfiniment et par anticipation les fonds du budget.
Cette dérogation à la règle générale prescrite par le premier paragraphe de l'article 19 qui exige que les fonds ne soient engagés que pour une année, signifie que pour des travaux qui sont destinés à être exécutés en plusieurs années, on pourra répartir la dépense sur plusieurs exercices. C'est ce qui est parfaitement énoncé dans l'exposé des motifs où je lis :
« L'article 16 établit comme règle générale que les ministres ne font aucun contrat, marché ou adjudication pour une terme dépassant la durée du budget, qui porte l’allocation nécessaire pour faire face à la dépense. Cette règle qui obtiendra sans doute votre approbation, puisqu'elle tend à mettre la durée des contrats en harmonie avec celle des budgets, ne doit souffrir d'exception que lorsqu'il y a nécessité de contracter des marchés d’un plus long terme pour des travaux qui, à raison de leur importance, ne peuvent être achevés dans le cours d’un exercice. »
Et dans la discussion de cette même disposition, l'honorable M. Malou (car je pense qu'il était au ministère des finances) a formellement énoncé que les expressions contenues dans l'article 19 concernaient les travaux importants qui ne peuvent s’exécuter dans le cours de l’exercice.
Voilà donc la loi !
Maintenant voyons les faits.
En fait, on a ordonné en 1845 et en 1846 des travaux pour une somme de 2,100,000 fr. Quand ces travaux ont-ils été exécutés ? En 1846 et 1847. Ils seront intégralement achevés en 1847, à l’exception de quelques-uns, dont l’achèvement complet n’aura lieu que dans les premiers mois de 1848, toujours payables sur l’exercice 1847.
(page 178) Or, au lieu de demander un crédit extraordinaire ou de répartir ces 2,100,000 fr., si cela eût été possible, sur les budgets de 1846 et de 1847, le ministère les a répartis sur les exercices 1846. 1847, 1848, 1849 et même sur l'exercice 1850. Voilà l'opération que j'ai qualifiée d'irrégulière, sans porter une accusation contre mon honorable prédécesseur, car je sais très bien qu'il a été jusqu'à un certain point étranger à ce qui s'est fait à cette occasion. En effet, lorsqu'en 1845 mon honorable collègue M. d'Hoffschmidt occupait le département des travaux publics, et que des travaux extraordinaires avaient été décrétés par le ministère, il avait été résolu qu'un crédit extraordinaire d'un million serait demandé à la législature. Mais, après son départ et dans la vue de ne pas présenter ultérieurement une situation financière, qui eût été assez pénible sous le rapport de l'équilibre des budgets que l'on tenait à former, ne fût-ce qu'en apparence, on a résolu de porter la dépense sur plusieurs exercices, engageant ainsi par anticipation et illégalement les fonds des budgets qui devaient être votés.
J'ai sous les yeux une lettre du 6 octobre 1846, adressée au département des travaux publics par l'honorable M. Malou, qui constate le fait.
L'opération eût été régulière et conforme aux précédents si les travaux n'avaient pu être exécutés que dans le cours de plusieurs exercices. Mais le but même que l'on s'était proposé prouve assez qu'il en était autrement.
Ainsi je maintiens complètement mon observation en ce qui touche le fonds des routes, et quant à la nécessité de voter un crédit extraordinaire de 1,300,000 francs que je porte au passif de l'ancienne administration. En d'autres termes, c'est une dette que nous trouvons et qui doit être acquittée.
Quant au chemin de fer (observation par laquelle l'honorable M. Malou a terminé son discours), notre évaluation est de 16 millions. Nous n'avons pas tenu compte, suivant l'honorable M. Malou, de diverses circonstances qui, d'après lui, auraient dû faire porter cette évaluation à une somme supérieure.
La recette des dix premiers mois de 1847 a été de 12,544,676 fr. ; je ne tiens pas compte de quelques centimes. Les recettes des mêmes mois de 1846 avaient été de 11,560,855 fr. L'augmentation était donc de 983,821 fr., soit de 8.51 p. c. Les deux derniers mois de 1846 ont donné 2.095,052 fr., en y ajoutant 8.51 p. c. la recette pour les deux derniers mois de 1847 serait de 2.273,341 fr. La recette des dix premiers mois ayant été, comme je viens de le dire, de 12,544,676 fr., celle de l'année entière peut être évaluée à 14,818,016 fr. ; et en supposant pour 1848 une augmentation de recette égale à l'augmentation de 1846 sur 1845, soit 626,382 fr., nous arriverions au chiffre de 15,440,370 fr. Eh bien ! nous avons porté nos prévisions à 16 millions. Nous avons donc été au-delà de ce que nous pouvions admettre suivant les règles de probabilité.
Mais, me dit l'honorable M. Malou, vous aurez 1/5 de plus à exploiter, vous deviez compter également sur 1/5 de plus en recette.
M. Malou. - Je n'ai pas insisté là-dessus. J'ai reconnu que j'avais mal compris vos explications. J'ai raisonné sur les développements du budget qui accusent 1/10 de mouvement en plus.
Pardonnez-moi l'interruption. Si je la fais, c'est pour que votre réponse soit plus concluante.
M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Les explications qui se trouvent aux développements du budget sont d'accord avec celles que je présente en ce moment. La recette figure donc au budget des voies et moyens pour 16 millions. Il n'y a aucune espèce de raison pour porter ce chiffre à 16,500,000 fr., comme on l'avait évalué dans le budget présenté par le ministère précédent.
L'honorable M. Malou retranche son observation pour le cinquième de plus à exploiter, et ce n'est pas sans motif, car sur les lignes nouvelles, l'Etat ne perçoit que la moitié de la recette brute, ce qui suppose une recette effective fort éventuelle. Mais quant aux waggons dont il vous a parlé et que nous aurons pour le compte de l'Etat, nous les avons actuellement. Nous les détenons à titre de location. Nous les empruntons aux compagnies étrangères, et nous en payons la location. Il n'y aura donc pas d'augmentation dans les recettes, parce que nous aurons des waggons en plus. Les moyens de transport ne procurent pas des objets à transporter. Si nous avions des milliers de waggons, nous n'aurions pas nécessairement dix millions de recette en plus. L'observation de l'honorable M. Malou ne mérite donc pas qu'on s'y arrête davantage.
Je me résume, messieurs, à part les observations de détails que je viens de soumettre à la chambre, il reste vrai que l'administration nouvelle se trouve placée en face de besoins que l'on ne peut estimer à moins de 70 millions ; et sans que d'aucun côté on puisse signaler au gouvernement les ressources à l'aide desquels il pourrait satisfaire à ces dépenses impérieuses. Il faut donc des ressources extraordinaires, comme nous l'avons dit dès le principe, pour affronter une situation qui n'est pas normale, et nous ne pouvons les trouver que par l'emprunt et l'impôt. Il faut avoir le courage de le déclarer hautement, et je signale à l'attention de la chambre ce fait capital que les organes du ministère précédent qui défendent actuellement cette thèse, qu'il n'y aurait pas lieu à recourir à des mesures extraordinaires, avaient eux-mêmes reconnu, les années précédentes, notamment par l'organe de mon honorable prédécesseur au département des travaux publics, qu'il y avait nécessité d'opérer un emprunt.
- La séance est levée à 4 heures et demie.