(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 129) M. T’Kint de Naeyer. procède à l'appel nominal à 2 heures.
Il donne ensuite lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est adoptée, et communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.
« Le sieur Voniot prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir i.ne pension du chef de ses services militaires sous le gouvernement français. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants des sections dites de Touquet de Fulenghem, le Guerre de St-Yvon, dépendant de Warneton, présentent des observations contre la délimitation entre Warneton et le Ploegsteert. »
- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.
« Plusieurs habitants de Seveneecken demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1836 qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées.
a Même demande de plusieurs habitants de Gavre et des cabaretiers et débitants de boissons distillées de Somergem. »
- Renvoi à la section centrale du budget des voies et moyens.
« Le sieur Vanveyer prie la chambre de statuer sur la demande tendant à pouvoir jouir du bénéfice qui a été accordé par la loi du 4 juin 1839 aux Limbourgeois et aux Luxembourgeois. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Le sieur Pollenus prie la chambre de voter les fonds nécessaires à la canalisation du Demer depuis Diest jusqu'à Hasselt, et demande la continuation de la roule de Saint-Trond à Heick-la-Ville jusqu'au camp de Beverloo. »
- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.
« Les secrétaires communaux du canton d'Ath demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de la commune d'Herdersem demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1838, qui établit un impôt de consommation sur les boisson distillées. »
- Renvoi à la section centrale du budget des voies et moyens.
« Le sieur Flue prie la chambre de lui accorder la remise des 500 fr. de droit d'enregistrement, qu'il a versés dans la caisse du trésor à Gand, par suite de la naturalisation qui lui a été conférée par la loi du 27 mai dernier. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Anspach, rapporteur. - Messieurs, j'ai l'honneur de vous présenter le rapport de la commission permanente des finances sur une pétition de la ville de Bruxelles.
« Le conseil communal de Bruxelles demande la révision de la loi sur l'impôt foncier, des modifications aux lois sur les patentes et sur la contribution personnelle, et provisoirement l'exécution impartiale des dispositions existantes, »
La commission, reconnaissant la justesse de plusieurs des réformes demandées, croyant d'ailleurs qu'il serait intéressant de rendre publics les documents qu'elle contient, vous propose le renvoi à la section centrale des voies et moyens et l'insertion au Moniteur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Lange. - J'ai l'honneur de présenter le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner la demande de crédit supplémentaire faite pour le département de la justice.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et mis à l'ordre du jour après le budget de la dette publique.
M. T’Kint de Naeyer. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet d'allouer au département de l'intérieur un crédit supplémentaire de 500,000 fr. pour mesures relatives aux subsistances, à prendre dans les districts liniers des Flandres, du Hainaut, etc.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et mis à l'ordre du jour à la suite des objets qui y sont déjà.
M. Osy. - Messieurs, je me réserve de prendre la parole, comme rapporteur, au fur et à mesure que nous arriverons aux articles sur lesquels la section centrale vous a fait des propositions.
Maintenant, comme membre de la chambre, je demande la permission de présenter quelques observations sur le budget des affaires étrangères.
Nous devons tous convenir que le budget des affaires étrangères se monte à une somme très considérable. Depuis quelques années, ce budget vous ne l'avez pas voté, car une partie énorme de ce budget nous est présentée sous forme de crédits supplémentaires ; aujourd'hui encore nous avons reçu une demandé de crédit supplémentaire de 160,000 fr. Si l'on continuait cette marche, il deviendrait inutile de consacrer autant de temps que nous le faisons à discuter des budgets. J'espère que le nouveau ministère, fidèle à la franchise qu'il nous a promise, demandera toutes les sommes qu'il croira nécessaires pour les besoins du service, et ne continuera pas la marche des crédits supplémentaires, qui est le plus grand fléau d'un pays, parce qu'elle ne permet pas au ministre des finances d'apprécier les besoins réels.
M. le ministre des finances nous a annoncé que les dépenses arriérées des différents ministères s'élèvent à une somme de 5 à 6 millions. La balance de nos finances sera ainsi détruite. J'engage le nouveau ministère à nous faire connaître franchement l'arriéré des es prédécesseurs, à ne présenter pour l'avenir que des budgets réels, à faire en soi te qu'il n'y ait plus de budgets supplémentaires que pour les dépenses réellement imprévues, à ne plus cacher les besoins du service.
Dans la session dernière, nous avons voté des crédits supplémentaires s'élevant à cent pour cent des crédits primitifs. Pour des crédits de 80,000 fr., on a demandé des crédits supplémentaires de 80,000 fr. et plus, et ainsi de suite.
Notre diplomatie me paraît excessivement payée, parce que nous voulons imiter les grandes puissances, avoir des ministres résidents, des ministres plénipotentiaires et même des ambassadeurs, tandis que beaucoup de nations, ayant plus d'importance que la Belgique, se trouvent très bien de n'avoir que des chargés d'affaires.
(page 130) Depuis plusieurs années, plusieurs membres du corps diplomatique, qui n'étaient que chargés d'affaires et pour lesquels nous ne votions que le traitement de ce grade, ont obtenu des titres beaucoup plus élevés ; et ils demandent également des augmentations de traitements. Comme je l'ai dit dans la discussion des précédents budgets, nous devons persister avec fermeté dans notre résolution de ne pas augmenter les traitements, quels que soient les titres conférés par le gouvernement.
Je crois qu'il nous suffirait d'avoir des ministres plénipotentiaires près de deux ou trois grandes puissances, et que partout ailleurs nous pourrions avoir de simples chargés d'affaires.
Si cet usage venait à prévaloir, vous y trouveriez une grande économie, non seulement quant au chiffre des traitements, mais encore sur les autres chiffres du budget, notamment pour les missions étrangères et les dépenses qu'elles entraînent.
J'espère donc que le gouvernement examinera cette question, et qu'il avisera à introduire de économies.
Comme député, je ne propose pas d'économies sur les traitements. Je laisse au gouvernement le soin de faire des propositions en ce sens aux prochains budgets.
Mais ce n'est pas assez de parler d'économies. Quand il y a moyen d'avoir des recettes, il ne faut pas les négliger. A la fin de la dernière session, alors que malheureusement nous étions en petit nombre, et que la chambre, pressée de se séparer, n'était pas très disposée à écouter, j'ai eu l'honneur de faire une proposition qui pourrait amener d'assez grandes ressources. Je n'entrerai plus dans les mêmes détails, parce que ce seraient des redites ; mais je prierai le nouveau ministère de remplir la promesse qu'avait faite l'honorable M. Dechamps, en avril dernier, d'examiner la question.
Sous l'ancien gouvernement, tous ceux qui avaient l'honneur d'être anoblis par S. M. devaient payer des sommes considérables. On devait également payer pour reconnaissance d'anciens titres. Tout cela était réglé par arrêté royal. D'après notre Constitution, aucun impôt ne peut être mis en recouvrement s'il n'a été décrété par la loi. Aussi se borne-t-on à un droit d'enregistrement de 100 fl. ; c'est le seul impôt qui ait encore été perçu depuis 1830, parce que c'est le seul qui existe en vertu d'une loi.
Dans tous les pays, en France, en Autriche, partout où l'on reçoit des titres de noblesse ou des reconnaissances de noblesse, on est obligé de payer des sommes très considérables. Je ne vois donc pas pourquoi ceux qui, en Belgique, tiennent à obtenir des titres, ne les payeraient pas.
Je vous disais à la session dernière que si le gouvernement ne présentait pas une loi à cet égard dans cette session, j'userai de mon initiative pour faire une proposition. Mais comme nous avons devant nous un nouveau ministère, je désirerais qu'il nous dît ce qu'il compte faire.
Je vous disais aussi à la session dernière que ceux qui ont reçu des titres depuis 1830 se sont engagés formellement à payer tout impôt que nous décréterons sur les titres de noblesse. Je me suis procuré la copie de cet engagement et je me permettrai de vous en donner de nouveau lecture, il est ainsi conçu :
« Je m'engage à acquitter les droits qui sont ou qui pourront être ultérieurement imposés en vertu des lois du chef de la délivrance des lettres patentes. »
Vous voyez, messieurs, que ceux qui ont demandé des titres et en ont obtenu, ont su à quoi ils s'engageaient. Au revers de la pièce dont il s'agit, je trouve une note qui dit : « Néanmoins, comme il pourrait arriver qu'une loi, déjà plusieurs fois sollicitée dans les chambres, vînt établir une taxe sur les reconnaissances et les concessions de noblesse et de titres, le ministre des affaires étrangères a toujours eu soin de demander aux impétrants l'engagement hypothétique d'acquitter les droits qui pourraient être imposés de ce chef. »
Vous voyez, messieurs, qu'il s'agit ici d'un engagement formel, que le gouvernement a prévenu les personnes qui ont obtenu des titres avant qu'elles ne retirassent leurs diplômes, que dès lors tout droit qui sera établi pourra atteindre les personnes qui ont été anoblies sans qu'on puisse accuser la loi de rétroactivité.
Messieurs, j'ai cherché dans l'Annuaire nobiliaire le nombre de personnes qui ont reçu des titres ou des reconnaissances de noblesse de Sa Majesté.
Il y en a eu, jusqu'au 1er janvier 1847, deux cent trente. J'en ai fait le dépouillement par titres, et j'ai trouvé que si nous appliquions, soit les arrêtés qui existaient avant la révolution, soit le droit qui avait été proposé au sénat en 1844, vous pourriez réaliser immédiatement une recette de 479,000 francs.
Messieurs, tous ceux qui ont obtenu des titres ont été charmés de les recevoir ; j'espère qu'ils seront également charmés de payer ; d'autant plus qu'ils ont su à quoi ils s'engageaient lorsqu'ils ont reçus leurs diplômes.
Messieurs, je vous rappellerai qu'en 1844, le sénat, à l'occasion de la loi des naturalisations, avait proposé d'imposer un droit assez fort sur la collation des titres de noblesse. Il n'a pu être donné suite à cette proposition, parce que, d'après la Constitution, le sénat n'a pas l'initiative des propositions d'impôts. Voici comment était conçu l'article premier de cette proposition : « Les lettres patentes, conférant purement et simplement la noblesse, sont soumises à un droit fixe d'enregistrement (sans additionnels) de 1,000 francs ;
« Les mêmes lettres, conférant le titre héréditaire de chevalier, à un droit de 2,000 fr.
« Celles conférant le titre de baron à un droit de 3,000 fr.
« De vicomte, 4,000 fr.
« De comte, 5,000 fr.
« De marquis, 6,000 fr.
« De duc ou de prince, 20,000 fr.’
Eh bien, messieurs, les arrêtés du roi Guillaume fixaient un tarif plus élevé, la différence était de quelques centaines de florins, mais j'ai pris pour base de mes calculs les chiffres de la proposition du sénat, qui ne rencontrera, sans doute, aucune opposition, et je suis arrivé à ce résultat, qu'en appliquant la mesure proposée par le sénat, on ferait immédiatement rentrer dans le trésor une somme de 479,000 fr. Or, dans la situation actuelle de nos finances un pareil résultat serait très heureux, et j'engage vivement le gouvernement à examiner cette question sans retard.
Messieurs, le même jour j'avais dit que, d'après les lois existantes on est obligé d'insérer au Moniteur tous les arrêtés qui accordent ou reconnaissent des titres de noblesse. M. Lebeau m'a soutenu, et M. le ministre des affaires étrangères d'alors a dû reconnaître que M. Lebeau avait parfaitement raison.
Eh bien, messieurs, je demande la publication de tous les arrêtés de ce genre qui ont été pris depuis 1830 ; alors nous ne devrons plus recourir à des pièces non officielles, les seules sur lesquelles je puisse me baser en ce moment. Je demande également que le gouvernement prenne l’engagement de faire insérer au Moniteur tous les arrêtés relatifs à des titres de noblesse, qui seront pris ultérieurement. Il est vraiment incontestable qu'on n'ait donné aucune publicité à ces actes ; il semblerait vraiment qu'on a été honteux de ce qu'on a fait depuis 1830 en ce qui concerne les titres de noblesse.
Je demande, en outre, messieurs, que le gouvernement s'occupe de la deuxième question, celle de l'établissement d'un impôt sur les titres de noblesse. Il s'agit de faire entrer 500,000 francs dans le trésor, et cela sans gêner qui que ce soit.
M. Rodenbach. - Il y a déjà plusieurs années, messieurs, que j'ai provoqué dans cette enceinte l'établissement d'un impôt sur les titres de noblesse ; un honorable préopinant vient également de vous entretenir de ce point et il vous a donné lecture, je pense, de la proposition qui a été faite au sénat. Si j'ai bonne mémoire, l'honorable ministre des affaires étrangères, à cette époque, a annoncé que le gouvernement s'était déjà occupé d'un projet de loi sur la matière. Il s'agissait d'un droit de succession sur les titres de noblesse. L'honorable préopinant vient de nous parler d'un droit d'enregistrement de 1,000 fr., je pense, pour les titres de baron et de comte ; je trouve, messieurs, que cet impôt ne serait pas assez considérable. Voyons ce qui se passe dans d'autres pays. J'en citerai un seul exemple. En France, d'après un document que j'ai eu entre les mains, il a été accordé, depuis quelque temps, 38 titres de noblesse.
On a nommé 38 ducs, comtes ou barons qui ont versé dans le trésor une somme de 200,000 fr. On devrait donc exiger le payement d'un droit beaucoup plus élevé en Belgique. En France, un titre de duc se paye 18,000 fr. ; un titre de comte 7,200, et un titre de baron, 3,600 ; on appelle cette taxe un droit de sceau... (Interruption.) Sans calembour.
Je me joins donc à l'honorable préopinant pour demander qu'on présente un projet de loi sans le moindre délai. Cela presse : nos caisses ont besoin de se remplir.
Je n'en dirai pas davantage ; je suis indisposé ; j'ajouterai seulement qu'il est urgent d'introduire force économies dans les budgets ; ensuite qu’il est de la plus haute importance, notamment pour les Flandres, qu'on s'occupe également de la confection d'un projet de loi sur les exportations.
En effet, vous savez, messieurs, qu'on fabrique considérablement dans notre royaume, et surtout dans les Flandres ; mais ce qui manque, ce sont des débouchés pour diminuer l'extrême misère. Je recommande donc vivement au cabinet de ne pas perdre de vue cet objet ; déjà, sous le ministère de l'honorable M. Dechamps, un projet de lot avait été présenté, et la section centrale avait fait son rapport ; j'ignore quelles sont les intentions du gouvernement à l'égard de ce projet, mais en tout cas, il importe extrêmement que le cabinet s'empresse de nous faire une proposition pour l'exportation des marchandises qui encombrent nos fabriques, et notamment celles des toiles.
M. Delehaye. - Messieurs, au commencement de la session, le gouvernement a manifesté le désir de voir remettre à l'examen du budget de 1849 les différentes observations que nous pouvions avoir à faire sur les budgets. Ce désir est aussi le mien. Je pense qu'il est très utile que tous les budgets soient votés avant le 1er janvier prochain ; et par ce motif, voulant autant que possible économiser le temps, je ne ferai en quelque sorte que justifier le vote que j'émettrai.
Jusqu'ici mon opinion a été constamment défavorable au budget des affaires étrangères. Ce vote trouvait sa justification dans la position que j'avais prise vis-à-vis des cabinets précédents. Adversaire politique de ces cabinets, il me suffisait de manifester ma position par un vote négatif.
Ce motif, j'aime à le dire, n'existe plus aujourd'hui. Le cabinet a toute ma confiance, toute ma sympathie. Si donc ce motif n'existe plus, il (page 131) en est d'autres qui me forcent à persister dans mon opinion, surtout dans les circonstances où nous nous trouvons.
Messieurs, je suis de ceux qui pensent qu'en Belgique, il est de toute nécessité que nous entrions franchement, loyalement, dans la voie des économies. Je crois que si l'opinion à laquelle nous appartenons, a triomphé au 8 juin, c'est qu'on estimait que cette opinion pourrait aussi réaliser de grandes économies. J'insiste donc sur ce point. Soyez bien persuadés que rien n'est plus important, plus populaire pour le parti libéral que de ne pas laisser à ses adversaires l'initiative des économies que l'on voudrai ! introduire dans le budget.
J'engage, en conséquence, tous mes amis politiques, s'ils veulent conserver dans le pays cette sympathie qui a fait triompher notre opinion aux dernières élections ; je les engage à proposer et à adopter toutes les économies qui pourront être faites.
M. de Garcia, M. Rodenbach et d’autres membres. - Nous adhérons à vos paroles.
M. de Man d’Attenrode et d'autres membres. - Nous sommes d'accord.
M. Delehaye. - Si j'avais entendu l'interruption, je pourrais y répondre.
Un membre. - Nous vous donnerons la main.
M. Delehaye. - Cette main je l'accepterai volontiers. Cependant j'ai moi-même tendu la main sous le ministère précédent et vous n'avez pas répondu à mon avance, vous vous êtes éloignés de moi ; et aujourd'hui que je suis de la majorité, je vous tends encore la main, nous verrons si, comme vous le dites, vous l'accepterez. Toutefois je ne me dissimulerai pas que vous pourriez bien n'accepter la main que je vous offre, qu'avec l'arrière-pensée de susciter quelque embarras au ministère et nullement avec le désir d'alléger nos charges. Je tâcherai de formuler mes propositions en conséquence, car je ne veux pas que ces propositions tendant à réduire les charges publiques, servent à vous ramener au pouvoir.
Le budget des affaires étrangères ne me paraît pas en rapport avec les ressources du pays. Je ne pense pas qu'une nation comme la Belgique ait besoin d'avoir à l'étranger une représentation aussi coûteuse que celle que nous avons. Remarquez que toutes ces légations que nous payons si cher n'ont jamais été d'aucune utilité ; toutes les fois qu'il s'est agi de négociations commerciales ou industrielles, et la Belgique ne peut guère en faire d'autres, force a été au ministre d'envoyer des agents spéciaux.
Il n'est pas à ma connaissance qu'une convention ail pu se faire, qu'un traité ait pu se conclure, même un traité postal, sans que l'on ait envoyé à cet effet des agents spéciaux ; les chefs de légation n'y étaient pour rien, ils n'apparaissaient que pour la forme.
Je concevrais une représentation semblable pour un pays qui jouirait de la plénitude de son indépendance. Mais la Belgique, pays neutre, n'ayant pu se constituer comme elle l'entendait, ayant dû se conformer à ce qu'exigeaient les puissances intéressées à sa constitution, a, sous le rapport politique, peu de choses à faire ; les puissances qui ont présidé à sa constitution ayant intérêt à ce que sa nationalité soit respectée.
Sous le rapport industriel, j'invoque les antécédents : jamais convention n'a été conclue sans qu'on ait envoyé des agents spéciaux. Rappelez-vous, messieurs, ce qui s'est passé. Vous avez exprimé la nécessité d'ouvrir des négociations avec l'Espagne : qui a été chargé de ces négociations ? Etait-ce notre chargé d'affaires ? Nullement ; il a fallu un agent spécial. Quand on a conclu une convention avec la France, est-ce le ministre plénipotentiaire que vous avez chargé de la négociation ? L'honorable M. Dechamps me fait un signe affirmatif. Il sait bien que cet agent n'y était pour rien.
J'ai fait partie de la section centrale, qui a examiné la convention, et je me rappelle fort bien que les pièces qui ont été soumises à notre examen émanaient d'une personne autre que le chef de la légation. Le ministre des affaires étrangères avait envoyé un négociant en toiles de Tournay et en outre des agents qu'il est inutile de nommer ; c'étaient ceux-là qui étaient chargés de poursuivre la négociation.
Le ministère précédent, quoiqu'il nous ait laissé peu de chose à approuver, vous a cependant donné un exemple bon à suivre. Nous avions en Espagne et en Portugal des chargés d'affaires ; on a cru qu'il pourrait être plus utile au pays que ces agents eussent une qualité supérieure ; le gouvernement leur a conféré un titre plus élevé, mais il a eu soin de leur dire que cette qualité ne serait jamais un motif pour augmenter leur traitement.
Qu'en est-il résulté ? Que les agents remettaient directement leurs lettres de créance au souverain, mais que le pays n'avait pas pour cela une obole de plus à payer. Cet exemple, dont je reconnais tout le mérite, que je rapporte volontiers au cabinet précédent, est bon à suivre ; je le soumets à l'attention du gouvernement ; je voudrais que nous n'eussions que des chargés d'affaires. Quant à ceux de nos ministres plénipotentiaires qui voudraient conserver ce titre, ils le pourraient, mais ils ne seraient payés que comme chargés d'affaires. De cette manière, le pays ne serait point tenu de payer ni au-delà du service qu'il reçoit, ni au-delà de ses ressources. Nous réduirons ainsi notre budget ; ce sera déjà un. grand service rendu au contribuable.
Il est un autre point sur lequel je veux appeler l'attention de la chambre. La Belgique dépense un million pour la marine militaire, qui jamais n'a rendu aucun service. N'est-ce pas dans le moment actuel que nous devons faire disparaître de nos budgets toutes ces dépenses qui ne portent pas avec elles un caractère de nécessité d'urgence ? Je le demande au plus chaud partisan du pavillon national : Quelle utilité a-t-on jamais retirée de notre marine ? Je sais que, parfois pour utiliser quelques-uns de nos matelots, on les a cédés à des armateurs qui ont trouvé grand avantage à avoir leurs bâtiments servis par des hommes nourris aux frais de l'Etat ; mais le pays, quel avantage en a-t-il retiré ? Aucun.
Mettons la main à l'œuvre, tâchons d'arracher de nos budgets toutes les dépenses inutiles, extrayons toutes celles qui ne sont pas d'une urgence extrême, évidente ; et surtout ne tardons pas à retrancher du budget des dépenses pour une marine que nous ne connaissons que par les charges qu'elle nous impose.
J'engage donc la majorité à laquelle j'appartiens d'éliminer cette dépense ; elle rendra un grand service au pays et en même temps elle travaillera dans son intérêt d'avenir. Ce ne sera qu'en travaillant à l'allégement des charges qu'elle conservera sa popularité. Elle ne doit pas oublier que si le pays a réclamé des modifications au système politique, s'il veut avant tout l'indépendance du pouvoir civil, il exige aussi qu'on tienne compte de la position gênée dans laquelle il se trouve.
L'industrie et le commerce sont aux abois ; le paupérisme, quoique la dernière récolte ait été bonne, se développe ; il y a encore de très grandes souffrances. C'est un motif de plus pour entrer franchement dans la voie des économies. Lorsque le budget prochain nous sera présenté, je serai heureux d'y trouver des preuves d'un désir sincère d'alléger les charges ; ce n'est qu'à cette condition que le budget pour 1849 obtiendra de ma part un vote approbatif.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, deux honorables orateurs que la chambre vient d'entendre ont réclamé, non pour le budget actuel dont ils acceptent les chiffres, mais pour l'avenir, des économies dans le département des affaires étrangères. Messieurs, le ministère sent la nécessité des économies ; chaque fois qu'il pourra le faire sans apporter de perturbation préjudiciable aux intérêts du pays, il s'empressera d'en prendre l'initiative vis-à-vis des chambres. Mais il est des économies qui, au lieu d'être utiles au pays, pourraient lui être nuisibles, et celles-là nous ne devons pas les faire. Je pense qu'il n'est guère possible d'apporter des réductions dans le chiffre des traitements alloués à nos agents diplomatiques. En effet, on l'a dit souvent dans cette enceinte, tous ceux qui ont été à la tête de nos légations ont eu de la peine à satisfaire aux dépenses qu'ils doivent faire avec la somme qui leur est allouée au budget.
Du reste, messieurs, la position de notre diplomatie n'est pas celle d'un Etat de premier ordre. Les Etats de second ordre, qui sont dans une position analogue à celle de la Belgique, ont une diplomatie plus nombreuse et mieux rétribuée que la nôtre. Souvent, dans la discussion des précédents budgets des affaires étrangères, on a soumis à la chambre des tableaux qui démontraient que les Etats de deuxième ordre rétribuaient, en général, leur diplomatie mieux que la Belgique. Si vous alliez réduire encore le chiffre des traitements de nos agents diplomatiques, vous restreindriez ainsi à un très petit nombre de personnes les positions dont il s'agit. Il faudrait que nos agents diplomatiques eussent, indépendamment de leur traitement, une fortune considérable qui leur permette d'accepter une mission en pays étranger, et d'y tenir un rang analogue à celui que tiennent les agents diplomatiques des autres nations.
Maintenant surtout que la Belgique a, depuis 17 ans, une diplomatie dont la position a été confirmée par plusieurs votes successifs, personne n'en contestera l'utilité. C'est une nécessité politique entre nations qui se respectent ; c'est une obligation à laquelle se soumettent tous les Etats européens, tous les Etats civilisés. Si notre diplomatie était réduite à des traitements plus faibles que ceux qui sont actuellement au budget, elle se trouverait réellement impuissante, ou du moins dans un état d'infériorité vis-à-vis des autres diplomaties européennes.
Nos agents diplomatiques sont parfaitement en état de remplir toutes les obligations qui leur sont imposées. On ne peut dire non plus qu'ils n'aient pas été utiles jusqu'à présent. Après la conquête de notre indépendance, il existait d'assez nombreuses préventions contre notre pays. Notre diplomatie a puissamment contribué à faire connaître à l'étranger l'état de la Belgique, à la faire estimer et respecter comme elle doit l'être.
Je puis le dire, quoique je sois tout nouvellement à la tête du département des affaires étrangères, notre corps diplomatique a pris partout une excellente position, a su acquérir de l'influence près des gouvernements étrangers, et s'est ainsi mis à même de rendre des services chaque fois que l'occasion s'en présente.
L'honorable M. Delehaye nous a dit que presque chaque fois qu'il y avait un traité de commerce à négocier, on avait dû envoyer des agents spéciaux près de nos agents diplomatiques. Cela est vrai, surtout pour les traités de commerce, qui présentent beaucoup de détails. Il est évident qu'il y a alors avantage à envoyer près de nos agents diplomatiques des hommes spéciaux qui peuvent leur donner tous les renseignements dont ils ont besoin, renseignements qu'ils seraient incessamment obligés de demander à leur gouvernement. C'est ce qui est arrivé ; c'est ce qui arrivera encore, chaque fois qu'il y aura à négocier des traités d'une haute importance et contenant beaucoup de détails. Il ne s'ensuit pas que l'agent diplomatique ne négocie pas le traité, ne contribue pas puissamment à sa conclusion.
(page 132) Par son séjour près de la cour étrangère, l'agent diplomatique a pu acquérir de l'influence, en se créant de nombreuses relations avec les personnes importantes du pays, et c'est ainsi qu'il négocie utilement. C'est, du reste, lui qui est chargé de négocier avec le ministre des affaires étrangères, lorsqu'il s'agit d'un traité de commerce, et non l'agent spécial, qui n'a d'autre mission que de lui procurer des renseignements.
Je le répète, après les votes successifs qui ont fixé, depuis un grand nombre d'années, le traitement de nos agents diplomatiques, je ne pense pas qu'il y ait lieu de revenir sur ces traitements. Ce serait réduire ces agents à une position fâcheuse. Ce serait les placer dans une position inférieure relativement à leurs collègues. Du reste, on ne voudrait sans doute pas faire subir une réduction à ceux qui jouissent de ces traitements et les mettre ainsi dans la nécessité de modifier leur manière de vivre à l'étranger : ce serait les frapper dans leur position acquise.
L'honorable Osy vous a parlé ensuite de la collation des titres de noblesse. Il a demandé que les arrêtés royaux conférant la noblesse soient publiés au Moniteur. Je crois que cette publication est en effet obligatoire, aux termes de la loi de février 1845. Aussi ai-je l'intention de faire publier les arrêtés portant collation ou reconnaissance de titres de noblesse qui seront rendus pendant mon ministère.
Quant à la question d'impôt, je sais qu'une proposition avait été faite au sénat pour l'établissement d'un droit très élevé d'enregistrement des lettres patentes conférant la noblesse. Ce projet n'a pas eu de suite.
La même question a été examinée par la commission héraldique, et a donné lieu de la part de son président, M. de Sauvage, à un excellent rapport très développé. Plusieurs systèmes sont en présence. On voudrait, d'une part, un droit d'enregistrement des lettres de noblesse, d'autre part, un droit de succession. Ces deux questions ont été examinées par la commission héraldique et par M. de Sauvage qui s'est prononcé pour le droit de succession. En ce moment, cette question est examinée au département des affaires étrangères ; elle est même soumise à mes honorables collègues.
L'honorable M. Rodenbach m'a demandé quelle était l'opinion du gouvernement sur une société d'exportation.
Déjà, dans le discours du Trône, nous avons fait connaître quelle était notre opinion. Le ministère actuel pense qu'une société d'exportation, bien organisée, bien dirigée, peut être utile pour l'extension de nos relations commerciales ; il croit donc qu'il y a heu d'établir cette société d'exportation ; mais il n'admet pas, dans son ensemble, le projet qui est soumis actuellement aux chambres ; il croit qu'il est utile d'y apporter des modifications ; ces modifications vous seront soumises.
M. Castiau. - Messieurs, mon honorable ami M. Delehaye a débuté par diriger les critiques les plus justes contre le budget des affaires étrangères et de la marine. Il vous a signalé l'exagération de la plupart des dépenses qui s'y trouvent portées et la nécessité d'effectuer enfin des réductions sur les allocations pour la plupart sans but et sans utilité.
Cependant, après ces critiques si fondées, l'honorable membre a déclaré, si j'ai bien saisi sa pensée, qu'il donnerait son adhésion au budget de 1848 et qu'il réserverait toute sa sévérité et ses propositions de réformes pour le budget de 1849.
J'avoue, messieurs, que je suis un peu plus impatient que mon honorable ami ; je ne puis, pour mon compte, me résigner à ajourner ainsi, pendant deux ans encore, ces réductions et cette sévérité que l'honorable membre nous annonce. Quant à moi, j'ai voté jusqu'ici contre le budget des affaires étrangères et de la marine, et, à mon grand regret, cette fois encore, je persisterai à lui donner un vote défavorable.
Cependant, messieurs, comme l'honorable M. Delehaye, je dois le dire, il ne s'agit pas ici, vous le comprenez parfaitement, de considérations politiques. J'ai une entière confiance dans le caractère, dans le zèle, dans le talent de l'honorable ministre des affaires étrangères, et s'il s'agissait seulement d'un témoignage d'estime et de sympathie, je m'empresserais de le lui donner. Mais il s'agit ici de considérations d'intérêt matériel, de considérations économiques, d'économies urgentes, qu'il est impossible d'ajourner plus longtemps et dont le ministère nouveau aurait dû prendre l'initiative. Ce sont ces considérations toutes d'intérêt matériel, qui me placent dans la pénible nécessité de rejeter le budget qui nous est soumis.
Nous sommes, en effet, messieurs, dans une situation financière grave, je ne dirai pas alarmante, mais enfin nous nous trouvons en présence d'un budget toujours croissant et qui est arrivé du chiffre de 80,000,000 au chiffre de 120,000,000 ; nous nous trouvons en présence d'un déficit considérable et de propositions d'impôts, en présence de travaux, de dépenses, de besoins de toutes espèces. Comment donc, dans une position aussi difficile, ajourner à 1849 des économies qu'on ne peut, au contraire, réaliser trop promptement ? Mais à quoi bon des économies dans nos budgets, si l'on continue à voter avec autant de facilité les crédits supplémentaires qu'on vous demande ? Notre honorable rapporteur vient de nous faire entendre sur ce point de sages et sévères paroles. Il a commencé par stigmatiser la facilité avec laquelle on venait nous demander des crédits supplémentaires. Car, indépendamment de toutes les charges que vous trouvez indiquées dans votre budget, il y a encore ces crédits supplémentaires, qui, comme vous l'a dit l'honorable rapporteur, s'élèvent quelquefois jusqu'à une somme égale à l'allocation que vous votiez au budget. C'est là, il l'a dit avec raison, un des fléaux qui pèsent sur notre régime financier ; c'est la plaie de ce régime ; c'est la cause principale du déficit et de la situation fâcheuse dans laquelle nous nous trouvons.
L'honorable rapporteur a signalé le mal ; mais je crois qu'il n'aurait pas dû se contenter de diriger ses reproches contre le gouvernement seul. Celui-ci, sans doute, est le premier coupable ; mais la majorité n'a été que trop longtemps sa complice ; elle doit donc aussi supporter sa part de responsabilité pour la facilité avec laquelle elle a constamment adopté les crédits supplémentaires qui lui ont été successivement demandés.
J'espère, messieurs, que la nouvelle majorité comprendra mieux ses devoirs et son droit ; qu'elle en finira enfin avec ces crédits supplémentaires, qui sont presque toujours la violation des dispositions du budget et des prérogatives de la chambre.
Pour vous prouver, messieurs, combien il est nécessaire d'entrer enfin dans ce régime d'économie dont la cause a été plaidée avec tant de chaleur par mon honorable ami M. Delehaye et par l'honorable rapporteur, pour vous démontrer combien il est urgent surtout d'introduire dans le budget des affaires étrangères ces idées d'économie qui finiront, je l'espère, par inspirer et dominer la majorité de cette chambre, il me suffira d'établir un parallèle entre ce que coûtent aujourd'hui nos agents diplomatiques et ce qu'ils coulaient il y a quelques années.
On vient vous demander aujourd'hui pour les traitements des agents diplomatiques une somme de 558,000 fr. Il faut y joindre :
pour les frais de voyages, de courriers, estafettes, courses diverses, 70,800 fr.
pour les frais à rembourser aux agents du service extérieur, 80,000 fr.
pour les missions extraordinaires et les dépenses imprévues, 40,000 fr.
C'est donc une somme totale de 748,500 fr. qu'on vous demande aujourd'hui pour la dotation de notre personnel diplomatique.
Or, messieurs, savez-vous ce qu'on demandait aux chambres en 1831, pour le traitement des agents diplomatiques ? On leur demandait la modeste somme de 86,741 francs. Voilà ce que coûtait notre diplomatie en 1831.
Je sais très bien qu'à cette époque nous n'avions pas une représentation diplomatique aussi nombreuse, que nous avions moins d'agents dans les cours étrangères ; mais il faut se rappeler pourtant qu'à cette époque notre diplomatie jouait un bien plus grand rôle et avait des devoirs difficiles à remplir. Cette année 1831 était une année de crise, de difficultés et d'embarras ; c’était l'année de la formation de notre nationalité. On avait alors à vaincre des répugnances, à désarmer des préventions, à triompher de nombreuses résistances et à maintenir la Belgique au rang des nations indépendantes, si le courage du peuple belge n'avait pas suffi du reste pour lui conquérir cette place et cette indépendance.
La diplomatie, je le répète, avait donc alors de grands et difficiles devoirs à remplir ; elle devait se multiplier en quelque sorte, et cependant elle ne coûtait au pays qu'une somme de 87,000 francs.
Plusieurs membres. - C'étaient des florins.
M. Castiau. – C’étaient des florins, me dit-on. Messieurs, je renvoie alors l'erreur, si elle a été commise, à l’honorable auteur du travail sur la situation du trésor.
C'est dans le travail de l'honorable M. Malou que j'ai vu cet état comparatif des dépenses en 1831, en 1841 et en 1847, et le crédit de 1831 y est porté, non pas comme représentant une somme de 87,000 florins, mais comme représentant une somme de 87,000 francs.
Du reste, j'admets la rectification. Mon argument en perd sans doute quelque peu de sa force ; cependant vous voyez qu'une immense différence existe entre les traitements de nos agents diplomatiques en 1831 et les traitements de nos agents diplomatiques en l848.
Cependant, jusqu'en 1839, messieurs, j’aurais compris la nécessité d'une dotation considérable en faveur de notre diplomatie. Jusqu'alors, en effet, rien n'était décidé. La question extérieure était encore en problème. Il y avait à faire résoudre tout à la fois non seulement la question de la dette, la question d'argent, mais encore des questions d'honneur national, des questions d'existence nationale, en quelque sorte, celle de l'intégrité du territoire, celle de l'indépendance de la population qui s'était unie à nous et qui faisait partie intégrante de la Belgique.
Jusqu'en 1839 donc, je comprenais parfaitement le rôle de notre diplomatie. Je comprenais qu'on voulût alors constituer une diplomatie forte, puissante et influente, comme le disait tout à l'heure l'honorable ministre des affaires étrangères. Mais il faut bien reconnaître que cette diplomatie forte, si puissante, si influente, dont il a vanté les services, que cette diplomatie a échoué et a été battue sur tous les points et sur toutes les questions.
Je n'accuse pas, certes, les hommes qui étaient chargés de défendre nos droits à l'étranger ; je ne suspecte pas leur dévouement, leur talent, leur patriotisme. Les faits ont été plus forts qu'eux ; je veux bien le reconnaître ; mais enfin l'on ne peut étouffer la vérité. La vérité, c'est que la diplomatie belge a été vaincue sur toutes les questions et particulièrement sur la question principale, celle de l'intégrité du territoire, et de l'indépendance de la population, puisque vous avez sacrifié deux fractions de provinces et 300,000 Belges.
Dès lors, le rôle de notre diplomatie était fini. Aussi, je vous le demande, messieurs, depuis 1839, qu'a fait notre diplomatie ? A quoi peut-elle nous servir aujourd'hui ? A contracter des traités d'alliance ?
(page 133) Dans votre état de neutralité cela vous est interdit. Avez-vous la prétention d'intervenir dans les affaires politiques de l'Europe, de prendre part à ces grands congrès qui s'organisent en ce moment et tiennent l'Europe en suspens ? Mais non, votre neutralité vous le défend encore, vous ne pouvez rien en politique extérieure. Isolement et impuissance, tel est le résultat de la neutralité entre les peuples.
Quel peut donc être le rôle de votre diplomatie ? De négocier les affaires d'ordre matériel, de signer des traités de commerce ? Mais l'honorable M. Delehaye vous l'a dit : on lui a même contesté cette mission jusqu'ici : c'est le gouvernement lui-même qui a proclamé en quelque sorte l'impuissance de notre diplomatie même pour les intérêts commerciaux ; car lorsqu'il s'agissait de traités de commerce de quelque importance, la règle était d'en charger des agents spéciaux et d'envoyer des missions extraordinaires. Dès lors donc, je ne cesserai de demander quel peut être le rôle de cette diplomatie si chèrement payée ? Quels services en attendre ?
Mais, vous dit l'honorable ministre des affaires étrangères, si l'on réduit le traitement ou si l'on change le titre de nos agents diplomatiques, nos diplomatiques se trouveront dans une position d'infériorité vis-à-vis la diplomatie étrangère. Et pourquoi donc ? Parce que vous aurez changé leurs titres ? Parce que vous aurez réduit leurs traitements ? Mais est-ce que le traitement est, par hasard, la mesure de la capacité, du zèle, du talent et de l'influence ? Mais ce qu'il vous faut, en supposant que la diplomatie puisse nous être encore de quelque utilité, ce qu'il vous faut, ce ne sont pas des plénipotentiaires à gros traitements, c'est la capacité, c'est l'activité, c'est le dévouement aux intérêts du pays. Ce n'est pas, en définitive, une haute position pécuniaire qui donne de plein droit toutes les qualités. Ce n'est pas en se lançant dans le tourbillon du monde et des fêtes que nos représentants à l'étranger assureront le succès des missions dont vous les aurez chargés. N'ayez à la tête de votre diplomatie que des hommes capables, intelligents, énergiques et dévoués, et alors vous aurez une diplomatie forte, puissante et considérée.
Vous craignez de réduire le traitement ou de changer le titre de vos agents diplomatiques ; mais n'avez-vous pas vu cet exemple donné déjà par des pays bien autrement puissants, qui doivent exercer une bien autre influence dans toutes les questions politiques que la Belgique ? Par les Etats-Unis, par ce peuple modèle, qui se place aujourd'hui en tête de la civilisation et du progrès ? ce peuple-là vous donne le sage exemple d'une diplomatie forte et modeste à la fois ; il se contente de simples chargés d'affaires ; et quand un grand peuple, un peuple à qui semble appartenir l'avenir, quand le seul peuple qui jusqu'ici a eu le courage de faire reculer à trois reprises différentes, et de vaincre la politique de l'Angleterre, se contente de simples chargés d'affaires, il semble que la Belgique, avec sa neutralité surtout, pourrait aussi fort bien se contenter d'agents diplomatiques revêtus de ce caractère.
Ce n'est pas tout encore, l'honorable ministre des affaires étrangères, qui avait annoncé l'intention de réfuter dans toutes ses parties le discours de mon honorable ami n'a point répondu cependant à l'une des principales objections faites par l'honorable M. Delehaye contre son budget.
L'honorable M. Delehaye, après avoir attaqué la dotation du corps diplomatique, critique avec non moins de raison la dotation de la marine militaire. M. le ministre des affaires étrangères et de la marine ne lui a rien répondu. Que faut-il conclure de ce silence ? Que l'honorable ministre reconnaît la justesse des observations de M. Delehaye ? Alors je lui en ferais mon sincère compliment...
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je répondrai.
M. Castiau. - Puisque M. le ministre annonce l'intention de répondre, je demanderai alors, à mon tour, la permission d'appuyer et de fortifier les critiques de l'honorable député de Gand.
Sans doute, je suis prêt à appuyer les crédits dont l'utilité est réellement démontrée. On nous demande 462,000 fr. pour le pilotage, 35,800 francs pour la police maritime ; je suis prêt à voter ces crédits ; mais, quant à la marine militaire, je partage complètement l'opinion de l'honorable M. Delehaye, et j'en suis encore à me demander ce qu'on peut faire d'une marine militaire en Belgique. A quoi peut-elle nous servir cette marine introuvable et en quelque sorte impalpable et invisible ? Direz-vous qu'elle est chargée de protéger notre commerce et de défendre l'honneur de notre pavillon ? Ce serait une dérision ! Savez-vous bien, en effet, de quoi se compose cette formidable flotte ? De deux goélettes, de 2 canonnières et de 300 marins de tout grade et de tout rang. Que prétendez-vous donc faire avec ce fragment, cet embryon de marine, qui coûte beaucoup, mais qui ne peut, malgré la bonne volonté de ses chefs, rendre aucune espèce de service ?
Et ici, messieurs, voyez encore quel accroissement a subi l'allocation pour la marine. La dépense du budget de la marine a suivi la progression que vous rencontrez, du reste, malheureusement, dans la plupart des autres administrations et qui est un des griefs principaux que j'ai articulés et contre l'ancienne majorité et contre l'ancien ministère qui s'est associé à ce système de prodigalité. En 1831, la marine ne coûtait que 359,000 fr.
... Sont-ce encore des francs ou des florins ?
M. Malou. - Ce sont des francs.
M. Castiau. - Je m'empresse de rectifier alors l'erreur qu'on m'avait fait commettre quand il s'agissait du traitement du corps diplomatique et de retirer l'espèce de concession que j'avais faite. En 1831, votre marine avait également une mission bien plus importante que votre marine actuelle qui subit aussi la loi de neutralité, c'est-à-dire de l’impuissance ; alors, au moins, vous pouviez avoir une marine de guerre et cependant vous vous contentiez d'une dépense de 359,000 fr. En 1841, vous êtes arrivés à 900,000 fr. et en 1847 nous trouvons, messieurs, que le chiffre total des allocations demandées s'élève à la somme de 1,291,000 fr. Messieurs, je crois qu'il est temps de s'arrêter dans cette voie de prodigalité et de perdition,
J'espère donc que la chambre prendra en considération le tableau qu'on vous a fait des souffrances du pays, de nos embarras industriels et du développement du paupérisme, et qu'on comprendra que ce n'est pas dans un tel moment qu'il faut penser à ajouter aux charges qui déjà écrasent les contribuables.
Si l'on veut entrer franchement dans le système des économies, réviser sévèrement nos budgets, commencer dès aujourd'hui par le budget des affaires étrangères, et supprimer successivement toutes les dépenses inutiles, abusives et ruineuses, alors on arrivera à rétablir l'ordre dans les finances et l'équilibre dans les budgets, sans devoir recourir à l'établissement d'impôts nouveaux.
Cependant, messieurs, je dois le dire, bien que je ne sois point partisan des impôts nouveaux, il en est un dont on vient de parler et qui me sourit quelque peu : c'est celui qui a été indiqué par l'honorable M. Osy, l'impôt sur les titres de noblesse. M. le ministre des affaires étrangères vous a dit : La question est à l'étude ; une commission a été consultée et, au lieu d'un droit d'enregistrement, elle propose un droit de succession sur la transmission des titres. A merveille ! si telle est l'opinion du conseil héraldique qui a été consulté, j'espère que l'opinion de la chambre sera un peu plus logique sur ce point ; qu'elle n'optera pas entre le droit d'enregistrement et le droit de succession sur les titres de noblesse, mais qu'elle les établira cumulativement. Je compte même aller plus loin pour mon compte ; et quand le moment d'examiner ces questions sera venu, j'aurai l'honneur de proposer d'y joindre encore une taxe annuelle. Ne faites-vous pas payer déjà une taxe annuelle pour avoir le droit de travailler ? Eh bien ! si vous frappez de la taxe des patentes le travail et l'industrie, ne pouvez-vous pas, ne devez-vous pas aussi frapper d'une taxe annuelle les caprices aristocratiques du luxe, de l'opulence et de l'oisiveté ? Cette taxe ne serait-elle pas cent fois plus juste, plus morale et plus populaire ?
M. Osy, rapporteur. - M. le ministre des affaires étrangères nous a promis que désormais on publierait au Moniteur tous les arrêtés conférant des titres de noblesse. Je le remercie de revenir à la légalité. Je l'engage également à publier tous les arrêtés qui ont été pris depuis 1830. Ce document me servira à contrôler les calculs que j'ai mis tout à l'heure sous les yeux de la chambre.
Messieurs, le projet de loi proposé en 1841 par le sénat renferme un article 3 que je considère comme très bon ; c'est que tous les titres de noblesse, accordés par un souverain étranger, et reconnus par le gouvernement belge, payeront le double des droits. Ainsi, un titre de comte, conféré à un Belge par un souverain étranger, coûterait au titulaire 10,000 fr. au lieu de 5,000 fr.
Messieurs, je savais que le conseil héraldique s'était occupé de la proposition que j'avais faite dans la session dernière. Je ne puis partager l'opinion du conseil. Je conçois que désormais nous établissions un droit pour les fils qui succéderont aux titres de noblesse de leurs pères ; mais il ne faudra pas négliger la recette importante de près de 800,000 fr. que j'ai indiquée. (Non ! Non !)
Si le gouvernement ne présentait pas dans un bref délai un projet de loi, je me déciderais à reproduire les articles qui ont été proposés par le sénat à l'unanimité, et dès lors, nous devrions nous attendre à avoir l'adhésion de ce grand corps de l'Etat.
Maintenant, pour ce qui est du budget en lui-même, je conviens avec M. le ministre qu'il est difficile de toucher aux positions acquises ; mais j'appellerai l'attention de M. le ministre sur deux points.
Il y a quelques années, nous n'avions que des chargés d'affaires à Vienne et à Constantinople ; les titulaires ont sollicité et obtenu des grades plus élevés, eh bien, au lieu de voter 15 à 20,000 francs pour ces légations, vous en avez voté 40,000.
Je prie M. le ministre de prendre l'engagement, quand il y aura des vacatures ou des mutations dans ces légations, de revenir aux grades et aux traitements primitifs. Nous n'avons pas beaucoup d'affaires à Vienne et à Constantinople ; dans cette dernière résidence, un bon consul est beaucoup plus utile qu'un ministre plénipotentiaire, d'autant plus que notre légation est presque toujours en guerre avec le divan.
Depuis un an, également à la suite de sollicitations, en a conféré le grade de ministre à nos chargés d'affaires qui se trouvent accrédités à Copenhague, à Turin et à Madrid. Si depuis trois ans la section centrale du budget des affaires étrangères n'avait pas déclaré qu'il était bien entendu que, nonobstant l'élévation du grade, le traitement resterait le même je crains beaucoup que, sous l'ancien ministère, on ne nous eût proposé des augmentations ; mais je dois dire à l'honneur de M. le général Goblet que, dans le sein de la section centrale, il a toujours manifesté l'intention de ne pas augmenter le traitement nonobstant l'octroi d'un grade plus élevé.
(page 134) Il y a encore une autre économie à faire, c'est de ne pas faire voyager inutilement nos diplomates.
Je parlerai, entre autres, d'un chargé d'affaires accrédité près d’une des petites cours du Nord ; il a été, cette année, deux fois en mission en Belgique. Si nous avons à conclure un petit traité avec cette cour, on peut le faire par correspondance. Il est inutile de faire venir ce diplomate en Belgique. Ce sont encore des actes de faiblesse qui nous coûtent très cher. Il a été établi, dans une occasion précédente, que grâce à ces voyages, certains de nos diplomates avaient doublé leurs traitements. Si le gouvernement veut être ferme, il réalisera sur ce point une forte économie.
Messieurs, la légation d'Espagne était vacante depuis le mois de janvier. Dans la session dernière, l'honorable M. Delehaye et moi. nous avions fortement insisté pour qu'on envoyât à Madrid un chargé d'affaires ; l'ancien cabinet, comme pour l'ambassade de Rome, a nommé, avant sa retraite, un chargé d'affaires pour l'Espagne ; eh bien, ce diplomate nommé depuis 3 ou 6 mois, n'a pas été à Madrid ; il vient de donner sa démission ; toute l'année 1847 se sera donc écoulée sans que nous ayons eu un chargé d'affaires à Madrid...
Un membre. - C'est une économie.
M. Osy. - C'est vrai ; mais, d'un autre côté, l'Espagne est un pays où nous pourrions avoir beaucoup d'affaires pour notre industrie linière, et dans les colonies duquel nous pourrions être favorisés ; car nous accordons tant d'avantages au pavillon espagnol, que nous devons espérer d'obtenir également des faveurs dans les colonies de cette nation.
J'engage donc M. le ministre des affaires étrangères à pourvoir au poste de Madrid dans le plus bref délai possible, et à envoyer, dans cette résidence, non un ministre résident, mais un chargé d'affaires, car j'en reviens toujours à mes économies. *
L'honorable M. Delehaye a parlé de la marine militaire. Quand nous en serons à l'article qui la concerne, je ferai moi-même quelques observations ; M. le ministre a dit qu'il attendrait que la discussion fût ouverte sur cet article, pour donner une réponse aux honorables membres qui ont parlé de cet objet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, la plupart des faits que vient de signaler l'honorable M. Osy se sont passés antérieurement à mon entrée aux affaires ; je ne pourrai donc présenter que des explications fort incomplètes. Je prends volontiers l'engagement, quant aux ministres résidents de Sardaigne, d'Espagne et de Danemark, de ne pas augmenter leur traitement. Il restera ce qu'il est aujourd'hui, le traitement de simple chargé d'affaires. L'honorable membre a parlé particulièrement de la légation de Madrid. Elle a été vacante assez longtemps par suite de l'indisposition du ministre résident nommé, si je ne me trompe, en mai dernier. L'état de sa santé ne s'étant pas amélioré, M. le comte de Lalaing a donné sa démission. Le gouvernement vient de le remplacer par M. de Jaegher qui était chargé d'affaires à Stockholm.
Il a été choisi par le gouvernement parce qu'indépendamment de son ancienneté il appartient aux Flandres et qu'il a pu étudier d'une manière plus spéciale la question la plus importante du traité à intervenir avec l'Espagne, celle de nos produits liniers à introduire sur le marché espagnol, et qu'il connaît parfaitement notre position commerciale. Du reste le secrétaire actuel de la légation connaît aussi très bien cette question. Je puis assurer à la chambre qu'il en donne des preuves en ce moment. J'ai reçu très récemment des dépêches, ainsi que de M. Cambier ; elles me font connaître que les négociations sont dans une très bonne voie.
J'ai pensé qu'il était utile d'avoir à Madrid un homme spécial, dont les connaissances pratiques guidassent notre chargé d'affaires, parce que le moment est très opportun pour suivre des négociations avec l'Espagne. Non seulement on continue de s'occuper à Madrid du traité de commerce dont la conclusion a toujours été retardée par suite de l'instabilité ministérielle et des événements politiques qui se sont succédé dans ce pays ; mais dans le moment actuel, il est fortement question de la révision du tarif des douanes. Le ministère du duc de Valence a décidé que cette révision aurait lieu. On s'occupe de ce travail, il était donc important que notre légation à Madrid fût pourvue de tous les renseignements pratiques nécessaires pour arriver, s'il est possible, à un bon résultat.
L'honorable M. Osy vous a encore parlé des légations de Vienne et de Constantinople. Il y avait autrefois de simples chargés d'affaires, dit-il, maintenant nous y avons des ministres plénipotentiaires. Je ne puis pas dire quels ont été les motifs réels des changements opérés dans ces légations.
D'un autre côté, je ne veux pas prendre l'engagement de les ramener à de simples missions de deuxième ordre. Mais je puis donner à la chambre l'assurance que, chaque fois que cela sera possible, je chercherai à opérer des économies.
Je dirai maintenant quelques mots en réponse à quelques-unes des observations présentées par l'honorable M. Castiau. Et je commencerai par le remercier des marques de sympathie qu'il a bien voulu me donner. L'honorable membre a comparé le chiffre de ce que coûtait notre diplomatie en 1831 avec ce qu'elle coûte actuellement.
En 1831, on ne portait au budget qu'une somme de 87 mille fr., maintenant on y voit figurer une somme beaucoup plus élevée. Messieurs, si notre diplomatie coûtait aussi peu en 1831, la raison en est simple, c’est que la Belgique, à cette époque, n'était pas reconnue par la plupart des gouvernements étrangers ; par conséquent nous ne devions envoyer des agents diplomatiques qu'à Londres et à Paris. Mais du moment que la Belgique a été reconnue comme puissance indépendante par presque toute les cours européennes, il a été nécessaire d'envoyer des agents diplomatiques par réciprocité pour le maintien des bonnes relations politiques.
En 1831, la diplomatie, sous le rapport politique, avait sans doute à traiter des questions plus importantes qu'aujourd'hui. Notre indépendance même était eu jeu. Mais aujourd'hui les questions commerciales en compensation sont plus étendues, plus variées qu'elles ne l'étaient alors. Maintenant que nous avons obtenu notre indépendance, malheureusement avec un territoire un peu mutilé, il faut que nous la conservions, et, pour cela, nous avons besoin de savoir ce qui se passe à l'étranger ; il ne faut pas que nous restions isolés au milieu de l'Europe. La Belgique est entourée de toutes parts de puissances beaucoup plus grandes et beaucoup plus fortes qu'elle-même ; c'est un devoir pour elle de veiller à la conservation de cette indépendance qui lui a coûté si cher, et pour cela il faut qu'elle se tienne au courant de ce qui se passe ailleurs. La diplomatie, sous le rapport politique, peut donc encore lui rendre de grands services.
L'honorable M. Castiau m'avait demandé de répondre aux observations présentées par l'honorable M. Delehaye en ce qui concerne la marine militaire ; mais ainsi que vient de le dire l'honorable M. Osy, je pense que nous compliquerons moins la discussion générale en réservant ces observations pour le chapitre relatif à la marine ; nous pourrons donc revenir sur cet objet quand nous serons arrivés à ce chapitre.
Quant à ce qui concerne l'impôt sur les titres de noblesse, j'ai déjà eu l'honneur de dire que le ministère n'avait pas encore pris de décision définitive et qu'il s'occupait de l'examen de cette question. Plusieurs systèmes sont en présence ; il n'a pas encore arrêté celui qu'il croirait devoir soumettre à la législature.
M. Sigart. - Le ministère précédent a pris la résolution de faire ramener en Europe les colons de Guatemala. Dans ce but un navire a été expédié à Santo-Thomas dans le courant de cette année.
Il est revenu en Europe avec un très petit nombre de colons. On dit que ce petit nombre n'est arrivé en Belgique qu'avec une pensée de retour dans la colonie. Le bon sens se révolte devant une pareille assertion. Je ne puis croire que le plus grand nombre n'a pas voulu revenir, que ceux qui sont revenus ont l'intention de retourner. Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s'il verrait quelque inconvénient à déposer sur le bureau les rapports ou les renseignements qu'il a dû recevoir de nos agents.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je ne vois aucun inconvénient à déposer sur le bureau les rapports concernant le voyage du navire chargé de ramener en Belgique les colons de Santo-Thomas. Mais je puis dès à présent faire connaître qu'il ne serait pas exact de dire que tous les colons ramenés de Santo-Thomas soient revenus avec l'intention d'y retourner. Le navire qui a été envoyé à Santo-Thomas, dans le courant de cette année, a ramené 63 colons. Sur ce nombre, il y en a 7 qui ont déclaré qu'ils avaient l'intention de retourner à Guatemala. Le reste se composait d'hommes infirmes ou peu propres aux travaux qui se font à Santo-Thomas, et ils sont revenus sans esprit de retour.
Je puis donner en même temps à l'honorable M. Sigart ce renseignement, que l'on a fait connaître à tous les colons de Santo-Thomas qu'il leur était possible de revenir gratuitement dans la mère patrie. Et 210 colons ont formellement déclaré que leur-intention était de rester sur la côte de Guatemala.
Du reste, je déposerai sur le bureau le rapport relatif au voyage de l’Adèle.
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la discussion sur les articles.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 1er bis. Frais de représentation, pour mémoire. »
- Cet article n'est pas mis aux voix.
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service sans que le personnel de l’administration centrale puisse être rétribué sur d'autres fonds alloués au budget : fr. 102,630. »
M. Osy, rapporteur. - Cet article présente une augmentation de 21,150 fr., mais qui n'est en réalité que de 8,700 fr., une somme de 12,450 ayant été transférée du budget de la marine. Plusieurs sections ont demandé le rejet de ces 8,700 fr., toutes ont demandé qu'on examinât si cette demande de crédit est en rapport avec l'arrêté qui l'année dernière a organisé l'administration centrale. Nous avons trouvé cette somme très exacte, mais je dois faire observer à M. le ministre que tout en proposant l'adoption d'un crédit qui permette de porter les traitements au maximum, nous ne voyons pas la nécessité de ce maximum pour tous les employés. Ce crédit contient une somme de 2,800 fr. qui dépasse les maximum, fixés par l'arrêté royal, parce qu'aux termes de l'arrêté on ne peut toucher aux positions acquises.
Parmi les employés actuellement en exercice, sept ont un traitement supérieur au minimum, sans dépasser la limite du maximum fixé par ledit arrêté ; il faut, pour y pourvoir, ajouter à la somme de 82,600 fr. la différence entre le maximum et le chiffre de leur traitement, actuel, 1,755 fr.
(page 135) Tout en accordant ces 1,755 fr., la section centrale demande que les traitements ne soient pas portés de suite au maximum, par compensation des traitements qui excèdent le maximum fixé par l'arrêté organique.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Je crois que l'honorable rapporteur n'a pas bien saisi les renseignements données à la section centrale, en ce qui concerne le chiffre de 1,750 fr. Je vais donner à la chambre quelques explications qui la mettront à même de comprendre parfaitement cette question.
Vous savez, messieurs, que dans le courant de l'année dernière un règlement organique de l'administration centrale du département des affaires étrangères a été adopté sur la proposition de mon prédécesseur. Ce règlement organique a déterminé le nombre des employés et le taux de leur traitement. Le taux des traitements fixé par ce règlement n'est pas, à coup sûr, trop élevé. Vous y trouvez, par exemple, pour les grades inférieurs à celui de chef de division (Minimum. Maximum) :
Chef de bureau : 3,000 fr. ; 4,000 fr.
Commis de première classe : 2,400 fr. ; 2,800 fr.
Commis de deuxième classe : 1,800 fr. ; 2,100 fr.
Commis de troisième classe : 1,200 fr. ; 1,500 fr.
Ces traitements, je le répète, sont loin d'être trop élevés, surtout dans les circonstances actuelles, où le prix des subsistances a si considérablement augmenté, ainsi que tout ce qui se rapporte à la vie ordinaire.
Qu'a demandé le gouvernement ? Il a demandé les sommes nécessaires pour élever le chiffre des traitements, non au maximum, mais au minimum déterminé par l'arrêté organique.
Je citerai comme exemple un chef de bureau plein de zèle et de capacité, appartenant à la direction du commerce intérieur qui n'a qu'un traitement de 2,200 fr., quoique le minimum de ce grade soit 3,000 fr. On ne peut se dispenser d’élever ce traitement à 3,000 fr. ; autrement on maintiendrait sans motif cet employé dans une position inférieure à celle de ses collègues, contrairement au vœu de l'arrêté organique.
Il y a donc une catégorie d'employés qui, si l'allocation est votée, comme je l'espère, verra son traitement porté au minimum déterminé par l'arrêté royal.
Ensuite il y a une certaine catégorie d'employés qui a un traitement plus élevé que le minimum, sans dépasser le maximum.
C'est celle dont vous a parlé l'honorable M. Osy et pour laquelle il est fait mention d'une somme de 1,755 francs. C'est cette catégorie qui a un traitement plus élevé que le minimum, et il ne s'agit pas là d'une augmentation. Ces employés resteront dans leur position actuelle, pour le moment du moins.
Il y a à cet égard une erreur dans ce qui est dit au rapport de la section centrale. On a mis le mot maximum au lieu du mot minimum. Je m'en suis assuré d'après les notes qui ont été envoyées du ministère des affaires étrangères à la section centrale.
Il y a ensuite une troisième catégorie qui a un traitement qui dépasse depuis longtemps le maximum fixé par l'arrêté royal. Or, l'article 32 de cet arrêté détermine que ceux qui se trouveront dans cette position la conserveront.
Ainsi, messieurs, si l'allocation réclamée est votée, il n'en résultera une augmentation immédiate que pour ceux qui ont un traitement inférieur au minimum fixé par l'arrêté royal ; c'est principalement pour les ramener à la position voulue par l'arrêté organique que l'augmentation proposée a été demandée à la chambre.
M. Delfosse. - Lorsque nous étions dans l'opposition, lorsque nous nous trouvions en face d'un ministère qui n'avait pas nos sympathies, nous nous sommes souvent récriés contre l'augmentation toujours croissante des allocations destinées au personnel des administrations centrales.
Nous avons plus d'une fois demandé que l'on prit des arrêtés d'organisation de ce personnel, nous pensions qu'on arriverait par là à meure un terme à l'accroissement de dépenses et même à les réduire.
Le précédent ministère nous a donné une satisfaction apparente, il a fait paraître les arrêtés d'organisation que nous avions réclamés, mais les arrêtés ont eu pour résultat d'augmenter les dépenses au lieu de les réduire.
Il m'est impossible d'approuver cette augmentation de dépenses, mais je ne puis pas exiger d'un ministère qui débute et qui est aux prises avec des difficultés de plus d'un genre, qu'il aille dès le premier jour défaire ce qui a été fait par ses prédécesseurs, qu'il retire brusquement des arrêtés récents encore.
Je dois, je veux lui laisser le temps d'examiner mûrement la question soulevée par cet arrêté. Je me borne donc, pour le moment, à engager M. le ministre des affaires étrangères, ainsi que ses collègues, à examiner s'il n'y aurait pas moyen de pourvoir aux besoins du service avec un personnel moins nombreux et moins coûteux.
Je désire que les employés soient convenablement rétribués, mais on doit exiger d'eux du zèle et de la capacité.
Sous cette réserve, que j'aurai plus d'une fois occasion de reproduire, je voterai pour le chiffre proposé par le gouvernement.
- Le chiffre de 102,650 fr. est adopté.
« Art. 3. Frais des commissions d'examen : fr. 2,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Pensions des fonctionnaires, employés et gens de service, : fr. 14,024 fr. »
M. le président. - La section centrale propose de porter ce chiffre à 19,355 fr. par suite d'une pension accordée à un ancien ministre.
M. le ministre des affaires étrangères se rallie-t-il à cette proposition ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Oui, M. le président.
- Le chiffre de 19,355 fr. est adopté,
« Art. 5. Secours à des fonctionnaires et employés, à leurs veuves ou enfants, qui, sans avoir droit à la pension, ont des titres à un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 1,000 fr.»
- Adopté.
« Art. 6. Matériel. Dépenses ordinaires, 34,600 fr., dépenses extraordinaires, 3,000 fr. ; total, 37,600 fr. »
M. le président. - La section centrale propose de réduire ce chiffre à 35,775 fr., en prétendant que le chiffre de 37,600 fr. contient une somme de 1,825 fr. qui figure déjà à l'article 2.
M. le ministre se rallie-t-il à l'observation de la section centrale ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, la réduction que propose la section centrale a déjà eu lieu pour le budget de 1847.
Lors de la discussion du budget de 1847, mon honorable prédécesseur a fait remarquer, dans la séance du 26 novembre de l'année dernière, qu'il y avait une somme portée sur l'article Matériel, consacrée à payer les traitements d'un boutefeu et de deux femmes de peine, et que, par conséquent, il fallait porter cette somme à l'article Personnel. Par conséquent, pour le budget de 1847, la réduction dont il est fait mention au rapport de la section centrale a déjà eu lieu.
Voici d'où provient l'erreur qui a été commise par l'honorable rapporteur et qui est tout à fait involontaire. On a soumis à l'honorable rapporteur les dépenses pour le matériel pendant l'exercice 1846, et dans ces dépenses figuraient encore les traitements du boutefeu et des deux femmes de peine. L'honorable rapporteur en a tiré naturellement la conséquence qu'il fallait reporter cette somme sur l'article 2, tandis que, comme je viens de le dire, la réduction avait déjà été opérée pour 1847.
Pour 1847, cet article du budget fut réduit à une somme de 34,100 francs. On l'a reportée à celle de 37,600 fr. par suite d'un transfert qui a eu lieu du budget de la marine à l'article 6, matériel.
Je demande donc le maintien du chiffre de 37,600 fr.
M. Osy, rapporteur. - Messieurs, vous concevez que la section centrale ne pouvait demander que les états d'une année expirée. L'année 1847 n'étant pas encore expirée, nous avons demandé les états de 1846, et nous avons trouvé qu'il y avait encore sur l'article matériel des dépenses pour le personnel.
Mais d'après les explications de M. le ministre des affaires étrangères, je crois pouvoir me rallier, au nom de la section centrale, au chiffre demandé par le gouvernement, pourvu qu'il soit bien entendu qu'on ne pourra payer le personnel que sur le crédit porté à l'article 2.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, j'entends entièrement l'application de l'article comme vient de le dire l'honorable préopinant. Tout ce qui concerne le personnel sera payé sur l'article 2 du budget, et on n'allouera sur l'article en discussion que ce qui concerne essentiellement le matériel.
- Le chiffre de 37,600 fr. est adopté.
« Art. 7. Achat de décorations de l'Ordre de Léopold, sans que l'on puisse augmenter ce chiffre par des imputations sur d'autres articles : fr. 10,000 fr. »
M. Osy. - Messieurs, ce que j'ai prédit l'année dernière vient de nous être révélé par la demande d'un crédit supplémentaire qui nous est faite pour l’Ordre de Léopold. Malgré la somme de 10,000 fr. qui a été votée annuellement, il y a un déficit de 20,000 fr., et c'est pour couvrir ce déficit qu'un crédit supplémentaire nous est demandé. Comme ce crédit est renvoyé à la section centrale, nous aurons à l'examiner, et je n'en parlerai pas maintenant, d'autant plus que ce n'est pas le fait du ministère actuel.
Mais, messieurs, je vais présenter quelques observations qui concernent l'avenir, et je demanderai que le ministère prenne l'engagement de ne plus dépasser le crédit de 10,000 fr. Je suis persuadé que le cabinet actuel ne suivra pas les errements de l'ancien ministère. Cette année encore, nous avons vu tous que, pour un traité de commerce que notre ambassadeur à Rome avait conclu avec Naples, on a donné les grades les plus élevés à cinq ou six ministres ou autres personnes à Naples. Je vous demande si ce n'est pas de la prodigalité ? J'aurais conçu qu'on eût échangé avec le ministre des affaires étrangères à Naples une décoration ; mais il fallait s'arrêter là. Je citerai un autre exemple. On donne ordinairement des grades élevés aux ministres accrédités chez nous, et par l'intermédiaire desquels nous faisons un traité. C'est ainsi qu'à l'occasion du traité avec le Zollverein, on a donné au ministre de Prusse une décoration d'un grade élevé. Ce ministre a quitté Bruxelles et il a été remplacé par un autre ambassadeur qui, lui, n'a rien fait. Cependant on lui (page 136) a donné également un grade des plus élevés. Mais je vous le demande, messieurs, si l'ambassadeur actuel avait l'occasion de vous rendre un service, si vous veniez, par exemple, à conclure par son entremise un nouveau traité plus avantageux que le premier, que feriez-vous ? Mais il ne vous resterait d'autre ressource que de créer un grade plus élevé que tous ceux qui existent ; car enfin vous ne pouvez pas donner à un ambassadeur qui vous aurait rendu un grand service, la même décoration qu'à celui qui n'a rien fait.
Je connais assez M. le ministre des affaires étrangères actuel pour attendre de lui qu'il entrera dans une meilleure voie. Je suis persuadé surtout qu'il ne se laissera pas guider par l'appât de recevoir en retour de l'étranger de ces décorations dont certaines poitrines sont tellement chamarrées que tout le monde doit en rire. J'ai vu, messieurs, beaucoup de diplomates étrangers qui rient véritablement de voir régner chez nous une telle prodigalité en ce qui concerne les décorations. Je demande formellement qu'on ne donne plus de décorations ni à l'étranger, ni à l'intérieur, que pour des services réels rendus au pays, et alors, messieurs, la somme de 10,000 fr. sera pleinement suffisante.
Je voudrais aussi, messieurs, que par le projet de loi sur les titres de noblesse, on établît également un impôt sur les décorations. On pourrait établir une exception en faveur de ceux qui auraient rendu véritablement des services, mais je crois qu'il faudrait faire payer toutes ces personnes qui sont décorées sans avoir rien fait pour le pays.
- Le chiffre de 10,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er. Autriche : fr. 40,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Confédération Germanique : fr. 40,000. »
- Adopté.
« Art. 3. France : fr. 60,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Grande-Bretagne : fr. 80,000. »
- Adopté.
- La séance est levée à 4 heures 1/2.