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Le Hardy de Beaulieu Jean (1814-1894)

Portrait de Le Hardy de Beaulieu Jean

Le Hardy de Beaulieu Jean, Adolphe, François libéral

né en 1814 à Bruxelles décédé en 1894 à Wavre

Représentant entre 1863 et 1884, élu par l'arrondissement de Nivelles

Biographie

(Charles DELFOSSE, dans Les Hommes du jour, hebdomadaire biographique, Bruxelles, L. Bertrand-Ch. Delfosse, 1884, n°30)

» La parole est à M. Le Hardy de Beaulieu. »

A peine M. le Président a-t-il prononcé ces paroles, que les membres de la Chambre, jusqu'alors attentifs à la discussion, se lèvent, s'étirent, causent entre eux, et bientôt un bourdonnement, de plus en plus fort, indique aux spectateurs des tribunes l'indifférence des représentants de la nation envers l'orateur qui est à la tribune.

Quelques instants après, M. Descamps quitte le fauteuil présidentiel et se fait remplacer par le second vice-président, M. Couvreur ; M. D'Andrimont, secrétaire, descend du bureau et vient faire la causette avec son ami M. Bouvier.

Les membres sérieux et affairés de la Chambre, profitent de l'occasion pour faire leur correspondance ou étudier leurs dossiers ; d'autres s'échappent vivement et vont à la buvette déguster le cognac de la questure. Le couloir circulaire qui se trouve sous les tribunes réservées, est rempli de promeneurs discutant par groupes, - souvent de toute autre chose que des intérêts de la nation.

Les journalistes rangent plumes et papier et descendent griller une cigarette, pendant que les ministres tenus à leur banc, se regardent tristement en prenant un air de résignation qui fait peine à voir.

Dans les tribunes publiques, le spectacle n'est pas moins curieux. Dès que M. Le Hardy de Beaulieu se lève, le plus grand nombre des spectateurs s'empressent de dégringoler l'escalier étroit et humide qui les conduit à la Place de Louvain. Le provincial venu pour entendre nos Cicérons parlementaires se retire désolé. Bref c'est un sauve-qui-peut général. Quelques vieux habitués des tribunes réservées, sous-officiers en retraite, petits rentiers, venant là pour faire leur sieste, demeurent seuls fidèles à leur poste.

C'est qu'il faut un véritable courage pour écouter le représentant de Nivelles, l'orateur à la voix sourde, monotone, que l'on entend à peine au milieu du bruit des conversations particulières.

Il est vrai que cela le laisse indifférent, il va son petit bonhomme de train, sans s'inquiéter du qu'en dira-t-on, décidé à aller jusqu’au bout, et à faire avaler à ses malheureux collègues son charabia débité d'une voix nasillarde et traînante.

Je ne jurerais pas qu'il n'y ait une certaine dose de moquerie dans le fait de cet orateur que l'on n'écoute pas, que l'on ne comprend pas et qui, narquoisement, développe pendant plusieurs heures les théories les plus diffuses et les plus incompréhensibles. C'est un ennuyeux dans toute l'acception du mot.

Dans la séance du 22 décembre 1871, M. Balisaux à décoché à l'adresse de M, Le Hardy de Beaulieu l'épigramme suivante.

On accusait le député de Charleroi d'avoir déserté la chambre, lors du vote du contingent militaire, et, par cette conduite prudente, échappé à un engagement compromettant. M. Balisaux,crut devoir se justifier ; il le fit en ces termes : « Je ne pouvais rester sous le coup d'une accusation de lâcheté. Je suis sorti de la Chambre, il est vrai, au moment ou l'on discutait le projet de loi sur le contingent de l'armée, mais je suis sorti, pourquoi? Parce que l'honorable M. Le Hardy se levait pour prendre la parole «

Un rire inextinguible, qui faillit ébranler le Palais de la Nation, s'empara des membres de la Chambre et se communiqua jusqu'aux tribunes.

M. Le Hardy, reconnaissons-le, fut le premier à rire de la boutade de son collègue. M. Balisaux craignant d'avoir été un peu vif, voulut atténuer ses paroles, et ajouta : « Sachant qu'il fait toujours un examen approfondi des questions qu'il traite, j'ai cru que je pouvais me retirer pendant quelques instants. La discussion n'a duré que quelques minutes, et quand je suis rentré, le vote avait eu lieu. Je voudrais néanmoins bien savoir, Messieurs, quel est l'ami dévoué ou l'implacable ennemi qui me suit ainsi dans l'accomplissement des actes les plus ordinaires de la vie, je lui en témoignerais toute ma gratitude. »

Ce ne fut plus de la joie, ce fut du délire ; jamais l'enceinte parlementaire ne retentit des accès d'une pareille gaîté ; on se serait cru à une première du Palais Royal.

M. Le Hardy de Beaulieu est très amusant à étudier ; d'une taille moyenne, le ventre proéminent, il marche lourdement, ne rappelant que vaguement la démarche gracieuse de la gazelle ; le teint est fleuri; tout chez lui indique l’amateur de la bonne chère - ce qui certes n'est pas un crime ; - la lèvre inférieure avançante lui donne l'air grincheux, et cependant M. L e Hardy est un homme charmant dans l'intimité. L'œil est enfoncé, le front est large et bien découvert.

A la Chambre, il est chez lui. Le public ne le préoccupe pas ; quand il ne parle pas il dort et les huissiers sont obligés d'interrompre son sommeil quand il doit, en sa qualité de premier vice-président, remplacer M. Descamps.

Dans ce rôle M. Le Hardy y est par exemple un président débonnaire ; les orateurs ont beau jeu avec lui, ils peuvent s'escrimer à leur aise, s'injurier, se provoquer, il n'entend rien, enfoncé paresseusement dans son fauteuil, et rêvant probablement à ce que son cordon bleu lui aura préparé pour dîner.

Il y a quelques jours à peine, plongé dans une douce somnolence, et possédé par un cauchemar qui lui faisait, sans doute, voir le rôti brûlé ou la sauce mayonnaise ratée, il s'éveilla en sursaut… M. Corremans parlait ; il le rappela à l'ordre, - on n’a jamais su poiurquoi. - M. Frère-Orban, gracieux pour le premier vice-président, explique que ce rappel à l'ordre était un rappel à l'ordre… de la question et M. Le Hardy opina d u bonnet.

Un organe libéral, le Journal de Charleroi, écrivit à ce sujet : «… Il est triste d'avoir à dire de dures vérités à un excellent libéral, à un économiste distingué, à un penseur qui n'est pas le premier venu. L a bonne conduite des débats de la Chambre, leur dignité exigent cependant qu'il se tienne à l'écart du fauteuil présidentiel. C'est l'avis de tous, pris à gauche comme à droite. »

Il y a quelques années circula à la Chambre le portrait versifié suivant :

Le Hardy fut, dit-on, jadis magnétiseur ;

Chacun sait ça. - Quel regard magnétique !

Quel geste aussi ! - Quel endormant liseur !

Oui, ses discours sont un sûr narcotique ;

Ils endorment jusqu'à Bouvier.

Par le fond, par la forme,

De Beaulieu veut qu'on dorme

Il n'a pas changé de métier.

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M. Ad. Le Hardy de Beaulieu est né vers le milieu de 1814. L e s renseignements que nous possédons nous montrent le jeune élevé ni meilleur ni plus mauvais que d’autres et aucun événement extraordinaire ne survint jusqu' à sa sortie de l'université qui eut lieu en 1836. Il fit ses études de droit accompagnées de celles d'ingénieur, qu'il poursuivit à Paris et en Amérique jusqu’en 1838.

En 1839 il entra dans la vie active à Charleroi et habita Liége pendant les années de 1842 et 1843. De retour à Bruxelles, il présenta, en avril 1844, un premier projet de distribution d'eau qui, après maints déboires et tribulations et beaucoup d'argent dépensé sans retour, fut repoussé en 1852 a u détriment des habitants de l'agglomération qui paient 4 1/2 ce qu'ils auraient payé 1 et qui n'ont ni l'eau nécessaire à tous les besoins, ni la pression voulue pour vaincre les incendies ; choses qui étaient la base même du projet de notre avocat-ingénieur.

D e 1846 à 1850, il a dressé les projets de la rue de la Loi, à 30 mètres de largeur (largeur au delà du rond point) avec pente et contre pente de 1 p. c. au lieu des 3 p . c . imposés par les ponts et chaussées et un grand viaduc en fonte au-dessus de la vallée du Malbeck.

Puis l'avenue Louise en ligne droite, de 75 mètres de largeur, avec jardin devant les maisons. II fit également le nivellement général de Bruxelles, ainsi que les premiers projets du jardin zoologique dans le plan de celui d’Amsterdam.

E n 1850, il concourut pour le pont de Cologne ; ses idées, comme agencement général, ont été adoptées, mais elles ont été confiées pour l'exécution à d'autres, ce qui démontre l'utilité des concours… pour les autres.

En 1850, M. Le Hardy retourna aux Etats-Unis, chargé d’une mission pour établir un service de bateaux à vapeur postaux d’Anvers à New-York. Il réussit dans cette dernière ville à obtenir un engagement du fameux armateur C. Vanderbilt. A Anvers et à Bruxelles on préféra Stillard-Caimaso ! Les bourses de beaucoup de nos compatriotes en furent considérablement allégées.

Rentré en 1851, il contribua à construire en Belgique et à l'étranger, plusieurs lignes de chemins de fer dont le développement dépasserait celui du roseau belge tout entier.

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En 1863, les électeurs de l'arrondissement de Nivelles envoyèrent M. Le Hardy de Beaulieu à la Chambre des représentants. Jusqu'alors il s'était peu occupé de politique, non qu'il y eut été complétement indifférent, car déjà, en 1840, il publia à Charleroi, à la suite et en réponse à l'enquête parlementaire dirigée par l'abbé Defoere, dans le sens protectionniste le plus étroit, une brochure de 144 pages intitulée : Des causes des crises commerciales et industrielles ; en 1844, dans une autre brochure, il combattit les conclusions de cette enquête présentées à la Chambre sous les espèces d'une loi soumettant notre commerce d'exportation et d'importation au régime des droits différentiels, régime si désastreux, qu'il a fallu rapporter la loi quelque temps après en présence de la détresse des Flandres et de la ruine du port d'Anvers.

En 1846, M. Le Hardy contribua comme secrétaire, sous la présidence de M. Ch. De Brouckère, au congrès des économistes, et en 1848, au congrès de la Paix, sous la même présidence.

Pendant quelques années, le représentant de Nivelles fit œuvre de libéralisme progressiste et le 25 novembre 1870, il vota pour la prise en considération de la proposition de révision des articles 47, 53 et 56 de la Constitution.

Le parti clérical, revenu au pouvoir, présenta au Parlement un projet de réforme électorale qui aboutit à la loi du 12 juin 1871. Dans le cours de la discussion, M. Le Hardy de Beaulieu prit la parole et attaqua très vivement le régime censitaire.

« Je me propose, dit-il, de démontrer que le cens établi comme base des institutions politiques est une cause permanente de trouble et de faiblesse pour les nations qui s'y sont soumises … Ce même cens est une cause d'impuissance et de destruction pour les gouvernements qui s'y appuient … Simplement parce que le sens est une base mobile, variable, destructible du droit politique.

« Que doivent être les institutions d'une nation pour qu'elles soient stables et fermes, non variable et surtout non attaquables par les opinions, les partis ou les majorités qui peuvent avoir momentanément la prépondérance dans un pays ?

« Est-ce là le caractère du cens comme fondement des institutions ?

» Mais, Messieurs, notre mission principale n'est-elle pas de diminuer toujours les dépenses de l'Etat, pour arriver à réduire les impôts ? Et, par conséquent, notre premier devoir est d'attaquer incessamment la base même du cens.

« ... En 1848, quelle a été la cause directe de la Révolution ?

« C'est encore le cens de 200 francs que M. Guizot n'a pas voulu réduire ; le gouvernement de Louis-Philippe n'a pas voulu céder, il n'a voulu faire aucune concession au mouvement réformiste, à ceux qui demandaient la réforme, c'est-à-dire un abaissement du cens; il a amené la destruction du cens et le suffrage universel...

« M. Bouvier. - Du naufrage universel »

M. Le Hardy riposta vivement : « ... Du suffrage universel qui a sauvé la France et la sauvera encore. »

En 1883, lors de la discussion sur le projet de révision, l'ex-révisionniste de 1870, vota contre la proposition.

M. Le Hardy de Beaulieu n'a pas encore, ainsi que l'a fait M. Vanderkindere, donné pour cause à sa palinodie, son extrême jeunesse. Cela viendra peut-être.

Lors de la discussion sur les nouveaux impôts le député-caméléon vote les aggravations de charges proposées par le ministère malgré sa déclaration de 1870 dans laquelle il disait que la mission principale des mandataires de la nation était de diminuer toujours les dépenses et réduire constamment les impôts.

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Actuellement M. Le Hardy de Beaulieu est un serviteur fidèle du ministère qu'il suivra dans toutes ses erreurs et dans ses actes les plus antidémocratiques.

Après avoir été pendant de longues années un homme sincère, il termine sa carrière par une attitude qui fera oublier son passé honorable. On ne se rappellera plus que de l'homme qui a foulé aux pieds les convictions de sa jeunesse, et de son âge mur, pour devenir l'associé et le défenseur de ceux qu'il attaquait jadis. Il ferait bien de se retirer de la vie politique ; il a dépassé l'âge où l'on peut déposer un vote sensé ; nous demandons donc que l'on mette M. Le Hardy de Beaulieu à la réforme.