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Delfosse Noël (1801-1858)

Portrait de Delfosse Noël

Delfosse Noël, Joseph, Auguste libéral

né en 1801 à Liège décédé en 1858 à Liège

Représentant entre 1840 et 1858, élu par l'arrondissement de Liège

Biographie

(Extrait de : Ulysse CAPITAINE, Nécrologe liégeois pour l’année 1858, Liége, F. Renard, 1861, pp. 8-27)

DELFOSSE, Noël-Joseph-Auguste, avocat près la Cour d’appel de Liége, Officier de l’Ordre de Léopold, ministre d’Etat, membre et ancien président de la Chambre des représentants, ancien échevin de la ville de Liége, ancien président de la Commission des Hospices civils, ancien membre du Conseil provincial et de la Députation permanente, ancien président de l’Association libérale de Liége, ancien membre de la Commission directrice de l’Association liégeoise pour l’encouragement des beaux-arts, ne le 9 mars 1801 à Liége, où il est mort le 22 février.

Delfosse appartenait à une honorable famille bourgeoise de Liége connue depuis plus d’un siècle pour se livrer au commerce de la teinturerie. Destiné au barreau, il termina ses humanités au Lycée, et suivit avec grande distinction les cours de l’Université, où il se passionna surtout pour l’étude du droit romain. Plusieurs distinctions académiques témoignent de son érudition.

Promu docteur en droit le 6 mars 1823, il prêta serment devant la Cour le 16 avril suivant. Son stage était à peine terminé que, dès 1827, des devoirs de famille le forcèrent à abandonner momentanément la carrière qu’il venait d’embrasser.

Il exploitait l’industrie de son père lorsqu’éclata la révolution. Delfosse ne dissimula pas les sympathies qu’il portait au parti libéral d’alors, mais il ne prit aucune part aux événements que préparèrent les journées de Septembre. Il était simple capitaine dans la légion nord de la garde urbaine et sans antécédents politiques, quand, le 1er novembre 1830, il fut élu conseiller de Régence, le septième sur 17. Quelques jours après, il ne lui manqua que deux voix pour être appelé à l’une des suppléances du Congrès National. Enfin, le 22, il fut nommé échevin.

Delfosse accepta ce dernier mandat dans l’espoir qu’on lui confierait l’état-civil ; mais le bourgmestre Jamme, jugeant que ce bureau réclamait trop peu de travail pour qu’un seul membre du Collège en fût exclusivement chargé, destina le nouvel échevin à la police. Après un essai d’un jour, Delfosse donna sa démission par une lettre qui se termine ainsi :

« Hier, vous m’avez engagé à faire un essai, et j’y ai en quelque sorte consenti ; mais, toute réflexion faite, je sens par la connaissance que j’ai de mon caractère et de la portée de mon esprit, que cet essai sera infructueux. Dès lors, mieux vaut céder la place à un autre. Quand un administrateur se trouve dans l’impossibilité de faire le bien, se retirer est pour lui un devoir : je le remplis. »

Dominé par ses goûts studieux et entraîné vers la vie politique, Delfosse ne tarda pas à renoncer au commerce. Il rentra au barreau en 1833, et, le 13 août de cette année, il fut pour la seconde fois élu conseiller de Régence.

Candidat libéral, il parvint aux affaires en même temps que MM. Hubart et J. Lefebvre, portés par le Journal de Liége, contre MM. de Longrée, Demonceau et Chambre. Desoer, défendus par le Politique et le Courrier de la Meuse. Cette élection eût de graves conséquences. Pour la première fois, en effet, depuis 1830, le libéralisme non-unioniste, auquel s’était adjoint la fraction orangiste, combattait corps à corps les catholiques avancés et les partisans de l’Union. La victoire remportée par les premiers décida de l’avenir du corps électoral à Liége.

La vie politique de Delfosse ne date que de ce jour. Porte-drapeau de son parti, il marcha en avant avec toute l’ardeur de la jeunesse, et contribua puissamment à consolider les premiers succès de l’opinion libérale. Par des moyens différents, et avec moins d’obstacles assurément, il parvint, aidé par le Journal de Liége, à jouer, au sein de notre administration communale, un rôle à peu près semblable à celui que M. Devaux devait, quelques années plus tard, remplir au Parlement avec le concours de la Revue nationale.

La majorité de la Régence de Liége appartenait depuis les dernières élections à l’opinion libérale. Il n’en était pas de même du Collège échevinal, dans lequel siégeaient plusieurs membres unionistes ou catholiques. Conservant leur mandat malgré les difficultés de la situation, ces derniers devinrent l’objet des attaques constantes de l’opposition. La lutte ne fût pas de longue durée.

Notre Conseil de Régence était, paraît-il, le seul en Belgique, à l’exception de celui de Verviers (Note de bas de page : C’est la régence de Verviers qui, la première dans le royaume, rendit ses séances publiques : cette mesure fut prise le 29 octobre 1830, jour de son installation, sur la proposition du bourgmestre David), qui à cette époque, transmettait aux journaux un extrait très écourté des procès-verbaux de ces séances, certifié conforme par le secrétaire communal. Dès le 15 octobre 1833, Delfosse demanda que l’on rendît obligatoire, pour les procès-verbaux communiqués à la presse, la mention des votes affirmatifs ou négatifs de chaque conseiller dans toutes les affaires qui seraient délibérées en Conseil. Cette proposition ayant été favorablement accueillie par la majorité, trois conseillers émirent alors le vœu de lui voir donner une portée plus radicale, et réclamèrent la publicité pure et simple des séances.

Le Conseil examina d’abord si, en conformité de l’article 108 de la Constitution, il était compétent pour statuer sur cet objet. La majorité se prononça pour l’affirmative, et la question de publicité des séances fut également résolue par dix voix sur quatre abstentions. Delfosse et ses amis politiques considéraient la publicité comme une mesure d’ordre qu’un Conseil est toujours compétent pour régler, tandis que la minorité voyait, dans le principe proclamé par la commune de sa propre autorité, une violation de la Constitution et un empiètement sur les pouvoirs réunis du Roi et des Chambres.

Le 4 décembre 1833, la régence tint sa première séance publique. Ce jour même, M. Plumier, membre de la majorité, et M. Defooz, l’un des quatre opposants, donnèrent leur démission d’échevin. M. Dejaer-Bourdon, au contraire, tout en se déclarant partisan de la publicité la plus large, protesta, et fit savoir qu’en présence du serment qu’il avait prêté, il ne pouvait assister aux séances publiques qu’il considérait comme illégales.

Delfosse ne crut pas devoir tenir compte des scrupules de M. Dejaer, dont la conduite, en cette circonstance, était en tout pont approuvée par le gouvernement. Il proposa en ces termes de considérer cet échevin comme démissionnaire, s’il refusait de prendre part aux délibérations publiques du Conseil :

« Les lettres par lesquelles M. Dejaer déclare se refuser à remplir son ministère en présence du public contiennent une véritable démission. L’abandonnement des fonctions peut résulter tout aussi bien de certains actes que d’une déclaration pure et simple ; or, il ne peut être fait pour partie. L’emploi est chose indivisible, à prendre ou à laisser en entier. »

La majorité de la Régence partagea cette opinion. Le 11 décembre 1833, elle décida, par dix voix contre cinq, que M. Dejaer cesserait ses fonctions et qu’il serait pourvu à son remplacement en même temps qu’à celui de MM. Defooz et Plumier.

Les électeurs réunis le 15 et 16 janvier sur la convocation du Collège, malgré l’opposition de la Députation permanente, ratifièrent la conduite de la majorité en nommant échevins MM. Closset, A. Delfosse et Hubart. Les deux derniers ayant décliné ce mandat, MM. Piercot et N. Robert les suppléèrent jusqu’à la mise à exécution de la loi communale.

Le successeur de M. Dejaer fut installé à l’Hôtel-de-Ville le 1er février 1834, bien que le gouverneur eût annulé les opérations du scrutin en vertu du droit que lui donnaient les lois de l’époque. M. Dejaer protesta, et se pourvut devant les Chambres, seul pourvoi à qui il appartînt, selon lui, de juger du caractère légal ou inconstitutionnel de la publicité décrétée par la Régence à titre d’autorité. La Chambre des Représentants consacra plusieurs séances à la discussion de la pétition de M. Dejaer, blâma la conduite de la Régence et ordonna le renvoi de la pétition au ministre de l’intérieur. L’affaire en resta là. Ainsi se termina ce conflit qui avait si vivement préoccupé l’opinion et qui restera l’un des incidents les plus curieux de l’histoire de notre réorganisation politique. (Note de bas de page : M. Thonissen s’occupe de ce conflit dans le troisième volume de son remarquable ouvrage, la Belgique sous le règne de Léopold Ier. Il regrette l’inaction que le gouvernement a montrée et l’isolement dans lequel il a laissé M. Dejaer après avoir encouragé sa résistance).

Le 23 avril 1836, Delfosse donna de nouveau sa démission de conseiller de Régence et de président de la Commission des hospices (Note de bas de page : Delfosse fut nommé membre de la Commission des hospices en 1835, et, peu après, élevé à la présidence. Il apporta dans l’administration intérieure de ces établissements plusieurs améliorations utiles) « La loi communale, écrivit-il à cette occasion, laisse à peine au Conseil une ombre d’indépendance ; je la trouve contraire aux articles 31 et 108 de la Constitution ; à l’article 31, en ce qu’elle soumet les actes du Conseil, même ceux qui sont d’intérêt purement communal, même les plus insignifiants, à l’approbation de la Députation des Etats ou du gouvernement ; à l’article 108, en ce qu’elle enlève aux électeurs et confère au Roi la nomination des échevins. Comme citoyen je me soumets à cette loi mauvaise, mais il me répugne de m’associer comme magistrat à son exécution. »

Delfosse ne tarda pas à rentrer dans la vie publique. Le 30 septembre suivant, lors de la première formation du Conseil provincial, l’arrondissement de Liége l’élut conseiller par 392 voix sur 717 votants. Appelé peu après à faire partie de la Députation permanente, il prit une part active aux travaux de ce Collège, fit preuve en différentes circonstances d’une grande énergie, et contribua puissamment à assurer le triomphe du libéralisme dans la plupart des communes de la province.

Au début de la session de 1839, il se retira du Conseil de la députation, parce qu’il ne croyait plus représenter la majorité de ses concitoyens ; M. Raikem, candidat catholique, ayant obtenu, à Liége, une voix de plus que lui lors des élections générales du 11 juin précédent.

Delfosse aspirait à la législature. Dès le 30 mai 1833, sa candidature avait été posée, mais, comme le 30 mai 1835 et le 11 juin 1839, il ne put se faire élire. Ces échecs successifs ne le découragèrent point. Il se porta une quatrième fois, le 27 janvier 1840, soutenu par le Journal de Liége, l’Espoir et l’Industrie. Après une lutte des plus vives contre M. N. Hanquet, que défendaient le Politique et le Courrier de la Meuse, son nom sortit enfin victorieux du scrutin à une forte majorité. Depuis ce jour, le parti libéral est resté maître des élections à tous les degrés dans la province de Liége.

Membre de la Chambre des représentants, Delfosse ne tarda pas à dissiper les préventions qui, à Bruxelles surtout, avaient accueilli son élection. Bientôt même il acquit une prépondérance marquée et figura parmi les chefs les plus influents de la gauche, dont il devait, quelques années plus tard, personnaliser la fraction modérée. Dire l’influence qu’il a exercée pendant plus de quinze ans sur les délibérations de la Chambre et sur les actes du gouvernement, rappeler les discours qu’il a prononcés, les rapports qu’il a rédigés, les luttes oratoires auxquelles il a pris part, les votes importants qu’il a émis, ce serait faire l’histoire politique de la Belgique de 1840 à 1857. Un travail semblable sortirait du cadre modeste que nous assignons à ce recueil (Note de bas de page : En 1860, le Conseil communal a offert à la Société libre d’Emulation une médaille de 300 francs pour la mise au concours de cette question : « Notice historique sur Auguste Delfosse ». Nous faisons des vœux pour que de nombreux et surtout de sérieux concurrents répondent à l’appel de la ville de Liége.) ; aussi nous bornerons-nous à signaler quelques-uns des principaux incidents qui ont marqué la vie parlementaire de notre honorable député.

A cinq reprises différentes, des démarches furent faites auprès de Delfosse pour l’engager à se charger d’un portefeuille. La première fois, en 1846, il accepta ; mais son programme, arrêté d’un commun accord avec M. Rogier, n’ayant point été agréé par le Roi, il dut se retirer. Plus tard, en 1847, 1848, 1854 et 1855, il refusa, soit de former un cabinet, soit d’entrer dans une combinaison ministérielle quelconque. Voici du reste les explications qu’il a données à ses collègues en rendant compte des pourparlers qui ont précédé la formation du cabinet de Decker.

« En 1846, répondant à l’appel de l’honorable M. Rogier, j’avais consenti à occuper une place dans un cabinet pour la formation duquel cet ami politique avait reçu des pouvoirs de Sa Majesté. Les pourparlers et les négociations auxquels je fus mêlé, et qui aboutirent à un programme que Sa Majesté trouva bon de ne pas agréer, me donnèrent la conviction que je n’avais pas le genre d’aptitude qu’il faut pour entrer utilement dans les conseils de la Couronne, et je me promis bien de ne plus m’engager dans la voie dont je venais d’être retiré par la résolution de Sa Majesté.

« J’ai, en conséquence, décliné l’offre d’un portefeuille que l’honorable M. Rogier me fit encore en 1847, lors de la formation du cabinet du 12 août, et, en 1848, lors de la retraite de l’honorable M. Veydt. J’ai également décliné la mission de former un cabinet au mois de septembre 1854, et enfin, le 6 mars dernier (1855), dans l’entrevue que Sa Majesté me fit l’honneur de m’accorder à Laeken. »

Delfosse a été successivement élu second vice-président de la Chambre en 1847, premier vice-président en 1848 et enfin président en 1852. Il conserva cette haute position pendant les sessions de 1852-1853, 1853-1854 et 1854-1855. Lors de l’avènement du ministère de Decker, en avril 1855, il donna sa démission pour aller se rasseoir sur les bancs de la gauche ; une certaine communauté de vues et d’opinions devait, à son avis, régner entre le président de la Chambre et le ministère. (Note de bas de page : Plusieurs de ses amis politiques lui ayant amèrement reproché de s’être montré mou, indécis, et d’avoir entraîné une partie de la gauche lors de la discussion de la convention d’Anvers, il profita de sa retraite pour donner quelques explications sur cet incident. Voici comment il s’est exprimé le 24 avril 1855 :

« Je n’hésite pas à reconnaître que le ministère qui vient de se retirer (de Brouckere-Piercot) est en général resté fidèle au système de modération et d’impartialité dont il avait promis de ne pas s’écarter. S’il a fait un pas vers la droite par la convention d’Anvers, dont j’ai déjà dit que je ne suis pas enthousiaste, mais à laquelle, n’y voyant rien de contraire à la Constitution et à la loi sur l’enseignement moyen, j’ai adhéré par esprit de conciliation, il a, d’un autre côté, fait un pas plus marqué, selon moi, vers la gauche, par la présentation du projet de loi sur les dons et legs charitables.

« Ce projet de loi, auquel j’attache la plus haute importance et qu’on m’avait promis de défendre loyalement, chaleureusement, explique en grande partie les ménagements que j’ai eus pour ce ministère, qui, sans doute, avait des côtés faibles, mais auquel on n’a pas tenu assez compte des difficultés de la situation. »)

Malgré sa déclaration formelle et publiquement exprimée, Delfosse fut réélu président par 48 voix. Notre concitoyen, ayant persisté dans son refus, M. Delehaye, député de Gand, obtint alors la majorité des suffrages. Avant le premier vote, M. le comte de Mérode, l’un des membres les plus distingués et les plus influents du parti conservateur, voulant faire revenir Delfosse sur sa résolution, rendit le témoignage le plus flatteur à sa talent et à son impartialité.

« Le Congrès national, disait-il, nomma pour président feu M. Surlet de Chokier, qui n’appartenait pas précisément à l’opinion de la majorité. Il fit bien, car, sous sa direction prudente et ferme, furent maintenues dans l’assemblée fondatrice de nos institutions, l’ordre et la bonne entente. L’honorable M. Delfosse a montré les mêmes qualités dans l’exercice de ses fonctions. Je suis donc résolu, pour ma part, à l’y maintenir si nous sommes obligés de procédé à une réélection. »

Cette justice rendue par un adversaire politique était méritée. Occupant la plus haute dignité à laquelle puisse aspirer un homme d’Etat dans un gouvernement constitutionnel, Delfosse appropria son langage aux exigences de sa nouvelle position, et, comme on l’a très bien fait remarquer, « posséda au suprême degré la science difficile de diriger les débats d’une assemblée délibérante. Bienveillant pour tous, d’une inébranlable fermeté quand il s’agissait du maintien de l’ordre ou du soin de la dignité du Parlement, il su imprimer aux travaux législatifs une impulsion et un esprit de suite dont chacun conserve le souvenir. »

Delfosse n’était pas orateur dans l’acception réelle de ce mot ; il ne possédait même aucune des qualités qui distinguent l’homme éloquent. Il n’avait ni ce geste ample et sonore qui, assouplis aux phases et aux péripéties diverses d’une œuvre oratoire, constituent l’action et résument, suivant les anciens, le talent de l’homme de tribune. En revanche, il se montrait essentiellement orateur dans le sens du poète latin : Vir bonus dicendi peritus. Sa voix était obscure, hésitante ; au début, on aurait dit qu’il éprouvait une certaine difficulté à dégager sa pensée. La lumière ne tardait cependant pas à se faire, et ce qu’on était d’abord tenté de considérer comme un défaut d’élocution devenait chez lui presque un mérite. Son organe voilé, sa prononciation un peu lente, donnaient à sa parole un caractère grave qui, s’harmonisant avec la sévérité de ses traits et de son attitude, décelait un homme profondément convaincu. Aussi captiva-t-il toujours l’attention de ses collègues et exerça-t-il constamment sur leur esprit un grand ascendant.

Parfois cependant sa gravité se déridait ; alors, quand l’occasion se présentait, il se laissait assez facilement aller à décocher des traits acérés à l’adresse de ses collègues, fussent-ils ou non ses adversaires politiques. Ce genre sarcastique, dont il usa surtout avant de faire partie du bureau de la Chambre, ne lui porta pas toujours bonheur. En différentes circonstances même, il s’attira des ripostes assez désagréables. Il rencontra, sous ce rapport, un redoutable adversaire en M. Delhougne, l’un des orateurs les plus éloquents et sans contredit les plus habiles qui aient paru à nos assemblées législatives.

Delfosse était avant tout éminent syllogique ; ses discours parlementaires rappellent l’esprit méthodique du logicien universitaire. Il n’est peut-être pas hors de propos de faire connaître ici la manière dont il procédait. Il méditait d’abord longuement le sujet qu’il avait à traiter ; il ne négligeait aucun détail, aucun des plus petits côtés de la question. Il se montrait même minutieux à cet égard. Le jour venu où il devait prendre la parole, il se découchait beaucoup plus tard, et, à moitié sommeillant, il groupait ses arguments dans un ordre logique, procédait de déduction en déduction, enfin charpentait son discours. Telle était la sûreté de sa méthode, aidée par son excellente mémoire, que les paroles qu’il prononçait à la Chambre, reproduisaient dans toute leur plénitude les méditations du matin. (Note de bas de page : Voici à ce sujet une anecdote dont nous garantissons l’authenticité et qui justifie de l’incroyable mémoire de Delfosse. Une question des plus importants et qui touchait de près aux intérêts de la province se débattait à la Chambre. Liége était en ce moment en plein émoi. Delfosse avait dans cette affaire prononcé un discours qu’on était impatient de connaître entier et non par fragments ; mais, par une fâcheuse coïncidence, notre concitoyen avait pris la parole la veille d’un jour férie, et la distribution des Annales parlementaires ne pouvait avoir lieu que deux ou trois jours après. De retour à Liége, Delfosse, témoin des regrets qui se manifestaient de toutes parts, demanda à la personne de qui nous tenons ce fait du papier, une plume et de l’encre. Après quelques minutes de recueillement, il se mit à écrire tout d’un trait, avec une agitation quasi fébrile. Comparé à celui que publièrent les Annales, le discours ainsi reproduit contenait à peine quelques variantes de forme, sans importance.)

Dans les harangues qu’il était appelé à débiter lors des solennités officielles, son langage, sans jamais devenir adulateur, ce qui eût été impossible à son tempérament et à l’indépendance toute wallonne de son caractère, gagnait de l’ampleur, et parfois même devenait expansif. Ennemi de ces banalités de courtisan qui répugnaient à la droiture de son jugement, son discours était en toute occasion inspirés par une pensée noble, patriotique et généreuse.

Delfosse possédait à un haut degré l’esprit d’à-propos. Il en donna une preuve mémorable peu après les journées de Février. M. Castiau, cédant à de profondes convictions, crut devoir prédire du haut de la tribune nationale que la révolution française ne tarderait pas à faire le tour du monde. Delfosse protesta au nom de la Belgique. Les traits empreints d’un émotion contenue, il prononça ces paroles prophétiques : « L’intérêt de la Belgique est de conserver intactes les libertés dont elle jouit. L’honorable M. Castiau vous a dit que les idées de la révolution feraient le tour du monde ! Je dirai que, pour faire le tour du monde, elles n’ont pas besoin de passer par chez nous ! (Note de bas de page : Plusieurs chants patriotiques ont été composés sur ces paroles déjà enregistrées par l’histoire.) Nous avons en Belgique les grands principes de liberté et d’égalité ; ils sont inscrits dans notre Constitution comme ils sont gravés dans nos cœurs. » Une prodigieuse acclamation accueillit ces paroles, qui répondaient aux sentiments de tous. Libéraux et catholiques entourèrent notre concitoyen, et la Chambre, en proie à une vive émotion, se sépara sans aborder l’ordre du jour. Ce fut le plus beau triomphe parlementaire de Delfosse.

Aussi consciencieux que probe, aussi actif que laborieux, aussi tolérant que convaincu, Delfosse était le type le plus complet du représentant d’un pays constitutionnel. « Ses travaux, ses discours, son assiduité, son zèle parlementaire, resteront, comme l’a dit l’honorable M. Rogier, un guide pour tous ceux qui sont appelés à siéger au sein de la représentation nationale. Sa conduite, pure de toute vue d’ambition, de toute arrière-pensée d’ambition, de tout reproche enfin, servira d’exemple, de modèle. »

Delfosse appréciait, du reste, toute la valeur de la considération personnelle dont on l’entourait ; mais il ne l’exagéra pas, et ne chercha jamais à la mettre en relief par le vain étalage des honneurs et des dignités dont sa modestie même contribua à le combler.

Le 12 novembre 1857, le Roi reconnut les services éminents que Delfosse avait rendus au pays en l’élevant au rang de ministre d’Etat. Cette haute marque de confiance, justifiée à tous égards, fut, de la part de la presse conservatrice, l’objet d’attaques violentes. Notre concitoyen, dont la santé dépérissait d’une manière visible depuis quelques mois, se préoccupa vivement de cette polémique, qui, selon lui, tendait à compromettre l’immense popularité dont il jouissait. Il se montra surtout sensible aux reproches que lui adressa, à cette occasion, un organe de la presse liégeoise. Ces circonstances, jointes aux contrariétés nées de dissentiments graves survenus entre lui et plusieurs de ses amis politiques, le dégoûtèrent de la vie parlementaire. Il annonça même la résolution de ne plus se laisser reporter lors des élections générales de 1857 ; mais, en présence de la lutte entamée alors à Liége par le parti conservateur, il dut faire un dernier sacrifice en acceptant pour quelques temps encore, le renouvellement de son mandat.

Le 10 décembre 1857, le nom de Delfosse sortit le premier de l’urne électorale. Notre concitoyen ne devait guère jouir de ce triomphe : quelques semaines après, Dieu le rappelait à lui.

La mort subite de Delfosse jeta le deuil dans le pays entier. La Belgique, en effet, perdait l’un de ses plus dignes enfants, un de ceux qui avaient le plus largement et le plus noblement payé sa dette à la patrie.

Les funérailles de Delfosse eurent lieu le 24 février avec un éclat sans précédents chez nous. Il reçut les plus grands honneurs que l’on puisse rendre à un citoyen (Note de bas de page : Les journaux de Liége du 25 et la plupart des journaux belges du 26 ont publié des comptes-rendus de cette triste et imposante cérémonie.) Ce jour-là, la Chambre des représentants elle-même donna, à son ancien président, une marque tout exceptionnelle de regrets en suspendant ses travaux.

Dès le 24 février, M. Verhaegen, président de la Chambre, déposa au nom du pays, la couronne civique sur la tombe de Delfosse. De son côté, le Conseil communal décida, dans sa séance du 5 mars, que le député de Liége avait bien mérité de sa ville natale et qu’il serait inhumé dans la partie du cimetière réservée aux personnes qui ont illustré la cité. Il fut également résolu qu’on consacrerait sa mémoire par un monument élevé par souscription publique (Note de bas de page : Le chiffre de chaque souscription fut limité à un franc, afin de donner dans la manifestation une part égale à tous ceux qui, quel que fût leur état de fortune, voudraient honorer la mémoire du grand citoyen que Liége venait de perdre. La somme recueillie de cette façon s’éleva à 7,507 francs. La liste de souscription déposée sur le bureau de la Chambre de représentants a produit à elle seule… 43 francs).

Le monument exécuté par M. A. Castermans, architecte, porte cette inscription : A Auguste Delfosse, ses concitoyens. M. C. Jehotte à Liége et M. Jouvenel à Bruxelles eurent simultanément l’idée de frapper une médaille, et les journaux publièrent en son honneur différentes pièces de vers, entre autres : Delfosse, par Ad. Stappers, dans le Journal de Liége et dans la Meuse du 23 février ; A l’mémoire d’A Delfosse, représentant, par S. Hardy, dans la Meuse du 24 février, etc.

Il existe plusieurs portraits de Delfosse. Le plus important est celui que Vieillevoye peignit pour le gouvernement et qui orne le palais de la Nation à Bruxelles. Il a été lithographié par M. Joseph Smeets, de Tongres, et édité par M. Kips de Coppin avec autorisation spéciale de la Chambre des représentants. Des portraits-cartes photographiés ont également été mis en vente en 1858. les uns reproduisent une mauvaise lithographie exécutée à Bruxelles vers 1849, les autres ont été exécutées par M. Plumier, d’après un premier portrait que Vieillevoye avait fait de Delfosse en septembre 1852.

A part la collaboration que Delfosse apporta au Journal de Liége de 1835 à 1840 et les nombreux rapports qu’il rédigea pour la Chambre des Représentants, nous ne connaissons de lui que la thèse qu’il a publié en 1823 sous ce titre : Dissertatio juridica de effecta hypothecae, quam lex uxori concedit, secundum jus hodiernum, quam ex rectoris magnifici H. M. Gaede, et senatus academici auctoritate, proevia facultatis juridiciae decreto, pro gradu doctoris, in universitate Leodiensi rite ac legitime consequendis, publico examini submissit. Die 6 marti MDCCCXXIII. Auctor Natalis-Josephus-Aug. Delfosse, Leodiensis.