De Muelenaere Félix, Amand catholique
né en 1794 à Pittem décédé en 1862 à Pittem
Ministre (affaires étrangères) entre 1831 et 1847 Représentant entre 1831 et 1862, élu par les arrondissements de Courtray et Thielt Congressiste élu par l'arrondissement de Bruges(Extrait de : Th. JUSTE, dans Biographie nationale de Belgique, t. V, 1876, col. 573-579)
DE MUELENAERE (Félix-Amand), naquit, le 9 février 1794, à Pittem, dans la Flandre occidentale. Après avoir suivi les leçons de l'école de droit de Bruxelles, il obtint en1815 le grade de docteur et se fit inscrire au barreau de Bruges, qu'il quitta bientôt pour entrer au parquet. Dès 1822, à peine âgé de vingt-huit ans, il en devint le chef. Deux ans après, le 9 juillet 1824, les états provinciaux de la Flandre occidentale l'envoyèrent à la deuxième chambre des états généraux. Pendant les cinq années qu'il fit partie de la représentation nationale, M. De Muelenaere tint une conduite patriotique ; quoique fonctionnaire, il exprimait ses opinions avec indépendance. En 1826, après s'être élevé contre l'impôt qui frappait la mouture, il vota contre le budget. Le ministère, pour l'éloigner des états généraux, lui fit offrir une place dans le conseil des Indes, à Batavia. M. De Muelenaere hésita quelque temps, obtint la décoration du Lion Belgique comme gage des bonnes dispositions du gouvernement, et finalement refusa de s'expatrier. Dès lors il prit une part encore plus active aux débats parlementaires. Le 1er décembre 1828, il appuyait la célèbre proposition de M. Charles de Brouckere en faveur de la liberté de la presse. Le 5 mars de l'année suivante, il exprimait le vœu que, par une communication spéciale, l'attention du chef de l'Etat fût appelée sur les innombrables pétitions qui réclamaient les libertés garanties par la loi fondamentale. Le 14 mai, il votait de nouveau contre le budget, après avoir invoqué la devise des Anglais : redressement des griefs ou point de subsides. Au mois de juillet suivant, M. De Muelenaere devait être soumis à une réélection ; le gouverneur, qui obéissait, croit-on, à des instructions secrètes, mit tout en œuvre pour faire échouer l'honorable candidat, et il y réussit. Le soir, des groupes se formèrent devant la maison du député éliminé ; plus de quatre mille personnes poussèrent avec enthousiasme le cri de : Vive De Muelenaere ! Un autre membre de l'opposition, le comte Vilain XIIII, avait été écarté par les états de la Flandre orientale. Une souscription fut alors ouverte dans les deux Flandres pour offrir aux deux députés non réélus une médaille d'or portant leur effigie avec ces mots vengeurs : « Le pouvoir les proscrit, le peuple les couronne ». Cette manifestation s'accordait mal avec le tempérament très peu révolutionnaire de M. De Muelenaere. Celui-ci ne désirait point la destruction de la monarchie des Pays-Bas, et il s'était toujours gardé de défier le gouvernement. Il allait donner une preuve nouvelle de son obéissance, de sa docilité. Le 12 décembre 1829, le ministre Van Maanen réclama l'adhésion immédiate des procureurs généraux et autres officiers de justice au fameux message dans lequel Guillaume Ier s'élevait contre la licence de la presse et exposait ses vues personnelles sur la marche du gouvernement. M. De Muelenaere envoya sans retard l'adhésion qui lui était demandée, et il s'exprimait de la manière suivante : « ... Si les doctrines séditieuses qui, depuis quelque temps, ont été répandues partout, au moyen de l'abus que l'on fait de la presse, sont restées impunies, cela ne peut être attribué, selon moi, qu'au défaut de moyens énergiques qui empêche les officiers de justice de réprimer convenablement ce mal. Je n'hésite donc pas à déclarer à V. Exc., avec sincérité et franchise, que je suis tout il fait disposé et résolu de suivre la ligne de conduite tracée dans le message royal … ; que je ne m'en écarterai d'aucune manière, et que je déploierai la fidélité et la fermeté sans lesquelles il n'est plus possible de servir plus longtemps la patrie avec quelque fruit ni de défendre les citoyens paisibles contre les criminelles tentatives des malveillants. » Quoiqu'elle n'ait été divulguée qu'au mois de décembre 1831, cette humble réponse de l'ancien député ne resta pas inconnue, et cependant, elle n'affaiblit point l'influence acquise par M. De Muelenaere dans la Flandre occidentale. Il soutenait, au surplus, qu'il fallait distinguer entre le représentant de la nation, lequel ne relève que de sa conscience, et l'officier de justice subordonné au gouvernement ; que, tout en exécutant les prescriptions de M. Van Maanen, il gardait ses opinions libérales.
Après le triomphe de la révolution belge, M. De Muelenaere est élu membre du Congrès national par trois districts de la Flandre occidentale : ceux de Bruges, d'Ostende et de Thielt. Il opte pour Bruges. Quinze jours après, le gouvernement provisoire lui confie l'administration de la province. Au Congrès, M. De Muelenaere se signala, comme naguère aux états généraux, par sa prudence autant que par son patriotisme. Il vota pour l'indépendance du peuple belge ; il adhéra également à l'exclusion perpétuelle de la maison d'Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique, mais ce fut sans enthousiasme, trouvant même inopportune et dangereuse l'initiative prise, à cet égard, par M. C. Rodenbach. Il se déclara également pour la monarchie constitutionnelle représentative sous un chef héréditaire et pour l'institution de deux chambres. Dans les débats relatifs aux libertés constitutionnelles, il se montra fermement attaché au grand parti unioniste qui avait fait la révolution. C'est ainsi que, plaidant pour l'entière liberté des cultes, défendant les droits de la minorité, il ne laisserait pas, disait-il, accréditer à l'étranger l'opinion que le Congrès était déjà sous l'influence d'un parti. Lorsqu'il s'agit de nommer le chef définitif de l'Etat, M. De Muelenaere vota pour le prince Léopold de Saxe-Cobourg. Il fit ensuite partie de la députation chargée par l'assemblée de se rendre en Angleterre afin d'annoncer au prince son élection. Il acheva sa tâche de constituant en prononçant, le 7 juillet, un discours remarquable pour conseiller l'acceptation des préliminaires de paix arrêtés par la conférence de Londres sous la dénomination des Dix-huit articles.
Le 24 juillet 1831, Léopold 1er confia le ministère des affaires étrangères à M. De Muelenaere. Quelques jours après, l'armée hollandaise franchissait la frontière. Dans l'après-midi du 2 août, le ministre des affaires étrangères avait reçu la déclaration par laquelle le général Chassé, commandant de la citadelle d'Anvers, annonçait brusquement la reprise des hostilités. M. De Muelenaere chargea l'envoyé belge à Paris de porter la déclaration de guerre à la connaissance du gouvernement français , mais sans réclamer aucun acte ou disposition défensive. Il redoutait, comme ses collègues, de violer l'article de la constitution portant qu'aucune troupe étrangère ne peut occuper ou traverser le territoire qu'en vertu d'une loi. Or, cette loi n'existait pas et le congrès n'était plus réuni. Indépendamment du scrupule constitutionnel qui l'arrêtait, M. De Muelenaere avait une confiance exagérée dans une armée dont l'organisation n'était qu'à peine ébauchée. Plus prévoyant, le roi Léopold, qui se trouvait à Liége, avait demandé formellement l'intervention armée de la France. Lorsque le roi se rendit ensuite au quartier général de Malines, M. De Muelenaere pria un agent anglais de « dire à S. M. qu'il l'implorait à genoux d'empêcher l'exécution d'une mesure qui était de nature à compromettre l'honneur militaire du pays. » Dans cette grande crise, M. De Muelenaere manqua de décision ; mais il ne tarda pas à reconnaître qu'il avait poussé trop loin des scrupules inopportuns. Le 16 août, il écrivait à M. Van de Weyer, ministre belge près la cour de Saint-James : « ... Si, sur les réclamations venues de Londres, sur nos propres réclamations, le maréchal Gérard s'était arrêté au delà des frontières, Bruxelles tombait entre les mains des Hollandais dans la journée du 13 août. » L'indépendance fut sauvée, mais au prix de durs sacrifices. Aux dix-huit articles, sous la foi desquels le prince de Saxe-Cobourg avait accepté la couronne, la conférence de Londres substitua de nouvelles bases de séparation qu'elle imposa à la Belgique et à la Hollande comme des résolutions finales et irrévocables. Or, par ce nouveau traité dit des Vingt-quatre articles, la Belgique subissait la loi des vaincus. Résister à l'Europe, c'était s'exposer à une restauration ou à un partage. M. De Muelenaere, pour soustraire la Belgique à ces terribles éventualités, montra cette fois un vrai courage. Le 21 octobre, résistant à une opposition puissante et exaspérée, il présenta aux chambres un projet de loi autorisant le chef de l'Etat à conclure et à signer le traité définitif de séparation entre la Belgique et la Hollande.
La majorité ayant approuvé la résolution du gouvernement, le traité fut signé à Londres le 15 novembre. La question de paix ou de guerre restait néanmoins indécise par suite de l'obstination du roi Guillaume. Ce souverain refusant son adhésion aux nouvelles bases de séparation, comme il l'avait refusée aux premières, il fallait réclamer de l'Europe l'accomplissement des conditions qu'elle avait garanties. Or, le cabinet de Bruxelles voulait que la conférence de Londres assurât l'exécution de ces conditions, tandis que la conférence, au contraire, prétendait la faire dépendre d'une négociation directe entre la Hollande et la Belgique. Et dans cette hypothèse encore, le cabinet de Bruxelles subordonnait d'une manière absolue toute négociation nouvelle à l'évacuation préalable du territoire attribué à la Belgique par le traité du 15 novembre. Tel était le système que M. De Muelenaere soutenait opiniâtrement et auquel il avait attaché son existence ministérielle. En désaccord avec lord Palmerston, avec M. Van de Weyer, avec le roi Louis-Philippe, avec le baron Stockmar, avec d’autres hommes d'Etat, il finit par succomber. Le 18 septembre 1832, il déposait le portefeuille des affaires étrangères afin de ne point contrevenir, disait-il, aux engagements pris à l'égard de la législature. Il conservait le titre de ministre d'Etat, qui lui avait été conféré le 12 novembre 1831, le gouvernement de la Flandre occidentale et son siège à la chambre des représentants comme député de Courtrai.
M. De Muelenaere avait à la chambre une position très influente ; il était le conseiller écouté, le chef d'un groupe parlementaire composé de catholiques et d'unionistes. Le 4 août 1834, il redevint ministre des affaires étrangères et présida le cabinet jusqu'au 13 décembre 1836. Il se sépara de ses collègues lorsque ceux-ci eurent refusé de conférer le titre de ministre d'Etat à M. Meeus, gouverneur de la Société générale, et à M. Coghen, son principal auxiliaire.
Par un acte de haute faveur, M. De Muelenaere aurait voulu nationaliser la puissante société financière qui devait sa création à Guillaume Ier et dissiper les préventions dont elle était encore l'objet de la part des patriotes. Mais il rencontra une résistance invincible. La veille du jour où M. De Muelenaere se retira, le roi lui écrivait : « ... Voilà bientôt six ans que je vous connais ; je vous ai toujours porté les mêmes sentiments, et j'espère vous voir encore de longues années servir notre pays avec honneur et utilité ; ce qui sera en mon pouvoir pour rendre votre position agréable et vous prouver ma satisfaction sera toujours mis en œuvre. » M. De Muelenaere reprit le gouvernement de la Flandre occidentale, qu'il préférait d'ailleurs à l'administration de l'Etat. En 1837, il fut créé comte romain par le pape Grégoire XVI. Le 13 avril 1841, il reprit pour la troisième et dernière fois le portefeuille des affaires étrangères dans le cabinet mixte formé par M. Nothomb. Mais c'était malgré lui qu'il avait délaissé sa chère Flandre : aussi, dès le 5 août suivant, abandonnait-il le ministère pour des motifs personnels, tout en conservant la qualité de membre du conseil avec voix délibérative. Un mois après, il se rendait à Paris, avec deux autres membres de la législature, pour discuter les conditions d'un projet d'union douanière avec la France. Il n'en était point grand partisan. Après de laborieuses négociations et des incidents sans nombre, il exprimait son jugement en ces termes : « ... Dans la négociation actuelle, les avantages politiques sont exclusivement en faveur de la France, Sous ce rapport, la Belgique n'a rien à gagner ; elle a tout à perdre. Aux yeux des puissances du Nord, le traité constituera une atteinte grave à sa nationalité et à son indépendance... »
M. De Muelenaere resta membre du conseil, sans portefeuille, dans toutes les administrations qui se succédèrent depuis 1841 jusqu'à l'avènement des libéraux. en 1847. Lorsque la loi du 26 mai 1848 eut exclu des chambres tous les fonctionnaires sans exception, le comte De Muelenaere opta pour le gouvernement de la Flandre occidentale. Il avait peine à se détacher d'une administration dont il était investi depuis dix-sept années et dans laquelle il avait en quelque sorte renfermé sa vie. Mais il dut enfin s'apercevoir qu'il y avait incompatibilité entre lui, ancien chef de la droite, et le ministère libéral. Le 11 février 1849, la démission qu'il avait donnée fut acceptée. Le 11 juin suivant, il était élu membre de la chambre des représentants pour le district de Thielt, et ce nouveau mandat lui fut conservé pendant douze années. On le considérait à juste titre comme une des notabilités du parlement belge. M. De Muelenaere mourut à Pitthem, le 5 août 1862 ; sa dépouille mortelle fut transportée à Bruges et ensevelie dans le cimetière de Coolkerke.