De Mérode Félix, Philippe, Balthazar catholique
né en 1791 à Maastricht décédé en 1857 à Bruxelles
Ministre (guerre, affaires étrangères et finances) entre 1830 et 1839 Représentant entre 1831 et 1857, élu par les arrondissements de Bruxelles et Nivelles Congressiste élu par l'arrondissement de Maestricht(Extrait de : E. DUCHESNE, dans Biographie nationale, tome XIV, 1897, col 545-556, par E. Duchesne).
MERODE (Félix-Philippe-Balthasar-Otton-Ghislain, comte DE), homme d'Etat et écrivain, naquit le 13 avril 1791, à Maestricht, où sa famille avait droit de bourgeoisie, et mourut à Bruxelles, le 7 février 1857.
Le comte Félix de Mérode était le deuxième fils de Charles de Mérode et de Marie d'Ongnyes de Mastaing. Ses premières années se passèrent en Allemagne, où son père avait émigré lors de l'occupation des Pays-Bas par les Français et d'où il ne revint qu'en 1800, après l'établissement du Consulat. En 1809, à peine âgé de dix-huit ans, le comte Félix épousa, au château de Villersexel, en Franche-Comté, Rosalie de Grammont, fille du marquis de Grammont et nièce de La Fayette. Depuis lors jusqu'en 1830, il résida habituellement en France, avec la famille de Grammont, faisant de courts séjours chez son père à Bruxelles ou au château d'Everberg, près de Louvain. Eloigné des affaires publiques et presque toujours retiré à la campagne, il profitait de ses nombreux loisirs pour se livrer à l'étude approfondie des questions politiques, religieuses et sociales qui préoccupaient ses contemporains. En 1823, il perdit sa femme et vécut dans une retraite plus profonde encore, mais sans jamais se désintéresser des grands problèmes sociaux qui agitaient alors la France. Imbu d'idées à la fois chrétiennes et libérales, partisan aussi décidé des libertés constitutionnelles qu'adepte convaincu des traditions religieuses du passé, il préconisait et appelait de tous ses vœux, comme il l'a dit lui-même, « l'accord de la religion et des institutions libres qui dérivent de la Charte. ».
C'est en 1828 seulement qu'il commença à se faire connaître, en développant ses idées dans une brochure dont le titre, original dans sa longueur, révèle suffisamment la tendance et le but : « Les Jésuites, la Charte, les Ignorantins, l'enseignement mutuel, tout peut vivre, quoi qu'on en dise. » L’année suivante, il publia, dans le Catholique, un nouvel écrit intitulé : « Un mot sur la conduite politique des catholiques belges, des catholiques français. » C'était une éloquente défense des doctrines soutenues alors par Lamennais ; l'auteur y constatait avec satisfaction l'accord de Lamennais avec les catholiques belges, réclamant, comme lui, les droits consacrés par la Charte française.
Félix de Mérode était donc, selon l'expression de De Potter que le comte alla voir en prison, après sa condamnation -. un catholique très libéral et indépendant d'opinion.
La mort de son père, Charles de Mérode, survenue le 18 février 1830, et la liquidation de la succession paternelle avaient appelé et retenu le comte à Bruxelles quand commencèrent les troubles de la Révolution au mois d'août suivant. Au lendemain des scènes qui suivirent la représentation de la Muette de Portici du 25 août, dès 6 heures du matin, Félix de Mérode se trouvait à l'hôtel de ville au nombre des notables qui demandaient l'autorisation d'organiser une garde bourgeoise chargée de veiller au maintien de l'ordre, et se faisait inscrire dans ses rangs comme simple garde. Le 28, à l'hôtel de ville, encore, il fut un des cinq délégués chargés de rédiger une adresse au roi Guillaume et fit partie de cette autre députation de cinq membres qui reçurent mission de porter l'adresse à La Haye. .
Parti le 29 août, il rentra à Bruxelles avec la députation, le 1er septembre. Le 8, il fut nommé membre de la Commission de la sûreté publique, et avança une somme considérable pour venir en aide aux ouvriers restés sans occupation par suite des troubles, espérant contribuer ainsi au rétablissement de l'ordre. Mais après la journée du 20, pendant laquelle le peuple désarma la garde bourgeoise et expulsa, malgré les représentations de Félix de Mérode lui-même, la Commission de sûreté publique de l'hôtel de ville, le découragement s'empara du comte, comme de beaucoup d'autres défenseurs de la cause nationale. Il quitta la ville, et, le 22, alla rejoindre sa mère au château de Rixensart d'où il se rendit à Solre-sur-Sambre. C'est là qu'il apprit les péripéties des journées de septembre et la façon inattendue et admirable avec laquelle le peuple se défendait, abandonné à lui-même, sans chefs et sans impulsion dirigeante. Aussitôt, il se résolut à rentrer dans Bruxelles ; le 26, il prenait place au Gouvernement provisoire et sou nom figurait au bas de la proclamation annonçant la formation du nouveau pouvoir.
Le concours de Félix de Mérode, l'héritier d'un grand nom et d'une maison illustre, fut aussi précieux au Gouvernement provisoire que la présence de son frère Frédéric fut stimulante, électrisante, dans les rangs des volontaires qui se battaient contre l'ennemi. En voyant cet homme de bien jouer sa tête, sa fortune et la grande existence de sa famille, on comprit, à l'étranger surtout, qu'il s'agissait, non d'une émeute, mais d'un mouvement national ; et c'est à ce titre particulièrement que le comte Félix, comme le comte Fréderic, a mérité d'être regardé comme l'un des principaux fondateurs de notre indépendance.
Du 26 septembre au 10 novembre 1830, date de la réunion du Congrès national, le comte siégea au Gouvernement provisoire et fit partie du comité central organisé au sein de ce gouvernement et chargé du pouvoir exécutif. Il s'associa à toutes les mesures libérales et démocratiques qui réalisèrent le programme de l'union de 1828, conclue entre les catholiques et les libéraux.
Sur un point capital, il se trouva en opposition avec son collègue De Potter : ce dernier était d'avis que le Gouvernement provisoire devait frapper juste, fort et vite, particulièrement contre les partisans de la dynastie déchue et contre cette dynastie elle-même, dont il voulait faire prononcer sans retard la déchéance. Il soutenait que le Gouvernement provisoire, « antérieur et, sinon supérieur, du moins indépendant du Congrès », avait qualité pour résoudre toutes les questions fondamentales, ne laissant au Congrès que la mission de les ratifier au nom de la nation. Le comte de Mérode ne partageait pas cette manière de voir : il se refusait à empiéter sur les attributions du Congrès et entendait laisser à ce dernier la tâche de se prononcer sur les destinées de la nation, même au point de vue dynastique.
L'opinion du comte de Mérode prévalut et De Potter resta seul de son avis, en taxant son collègue « d'inerte modérantisme ». Les élections pour le Congrès furent fixées au 27 octobre, et Félix de Mérode fut élu par trois districts, ceux de Bruxelles, de Maestricht et de Malines. Il opta pour Maestricht, sa ville natale. Son frère cadet Werner fut nommé député par le district de Soignies. Trois jours auparavant, son frère puîné Frédéric était tombé à Berchem et succombait le 5 novembre, à Malines, aux suites de sa terrible blessure, au moment où tous les regards se tournaient vers lui comme vers le futur chef de l'Etat. L'héroïsme du comte Frédéric, le dévouement du comte Félix avaient en effet fixé l'attention sur la maison de Mérode, et, après la mort de Frédéric, un grand nombre de patriotes, une foule d'hommes influents avaient pensé à reporter sur son frère les espérances que l'on avait mises en l'illustre victime de Berchem. On parlait déjà à l'étranger de l'élévation probable de Félix de Merode au trône d Belgique. Mais le comte, à l'exemple de Frédéric qui avait repoussé avec énergie l'éventualité des honneurs royaux, ni faisait rien pour encourager ces dispositions à son égard.
Le Congrès s'ouvrit le 10 novembre. Il n'entre pas dans notre sujet d'en rappeler les mémorables discussions. Le comte de Mérode, député au Congrès, resta membre du pouvoir exécutif, le Congrès ayant décidé en effet, après avoir voté des remerciements au Gouvernement provisoire, que la puissance exécutive serait remise aux membres qui composaient ce gouvernement. Après le vote unanime proclamant l'indépendance du pays, il s'associa à la majorité qui se prononça en faveur de la monarchie constitutionnelle représentative et qui décréta l'exclusion perpétuelle des membres de la famille d'Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique. En janvier 1831, se posa la grave question du choix du futur chef de l'Etat. Avec tous ses collègues du Gouvernement provisoire, il soutint d'abord la candidature du prince Othon de Bavière ; puis, quand cette candidature, peu sympathique à la majorité du Congrès, eut été abandonnée, il fut un des cinquante-trois députés qui proposèrent l'élection du duc de Nemours, laquelle fut votée à la majorité d'une voix.
Le comte de Mérode fit partie de la députation chargée, le 4 février, d'aller à Paris annoncer à Louis-Philippe l'élévation de son fils au trône de Belgique. Le roi de France ayant refusé la couronne pour 1e duc de Nemours, le Congrès résolut de confier temporairement le pouvoir exécutif à un régent. L'élection eut lieu dans la séance du 24 février. Le baron Surlet de Chokier, président du Congrès, obtint cent huit suffrages, le comte de Merode quarante-trois et le baron de Gerlache cinq. « Le comte Félix de Mérode - assure un contemporain bien informé - peu ambitieux de l'honneur qu'on voulait lui conférer, n'avait fait aucun effort pour assurer son élection, laquelle aurait probablement eu lieu, s'il l'avait voulu. »
Le régent installé, le rôle du Gouvernement provisoire était terminé, et pour la seconde fois ses membres déposèrent l'autorité dont ils avaient été investis. Le Congrès décréta, par acclamation, que le Gouvernement provisoire avait bien mérité de la patrie et alloua à ses membres, à titre de récompense nationale, une indemnité de 150,000 florins. Le comte de Mérode n'accepta sa part que pour la transmettre immédiatement à la commission chargée d'élever, sur la place Saint-Michel, un monument aux victimes des journées de septembre. Ajoutons en passant qu'il contribua dans la suite, pour une grande part, aux frais de l'érection de la statue de Godefroid de Bouillon.
De février à juillet 1831, pendant les cinq mois que dura la régence, l'élection d'un chef définitif de l'Etat resta le premier besoin de la situation. Le 20 avril, une députation composée du comte Félix de Mérode, de l'abbé de Foere, du comte Hippolyte Vilain XIIII et de Henri de Brouckere fut envoyée à Londres, afin de sonder les dispositions du prince Léopold de Saxe-Cobourg et les intentions, à l'égard de ce candidat éventuel, des ministres anglais et des membres de la conférence : l'envoi de cette commission avait pour principe de ne plus exposer le pays à l'humiliation d'un deuxième refus de la couronne ; quant à sa composition, elle était significative, puisqu'on y voyait un des chefs de la noblesse catholique et un membre même du clergé, se rendant auprès d'un prince luthérien avec la mission de l'engager à accepter la couronne de Belgique. Un seul catholique marquant, dans une lettre rendue publique, éleva la voix pour faire entendre une protestation, et ce catholique était un ami intime de Félix de Merode, le comte de Robiano de Borsbeck. Le comte de Merode s'empressa d'adresser de Londres, aux rédacteurs du Courrier des Pays-Bas, une réponse explicative et justificative de sa démarche, réponse qu'il est intéressant de lire dans le numéro du 7 mai de ce journal. Les députés du régent revinrent à Bruxelles, le 8 mai ; ils n'avaient pas obtenu du prince Léopold une acceptation définitive, mais ils rapportaient l'espoir fondé qu'il se rendrait aux vœux des Belges, lorsque le dissentiment qui s'était élevé entre le Congrès et la conférence de Londres au sujet des limites du territoire serait aplani. Le prince Léopold fut proclamé roi des Belges, et de nouveau le comte de Mérode fut désigné pour faire partie de la députation envoyée à Londres, pour présenter au prince le décret de l'assemblée. Léopold ayant accepté la couronne à la condition que le Congrès souscrirait aux Dix-huit articles. Félix de Mérode, de retour à Bruxelles, fut un de ceux qui conseillèrent l'adoption des stipulations que la conférence elle-même avait qualifiées de préliminaires de paix. Deux fois, il prit la parole au Congrès pour obtenir le vote de ces préliminaires, quoiqu’il lui en coûtât de replacer sons la domination hollandaise les Limbourgeois et les Luxembourgeois qui, dès le premier jour, s'étaient levés pour la défense de la cause nationale. Les Dix-huit articles adoptés, le comte de Mérode reparut une troisième fois à Londres, le 11 juillet, en qualité de membre de la députation chargée d'annoncer au prince Léopold le vote définitif et de l'inviter à se rendre en Belgique.
Après l'installation de la royauté, et lorsqu'un arrêté du 29 août convoqua les collèges électoraux pour former la première législature, Bruxelles et Nivelles envoyèrent en même temps le comte Félix de Mérode à la Chambre des représentants, tandis que son frère cadet Werner était nommé par Louvain et que son frère aîné Henri était élu sénateur par cinq districts différents. Il opta pour Bruxelles, le 4 octobre. Après la dissolution de 1833, il fut de nouveau élu par l'arrondissement de Nivelles qu'il ne cessa, dès lors, de représenter jusqu'à sa mort, c'est-à-dire pendant près d'un quart de siècle.
Il serait trop long de rappeler les votes émis et les discours prononcés par le député de Nivelles au cours d'une carrière parlementaire de vingt-quatre années. Nous nous bornerons à noter les faits saillants de sa vie politique.
Il fit partie de la majorité qui vota, le 1er novembre, le fameux traité des Vingt-quatre articles, qui enlevait à la Belgique, pour l'attribuer à la Hollande, une partie du Limbourg et du Luxembourg et mettait à sa charge une partie de la dette de l'ancien royaume des Pays-Bas. Le 12 novembre suivant, il fut nommé ministre d'Etat. Le 15 mars 1832, dans des circonstances délicates, il consentit à prendre, par intérim, la direction du département de la guerre jusqu'au jour où le général Evain, d'origine française, eût obtenu la grande naturalisation et pût être mis en possession du portefeuille de la guerre. Ce fut encore en sa qualité de ministre d'Etat que, le 8 juin, plus hardi que ses collègues du conseil, il contresigna, présenta et défendit devant les Chambres le projet de loi instituant l'ordre de Léopold. Le 9 août, il fut, au château de Compiègne, un des témoins du mariage de Léopold 1er avec la princesse Louise d'Orléans. Lui-même avait épousé en secondes noces, l'année précédente, Philippine de Grammont, sœur de sa première femme : il eut de ses deux mariages trois filles et deux fils, Werner et Xavier.
Peu de jours après, répondant à un nouvel appel du roi à son dévouement, il donnait, en sa qualité de ministre d'Etat et membre du conseil, la signature constitutionnellement nécessaire pour valider la nomination du général Goblet au portefeuille des affaires étrangères. Le 26 décembre, vint devant la Chambre la fameuse proposition Gendebien, de faire disparaître, au lendemain et en reconnaissance de l'intervention française de 1831, le lion de Waterloo et de le remplacer par un monument funéraire. Le comte de Merode fut un des adversaires de la proposition et prononça à ce sujet un éloquent discours qui contribua pour beaucoup à la faire rejeter, En juillet 1832, en l'absence du titulaire, le général Goblet, il prit la signature du département des affaires étrangères et quand, à la fin de cette même année, le général Goblet se retira définitivement, il accepta, mais par intérim seulement, le poste de ministre des affaires étrangères, qu'il occupa du 27 décembre 1833 au 4 août 1834.
En 1838, surgit le mémorable débat auquel le comte de Mérode devait prendre la part la plus active, On sait que, le 11 mars de cette année, an grand étonnement général, le roi Guillaume fit notifier à la conférence de Londres son adhésion aux Vingt-quatre articles de 1831. Sept années s'étaient écoulées depuis que le comte de Merode avait parlé et voté en faveur de l'adoption de ces stipulations. Quelle allait être son attitude ? Pouvait-il, sans se mettre en contradiction avec lui-même, combattre en 1838 la cession à la Hollande du Limbourg et du Luxembourg qu'il avait conseillée et votée eu 1831 ? Après quelques hésitations, il se prononça pour l'affirmative et devint, de jour en jour, un adversaire plus décidé des revendications du roi Guillaume et de l'ultimatum des puissances. Non content de se mêler activement aux négociations ouvertes à ce sujet à Paris et à Londres, il prit la plume pour faire entendre une éloquente protestation et, le 15 juin 1838, fit paraître sa célèbre « Lettre à lord Palmerston par un ancien député au Congrès belge, envoyé à Londres, en 1831, près du prince de Saxe-Cobourg. » Elle eut un énorme retentissement. Les représentants des cinq cours n'en signèrent pas moins, le 6 décembre 1838, un protocole final, déclarant irrévocables les arrangements territoriaux acceptés par les Belges en 1831. Un instant, on crut que le gouvernement de Louis-Philippe, après le magnifique discours prononcé à la Chambre des pairs, sur la question belge, par le comte de Montalembert, gendre de Félix de Mérode, allait se séparer des autres puissances signataires du protocole. Mais le comte de Mérode apprit, par son gendre, que, dans une conversation privée, le chef du cabinet français, Molé, avait émis l'avis que les Belges, convaincus eux-mêmes de l'irrévocabilité des arrangements territoriaux, prodiguaient les protestations et les résistances dans le seul dessein de faire modifier à leur avantage les stipulations financières du traité. Indigné, le comte reprit la plume et, le 19 décembre 1838, adressa au comte Molé une lettre aussi remarquable que l'épître à lord Palmerston et qui restera, dit un historien, « comme l'une des preuves les plus éclatantes de l'élévation de ses idées, de la noblesse de ses sentiments et de l'énergie de son patriotisme. Et comme le gouvernement belge espérait encore que, moyennant une large indemnité, il serait possible d'amener le roi Guillaume à renoncer aux territoires contestés, ce fut de nouveau le comte de Mérode qui fut envoyé à Paris pour obtenir le concours de Louis-Philippe et de ses ministres. Ce fut en vain ; la France déclara, le 22 janvier 1839, adhérer définitivement à l'ultimatum de la conférence de Londres et le comte s'empressa de retourner à Bruxelles.
Le 31 janvier, il assista au conseil des ministres, tenu sous la présidence du roi. Les ministres de la justice et des finances émirent l'avis que le gouvernement devait déclarer aux Chambres qu'il repousserait l'ultimatum jusqu'au jour où il se trouverait en présence d'une force majeure ; n'ayant pu faire prévaloir leur opinion, ils donnèrent leur démission. Félix de Mérode, moins intraitable ce jour-là, avait déposé une proposition transactionnelle : c'était de déclarer que la Belgique ne résisterait pas par l'emploi des armes, mais ne payerait que la part exacte et dûment justifiée qui lui incombait dans la dette du royaume-uni des Pays-Bas. Il accepta momentanément l'intérim des finances ; mais, revenant ensuite nettement à la résolution de défendre l'intégrité complète du territoire, désireux de maintenir intacte sa propre popularité, il se retira également du conseil le 18 février, c'est-à-dire la veille du jour où le gouvernement déposa le projet de loi acceptant l'ultimatum.
Le 19 mars, ce projet de loi fut voté malgré l'opposition de Félix de Mérode, qui prit deux fois la parole dans la discussion publique, et celle de quarante-deux autres représentants, parmi lesquels son frère Werner. Des milliers de citoyens, approbateurs de la conduite tenue par le comte Félix, voulurent lui témoigner leur profonde estime en faisant frapper en son honneur une médaille portant, d'un côté, l'effigie du député, de l'autre, cette belle et généreuse pensée, extraite de sa lettre à lord Palmerston : « Les diplomates ne peuvent-ils désormais consulter aussi les besoins, les sympathies de l'homme, de l'être raisonnable créé à l'image de Dieu ? »
Désormais réduit au rôle de simple député, la part active qu'il prit à toutes les discussions importantes de la Chambre des représentants le montra constamment animé d'idées larges, d'intentions droites, d'un sincère amour de la liberté, de la justice et de la vérité. Son élévation d'esprit inspirait le respect, l'affabilité et la droiture de son caractère lui faisaient des amis de tous ceux qui l'approchaient. Malgré son incontestable indépendance d'opinion et sans être un ennemi des libéraux - car il ne renia jamais les principes unionistes de 1830 - il resta étroitement attaché au parti catholique et fut un ferme soutien des ministres de cette opinion. Plus d'une fois, il éleva encore la voix en faveur des intérêts religieux et moraux ; en 1844, dans sa Lettre à M. Thiers, il répliqua avec vivacité à l'homme d'Etat français qui, dans un rapport sur un projet de loi, avait avancé que l'ordre de choses issu de la révolution de septembre avait eu pour résultat de placer la Belgique sous la domination politique du clergé. D'autre part, dans un article paru l'année suivante dans la Nouvelle Revue de Bruxelles, il répondit à l'évêque de Langres qui avait prétendu que, dans les pays où le gouvernement doit tolérer et protéger également tous les cultes, l'Etat et la loi sont athées. Enfin, en 1848, apprenant que la cour pontificale avait à se prononcer sur la liberté de la presse, il remit au nonce de Bruxelles, pour la transmettre au pape Pie IX, une longue lettre où il plaidait la cause de l'abolition de la censure. Ces faits suffisent à montrer quel zèle il mettait à défendre les principes et le régime qu'il avait tant contribué à instaurer en Belgique.
Le comte Félix de Mérode mourut à Bruxelles, le 7 février 1857, et fut inhumé cinq jours après à Rixensart, lieu de sépulture des comtes de Mérode. On lui fit des funérailles nationales : la Chambre assista en corps à ses obsèques, et au nombre des discours émouvants qui furent prononcés sur sa tombe, celui du ministre de l'intérieur, De Decker, peut être relu comme l'hommage le plus élevé, dans la forme et dans la pensée, rendu à l'illustre fondateur de notre indépendance nationale.
BIBLIOGRAPHIE
THONISSEN J.-J., Vie du comte Félix de Mérode, Louvain, 1861.