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De Meester Charles (1800-1855)

De Meester Charles, Louis catholique

né en 1800 à Saint-Nicolas décédé en 1855 à Waasmunster

Représentant entre 1843 et 1852, élu par l'arrondissement de Sant-Nicolas

Biographie

(Extrait de : DE PAEPE Jean-Luc et RAINDORF-GERARD Christiane, Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Académie royale de Belgique, 1996).

Médecin.

Membre du conseil communal de Saint-Nicolas (1837-1839 et 1841), échevin de Saint-Nicolas (1840), membre de la Chambre des représentants de Belgique par arrondissement de Saint-Nicolas (1843-1852), bourgmestre de Saint-Nicolas (1854-1855)

(Jean Van Raemdonck, Notice historique des établissements de bienfaisance de la ville de Saint-Nicolas, Volume 1, 1865)


(Extrait de VAN RAEMDONCK J., Notice historique des établissements de bienfaisance de la ville de Saint-Nicolas. Deuxième partie. Les hospices des orphelins et des orphelines, Saint-Nicolas, 1873)

page 157) Adieu prononcé sur la tombe de C.-L. de Meester, le 13 juillet 1855

Messieurs ! A l'aspect de la foule qui se presse dans cette enceinte en général si déserte, devant ce concours d'hommes, de toutes les conditions et de tous les partis, qui viennent se ranger autour de cette tombe et glorifier, par leurs regrets et leurs larmes, les souvenirs qui s'attachent à ce cercueil, j'ai peut-être tort de parler encore et de ne pas comprendre que, devant cette manifestation de toute une ville, la voix d'un particulier devient superflue pour illustrer la mémoire du défunt et faire son éloge funèbre. Mais pardonnez-le-moi, Messieurs. Retracer les vertus de celui que nous pleurons et, au moment de la séparation, lui dire un suprême adieu, est pour moi un besoin du cœur auquel je ne voudrais ni ne saurais résister. Permettez-le-moi : je l'ai si bien connu. Permettez-le à mon amitié : je l'ai tant aimé. Permettez le à ma douleur: elle est bien légitime.

Charles-Louis De Meester était un de ces hommes, qui envisagent les connaissances humaines à ce point de vue élevé qui fait le véritable savant et non point l'orgueilleux. Pour lui, le but de la science était d'être utile aux autres, et, dès lors, s'instruire était considéré comme un devoir. Ce devoir, il le pratiquait avec un amour et une ardeur que les infirmités seules ont pu calmer. C'est cet amour de la science (page 158) qui lui donnait ce zèle infatigable pour l'étude, qui ornait sa bibliothèque si riche de livres, qui lui inspirait cette générosité pour les élèves indigents de nos écoles, et lui faisait entreprendre ces fréquents et lointains voyages, d'où il revenait toujours heureux parce qu'il avait pu s'enrichir de lumières nouvelles. Aussi, possédait il un vaste champ de connaissances variées, profondes et éminemment pratiques.

La science est la moitié du ministère. Seule, elle ne suffit pas. La science peut faire du médecin un artiste, mais c'est le cœur qui en fait véritablement un prêtre. Ici, Messieurs, s'ouvre une des plus belles pages de la vie du défunt : accourir partout où l'on souffre ; n'établir aucune différence entre les rangs et les fortunes ; traiter aussi gracieusement l'ouvrier qui paye de son cœur que le riche qui paye de sa bourse ; ne jamais voir dans son patient un moyen, mais toujours un but : son semblable à soulager ou guéri r; n'épargner ni travail, ni peine, ni fatigues pour connaître le mal et le combattre ; s'entourer d'une prudence sage, parce qu'on connaît le prix de la vie ; être l'ami et le protecteur de ses malades; compatir à leurs maux ; prêter ses soins avec un désintéressement rare ; être du pauvre l'espoir et la providence ; lui porter sur son lit de douleur les avis, les remèdes, la charité, et, ce qui soulage mieux parfois, l'aumône du cœur qui est la consolation et l'espérance ; sacrifier ses plaisirs, sacrifier son repos, sacrifier sa santé ; vivre pour les autres et non pour soi : voilà, Messieurs, la carrière, l'admirable carrière du docteur De Meester. Quels furent les regrets de sa nombreuse clientèle, lorsqu'elle voyait la santé de son cher médecin chanceler elle-même, et le réduire enfin à la triste nécessité d'abandonner son ministère ! Messieurs, j'en appelle à vos souvenirs: vit-on jamais une retraite plus légitime, couronnée d'un plus bel état de services, accompagnée de plus de regrets, une retraite, en un mot, plus digne et plus honorable?

De Meester cesse d'être médecin ; mais il ne cessera pas d'être utile et de nous donner, dans la vie privée, l'exemple de toutes les vertus qui rendent l'homme aimable. Vous qui vivez dans la société, si petites que soient vos relations avec elle, vous savez combien il est difficile, impossible peut-être, d'être l'ami de tout le monde et de ne jamais, à tort ou à raison, mécontenter personne. De Meester, cependant, savait gagner tous les cœurs. De Meester on peut le dire n'eut jamais d'ennemis. De Meester était aimé et respecté de tous. Mais aussi, pouvait-on ne pas aimer et respecter cet homme ? Lui, si affable pour tout le monde, si délicat pour ne blesser personne, si heureux du bonheur des autres ? Lui, qui courait au-devant des désirs,(page 159) et s'ingéniait en quelque sorte pour multiplier et varier ses services ? Lui, le conseiller et le réconciliateur des personnes et des familles ? Lui, chrétien d'esprit et de cœur, et qui ne rougissait jamais de l'être ? Lui, d'une charité intelligente et inépuisable ? Lui, la personnification la plus magnifique de la sincérité, de la loyauté, de la bonne foi et de la justice ? Lui, le plus honnête homme du monde, dont la conversation faisait du bien, et qu'on ne quittait jamais sans se sentir meilleur, plus courageux, et plus honnête homme soi-même ?

Malheureusement pour lui, ces belles qualités brillaient trop aux yeux de ses concitoyens pour jouir longtemps de sa retraite. Tel est le sort des hommes vertueux dans ce monde : plus leurs vertus sont grandes, plus on leur demande des sacrifices. De Meester n'avait jamais songé aux honneurs : sa seule ambition était de vivre ignoré. De Meester s'était toujours senti une répugnance naturelle pour la vie politique et administrative. Il possédait une honnête fortune : il n'avait rien à solliciter des faveurs gouvernementales. Ce qu'il espérait, c'était le calme et le repos de la vie privée dont il avait grand besoin et dont, cependant, il va nous faire le sacrifice. On lui offre le mandat pour les Chambres législatives, on lui offre le mandat d'échevin. Il refuse. Son refus était certainement respectable. Mais, du moment qu'on lui apprend qu'il pouvait être utile et qu'il était appelé par le vœu général, il n'écoute plus que son dévouement, renonce à un repos en dépit de ses souffrances, et accepte les mandats, non comme un piédestal pour l'orgueil mais comme une charge à laquelle un bon citoyen ne peut se soustraire. Fut-il jamais mandataire plus esclave de ses devoirs ? Vous l'avez vu, Messieurs, malade, affaibli, revenir encore de sa campagne et, mourant en quelque sorte, se traîner sur notre Grande-Place pour ne pas manquer aux délibérations du collège échevinal ou du conseil de régence. Etait-il possible d'être animé d'un désir plus sincère de faire le bien et d'un plus grand courage pour le poursuivre ? Peut-on être plus indépendant des partis que celui qui ne voulait relever que de sa conscience, et qui, dans les Chambres et au conseil, n'a jamais représenté que le parti de la vérité et de la justice ? Quelle bonne foi, quelle force dans ses convictions ! Quel respect pour les opinions des autres ! Jamais il ne transigeait avec son devoir. Rien n'était capable de le corrompre. Ennemi de l'intrigue, il marchait droit au but. Implacable sur les grands principes et, cependant, conciliant avec dignité, il était le lien entre les membres du Conseil. Tous l'estimaient, et tous sont unanimes à dire que sa mort est pour eux une perte irréparable.

De Meester avait l'âme trop ardente et un sentiment trop exquis (page 160) de la justice, pour résister aux agitations politiques et administratives : sa santé délicate devait en souffrir. Souvent il me disait que les travaux de la Chambre et du conseil lui faisaient tort, et qu'il avait du mal, parfois, à se soutenir entre ses souffrances et son devoir. Vaincu, abattu par les progrès de la maladie, il fut forcé de renoncer à son mandat pour les Chambres et, plus tard, de suspendre sa tâche administrative.

De Meester connaissait son état et ne pouvait se faire illusion. Sentant ses forces l'abandonner et sa fin approcher, il ne songeait plus qu'à mourir chrétiennement. La médecine humaine ne pouvait plus rien pour lui. C'est à la médecine des âmes, c'est à la Religion qu'il cherchait encore des consolations et des espérances. Ces consolations ne lui manquaient pas. Il supportait ses douleurs avec résignation, non comme un stoïcien, mais comme un chrétien soumis à la Providence. L'œil calme, le cœur tranquille, il voyait et sentait la Mort approcher pas à pas, et s'éteignit paisiblement dans les bras de son fils et de son épouse. Adieu, De Meester ! Adieu, cher ami ! Mais, plutôt, au revoir ! Sur cette terre tu ne fis que du bien, et, cependant, tu n'y fis guère que souffrir : c'est dont là haut que tu reçois ta récompense ! De Meester, que tu dois être heureux dans l'autre monde ! Non, ce n'est pas toi, c'est nous qui sommes à plaindre ! Nous, qui pleurons ta mort ! Nous, privés de tes bienfaits et de ton amitié, et à qui, hélas, il ne reste plus de toi que ta mémoire à vénérer, ton exemple à suivre, et ta tombe à fermer!

Saint-Nicolas 13 Juillet 1855.