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De Haerne Désiré (1804-1890)

Portrait de De Haerne Désiré

De Haerne Désiré, Pierre, Antoine catholique

né en 1804 à Ypres décédé en 1890 à Saint-Josse-ten-Noode

Représentant entre 1831 et 1890, élu par les arrondissements de Roulers et Courtray Congressiste élu par l'arrondissement de Roulers

Biographie

(Extrait de : B. JANSSENS DE BISTHOVEN, dans Biographie nationale de Belgique, t. XXXVII, 1971-1972, col. 395-403)

HAERNE (Désiré - Pierre - Antoine DE), prêtre, éducateur et homme politique, né à Ypres le 4 juillet 1810, décédé à Saint-Josse-ten-Noode le 22 mars 1890.

Issu d'une ancienne famille originaire de l'Artois, Désiré de Haerne était l'aîné des dix enfants (quatre fils et six filles, dont trois religieuses) de Pierre et de Sophie Van der Ghote. Son frère Auguste (1806-1870) fut doyen et curé de l'église de Ninove. Les deux plus jeunes frères étaient Louis (1817-1887), époux de Mathilde Rooman, commissaire d'arrondissement de Tielt et Roulers, et Florimond, né en 1814 et décédé à l'âge de dix-huit ans. Après les études moyennes au Collège communal de sa ville natale, Désiré de Haerne entra au Séminaire de Gand le 1er octobre 1823. Malgré l'opposition des professeurs Augustin Ryckewaert et Louis Van der Ghote, qui était l'oncle maternel de ses élèves Désiré et Auguste, ceux-ci étaient imbus des idées de Lamennais, « qui semblait appelé par la Providence à opérer l'œuvre de la régénération religieuse et politique », et avec qui Désiré de Haerne correspondait. Encore séminariste il fut envoyé, pendant l'année scolaire 1824-1825, au Collège communal de Courtrai à titre d'intérimaire. Il reçut, le 4 janvier 1827, la tonsure, les ordres mineurs et le sous-diaconat. Il fut ordonné diacre Je 27 juillet de la même année et prêtre le le 6 juillet 1828.

Le 17 mars 1829, le vicaire général de Gand envoya le jeune prêtre comme vicaire paroissial à Moorslede, où il se montra particulièrement actif dans la lutte contre le despotisme hollandais, récoltant des signatures pour le pétitionnement ; il y en eut 2000 dans la seule commune de Moorslede. Avec son frère Auguste il s'affilia à « l'ordre de l'infamie », fondé à Bruges le 9 juillet 1829 pour soutenir l'opposition au régime et en protestation contre une parole du roi Guillaume : « L'acte posé par les pétitionnaires est une infamie ". Désiré de Haerne ne resta que dix mois à Moorslede. Le 16 janvier 1830, il fut nommé professeur de rhétorique au Petit séminaire de Roulers. Il dut se cacher pour échapper à des poursuites occasionnées par son activité politique, puis il fut nommé vicaire à la paroisse Saint-Jacques à Bruges, le 26 juillet 1830. Les électeurs du district de Roulers le désignèrent, le 3 novembre 1830, pour siéger au Congrès national. Il fut remplacé comme vicaire à Saint-Jacques, provisoirement le 5 février 1831 et définitivement le 5 septembre suivant, à la suite de son élection comme député à la Chambre des représentants.

Au Congrès national, qui s'ouvrit le 10 novembre 1830, Désiré de Haerne était un des douze « abbés du congrès», et un des quatre plus jeunes membres. Il se montra dès le début particulièrement actif. Le 20 novembre, il prononçait son premier discours, réclamant la fondation « d'une république, qui respecterait tous les droits, toutes les libertés». Trois jours plus tard nouveau discours, qui fit sensation, exigeant « l'exclusion à perpétuité d'une race de tyrans (les Nassau)) ». Le 27 décembre, il défendait en ces termes la liberté de réunion : « Contentons-nous de réprimer les délits, mais point de mesures préventives en matière de liberté !» En politique extérieure il s'opposa fermement aux concessions, que les protocoles de Londres exigeaient, et qui « menaient insensiblement à la restauration» du régime hollandais. Son opposition à la candidature du prince Léopold était particulièrement tenace : « L'opinion de la nation, si jamais il y eut une opinion unanime dans une nation quelconque, se prononce contre la candidature du prince Léopold » (31 mai 1831). Provoqué plus tard à expliquer son opposition, il déclara « qu'il n'avait pu prévoir que la Providence susciterait un roi protestant aussi sage que Léopold et aussi tolérant pour doter la Belgique d'une dynastie catholique. » Quand la monarchie fut définitivement constituée, Désiré de Haerne s'y rallia loyalement et ne cessa de la défendre avec son ardeur habituelle.

Élu député par le district de Roulers, le 29 août 1831, le jeune abbé siégea à la Chambre des représentants jusqu'à la première dissolution, le 23 avril 1833. Pendant ces vingt mois il prononça une série de discours, entre autres sur la reconnaissance de la Belgique par les puissances (31 décembre 1831), sur le retard de paiement des traitements ecclésiastiques (31 décembre 1831), sur le canal de Bossuyt (13 novembre 1832), sur l'instruction primaire (25 novembre 1832). Ce dernier discours expose les principes catholiques en matière d'enseignement et rejette la proposition de Seron et de Robaulx, qui voulaient généraliser l'enseignement primaire subsidié par l'État. Désiré de Haerne trouvait ce projet dangereux, parce qu'il tendait à monopoliser l'instruction entre les mains du gouvernement, et inconstitutionnel, puisqu'il impliquait un principe de surveillance, c'est-à-dire une mesure préventive. C'est au cours de cette année 1832 qu'il se chargea, à la demande de Louis De Potter, de distribuer aux pauvres des onze paroisses de Bruxelles et des sept paroisses de Bruges la somme de 11.832 fr., que ce dernier avait touchée du trésor à titre de gratification nationale pour les membres de l'ex-gouvernement provisoire.

En 1833, de Haerne déclina un nouveau mandat à la Chambre, conformément au désir de son évêque, qui le désigna, le 4 juillet 1833, pour fonder avec l'abbé David Verbeke le Collège épiscopal de Courtrai dans les locaux de l'ancien prieuré de Saint-Amand. Il s'y révéla brillant professeur de rhétorique, de mathématiques et d'économie politique. En dehors du collège il lutta contre le paupérisme, comme membre du comité pour l'industrie linière à Bruxelles et comme président du comité local de Courtrai, et fit importer de France de nouvelles méthodes de filature et de tissage. Aux élections législatives du 29 février 1844 il fut réélu député, cette fois par l'arrondissement de Courtrai. Il resta cependant professeur au collège jusqu'à sa nomination d'inspecteur diocésain des collèges épiscopaux, au mois d'août 1852. Il avait rédigé pour l'évêque un fort intéressant rapport sur l'enseignement dans les collèges, préconisant de meilleures méthodes dans l'étude des langues, afin de pouvoir soutenir la concurrence des écoles moyennes officielles, avantagées par la loi du 1er juin 1850. Le 23 janvier 1855 il reçut le titre de chanoine honoraire de la cathédrale de Bruges.

Le 29 décembre 1858, le chanoine de Haerne, qui restait député de Courtrai et inspecteur des collèges, fut nommé directeur des Sœurs de Charité à l'Institut des sourdes-muettes et aveugles, fondé en 1834 par le chanoine Triest, rue Rempart des Moines à Bruxelles.

L'intérêt qu'il portait aux handicapés remonte à son séjour au Séminaire, quand il visitait l'Institut des Frères de Charité, fondé à Gand en 1825 par le même chanoine Triest, pour l'éducation des sourds-muets. Comme vicaire à Moorslede en 1829, « Je fus, écrit-il, chargé de diriger le petit institut spécial des sourds-muets annexé au couvent, où se trouvait l'école primaire des filles (...) Nous y adoptâmes la méthode de l'abbé Carton, alors vicaire à Ardoye, où il s'occupait déjà de la belle œuvre dans laquelle il s'est tant distingué depuis à Bruges ». Mais c'est surtout depuis sa nomination à l'Institut de Bruxelles qu'il continua l'œuvre des chanoines Triest et Carton. Par de consciencieuses études, entreprises avec les Sœurs, il améliora beaucoup le système d'instruction des muettes et s'efforça de propager sa méthode, qui consistait à unir les deux méthodes en cours, trop exclusives l'une de l'autre : la méthode française de l'abbé Charles de l'Épée, qui prenait pour base la mimique et l’écriture, et la méthode allemande de Samuel Heinicke, qui bannissait de son école toute espèce de signes et se servait uniquement de la parole articulée. Désiré de Haerne voulait que les deux méthodes soient appliquées ensemble, afin qu'elles puissent se compléter. Comme président de section au troisième congrès des catholiques à Malines en septembre 1867, il présenta son rapport : De l'œuvre des sourds-muets et des aveugles considérée en général et particulièrement dans les institutions dirigées par les congrégations religieuses en Belgique (Bruxelles, Devaux et Cie, 1868, 34 pages).

En juin 1869, le chanoine de Haerne renonça à ses fonctions de directeur de l'Institut de Bruxelles pour sourdes-muettes et aveugles, et à celles d'inspecteur des collèges, pour accepter la tâche de recteur au Séminaire anglais. Cette maison avait été fondée à Bruges, en 1859, par John Sutton, afin d'y former des prêtres originaires de différents pays pour les diocèses d’Angleterre, et comptait une quarantaine d'élèves, répartis en quatre classes d'études. La mort prématurée du fondateur Sutton entraîna bientôt la fermeture du Séminaire, le 16 août 1873, ce qui mit fin au rectorat de Désiré de Haerne. Il avait reçu, le 24 octobre 1870, le titre de Monseigneur comme camérier secret surnuméraire du pape Pie IX. Il avait aussi profité de ses relations avec les évêques d'Angleterre pour obtenir leur soutien en vue d'y fonder une école catholique pour sourds-muets. Il réalisa ce projet le 9 juin 1870 à Handsworth Woodhouse, où un cottage hébergea les premiers élèves du « Catholic Deaf and Dumb Institution for England and Scotland ». En 1875, l’Institut fut transféré à Boston Spa où il existe encore. En 1886, il avait déjà formé deux cent cinquante élèves. Monseigneur de Haerne resta directeur de cet Institut sans pouvoir y résider, mais il s'y rendait personnellement chaque année jusqu'à sept ans environ avant sa mort. En 1883, il présida à Bruxelles le congrès international pour instructeurs de sourds-muets et insista sur la nécessité d'écoles normales spécialisées. Il prit encore l'initiative d'une fondation pour sourds-muets en Inde, qui fut réalisée à Bombay, en 1885, par l'archevêque du lieu, Léon Meurin ; c'est le « Bombay Institution for Deaf and Mutes», comptant actuellement cent cinquante élèves, garçons et filles, qui sont chrétiens, hindous ou musulmans.

La carrière parlementaire de Désiré de Haerne, commencée en 1830, interrompue de 1833 à 1844, et reprise alors jusqu'en 1890, se caractérise par un attachement indéfectible au libéralisme constitutionnel, qu'il savait défendre avec fermeté et une éloquence enthousiaste, souvent fougueuse, mais toujours respectueuse des personnes. En 1848, il pouvait dire : « En politique ma conduite a toujours été patriotique, libérale, conservatrice et indépendante (…) J'ai toujours voulu le maintien de la liberté constitutionnelle de l'instruction, liberté aussi précieuse que celle de la presse et d'autres libertés analogues (...) Je me suis attaché d'une façon toute spéciale à la défense de l'industrie linière ; j'ai insisté sur la nécessité de traités de commerce ( …) ; j'ai consacré tous mes efforts au développement de l'industrie agricole, pour faire disparaître le fléau du paupérisme en occupant les désœuvrés : chemins vicinaux, canaux de transport et d'irrigation, défrichements (...) ». Il s'opposa vainement au, projet de loi sur l'enseignement moyen qui fut voté par la Chambre le 30 mai 1850 : « Le projet que je combats a une tendance de centralisation, d'accaparement de l'enseignement religieux par l'État, tendance qui me parait excessivement dangereuse, en ce qu'elle confère au gouvernement un droit, qui est contraire à l'esprit de la constitution et qui est conforme aux idées socialistes » (12 avril 1850). Il fut par contre très écouté et applaudi comme rapporteur des projets de loi décrétant l'érection de l'église monumentale de Laeken et de la colonne du Congrès (1853).

Au nom de la section centrale il présenta, en 1872, son Rapport sur l'enseignement primaire obligatoire, et parvint à faire rejeter la proposition du député libéral Funck, qui visait à rendre l'instruction obligatoire pour tous, ce qui fut jugé contraire à la liberté d'instruction, à la liberté des parents et aux besoins économiques des pauvres. C'était l'avis unanime des catholiques et d'une partie des libéraux. Mais ce qui explique surtout l'opposition de Désiré de Haerne et des catholiques c'est qu'ils n'ignoraient pas la volonté de la Ligue de l'Enseignement de faire de l'instruction obligatoire un enseignement laïc. Désiré de Haerne insistait à toute occasion sur la nécessité de maintenir l'enseignement religieux dans tous les réseaux.

En avril 1885, il prit part à la discussion mémorable au sujet de la résolution autorisant le Roi à être chef de l'État fondé en Afrique par l'Association internationale du Congo. Il réfuta les arguments contraires de Xavier Neujean, en prouvant par des exemples qu'on pouvait espérer une réussite complète de l'entreprise. Il s'était rangé parmi les défenseurs les plus éclairés de l'usage de la langue flamande, ainsi que de l'étude du grec, « qui doit faciliter et faire aimer celle de nos deux langues nationales» (16 février 1869). Il convient à ce propos de signaler sa connaissance des langues anciennes et modernes et ses brillantes qualités d'écrivain et de publiciste, dont témoigne sa bibliographie.

Depuis la mort de Charles Rogier, survenue le 27 mai 1885, Désiré de Haerne se trouvait être le plus ancien membre de la Chambre. En cette qualité il présida, le 21 novembre 1886, la première séance de la session, qui coïncidait avec l'inauguration du nouveau palais de la Nation. C'est ainsi qu'un ouvrier de la première heure venait par sa présence rappeler aux législateurs plus jeunes les traditions patriotiques de 1830. Il le fit encore par son exemple et sa parole. Le dernier discours qu'il prononça à la Chambre, - le 20 décembre 1887, alors qu'une longue discussion s'envenimait au sujet de l'usage du flamand - était un vibrant appel à l'union : « On se croirait à la veille d'un divorce entre Flamands et Wallons ! Il importe de réagir contre ces tendances en raffermissant la fraternité de tous les Belges ... ».

La bibliographie de Désiré de Haerne, publiée dans les Handelingen van het genootschap voor geschiedenis, Société d'émulation te Brugge, t. 109, 1972, compte plus de 900 articles de lui dans les journaux : Courrier de Bruxelles (de 1873 à 1887), La Dépêche (1883-1885), Écho Belge (1862-1864), Écho de Courtrai (1852-1886), Gazette de Liége (1860-1887), Journal d'Anvers (1853-1881), Journal de Bruxelles (1852-1886), Journal de Courtrai (1887-1884), La Patrie (de Bruges) (1875-1888), etc.

Cette bibliographie mentionne d'abord ses ouvrages, dont voici les principaux : Tableau de la charité chrétienne en Belgique, ou relevé des œuvres de bienfaisance dues principalement à l'usage des libertés inscrites dans la constitution belge, Bruxelles, 1857 ; La question monétaire considérée en général et dans ses rapports avec l'Angleterre, la France, la Suisse et la Belgique, Bruxelles, 1860 ; De la centralisation anglaise, Bruxelles, 1861 ; La question américaine dans ses rapports avec les mœurs, l'esclavage, l'industrie et la politique, Bruxelles, 1862 ; De l'enseignement spécial des sourds-muets, considéré, dans les méthodes principales, d'après la tradition et le progrès, Bruxelles, 1865 ; Considérations sur l'enseignement obligatoire, Louvain, 1875.

(…) Un comité local, présidé par Guido Gezelle, lui érigea un monument, dû au statuaire Paul De Vigne et inauguré le 26 août 1895 à Courtrai. Il se trouve actuellement au milieu du square Mgr de Haerneplein. Sculptée dans un bloc de granit blanc, la statue, haute de 2,60 m., s'élève sur un piédestal à l'inscription Patria-Caritas, symbolisée par les figures en granit blanc, qui flanquent l'avant du piédestal, un combattant de septembre 1830 et une religieuse instruisant une petite aveugle.

La correspondance de D. de Haerne, ses autographes et des exemplaires annotés de ses ouvrages et de ses articles ont été déposés aux Archives de l'évêché de Bruges.