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De Brouckere Henri (1801-1891)

Biographie

(Extrait de BOCHART, Biographie des membres des deux chambres législatives, Bruxelles, 1858, folio n°22)

M. Henri de Brouckere, après avoir été l’un des élèves les plus distingués du Lycée de Bruxelles, fit des études universitaires à Liége, et remporta, en 1820, au grand concours des universités du royaume des Pays-Bas, la médaille d’or de la faculté de droit.

Reçu docteur, la même année, à peine était-il pourvu de son diplôme qu’en récompense des brillants examens qu’il venait de subit, il fut nommé en 1822, substitut du Roi à Maestricht avec dispense d’âge. En 1824, lorsqu’il eut fait ses premières preuves au parquet, le jeune substitut, encore avec dispense d’âge, était nommé procureur du Roi à Ruremonde. M. H. de Brouckere n’avait que 23 ans, son talent seul le protégeait.

Peu après les événements de 1830, M. H. de Brouckere fut chargé des fonctions de commissaire du Gouvernement provisoire dans le district de Ruremonde, avec pleins pouvoirs pour en réorganiser l’administration.

Député de ce district au Congrès national et secrétaire de cette assemblée, M. H. de Brouckere y déploya la plus louable activité et le patriotisme le plus pur.

Dès le 4 janvier 1831, M. H. de Brouckere siégea comme conseiller à la Cour d’appel.

Au mois de mai de la même année, il reçut avec MM. de Mérode, H. Vilain XIIII et l’abbé de Foere, la mission de se rendre près de Son Altesse Royale le Prince de Saxe-Cobourg, à l’effet de s’assurer de l’acceptation du Prince s’il était appelé au trône. On sait comment cette mission extraordinaire fut remplie, et quels en furent pour les Belges les heureux et pacifiques résultats.

Elu représentant depuis la formation de la Chambre en 1831, d’abord pour le district de Ruremonde, et, depuis le 25 mai 1833, pour l’arrondissement de Bruxelles, M. H. de Brouckère n’a cessé de faire partie du parlement jusqu’en 1849, époque où de hautes fonctions, dont nous parlerons plus loin, le placèrent sous l’application de la loi relative aux incompatibilités.

Dès les premières années de notre nationalité, M. H. de Brouckère fut porté dans l’opposition par son patriotisme et ses sympathies personnelles. Il vota contre le traité des XXIV articles qui enlevait une partie du Limbourg et du Luxembourg à la Belgique, et contre toutes les mesures qui ne lui parurent pas donner assez d’extension aux libertés constitutionnelles.

Le 28 juin 1840 M. H. de Brouckere quitta le siège qu’il occupait depuis huit ans à la Cour d’appel et fut élevé au poste de gouverneur de la province d’Anvers. Le 4 septembre 1844, il accepta le gouvernement de Liége. Le 22 juin 1846, au début du second ministère du comte de Theux, M. H. de Brouckere, épuisé de fatigues après de longs travaux, donna volontairement sa démission, et se retira à Bruxelles dans la vie privée, ne conservant que son mandat de représentant.

Trois années d’une sorte de retraire, exempte des labeurs administratifs, permirent au digne citoyen de rendre de nouveaux services à son pays.

Le 19 octobre 1849, un arrêté royal lui conféra le titre de ministre d’Etat. Un second arrêté, en date du lendemain, le nomma ministre plénipotentiaire près du Saint-Siège et des autres cours italiennes.

Chargé de réclamer du Saint-Siège, selon le vœu du Congrès libéral de 1846, une déclaration favorable à l’inamovibilité des desservants, il reçut du Souverain pontife des témoignages publics de confiance et d’estime, mais ses négociations, comme celles de Monseigneur le prince de Ligne avait en vain essayées l’année précédente à Portici, furent écartées avec une énergie inflexible.

La mort de M. de Brouckere père rappela en Belgique notre ministre à Rome. Il donna sa démission aux instances du gouvernement, il consentit à la retirer, et fit encore deux voyages en Italie. C’est au commencement de l’année suivante qu’il conclut avec la Sardaigne un traité de commerce qui eut un certain retentissement.

La démission de M. H. de Brouckere n’avait pas pour but de se séparer du gouvernement avec lequel l’honorable plénipotentiaire était dans les meilleurs termes ; mais sa santé exigeant des ménagements, il voulut cesser de prendre art aux affaires.

Une situation nouvelle s’offrit, en 1852, à M. H. de Brouckere. La majorité de la chambre des représentants étant restée libérale ; mais fatiguée des luttes sans cesse renaissantes des cinq dernières années, elle était devenue moins exclusive, et réclamait l’avènement d’une politique libérale modérée. La mission de reconstituer le cabinet fut confiée à M. H. de Brouckere qui, pour ramener à lui toutes les nuances modérées du Parlement, tourna la difficulté en formant un ministère extraparlementaire, dans lequel il se réserva le portefeuille des Affaires étrangères.

Dans la séance du 3 novembre, M. H. de Brouckere fit connaître le programme du nouveau ministère. Après avoir passé en revue les résultats électoraux, le vote sur la présidence de la chambre, les indécisions de la majorité et les vœux de conciliation émis par un grand nombre de membres, il ajouta :

« Le ministère issu de la nouvelle situation, en présence d’une majorité quelque peu indécise et troublée, pourrait-il se livrer aux mêmes espérances, tenter les mêmes voies, se promettre le même avenir, la même durée, que ces ministères qui trouvent un point d’appui permanent et assuré dans une majorité forte par le nombre et par l’énergie ?

« Evidemment non. Son rôle devait être plus modeste, sans être moins digne. Que devait-il faire ? Se tracer une ligne de conduite sage et modérée, s’appliquer à gérer les affaires avec impartialité, avec dévouement, avec la volonté ferme de bien faire et de faire le bien. Loyal en toutes choses et aussi peu disposé à déguiser ses sentiments qu’à renier son drapeau ; il devait se considérer comme une transition, prêt à céder la place à d’autres, le jour où une majorité compacte, une majorité décidée se serait produite soit sur les bancs de la gauche, soit sur les bancs de la droite. Ce ministère, en un mot, devait être libéral, libéral par essence, invariable dans ses principes, mais disposé à toute conciliation raisonnable, et résolu à éviter tut ce qui pourrait faire naître des luttes vives entre les partis ; il devait avoir surtout pour mission et pour but une trêve honorable pour tout le monde, et heureuse pour le pays qui la désire.

« C’est animé de cette conviction et pénétré de ces idées, messieurs, que je me rendis à l’appel du Roi (…)

« Je me permis de faire remarquer à Sa Majesté, que le cabinet, formé d’éléments libéraux, et se proclamant libéraux, devait s’appuyer sur cette opinion, et qu’à mes yeux il était, dès lors, indispensable, pour qu’il pût rester aux affaires, que la nouvelle épreuve de l’élection du président vînt constater que la majorité n’avait pas cessée d’être libérale. Enfin, je n’hésitai pas à exprimer l’opinion qu’un cabinet libéral modéré obtiendrait la majorité dans le Sénat (…)

« Vous connaissez, messieurs, notre drapeau, nous l’avons toujours porté ostensiblement, nous y sommes restés fidèles en tout temps ; et nous n’avons donné à personne le droit de penser que nous soyons disposés à le trahit ou à le cacher (…)

« Nous n’avons rien demandé, rien promis à personne Nous sommes libres de tout engagement vis-à-vis de la majorité, libre vis-à-vis de la minorité. Nous tenons notre drapeau déployé, et chacun peut y mirer ces mots qui y sont inscrits en grand caractère : Modération, Prudence, Conciliation (…)

« La Belgique est admirable d’honnêteté et de bon sens. Ce qui serait pour d’autre pays une crise plus ou moins redoutable, n’est pour elle qu’une occasion de faire éclater son discernement et sa sagesse.

« Unissons-nous, messieurs, entendons-nous, pour maintenir cette Belgique qui nous est si chère à tous, pour la maintenir à un rang élevé dans la considération de l’Europe. Tâchons qu’elle continue à jouir en paix de ses belles libertés sans en abuser.

« Qu’elle offre aux peuples étrangers de bons exemples, à leurs gouvernements des gages de sécurité et de nouveaux motifs de confiance et d’estime. »

L’un des premiers actes du cabinet formé sous les auspices de M. H. de Brouckere fut la présentation d’un projet de loi frappant de peines sévères l’offense envers les souverains étrangers, et les attaques méchamment dirigées contre leur autorité. Cette mesure équitable et habile exerça immédiatement une heureuse influence sur nos relations avec la France. Le 9 décembre, trois jours après le vote de la Chambre, fut signée une convention provisoire qui ajournait les effets de l’acte international relatif à la propriété littéraire jusqu’à l’époque de la conclusion d’un arrangement définitif. Le décret qui avait élevé les droits sur les houilles et les fontes à leur entrée en France fut révoqué.

Ce premier succès obtenu, le ministère aborda la grande question du budget de la guerre, et présenta à la législature un projet de loi fixant, suivant l’avis d’une commission nommée par le précédent cabinet, l’effectif général des forces du pays a cent mille hommes, y compris la réserve. C’était réclamer en faveur de l’armée une dépense annuelle de trente-deux millions. M. H. de Brouckere, subordonnant la question aux intérêts, à la sûreté, à l’indépendance de la patrie, fit entendre les paroles suivantes dans la séance du 4 mai 1853 :

« Le pays s’inquiète, et il a raison, du chiffre des dépenses ; mais il se préoccupe bien plus encore de l’indépendance nationale, de l’honneur national. Finances, pouvoir judiciaire, jury, enseignement, administration provinciale et communale, tout a été constitué sur des bases tables et régulières. Une seule de nos grandes institutions, et précisément la plus essentielle, l’armée, est toujours restée dans un état précaire et incertain. Il importe à tous, il est dans les voeux de tous, et il est sans doute dans les intentions des chambre, dont les sentiments ont toujours été si patriotiques, que cette question reçoivent une solution prompte et appropriée à la situation politique du pays. »

A la suite de ce débat solennel, la Chambre vota par soixante et onze voix contre vingt et une.

Le désaccord survenu entre l’Etat et l’Eglise au sujet de l’instruction publique et l’intervention active des fonctionnaires dans la lutte électorale étaient une double source de conflits et de plaintes. Grâce à l’accord parfait de M. H. de Brouckère avec ses collègues, tous les agents politiques du ministère reçurent l’ordre de se renfermer désormais dans la plus complète neutralité, et le gouvernement ouvrit avec Monseigneur le cardinal-archevêque de Malines une négociation ayant pour but d’obtenir, à des conditions honorables, la rentré du prêtre dans les écoles de l’Etat. Le règlement d’ordre intérieur adopté, sous le rapport de l’enseignement religieux, par le bureau administratif de l’athénée d’Anvers et approuvé par l’autorité ecclésiastique, sauva les difficultés d’un arrangement général, et servit de modèle pour l’avenir.

La conversion de la rente cinq pour cent, la concession de plusieurs chemins de fer, l’établissement d’un service de bateaux a vapeur entre la Belgique et l’Amérique, les lois sur les consulats et sur les brevets d’invention, la réforme du code forestier, l’introduction d’un diplomate belge à la Cour de Russie, et la conclusion de plusieurs traités de commerce : tels furent les principaux travaux du ministère auquel M. de Brouckere donna son nom.

Attaqué tout à tout par les libéraux qui ne lui pardonnaient pas l’expulsion de quelques réfugiés, et par les catholiques que ne satisfaisaient pas le projet de loi sur la bienfaisance publique élaboré par M. Faider, ministre de la Justice, M. H. de Brouckere, voyant la chambre supprimer, contrairement à son avis, le grade d’élève universitaire qu’il considérait comme indispensable au maintien des bonnes études, donna avec ses collègues sa démission le 2 mars 1855.

L’honorable M. H. de Brouckere élu par l’arrondissement de Mons en juin 1856, a continué à rendre, comme représentant, d’éminents services au pays. Son mandat parlementaire renouvelé aux élections générales du 10 décembre 1857, est la juste récompense de son caractère et de ses talents.


(Extrait de J. BARTELOUS, Henri de Brouckère (1800-1891), dans Nos premiers ministres. De Léopold Ier à Albert Ier, Bruxelles, Collet, 1983, pp. 83-88)

(page 83) Au milieu de l'année 1852, le ministère libéral homogène de Charles Rogier se mourait, usé par le temps et miné par la présence des proscrits français.

Près de huit cents exilés étaient venus chercher un asile en Belgique, à la fin de l'année précédente, au lendemain de « l'opération de police un peu rude », accomplie par Louis Napoléon, le jour anniversaire du couronnement du Grand Empereur.

Victor Hugo logeait Grand-Place et Alexandre Dumas boulevard de Waterloo, mais le poète avait promis à Charles de Brouckère, bourgmestre de Bruxelles, de ne rien publier contre le Prince-Président, aussi longtemps qu'il recevrait l'hospitalité du Royaume. Au mois d'août Hugo s'embarqua à Anvers pour les îles anglo-normandes et quelques jours plus tard, paraissait «Napoléon le Petit ».

A Paris, le Prince-Président ne cacha pas son mécontentement et le roi Léopold qui cherchait à éviter des complications avec son ombrageux voisin, se détacha de son ministère auquel il reprochait trop de complaisance envers les proscrits.

Sans le vouloir expressément, le Roi trouva un appui inattendu dans le Parlement. Lors de la rentrée des Chambres, Théodore Verhaegen, fondateur de l'Université de Bruxelles, oracle du libéralisme et conscience du ministère, se représentait à la présidence de la Chambre ; il fut battu au scrutin secret. Pour bien marquer la méfiance du Parlement envers le ministère, tous les vice-présidents furent choisis parmi la minorité catholique ; Rogier offrit immédiatement sa démission.

(page 84) Pour succéder au chef de cabinet, Léopold 1er s'adressa à Henri de Brouckère, libéral très modéré, dont le caractère était de nature à rassurer la minorité catholique sans heurter la majorité libérale. Le choix était significatif, car au début de l'année, le Souverain avait demandé à de Brouckère de se rendre à Paris, afin d'assurer le Prince-Président que les réfugiés français ne trouveraient aucun appui auprès des autorités belges dans leur lutte contre son pouvoir naissant. Sa désignation n'avait pas d'autre signification. Homme de juste milieu, le nouveau ministre s'efforça de constituer un Gouvernement qui, tout en étant franchement libéral, serait plus modéré que le cabinet Rogier. Il ne put réaliser son dessein qu'en constituant un ministère extra-parlementaire, car rares étaient ceux parmi les députés libéraux, qui avaient le courage de proclamer ouvertement les opinions exprimées dans le secret du bulletin de vote. Confiant les Finances à Liedts, la Guerre au général Anoul, il prit pour lui les Affaires Etrangères et chargea Faider, procureur général près la Cour de Cassation, du portefeuille de la Justice, tandis que Piercot, bourgmestre de Liège, se voyait confier l'Intérieur, et que Van Hoorebeecke, le seul parlementaire du ministère, recevait les Travaux Publics.

A la différence de ses prédécesseurs, le nouveau chef de cabinet n'avait aucun passé ministériel. Frère cadet du bourgmestre de Bruxelles, il était comme lui né à Bruges, et après de brillantes études au lycée de la capitale et à l'université de Liège, il avait conquis son diplôme de docteur en droit à vingt ans. Trois ans plus tard, il était procureur du Roi à Maastricht, poste qu'il occupait encore, lorsque les électeurs du Limbourg l'envoyèrent siéger au Congrès National où il ne joua du reste qu'un rôle secondaire. Successivement conseiller à la Cour d'Appel de Bruxelles, gouverneur des provinces d'Anvers et de Liège, il avait été nommé ministre de Belgique auprès du Saint-Siège. Rogier, en effet, espérait obtenir du Pape, par l'intermédiaire de ce libéral qui ne cachait pas ses sentiments antireligieux, l'inamovibilité des curés de paroisse, ce qui devait dans l'esprit du Congrès libéral de 1846, (page 85) protéger le bas clergé contre l'omnipotence des évêques.

Naturellement, Pie IX reçut le ministre belge avec sa bonté coutumière mais avec la fermeté qu'il savait montrer lorsqu'il s'agissait de défendre les droits de l'Eglise. Prétextant que la mort de son père le rappelait en Belgique, Henri de Brouckère rentra à Bruxelles et se retira dans la vie privée.

Rappelé à la vie publique par la volonté royale et ayant constitué son ministère, de Brouckère s'empressa de faire voter par les Chambres une loi qui, tout en maintenant intégralement la liberté de la presse, réprimait sévèrement les injures faites aux souverains étrangers. Cette mesure mettait fin aux excès des réfugiés français qui, profitant de notre hospitalité, publiaient des articles violents contre le Prince-Président, à l'heure où celui-ci devenait l'empereur Napoléon III.

Le nouveau Souverain fut sensible à ce geste, et grâce à cette preuve de bonne volonté, le Gouvernement put conclure un accord commercial avec la France, très favorable pour la Belgique, en même temps qu'il signait une convention littéraire qui mettait fin au pillage dont les écrivains français étaient victimes dans notre pays.

Fort de ce succès, le Cabinet s'efforça de réorganiser la Défense Nationale, en portant l'armée en temps de guerre à 100.000 hommes. Cette mesure, fort bien accueillie de l'Europe qui se méfiait des ambitions de l'impérial neveu, fut naturellement très mal vue par le Gouvernement français.

Napoléon III était d'autant plus mécontent, que le roi Léopold semblait couronner sa carrière en ayant réussi à marier son fils, le duc de Brabant, à une archiduchesse d'Autriche, tandis que lui-même avait en vain essayé d'épouser une princesse d'une Cour européenne.

L'Empereur avait en outre été froissé par une mesquinerie du tsar Nicolas. Presqu'en même temps que celui-ci accréditait un ministre à Bruxelles, il reconnaissait le nouvel empereur des Français, mais tandis que le roi Léopold se voyait appelé suivant l'usage des Cours : «Monsieur mon Frère et Cousin », (page 86) Napoléon III était simplement nommé : «Cher et grand ami ». Cachant son dépit sous un mot d'esprit, l'Empereur avait remercié le Tsar de l'appeler « cher et grand ami », car, dit-il, « on choisit ses amis mais l'on subit ses cousins».

La guerre de Crimée vint heureusement apaiser les inquiétudes du roi Léopold, quant à l'avenir de son Royaume. L'alliance franco-anglaise rassurait les milieux politiques belges, tandis que l'éloignement de l'armée française, écartait tout danger d'invasion. Le ministère en profita pour s'occuper de politique intérieure, et faire voter plusieurs lois fort utiles, telle la conversion des rentes de 5 % et le code forestier. Mieux encore, le cabinet parvint à mettre fin au conflit qui opposait l'Etat au clergé au sujet de l'application de la loi sur l'enseignement moyen de 1850.

Alors que l'immense majorité des parents, qui envoyaient leurs enfants dans les écoles de l'Etat, souhaitaient y voir donner un cours de religion, le clergé avait jusqu'alors refusé d'y donner des leçons.

Le motif invoqué, pour justifier cette attitude était simple : la loi en effet, interdisait aux autorités religieuses tout droit de contrôler les nominations du corps professoral, et de surveiller les livres scolaires.

Après de longues et difficiles négociations, un accord intervint en 1854, entre le cardinal Sterckx, « le beau cardinal des Flandres », archevêque de Malines, et M. Loos, bourgmestre d'Anvers. Il fut convenu qu'aucun livre classique ne pourrait être utilisé dans les athénées, sans avoir reçu au préalable l'approbation de l'Evêché, et les professeurs devaient s'engager à ne contredire d'aucune manière, dans leur enseignement ou dans leur attitude, l'apostolat religieux.

L'attitude du clergé peut paraître fort étonnante pour les gens de notre génération. N'oublions pas cependant que dans les provinces des Pays-Bas catholiques, jusqu'à la fin du 18e siècle, l'Etat s'était totalement désintéressé de l'enseignement public, en laissant à l'Eglise seule, le soin d'instruire la jeunesse et d'en supporter les frais. D'autre part, les collèges thérésiens, les lycées impériaux ou les athénées du roi Guillaume, avaient laissé de trop mauvais souvenirs à (page 87) l'Eglise pour que les évêques chargés, en vertu même de leur mission, de l'éducation chrétienne de la jeunesse, ne se méfiassent point des dix athénées royaux ou des cinquante écoles moyennes créés par la loi de 1850, alors que cette loi avait été inspirée par des hommes politiques, tels Théodore Verhaegen et Frère-Orban, dont l'hostilité vis-à-vis de l'Eglise, n'était un mystère pour personne. Au surplus, le problème de l'enseignement neutre ne s'était point posé, aussi longtemps qu'une génération élevée dans les principes de Voltaire ou de Jean-Jacques Rousseau, n'était point arrivée à l'âge adulte. Reprocher à l'Eglise, comme le faisaient les libéraux doctrinaires, de vouloir imposer en plein 19e siècle, une omnipotence qui n'avait plus de justification, était aussi injuste, que de reprocher aux doctrinaires libéraux de réclamer une liberté de conscience, qui était la conséquence normale de la Grande Révolution, et de l'éducation qu'ils avaient reçue dans les lycées impériaux, ou les athénées du roi Guillaume. Au milieu du 19e siècle, l'Eglise de Belgique ne pouvait pas davantage accepter un enseignement neutre, que la Libre Pensée ne pouvait tolérer une omniprésence de l'Eglise qui ne correspondait plus à une réalité sociologique.

Néanmoins, le ministère souhaitait tellement montrer sa modération, que Piercot, ministre de l'Intérieur chargé de l'Instruction Publique, recommanda à tous les établissements de l'Etat, de réaliser partout un accord semblable à celui qui avait été conclu avec l'administration communale d'Anvers. Toutefois, si la convention d'Anvers rallia sincèrement les plus modérés d'entre les libéraux, tels Lebeau et Rogier, Théodore Verhaegen et Frère-Orban, s'y déclarèrent toujours résolument hostiles et la majorité des établissements scolaires de l'Etat refusa de l'appliquer.

Bien que les élections de 1854 aient marqué une victoire des catholiques, qui pour la première fois depuis 1847, se retrouvaient en majorité au Parlement, le Gouvernement résolut de continuer sa tâche, mais sa position devenait de plus en plus difficile. Désormais, toute la gauche devenue minoritaire, était dressée contre lui et lui reprochait en outre quelques (page 87) expulsions de réfugiés français un peu trop bruyants, alors que la droite se lassait de soutenir un ministère dans lequel elle n'était pas représentée. Prenant prétexte d'un échec sans importance subi à la Chambre, de Brouckère donna sa démission.

Ce ministère extra-parlementaire avait rendu de grands services au pays. Avec adresse mais sans excès de sévérité, il avait donné des apaisements à Napoléon III, en même temps qu'il renforçait la Défense Nationale.

En politique intérieure, il avait calmé les querelles violentes soulevées par la loi sur l'enseignement secondaire de 1850, et ramené un calme au moins temporaire dans l'irritante question scolaire.

Après sa retraite, de Brouckère ne devait plus guère jouer de rôle dans la vie politique belge ; une fois encore en 1864, le Roi lui offrit le pouvoir, mais l'heure de la modération était passée.

Durant plusieurs années, il demeura membre de la Chambre où il représenta l'arrondissement de Mons. Il accepta encore de rendre un ultime service à son parti en posant sa candidature à Bruxelles aux élections de 1889 et après un ballottage très serré, fut élu député.

Lorsque cet homme sage et modéré mourut en 1891, il laissait le souvenir d'un homme qui avait rendu, à son heure, de grands services au pays.