de Mérode Westerloo Charles, Auguste, Ghislain catholique
né en 1824 à Everberg décédé en 1892 à Bruxelles
Représentant entre 1850 et 1867, élu par l'arrondissement de Turnhout(BOCHART E., Biographie des membres des deux chambres législatives, Bruxelles, Périchon, 1858, folio 34)
COMTE DE MÉRODE-WESTERLOO, CHARLES-ANTOINE-GHISLAIN,
Né à Everbergh, le 1er août 1824,
Représentant, élu par l’arrondissement de Turnhout
M. le comte de Mérode-Westerloo appartient à cette illustre famille qui a versé son sang glorieux pour la conquête de nos libertés et de notre indépendance nationale.
Entré à l'Université de Louvain, en octobre 1841, pour y puiser le complément de ses études privées, le comte de Mérode fut reçu candidat en philosophie et lettres au mois de septembre 1844 ; il consacra ensuite une année à l'étude spéciale du droit, et finit par entreprendre un grand voyage, non pour ses plaisirs personnels, mais dans l'intérêt de son instruction.
Le jeune comte commença par visiter l'Italie, cette terre classique des arts; puis Malte aux souvenirs historiques; il interrogea la Grèce encore palpitante sous ses ruines ; il vit Constantinople et sa mosquée de Sainte-Sophie.
Remontant le Danube, depuis ses embouchures de Soulina, dans la Mer Noire, jusqu'à Vienne en Autriche, M. le comte de Mérode, en homme qui veut connaître et se souvenir, parcourut toute l'Allemagne, et ne rentra en Belgique qu'au mois d'octobre 1846.
La mort de son père en 1847 le retint dès lors dans ce pays, où de nombreux intérêts devaient le fixer.
Trois ans après, en octobre 1849, il épousa la princesse Marie-Augustine d'Arenberg, nièce de Son Altesse Sérénissime Monseigneur le duc d'Arenberg.
Aux élections du mois de juin 1850, M. le comte de Mérode fut appelé à la représentation nationale par l'arrondissement de Turnhout, province d'Anvers.
Dévoué de cœur et de conviction à l'opinion conservatrice, l'honorable représentant l'a toujours soutenue par ses votes ; trois réélections successives ont conservé intact entre les mains du noble comte son mandat populaire.
Patriotisme et bienfaisance, telle a été en tout temps la devise de l'illustre famille de Mérode.
L'honorable représentant, qui habite, l'été, le château de Westerloo, situé dans l'arrondissement de Turnhout, y effectue de nombreux travaux de restauration, et s'occupe activement de défrichement, de travaux agricoles et sylvicoles, qui ont amené d'utiles changements dans cette partie de la Campine, et qui emploient, pendant plusieurs mois de l'année, en automne et au printemps surtout, de nombreux ouvriers qui y trouvent les moyens de nourrir leurs familles.
Essentiellement charitable, M. le comte de Mérode-Westerloo, à l'exemple de ses pères, sait secourir le malheur sans faste ni ostentation. La charité est une de ces vertus héréditaires qui se transmettent d'âge en âge dans les grandes familles de l'aristocratie belge.
(Extrait de la Gazette de Charleroi, le 7 mars 1892)
MORT DU PRESIDENT DÜ SENAT
M. le comte C.-A.G. de Mérode-Westerloo ; prince de Grimberghe, marquis de Westerloo, sénateur de Turnhout et président du Sénat, est mort mercredi, à midi et demi, en son hôtel de la rue aux Laines, à Bruxelles.
Grand)officier de l'ordre de Léopold, ministre d’Etat depuis le 9 juin 1890, le comte de Mérode-Westerloo appartenait au Sénat depuis le 11 juin 1867 ; il avait été l'un des vice-présidents du Sénat, en 1884, avant d'être appelé à la présidence de cette assemblée en remplacement du baron d’Anethan.
Le comte H. de Mérode, prince de Rubempré, député de Bruxelles, est son fils.
Clérical fervent, le comte de Mérode-Westerloo occupait dans son parti une grande situation décorative et jouissait d'une influence notable. Ses amis politiques ne négligeaient aucune occasion de lui témoigner leur sympathie. C’est ainsi qu'au dernier congrès de Malines il était acclamé président d’honneur.
II ne joua d'ailleurs qu'un rôle politique assez effacé.
Au Sénat il avait depuis sa présidence la spécialité des harangua inaugurales au début de chaque session et des oraisons funèbres en hommage à ses collègues défunts.
Il n'avait que 68 ans.
Il y a dix jours à peu près que le comte de Mérode avait été atteint de l’influenza. Cette affection dégénéra bientôt en une bronchite. Malgré les efforts des médecins, l'état du vénérable malade empira très rapidement ces derniers jours, et surtout dans la nuit de mardi à mercredi. II n'y avait plus d'illusion à se faire, une pneumonie infectieuse venait de se déclarer. Tout espoir était perdu. Le comte de Mérode, appréciant lui-même la gravité de son état, exprima mercredi matin le désir de recevoir les derniers sacrements.
Les séances deux Chambres ont été levées hier en signe de deuil.
Au Sénat, à deux heures et demie, M. T'Kint de Rondenbeke, vice-président, prend la parole au milieu d'un profond silence, tous les sénateurs l'écoutent debout.
« Je suis chargé, dit le vice-président, d'annoncer au Sénat la nouvelle de la mort de M. le comte de Mérode-Westerloo, président du Sénat. Mon émotion est trop grande pour louer sa belle vie consacrée tout entière à servir son pays et faire le bien. Laissez-moi seulement vous rappeler les grandes qualités d'impartialité auxquelles tous rendaient hommage.
« C'était le chef et l’héritier d’une illustre maison dont l'histoire est mêlée à celle de la Belgique indépendante et libre.
« Je vous propose d'ajourner nos délibérations jusqu'à l'issue des funérailles et de lever la séance en signe de deuil. (Adhésion générale.) »
A ces paroles, prononcées d’une voix très émue, M. Beernaert a ajouté, au nom du gouvernement, quelques paroles de regrets et d’hommage : « Le pays est frappé depuis quelque temps, dit le chef du cabinet, à coups redoublés. Après M. Jacobs, c'est MM. Thibaut, Dechamps, Balisaux, Casiers, Tercelin, de Chimay, d’Elhoungne, de Mérode. Les premiers, les meilleurs, les plus illustres. C’est le foyer même de la patrie qui se trouve frappé de deuil. »
MM. de Surmont de Volksberghe au nom de la droite, de Sélys-Longchamps pour la gauche et Allard pour les Indépendants de Bruxelles sont ensuite successivement associés eux regrets exprimés par le vice-président et par le chet du cabinet, et la séance a été levée.
(Extrait du Journal de Bruxelles, 14 avril 1892)
Voici le texte du superbe discours que M. Alphonse Nothomb a prononcé hier devant la tombe du comte de Mérode et qui a vivement impressionné l'assemblée :
Je viens, comme' ministre d'Etat, rendre un dernier et pieux hommage à celui qui fut mon collègue de la dernière heure dans les conseils honorifiques du Roi.
Il est des hommes dont l'éloge n'est pas à faire ; ils le font eux-mêmes par leur vie et par leurs œuvres. L'illustre défunt était de ceux-là. Sa mémoire eût pu se passer de ces louanges ; vivant, sa modestie s’en fût alarmée. Mais ce jugement des survivants doit devenir un jour la justice de l'histoire, et il est bon, il est salutaire que, pour l'honneur d'une nation et pour l'exemple, l'on glorifie les grands morts, ce patrimoine qu'un siècle lègue à l'autre.
Sous quelque aspect que l'on envisage la noble existence qui vient de finir, hélas ! si prématurément, elle est digne des regrets doit tout un peuple l'accompagne. Chrétien, gentilhomme, citoyen, le comte de Mérode-Westerloo restera un modèle accompli des vertus et des mérites qui font les renommées durables et justement populaires.
Chrétien, sa piété, austère pour lui-même seulement, était douce, compatissante, tolérante pour les autres. Jamais un mot amer, jamais parole blessante ne sont tombés de ses lèvres contre personne, et j'attends qu'il se montre celui qui oserait prétendre que jamais il ait dit du mal de son prochain. Sa foi, profonde et réfléchie, n'avait, que des trésors d’indulgence, comme sa main des trésors de charité.
Gentilhomme de vieux sang et dé grande race, il rappelait, il perpétuait ces traditions antiques qui, aux jours passés, firent de la noblesse, aussi longtemps l'elle y restera fidèle, le défenseur du droit et de la justice contre les abus de la force barbare, le soutien dd trône comme de la religion, époque glorieuse où la noblesse se dévouait pour les faibles, secourait les opprimés et répandait à flots son sang sur les champs de bataille pour le salut de la patrie !
Le comte de Mérode-Westerloo tenait de ces nobles-là : nul plus que lui ne fut doux, bon et secourable aux faibles, aux malheureux, aux déshérités, et il n'avait de réserve, parfois un peu hautaine, que vis-à-vis des puissants et des superbes.
Et en cela il ne faisait que suivre les exemples de ses ancêtres.
Je n'ai pas à le rappeler : l’histoire de la famille de Mérode se confond avec celle de la Belgique même. La maison de Mérode a souffert, avec nous, patrie belge, à résisté avec nous, a triomphé avec nous. Ces liens-là sont indissolubles, et c'est pourquoi, quand meurt un de Mérode, quelque chose saigne dans la fibre nationale.
Citoyen, homme public, le comte de Mérode-Westerlo fut admirable. Doué d'une lumineuse raison, d’un jugement ferme et calme, il voyait droit, vite et juste.
Conservateur par tempérament et par raisonnement, son esprit était cependant ouvert aux choses et aux idées de notre temps ; il en saisissait ce que ses aspirations ont de légitime et leur faisait, de bonne grâce comme de bonne foi, les nécessaires concessions. Il avait des opinions faites sur toutes les grandes questions qui agitent notre époque, et, s’il ne devançait pas les solutions, il aidait à les préparer dans le sens du progrès conservateur et pondéré.
C'était là son particulier mérite politique, et il est grand.
Il était homme de pacification, mais non de capitulation.
Tous ceux qui ont vu de près, connu intimement le noble défunt savent qu'il en est ainsi.
Ils savent aussi que dans les questions douteuses, de délicate solution, son mot final – que de fois il me l'a dit ! - était toujours celui-ci : « Laissons faire la liberté. »
Je l'ai connu, bien connu. Il m'a connu aussi. Cela remonte au lointain.
Depuis les « émotions contagieuses de 1857 » jusqu'au mouvement actuel qui emporte irrésistiblement le vieux monde vers I avènement de la démocratie, j'ai trouvé le comte d Mérode ayant toujours la perception exacte des besoins de la situation. il était né homme d'Etat, et lui, le représentant d'une des plus vieilles races de l'Europe, appuyé sur sa foi indestructible et son ardent patriotisme, il était toujours de bon conseil : il savait prévoir sans se cantonner dans les négations imprudente de l'intransigeance.
Tel il m'est apparu pendant les trente-trois ans que j'ai eu l'honneur de représenter avec lui l'arrondissement de Turnhout.
Pourquoi, hélas ! cette parole si sage, cette voix si autorisée, si patriotique ne peuvent-elles plus se faire entendre dans la seconde et prochaine Constituante ?
C'est un grand malheur.
Sa disparition est un grand malheur aussi pour la Campine. II en était le protecteur vigilant et infatigable, l'âme, si je puis dire. La laborieuse, honnête et virile population de la Campine entourait « le comte » - on ne l'appelait pas autrement - de la plu profonde affection, d'un sentiment presque filial ; jamais nom ne fut plus populaire. Et il le restera à travers le temps et l'espace. Il lui rendait bien cette affection ; il aimait « sa Campine » au delà de toute expression.
Il pouvait vivre ailleurs, dans d'autres splendides demeures, sous des lambris toujours dorés, sous un ciel plus clément que celui de la rude Campine ; il ne l'a pas voulu.
Dès qu'il était libre, c'est ici qu'il venait vivre, et il a voulu reposer ici, à l'ombre de cet humble clocher. Lui, parti de si haut, né presque dans la pourpre, né comte, marquis, grand d'Espagne, prince, il a voulu être bourgmestre de son village, plus glorieux, je n'en doute pas de la croix civique qu'il venait d'y obtenir qu'il ne l'eût été du grand-cordon de l'ordre Léopold qui allait lui être conféré.
Quel noble exemple donné à nos grandes familles historiques : le comte de Mérode a ainsi affirmé, une fois de plus, la fière devise de sa maison.
Adieu, cher et regretté collègue, ami fidèle ! Que le Très Haut et Notre Seigneur Jésus-Christ vous reçoivent dans leur miséricordieuse justice !
(Remarque : la cérémonie des funérailles du comte de Mérode-Westerloo est abondamment évoquée dans les numéros du Journal de Bruxelles, des 8 au 14 avril 1892. Ces numéros sont disponibles en libre accès sur le site de la KBR – Belgicapress)