de Burlet Jules, Philippe, Marie catholique
né en 1844 à Ixelles décédé en 1897 à Nivelles
Ministre (intérieur, instruction publique et affaires étrangères) entre 1891 et 1896 Représentant entre 1884 et 1894, élu par l'arrondissement de Nivelles(Extrait de L’Indépendance belge, du 2 mars 1897)
Nous apprenons la mort de M. Jules de Burlet, ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire à Lisbonne, ancien député, ministre à portefeuille et sénateur. Il avait obtenu récemment un congé qu’il était venu passer dans sa famille, à Nivelles, el c'est là que, le lundi 1er mars, à 6 heures 45 du matin, il a succombé à la maladie qui le minait depuis plus d'un an.
M. Jules-Philippe-Marie de Burlet n’avait pas tout à fait 53 ans. II était né à Ixelles, le 10 avril 1844.
Entré dans la politique par la porte communale, après avoir exercé comme avocat et juge suppléant, il se signala, comme bourgmestre de Nivelles, par la hardiesse et l'intransigeance de son cléricalisme, notamment pendant la guerre scolaire de 1879-1884.
Révoqué par le ministère libéral, il continua la lutte comme échevin faisant fonctions de bourgmestre.
Le 10 juin 1884, il était élu représentant mie Nivelles. Les premières manifestations de son activité parlementaire furent en faveur de la réaction protectionniste dont il avait donné le signal à Nivelles avant d'entrer à la Chambre. En juin 1888, il n'obtint pas le renouvellement de son mandat législatif. M. Beernaert, néanmoins, l'appela au ministère de l'intérieur et de l’instruction publique pour remplacer M. Mélot, , qui lui-même avait succédé à M. Devolder le 6 novembre 1890.
En juin 1892, les électeurs de Nivelles rendirent au ministre le mandat qu'ils avaient retiré au député, Mais en octobre 1894, ils le lui retirèrent de nouveau, bien qu’il se représentât devant eux comme chef de cabinet, ayant recueilli, Ier 26 mars la succession de M. Beernaert après l'échec de la Proportionnelle en sections.
Le Conseil provincial du Brabant l'envoya au Sénat.
Le 25 mai 1895 il prenait les Affaires étrangères par suite de la démission du comte de Mérode-Westerloo qui se retirait à raison de l'ajournement du projet d'annexion du Congo ; il dormait l'Intérieur et l'Instruction publique à M. Schollaert et créait le ministère de l’Industrie et du Travail confié à M. Nyssens.
Les principales initiatives législatives du cabinet dont il fut le chef, sont : le nouveau régime électoral des communes, instituant le suffrage plural à 4 voix et substituant la Proportionnelle au ballottage ; la loi scolaire qui a fait du droit au subside la conséquence de la liberté d'enseignement, réinscrit la religion au programme obligatoire dés écoles communales et rétabli l'inspection ecclésiastique; le relèvement des tarifs douaniers ; le remboursement de la créance Browne-de Tiège.
On n'a pas oublié l'incident qui eut pour conséquences sa démission ministérielle el sa retraite diplomatique sous prétexte de « récompense nationale. » Le 19 décembre 1895, tout en expliquant de son mieux l'ajournement du projet de réforme militaire du lieutenant-général Brassine (le premier ajournement, car, depuis, un second ajournement est survenu qui a déterminé la chute de l'oncle après celle du neveu), le chef du cabinet crut pouvoir attribuer à ce projet le caractère d'un projet du gouvernement, et non pas seulement d'une œuvre personnelle du ministre de la guerre. M. Woeste ne voulait pas l’entendre ainsi ; mainte reprise, il réprimanda le chef du cabinet, très ennuyé, comme bien on le pense, et absolument décontenancé. Le soir même, M. Jules de Burlet était frappé d'une congestion dont il ne se remit jamais, bien que nommé à Lisbonne en remplacement de M. Verhaeghe de Naeyer, transféré à Madrid.
Sans qu'on pût le classer orateurs d'un vrai talent, M. Jules de Burlet était doué d'une facilité rare et d'un aplomb prodigieux. Médiocre à la Chambre parce qu'Il y arrivait mal préparé, il se relevait notablement au Sénat, ayant étudié son dossier à la Chambre, dont le débat lui avait servi de répétition générale. Il était homme de décision sinon de caractère, et, bien que de tempérament bilieux, très prisé dans le monde, où il se plaisait et déployait beaucoup d'amabilité.
Les circonstances l'ont tour à tour servi et desservi. Inventé par M. Beernaert, il n'hésita pas lui succéder sous la protection de M. Woeste. Lorsque cette protection prit une attitude impérieuse, il comprit qu'il n’était plus qu'un ministre-fantôme, et celle révélation l'anéantit, - car on peut affirmer qu'il est mort des suites de la secousse morale et physique que lui infligèrent les avertissements, pour Ile pas dire les menaces du véritable chef de la droite.
Ceux-là même qui n’ont jamais été de ses amis, ceux qui ont constamment guerroyé contre sa politique, n’en ont pas moins le cœur serré en présence de cette fin cruelle et prématurée.
(Extrait de La Réforme du 2 mars 1897)
C’est quand il n’était encore que simple bourgmestre de Nivelles que M. de Burlet se signala la première fois à l’attention publique On raconte qu'il prit un jour un arrêté de police ordonnant aux écuyères d’un cirque, de passage en la bonne ville qu’il administrait, d’allonger leurs jupes ou de s’affubler de culottes bouffantes. C’est ce bon exploit qui lui valut le surnom de Pantalon sous lequel il fut longtemps connu. Quand il fut parvenu aux dignités ministérielles, M. de Burlet prétendit toujours que cette histoire n’était qu’une légende inventée à plaisir et à diverses reprises les Chambres discutèrent cette grave question.
Lors de la débâcle de 1884, qui balaya la majorité parlementaire libérale, Jules de Burlet fut envoyé à la Chambre par l’arrondissement de Nivelles ; il ne s’y fit guère remarquer : en 1888 il fut éliminé au ballottage et remplacé par M. Henricot.
En 1891, M. de Burlet fit sa rentrée au Parlement comme ministre, lorsque M. Mélot dut, après quelques semaines. abandonner ses fonctions ministérielles. C’est à de Burlet que M. Beernaert confia le portefeuille de l’intérieur et de l'instruction publique. Aux élections de 1892, les électeurs de Nivelles lui rendirent son mandat de député. Les débuts du nouveau ministre ne furent pas très brillants. M. de Burlet fut un des initiateurs de cette école d'éloquence parlementaire qui abandonnes à tout bout de phrase l'objet du débat pour s'accrocher à tous les accidents de la discussion, s’attachant à la forme bien plus qu’au sens véritable des arguments à réfuter. A la moindre interruption, quelque étrangère qu'elle fût à ce dont il parlait, le nouveau ministre de l'intérieur ouvrait d'interminables parenthèses. Peu à peu cependant, il s'aguerrit et assez rapidement devint un debater>; habile et écouté. Aussi, lorsqu’en 1894 M. Beernaert quitta le pouvoir, ce fut M. de Burlet qui devint premier ministre sa place.
M. de Burlet adopta alors en matière économique l'orientation nouvelle qui nous a dotés des droits d'entrée sur les produits Cela ne lui porta pas bonheur et c'est sur cette question qu’il fut battu aux élections de 1894. Pour atténuer l'effet de cet échec sensationnel, le Conseil provincial du Brabant envoya M. de Burlet siéger au Sénat. Au mois de mai 1895, le premier ministre abandonna le ministère de l'Intérieur pour celui des affaires étrangères, laissé vacant par la retraite de M. de Mérode.
Sous sa direction, l'enseignement public ne subit pas de graves atteintes; il défendit même avec quelque énergie son budget contre les entreprises des pointus de la droite qui voulaient ouvrir le trésor public aux écoles cléricales. Mais sa résistance ne fut pas longue et, somme toute. il prépara les voies à la fameuse loi scolaire de M. Schollaert. C’est lui, notamment, qui commença la réduction des traitements d'attente des instituteurs.
M. de Burlet avait la réputation d’un homme affable et de relations agréables. Mais sa santé ne put pas résister aux fatigues que lui imposait le gouvernement du pays. II fut frappé au mois de décembre 1895 d'une attaque d'apoplexie à la suite de laquelle les médecins lui ordonnèrent un repos absolu. Il résigna donc au bout de quelques semaines ses fonctions ministérielles et prit sa retraite dans l'emploi honorifique d'ambassadeur.
Mais M. de Burlet avait été atteint dans les sources mêmes de la vie ; sa santé ne se rétablit jamais complètement, et quoiqu’il eût repris la apparences de la santé, il avait gardé les germes du mal qui vient de l'emporter.
(Extrait du Journal de Bruxelles, du 2 mars 1897)
Mort de M. de Burlet
(De notre correspondant. Par dépêche)
Nivelles, lundi 1er mars.
Le glas sonne à Nivelles. Le drapeau national flotte en berne à la plupart des habitations. M. de Burlet n'est plus.....
La mort de M. Jules de Burlet prend à Nivelles les proportions d'un deuil public. L'honorable et tant regretté ministre d'Etat a passé dans cette ville la plus grande partie de son existence. On l'y a connu collégien, étudiant universitaire, avocat, bourgmestre député, ministre, sénateur. Il a été mêlé, depuis plus d'un siècle, à tous les événements qui se sont déroulés à Nivelles.
Né à Ixelles, le 10 avril 1844, il fit ses études humanitaires dans ce florissant collège communal qui a fourni tant d’hommes d’une réelle valeur. Entré à l’université de Louvain, en 1861, nous le voyons s’inscrire au barreau de Nivelles cinq ans plus tard. Le 1er juillet 1872, il entre en vainqueur à l’hôtel de ville, véritable fief des anticatholiques. Du mois d’août 1872 jusqu’en mars 1891, il remplit les fonctions de bourgmestres de Nivelles. La suite de sa carrière publique se résumé ainsi : député le 10 juin 1884, ministre de l’intérieur, le 2 mars 1891, chef du cabinet le 27 mars 1894, sénateur provincial en novembre de la même année, ministre de Belgique en Portal en 1896.
Telle est, dans ses grandes lignes, cette belle carrière consacrée toute entière à la défense de la cause de la vérité et de la justice.
A 27 ans, il renverse l’administration communale libérale. Nommé aussitôt bourgmestre de Nivelles, il parcourt durant six-huit ans la plus belle carrière administrative : les finances sont restaurées, et l’on en arrive même aux dégrèvements d’impôts : tous les services communaux, instruction, travaux publics, éclairage, distribution d’eau, bienfaisance, fêtes, hygiène publique reçoivent la plus grande extension : la jolie cité brabançonne se développe, prospère et s’embellit.
Et au seuil de cette vie publique. se place une manifestation de foi et de piété... En 1872, la question des cimetières passionnait vivement nos coreligionnaires. Le 11 septembre 1872 eut lieu la réouverture du cimetière catholique agrandi. II faut avoir vu Nivelles ce jour-là pour se faire une idée de l'heureux effet de cette mesure. C'était l'œil humide d'émotion que les habitants contemplaient la croix rédemptrice reparue en tête du funèbre cortège et le clergé accompagnant de chants lugubres les dépouilles mortelles auxquelles l'Eglise allait donner au champ même du repos une suprême bénédiction.
Le 17 octobre suivant eut lieu la bénédiction du cimetière par S. G. Mgr Anthonis, évêque de Constance, i. p. i. Le conseil communal en corps assista à cette pieuse cérémonie dont les anciens Nivellois parlent encore avec émotion et respect.
On conçoit aisément que le jeune et victorieux chef du parti catholique nivellois fut combattu avec rage par nos adversaires. On le traita de la façon la plus injurieuse dans la presse anticatholique ; on y parlait de « de Burlet et sa bande, une poignée d'intrigants, des galopins ; des impudents. »
Tout cela n'empêcha pas M. de Burlet de tourner son activité vers le domaine législatif. Successivement ses assauts furent repoussés en 1876- et en 1880. Mais le gouvernement de la loi scolaire s'effondra sous le poids de ses fautes. Le « soulagement universel » arriva.
Le 10 juin 1884 M. de Burlet en parlait avec une légitime fierté, et dans une circonstance solennelle, il en appréciait ainsi la portée.
« L'arrondissement de NivelIes, tout meurtri de ses successives défaites, était hésitant ; la lutte était taxée de folie, d'inutile et de téméraire folie ; et nos adversaires en parlaient avec un indicible dédain. Mais bientôt dans tous les autres arrondissements nos amis, en combat déjà, pouvaient s'écrier, parlant de l’élan admirable qui régnait d'un bout du pays à l'autre : On lutte partout, même à Nivelles !
« 1884 fut pour nous un triomphe sans précédent. Le corps électoral ici comme ailleurs culbuta les anticatholiques de toutes leurs positions, et la grande, l'irrésistible marée de 1884, en se retirant, ne laissa sur les bancs de la gauche parlementaire que les épaves de ce naufrage universel. »
Ce ne fut pas le seul succès de M. de Burlet pendant cette inoubliable année. De 1879 à 1884, le bourgmestre de Nivelles n'avait pas reçu l'investiture officielle. Il n'était que ff. Nos amis revenus au pouvoir n'eurent rien de plus pressé que de rendre aux acclamations de la foule, son écharpe au populaire et sympathique premier magistrat.
Et le secret de ces belles victoires ? II résidait tout entier dans l'union :
« L'union ! s'écriait M. de Burlet dans la solennelle manifestation du 3 mai 1894, quelle nécessité et quelle force !
« Elle est avec le sentiment du devoir le grand levier politique. Ne l'oublions pas dans nos luttes prochaines, sous le nouveau régime démocratique que le pays s'est donné. »
Les espérances qu'avait fait naître le bourgmestre de Nivelles, qui avait habilement évité la guerre scolaire et avait résisté avec tant de tact aux commissaires spéciaux du plus tyrannique des gouvernements, ne furent point démenties par le député.
Feuilletez les Annales parlementaires, et partout vous trouverez la trace honorable de M. de Burlet député. Les questions scolaires, militaires, agricoles furent spécialement l'objet de maint discours.
Son intelligence, énergique et habile à la fois, triomphait souvent de bien des obstacles. Témoin cette question des eaux, célèbre dans le pays de Nivelles, dont, après tant d'années de lutte contre la ville de Bruxelles, il apporta enfin une solution favorable à ses administrés. Témoin encore la construction des vicinaux, l'augmentation des subsides scolaires, les lois en faveur de l'agriculture.
En 1888, les manœuvres de nos adversaire amenèrent à trente voix près l'échec de M. de Burlet aux élections législatives. II donna ce jour-là un bel exemple de fermeté et de dévouement à son parti. A ses amis, attristés de sa défaite, il montra le drapeau catholique vainqueur dans tout le pays: « Qu'importe un homme, disait-il, pourvu que la cause triomphe ! »
Si les catholiques nivellois déplorèrent l'échec de leur chef, ils ne s'attardèrent pas en vains et stériles regrets. Ils se préparèrent sans tarder à la revanche. Les élections communales de 1890 approchaient.
Nos adversaires n'avaient pas manqué depuis 1888 de faire un bruyant étalage de « l'impopularité » de M. de Burlet sur le terrain législatif. Ils prenaient assez niaisement leurs espérances pour la réalité.
Celui que les libéraux croyaient avoir définitivement abattu s'était relevé plus énergique que jamais. Pendant cette mémorable campagne électorale, il sut donner l'exemple de l'énergie et d'une indomptable ardeur. Nul ne s'entendait comme lui a électriser ses troupes... II leur parlait, du reste, un langage qui prenait sûrement et rapidement le chemin des cœurs.
« Un de mes amis, s'écria-t-il dans un meeting tenu à la veille du scrutin communal de 1890, me disait dernièrement: « Mais il faut être abandonné du ciel et de la terre pour se lancer comme vous dans la politique. » Et pourquoi cela ? Est-ce à cause des affaires mêmes de l'administration ? Nous croyons avoir assez bien réussi dans l'administration. Ne devons-nous pas tous travailler? Et quelle satisfaction plus précieuse, plus intime que la satisfaction du devoir accompli ? »
Nivelles vengea son mayeur de la surprise de 1888, et une majorité de 180 voix sur un corps électoral de 1,300 électeurs fut pour M. de Burlet la plus belle et la plus triomphante des revanches... Quelle réponse à ceux qui faisaient état de son impopularité !
« L’homme s’agite et Dieu le mène, disait plus tard M. de Burlet. Lorsque, le 12 juin 1888, je succombais sous les manœuvres de mes adversaires, vous les avez vus célébrer ma défaite à l'égal d'un triomphe, et l'explosion de leur colère n a-t-elle pas contribué à m'élever dans les conseils de la Couronne ? »
Le 27 janvier 1891, M. de Burlet était pour la troisième fois renommé aux fonctions de bourgmestre de Nivelles. Le 2 mars suivant il succédait à M. Melot comme ministre de l'intérieur.
Dans ce poste éminent, M. de Burlet fut l'honneur de son parti. Il apportait dans l'expédition des affaires un jugement droit, et dans les débats parlementaires, il était servi par une éloquence à laquelle la presse libérale même rendit hommage.
Il prit notamment une part importante dans la discussion de la révision et de la loi électorale que la Réforme appela une application loyale de l’article 47. Le ministre de l'intérieur eut sa grande part dans ces longs et laborieux débats.
Administrateur modèle, d'une expérience consommée, actif, homme richement doué, d'une force extraordinaire d'assimilation, le ministre de l'intérieur se rendait compte des situations d'un coup d'œil sûr et prompt, S'il était parfois un peu nerveux et4 vif, c'était uniquement sous l'influence du surmenage. C'était un bon cœur et un esprit honnête. Homme de combat, loyal et inflexible quand il le fallait, redoutable jouteur, il ne se laissait ni entamer ni jouer par l'adversaire.
La campagne électorale de 1892 fut marquée pour lui par un nouveau succès. Le 14 juin, M. de Burlet était renommé député de Nivelles par 1655 suffrages. Il s'en fallut de peu que toute la liste catholique ne passât au premier tour. Cinq voix manquèrent à M. Eugène Dumont pour attendre la majorité absolue. M. Henricot parvint à rentrer au Parlement par la poterne du ballottage.
On connaît les événements qui amenèrent, en mars 1894, la retraite de M. Beernaert. M. le ministre de l'intérieur professait pour l'éminent chef du cabinet un dévouement profond, une admiration qui allait grandissant chaque jour. Il avait lié sa destinée ministérielle à la sienne, et nul ne fut plus profondément affecté que lui d’une retraite qui fut tant regrettée.
Ce fut pour déférer aux vœux du maître aimé que M. de Burlet assuma la lourde tâche de clore la période révisionniste, d’amener le vote de la loi électorale et de présider à son application.
L’histoire de la campagne électorale de 1894, qui fut marquée par la plus honteuse et la plus déloyale des manœuvres, le fameux complot de Genappe, est trop récente pour que nous la répétions ici. M. de Burlet succomba le 21 octobre sous l’action de la calomnie : quinze jours plus tard la population de Nivelles acclamait, dans un enthousiasme délirant, sa nomination de sénateur provincial.
Le cœur se serre à l'évocation de la catastrophe qui, dans les derniers jour de 1895, brisa cette belle carrière... M. de Burlet a passé par de cruelles souffrances, et-ceux qui l’ont vu rentrer à Nivelles dans cette sombre soirée du 21 février 1897 se souviendront toute leur vie de l’impression poignante ressentie à cette heure funèbre...
Ce fut lentement, au pas, que la voiture parcourt le trajet qui sépare la gare du Nord de la place Saint-Paul'.. Le pauvre malade, épuisé par ce long trajet, n'avait plus la force de tenir la tête levée; elle penchait lourdement sur la poitrine... Mais il a revu le vieux clocher ; il a contemplé encore cette place Saint-Paul, où souvent il avait été acclamé par la foule ; il s'est retrouvé dans cette demeure familiale, où il a connu dès jours si heureux...
Les catholiques belges lui garderont un inoubliable souvenir.
Nivelles fera à M. de Burlet des funérailles dignes du grand citoyen qui vient de s'éteindre.
Voici le texte de la proclamation aux habitants que M. le bourgmestre a fait afficher :
« Concitoyens, la mort vient de nous enlever M. Jules de Burlet, ministre d'Etat et ancien bourgmestre de Nivelles.
« La place si considérable qu'il a occupée pendant de longues années dans la direction des affaires de la ville de Nivelles, le dévouement éclairé et profond dont il a donné en toute circonstance des preuves manifestes à notre cité, les services signalés qu'il a rendus à notre population et au pays sont encore vivants dans nos cœurs. Cette mort est un deuil public. La ville de Nivelles reconnaissante tiendra à faire à son ancien bourgmestre des funérailles dignes du citoyen éminent dont nous déplorons la perte. »
(Extrait du Peuple, du 2 mars 1897)
La mort de M. de Burlet
Le dénouement fatal avait été prévu dès la première congestion survenue il y a un an environ et qui éloigna M. De Burlet des affaires publiques ; le séjour à Lisbonne au lieu d'atténuer le mal l'avait considérablement aggravé, el quand il y quelques semaines l'on ramena l'ancien ministre à Bruxelles, son triste état de santé ne laissa aucun doute.
M. Jules De Burlet était né à Ixelles, le 10 avril 1844 ; il avait successivement été nommé conseiller communal à Nivelles en 1871, bourgmestre en 1872, député et secrétaire de la Chambre en 1884 et ministre de l'intérieur et de l'instruction publique en 1891. De 1888 à 1892,
En 1894, à la suite de la retraite de M. Beernaert, M. De Burlet fut appelé à la direction du gouvernement .
Il appela son oncle, le général Brassine, au ministère de la guerre.
Un confrère bruxellois raconte comment M. De Burlet frappé de la première atteinte du mal qui vient de l'emporter.
Le chef du cabinet venait d'affirmer que le ministère était d'accord sur la question de la réorganisation militaire ; M. Woeste, lui, affirma qu'il n'en était rien, ou, tout au moins, que le cabinet changerait d'avis. Ce fut pour M. De Burlet un coup dont il ne se releva pas. Il voulut répondre, mais n'y parvint pas„ la langue s'étant paralysée. Rentré chez lui, il dut s'aliter. On le crut perdu. Pourtant, sa robuste nature surmonta momentanément le mal. Tout en le considérant comme rétabli les médecins exigèrent qu'il abandonnât la politique et ses amertumes.
Tout en le considérant comme rétabli les médecins exigèrent qu'il abandonnât la politique et ses amertumes.
C'est alors que l'on envoya M. De Burlet à Lisbonne en qualité de ministre plénipotentiaire. Il ne dut pas y rester longtemps.
Le parti catholique et conservateur perd en M. De Burlet un militant très dévoué mais non un chef. M. De Barlet n'avait pas en lui l'étoffe d'un homme d’Etat ; c'était précisément cette absence de personnalité qui, dans cette droite divisée sur les questions militaire, coloniale, économique et sociale, mais unie par la seule haine da socialisme, le désignait au poste de chef du cabinet.
M. De Burlet ne conduisait pas sa majorité, il était conduit par celle-ci. Un fait le prouve : les lois les plus réactionnaires, la loi des 4 infamies et les millions pour le Congo notamment avaient été votés sous le ministère De Burlet ; nul n'a songé à lui en attribuer la responsabilité, c'est la classe capitaliste tout entière, son épouvante du socialisme et à sa folle inconscience qu'incombe celle-ci.
La retraite de M. Burlet avait laissé le pays indifférent ; sa triste fin ne saurait nous inspirer qu'un sentiment de profonde pitié.
(Extrait du Vingtième Siècle, du 2 mars 1897)
M. Jules de Burlet est mort ce matin à Nivelles. Depuis longtemps sa famille et ses amis ne conservalent plus aucun espoir de le sauver et lui-même s'était chrétiennement résigné son sort. La nouvelle de sa mort que nous enregistrons avec le plus profond regret, aura dans le pays catholique tout entier un douloureux retentissement. Nous demandons à nos lecteurs des prières pour le repos de l’âme de notre ancien chef de cabinet et nous présentons aux siens nos sincères condoléances.
Peu d'hommes politiques ont été salués leur avènement au pouvoir de sympathies aussi unanimes que M. Jules de Burlet, et il n'y eut qu'une voix dans le pays pour féliciter M. Beernaert d’avoir décidé, en 1891, l’honorable bourgmestre de Nivelles à accepter le portefeuille de l'intérieur et de l'instruction publique.
Ce choix, - chose rare, - a même été ratifié par la gauche libérale en la personne de M. Hanssens, disant, en pleine Chambre à M. Beernaert qu’il avait eu la main heureuse.
M. de Burlet a connu toutes les joies comme toutes les déceptions de la vie publique ; dans un labeur constant, sans trêve, ce travailleur d'élite a usé prématurément un tempérament de fer... La fin de sa vie a dû être marquée pour lui par de cruels désenchantements... Il aimait la politique, ses émotions, ses enfièvrements et c'est au faîte des honneurs que la maladie est venue le surprendre pour le conduire au bout de deux ans de cruelles souffrances à la tombe.
Dieu sera juste pour lui, car il a fidèlement servi sa cause.
Qui ne connait les luttes quo M. de Burlet eut à soutenir contre le libéralisme nivellois, maître absolu, jusqu'en 1872, de la cité de Sainte-Gertrude.... Un doctrinarisme aux rancunes mesquines, aux sentiments étroits, perpétuellement embusqué derrière les broussailles d'une politique sans honneur, sans franchise.
Quels combats ! Avec quelle émotion los anciens Nivellois en retracent encore les émouvantes péripéties ! On peut dire qu'il n'y a pas dans la petite cité brabançonne une seule maison catholique où l'on ne conserve la photographie de l'ancien bourgmestre, du vi mayeur. Avec quel irrésistible ascendant M. de Burlet s'entendait à entraîner ses troupes, à leur inspirer la vigueur dans l'action et à les conduire à la victoire ! Ah ! ces « veillées des armes » de la salle du Wichet ! Comme leur souvenir est encore vivant là-bas ! Aussi ses adversaires ne lui ont jamais pardonné les sanglantes défaites qu'il leur fit si souvent essuyer. Quelle fureur ! Quelle haine contre l'homme énergique qui a pour toujours anéanti leur domination dans sa patrie adoptive ! Pendant plus d'un quart de siècle il fut en butte aux attaques les plus violentes et plus passionnées.
On a essayé de l'atteindre, de l'amoindrir par les mille et une scélératesses que seul le dépit d'une irrémédiable défaite peut inspirer. Tantôt on s'attaquait à son honneur privé, à ses affections les plus chères et alors la riposte était rapide et d'une vivacité qui commandait à la fois la sympathie et le respect ; tantôt, pour discréditer son administration, on poussait le cynisme jusqu'à lui imputer la responsabilité d'affections épidémiques, on lançait contre son intégrité des rumeurs infamantes dont le libéralisme nivellois laissa piteusement la responsabilité devant les tribunaux à quelques « gamins malfaiteurs... » On est allé jusqu'à le diffamer dans les affaires les plus délicates… Témoin le procès propos du legs Verhaegen òu Maître Bonnevie trouva des accents si éloquents pour fustiger « les chiennes d'enfer. » Le mot ; entre parenthèses, est de M. Alexandre de Burlet, le grand avocat trop tôt ravi au barreau dont il était une des gloires les plus pures...
Faut-il dire que toutes ces ignominies ébréchaient bien peu la popularité de M. de Burlet. Sur le terrain communal, il n'a pas connu un seul échec depuis 1872 jusqu'au moment où il fut appelé à siéger dans les conseils de la Couronne. Chaque fois qu'il était soumis à réélection, il voyait grandir sa majorité, au grand déplaisir de quelques grincheux, pêcheurs en eau trouble, fabricants de taches d'encre et pochards dégoûtants, faisant un tel scandale au coin des rues que l’Indépendance y vit un jour un attentat contre M. de Burlet, attentat rapporté gravement quelques jour après par le New-York Herald.
Le nom de M. Jules de Burlet brillera avec éclat dans l'histoire des luttes mémorables soutenues par les catholiques belges contre le ministère de la déchéance nationale. Chose étrange et violente, bien qu'il eût passé tête de liste aux élections communales de 1879, l'investiture comme bourgmestre lui fut refusée par le piteux Zagueman qui étale en ce moment ses grâces devant l'éléphant blanc de Siam. Et l'ombrageux despote poussa l'audace jusqu’à lui dénier un jour, dans son cabinet, le droit de lui présenter le Collège échevinal reçu en audience… M. de Burlet n'était jamais plus intéressant que lorsqu’il détaillait par le cette réception.
La furie scolaire sévit à Nivelles avec intensité... Le bourgmestre lui opposa une résistance légale des plus correctes. Il refusa de mettre main basse sur des fondations catholiques. Les commissaires spéciaux de Pierre Van Humbeek et de Rollin doivent avoir gardé une impression des moins agréables de leur visite la cité des Aclots.
Dès cette époque, nous trouvons M. Jules de Burlet au premier rang de toutes les œuvres chrétiennes et démocratiques. Avocat distingué du barreau nivellois, il plaida avec succès la cause des grévistes de Quenast et il aimait rappeler la manifestation de sympathie dont il avait été l'objet de la part de ces infortunés.
Sous son administration, Nivelles s'est embelli. Nivelles s'est transformé, Nivelles, que les libéraux appelaient dédaigneusement « le trou le plus obscur du pays » est pourvu de tous les services d'utilité publique des grandes villes.
1884 marqua pour le ff. de maïeur de Nivelles l'ère des grands triomphes. En cette mémorable journée du 10 juin 1884, toute la députation libérale à la Chambre fut culbutée, seul M. le baron de Vrints de Vrenenfeld réussit à rentrer au Sénat... C'était I temps où nos adversaires marchaient au scrutin au cri de « Vive le Roi ! » » et au chant de la « Brabançonne » où ils déclaraient dans leurs circulaires que seul un droit élevé sur les grains étrangers pouvait sauver l'agriculture... Dix ans après, Ils compagnonnaient avec les socialistes, Demblon en tête, et se lançaient dans la malhonnête campagne des « affameurs. »
Quelques semaines après le 10 juin, Nivelles acclamait, dans une manifestation grandiose, inoubliable, son bourgmestre qui pouvait s'appeler fièrement l'enfant gâté de la population.
Secrétaire de la Chambre des Représentants de 1884 à 1888, une surprise amena, cette année, à trente voix de majorité, l'élimination de M. de Burlet. L'histoire des manœuvres auxquelles nos adversaires durent cette victoire sera, certes, une des plus honteuses de nos annales qui cependant abondent en fourberies et en tricheries libérales. L'élection de M. Henricot fut l'unique succès que les libéraux obtinrent dans cette mêlée électorale.
Trois ans après, M. de Burlet devenait ministre de l'Intérieur et en 1892, il rentrait à la Chambre au premier tour de scrutin.
Passant rapidement sur les débats de la révision, nous enregistrons sa promotion à la dignité de chef de cabinet en avril 1894 et nous en venons la campagne électorale de cette même année.
Il nous faut rappeler ici avec quelle vigueur l'honorable chef du cabinet sut défendre dans de nombreux meetings la politique du gouvernement.
Son discours prononcé à Nivelles le 2 septembre fut accueilli avec joie par tous les catholiques.
C'était le programme du gouvernement, le programme que le ministère s'est attaché à réaliser. Ses promesses n'ont pas été protestées.
En première ligne, M. de Burlet plaçait la révision du régime scolaire. « Il faudra, disait-il, que la loi nouvelle assure une plus juste répartition des subsides scolaires, sans porter atteinte aux budgets des communes ni aux traitements des instituteurs. Des mesures seront prises pour assurer la stabilité de la position des instituteurs. On interdira notamment la mise en disponibilité par la suppression d'emploi. Les conditions de la pension seront aussi modifiées.»
Ces engagements ont été loyalement tenus. Ce sera l’éternel honneur de M. de Burlet d'avoir paix scolaire. M. de Burlet tenait un langage non moins net au sujet de l’agriculture.
« L'épithète d’affameurs, s’écriait-il, ne nous effraie pas plus aujourd'hui que précédemment. Des mesures protectrices, sages, modérées, feront rester nos braves campagnards dans les campagnes en leur procurant le moyen d'y gagner mieux leur vie. »
Les agriculteurs pouvaient donc compter qu'un des premiers actes du gouvernement, après les élections, aurait été de présenter un projet de loi réglant les droits d'entrée. Ils n'ont point été déçus dans leur attente.
Les journaux libéraux pressentant une « pile épouvantable », au 14 octobre, recommençaient à pincer la corde des spontanéités. foudroyantes qui leur réussirent si bien en 1857, en 1871 et en 1884. Seulement cette fois, ils trouvèrent à qio parler.
Voici ce que M. de Burlet déclarait à ce propos dans son discours de Nivelles :
« Parfois nous entendons des menaces de révolte. Puériles démonstrations ! Comment ! le suffrage universel aurait parlé et l'on s'insurgerait contre ses décisions! Le pays aurait fait entendre sa voix l'on oserait attenter à la représentation nationale ! Nous serions assez fermes pour répondre : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous ne partirons que par la force des baïonnettes. S'ils viennent, laissez-nous faire et soyez tranquilles. »
Ah : si les catholiques au pourvoir avaient toujours su, forts de leur droit et de la légalité, tenir pareil langage !
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C'était vers la fin de septembre 1894.
Depuis quelques jours, les libéraux répandaient sous le boisseau contre l'honorable chef du Cabinet de ces petites méchancetés, de ces perfidies dans lesquelles ils excellent.
- Vous ne savez pas?... Il va éclater un scandale, mais quelque chose qui révolutionnera la Belgique, peut-être même l'Europe !
Et tous ces pharisiens de lever au ciel de grands yeux désolés et d'ajouter :
- C'est tout de même malheureux pour un pays de voir le chef du gouvernement s'acoquiner avec des Pourbaix, avec des agents provocateurs !
La bombe Art éclata dans l'Etoile belge, que M de Burlet avait déjà ou l'occasion, dans l’affaire du tableau, de prendre par la langue, dans le Petit Bleu, dans la Reforme>, dans l'Indépendance. Un feu de salve, quoi !
Cette fois, nous devons dire que nos adversaires s'étaient surpassés, qu'ils s'étaient montrés des virtuoses en canaillerie.
Ils charpentèrent, avec le concours de leurs bons amis de Genappe, contre l'honorable Ministre un roman odieux, absurde, invraisemblable.
A qui essaiera-t-on de persuader que le chef du gouvernement irait faire ses confidences un blagueur socialiste de Loncée-Loupoigne ; qu’il le convoquerait dans son cabinet pour lui donner des instructions sur l'art de troubler les meetings libéraux ; qu'il le recevrait bien mystérieusement, bien secrètement, en tête à tête, à déjeuner et le piloterait ensuite travers les couloirs des cabinets ministériels pour le faire sortir par une porto dérobée ?
Avons-nous besoin de dire que toute cette histoire était un tissu de mensonges, de calomnies dont les tristes inventeurs se repentirent devant les tribunaux ?
Après l'invention du complot Art, justement flétrie par le Peuple, la calomnie de l'impôt sur le pain fut exploitée avec une incroyable ténacité et non sans quelque succès auprès de la classe laborieuse. Le ballottage du 21 octobre se présenta dans les conditions les plus difficiles pour les catholiques de l'arrondissement de Nivelles. Ils avaient à faire face à deux adversaires qui, au premier scrutin, avaient obtenu ensemble une majorité de 6,021 voix et qui marchaient la bataille étroitement unis contre « l'ennemi commun », le ministère clérical… Il fallait en huit jours regagner plus de 6,000 voix.
La tâche était rude, mais non au-dessus de la vaillance de nos braves amis... Huit jours suffirent pour regagner 5,400 voix... M. de Burlet échoua à un très petit nombre de voix : il suffisait d'en déplacer 200 sur 60,000 ! Il arriva second sur la liste catholique, avec une bonne avance sur M. Olin, à qui M. de Burlet avait prédit son échec et qui tomba une seconde fois meurtri sous Ie suffrage populaire.
Quelle admirable lutte ! Ce fut le cri réconfortant et vrai que poussa M. de Burlet en arrivant au Cercle catholique de Nivelles, le 22 octobre ; spectacle plein de grandeur, qui transporta d'enthousiasme la foule énorme qui se pressait autour de son cher ministre. Jamais nous ne l'avons entendu plus fier, plus grand, plus entraînant. Quelle verve et quel cœur !
Huit jours plus tard, la majorité libérale du Conseil provincial du Brabant s’effondrait… Et M. de Burlet, après s'être vu offrir une candidature de sénateur provincial par sept conseils provinciaux sur neuf, entrait au Sénat par la province de Brabant.
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Si sa carrière ministérielle ne fut pas longue, elle n'en fut pas moins marquée par des événements importants et des mesures utiles au pays. On n'oubliera pas la législation scolaire dont il nous a dotés ; la loi électorale dont il fut le promoteur et qui a sauvé bon nombre de nos communes de l'invasion des rouges.
M. Jules de Burlet apportait à la tribune parlementaire une éloquence puissante et virile. Ce n'était pas un de ces phraseurs méthodiques et pédagogiques qui provoquent l'ennui autour d'eux. Il mettait dans ses discours de la vigueur, de l'humour, de l'esprit et de l'à-propos. La presse libérale avait beau l'appeler M. Pantalon ou tueur de faisans. Ces plaisanteries, d'un goût plus que douteux, ne l'atteignaient pas et il était le premier à en rire.
Nous nous rappelons qu'à la veille de l'ouverture de la chasse en 1893, il fut le premier l'annoncer à ses amis en leur disant : « Enfin je pourrai tirer des faisans ! »
Est-il besoin d'ajouter ici que la ridicule histoire des écuyères n'a jamais existé que dans l'imagination de ses inventeurs ?
Un des côtés caractéristiques de M. de Burlet était son goût très prononcé pour les Beaux-Arts. Jamais les artistes n'ont eu et n'auront plus un ministre aussi dévoué. M. Buls en rendit un jour le témoignage non suspect.
La restauration des ruines de l'abbaye de Villers ne sera pas l’une des moindres glores de l’administration de M. de Burlet.
Il s’est vivement intéressé à la réfection de l'imposante collégiale de Sainte-Gertrude où sa dépouille mortelle recevra dans quelques heures la suprême bénédiction de l'Eglise.... Nivelles lui fera des funérailles grandioses. Nivelles où il a passé ses plus belles années, Nivelles où il a trouvé doux de venir mourir... Sous le beau ciel de Portugal, il avait la nostalgie de la place Saint-Paul, de ses Aclots tant aimés... Autrefois, à l'époque des vacances, c'était toujours avec bonheur que les Nivellois assistaient aux préparatifs qui se faisaient à l'hôtel ; la semaine dernière on hochait la tête en passant devant cette maison dont le maître rentrait malade, épuisé, mais heureux cependant de revoir encore le cher clocher et tant de fidèles amis.
Le souvenir de M. Jules de Burlet ne s'effacera pas du cœur des catholiques belges.
Il a combattu le bon combat. Prions pour lui. (H. R.)
(Extrait de : BARTELOUS Jean, Nos premiers ministres de Léopold Ier à Albert Ier, Bruxelles, J.M. Collet, 1983, pp. 216-220)
Jules de Burlet méritait mieux que le demi-oubli dans lequel son nom est tombé. Cet homme de bien appartenait à une vieille famille installée dans nos provinces depuis la fin du XVIème siècle. Un de ses ancêtres avait été avocat au grand Conseil de Malines, un autre officier des dragons de Latour et lui-même était né au mois de novembre 1844 à Ixelles, petit faubourg de la capitale. Il possédait de solides attaches dans le terroir belge.
Sorti à 22 ans, de l'université de Louvain, avec le grade de docteur en droit, il s'était inscrit au barreau de Nivelles où ses parents étaient installés et s'était voué avec ardeur à sa profession d'avocat. Sa science juridique, jointe à une activité débordante, lui avait bientôt valu un cabinet important et le parti catholique eut l'habileté de s'attacher cet homme dont l'avenir paraissait brillant. Placé à la tête du parti lors des élections communales de 1872, il avait reçu mission de renverser la majorité libérale de cette charmante ville du Brabant wallon. Son succès fut total et pendant près de vingt ans il avait été honoré de la première magistrature de la cité, il eut même la chance de conserver sa majorité au conseil communal en 1878 l'année même où Frère-Orban était revenu au pouvoir. Pour le punir de son succès, le ministre de l'Intérieur refusa de le nommer bourgmestre et durant les six années qui suivirent, il en exerça les fonctions sans en avoir le titre. Ce n'était là qu'un incident de la guerre scolaire dont les mesquineries cessèrent au lendemain de la chute du cabinet Frère-Orban. Durant ces six années de lutte politique intense, son ardeur avait fait de lui un des fondateurs de la ligue pour le redressement des griefs et sa popularité lui valut d'être « lu, membre de la Chambre aux élections triomphales du mois de juin 1884.
Au Parlement, il s'avéra immédiatement un partisan fidèle d'Auguste Beernaert ; il appartenait à une minorité de la droite qui au cours de l’été 1887 vota la proposition du comte d'Oultremont prévoyant la suppression du remplacement et l’instauration du service militaire obligatoire. Malheureusement, les électeurs censitaires de Nivelles n’aimaient ni l’armée ni le service militaire, et, aux élections de 1888 ils envoyèrent de Burlet à son cabinet d’avocats.
Peut-être ne serait-il plus jamais rentré au Parlement si, en 1891, le chef de cabinet n'avait fait appel à son concours, pour remplacer Melot, ministre de de Intérieur, de santé chancelante et en désaccord total au sujet de la nécessité de la révision constitutionnelle.
Pourquoi Beernaert fit-il appel à un extra-parlementaire pour remplacer le ministre sortant alors que la majorité catholique au Parlement demeurait écrasante. La raison vaut la peine d'être exposée, car elle montre combien, dès cette époque, la question communautaire jouait de manière latente un certain rôle dans la vie belge. Tous les ministres, en effet, à la seule exception de Melot, étaient les élus des arrondissements flamands. Au Roi, qui aurait voulu nommer un représentants des provinces du Nord au poste devenu vacant, Beernaert fit remarquer que dans ces conditions, les arrondissements wallons n'auraient plus été représentés au gouvernement. Le Roi s'inclina et Beernaert ne trouvant, parmi les élus wallons, aucun candidat à la révision constitutionnelle, fit appel à Burlet, dont il avait apprécié le dynamisme et la fidélité.
Il est intéressant de remarquer que Jules de Burlet donna immédiatement sa démission de bourgmestre "de Nivelles, n'acceptant même pas d'en conserver le titre honorifique ou de confier la direction effective de la ville à l'un de ses échevins.
Durant les années agitées qu'allait traverser la Belgique pendant la révision constitutionnelle, de Burlet ne fut peut-être qu'un brillant second mais pouvait-il en être autrement alors que le chef de cabinet s’appelait Auguste Beernaert et n'est-ce pas un immense mérite que d'avoir en ces heures difficiles, évité au pays les affres des heures rouges que la Belgique avait connues au printemps 1886.
Au moment de sa démission, Auguste Beernaert avait conseillé au Roi de faire appel au comte de Smet de Naeyer dont il avait apprécié la valeur. Léopold II ne crut pas devoir suivre le conseil et appela près de lui Jules de Burlet, et il est probable que le Souverain hésita à confier les responsabilités du pouvoir à un homme qu’il ne connaissait que peu, qui n’avait jamais été ministre et n'avait donc pas l'expérience des affaires.
Jules de Burlet, de chargé de reconstituer le cabinet, confia à de Smet de Naeyer les Finances abandonnées par Beernaert, donna le portefeuille de la Justice à Begeren, qui succédait ainsi à Jules Lejeune dont Beernaert s'était assuré la collaboration durant six ans et qui a laissé dans l'histoire judiciaire un si grand souvenir. Bien que partisan de la représentation proportionnelle, le nouveau cabinet crut devoir retirer le projet déposé à la demande de Beernaert, mais pour lequel visiblement il n'y avait pas de majorité. Peut. être le nouveau chef de cabinet n'avait-il pas de programme personnel bien établi et donnait-il souvent l'impression de présider plus que de diriger le cabinet. Au surplus, son passage à la tête des affaires ne fut-il marqué que par peu d'événements.
En 1895, le comte de Mérode-Westerloo, ministre des Affaires Etrangères, déposa avec l'assentiment de ses collègues un projet prévoyant la reprise du Congo par la Belgique. Ce projet avait été déposé à la suite d’un incident assez sérieux avec le souverain. Léopold Il en effet, était amené à devoir rembourser un emprunt contracté quelques années au préalable auprès d'un banquier anversois à des conditions léonines. Or, le Roi n'avait pas les moyens de faire face ses obligations, et le comte de Mérode crut à juste titre qu'il fallait empêcher à tout prix, à l'avenir, renouvellement de pareilles situations. Il négocia un traité de reprise entre la Belgique et l'Etat indépendant. S'était-il engagé un peu vite ? Quoi qu’il en soit, l'opinion publique n'était pas mûre pour la reprise et le Roi ne la souhaitait pas. Une formule transactionnelle fut trouvée délivrant le Roi de soucis financiers et remettant à plus tard la reprise des possessions africaines. Discrètement désavoué par ses collègues, le ministre démissionna, et Jules de Burlet prit le portefeuille des Affaires Etrangères en même temps qu'il faisait entrer au gouvernement Frans Schollaert en qualité de ministre de l'Intérieur, et Albert Nyssens à qui il confia le nouveau ministère de l’Industrie et du Travail.
Frans Schollaert commença une carrière qui devait le conduire au sommet du pouvoir en déposant un projet de loi scolaire complétant celui de 1884, et prévoyant l'enseignement obligatoire de la religion dans les écoles primaires sauf demande de parents. Ce projet autorisait en même temps le gouvernement à subsidier les écoles libres qui n'avaient été adoptées par les communes. La mesure était probablement excessive et inutile car dans les grands centres urbains les majorités libérales s'arrangèrent pour que les parents demandent pour leurs enfants la dispense de suivre le cours de religion.
Quant à la seconde proposition, elle ouvrait la voie à ce soutien financier par l'Etat d'un second réseau d'enseignement et correspondait en fait la volonté d’une grande partie de la population. Le projet marquait le triomphe du programme du parti catholique
Tout aussi intéressant est le projet des lois sociales déposé par Albert Nyssens, qui complétait le programme prévu par Auguste Beernaert, huit ans auparavant. Malheureusement, le cabinet n'eut pas l'occasion de le faire voter, car un incident amena la brusque démission de de Burlet
Au cours de la discussion du budget de la Guerre en février 1896, le chef de cabinet prenant la parole, laissa entendre qu'il était partisan du service personnel. De sa petite voix aigre, Woeste l'interrompit, pour lui demander, s'il avait pris l'avis de ses collègues à ce sujet, puis, montant à la tribune, le leader de la droite se livra une attaque en règle contre le chef de cabinet disant en termes fort durs que la majorité ne partageait pas ses opinions et qu'il se réservait le droit de voter contre une pareille proposition. Pris de court devant cette attaque à laquelle il ne s'attendait pas, de Burlet se leva pour y répondre. Aucun son ne sortit de sa gorge.
Ramené d'urgence au ministère, le chef de cabinet dut s’aliter, mais son médecin ayant déclaré que sa santé exigeait un repos absolu, il envoya dès le lendemain sa démission au Roi et quitta le Parlement pour se faire nommer peu après ministre de Belgique au Portugal, en espérant que la douceur du climat rétablirait sa santé.
MaIheureusement, il ne devait pas rester longtemps à Lisbonne. Son état s'aggravant rapidement, il dut revenir au début de 1897 dans sa bonne ville de Nivelles où il s'éteignit paisiblement le 1er mars.
Dans la série de ces portraits [des premiers ministres], Jules de Burlet ne figure pas au premier rang mais il demeure parmi les hommes de bien aux idées généreuses qui ont essayé de faire un peu de bien, et faire un peu de bien c'est déjà beaucoup.