D'Hoffschmidt de Resteigne Constant, Ernest libéral
né en 1804 à Recogne-lez-Noville décédé en 1873 à Noville (Luxembourg)
Ministre (affaires étrangères) entre 1845 et 1852 Représentant entre 1839 et 1863, élu par l'arrondissement de Bastogne(Extrait de : E. TANDEL, Les Luxembourgeois ministres, dans Annales de l’Institut archéologique du Luxembourg, tome XXI, 1889, pp. 785-795)
M. Constant d'Hoffschmidt, né à Recogne (Noville) le 7 mars 1804, fut successivement membre des états provinciaux, député permanent, vice-président du conseil provincial, conseiller des mines, représentant, vice-président de cette Chambre, ministre des travaux publics et ensuite des affaires étrangères, sénateur et ministre d'Etat.
Son père, M. Ernest d'Hoffschmidt, après avoir occupé diverses fonctions importantes, fut nommé par le roi, en 1815, membre de la seconde chambre des états généraux. Réélu en 1817, la mort, l'année suivante, mit un terme à son mandat.
Suivant les traditions paternelles, M. Constant d'Hoffschmidt, dès qu'il eut atteint l'âge d'éligibilité, fut nommé, le 1er juin 1830, par l'ordre équestre, membre des états provinciaux. Dans cette assemblée il fut le défenseur convaincu des idées de liberté et d'indépendance qui devaient amener la constitution de la nationalité belge.
Lorsque la révolution de septembre donna une sanction aux sentiments patriotiques du pays, il contribua par son activité et son énergie à rendre plus prompte et plus rapide la reconnaissance par les populations luxembourgeoises de l'autorité du gouvernement provisoire. Le 3 novembre 1830, les électeurs du district de Diekirch l'élirent comme député suppléant au Congrès où il ne fut pas appelé à siéger.
Le gouvernement provisoire ne tarda pas à reconnaitre les services qu'il rendait à la cause nationale. La ville de Luxembourg, forteresse fédérale, n'avait pu s'associer au mouvement qui avait entrainé le restant de la province, aussi un arrêté du 16 octobre 1830 avait transféré à Arlon le siège de l'administration provinciale. La députation des états se composait du gouverneur et de sept membres, dont deux seulement, MM. de Mathelin et Marlet, se rendirent dans cette dernière ville pour y exercer leurs fonctions avec M. Thorn, le nouveau gouverneur. Par arrêté du 11 janvier 1831, le gouvernement provisoire nomma cinq députés permanents pour le Luxembourg parmi lesquels, malgré son jeune âge, se trouvait M. d'Hoffschmidt. C'était là un noble témoignage de confiance donné, dans ces circonstances difficiles, à un homme à peine entré dans la vie publique et qui néanmoins avait déjà su faire apprécier sa valeur.
La mission de la députation avait alors une importance particulière dans notre province à cause des complications politiques et diplomatiques résultant de l'attitude de la conférence de Londres.
En ce qui concerne l'administration, il n'existait ni loi provinciale, ni loi communale ; c’étaient les anciens règlements du régime antérieur qu'il fallait appliquer et faire concorder avec les institutions nouvelles. De plus les états provinciaux avaient cessé d'exister et les conseils provinciaux ne furent créés qu'en 1836.
Pendant ces six années, qui compteront parmi les plus importantes de l'histoire du Luxembourg, la députation administra la province d'une manière quasi omnipotente et pour ainsi dire sans contrôle. Elle agit avec tant de sagesse et de prudence que, malgré les difficultés sans nombre qu'elle rencontra, sa gestion ne souleva ni plainte, ni réclamation, ni grief. C'est là un fait remarquable qui, plus que tout éloge, montre à quel point elle a veillé à donner satisfaction aux intérêts particuliers et généraux de la province pendant ces temps difficiles.
La mission politique que lui donnèrent les évènements importants de cette époque était particulièrement grave. La conférence de Londres voulait obliger la Belgique à renoncer au Luxembourg, un corps de troupes allemandes était réuni à Trèves pour envahir la province et expulser les autorités belges, le gouverneur représentant le roi Guillaume à Luxembourg ne cessait de répandre des proclamations dans la province pour exciter les habitants à refuser l'obéissance au gouvernement nouveau, enfin des bandes armées cherchaient par l'insurrection et la violence à rétablir l'ancien ordre de choses. Celles-ci parvinrent même à s'emparer de la personne du gouverneur M. Thorn, qui visitait sa propriété près de Luxembourg, et à l'amener prisonnier dans cette dernière ville.
On comprend combien la tâche de la députation, dans de telles circonstances, présentait de difficultés. Non seulement il fallait prendre toutes les mesures administratives nécessaires au maintien des institutions existantes, mais il était aussi indispensable de veiller à leur exécution, de façon à empêcher qu'un acte maladroit devint un grief et éventuellement la cause d'un conflit.
M. d'Hoffschmidt, le plus jeune des députés, eut naturellement à accomplir de nombreuses missions qui demandaient à la fois de la prudence et de l'énergie ; c'était surtout dans les communes voisines de Luxembourg qu'une grande surveillance était nécessaire. Comme il se trouvait à Eich pour une mission de ce genre, il entendit arriver la garnison de Luxembourg qui faisait une promenade militaire. Immédiatement le drapeau belge fut arboré, d'après ses ordres, au balcon de la maison où se plaça le député permanent pendant le passage des soldats. Il risquait ainsi de subir le sort de M. Hanno, commissaire d'arrondissement, qui fut enlevé de Bettembourg pour être emprisonné dans la forteresse ; mais le courage qu'il montra en cette circonstance fut récompensé : les troupes prussiennes respectèrent l'autorité belge et le drapeau qui représentait notre pays.
Lors de la formation des conseils provinciaux en 1836, M. d'Hoffschmidt fut élu conseiller par le canton de Sibret, le 29 septembre. Ses collègues le choisirent comme vice-président pendant cette session. Son mariage avec la fille du baron de Stenhault, gouverneur de la province, avait fait naitre une cause d'incompatibilité légale qui l'empêcha de continuer à faire partie de la députation permanente.
Lors de la création du conseil des mines, il fut nommé membre de ce corps, le 27 mai 1837, fonction qu'il exerça avec distinction et talent jusqu'en 1845, lorsqu'il devint ministre des travaux publics.
M. François d'Hoffschmiùt, commissaire de l'arrondissement de Bastogne, représentait ce district à la Chambre depuis i831. A titre de protestation contre le vote de cette assemblée qui avait donné son approbation au traité du 19 avril 1839 par lequel le Luxembourg était morcelé, le représentant de Bastogne donna sa démission. Le 29 juillet de cette année, le collège électoral de cet arrondissement nomma pour le remplacer son frère Constant, qui entra ainsi dans la vie politique où il devait avoir un rôle important.
L'un de ses premiers actes parlementaires concernait le Luxembourg dont en toutes circonstances, durant sa longue carrière, il s'est attaché à défendre les intérêts. Le nouveau député demanda au gouvernement de maintenir les droits de la Belgique sur Martelange. Le traité du 19 avril, tout en décidant que la route d'Arlon à Bastogne ferait partie du territoire belge, disait aussi que ce village appartiendrait au Grand-Duché, parce que, pour établir la limite, la conférence, ayant à sa disposition une ancienne carte, avait pris pour base l'ancien tracé de la route susdite et non celui qui l'avait remplacé. Comme on le sait, Martelange resta belge.
Le 7 décembre 1839 il prononça un important discours politique dans lequel il attaquait les actes du cabinet, à qui il demandait pour le Luxembourg des dédommagements devant réparer les maux causés à cette province par le traité que les ministres avaient soutenu devant les Chambres.
Guidé par le même intérêt luxembourgeois, il s'opposa, dans le cours de cette session, à l'aliénation des forêts domaniales. Bien que nouveau venu à la Chambre, il fut nommé rapporteur de la loi sur les péages des chemins de fer. Lui-même déposa une proposition de loi sur la police du roulage.
Dès l'ouverture de la session suivante, lors de la discussion de l'adresse, il manifesta ses regrets, parce qu'elle ne contenait aucune parole de sympathie pour les populations cédées à la Hollande. Il prit ensuite une part importante à différents débats, notamment à ceux relatifs à la loi sur les chemins vicinaux, à celle concernant les pensions, ainsi qu'à diverses affaires relatives au Luxembourg. Lors de la discussion du budget des travaux publics, il réclama pour cette province l'exécution d'un chemin de fer, l'ouverture de routes et l'achèvement du canal de Meuse et Moselle.
Le représentant de Bastogne, qui avait combattu le ministère de Theux, appuya de ses votes le cabinet Lebeau-Rogier en 1840. Lorsqu'après l'adresse du Sénat, ce ministère donna sa démission, des démarches furent faites auprès de M. d'Hoffschmidt afin de le faire entrer comme ministre des travaux publics dans la combinaison nouvelle. Mais il refusà de prendre part à la succession d'un cabinet dont il partageait les opinions.
Pendant la session 1841-1842, il réclama de nouveau à plusieurs reprises un chemin de fer pour le Luxembourg, des routes et l'achèvement du canal de Meuse et Moselle. Voici un extrait du discours qu'il prononça le 6 septembre 1842 dans la discussion relative à un emprunt de vingt-cinq millions destinés à l'exécution de travaux d'utilité publique. Il s'exprima en ces termes, après avoir rappelé que l'article 2 de la loi du 26 mai 1837 stipulait que le Luxembourg serait rattaché au chemin de fer :
« (…) Qu'y a-t-il de plus sérieux que la loi ? Quel est le membre de cette Chambre, parmi ceux qui ont voté l'article 2 de la loi du 26 mai 1837, qui viendrait dire maintenant qu'en le votant il faisait une espèce de restriction mentale et que son but était en quelque sorte de tromper ses collègues ? Messieurs, j'ai trop bonne opinion de mes honorables collègues pour croire qu'aucun d'eux eut pu jamais avoir cette pensée.
« S'appuierait-on aussi sur ce qu'il y a impossibilité de construire une ligne de chemin de fer dans le Luxembourg ? D'ailleurs, si cette impossibilité était constatée, nous aurions toujours droit à une compensation. Mais, messieurs, cette impossibilité n'existe point surtout depuis qu'on a reconnu que les rampes des chemins de fer peuvent être beaucoup plus fortes qu'on le croyait d'abord. On peut voir dans le rapport de M. le ministre des travaux publics qu'une commission d'ingénieurs, envoyés par lui en Angleterre, a reconnu que les locomotives peuvent circuler sur des pentes d'un centième ; ils en ont même trouvé en Angleterre qui s'élèvent jusqu'à un trente-septième, tandis que les rampes que nous avons à notre chemin de fer ne dépassent guère quatre millièmes.
« Naguère on croyait encore que les locomotives ne pouvaient circuler que sur des courbes d'environ mille mètres de rayon ; depuis on a reconnu que c'était là aussi une erreur, et on admet maintenant des courbes de cinq cents mètres de rayon, on en admet même de deux cents.
« Enfin pour la ligne du Luxembourg il aurait suffi d'une seule voie. Ainsi, Messieurs, avec ces trois conditions que je viens de signaler, il eut été facile de faire un chemin de fer dans cette province, quelqu'accidentée qu'elle soit. »
Cet extrait présente de l'intérêt en ce sens qu'il indique les obstacles qui s'opposaient à cette époque à l'exécution du chemin de fer que l'on considérait comme impossible dans une province aussi accidentée.
La loi du 29 septembre 1842 abrogea celle qui vient d'être citée en ce qui concerne le Luxembourg, vu l'impossibilité, qu'on croyait établie, d'y exploiter un chemin de fer. En compensation un crédit de deux millions lui fut alloué à l'effet d'augmenter le nombre de ses routes. C'est en grande partie aux efforts persévérants de M. d'Hoffschmidt que la province est redevable d'avoir obtenu cet important avantage.
Il serait trop long d'énumérer ici les nombreux discours prononcés par le député de Bastogne pendant les diverses sessions qui précédèrent son entrée au ministère des travaux publics. Dans chacune d'elles il redemandait avec persistance pour le Luxembourg un chemin de fer puis des routes, tant il avait à cœur de développer dans notre province les voies de communication.
Voici les diverses questions sur lesquelles M. d'Hoffschmidt prit la parole : travaux publics, tarifs des chemins de fer, loi sur l'instruction primaire, réforme communale, convention commerciale avec la France, discussion politique concernant les actes du cabinet, convention commerciale avec l'Espagne, questions commerciales, douanes, chemins de fer, concessions de péages, loi électorale, impôts, vente des forêts domaniales, conversion et emprunt, droits différentiels, droit fiscal sur la naturalisation, loi sur les pensions, régime douanier à la frontière grand-ducale, protection des bois indigènes en matière de douane, minerais du Grand-Duché, situation du Luxembourg quant à l'impôt foncier, traitement des magistrats, des commissaires d'arrondissement et du personnel des mines, loi relative à la nationalité des Luxembourgeois de la partie cédée, service des postes, etc., etc.
Pendant les sessions de 1843-1844 et 1844-1845, M. d'Hoffschmidt fut vice-président de la Chambre. Le roi le nomma chevalier de l'Ordre de Léopold, le 1er juin 1845. Le ministère mixte ayant pour chef M. Van de Weyer fut constitué le 30 juillet 1845 ; le représentant de Bastogne en fit partie comme ministre des travaux publics et garda la direction de ce département jusqu'au 31 mars 1846.
C'est à ce moment de sa carrière que M. d'Hoffschmidt rendit au Luxembourg un service éclatant qui toujours restera inscrit dans les annales de notre province.
Comme nous l'avons vu, le représentant de Bastogne, depuis son entrée à la Chambre, n'avait cessé de réclamer pour le Luxembourg un chemin de fer et des routes. Dès qu’il fut à la tête du département des travaux publics, il voulut réaliser le programme qu'il s'était tracé et il y réussit.
Une société anglaise demanda la concession d'une ligne partant de la vallée de la Meuse près de Dinant pour aboutir à Arlon, mais elle reconnut bientôt que dans ces conditions l'entreprise ne serait pas rémunératrice. C'est alors qu'elle demanda la concession d'une ligne partant directement de Bruxelles, et destinée à se prolonger en France et dans le Grand-Duché. Le ministre, convaincu que le seul moyen d'obtenir un chemin de fer dans le Luxembourg était d'en faire une ligne internationale partant de la capitale, accéda à la demande de la société.
Seulement, en accordant à celle-ci l'immense avantage d'avoir la plus grande voie ferrée du pays, le ministre voulut que le Luxembourg en profitât le plus largement possible et il exigea de la compagnie l'engagement d'établir les embranchements de l'Ourthe et de Bastogne.
Telle est l'origine de ce dernier embranchement dû uniquement à l'initiative personnelle du Ministre. Si Bastogne n'avait pas eu à cette époque son représentant au ministère, il est évident que cet embranchement n'aurait pas figuré dans l'acte de concession. C'est à son mandataire, toujours sur la brèche pour défendre ce puissant intérêt, que la capitale des Ardennes a dû cet avantage dont elle profite aujourd'hui.
La compagnie déposa un cautionnement de cinq millions de francs et la convention par laquelle étaient concédés le chemin de fer de Luxembourg et les embranchements précités fut signée les 13 et 20 février 1846. Elle porte la signature d'un ministre luxembourgeois : M. d'Hoffschmidt. Le 4 mars de cette année, il déposa à la Chambre le projet de loi portant approbation de cette concession, Si le député luxembourgeois veilla tout particulièrement aux intérêts de la province afin de lui faire obtenir le chemin de fer désiré par tous ses compatriotes, il chercha également par l'établissement de routes nouvelles à développer la prospérité dans les localités qui en étaient privées.
Comme ministre, il eut à intervenir à la Chambre et au Sénat dans toutes les questions qui concernaient son département et s'acquitta de cette tâche importante avec capacité et talent. Parmi ces nombreuses questions nous n'en citerons qu'une pour prouver l'âge avancé qu'elle a atteint aujourd'hui. Le 30 janvier 1846, le ministre eut à fournir à la Chambre des explications concernant la sécurité du tunnel de Braine-le-Comte ; on sait combien de fois, depuis lors, cette question a fait l'objet d'interpellations à la Chambre.
Le ministère se retira le 31 mars. Pendant les négociations destinées à former le cabinet nouveau, M. d'Hoffschmidt dut d'abord entrer dans un ministère formé par M. Rogier qui posait comme condition de son acceptation la dissolution éventuelle, ce qui ne fut pas accepté. Il fut ensuite chargé par le roi, avec M. Dumon-Dumortier, de constituer un cabinet, mais cette dernière combinaison n'aboutit point.
Le projet de loi relatif à la concession du chemin de fer de Luxembourg ne fut discuté par la Chambre qu'après la retraite de M. d'Hoffschmidt du ministère, c'est-à-dire du 2 au 10 juin 1846. Néanmoins, il prit naturellement une part importante à ces débats. C'était évidemment plutôt lui que son successeur qui avait à justifier cet acte devant l'assemblée. Les objets principaux de cette discussion furent ceux-ci : ligne directe de Bruxelles à Namur ; direction par Dinant plutôt que par Ciney ; article 47 du cahier des charges par lequel toute ligne concurrente ne pouvait être établie pendant une durée de douze ans ; amendement de M. de Mérode donnant au gouvernement la faculté de renoncer à la construction de l'embranchement de Bastogne. M. d'Hoffschmidt combattit avec vigueur cette proposition ; les arguments qu'il fit valoir étaient si puissants que M. de Mérode retira son amendement. Le projet de loi fut voté à une forte majorité.
Pendant le court espace de temps qui sépare la sortie et la rentrée au ministère de M. d'Hoffschmidt, ce député prit une part active aux débats parlementaires et s'occupa entre autres des questions suivantes : loi sur le défrichement des terrains incultes, répartition de l'impôt foncier dans le Luxembourg, exploitation des chemins de fer, crédit affecté au défrichement et aux irrigations, douanes, loi sur la milice, réforme postale, cautionnement de la compagnie du Luxembourg dont deux cinquièmes furent spécialement affectés à la ligne de Namur à Arlon.
Les élections de 1847 avaient amené la retraite du ministère catholique ; M. Rogier fut alors appelé à constituer un cabinet libéral homogène qui compta parmi ses membres M. d'Hoffschmidt, auquel échut le portefeuille des affaires étrangères.
Le cabinet du 12 août 1847 a conquis dans l'histoire une page mémorable. Tandis que sur tout le continent la révolution renversait les trônes ou détruisait les institutions, la Belgique, au milieu de tous ces dangers intérieurs et extérieurs, sut conserver un calme parfait qui fit l'admiration de l'Europe. Des réformes politiques donnaient satisfaction aux populations, pendant que le gouvernement, par sa sagesse, parvenait à éviter toute intervention de l'étranger.
A peine M. d'Hoffschmidt était-il à la tète du département des affaires étrangères qu'un incident diplomatique très grave obligea le ministre à agir avec fermeté et énergie, sans dépasser les limites qu'indiquait l'état politique du pays.
M. Leclercq avait été nommé ministre plénipotentiaire de Belgique auprès de la cour de Rome et le gouvernement pontifical, ce qui était un acte aussi extraordinaire qu'exceptionnel, avait déclaré ne pas vouloir accepter cet envoyé belge. Ce conflit à la fois diplomatique et national, avait un caractère essentiellement politique. Accepter sans protestation le refus du gouvernement pontifical eut été une humiliation pour le pays ; rompre brusquement toute relation avec le Saint-Siège aurait pu rendre à l'opinion catholique la prépondérance qu'elle venait de perdre. Le ministre, dans cette affaire délicate, sut allier la dignité à la prudence ; aussi, lors de la discussion de l'adresse, la Chambre et le Sénat donnèrent une éclatante et unanime sanction au ministre des affaires étrangères.
La révolution du 24 février 1848, renversant le trône de Louis-Philippe, proclamant la république et provoquant en Europe des mouvements insurrectionnels dont les conséquences furent très-graves, mettait l'état politique de la Belgique en péril : il fallait conjurer les dangers qui se présentaient.
Dans cette situation difficile, c'était surtout le ministre des affaires étrangères qui avait à veiller au salut commun. Jamais les relations de la Belgique avec les puissances étrangères n'avaient réclamé une main plus calme et plus prudente : traités, nationalités, délimitations de territoires, formes de gouvernement, droits de la propriété, relations de famille, tout se trouvait remis en question. La situation de la Belgique était surtout délicate vis-à-vis de la France, où le beau-père de notre roi avait été oblige de fuir devant la république triomphante.
Un manque de tact, une démarche imprudente ou seulement hasardée, la moindre faute risquaient d'attirer les plus graves dangers sur un petit Etat qui voulait à la fois conserver sa neutralité et son indépendance. Dès le 5 mars 1848, M. d'Hoffschmidt obtint de M. de Lamartine, ministre des affaires étrangères en France, la déclaration officielle et écrite par laquelle le gouvernement provisoire reconnaissait la nationalité belge et garantissait le maintien des traités qui ont formé et assuré l'existence du royaume de Belgique.
Quand on se reporte à cette époque de crises et d'orages, on doit reconnaître que M. d'Hoffschmidt. s'éleva à la hauteur des circonstances par le talent et le patriotisme dont il a donné des preuves pendant cette époque agitée. Il occupait le poste le plus élevé et par ce fait encourait la responsabilité la plus grande. Cette responsabilité il peut l'accepter tout entière parce qu'il est parvenu à préserver le pays de tous les périls qui l'ont menacé.
Pendant les cinq années que le représentant de Bastogne passa à la tête du département des affaires étrangères, il eut à discuter devant les Chambres les questions les plus importantes et les plus difficiles. Les relations avec les puissances étrangères, les négociations diplomatiques, les traités de commerce et tout ce qui se rattache à ce vaste domaine, ainsi que les diverses matières concernant le département formaient l'élément ordinaire des débats auxquels prenait part le ministre. A cela s'ajoutaient les discussions où il avait à intervenir, notamment lorsqu'il s'agissait de défendre les intérêts du Luxembourg.
En 1851, cinq années après le vote de la concession, le chemin de fer de Luxembourg n'était pas encore commencé ; il fallait la garantie d'un minimum d'intérêt sans laquelle la Compagnie n'aurait pas exécuté son entreprise. Le cabinet dans lequel se trouvaient deux Luxembourgeois, déposa un projet de loi accordant ce minimum d'intérêt.
Cette proposition fit de nouveau naitre une forte opposition en ce qui concerne les embranchements, et dans la séance du 20 août, M. Malou proposa un amendement tendant à dispenser le gouvernement de construire ceux-ci.
La discussion qui eut lieu à ce sujet présente aujourd'hui de l'intérêt parce qu'elle permet d'apprécier combien les orateurs de l'opposition se faisaient alors une fausse idée de ce que pourraient devenir la grande ligne internationale qui existe aujourd'hui ainsi que ses affluents.
Le représentant de Bastogne, comme ses collègues de la province combattirent énergiquement l'amendement de M. Malou qui fut rejeté par 54 voix contre 24. Le projet de loi fut adopté.
Le 31 octobre 1852, le ministère se retira à la suite de l'échec qu'il éprouva lors de la nomination du président de la Chambre.
M. d'Hoffschmidt, bien qu'il ne fut plus que député, continua à prendre part aux discussions relatives aux deux départements qu'il avait administrés. En 1853 un crédit de 75,000 fr. avait été proposé pour distribuer de la chaux dans les Ardennes et naturellement le député de Bastogne soutint une proposition destinée à favoriser particulièrement son arrondissement. Elle rencontra une vive opposition. Après une discussion de plusieurs jours le crédit fut réduit à 40,000 francs, mais au second vote le chiffre primitif de 75,000 francs fut rétabli, ce qui constituait une victoire remportée par le représentant des intéressés. Aussi l'année suivante M. d'Hoffschmidt fut-il nommé rapporteur d'un projet de crédit semblable, qui fut adopté par 35 voix contre 30 et 5 abstentions.
Nommé le 9 juin 1854, officier de l'ordre de Léopold, il succomba aux élections du 13 juin de cette année, qui furent défavorables à l'opinion libérale. Son compétiteur, M. le notaire Lambin de Houffalize, avait obtenu 263 voix, tandis que 257 suffrages lui étaient échus. Cette élection fut attaquée devant la Chambre qui ne valida ce scrutin que le 8 décembre, après plusieurs discussions successives et diverses vérifications relatives aux points contestés.
Les événements de 1857 amenèrent la dissolution de la Chambre. M. d'Hoffschmidt fut réélu par son ancien arrondissement et rentra dans l'assemblée dont il avait été éloigné pendant trois ans.
Rapporteur du budget des travaux publics en 1858, 1859 et 1860, ainsi que de la loi relative aux consuls, il prit part en outre à divers débats concernant la réforme postale, les wateringues, la libre sortie du charbon de bois dans le Grand-Duché, les subsides pour la voirie, la loi augmentant le nombre des députés, la concession des péages, les traités de commerce avec la France et avec l'Angleterre, divers autres traités dont il était le rapporteur. les tarifs de chemins de fer, le commerce, les douanes, la reconnaissance du royaume d'Italie, le rétablissement du commissariat de Virton, l'entretien des chemins vicinaux, les barrières, les tanneries, etc.
L'extension à donner aux chemins de fer luxembourgeois et les diverses questions qui se l'attachaient à cet intérêt si important pour la province continuaient à préoccuper le représentant de Bastogne qui, chaque fois que l'occasion se présentait, ne manquait pas d'en entretenir la Chambre. Pendant la session de 1861 et celle de 1862, c'est le projet de chemin de fer de Sedan à la frontière prussienne, par Neufchâteau et Bastogne, dont il indique les avantages : cette grande ligne internationale favoriserait les parties du Luxembourg privées de voies ferrées. Pendant cette dernière session, il réclame également l'exécution de l'embranchement de Bastogne et la concession d'un chemin de fer de Spa au Grand-Duché.
A la fin de cette session un projet de loi concernant l'exécution de travaux (page 794) publics fut déposé par le gouvernement et M. d'Hoffschmidt en fut le rapporteur. Il comprenait la concession du chemin de fer de la vallée de l'Ourthe et de celui de Spa à la frontière grand-ducale par Vielsalm.
M. d'Hoffschmidt, en 1863, parvint à compléter la tâche qu'il avait commencée en 1845, en contribuant à faire admettre par la Chambre le projet de travaux publics déposé cette année s'appliquant au réseau Forcade destiné à favoriser particulièrement le Luxembourg. Il comprenait les lignes suivantes : 1° de la frontière française près Bouillon, à la frontière prussienne vers Vielsalm, par Bastogne, avec embranchement de cette ville d'un côté vers Wiltz, de l'autre à la ligne de l’Ourthe vers Hotton ; 2° d'Hastière près Givet à Vielsalm ; 3° de Bouillon à Rochefort. Telle fut la concession accordée par la loi du 31 mai 1863 et l'arrêté royal du 20 mai 1864. La province de Luxembourg et particulièrement l'arrondissement de Bastogne ne pouvaient désirer davantage.
Le 6 juin 1863, M. d'Hoffschmidt fut nommé ministre d'État : c'était une juste et légitime récompense méritée par un homme qui avait voué sa vie au service des intérêts publics.
Le 9 juin, le parti libéral subit des défaites dans différents arrondissements du pays. En même temps que M. Rogier à Dinant et M. Devaux à Bruges, M. d'Hoffschmidt échouait à Bastogne. Cette élection fut encore vivement attaquée ; la Chambre ordonna une enquête parlementaire et ce ne fut que le 31 mai de l'année suivante qu'on valida le scrutin contesté.
La loi de 1866 portant augmentation du nombre des membres des Chambres donna un sénateur de plus au Luxembourg et la circonscription Arlon-Bastogne-Marche choisit M. d'Hoffschmidt pour son mandataire.
Le nouveau sénateur, nommé grand officier de l'ordre de Léopold le 8 juin 1867, continua dans cette assemblée à s'occuper des intérêts du Luxembourg, tout en prenant part aux débats importants concernant le domaine politique ou les affaires publiques.
La situation financière du Luxembourg, qui avait à supporter des charges considérables en proportion de ses ressources, préoccupait le sénateur et en 1868 ainsi qu'en 1869, il demanda au gouvernement de mettre à l'étude la révision de l'article 69 de la loi provinciale, en motivant sa demande par une étude approfondie de la question.
L'ancien ministre qui avait signé l'acte de concession de 1845 ne pouvait certainement pas oublier les chemins de fer luxembourgeois. En 1868 il appuie une pétition de divers conseils communaux de la province demandant qu'un minimum d'intérêt soit accordé à la société concessionnaire pour l'exécution du réseau Forcade, qu'on appelait alors chemin de fer franco-belge-prussien. En 1869 il réclame à plusieurs reprises l'exécution de l'embranchement de Bastogne et demanda au gouvernement d'examiner la question du rachat des lignes concédées, tout en conseillant spécialement le rachat de la ligne du Luxembourg. En 1870, il réclame de nouveau la stricte exécution des travaux concédés dans la province.
Les élections du 2 août 1870 furent le terme de la carrière politique de M. d'Hoffschmidt. Bien qu’il eut obtenu dans l’arrondissement d’Arlon une majorité de près de deux cents voix, les résultats du scrutin à Marche et à Bastogne le firent échouer ; il avait siégé au parlement pendant plus de 25 ans dont six années passées au ministère.
Ainsi qu'on l'a vu par ce qui précède, M., d’Hoffschmidt n'a cessé de prendre la part la plus importante à la vie politique du pays. ; il a été mêlé à toutes les grandes discussions qui ont marqué les quarante premières années de notre indépendance et a toujours défendu avec un énergique talent les intérêts de la province qu'il représentait plus particulièrement.
Comme ministre des affaires étrangères, il rendit à la Belgique d'éminents services. Pendant cette époque si agitée qui suivit la révolution de l 848, lorsque le plus petit incident pouvait constituer un danger et mettre en péril la nationalité belge, il parvint par sa vigilance et sa prévoyante sagesse à surmonter ces difficultés, et après la crise, notre pays était plus fort et plus respecté qu’auparavant.
Comme ministre des travaux publics, il a signé, en 1846, l'acte de concession du. chemin de fer de Luxembourg. Le désir de tous nos compatriotes, dont la réalisation avait été jusque là jugée impossible, était à ce moment un fait légalement accompli. Cette concession, dont les conséquences futures furent si heureuses restera pour notre province l’acte le plus important et le plus méritoire de la brillante carrière que nous venons de résumer.
Aujourd’hui le réseau du Luxembourg, racheté en 1873 à la Compagnie concessionnaire, fait partie du domaine de l’Etat dont il constitue l'une des lignes les plus importantes et les plus productives ; ce chemin de fer est, devenu la grande voie internationale entre l'Angleterre, la Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg, une partie de la France, l’Alsace-Lorraine, l'Allemagne du sud, la Suisse, l'Italie et l'Orient. Qui aurait jamais pu prévoir une aussi brillante destinée ?
Comme représentant de Bastogne, M. d'Hoffschmidt a pris l'initiative de l'embranchement qui devait desservir cet arrondissement ; il l'a fait inscrire dans l'acte de concession de 1846 et n'a cessé ensuite d'en défendre victorieusement le maintien chaque fois qu'on a tenté de le supprimer. Quel est le représentant qui pourrait rendre à ses commettants un service plus important et dont les avantages qui en résultent soient plus considérables ?
M. d'Hoffschmidt est décédé le 14 février 1873 et a été inhumé à Arlon. Il était grand officier de l’ordre de Léopold et grand Cordon de la Légion d’Honneur, de l’Aigle rouge de Prusse, du Lion Néerlandais, des Saints-Maurice et Lazare d'Italie, de St-Michel de Bavière, d'Albert-le-Valeureux de Saxe, du Nichan Iftihar de première classe de Turquie et du Nichan de Tunis.
(Extrait de : N. LUBELSKI-BERNARD, dans Nouvelle biographie nationale de Belgique, t. 5, 1999, pp. 130-133)
d'HOFFSCHMIDT de RESTEIGNE, Constant, Ernest, homme politique libéral, industriel, né à Recogne (Noville-lez-Bastogne) le 7 mars 1804, décédé à Deux-Acren le 14 février 1873.
La famille d'Hoffschmidt quitta Cologne en 1619 pour s'établir dans le Luxembourg. Le père de Constant, Ernest-François (1761-1818), servit dans l'armée française avant d'être nommé, par le Roi des Pays-Bas, membre de la seconde chambre des Etats généraux (1815-1817). Il eut six enfants dont Ernest-Edouard-Joseph (1793-183ï), inspecteur dans le service forestier de la province du Luxembourg et François-Henri (1797-1854), membre des Etats provinciaux de Luxembourg (1826-1830), membre du Congrès national et de la Chambre des Représentants (1831-1839), commissaire de l'arrondissement de Bastogne (1830-1854).
Constant, le fils cadet, fit des études à l'Ecole des Mines de Liège et devint, dès juin 1830, membre des Etats provinciaux de Luxembourg où il se fit le défenseur des idées d'indépendance qui devaient mener à la scission des Pays-Bas. Après la Révolution de Septembre, les électeurs de Diekirch l'éliront député suppléant au Congrès national mais il ne fut pas appelé à y siéger. Reconnaissant les services qu'il avait rendus à la cause nationale, le gouvernement provisoire le nomma, en janvier 1831, membre le la députation permanente du Luxembourg. Il . joua un rôle important pendant cette période difficile où la Conférence de Londres voulait obliger la Belgique à renoncer au Luxembourg. En septembre 1836, il fut élu conseiller provincial et choisi pour occuper la vice-présidence du conseil. Une incompatibilité légale l'empêcha de continuer à faire partie de la députation permanente après qu'il eût épousé Eugénie de Steenhault, la fille du gouverneur de la province.
Le couple eut quatre enfants dont deux fils. Le premier, Arthur-François-Ernest-Victorin (1837-1893), membre du Conseil provincial, député permanent du Luxembourg, conseiller au Conseil des Mines, mourut sans descendance, le second décéda en bas âge. Dès 1837, Constant d’Hoffschmidt fit partie du Conseil des Mines et il resta dans ce corps jusqu'à sa nomination à la tête du département des Travaux publics En 1839, le collège électoral de l'arrondissement de Bastogne l'envoya siéger à la Chambre des Représentants. Il y remplaça son frère, François-Henri, qui avait démissionné de ses fonctions de parlementaire pour protester contre l’approbation donnée par cette assemblée au traité du 19 avril 1839, morcelant le Luxembourg. Pendant sa longue carrière politique, il ne cessa de protéger les intérêts de cette région, de réclamer des dédommagements pour les maux causés par son éclatement. ou de défendre la nationalité des compatriotes de la partie cédée. Il accorda une énorme attention aux questions douanières, plaidant pour la libre sortie du charbon de bois ou pour la protection des minerais et des bois indigènes. Il s'opposa à l'aliénation des forêts domaniales et favorisa l’irrigation et le défrichement des terres incultes.
Toujours, il essaya de développer les relations commerciales avec les pays voisins, la France, la Prusse et le Grand-Duché. De ce fait, il veilla tout spécialement à la conclusion des traités de commerce ainsi qu'à l'équipement des voies de communication, en accroissant le réseau routier, fluvial et ferroviaire. En politique, ainsi qu'il le déclara à la Chambre, le 25 janvier 1845, son opinion était «celle d'un libéralisme modéré, d'un libéralisme tolérant unioniste et conciliateur». Aussi quelques mois plus tard, lorsque Sylvain Van de Weyer constitua, le 30 juillet 1845, un ministère mixte, accepta-t-il la direction des Travaux publics. Pendant son court passage à la tête de ce département, il tenta de réaliser un programme ambitieux, relier la capitale au Luxembourg. Une loi du 26 mai 1837 avait promis de rattacher cette province au réseau du chemin de fer, mais une autre du 29 septembre 1842 annula cette décision en prétendant qu'il était impossible de concrétiser cet engagement à cause des pentes trop accidentées du terrain. Cet obstacle n'empêcha pas une société anglaise de demander, peu de temps après son arrivée au ministère, la concession d'une voie ferrée de Bruxelles à Arlon en passant par Dinant avec des prolongements en France et vers le Grand-Duché. Convaincu de l'importance de cette ligne reliant le réseau belge au Centre et à l'Est de la France, il voulut que le Luxembourg en profitât et il exigea l'établissement des embranchements de l'Ourthe et de Bastogne. La convention de concession fut signée en février 1846 et votée par le Parlement en juin de la même année. Ce fut un acte très important pour la province car il permit plus tard la construction d'une grande voie internationale entre l'Angleterre, la Belgique, le Grand-Duché, l'Alsace-Lorraine, l'Allemagne du Sud, la Suisse, l'Italie et l'Orient. Le 31 mars 1846, le cabinet Van de Weyer se retira mais l'ancien ministre continua à prendre part au Parlement à tous les grands débats de politique intérieure et extérieure.
En 1847, les élections amenèrent la victoire des libéraux. Charles Rogier constitua un cabinet homogène, le 12 août, et choisit Constant d'Hoffschmidt comme ministre des Affaires étrangères. Ce dernier conduisit son département d'une main ferme et énergique tout en sachant se montrer souple et prudent lorsque les circonstances l'exigèrent. La politique extérieure du nouveau cabinet s'inspira d'une grande impartialité basée sur l'indépendance et la neutralité du pays ainsi que sur la séparation du pouvoir civil de l'Eglise. La première affaire délicate qu'il eut à résoudre concerna nos relations avec le Vatican. Le précédent gouvernement avait nommé, après les élections et avant sa retraite, un ministre plénipotentiaire à Rome que le ministère libéral considérait comme hostile à ses vues. Pour cette importante mission, il voulait un homme qui pourrait consolider les rapports avec le Saint-Siège, faire apprécier l'état des esprits et des opinions en Belgique et «empêcher qu'on ne se méprit sur les intentions et les vrais sentiments du nouveau cabinet à l'égard de la religion». Il choisit donc le procureur général à la Cour de cassation, Mathieu Leclercq, un libéral modéré, croyant sincère, ancien ministre de la Justice qui avait fait partie du Congrès national et de la Chambre des Représentants. Malgré toutes ces qualités, le pape Pie IX refusa, en septembre 1847, d'agréer la nomination de ce haut magistrat. Le gouvernement ne pouvait accepter sans réagir cet acte hostile. Il résolut de ne désigner aucun ministre plénipotentiaire mais de ne pas rompre les relations diplomatiques avec le Vatican. Il ne voulait pas fournir à l'opposition catholique un grief supplémentaire contre la politique du cabinet et faire le jeu de certains évêques belges qui souhaitaient la suppression de notre légation à Rome. En avril 1848, le Pape reconnut que ses préventions antérieures étaient injustifiées et se déclara prêt à recevoir l'envoyé du gouvernement. Mais Leclercq, blessé par l'offense qui lui avait été faite, refusa la mission. Le ministre des Affaires étrangères dut convaincre le prince de Ligne d'accepter, pour une courte période, de devenir ambassadeur à Rome. D'autres problèmes aigrirent encore les relations avec le Saint-Siège. Il suffit de rappeler la note de protestation qui dut être envoyée à Pie IX, en juin 1850, à la suite d'une allocution au Consistoire secret mais reproduite par les journaux où il avait exprimé ses plus vives inquiétudes au sujet des périls que la loi sur l'enseignement secondaire faisait courir chez nous à la religion catholique.
Le Département eut à affronter des difficultés plus graves encore. En 1848, une vague révolutionnaire embrasa presque toute l'Europe. Il fallait agir avec une extrême prudence afin de ne pas fournir un prétexte d'annexion à nos voisins. A Francfort, le Parlement souhaitait le rapprochement de la Belgique par son incorporation dans la Confédération germanique et élevait des prétentions sur le Limbourg. A Paris, Louis-Philippe avait été renversé et la république proclamée. Bruxelles résolut d'établir des rapports cordiaux avec la France. Le ministre mit tout en œuvre pour obtenir du gouvernement provisoire une déclaration officielle par laquelle, il reconnaissait l'indépendance et la neutralité du royaume et garantissait les traités qui en avaient autorisé l'existence. Dès le 30 mai, la Belgique fut la première sur le continent à reconnaître officiellement la nouvelle république. Mais ces relations amicales et cet empressement furent loin d'être récompensés. Une propagande antiroyaliste et plusieurs tentatives révolutionnaires essayèrent de déstabiliser le pays. Citons les allégations d'intrigues, en faveur de la dynastie déchue, reflétées par la presse française accusant Bruxelles d'en être le foyer et la fameuse affaire de «Risquons-Tout ». Il y eut aussi des actes de violence et d'expulsion que connurent certains ouvriers belges travaillant dans le département du Nord ainsi que le décret du 10 juin 1848, désastreux pour notre économie. Celui-ci protégeait les intérêts des industriels français en favorisant l'exportation de certaines marchandises par l'octroi de primes très avantageuses. Les questions commerciales constituèrent pendant plusieurs années un problème très épineux entre les deux pays. Nos échanges étaient, en effet, régis par le traité de commerce du 13 décembre 1845. Cette convention expirait en 1852 et son renouvellement fut extrêmement laborieux. Le gouvernement se heurta à l'attitude hautaine et intransigeante de Paris. Les négociations furent aussi entravées par le cabinet de Berlin. La Prusse menaça de dénoncer le traité existant depuis 1844 entre la Belgique et le Zollverein si toutes les faveurs anciennes ou nouvelles dont la France jouirait chez nous n'étaient pas étendues gratuitement, spontanément, sans convention, au commerce de l'association douanière. Aucune solution ne put être trouvée avant la retraite du ministère, le 31 octobre 1852. Au cours des cinq années passées à la tête du département des Affaires étrangères, le ministre avait pu, avec talent, grâce à son habileté, à la finesse et la sûreté de son jugement, déjouer les nombreux pièges qu'il avait rencontrés pendant cette période si périlleuse de notre histoire. En tant qu'envoyé extraordinaire, il remplit encore une mission de courtoisie auprès de la Cour de Saxe. En 1854, il remit au nouveau roi Jean Népomucène, une lettre de félicitations pour son avènement au trône.
Ecarté du Parlement à la suite des élections de juin 1854, qui avaient été défavorables aux libéraux, il revint à la Chambre entre 1857 et 1863. Il continua à participer dans cette assemblée à de nombreux débats de politique intérieure et étrangère. Il défendit notamment le projet de chemin de fer allant de Sedan à la frontière prussienne par Neufchâteau et Bastogne et la concession d'une ligne de Spa au Grand-Duché. En 1863, le réseau Forcade, destiné à favoriser particulièrement le Luxembourg, s'étendait de la région française à la frontière prussienne. Pour tous les services qu'il avait rendus au pays, le Roi le nomma ministre d'Etat en 1863. Trois ans plus tard, la circonscription d'Arlon-Bastogne l’envoya au Sénat mais ses électeurs mirent fin à sa carrière de Représentant en 1870. Pendant près d'un quart de siècle, il avait pris part à la plupart des grandes discussions qui avaient marqué les premières années de notre indépendance. Ses contemporains lui reconnaissaient un caractère affable, bienveillant et courtois. Comme orateur, ils le trouvaient un peu froid, ne disant jamais que ce qu'il fallait dire, rien de plus, rien de moins. Mais il possédait le talent de se faire écouter par tous les partis avec intérêt et excellait, par la clarté de ses explications, à exposer une affaire.
Ce parlementaire fut aussi un industriel qui s'occupa d'entreprises fort diverses allant de l'industrie du papier à l'exploitation de tourbières ou de nombreuses compagnies de chemin de fer comme celles du Réseau franco-belgo-prussien.
La mort le frappa le 14 février 1873 à Deux-Acren et il fut inhumé trois jours plus tard à Arlon. Ainsi disparaissait, quelque peu oublié par son pays, un homme qui avait joué vingt ans plus tôt un rôle important dans la diplomatie belge et qui avait toujours défendu avec une grande autorité mais aussi avec passion les intérêts de sa région, le Luxembourg.