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Destouvelles Charles (1775-1842)

Biographie

(Extrait de : JUSTE Th., dans Biographie nationale de Belgique, t. V, 1876, col. 810-814)

DESTOUVELLES (Charles), magistrat, né à Paris le 3 mars 1775, mort à Bruxelles le 3 janvier 1842.

Fils d'un notaire ou homme de loi, il arriva à Maestricht vers 1795, à la suite des armées françaises et occupa d'abord des fonctions subalternes dans l'administration militaire. Cependant il se sentait appelé au barreau, car il possédait à un haut degré les qualités de l'orateur, de l'avocat : à un physique agréable il joignait une voix claire, et sonore, un esprit, vif et pénétrant. Les circonstances allaient lui fournir le moyen de produire son talent et de se concilier la faveur publique. Plus le gouvernement républicain persécutait les prêtres inassermentés (ceux qui avaient refusé de prêter serment à la constitution), plus grande devenait pour eux la vénération des populations flamandes. Un de ces ecclésiastiques étant un jour poursuivi dans les rues de Maestricht par un commissaire de police, un bourgeois le prit sous sa protection et le sauva. Ce bourgeois ayant été traduit devant la justice pour rébellion, Destouvelles se chargea de sa défense ; il n'appartenait pas encore au barreau, mais quiconque se sentait du talent pouvait alors assumer le rôle de défenseur officieux. ; Destouvelles fit acquitter son client, et cet heureux début lui ouvrit la carrière dans laquelle il devait acquérir renommée et fortune. Les relations intimes qu'il entretenait avec le receveur général du département, beau-frère du grand pensionnaire Schimmelpenninck, lui furent d'ailleurs très-utiles pour former et étendre sa clientèle. Lorsque la loi du 22 ventôse an XII (13 mars 1804) eut réservé l'exercice de la profession d'avocat) de même que les fonctions de la magistrature, pour les licenciés et les docteurs en droit, une disposition transitoire et exceptionnelle permit toutefois aux défenseurs officieux actuels d'obtenir le diplôme requis, moyennant l'accomplissement de certaines conditions. Destouvelles, ayant profité de cette faveur, fut régulièrement inscrit au tableau des avocats de Maestricht.

Sous l'empire, il plaida avec grand éclat plusieurs causes criminelles. Il voulut également lutter avec ses confrères sur le terrain du droit civil. De là pour lui de nouvelles études qu'il poursuivit avec une rare persévérance et, à certains égards, avec ce succès qui lui avait constamment souri. Il tâcha non seulement de s'assimiler les monuments de la jurisprudence romaine, mais il s'efforça aussi d'approfondir l'histoire et la littérature du peuple-roi.

Après la chute de l'empire, Destouvelles, s'attacha à sa patrie d'adoption, demeura à Maestricht et obtint du roi des Pays-Bas des lettres de grande naturalisation. Il devint membre du conseil communal et des états provinciaux. Très-lié avec le bourgmestre Hennequin, il fut, comme lui, d'avis que la loi organisant la garde urbaine dans les provinces septentrionales du royaume n'était pas applicable à la ville de Maestricht. Lorsque, pour cet acte d'opposition, Hennequin eut été accusé de forfaiture et traduit, en juillet 1821, devant la cour d'assises de Liége, Destouvelles fut l'un de ses défenseurs. « Il se surpassa lui-même, dit un contemporain ; il eut des accents de la plus haute éloquence ; il parlait sous la double inspiration d'une sincère amitié et d'un patriotisme non moins sincère... Je suivis toutes les audiences de cette mémorable affaire, et je dois reconnaitre que, durant toute ma longue carrière, je n'ai été témoin d'aucun drame judiciaire comparable à celui-ci. » Quoique le bourgmestre de Maestricht eût été acquitté, le pouvoir exécutif le déclara déchu, lui ainsi que ses collègues du conseil communal, du droit d'éligibilité. Deux ans après, Destouvelles se voyait, en outre, entravé dans sa profession par l'obligation de se servir désormais de la langue néerlandaise. Il voulut lutter ; il se mit à apprendre le hollandais : il le sut bientôt assez pour le comprendre et même pour le parler, mais son accent et ses incorrections excitaient fréquemment l'hilarité de l'auditoire. « Les Flamands, disait-il avec un peu d'humeur, m'ont écorché les oreilles durant vingt-cinq ans de leur mauvais français, aujourd'hui je leur rends la pareille avec mon hollandais ». Quand l'opposition des .provinces méridionales devint plus menaçante, le gouvernement essaya de la désarmer par des concessions. Ce fut. alors qu'il réintégra les anciens conseillers communaux de Maestricht dans la plénitude de leurs droits politiques. Destouvelles fut aussitôt réélu au conseil communal et aux états provinciaux. C’est ainsi que le trouva la révolution de 1830 ; il faisait partie, dans le Limbourg, d'un groupe de libéraux qui allaient être appelés à jouer un rôle très important.

Elu député au Congrès national par le district de Maestricht, Destouvelles prit une part très active aux travaux de l'immortelle assemblée où il se montra sage, modéré et patriotique. Il vota pour l'indépendance du peuple belge, mais il jugea imprudent et intempestif de décréter l'exclusion perpétuelle des Nassau, et il défendit cette opinion avec éloquence. Après s'être prononcé pour la monarchie constitutionnelle représentative sous un chef héréditaire, il se montra partisan de l'institution de deux chambres et exprima l'avis que le sénat devait être nommé par le chef de l'Etat. Appartenant au vieux libéralisme, il combattit énergiquement la disposition constitutionnelle qui consacrait l'indépendance du clergé. Le 22 décembre, il s'exprimait en ces termes : « Un célèbre ministre anglais, Pitt, a dit, en parlant de la révolution française : Les Français ont sauté à pieds joints sur la liberté. Voulez-vous faire ce saut périlleux ? Pour moi, je ne suis pas de cet avis. » Non moins prévenu contre la liberté absolue de l'enseignement, il voulait que les écoles dites libres fussent également soumises à des autorités électives ; enfin, il vota contre l'abaissement du cens électoral pour les campagnes. Le Congrès lui avait donné une haute marque de son estime en le nommant, le 10 février 1831, deuxième vice-président de l'assemblée. Lorsque Surlet de Chokier., son vieil ami, eut été proclamé régent, laissant la présidence du Congrès à M. de Gerlache, Destouvelles remplaça ce dernier en qualité de premier vice-président. De même que Surlet, il avait été un chaleureux partisan de la candidature du duc de Nemours ; mais il se rallia avec plus d'ardeur encore à une autre combinaison qui devait clore la résolution en consolidant l'indépendance du pays. Il fut au nombre des 94 députés qui proposèrent l'élection du prince Léopold de Saxe-Cobourg, et cette élection accomplie, le 4 juin, il fut nommé membre de la députation chargée de remettre au prince le décret du Congrès qui l'appelait au trône. Le 19 juin, il écrivait de Londres au régent, après une entrevue particulière avec le prince Léopold : « Je persiste dans l'opinion que j'ai émise sur son compte. S'il accepte, la Belgique aura un souverain distingué et qui parait pénétré de cette grande vérité, qu'il a répétée plusieurs fois, que le premier devoir d'un roi était de procurer au peuple qu'il gouverne la plus grande somme de bonheur possible. » Comme le prince faisait dépendre son acceptation d'un accord préalable du Congrès avec la conférence de Londres, Destouvelles montrait de l'inquiétude. Il ne pouvait disconvenir que la conférence avait fait aux Belges des concessions pour assurer l'acceptation du prince ; mais ces concessions rallieraient-elles une majorité suffisante dans le Congrès ? Pour lui, député de Maestricht, il se prononça et vota contre l'acceptation des préliminaires de paix proposés par la conférence. Il se sépara de la majorité qui, avec une haute prévoyance, adhéra à ces préliminaires (les dix-huit articles), permettant ainsi au prince Léopold de se rendre aux vœux de la nation. Destouvelles, en sa qualité de vice-président du Congrès, assista à l'inauguration du roi.

Les électeurs ayant été ensuite appelés à choisir les membres de la première législature, Destouvelles sollicita de l'arrondissement de Maestricht le mandat de représentant ; il rencontra l'opposition ,d'une partie du clergé et ne fut élu qu'au scrutin de ballottage. La chambre, cependant, fidèle aux traditions du Congrès, l'éleva au poste de premier vice-président. Destouvelles se signala par son énergique opposition au traité dit des vingt-quatre articles qui, venant après les désastres de la campagne du mois d'août 1831, modifiait considérablement les préliminaires du mois de juin.

Au mois d'octobre 1832, Destouvelles échangea, son mandat législatif contre un siège à la cour de cassation ; ce fut dans cette haute magistrature que s'écoulèrent paisiblement les dix dernières années de sa vie. Un de ses collègues nous apprend que dans ces nouvelles fonctions, Destouvelles apportait un excellent jugement mûri par une longue expérience, et il ajoute que ses arrêts attestaient des vues claires et précises, un esprit logique et une rédaction correcte. Le roi avait beaucoup de confiance en Destouvelles, et, dans des conjonctures difficiles, il aimait à connaître son avis et à s'entretenir avec lui. Il le nomma successivement chevalier et officier de son ordre. M. le procureur général Leclercq l'a dit dans une circonstance solennelle : « Destouvelles est un exemple de ce que peut une bonne éducation classique jointe à la ferme résolution de se faire une position dans le monde par le travail, l'instruction et une conduite honorable. » La sollicitude de sa fille unique sut adoucir ses derniers moments, et la fin de cette existence laborieuse fut celle d'un honnête homme et d'un chrétien.