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Vandervelde Emile (1866-1938)

Biographie

(Extrait de La Wallonie, du 28 décembre 1938)

Emile Vandervelde est mort mardi matin vers 5 h. 30

Sa dernière journée de lucidité

Nos lecteurs ont vu qu'Emile Vandervelde s'était promené samedi au parc de Woluwe. Dimanche matin, il avait renouvelé cette promenade, toujours accompagné de la citoyenne Vandervelde, qui ne le quittait guère depuis que sa marche était devenue difficile. Avec notre ami Louis de Brouckère, ils avaient convenu qu'étant trop âgés pour réveillonner, ils se feraient servir le menu de Réveillon du restaurant Floréal, dimanche, à midi.

Ainsi avait été fait, et Emile Vandervelde et sa femme, de Brouckère et sa fille avaient gaiment déjeuné à cette vieille Maison du Peuple où il avait passé une très grande partie de sa vie. Comme de juste, la conversation avait roulé, pendant une bonne partie du repas, sur les événements nationaux et internationaux qui possèdent tout le monde. Mais, vers la fin, Vandervelde avait dit : « Maintenant, assez de politique. Parlons d'autre chose. » Et, pour être certains de ne pas se laisser tenter à nouveau, les convives décidèrent de finir l'après-midi au cinéma.

Les deux fidèles amis se séparèrent vers 19 heures, se félicitant de l'excellente journée. Vandervelde dina de bon appétit. grignota même des bonbons et se mit au lit vers 22 heures. Une demi-heure plus tard la citoyenne Vandervelde entendit un cri. Elle s'empressa, mais, déjà, le « Patron » avait perdu connaissance et râlait.

Des médecins furent appelés aussitôt :le professeur Paul Vandervelde, cousin du malade ; MM. Coryn e Wybauw, qui apprécièrent tout de suite la gravité du mal. On pratiqua d'abord une saignée. Puis on fit une piqûre de morphine. Le râle s'apaisa, mais

Vandervelde resta sans connaissance.

Les médecins revinrent lundi. Vers 17 heures, ils mirent des ventouses.

Depuis dimanche soir jusqu'à la fin, la citoyenne Jeanne Vandervelde est restée au chevet de son mari, l'entourant de cette sollicitude attentive dont elle faisait preuve depuis des années, gardant sa lucidité malgré sa douleur.

* * *

Sa vie

Retracer la vie d'Emile c'est refaire l'histoire des faits principaux des cinquante dernières années de l’existence de la Belgique. Car peu d'hommes ont exercé sur l’évolution politique et sociale de ce pays une influence aussi profonde et aussi durable que cet homme dont la vie se confond tout entière avec l'action du prolétariat socialiste.

Mais Vandervelde était plus qu’un homme d’Etat belge, il était plus que le chef incontesté du socialisme de la Belgique : c'était aussi un des hommes d'Etat les plus estimés dans le monde entier, c'était un des théoriciens et des animateurs d'une internationale qui groupe des millions d'hommes dans toutes les parties du globe.

Pas un Belge ne jouit à l'étranger de la notoriété et du prestige de Vandervelde ; aucun homme politique de ce pays ne suscite cette admiration unanime - amicale ou hostile — qui va au Patron du P. O. B. Peu de gens réunissent à la fois sa vaste culture et sa grande érudition et rares sont les hommes dont la vie ait été aussi remplie, qui aient participé, à des moments critiques, à tant d'événements décisifs de notre histoire.

Enfin, cette vie de soixante-dix ans dont cinquante sont un apostolat fidèle et ininterrompu au service d’un idéal qui n'a cessé de conquérir les cerveaux et les cœurs meilleurs parmi les hommes, est un exemple permanent pour tous les serviteurs du socialisme. Homme d’étude et homme d'action, Emile Vandervelde a consacré au socialisme toutes les ressources de son intelligence, de son énergie. de son talent et de sa force créatrice. L'histoire de sa vie et de son œuvre est loin d'être terminée : mais, déjà, il faudrait des volumes pour étudier l'action du théoricien, du militant, de l'orateur, du journaliste, de l’homme d'Etat, de l'homme tout court. Nous essaierons, en quelques pages modestes et forcément incomplètes, de marquer les principales étapes de cette action.

Sa jeunesse

Emile Vandervelde naquit le 25 janvier 1866, dans une famille bourgeoise d'Ixelles. Son père était juge de paix du canton ; sa mère était d'origine française.

Il fait de brillantes études. A dix-neuf ans - fait exceptionnel dans les annales universitaires - il obtient. avec grande distinction, son diplôme de docteur en droit à l’Université de Bruxelles. Il poursuit alors ses études à la Faculté des Sciences et se destine une carrière universitaire.

Dès 1885, à peine sorti de l'Université, il s'affilie à la Ligue Ouvrière d'Ixelles et, en 1886, il l'a raconté lui-même, il prend contact avec la masse ouvrière. Sa vie se confond alors avec celle du prolétariat.

En 1885, il faut un certain courage à un jeune intellectuel, devant qui s'ouvre la possibilité d'une carrière brillante au Barreau, au parti libéral et à l'Université, pour se déclarer publiquement et résolument socialiste. Le Parti Ouvrier existe à peine. Les socialistes passent pour des émeutiers dangereux ou pour des utopistes naïfs. Tout avenir semble fermé à quiconque se fourvoie chez eux.

Mais Vandervelde n'hésite pas. Et il lutte.

Il fonde le groupe des Etudiants socialistes. Il prend contact avec les militants responsables du mouvement. Il donne des conférences. Il commence sa collaboration au « Peuple ». Il est surveillé par la police.

Il continue aussi à étudier et, en 1891, il publie une « Enquête sur les associations professionnelles d'artisans et d'ouvriers en Belgique », dont les deux volumes contiennent une documentation précieuse et des analyses sociales remarquables. Il collabore à l'Institut Solvay et prend une part active aux discussions d'une commission qui étudie le problème - déjà - de la réforme de l’Etat.

Dès sa jeunesse, Emile Vandervelde voyage beaucoup. En 1891, il fait devant la Société géographique de Bruxelles une conférence pleine d’intérêts sur les pays du Nord Africain. Dans les années qui suivent, il rapporte des impressions vivantes et originales, d'un voyage dans les pays scandinaves, d'un autre voyage au Monténégro.

A la suite de ses investigations scientifiques, il publiera, en 1893. collaborant avec le grand botaniste Jean Massart, une étude sur le « Parasitisme organique et social. » Quatre ans plus tard, il éditera, avec le même Jean Massart et avec Demoor, une nouvelle étude : « L'évolution régressive en biologie et en sociologie. »

Mais - faut-il le dire ? - la vie politique l'attire avant tout.

II est séduit par la vérité, par la justice, par la beauté du socialisme. Son tempérament le pousse à l'action. Comme le remarque très justement de Brouckère, Vandervelde est toujours préoccupé de la réalisation pratique de ses idées. La pensée est, chez lui, le prélude indispensable de l'action.

C'est l'époque des luttes formidables et héroïques pour le Suffrage Universel. C’est l'époque d'une propagande inlassable pour le mouvement socialiste naissant. Orateur d’une puissance exceptionnelle, Vandervelde est tous les jours sur la brèche. Polémiste ardent, il bataille par la plume et par la parole.

Mais il veut cultiver aussi, chez le prolétariat, l'amour du beau. En pleine bataille pour le Suffrage Universel il crée, avec Jules Destrée, avec Georges Eeckhoud. avec Emile Verhaeren. la Section d'Art du Parti Ouvrier, qui sera, pendant de longues années, un des foyers les plus intenses de la vie intellectuelle et artistique de ce pays.

II s'attache aussi la conquête au socialisme des milieux intellectuels; il s'y attachera d'ailleurs toujours. Dès 1886, il fait des conférences aux étudiants et les initie aux problèmes sociaux : Louis de Brouckère sera un de ses premiers auditeurs.

Mais, quel que soit son prestige dans les milieux intellectuels, Vandervelde n'oubliera jamais que c'est avant tout en militant socialiste qu'il y apparaît. Jamais Vandervelde n'oublie en écrivant un article en faisant une conférence ou en prononçant un discours que c'est déjà le militant, le chef du Parti, qui parle par sa bouche.

Au Parlement

Toutefois, jusqu'en 1894, Emile Vandervelde, jeune avocat et agrégé de l'Université, caresse l'espoir de se consacrer à la vie universitaire. Et, lorsque le Suffrage plural enfin conquis, les socialistes de Charleroi lui proposent de figurer sur leur liste comme candidat à la Chambre, il hésite. Puis, pressé par les amis, il accepte.

Après une campagne électorale dont Jules Destrée et lui-même ont raconté l'émouvante grandeur, Vandervelde, avec vingt-huit autres socialistes, entre la Chambre. Des vingt-huit, il était seul, aujourd'hui, à représenter encore au Parlement la glorieuse équipe de 94.

Sa réputation d'orateur, de penseur, de polémiste, l'a déjà précédé à la Chambre. Et le plus jeune membre de l'Assemblée - il n'a que 28 ans à l'époque – il s’y impose de suite.

Dès le premier jour, il est de ceux qu'on écoute. Il le restera jusqu'à la fin de sa vie.

Représentant le plus autorisé du Parti Ouvrier, il est l'homme le plus attaqué par la bourgeoisie. Le nom de Vandervelde devient, dans les milieux conservateurs, le symbole du socialisme et de l'internationalisme en Belgique. On pardonne difficilement à cet homme d'avoir embrasé la cause de la révolution des travailleurs. Mais il force le respect. Rien ne l'arrête dans la voie qu'il s'est tracée.

Le théoricien

L'action accapare Vandervelde. Mais il connait les dangers d’une action que ne féconde pas sans cesse une pensée profonde. Et tout en luttant, il médite. Il essaie de dégager dans ce monde capitaliste qui se trouve dans une des périodes les plus prospères de son histoire, les prémisses d’une société socialiste.

A cette époque, l'action de la classe ouvrière ne saurait être que réformiste dans ses objectifs. Mais sa pensée devait demeurer révolutionnaire, elle devait tendre à la préparation de ces réformes qui permettront au socialisme, au moment critique, de recueillir la succession d'un capitalisme décadent. Vandervelde comprend cette nécessité. Au sein d’un parti qui se laissera souvent tout entier dominer par les tâches immenses de l’action immédiate, il demeure le gardien vigilant de la doctrine et de l'idéal. Il dégage lumineusement les grandes lignes de l’évolution socialiste ; et, une fois les jalons plantés, il ne les perd jamais de vue.

Ses articles, ses études, ses brochures. sont innombrables : la bibliothèque complète des écrits de Vandervelde reste à dresser. En 1900, il publie un livre qui reste - et restera - parmi les meilleurs qui aient été écrits sur le sujet: « Le collectivisme et l'évolution industrielle. » Livre socialiste devenu classique et qui expose mieux que tout autre l'évolution de la société capitaliste vers la socialisation nécessaire des moyens d'échange et de production. Etude complète, documentée, profondément pensée et, en même temps, limpide et captivante. Avec une grande objectivité scientifique, Vandevelde réfute les arguments que l’on oppose aux théories socialistes pour terminer cet ouvrage par des pages du plus haut lyrisme sur le socialisme libérant l’esprit de toutes les entraves.

Vandervelde est marxiste, il aime le rappeler. Mais l'œuvre de Marx n’est pas pour lui une Bible rigide, ne souffrant pas d'interprétation ni de contradiction. Il n'est pas l'aveugle adepte de la doctrine du maître : comme Arthur Wauters l'a étude sur la doctrine de Vandervelde, il tire avant tout un parti admirable de l’instrument d'investigation scientifique qu'est le marxisme. Et, dans une étude qu'il publiera en 1928, - « Le Marxisme a-t-il fait faillite ? - Vandervelde défend le socialisme scientifique à la fois contre ceux qui veulent le momifier et contre ceux qui le rejettent en bloc.

Les préoccupations doctrinales de Vandervelde touchent d'ailleurs à tous les aspects de la vie sociale. Ne publie-t-il pas des essais - réunis en 1906 en volume - sur l'alcoolisme, sur la religion, sur l’art ?

Il continue en même temps l'étude des grands problèmes économiques et sociaux de l'époque, « La Belgique Ouvrière », « L’exode rural et le retour aux champs » en 1903 : « La question agraire en Belgique » en 1905 marquent les étapes de cette activité, sans oublier le livre publié en commun avec Destrée : « Le socialisme en Belgique. »

Cette vie intellectuelle intense va de pair avec une activité militante inlassable. Le prolétariat belge connait des luttes glorieuses. Il connaît des succès et des revers. Vandervelde est toujours à ses côtés, à sa tête Plus tard, il pourra dire avec droit : « Le P O. B. est la chair de ma chair et le sang de mon sang. »

Les congrès du Parti, l'action des socialistes bruxellois, dont il est le député à partir de 1900, le travail législatif qu'il suit de près - car Vandervelde n'est pas seulement un grand parlementaire, c’est un parlementaire appliqué et assidu - toutes ces formes de l'action lui permettent de déployer sa force.

Internationaliste

Et puis, Vandervelde commence à marquer de son empreinte la vie du socialisme international. Il est internationaliste. Il croit ardemment à la nécessité de la collaboration des peuples, à la solidarité internationale du prolétariat. Né dans un pays trop petit sa taille, il trouve dans l’Internationale un champ d'action bien plus vaste. Dès 1905, les socialistes du monde entier

l'appellent la présidence de leur organisation commune. Ce poste, il ne l’abandonnera après la guerre que pour entrer au sein du gouvernement belge et, aussitôt sa tâche de ministre terminée, il reprend sa place à la tête de l'Internationale.

L'homme de l'Internationale, il le reste toujours. Ne le lui a-t-on assez reproché ! Mais il en est fier, car il sait que travailler pour l'Internationale, c'est travailler en même temps pour son pays, pour la classe ouvrière et pour la paix. Quand il quitte le gouvernement en 1927 après avoir été ministre des Affaires étrangères de Belgique, les journaux bourgeois lui reprocheront de ne pas avoir oublié ses convictions internationales. Il répondra :

« Lorsque j'ai quitté ce poste, en novembre 1927, des journaux hostiles saluèrent mon départ en disant que je n'avais pas changé; que je restais le socialiste impénitent et des anciens jours, que je n'avais cessé d'être au gouvernement l’homme de l'Internationale.

« En vérité, ils n'avaient pas tort, et j'ai pris cette critique pour un hommage. Au cours de mes quarante années de vie politique - sur les questions cardinales s'entend - j'ai conscience de ne pas avoir changé. Ce que j'étais, socialiste jusqu'aux moëlles, je le suis resté, à travers tout, et je m’en vante. »

Le 4 août 1914, Vandervelde, applaudi et approuvé par le groupe socialiste unanime, accepte le titre de ministre d'Etat. Chef incontesté du Parti Ouvrier et chef de l'Internationale, il se donne à l'effort de la défense désespérée que tente son pays devant l'agression. Suivant l'exemple de Marx et d'Engels en 1870-71, il est pour la victime contre l'agresseur. Il a la conscience de servir le socialisme en défendant, en la Belgique envahie, la justice internationale.

On peut relire ses discours, ses articles de la période de guerre ; ils sont réunis dans deux Volumes : « La Belgique envahie et le socialisme Internationale » et « Dans la mêlée. » A aucun moment, on ne sent chez lui cette haine aveugle qui s'emparait des cœurs de certains. Sa tête reste froide. Il veut la libération de son pays. il veut la chute de l'impérialisme allemand, rien de plus. Et, au lendemain de la guerre. il sera de ceux qui s'opposeront au démembrement de l’Allemagne, à l'amputation des Pays-Bas, à l'occupation de la Ruhr. Il sera parmi les protagonistes les plus ardents de la reconstitution de l’unité internationale du socialisme de l’entente des peuples, du désarmement général.

Et, lorsque la Conférence du Désarmement s’ouvrira à Genève, en 1932, Vandervelde viendra y lire. au nom des millions de travailleurs, une adresse qui sera à la fois un vœu, une revendication et une menace à peine voilée.

L’Internationaliste qu’est Vandervelde connaît la Terre. Il l’a parcourue dans tous les sens. Peu de Belges ont voyagé autant que lui : aucun n'a porté à un degré plus haut, dans tous les coins du monde, le prestige intellectuel de la Belgique et du Socialisme. Vandervelde a conférencié dans les principales universités du monde. Il a été reçu par les travailleurs et par les gouvernements de quatre continents.

Nous avons signalé ses voyages en Afrique, dans les pays scandinaves, dans les Balkans. Il visita, avant la guerre encore, les Etats-Unis et le Congo. sans parler de la plupart des pays européens. Il est allé à quatre reprises en Russie : en 1914, en 1917, en 1922 et en 1929. Il a visité la Chine et le Japon, la Palestine et l'Egypte, l'Espagne et les Balkans. l'Amérique du Sud et la Géorgie : partout, il a apporté le rayonnement de la pensée socialiste. Et de chacun de ces voyages. il rapporta des livres qui sont des modèles d'études et de reportages : « Impressions d' Amérique », « Les derniers jours de l'Etat Indépendant du Congo » ; « Les Balkans et la Paix » ; « Trois aspects de la Révolution Russe » ; « Le Pays d'Israël » ; « A Travers la Révolution Chinoise » sont les principaux.

Son action internationale... Il ne faut même pas songer à la résumer dans le cadre de ces pages. Rappelons quelques faits essentiels.

Président de l'Internationale. Orateur écouté de tous les congrès socialistes ; l'homme qui, plein d'angoisse. avec Haase et Jaurès avec Rosa Luxembourg et Branting, quelques jours avant la guerre mondiale, essaie d'arrêter la catastrophe. Ministre socialiste qui, au lendemain de la révolution russe de 1917, se rend en Russie, avec de Brouckere et de Man et y tente de garder la jeune République à la cause de la démocratie que défendent les alliés. Ministre socialiste qui s'oppose de la guerre russo-polonaise, en 1920, au passage par la Belgique des armes destinées à l'agresseur. Président de l'Internationale qui n’hésite pas, faisant acte de grand courage intellectuel et physique - courage dont il a donné maintes autres preuves - d'aller à Moscou, en 1922, pour défendre devant le tribunal révolutionnaire les socialistes menacés de mort par les bolcheviks. Président de l’Internationale encore qui est allé. deux ans plus tôt ; avec de Brouckère, avec Huysmans, avec d'autres apporter son salut et son réconfort à la jeune république socialiste de Géorgie. Ministre socialiste des Affaires étrangères qui, tout en défendant les intérêts de son pays, défend ceux de la paix et appose sa signature au bas du Pacte de Locarno. Le ministre des Affaires étrangères, aussi, qui devant la volonté de la Chine de se libérer de la tutelle des européens, renonce à la concession belge du Tsien-Tsin et, sans nuire aux intérêts matériels de la Belgique. lui gagne des sympathies nombreuses dans le monde oriental.

C'est en socialiste aussi qu'il appose, en tant que délégué belge à la Conférence de la paix. sa signature au bas du Traité de Versailles, ce traité qui est loin d’être parfait, mais qui donne, dit Vandervelde, à la Belgique : la liberté ; à tant de peuples opprimés : l'indépendance ; aux travailleurs. la Charte du peuples du monde, la Société des Nations. C'est en socialiste aussi que, en 1935. il est le principal artisan de la reprise des relations diplomatiques entre la Belgique et l'Union des Républiques Soviétiques Socialistes.

Vandervelde et le Congo

C’est en socialiste toujours que Vandervelde mène, vers 1906. son inoubliable campagne contre le régime léopoldien dans l'Etat Indépendant du Congo. Il dénonce les cruautés de ce régime, il exige la justice et la pitié pour les populations noires. On l'accuse de collusion avec l'étranger, on lui reproche de nuire aux intérêts de son pays, mais il fait devoir sans hésiter. Il est à la tête de l'attaque socialiste contre les négriers et les capitalistes groupés autour du roi. Il se rend en Afrique, il fait une enquête sur place, il triomphe de tous les obstacles. Il se sépare même du Parti - la seule fois, peut-être, où cela lui est arrivé - lorsqu'il s'agit d'annexer le Congo à la Belgique ; car, contrairement à la majorité du Parti, il pense que la Belgique n'a pas le droit d'abandonner les populations dont elle peut améliorer le sort. Les événements lui ont donné raison.

Malgré son activité internationale, son action à la tête du Parti dont il dévient le « Patron », ne se ralentit point. Il défend Louis de Brouckère et Jules Lekeu au procès du « Conscrit » devant la Cour d'assises du Brabant. Il combat le fléau de l'alcoolisme. Il bataille pour les droits de la femme. Il lutte sans relâche pour le Suffrage universel pur et simple. Il est l'âme de toutes les campagnes électorales. Il est un des collaborateurs les plus lus de nos journaux socialistes. Il est parmi ceux qui préparent et assurent le succès de la grève générale de 1913.

Ministre d'Etat en 1914, il suit le gouvernement belge l'exil, mais ne rompt pas les liens qui l'unissent à la population restée en Belgique. Il entretient une correspondance suivie avec les membres du Conseil général du Parti ouvrier. Il visite régulièrement le front. A Londres, il s'occupe de l'Œuvre du Soldat belge. Puis, en 1916, il entre au gouvernement comme ministre sans portefeuille d'abord, comme ministre de l'intendance civile et militaire ensuite. Là encore. il n'oublie pas les intérêts de la classe ouvrière. Il refuse d'abandonner sa charge de président de l'Internationale et fait tout ce qui dépend de lui pour que, malgré la mêlée, l'Internationale reste intacte. En 1918, lorsqu'une grève éclate dans usines de munitions Emile Vandervelde et Emile Brunet offrent leur démission plutôt que de s'associer aux représailles que certains ministre voudraient exercer contre les grévistes.

Au lendemain de l'armistice, Vandervelde est le premier ministre belge rentré à Bruxelles. Il sera ministre de la Justice dans le premier gouvernement d’après-guerre.

Au ministère de la Justice, il développe une action qui marque sa place parmi les réformateurs du régime pénitentiaire de ce pays. Il améliore, transforme et modernise les prisons.

Il fait participer le jury à l'application des peines. Il autorise les femmes à prêter serment comme avocats, bourgmestres. Echevins. Il abolit l’article 310 du Code Civil, article entravant la liberté des grèves. Il fait voter des lois protégeant les locataires. Bravant l'impopularité, il dépose - et fait voter, d'accord avec le gouvernement de l’époque - la loi sur l'alcool.

Lorsque les socialistes quittent le gouvernement, Vandervelde aura montré que l’homme d’Etat était aussi rem aussi remarquable en temps de guerre qu'en temps de paix, dans l'opposition que dans les conseils de la Couronne.

Aussi, en 1925, quand le Parti Ouvrier remporte une brillante victoire électorale, c'est à Vandrvelde que le roi demande de constituer le nouveau gouvernement. Après de longues négociations, il échoue : la bourgeoisie ne lui pardonne pas d'être reste profondément socialiste malgré les honneurs et les charges du pouvoir.

Le gouvernement Poullet-Vandervelde est constitué. Il est honni de toutes les puissances d'argent et de la réaction. Une bande de jeunes nationalistes va jusqu'à attaquer Vandervelde dans la rue. Les banquiers parviennent à torpiller ce gouvernement démocratique. Le gouvernement de la stabilisation se reforme. Vandervelde, avec Joseph Wauters, en est un des animateurs. Ministre des Affaires étrangères, il consolide notre politique de paix et perfectionne l'outillage de l'expansion économique de la Belgique : la création d'une direction générale du commerce extérieur au ministère des Affaires étrangères est son œuvre.

En 1926. le parti Ouvrier fête le soixantième anniversaire du Patron. Dans une cérémonie simple, fraternelle et émouvante, de Brouckère, Van Roosbroeck, Victor Serwy, Corneille Mertens, Alice Pels, Vanderveken, Henri Lafontaine, Jules Destrée lui apportent le témoignage de la reconnaissance du socialisme belge.

De nouveau dans l'opposition, depuis 1927, Vandervelde reprend sa lourde tâche à la tête du parti. La crise écrase le pays. La lutte contre la politique des gouvernements qui font peser tout le poids des sacrifices sur la classe ouvrière est engagée. Le patron mène la bataille au Parlement, dans le pays. En 1932, lorsqu'une partie des travailleurs, exaspérés par le chômage et la misère, se révoltent, Vandervelde se rend à Charleroi, parle aux ouvriers, leur montre qu'il comprend leurs souffrances.

Puis, vient la bataille contre la politique de déflation et pour la réalisation du Plan du Travail. Vandervelde, en 1933, devient président du Parti Ouvrier et, en cette qualité, il est encore à la pointe du combat.

Et quand, enfin, le gouvernement Theunis s'écroule et que se constitue le gouvernement de la Rénovation nationale, Vandervelde est le premier délégué du Parti au sein du nouveau cabinet dont il est le vice-président. Et il le souligne à maintes reprises, il considère sa tâche comme celle de l'homme de liaison entre le gouvernement et le Parti Ouvrier.

Ses derniers travaux doctrinaux

Cette activité intense pendant toute la période d'après-guerre - trop récente et trop présente à l'esprit de tous les militants pour qu'il soit nécessaire d'en évoquer les détails - n'empêche pas Vandervelde de creuser les problèmes doctrinaux que pose la situation révolutionnaire du monde actuel.

Ses derniers travaux doctrinaux

Cette activité intense pendant toute la période d'après-guerre trop récente et trop présente ¯l'esprit de tous les militants pour qu'il soit nécessaire d'en évoquer les détails — n'empêche pas Vandervelde de creuser les problèmes doctrinaux que pose la situation révolutionnaire du En 1918 déjà, il publie « Le socialisme contre l'Etat », livre où il met les socialistes en garde contre l'étatisme bureaucratique et irresponsable. En 1923, il pose cette question : « Faut-il changer notre programme ? » Et il répond, dans une étude remarquable, que la base du programme du socialisme belge révolutionnaire et réaliste la fois, demeure tout entière.

Puis, en 1933, devant le développement inquiétant de l'esprit fasciste en Europe, c'est « L'Alternative » : il faut choisir entre le capitalisme d'Etat, accouplé la dictature politique, et le socialisme démocratique qui, seul, peut donner à l'humanité et la prospérité et la liberté.

Il faudrait mentionner aussi les articles qu'il donne au « Peuple » de Bruxelles, à la « Dépêche » de Toulouse où il a repris la succession de Jaurès, à des nombreuses revues belges et étrangères. Il faudrait aussi parler de son activité scientifique, soit à l'Académie dont il est membre, soit à l'Université Libre de Bruxelles, où il enseigne, en qualité de professeur extraordinaire, les doctrines socialistes. Il faudrait aussi parler de ce petit livre sur « Jaurès » dans lequel il donne la synthèse si sûre et si concise de la personnalité prodigieuse du tribun socialiste français. Il faudrait aussi parler de l'orateur, de l'amateur de tout ce qui est beau - n'a-t-il pas fait une conférence très goûtée sur Racine ? Il faudrait aussi rappeler « L’histoire du Parti Ouvrier », qu'il trouva le temps de publier en 1925, sous le titre : « Le parti Ouvrier Belge, 1885-1925. » Que ne faudrait-il encore rappeler ?

Nous l'avons dit, c'est en plusieurs volumes que l’étude de l’ouvre et de la vie d'Emile Vandervelde devrait être contée.

Les dernières années

Comme toute sa vie, les dernières années de Vandervelde ont été emplies d'une activité prodigieuse. Cet homme étonnant disparaît en pleine action.

En 1936, il devient ministre de la Santé publique.

Il fut, avec des collaborateurs d'élite, le véritable créateur de ce ministère. On n'a pas encore oublié l'œuvre accomplie par lui à la tête de ce département et continuée, après son départ, par Arthur Wauters : création des plaines de jeux et de sports, réforme de l'Assistance publique, interventions en faveur des œuvres d'hygiène et de santé.

Lorsqu'il quitta, en 1937, le ministère de la Santé, M. Van Zeeland, Premier ministre, put dire à la Chambre :

« M. Vandervelde avait bien voulu déclarer spontanément que j'avais fait, au cours de ces deux ans de collaboration, un grand effort pour rapprocher des points de vue qui étaient, par la force des choses, souvent différents. Moi-même, je me suis plu à rendre hommage aux sentiments respectables et élevés qui avaient inspiré la conduite de l'honorable ministre de la Santé publique.

« J'ai ajouté que je me plaisais à espérer que nous nous rencontrerions souvent encore, lui et moi. dans le domaine politique, pour assurer, par de communs efforts, le maintien et la sauvegarde de l'œuvre de redressement que nous avions poursuivie et réalisée ensemble.

« L'hommage que Je rendais ainsi au caractère et à l'action de M. Vandervelde, je tiens à le renouveler aujourd’hui, sous une forme solennelle.

« Au cours de près de deux ans, il m'a apporté une collaboration active, vigilante, efficace. Il a su forcer l'estime et je crois pouvoir dire la sympathie de tous ses collègues, même de ceux dont les opinions politiques étaient le plus éloignées des siennes.

« Quant à moi, j'ai assisté - et parfois avec une véritable admiration - à l'effort sincère que faisait cet homme au cœur élevé et aux convictions profondes, pour trouver une solution au conflit que se livraient en lui d'une part, son désir de maintenir une formule gouvernementale dont il mesurait l'utilité et même la nécessité pour le pays, et, d'autres part, des convictions doctrinales pour lesquelles il avait lutté sans relâche pendant plus de cinquante ans.

« En prenant la décision de se retirer, M. Vandervelde a eu soin de me dire – et il l’a répété depuis en plusieurs occasions - ce qu'il pensait de la position du gouvernement qu'il quittait : s'élevant bien au-dessus de toute considération personnelle. il estime que rien n'est modifié aux raisons profondes qui obligent les trois grands partis nationaux à continuer leur loyale collaboration, dans l’intérèt du pays et de ses institutions.

« En se retirant dans ces conditions. M. Vandervelde ne s'est pas diminue; j'estime qu’il s’est encore grandi. »

Libéré de sa tâche gouvernementale, le Patron reprend sa place à la tête du Parti Ouvrier et en assume à nouveau la présidence effective, présidence qu'il n'avait, d'ailleurs, jamais abandonnée.

Il est de tous nos congrès, de toutes les réunions de la direction du Parti, de toutes nos campagnes.

Quand le Parti Ouvrier révise ses statuts et réélit son Bureau, le Patron est nommé par acclamations. C'est par acclamations encore qu'il sera réélu il y a quelques semaines à peine. Depuis longtemps déjà, les socialistes bruxellois le mettaient hors poll en tête de leur liste de candidats.

A l'occasion de son 70ème anniversaire, il fut l'objet de manifestations émouvantes d'affection et d'admiration. On le fêta à la Maison du Peuple, à l'Académie et à l'Université.

Après la démission du gouvernement Van Zeeland, Vandervelde décline l'offre que lui fait le roi de former le gouvernement. Il se consacre tout entier à son Parti et à l'Internationale.

C'est le propagandiste le plus ardent et le plus enthousiaste en faveur de la République espagnole. On peut dire que la dernière année de sa vie, c'est à l'Espagne qu'il la donne, cette Espagne qui, dans les tranchées de l'Ebre ou de Madrid, défend la démocratie européenne.

L'Espagne républicaine est aussi le but de son dernier grand voyage. Il y va en février 1938, accompagné de sa femme, parcourt toute la République, va de Barcelone à Valence et de Valence à Madrid, assiste à la séance des Cortès au Monserrat, harangue les combattants de la Liberté à l’Escorial et la Cité Universitaire.

Les dernières interventions publiques de Vandervelde sont faites, ou bien pour appeler à la solidarité avec nos camarades espagnols, soit pour exprimer sa sympathie aux victimes de la barbarie hitlérienne.

On sait avec quel acharnement Il combat dans le Parti, au Parlement,'dans les journaux qui s'honorent de sa collaboration, tout ce qui lui paraît être une concession aux forces fascistes et réactionnaires.

Mais ces préoccupations-là sont loin de mettre un frein son activité normale. Il est présent à toutes les séances de la Chambre. Si ses moyens physiques commencent à faiblir, sa lucidité d’esprit demeure étonnante. Il écrit des articles, il donne des interviews jusqu'au moment même où la maladie le frappe. Il y a quelques jours à peine, le roi, procédant des consultations politiques importantes, le recevait.

Le jour de la Noël. il a déjeuné à la Maison du peuple, en compagnie de Louis de Brouckère.

Et maintenant, il n'est plus.

La passion de Vandervelde, son attachement à la démocratie et au socialisme, la lucidité et la puissance de son esprit politique, l'ardeur et la profondeur de sa foi, le prestige et le rayonnement de son intelligence ont constitué une des armes les plus puissantes qui se soient jamais trouvées au service du prolétariat.

Et il suffit de jeter un regard sur le chemin parcouru par le socialisme belge et par la Belgique depuis cinquante ans, il suffit de marquer la place que le Parti Ouvrier occupe dans la vie politique de ce pays, pour comprendre, pour mesurer toute l'étendue de notre perte.

G. KOULISCHER.


(Extrait du Soir, du 28 décembre 1838)

La carrière du défunt

M. Vandervelde naquit à Ixelles le 25 janvier 1866. II fit ses études moyennes aux Athénées d'Ixelles et de Bruxelles. A l'Université libre, il conquit, en 1885, le diplôme de docteur en droit et, en 1888, celui de docteur en sciences sociales; en 1892, il fut proclamé docteur spécial en économie politique.

Lors de la fondation du parti ouvrier en 1885, M. Vandervelde s’affilia à la Ligue ouvrière d'Ixelles. En 1888, il fonda le Cercle des étudiants et anciens étudiants socialistes de Bruxelles. Il créa, en 1891, la section d'art et d'enseignement de la Maison du Peuple et, en 1898, la Ligue socialiste antialcoolique. Il participa activement à la création de l'extension universitaire. Ancien professeur à l'Ecole des Hautes Etudes, il fut, en 1919, élu membre de l'Académie royale de Belgique.

En 1913, M. Vandervelde prit part aux travaux de la commission chargée d'examiner les principaux systèmes d'organisation de l’électorat provincial et communal.

M. Vandervelde fut encore membre, puis président du bureau de l'Internationale, secrétaire du jury central (2ème doctorat de médecine), de la commission supérieure de patronage du deuxième congrès international de la protection de l'enfance, président du Conseil supérieur des prisons, membre de l'Office central d'études contre l'alcoolisme, membre de la commission instituée à l'effet d'élaborer le programme des cérémonies à l'occasion du centenaire de la proclamation de l'indépendance, membre du comité d'honneur des expositions d'Anvers et de Liége, etc.

C'est le 21 octobre 1894 que M. Vandervelde fut élu député pour la première fois. Il représentait alors l'arrondissement de Charleroi. Dans la suite, et sans interruption, il représenta jusqu'à sa mort l'arrondissement de Bruxelles. Lorsque la guerre éclata, M. Vandervelde fut nommé ministre d'Etat. Membre du conseil des ministres, le 18 janvier 1916, il fut nommé à l'intendance l'année suivante. Il fut membre de la cour des sursis (appel général au service de la patrie), membre du comité de guerre et de reconstitution du pays du 4 août 1917 au 1er janvier 1918. Ministre de l'intendance civile et militaire du 1er janvier au 21 novembre 1918, M. Vandervelde passa à la Justice du 21 novembre 1918 au 24 octobre 1921. Il avait été délégué de la Belgique la Conférence de la paix. Comme ministre des affaires étrangères du 17 juin 1925 au 18 janvier 1927, le président du P. O. B. eut signer les accords de Locarno. M. Vandervelde participa activement à l'élaboration et aux discussions d'un grand nombre de lois sociales, juridiques et financières. Auteur d'une proposition de loi sur le régime de l'alcool, il la détendit avec ardeur, la fit voter et, avec acharnement, maintint son point de vue le jour où il fut question de réviser la législation. M. Vandervelde était irréductible sur ce terrain : il ne prétendait pas qu'on fît renaître les lamentables situations qu'il avait connues avant la guerre dans les milieux ouvriers où sévissait l'alcoolisme. M. Vandervelde se préoccupait avec sollicitude de la santé du peuple, et c'est pourquoi il répondait toujours « présent ! » lorsqu'il s'agissait de développer les œuvres en faveur de l'enfance, des travailleurs et, en général, des déshéritée de la fortune ou du sort. Comme il avait fait voter une loi réprimant l'alcoolisme, il déposa et fit aboutir un projet de loi de défense sociale visant les anormaux, les délinquants d'habitude et de l'adolescence coupable.

Exégète du marxisme

M. Vandervelde fut aussi un des plus réputés exégètes du marxisme. Il laisse un grand nombre d'ouvrages de droit, de sociologie et de politique. La liste en est fort longue. Dès 1897, M. Vandervelde publie un livre sur « la loi belge sur leg règlements d'atelier. » Dans la suite, il s'occupa de l'influence des villes sur les campagnes, de la propriété foncière en Belgique, de la question agraire, de l'exode rural, etc.

Sur un autre plan, M. Vandervelde étudiait la position du socialisme à l'égard de la religion et de l'Etat. Curieux des grands événements internationaux, il a consacré maints ouvrages à la vie des peuples et au collectivisme.

Le « patron », comme l'appelaient familièrement les socialistes, a collaboré aussi à de nombreuses revues et à de nombreux journaux de Belgique et de l'étranger. Il aimait d'écrire et chaque semaine il commentait dans le « Peuple » les événements de la vie politique belge et étrangère.

C'était aussi un puissant tribun qui se plaisait dans les assemblées.

Emile Vandervelde et le P.O.B.

Son prestige dans le Parti Ouvrier Belge était énorme. Pour tout le monde, il y apparaissait comme la plus haute figure du mouvement socialiste belge. Il était vraiment, et dans toute la force du terme, le « patron », le dépositaire de la doctrine, l'arbitre de tous les conflits. Il mettait au service des assemblées son expérience et sa foi, ainsi que le sens politique aigu qu'il n'avait cessé de développer dans les joutes parlementaires. Le parti, pour M. Vandervelde. c'était toute sa vie. II ne manquait aucune réunion, aucun congrès, que ce fût à la Maison du Peuple de Bruxelles, chez les mineurs borains qui lui vouaient une affection passionnée, ou dans les plus lointaines fédérations de province. A la fédération bruxelloise, Il ne cessait de prodiguer ses avis, ses conseils. Aidé par un autre vétéran, M. Louis de Brouckère, auquel l'unissait une affection fraternelle, il y mena, ces dernières semaines, un très dur combat autour de la question de Burgos. Ce fut une des dernières satisfactions de sa vie que de se voir soutenu, dans ce débat, non seulement par sa vieille fédération bruxelloise, mais aussi par la grosse majorité du Congrès du parti.

Les interventions da M. Vandervelde dans ces dernières assemblées - celles de novembre et de décembre - furent particulièrement émouvantes. Sur les draperies rouges tendues au-dessus de la scène de la Maison du Peuple. on avait placé les effigies de deux parmi les plus populaires militants du parti : Edouard Anseele et Paul Pastur. Le « patron » fut-il, à ce moment, saisi d'un terrible pressentiment? Mesura-t-il soudain le chemin parcouru par son parti depuis la disparition de ces deux hommes ? Toujours est-il que M. Vandervelde, en prononçant l'éloge de ses deux vieux amis, fondit en larmes et lança ce cri bouleversant ; « Me voici vieux, me voici seul ! »

La voix du vieux lutteur s'était soudain cassée. Elle ne rendait plus le même son prodigieux. S'en rendit-il compte ? Entendait-il sonner l'heure du déclin ? A la fin du congrès de novembre, M. Emile Vandervelde annonçait qu'il ne représenterait plus sa candidature à la présidence du parti. Cette décision, il la retira bientôt lorsqu'il constata l'ardeur batailleuse avec laquelle le P. O. B. suivait son vieux chef dans la question de Burgos. Mais une ombre avait passé. M. Emile Vandervelde n'était plus le même homme. Il était devenu douloureux, presque amer. Il y avait, dans le cadre du P. O. B., un drame Vandervelde. Au moment où le vieux « patron » voyait autour de lui s'écrouler les chers principes qui avaient expliqué toutes ses luttes et toutes ses espérances - la sécurité collective, la mise hors la loi de la guerre - du moine connut-il cette suprême consolation de voir rangé autour de lui, comme un seul homme, ce puissant P. O. B. qu'il a servi jusqu'à son dernier souffle et qu'il exaltait encore dimanche, dans son dernier article envoyé au « Peuple », où il saluait dans le Parti Ouvrier « l'embryon d'une société socialiste qui se développe, comme disait Vevel, dans les entrailles mêmes de la société capitaliste. »

Parlementaire

M, Vandervelde ne manquait jamais une séance de la Chambre. Il était d'une assiduité exemplaire. Il assistait et participait à tous les débats. A son banc, immobile, attentif, il demeurait de longues heures à suivre le déroulement des discussions. A maintes reprises, il interrompait l'orateur, d'une réflexion juste, pertinente ou mordante. Ces derniers temps, ses forces paraissaient parfois l’abandonner. Il se maintenait cependant avec un courage admirable. Comme il n'entendait plus très bien, il priait gentiment les membres de parler du haut de la tribune pour qu'il puisse mieux saisir leurs arguments. Dans les toutes dernières séances, M. Wauters s'était d'ailleurs placé à côté de lui, sur le même banc, pour l'assister au besoin dans sa tache de président du P. O. B. qu'il aura remplie jusqu'au bout avec une magnifique vaillance.

M. Vandervelde était entouré à la Chambre du respect de tous. On admirait cet homme qui avait consacré toute son existence à la réalisation d'un noble idéal, qui connaissait tant de choses, avait été mêlé à tant d'événements de la vie des peuples et avait toujours su se tenir sur un plan supérieur.

Lorsque à l'issue d'un long débat qu'il avait suivi, à son banc, avec passion, le vieux « patron » se levait pour sortir de l'hémicycle, on le regardait s'en aller, à pas lents, laborieusement, et, adversaire ou ami politique, on se sentait ému.

M. Vandervelde, qui avait tenu tête à tant de grands leaders de nos partis, laissera le souvenir d'un puissant tribun, d'un grand homme politique, d'un parlementaire de grande race, profondément attaché à nos libres institutions.


(Extrait du Soir, du 28 décembre 1938)

Emile Vandervelde est mort

Emile Vandervelde est mort, mardi, dans l'appartement qu'Il habitait au Residence Palace et qui domine la ville tout entière. Il st mort au milieu de ses livres, des souvenirs, de ceux qui lui étaient attachés, par des liens familiaux ou spirituels. Les objets qu'il avait rapportés de ses nombreux voyagea étaient là, autour de lui. Il les regardait souvent. La Chine, le Congo, parmi ses plus lointaines escales, revivaient alors dans sa mémoire. Mais il pensait avec plus de mâle tendresse à quelques cadeaux, de moindre pittoresque mais plus chers à son cœur, qui avaient été offerts au « Patron » par des travailleurs de ce Pays noir qui l'envoyèrent au Parlement belge, il y a un peu plus de quarante ans. Ce sont eux qui lui ont permis de donner à ses idées, aux postulats de son esprit, nés de sa générosité profonde aussi bien que de son cerveau, une forme positive et concrète. Il les aimait de toute son âme.

Aujourd'hui, les ouvriers sont en deuil, dans la Belgique entière. Ils le sont dans

le monde. Et je connais bien des gens qui le pleureront en secret, en des pays où ces larmes seraient aujourd'hui considérées comme un crime de lèse-Etat.

Mais en même temps, les intellectuels qui l'ont connu le regretteront, même si leurs convictions se heurtaient aux siennes et s'ils étaient séparés de lui par l'inconciliable. Emile Vandervelde fut toujours un honnête homme et la fidélité à ses idées était une des formes essentielles de son honnêteté. Adversaire loyal et courageux Il est tombé, après cette année noire qui a semé l'Europe de déceptions pour tous ceux qui partageaient sa foi. Il est tombé sans avoir déchu. C'est ce que ses adversaires et ses amis reconnaîtront devant son cercueil.

* * *

On rapportera ailleurs le détail de sa vie et l'on en dira les étapes et les aspects divers. Je voudrais m'en abstenir ici et ne dégager, dans la mesure où sa présence toute proche encore donne à quelqu'un qui l'aimait, assez de recul et de sang-froid pour le tenter, les caractères fondamentaux de la carrière d'un homme considérable non seulement pour son pays mais pour l'Europe et pour le monde. Vandervelde fut l'un des pères du socialisme, l'un des exégètes d'une doctrine qui a joué dans l'évolution universelle un rôle capital. On inscrira ce nom, pour l'amour ou pour le ressentiment des hommes, parmi ceux qui illustrent l'histoire du marxisme autour duquel se joue aujourd'hui une bataille universelle. II y a un demi-siècle, quelques jeunes bourgeois, sortis du libéralisme progressiste que dominait la grande figure de Paul Janson, furent entraînés vers le socialisme par leurs recherches intellectuelles en même temps qu'ils y étaient poussés par la vague populaire. Emile Brunet, Julos Destrée, Léon Furnémont, Emile Vandervelde étalent de ceux-là, auxquels Edmond Picard apportait l'appoint d'une fougue orageuse et indisciplinée. Certains étaient venus au socialisme pour des raisons sentimentales ; ils restaient, - et les Wallons le furent toujours, - les fils des révolutionnaires de 1789 ; certains y étaient venus par logique, par déduction spirituelle, par le livre. Emile Vandervelde était de ceux-là, était celui-là. S'il avait, comme la plupart de ses compagnons, fait ses études de droit à l'Université de Bruxelles, il s'était spécialisé ensuite dans les sciences sociales et l'économie politique. Son socialisme avait donc une base de savoir et de raison autant que de sensibilité. Et pendant toute sa vie, il resta fidèle à ces prémisses. Ayant prêté serment sur cette Bible du socialisme qu'était pour lui le « Capital » de Marx, il s'est toujours refusé à aller au-delà du marxisme ou à rester en deça de lui.

Je me souviens d'un cours qu'il donnait, avant la guerre, à l’Université Nouvelle, sur les théories fondamentales du socialisme, sur sa Bible politique. Avec une clarté, une force déductive, une puissance faite d'une mise en valeur des idées essentielles qui sont les qualités majeures de tout bon professeur, il apprenait à de jeunes esprits, insuffisamment formés aux mystères de l'économique ce que représentait, dans le jeu compliqué des doctrines contemporaines, le matérialisme historique. Je n'ai pas à me demander s'il avait tort ou raison. Je veux simplement garder ici l'image de cet apôtre lucide qui possédait à ce point la faculté de convaincre l'intelligence avant d'enflammer par le cœur qu'on ne pouvait s’empêcher d'admirer en lui une foi qui, d'abord, cherchait dans les valeurs cérébrales les éléments d'une conviction.

Tel je le retrouve à toutes les étapes de sa vie, dans le jugement qu'il portait sur les affaires nationales ou universelles. Le Parti Ouvrier Belge ou la Seconde Internationale étaient compris pour lui, dans le même cycle d'une idéologie aux frontières de laquelle il n'a cessé de monter la garde.

* * *

Mais cette doctrine, née d'une méditation dans le cabinet de travail et la bibliothèque, correspondait pour lui à une injonction qui venait du dehors, du fond même du peuple. Le livre qu’il signa avec Jules Destrée, en 1903, sur « Le Socialisme en Belgique » commence par ces mots : « Le parti ouvrier a été fondé à Bruxelles, le 9 avril 1885 ; il n'est pas sorti tout armé du cerveau de ses fondateurs et plusieurs des groupes qui le composaient ont des origines plus lointaines. »

De la théorie à l'action ouvrière, les liaisons sont pour lui nettement établies. Les fédérations régionales, les mutualités, les syndicats, les coopératives sont, au moment de la fondation du parti, ses instruments d'action.

Emile Vanderverde, gardien jaloux de la doctrine, n'a cessé de veiller à ce que ces formations populaires se développent et s'affirment. C'étaient là, pour lui, quelques-unes des figurations de l'économique. Mais je ne voudrais pas oublier que s'il s'attachait à la vie ouvrières. il n'a jamais oublié que sans l'art et la pensée, sans ces guides spirituels que sont les penseurs et les artistes, une action collective, quelle qu'elle soit, s'appauvrit et se stérilise. Lui qu'aucune couvre d'art, aucun écrit, d'où qu'il vint, ne laissait indifférent et qui parlait, avec une surprenante clairvoyance, des dernières publications ou des derniers tableaux, a fondé, en 1891, la Section d'art de la Maison du Peuple. C'est là une de ses initiatives, dont lui sauront gré tous ceux qui croient que la beauté ne peut être un domaine exclusif.

* * *

Il y avait, dans l'éloquence d'Emile Vandervelde, qui était large et puissante, autant d'art que de raison. Ce logicien, qui décomposait un thème suivant une méthode systématique inflexible, y ajoutait l'image, la couleur, la beauté verbale. C’était - et point n'est besoin d'y insister auprès de tous ceux qui l'ont entendu - un orateur magistral. Il l’était sur la place publique, à la Chambre. où il est intervenu dans tous les grands débats, dans les congrès, à la tribune du professeur et du conférencier. On se souviendra de lui comme d'un des plus prestigieux parmi les maîtres de la parole.

On a parlé tout à la fois à son propos d'intransigeance et d'habileté. Un de ses camarades français le disait son propos, en l'écoutant un jour, dans un débat public.

Ce balancement, étayé sur une fidélité à la doctrine, fut peut être une des forces d'Emile Vandervelde. Grâce à elle Il fut, dans le sein de son parti, un artisan de conciliation et de durée. II a maintenu l'unité d'une grande organisation politique, il en a confirmé la force et assuré le prestige.

Mais il ne l'a fait qu'en fonction des intérêts de son pays. On l'a combattu vivant ; maintenant qu'il n'est plus, on combattra la politique qui fut sienne. Une telle hostilité et de telles attaques sont dans la saine logique de la vie.

Les idées changent d'atomes aussi bien que les corps. Pourtant, on ne pourra oublier qu'Emile Vandervelde, ministre de l’Intendance pendant la guerre, à Versailles, la guerre finie, et, depuis la paix, à la Justice, aux Affaires étrangères, à la Santé publique, a servi la Belgique loyalement, autant qu'il a servi la classe ouvrière. Il l’a fait avec foi, même si 'l'on veut discerner dans cette toi des erreurs et du parti-pris.

Un grand homme est mort. Devant la couche où il reposa aujourd'hui, ceux qui l'ont attaqué dans nos quotidiennes batailles peuvent s'incliner comma ceux qui l'ont aimé.

II est assez grand pour que personne ne conteste qu'il a droit à cet hommage et pour que la leçon qu'il a donnée, même discutable en bien des points, s'impose en des endroits où sa disparition ne peut manquer de causer quelque trouble.

Richard Dupierreux


Voir aussi :

1° POLASKY J., Nouvelle biographue nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1988, t. 1, pp.344-352

2° VANLANGENHOVE., Notice sur Emile Vandervelde, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1968

3° E. VANDERVELDE, Souvenirs d'un miltant socialiste,Paris, Denoël, 1939 (sur le site Gallica.bnf)

Site de l'Institut d'études Emile Vandervelde