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Van Humbeeck Pierre (1829-1890)

Portrait de Van Humbeeck Pierre

Van Humbeeck Pierre, Edouard libéral

né en 1829 à Bruxelles décédé en 1890 à Bruxelles

Ministre (instruction publique et guerre) entre 1878 et 1884 Représentant entre 1860 et 1884, élu par l'arrondissement de Bruxelles

Biographie

(O. ROELANDTS, dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1936-1938, t. 26, col 438-440)

VAN HUMBEECK (Pierre-Edouard), avocat, homme politique, né à Bruxelles le 17 mai 1829, décédé dans la même ville le 5 juillet 1890.

Pierre Van Humbeeck était issu d'une excellente et ancienne famille libérale de la ville basse. Son père, Jacques-Joseph, dit Corneille Van Humbeeck, banquier vivant dans une large aisance, était né à Ixelles, le 14 août 1796. Il avait épousé, le 7 juillet 1828, Anne-Marie Annemans, née le 18 messidor an XII (décédée en décembre 1876) el appartenant à une famille qui avait compté parmi ses membres plusieurs conseillers communaux et députés permanents. Van Humbeeck père habitait un hôtel de belle apparence, 12, rue du Rempart des Moines, à ses occupations, il joignait celles de membre de la chambre de commerce et, depuis 1848, de conseiller communal.

D’esprit vif et ardent, Pierre Van Humbeeck fit de bonnes études juridiques à l’université libre de Bruxelles. En 1851, il débuta au barreau de Bruxelles et fut toujours un avocat estimé. Ses plaidoiries. un peu emphatiques tiques et visant au sentiment, plaisaient fort à cette époque plus ou moins adonnée aux sonorités verbeuses. Plusieurs fois ses collègues l'élurent bâtonnier.

Tout jeune, Pierre Van Humbeeck fut séduit par la politique. Il fit ses premières armes dans les rangs du groupe libéral avancé sécessionniste qui siégeait à La Louve (Grand-Place). puis (après la réconciliation momentanée de 1857 entre doctrinaires et avancés) dans le groupe dit « rouge » de l’Association libérale.

En 1860, la nuance avancée l'emportait à l'Association, dont Van Humbeeck devenait président ; cette même année il était élu député de Bruxelles.

Sans doute, le jeune et actif député s'intéressait aux problèmes sociaux et démocratiques : en 1859, il avait écrit une dissertation bien construite : Révision du code pénal. Des coalitions de maîtres et d’ouvriers (La Belgique judiciaire , 1859, article de 32 pages). Après le congrès ouvrier de 1863, il avait été fier d’être nommé président du comité parlementaire d'enquête. On se tromperait cependant si on le considérait comme un vrai radical. A la Chambre comme à l'Association, Van Humbeeck visait à la « prépondérance des nuances intermédiaires. » Il voulait être « le plus avancé des modérés et le plus modéré des avancés ! »

Vice-président de la Chambre, de 1869 à 1870, Van Humbeeck entra, le 19 juin 1878. dans le cabinet Frère-Orban, comme ministre de l' instruction publique. Il fit aussi l'intérim du département de la Guerre, entre les ministères des généraux Renard et Liagre. Il devait y représenter l'élément libéral partisan de l'extension du droit de suffrage. La loi du 1er juillet 1879, créatrice de l'école primaire laïque et neutre, fut en grande partie son œuvre. On sait avec quel loyal enthousiasme il s'attela cette tâche, mais aussi combien il était peu préparé, tant à cause de son incompétence sur la matière que par suite de son manque de souplesse et d'esprit de suite.

Il ne convient pas ici d'insister sur la « guerre scolaire » ni sur l'effondrement de la politique libérale en 1884. Remarquons cependant qu'à côté des créations éphémère de Van Humbeeck, une œuvre durable survécut : celle de la réorganisation, par le directeur général de l'enseignement primaire Germain, de l'enseignement froebelien d'une part et normal primaire de l'autre.

L'infortuné ministre ne put néanmoins se consoler de l’échec d'ensemble de son œuvre. La fin de sa vie fut également assombrie par la maladie et des chagrins d'ordre privé. Il se retira presque complètement de la vie publique.

Ses funérailles, de même que l'inauguration d'un monument commémoratif en son honneur, le 27 juillet 1902, près de la porte de Gand, furent l'occasion de grandes et touchantes manifestations de sympathie populaire.


(Extrait de Les Hommes du jour, s.n., 1884, n°38, pp. 158-160)

M. Pierre Van Humbeeck, surnommé jadis Pierre l'Indécis et connu aujourd'hui sous le nom de Fossoyeur du catholicisme.

Le ministre de l'instruction publique a une belle prestance, digne d'un colonel de la garde-civique, qu'il fût pendant plusieurs années. Il a une forte chevelure, ce qui ne l'empêche pas de laisser passer bien souvent de prendre par les cheveux, les occasions qui se présentent de faire le bien.

A la rue, lui aussi, il marche d'un pas mesuré, avec une certaine dose de majesté. Il se dandine complaisamment et a l'air de dire à tous ceux qui passent à ses côtés : Saluez! je suis le premier ministre de l'instruction publique !

Pierre Van Humbeeck est né à Bruxelles et doit avoir aujourd'hui de 50 à 55 ans. Il a fait des études d'avocat et, après avoir fait les délices des radicaux de la Louve, entra à l'Association libérale, mit un peu d'eau dans son vin rouge et fut envoyé à la Chambre le 18 mai 1860.

Arrivé dans » la maison de tous «, pour parler comme l'Etoile belge - ce qui est une très mauvaise manière de parler - Van Humbeeck, appelé complaisamment Pitje par les habitués de la Demi-Lune, prit place à l'extrême-gauche en compagnie de Guillery, Funck, De Fré, etc. Dans différentes discussion, il se montra intransigeant et refusa, entre autres, de voter la réforme électorale de 1870, parce que le projet dû à M. Frère laissait de côté l'élite de la classe ouvrière. Hélas ! il y a loin de cela ! Et maintenant que M. Van Humbeeck est au pinacle, la classe ouvrière, au point de vue spécial du droit électoral, est toujours sacrifiée.

D'ailleurs, son intransigeance baissa petit à petit et pendant le ministère Malou, de 1870 à 1878, Van Humbeeck fut un des premiers rôles de l'opposition. Chaque fois qu'il prenait la parole, il parlait inévitablement de l'arrogance du clergé et autres rengaines du même tonneau doctrinaire et s'imaginait ainsi faire des discours-ministres.

Lorsque M. Paul Janson fut présenté à l'Association libérale, comme candidat à la députation, Van Humbeeck travailla pour faire échouer cette candidature. Il était président de l'Association à cette époque et, comme tel, usa de toute son influence pour faire échouer M. Janson. Dans les meetings, il fit usage du vieux spectre rouge, lui qui, en 1848, était cependant un rouge aussi. Les membres de la Maison des Brasseurs ne s'y laissèrent pas prendre et Janson fut élu. Le jour du poll, Van Humbeeck envoya sa démission de président. Voilà de quelle manière les gens de son espèce respectent les décisions de la majorité.

Mais qui sait, cette attitude de Pitje était peut-être un plan combiné pour entrer dans les bonnes grâces doctrinaires et décrocher ainsi un portefeuille ?

Aussi, lorsqu'en 1878 M. Frère revint au pouvoir et créa le ministère de l'instruction publique, Van Humbeeck fut désigné comme chef de ce nouveau département. C'est toujours la vieille histoire renouvelée de Beaumarchais :

« Il fallait un calculateur, Ce fut un danseur qui l'obtint ! »

Van Humbeeck n'avait et n'a encore aucune connaissance pédagogique nécessaire pour remplir ces fonctions. On dit que pour faire un civet il faut un lièvre. Or, pour faire un ministre de l'instruction publique il faudrait au moins un homme habitué aux choses de l'enseignement, et ce n'est pas le cas de l'avocat-banquier Van Humbeeck. Aussi, pour la bêtise et la nullité ministérielle, peut-il rendre des points au général Gratry, ce qui n'est pas peu dire !

Van Humbeeck, ce farouche tribun, ce pourfendeur d'abus, ce tombeur invincible de la clique ultramontaine, dès qu'il a été mis en possession du portefeuille de ses rêves, a fourré dedans promesses et programme et s'est gravement assis sur le tout.

Cette fameuse révision de la loi de 1842 sur l'instruction primaire, au sujet de laquelle on a entendu tant de discours, a donné lieu à un bien triste rejeton. La loi de 1879, que les catholiques appellent la loi de malheur, pourrait être appelée avec plus de raison la loi des farceurs. En effet, au lieu de mettre en pratique la formule tant de fois ressassée : le prêtre à l'église et l'instituteur à l'école, on a, par l'article 4 que l'on sait, permis aux hommes noirs d'entrer à l'école. Les fameuses circulaires Van Humbeeck ont achevé de rendre cette loi ridicule ; les primes de cent francs données aux instituteurs pour apprendre le catéchisme à l'école, alors que l'Etat paie le clergé pour faire cette sale besogne à l'église ; enfin, le rétablissement par des commissaires spéciaux des christs dans les écoles publiques, sont autant d'actes honteux qui ont pour auteur le fameux Van Humbeeck de l'instruction publique.

Il serait difficile, convenez-en, d'être de meilleure composition avec les cléricaux. Ceux-ci ont surnommé Van Humbeeck : Pierre le Fossoyeur ; 'est probablement parce qu'il cultive avec un certain succès la concession à perpétuité !

Le mandat de l'ancien habitué de la Demi-Lune expire bientôt. Naturellement, Van Humbeeck ne daigneras pas aller dans les réunions publiques pour y rendre compte de la façon dont il a tenu ses promesses. Ce serait s'abaisser évidemment, que de descendre si bas. Il faut ajouter aussi que la chose serait difficile car tous les actes politiques de maître Van Humbeeck laissent énormément à désirer. Ah ! si les électeurs étaient intelligents comme ils vous renverraient à sa banque et à sa blague d'autrefois le fameux sire aux circulaires et au questionnaire électoral! Mais voilà, ils ne sont point intelligents et il est bien probable que le mandat sera continué à ce triste ministre aux crucifix-obligatoires !

Si nous étions le maître, comme nous vous enverrions ce bonhomme-là à la chaudière avec ses compères de gauche et de droite !


(Extrait de l’Indépendance belge, du 7 juillet 1890)

M. Pierre Van Humbeeck est le ministre de l'instruction publique que nous ayons eu en Belgique depuis 1830.

C'est le mérite du cabinet libéral de 1878 d'avoir créé ce département ministériel dont le pays attendait beaucoup.

C'est la honte du cabinet clérical de 1884 de l'avoir détruit.

Ce fut pour Van Humbeeck un immense honneur d'être appelé à l'inaugurer, et de cet honneur il se montra digne par le zèle de ses efforts dans l'accomplissement d'une tâche qui, si elle n'était pas au-dessus de son dévouement et de ses aptitudes générales, dépassait peut-être le niveau de sa compétence spéciale. Il se mit à l'œuvre avec l'ardeur persévérante qui faisait le fond de son caractère sérieux et loyal, et si, dans la conduite de sa gestion administrative, il n'eut peut-être pas toujours toute la souplesse d'autorité qui eût été nécessaire pour installer solidement l'édifice confié à ses soins, du moins ne s'épargna-t-il pas à la besogné.

L'édifice tomba avec lui sous les coups de la haine politique de ceux qu'on a justement nommés les Ignorantins. Il ne s'en consola jamais, et la ruine de son œuvre, plus cruelle à son cœur que sa chute personnelle, fut en réalité à l’origine du mal qui vient dé l'emporter.

La loi scolaire de 1879 est en grande partie son œuvre, et il contribua vaillamment à la défendre dans les Chambres contre la plus violente opposition qui fût jamais, dans le pays contre l'odieuse campagne organisée par l'épiscopat, et poursuivie jusque dans les moindres bourgades par un clergé fanatique exploitant contre le principe absolument juste et constitutionnel de l'école le prestige nullement contesté de l'influence religieuse.

Cette loi calomniée, indignement vilipendée, est détruite comme le département dont Van Humbeeck fut le premier et le dernier titulaire, mais elle sera un jour restituée, au moins dans son principe, et ce sera le jour de la revanche, posthume mais glorieuse, pour l'homme de courage et de talent qui eut l'honneur d'y attacher son nom.

Les vicissitudes par lesquelles passa l'homme politique avant son avènement ministériel et après sa chute sont des plus curieuses, mais parfaitement explicables pour qui regarde au fond des choses plutôt que de s'en tenir aux apparences. Il se lance jeune dans la mêlée de la vie publique, et la fougue de ses vingt ans, interprétée à tort comme l'indice d'aspirations troubles, inquiète un groupe Important du parti auquel il ambitionne de se dévouer. En 1859, son nom et celui de Funck inscrits sur la liste provisoire de l'Association libérale de Bruxelles, suffisent à provoquer une scission qui réussit. Funck, longtemps échevin de l'instruction publique à Bruxelles devint député en 1864. Van Humbeeck le devint dès 1860, et pendant 24 ans continua de représenter la capitale à la Chambre. En 1873, un contrat conclu entre l'Association libérale de Bruxelles qu'il préside provoque une seconde scission qu'il bat. En 1877, lui qui a soutenu sans succès la candidature de M. Albert Picard contre celle de M. Watteau, se démet de la présidence plutôt que de signer la circulaire qui recommande aux électeurs la candidature de M. Paul Janson. Enfin, en 1884, adversaire constant des scissions antérieures, il en dirige une troisième qui depuis a rallié quelques-uns de ceux dont elle excitait le plus vivement l'irritation. Là dessus on dénonce la contradiction, On crie à la palinodie. C’est profondément injuste, et pour se garer de cette injustice, il suffit de se rappeler un discours célèbre de M. Van Humbeeck, qu'il prononça il y a quelque quinze ans en qualité de président de l’Association libérale, et dont le thème, une des ses idées favorites, était la prépondérance nécessaires des « nuances Intermédiaires », condition du succès du libéralisme. Les « nuances intermédiaires » de Van Humbeeck différaient des « éléments flottants » d'Auguste Orts, puisqu'il les cherchait en plein cœur du parti libéral ; elles avaient cela de commun avec eux qu'elles évitaient les extrêmes, mais tous les extrêmes. Son opinion, sa politique se maintenait au juste milieu de la science libérale.

Les variations qu'on lui a reprochées sur la question de la réforme électorale ne sont pas moins conciliables avec les idées directrices de ses convictions et de ses actes. En 1871, il prend en considération une proposition de révision constitutionnelle ; en 1883 il en écarte une autre. II ne fut pas le seul. Les circonstances n’étaient pas les mêmes. Les deux motions étaient de caractère très dissemblable. La première réforme électorale de M. Frère pour la commune et la province lui paraît insuffisante, - nous parlons de celle que M. Malou fit abroger avant tout commencement d'application; pour y substituer en 1872 le pur et simple abaissement du cens électoral, sans aucune condition de capacité. En 1883,-Id capacité l'emporte, et Van Humbeeck se tient pour satisfait, très étonné du mécontentement de ceux dont cette réforme exauçait le vœu formulé en 1881.

Tout cela en somme se tient parfaitement. L'opinion publique s'en rendit compte, aussi ne retira-t-elle jamais sa confiance à Van Humbeeck, en dépit de certaines critiques passionnées.

Avant d'être appelé au ministère, Van Humbeeck s'était signalé à la Chambre par son assiduité laborieuse. Orateur écouté, il fut l'un des grands travailleurs de l’assemblée dans les sections comme dans' les séances publiques, et son bagage parlementaire est considérable.

Aux élections d'octobre 1884, il fut élu conseiller communal de Bruxelles. Il avait commandé longtemps une légion de la garde civique de la capitale et était resté colonel honoraire. Nous le voyons encore, quand les Chambres s’ouvraient solennellement, descendant de cheval pour prendre sa place dans l'hémicycle, s'asseoir à son banc en grand uniforme et retourner à son poste militaire après le discours du Trône. Sa popularité dans notre milice citoyenne ne s'est jamais affaiblie.

On sait avec quel scrupule de délicatesse s'acheva la vie de Van Humbeeck, l'abandon de toute sa fortune aux créanciers de son frère, à la suite d'un krach dont il n'était en aucune façon responsable. Le trait n'étonna point. On connaissait l'homme. Il n'en mérite pas moins d'être cité, d'autant que cet exemple d'honneur fut donné sans ostentation, sans tapage, avec une simplicité aussi noble que touchante.

C'était bien un noble cœur qui battait dans cette poitrine dont la mort vient de comprimer le dernier souffle. Et la conscience publique ne s'y trompe pas. L’homme politique a pu être contesté, attaqué, méconnu, mais sa loyauté fut toujours à l'abri du soupçon, son désintéressement au-dessus de toute atteinte, son caractère universellement estimé. Et au moment où la mort éteint la flamme qui animait toutes ses facultés, c'est un hommage unanime qui salue avec une émotion respectueuse le citoyen zélé qui se donna tout entier à la chose publique, l'honnête homme et l’homme de cœur.


(Extrait Edmond PICARD, dans Journal des Tribunaux, du juillet 10 juillet 1890)

Nécrologie. Le confrère Pierre Van Humbeeck

Confrère, oui. Le titre est indélébile, même pour ceux qui nous quittent, soit par goût pour autre chose, soit parce que la clientèle, cette fantaisiste, cette coureuse, est allée coqueter ailleurs. On ne l'a guère vu, dans le nouveau Palais : une ou deux fois, en ces temps derniers, passant triste et délabré, inconnu des jeunes, indifférent à beaucoup d’anciens, salué très bas par les courtisans du malheur. Ce n’ était plus qu’ un fantôme : massif certes et quand même, aux larges épaules, à la barbe fluviatile grisonnante, mais se traînant, nimbé d’isolement et de chagrin rongeur. Post equitem sedebat atra cura. Un ancêtre, dépossédé, taciturne, lamentable.

Il en eut apparemment la poignante impression ; on ne le revit plus.

Il est mort, non dans la paix, mais dans le délaissement affligeant et morne des individualités déchues qui eussent vécu une vie paisible si elles n’ avaient eu, un temps, des honneurs au-dessus de leur valeur, et des devoirs au-dessus de leurs aptitudes. La fin des forts seuls est grande, et quand c'est l’ infortune qui les abat, tragique. Ceux qui sont adoptés par la foule pour être les porteurs de dignités ou de devoirs trop larges pour leurs âmes débonnaires, paient tôt ou tard, en abandon cruel, cette passagère et superficielle importance. L ’injustice est alors

non dans l’indifférence qui les délaissent, mais dans l ’engouement qui les a mal à propos

haussés.

Des honneurs ! Pierre Van Humbeeck en fut chargé au point d’en fléchir s'il en eût compris la périlleuse responsabilité. Il eut tous les honneurs qu’un homme sympathique, et qui n’ offusque personne, peut obtenir sur cette terre. Dans le cortège de ses dignités le grand coudoie le banal, ce qui fait sourire passe accouplé à ce qui rend soucieux et grave. Il fut : Ministre de l’Instruction publique, Vice-président de la Chambre, plusieurs fois Président de l’ Association libérale de Bruxelles, Grand-maître de la franc-maçonnerie belge, Commandeur du Suprême Conseil ! Conseiller communal depuis 1884, membre du Conseil d’administration de l’ Université libre, Président de l’ Union des anciens étudiants, Président de la commission permanente du tir national, Commandant honoraire de la 4ème légion de la garde civique, Commandeur de l'ordre de Léopold, dignitaire d’ une infinité d’autres ordres, saints, aigles, éléphants, lions, ayant

gagné souvent à ce jeu des Trente-six bêtes, plaqué, cordonné, crucifié de face et de

revers.

On le connut, jadis, républicain et démocrate ; mais cette pesante armure s’usa à être frottée par ce compagnon bénévole aux murs du labyrinthe qui mène au palais qu’habite le roi Bon Garçon. Elle n’était plus, sur le tard, qu’ une mince cuirasse de fer blanc officiel.

Il fut aussi Bâtonnier de notre Ordre. Il le fut au temps heureux de sa vie. Il le fut avec sa cordialité inaltérable et la simplicité rustique de ses mœurs, en bon bourgeois du bas de la V ille, en résidant imperturbable de la rue Rempart-des-Moines.

Il le fut, non pour ses mérites d’avocat, à faible relief, mais pour cette chose plus élevée : son cœur d’avocat. Il a aimé le Barreau, et le montrait, jusqu’aux jours où il se crut fait pour être Ministre. Il se plaisait aux causeries, dans l’ancien Palais, qu'il fréquentait le matin avec la même assiduité que le fameux cabaret de la Demi-Lune le soir. II avait le besoin d’ échanger, sur les incidents de la veille, et du jour, les inoffensifs bavardages qui amusent la cervelle sans servir à rien et qui, depuis, sont devenus l'habituelle pâture que mâchent et ruminent messieurs les reporters. On l’entourait, on l’écoutait. Il siégeait d’ordinaire sur l'unique banc installé à la porte du concierge de la cour d’appel, comme un banc de village sur la place de l’église, sous un tilleul. Il était précédé ou accompagné par une manière de bedeau, un agent d’affaires du nom de Mailly, de haute taille, solide canne à la main, à allure de commissaire, drapé dans une longue redingote à la propriétaire, boutonnée, personnage important, très connu au Palais, traitant d’égal à égal avec les anciens de l'Ordre, et appelant Pierre Van Humbeeck familièrement et orgueilleusement : don Pedro !

Notre confrère n’a jamais connu l’ivresse de la grande et encombrante clientèle. Il plaidait peu et sans éclat. La dernière fois que nous l ’entendîmes, c’était dans le procès d’assises Dubois-de Burlet, une prévention d’outrage par la voie de la presse compliquée de provocation en duel. Il doublait Optal Scailquin ou c’était Optat Scailquin qui le doublait, l’orateur habile à déclamer en termes pompeux les banalités chères à la foule. L ’allure de l’affaire prit vite le dégingandage politique, injuste et engueuleur. Mais, à la fin des débats, la Bonté, qui élisait volontiers domicile dans la poitrine, alors solide, de Pierre Van Humbeeck, mit le nez à la fenêtre, et parla par sa bouche le ronronnant langage qui convie aux illusions de l'oubli et aux embrassades sans lendemain. Mailly avait annoncé cette péroraison comme devant être le coup de fouet dans la cause : « Vous entendrez don Pedro ! vous verrez quelque chose ! » Au lieu d’accolades, ce qui sortit de l’affaire, ce fut des mois de prison et d’ incurables rancunes. Oh ! les illusions ingénues des apôtres !

Maître Pierre Van Humbeeck plaidait simplement, sobrement. Son argumentation exposait des sentiments plutôt que des raisons, des aperçus pratiques plutôt que des motifs juridiques. Tout cela était débité avec la chaleur d'un entrain un peu factice, avec des gestes visant à émouvoir les bonnes gens, avec l’allure d’ un capitaine criant à ses hommes : Allons ! camarades, en avant ! Son style oratoire était convaincu dans sa rusticité. Mais son charme simple et populaire parut insuffisant lorsque la nouvelle école, qui donnait place dans les plaidoiries à quelque littérature, commença à s’affirmer.

Telles les épaves qui mélancoliquement remontent à la surface quand on se laisse aller aux souvenirs. Et à la sincérité. Elle seule grave ineffaçablement les personnalités dans la fragile mémoire. On rend mieux hommage à un mort en le dessinant tel qu'il fût, qu’en le déguisant sous les oripeaux d'une fausse grandeur. Au Barreau, on ne se paie pas de phrases et c’ est pour le Barreau, et non pour les badauds, que nous écrivons. Pierre Van Humbeeck paraîtra plus vrai, présenté tel qu’ on vient de le voir, en sa modeste, touchante et bonne stature moyenne, que si, à l’exemple des boursoufflants panégyriques qui cicéronisent prud'hommesquement dans les gazettes gazetantes, nous avions tenté d’en faire un grand homme.


(Extrait de l’Indépendance belge, du 9 juillet 1890)

Les funérailles civiles dé M. Pierre Van Humbeeck ont été célébrées mardi après-midi, au milieu d'un immense concours de monde. On peut dire que presque toute la population libérale de Bruxelles avait tenu à rendre un dernier et solennel hommage à celui qui fut son élu à la Chambre et au conseil communal, qui la représenta au sein du gouvernement.

La foule, sans cesse grossie par de nouveaux arrivants, s'étendait depuis la maison mortuaire, rue Rempart-des-Moines, jusque dans la rue de Flandre.

On remarquait dans cette foule recueillie M. Buls, bourgmestre et les membres des collèges échevinaux et des administrations communales de Bruxelles et des faubourgs, le conseil d'administration et le corps professoral de l'université libre ; la commission permanente du Tir national ; un grand nombre d'officiers de la garde civique ; le corps professoral des écoles primaires de la ville de Bruxelles auxquelles on avait donné congé ; beaucoup d'instituteurs et d'institutrices ; la Jeune Garde libérale de Bruxelles ; les étudiants de l'université avec leur drapeau voilé de crêpe.

Noté dans cette foule innombrable la présence de MM. le lieutenant général baron Van der smissen, aide de camp du Roi ; le général Bouyet, commandant la province de Brabant ; les députés Carlier, Houzeau, Warnant, Hanssens ; de MM. Eugene Robert, Couvreur, anciens représentants libéraux de Bruxelles: Dustin, membre de la députation permanente ; Bockstael, bourgmestre de Laeken, etc., etc.

La bière, recouverte de l'uniforme de colonel de la garde civique, était déposée dans le large corridor de l'hôtel, transformé en chapelle ardente.

Les décorations sont déposées sur un coussinet de velours, au pied du cercueil, au milieu d'innombrables couronnes.

La famille reçoit dans un salon du premier étage. La réunion était fixée deux heures et demie. Il est trois heures passé lorsque le funèbre cortège se met en route. Le deuil est conduit par M. Ferdinand Van Humbeeck et M. Emile Eloy, frère et beau-frère du défunt.

L'inhumation a eu lieu dans le caveau de la famille, au cimetière de Molenbeek-Saint-Jean.


(Extrait de l’Indépendance belge, du 25 juillet 1902)

Au coin du Papenvest, ou rue Rempart-des-Moines, une des plus vieilles rues du vieux Bruxelles, et de la rue de l'Education, une des plus récentes, un coin de façade en pan coupé était réservé à une illustration murale, et aussitôt un comité se forma pour en assurer le bénéfice moral à la mémoire de Pierre Van Humbeeck qui fut avocat, conseiller communal de la capitale, représentant de l'arrondissement de Bruxelles et ministre.

Le Papenvest est la rue qu'il habita longtemps, sa rue natale et familiale ; c'est le côté vécu, le coté intime de la situation.

La rue de l'Education en est le côté symbolique, Pierre Van Humbeeck ayant consacré son activité ministérielle à l'instruction publique dont il fut le seul ministre en Belgique, et le monument qu'on lui érige étant précisément destine célébrer cette diffusion populaire de la science qui fut son œuvre principal.

Conçu et exécuté par le sculpteur Charles Samuel à qui Bruxelles doit déjà le monument si élégant et si ingénieux de Charles Decoster et la noble statue de Frère-Orban, cet hommage Iithoplastique rendu à Pierre Van Humbeeck sera inauguré dimanche prochain et ce sera l'occasion de féliciter un artiste vivant en même temps que de fêter un homme politique défunt.

II est original, ce relief plaqué sur un rez-de-chaussée habité, au coin de rues très peuplées, s'offrant sans grillage au passant qui le coudoiera et peut-être n'en sera que mieux invité à réfléchir sur les lois et leurs destins, sur les déboires de la vie publique, les lendemains de la popularité, la férocité de certaines haines, mais aussi sur les revanches promises aux convictions fortes et persévérantes.

La pierre bleue y domine, nationale par sa provenance, libérale par sa couleur. Seul le profil de Van Humbeeck s'en détache en marbre blanc, très ressemblant, très vivant, ressuscitant la rondeur de sa physionomie comme de son caractère et son sourire bon enfant des jours heureux. Une inscription bilingue en lettres d'or énumère ses titres et l'allégorie s'empare d'une bonne moitié de la pierre pour y graver en un puissant et magistral relief « la Paix par l'instruction », une femme tenant d'une main le rameau d'olivier, de l'autre ouvrant le Livre sur lequel se jette assoiffé de vérité l'enfant du peuple qui ne sait rien, mais qui aspire tout connaître. Le contraste des deux attitudes et des deux caractères est rendu avec grandeur simple et saisissante ; là, noblesse, certitude et sécurité ; ici, impatience, inquiétude et avidité.

On lit dans un coin gauche, frôlant le pavé, ce vers pentamètre que le peuple ne comprendra pas :

Condantur cineres usgue manebit opus.

Il eût compris peut-être cette inscription plus simple qui est celle d'un groupe d'Antonin Mercié : GLORIA VICTIS

Pierre Van Humbeeck en effet, fut un vaincu et avec lui fut vaincu tout un parti qui avait longtemps présidé aux destinées de la Belgique et qui fut le principal artisan de son développement intellectuel et de sa prospérité matérielle incessamment grandissante depuis 1830. Mais il est des défaites glorieuses dont il est juste de ne pas perdre le souvenir, ne fût-ce que pour se préparer à les venger.

A propos de cette inauguration imminente, il n'entre pas dans nos intentions de retracer par le menu la carrière politique de Pierre Van Humbeeck, encore moins de refaire l’histoire de la campagne antiscolaire qui détruisit son œuvre.

Qu'il nous soit permis cependant de reproduire ici quelques passages de l'article qui fut consacré ici-mème, au lendemain de sa mort, à l'homme de valeur, à l'homme si éminemment sympathique dont le médaillon de Charles Samuel fait revivre les traits :

« M. Pierre Van Humbeeck est le ministre de l'instruction publique que nous ayons eu en Belgique depuis 1830.

« C'est le mérite du cabinet libéral de 1878 d'avoir créé ce département ministériel dont le pays attendait beaucoup.

« C'est la honte du cabinet clérical de 1884 de l'avoir détruit.

« Ce fut pour Van Humbeeck un immense honneur d'être appelé à l'inaugurer, et de cet honneur il se montra digne par le zèle de ses efforts dans l'accomplissement d'une tâche qui, si elle n'était pas au-dessus de son dévouement et de ses aptitudes générales, dépassait peut-être le niveau de sa compétence spéciale. Il se mit à l'œuvre avec l'ardeur persévérante qui faisait le fond de son caractère sérieux et loyal, et si, dans la conduite de sa gestion administrative, il n'eut peut-être pas toujours toute la souplesse d'autorité qui eût été nécessaire pour installer solidement l'édifice confié à ses soins, du moins ne s'épargna-t-il pas à la besogné.

« L'édifice tomba avec lui sous les coups de la haine politique de ceux qu'on a justement nommés les Ignorantins. Il ne s'en consola jamais, et la ruine de son œuvre, plus cruelle à son cœur que sa chute personnelle, fut en réalité à l’origine du mal qui vient dé l'emporter.

« La loi scolaire de 1879 est en grande partie son œuvre, et il contribua vaillamment à la défendre dans les Chambres contre la plus violente opposition qui fût jamais, dans le pays contre l'odieuse campagne organisée par l'épiscopat, et poursuivie jusque dans les moindres bourgades par un clergé fanatique exploitant contre le principe absolument juste et constitutionnel de l'école le prestige nullement contesté de l'influence religieuse.

« Cette loi calomniée, indignement vilipendée, est détruite comme le département dont Van Humbeeck fut le premier et le dernier titulaire, mais elle sera un jour restituée, au moins dans son principe, et ce sera le jour de la revanche, posthume mais glorieuse, pour l'homme de courage et de talent qui eut l'honneur d'y attacher son nom… »

De ces lignes, comme du reste de l'article, nous n'avons rien à retrancher après douze années. Et, pour en emprunter aussi la conclusion, nous espérons que dimanche prochain, les rancunes politiques abdiquant pour une heure, c'est un hommage unanime qui, avec une émotion respectueuse, saluera le citoyen zélé qui se donna tout entier à la chose publique, l'honnête homme et l'homme de cœur.