Valckenaere Auguste, Bernard libéral
né en 1819 à Bruges décédé en 1869 à Bruges
Représentant entre 1864 et 1868, élu par l'arrondissement de Bruges(Extrait du Journal de Bruges, du 3 mars 1869)
Les funérailles de M. Auguste Valckenaere ont eu lieu hier, au milieu d'un grand concours de monde. Jamais regrets plus sincères et mieux mérités n'ont accompagné un homme à sa dernière demeure. C'est aussi que, à une intelligence élevée, à un dévouement éprouvé aux intérêts du pays, M. Valckenaere unissait un caractère loyal, un cœur aimant et généreux. L'homme privé était, chez lui, à la hauteur de l'homme politique. M. Valckenaere réalisait le type de ces anciens bourgeois flamands, qui, sous une enveloppe modeste, cachaient des trésors de vertus civiques et domestiques.
Son dévouement au pays, comme représentant ; à la province, comme conseiller ; à la ville, comme membre du conseil communal, a été poussé jusqu'aux dernières limites, puisque ni la maladie lente qui le minait, ni les approches de la mort n'ont pu le refroidir un seul instant ; et ce dévouement était d'autant plus rare, qu'il n'avait pas pour mobile la vanité, ni l'amour propre, les goûts simples de M. Valckenaere l'éloignant du faste, ne lui faisaient pas rechercher les fonctions publiques pour lui-même, mais pour le bien qu'il pouvait y faire.
Ces caractères sont assez rares pour qu'on les honore. Malheureusement on ne les apprécie souvent à leur juste, valeur, que lorsque la mort vient glacer ces cœurs d'élite qui battaient pour la justice, le bien, le vrai, l'amour du pays.
Ce n'est pas nous qui voudrions mêler la politique au deuil ; mais il fut un jour où ce dévouement fut méconnu. Le regret est venu plus tard ! trop tard !! Hier il était unanime devant la perte de cet homme de bien.
Avant de quitter-la maison mortuaire, deux discours ont été prononcés ; le premier, par M. Vander Plancke, échevin, au nom de l'administration communale ; le second, par M. l'avocat Meynne, vice-président de l'Association libérale, au nom de cotte assemblée.
Voici comment, M. Van der Plancke s'est exprimé :
« Messieurs,
« Le Conseil communal subit de pénibles épreuves ; la mort frappe à coups redoublés dans les rangs de ses membres : Chantrell, Beghin, Eenens, nous ont été enlevés successivement : Aujourd'hui nous avons à pleurer la mort d'Auguste Valckenaere-Thomas.
Avant que la tombe ne se ferme sur les restes mortels de cet homme de cœur et d'intelligence, permettez-moi, Messieurs, de vous retracer les principaux traits de sa vie si laborieuse.
« Auguste-Bernard Valkenaere est né à Bruges, le 22 novembre 1819. Après avoir achevé ses études moyennes. il se rendit en France pour y étudier la fabrication des sucres ; ici déjà, quoiqu'il fut bien jeune encore, nous pouvons constater cette ardeur au travail et cette volonté énergique qui ne devait plus l'abandonner pendant toute sa carrière. L'entrée des fabriques de Bordeaux lui ayant été fermée, il y pénétra en revêtant la blouse du travailleur ; il se fit simple ouvrier et ce fut ainsi qu'il parvint à s'initier aux perfectionnements de cette industrie.
« Revenu dans sa ville natale, il y établit une sucrerie, qu'il dirigea lui-même avec un plein succès ; il l'abandonna plus tard pour reprendre l'importante maison de commerce de son père ; grâce à activité et à son esprit industrieux, il imprima à cet établissement une impulsion nouvelle et accrut encore sa prospérité. Il se relira des affaires, à la suite d'une maladie qui altéra profondément sa santé; mais sa nature active ne lui permit point de rester longtemps dans le repos ; bientôt il fonda avec M. Augustinus une importante maison de banque. En 1854, ses concitoyens lui confièrent le mandat de conseiller communal, qui lui fut continué sans interruption jusqu'à ce jour ; dans ses fonctions électives, il se livra avec une ardeur peu à l'examen de toutes les affaires soumises au conseil ; son esprit judicieux brilla surtout dans les questions financières, tous nous nous rappelons encore ce travail remarquable qu'il fit sur la conversion de la dette communale et qui amena les résultats les plus favorables pour les intérêts de la ville.
« Toujours préoccupé de l'avenir de nos finances, Valckenaere' dans ces derniers temps, consacrait le peu de forces qui lui restait, à étudier le régime des impôts perçus par la ville. Un projet élaboré par lui allait bientôt être soumis à une. Discussion publique ; et une fois de plus, notre regretté collègue aurait répondu à la confiance de ses concitoyens en s'efforçant de faire triompher les saines notions de l'économie politique.
« Nommé membre du conseil provincial et de la chambre de commerce, il se distingua dans ces nouvelles fonctions par les mêmes qualités qui lui valurent au conseil communal l'influence qu'il n'a cessé d'y exercer : il prit une part active à toutes les discussions, et sa parole fut toujours religieusement écoutée.
« Les événements de1864 firent éclore, dans tout son jour, l’abnégation d’Auguste Valckenaere : sans tenir compte de l'affaiblissement de sa santé, il accepta le mandat de représentant que lui offrit l'opinion libérale par dévouement à la chose publique. Actif, laborieux, d'un grand sens pratique, M. Valckenaere ne tarda pas à se faire apprécier par ses nouveaux collègues. Aussi fut-il désigné pour faire le rapport sur le régime international de l'impôt sur les sucres, qui venait d'être établi entre la Belgique, la France et la Hollande.
« Ce rapport, œuvre complexe et hérissée de difficultés, jeta une si vive clarté sur la question, qu'il lui valut les félicitations unanimes de la Chambre et des principaux organes de la presse.
« Il serait impossible de signaler tous les services qu'il rendit à ses commettants pendant la durée de son mandat : personne ne recourut jamais en vain à son intervention : son bonheur consistait à obliger riche ou pauvre, car son cœur était à la hauteur de sa raison.
« Adieu, Valckenaere, votre perte sera cruellement ressentie par notre ville, ainsi que par les nombreux amis que vous laissez dans toutes les classes de la société ; nous n'oublierons jamais la bonté de votre cœur, votre caractère ferme et énergique, la droiture de vos intentions, votre esprit libéral, et les services que vous avez rendus à la chose publique,
« Adieu, Valckenaere, reposez en paix et jouissez au sein de l'EterneI de la récompense du juste. »
« M. l'avocat Meynne, a pris la parole en ces termes :
« Messieurs,
« L'association libérale, dont M. Valckenaere était un des membres les plus actifs et les plus dévoués, a désiré que des paroles de gratitude et d'adieu lui fussent adressées ici, en son nom. Pour m'acquitter de ce devoir, je tâcherai de dominer mon émotion.
« On vous a rappelé Messieurs, les services rendus par notre concitoyen à la chose publique ; on vous a dépeint les vertus du père de famille. Mettons aussi au premier rang de ces vertus et de ces services, les exemples et les gages par lui donnés aux doctrines qui doivent régénérer encore une grande partie de l'humanité. C'est honorer notre ami, que de rappeler hautement la fermeté de ses convictions et la voie, souvent pénible, par laquelle il y est arrivé.
« Doué d'un rare esprit d'observation et d'initiative, issu de cette bourgeoisie industrielle qui fonde en ce siècle, avec les hommes intelligents de toutes les classes, une noblesse nouvelle, Auguste Valckenaere sut se créer une carrière distinguée et s'élever aux hautes notions politiques et sociales, par une méthode, longtemps suivie, d'expérience personnelle. Il fut en quelque sorte son propre instituteur ; il fut redevable de ses succès, surtout à lui-même.
« Dans la voie des connaissances pratiques, dédaignant les facilités que lui offrait la fortune. il résolut, volontaire du travail, de se mettre en état d'agir, même comme simple ouvrier. S'étant ainsi placé à des distances rarement franchies. à des points de vue pratiques divers, il sut comparer, étudier et conclure. Son esprit, naturellement élevé, ne s'arrêta point aux procédés mécaniques. II étendit ses recherches avec sincérité, aux méthodes et aux institutions qui règlent les rapports entre les ouvriers et les maîtres. Il puisa dans ces leçons laborieuses mais fécondes, des convictions qui furent plus tard la règle de ses applications à la vie sociale et politique. S'il fut partisan dévoué du libre échange ; s’il ne perdit pas une occasion de proclamer et de propager cette doctrine autour de lui, c'est moins la théorie abstraite que l'expérience qui l'avait conduit à cet apostolat. II avait touché du doigt, pour ainsi dire à toutes les hauteurs de l'échelle sociale, les fausses conséquences de l'ancien système économique, reste des obstacles et des barrières de tout genre que la féodalité égoïste et autoritaire avait accumulés autour du génie du travail.
« De même, dans un ordre plus élevé, l'observation, les voyages et l'examen personnel avaient conduit notre ami à des principes analogues. Il avait constaté que le développement de l’intelligence et celui du corps, exigent des conditions semblables, et que la principale de ces conditions, c'est la liberté. II était persuadé que celle-ci n'est pas seulement le moteur fécond de l'industrie, mais aussi le principe vivifiant de l'âme humaine. II condamnait donc les doctrines qui entendent s'imposer à la conscience. sans le concours de la raison. S'il professait le respect de toutes les croyances sincères, par là même il proclamait le droit d'examen, dans ces matières qui touchent aux fibres les plus intimes de notre être.
« Messieurs, c'est par ces convictions viriles, au prix de labeurs constants et de sacrifices des loisirs faciles, que Valckenaere s'est élevé au dessus du niveau ordinaire des intelligences. C'est donc à juste titre, qu'après avoir donné des preuves d'aptitude politique dans plusieurs fonctions publiques. il fut jugé digne d'entrer dans les conseils de la nation, par ceux qui veulent trouver, dans leurs candidats, des hommes de caractère et de science sérieuse. Son acceptation, au milieu de circonstances difficiles et au préjudice de ses affaires personnelles, fut un acte de grand dévouement à la cause du progrès.
« Même dans ces régions élevées, Valckenaere se fit remarquer par ses qualités dominantes, l'observation et la fermeté. Il portait haut la religion du devoir. Une fois tracée devant sa conscience, il suivait la ligne droite, sans s'en laisser détourner ni par l'intérêt, ni par la faiblesse. Son énergie allait jusqu'à dompter la douleur physique. Qui de nous n'a admiré le alme et le courage avec lesquels il s'occupait et se préoccupait sans cesse des affaires publiques et du sort de ses semblables, alors que déjà la maladie le faisait depuis longtemps pencher vers la tombe ?
« C'était le signe d'une grande âme !
« Cher collègue, au moment de cette pénible séparation. nous nous efforçons d'emporter en notre âme quelque chose de vous, en nous promettant de suivre vos exemples et d'imiter vos mâles vertus. C'est de cette manière, je le sais, que vous avez noblement ambitionné de vivre dans le souvenir de vos amis de vos concitoyens. Vous nous avez montré le chemin des efforts virils et du sacrifice au devoir. Chaque fois que votre nom reviendra parmi nous, il apparaîtra comme un enseignement, comme une exhortation au bien ! »
Beaucoup de personnes n'ont quitté le défunt qu'au seuil de sa dernière demeure.
(Extrait de J.L. DE PAEPE – Ch. RAINDORF-GERARD, Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, Commission de la biographie nationale, 1996, p. 549)
Négociant, industrie de sucre à Gand, banquier à Bruges
Régisseur de la wareingue de Volkaertsgote (1858)
Conseiller provincial de la Flandre orientale (1858-1864)
Conseiller communal de Bruges (1855-1869)