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Schollaert François (1817-1879)

Schollaert François, Joseph catholique

né en 1817 à Anvers décédé en 1879 à Vorst

Représentant entre 1863 et 1879, élu par l'arrondissement de Louvain

Biographie

(DISCAILLES E., dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1911-1913, tome 21, colonnes 822-732)

SCHOLLAERT (François-I.), avocat, professeur et homme politique, né à Anvers le 15 décembre 1816 [1817], mort à Vorst le 11 août 1879. Sa famille n'était pas très aisée. Il fit ses études humanitaires dans un collège des Jésuites. Se destinant tout d'abord à l'enseignement, il suivit à l'université de Louvain les cours de la faculté des lettres, mais quand il eut conquis en 1838 le diplôme de docteur en philosophie, il ambitionna de devenir avocat. Il n'était encore que candidat en droit lorsque, sous le pseudonyme d'Eugène Hilarion, il fit paraître à Bruxelles, chez la veuve J.-J. Vanderborght, imprimeur-libraire, Marché aux Poulets (novembre 1839), une plaquette de 16 pages intitulée : Aux apologistes de l'université libre : un mot de réplique. à M. Verhaegen. C'était une réponse, qui ne manquait pas d'esprit, à l'éloge que le fondateur de l'université libre avait fait le 14 octobre de l'institution nouvelle et aux critiques qu'il avait dirigées contre l'université de Louvain. Une seconde plaquette (de 28 pages) parut le même mois à la même librairie, à l'adresse cette fois de MM. Ahrens et Altmeyer, le philosophe et l'historien bruxellois dont l'enseignement était le plus en désaccord avec les doctrines louvanistes. Elle dénotait, comme la précédente, des connaissances déjà étendues, ne manquait pas non plus d'une certaine verve, mais la forme en affectait des allures d'un goût assez contestable.

Pendant une couple d'années Schollaert, tout en étudiant les Institutes et le Code civil, rompt des lances fréquentes, sous l'anonymat, dans la presse politique, avec les soutiens de l'université bruxelloise. En 1841 il signe un petit volume in-8° paru chez Van Linthout et Vanderzande, Louvain : La Religion catholique vengée des attaques de la Société des étudiants de l'université libre. Il nous apprend qu'il est docteur en philosophie et lettres, étudiant en droit et membre de la Société littéraire à l'université catholique de Louvain. S'il a mis son nom sur le livre qui lui appartient exclusivement, dit-il à la fin de son introduction, le 25 décembre 1840, · c'est qu'il ne veut pas que l'on rende les catholiques solidaires de ses idées, ni responsables de ses paroles ». Entre autres articles que venait de publier l'Annuaire de la Société des étudiants de l’université libre, il en était un Christianise et philosophie, de l'étudiant Tiberghien, le futur professeur et académicien. C'est la réfutation de cet article qui fait l'objet de l'in-18° où Schollaert montre de vigoureuses qualités de polémiste et plus de tolérance que dans ses plaquettes de 1839.

Tout en poursuivant ses études juridiques, il s'occupait de philosophie, voire de théologie, en même temps que d'art et de poésie. La Revue de Bruxelles de juillet et novembre 1839 publia de lui dix études d'un goût avisé sur l'art chrétien. Il ne les signa pas : elles étaient intitulées : Lettres d'un bénédictin à un artiste catholique. Dans la même revue (1842, 2e série), il commença, d'après saint Bonaventure, Thomas de Celano, etc., le récit de la Bienheureuse vie de saint François d'Assise, que la mort de la revue laissa inachevée. (La première partie va de la page 65 à 73, la seconde de la page 110 à la page 119.) Il s'essaya dans la comédie en vers à l'âge de vingt-trois ans. Sa pièce Rubens et Van Dyck ne prouve assurément pas qu'il avait le don du théâtre. (…)

Il paraîtrait qu'en manière de délassement, il a écrit encore, quand il achevait ses études juridiques, d'autres essais poétiques et dramatiques, tout au moins quelques chansons. Lorsque le 22 février 1873,au Parlement, il donna l'explication (nous y reviendrons) de sa Louvaniste de 1850 qui eut extrêmement de retentissement, il avoua « qu'elle avait eu des sœurs mieux faites et plus noblement inspirées, mortes en bas-âge. » Pour notre part, nous ne les connaissons pas. Disons, afin de ne plus revenir sur les poésies de Schollaert, que le volume 3984/1884 de la Bibliothèque de l'université de Louvain contient une cantate de lui à l'occasion d'une visite du roi Leopold en 1852 ; elle ne dépasse pas une honnête médiocrité.

Docteur en droit en 1842 - il avait été l'un des plus brillants élèves de Jean-Gérard Joseph Ernst, dont il prononça l'oraison funèbre (Louvain, Vari Linthout et Vandenzande, octobre 1842) en un langage que d'aucuns trouveront affecté. Schollaert débuta au barreau avec un tel éclat, que l'université ne tarda pas à se l'attacher. Nommé professeur extraordinaire à vingt-sept ans, il enseigna le droit pénal de 1844 à 1848 ; un exemplaire de son cours se trouve à la Bibliothèque royale (section des manuscrits : catalogue Vanden Gheyn, t. IV, p. 197).

Ses leçons étaient fort goûtées. La science réelle du jeune professeur, sa vibrante élocution plaisaient à des étudiants que n'avaient guère, sous ce rapport, gâtés leurs premiers maîtres. D'ailleurs, leur nature généreuse et enthousiaste ne pouvait que sympathiser avec celle d'un homme qui, à l'occasion, mettait gratuitement son talent d'avocat au service des jeunes. Il ne faut pas oublier non plus qu'on était à la veille des graves événements où Paris, Berlin, Vienne allaient voir, aux cris de « Vive la Réforme ! Vive la liberté! », s'effondrer ou s'ébranler des gouvernements puissants. l'Alma Mater comptait bien plus d'étudiants libéraux qu'on ne le pense (je n'en veux citer qu'un, Léon Wocquier, qui enseigna plus tard la philosophie et la littérature française à l'université de Gand) Schollaert, sincère catholique, mystique même – et il l'est resté toute sa vie - avait recueilli plus d'une fois des applaudissements que provoquait non seulement sa chaude parole, mais aussi les commentaires dont il entourait les actes des progressistes du temps, des catholiques-libéraux de l'école de Montalembert. Et ce n'était pas seulement par un auditoire universitaire qu'il s'était entendu acclamer : on vous dira à Louvain que tels avec lesquels il a échangé ses idées ou qui l'ont entendu dans des réunions publiques de ce temps-là, ont pu applaudir le libéral Schollaert. « En 1848 (dit-il, vingt-cinq ans plus tard), j'étais jeune alors; le souffle de mon école, celle de Montalembert, et surtout la fièvre que les événements venaient d'allumer en Europe, avaient produit en moi, comme en bien d'autres, un certain degré d'exaltation... « L'exaltation fut telle que des troubles survinrent à l'université. Des étudiants qui ayant naguère, sur les vives instances de leur jeune professeur, adressé à Montalembert des félicitations « pour avoir défendu la liberté catholique », proposent au mois de mars d'envoyer aux élèves de Vienne et de Berlin une adresse chaleureuse et sympathique « pour le courage déployé par eux dans la défense héroïque de la liberté » (Defré, Correspondances, I, 178). Une discussion s'engage entre le recteur, Mgr de Ram, et ces élèves. Ceux-ci s'obstinant sont renvoyés de Louvain. Grande agitation ; refus de suivre les cours ; charivaris ; quatre cents étudiants protestent contre le renvoi de leurs camarades. Le 1er avril 1848, ils réclament la réforme du règlement « dont la sévérité est, disent-ils, devenue d'un poids insupportable » et demandent que l'on imprime une direction plus large et plus libérale (sic) à cette université » qui « se laisse conduire par les idées d'un autre siècle » (Voir Léon Wocquier : l’Université de Louvain et les étudiants). Schollaert quitta sa chaire à cette époque (1848) : il la reprit eu 1853. Dans le milieu universitaire de Louvain, s'il était considéré comme un orateur de premier ordre, et un bon professeur, s'il avait la réputation méritée d'être un très galant homme, d'un commerce fort agréable, toujours prêt à rendre service et fort compatissant aux pauvres, on ne l'en considérait pas moins comme un rêveur, un esprit peu pratique. « J'ai appartenu (c'est lui-même qui le dit, Annales parlementaires, 1873, p. 899), » j'ai appartenu pendant toute ma vie à cette école à la fois religieuse et libérale que le père Lacordaire, le comte de Montalembert, le duc de Broglie, Berryer et vingt autres esprits illustres, venus de tous les points de l'horizon, ont fait connaître et respecter en Europe... Dans mon inexpérience, je rêvai une conciliation des partis et, quand les élections de 1850 arrivèrent, je tâchai de faire prévaloir à Louvain une liste mixte. Cette liste, où mon nom était malheureusement porté, ne fut point admise par mes amis et l'université, à laquelle je n'appartenais plus, mais à laquelle j'avais appartenu comme professeur quelque temps auparavant, résolut de la combattre. Le Sénat académique se réunit sous la présidence de son recteur et fit paraître en pleine tourmente électorale un acte qui déclarait en substance que les autorités universitaires désapprouvaient ou désavouaient ma candidature. Facit indignatio versum. « Ce fut alors que naquit La Louvaniste, « hommage aux amis de l'ordre, chanson populaire et patriotique, par le progrès et la liberté ».

Les libéraux de Louvain rangèrent dès lors définitivement parmi eux l'auteur de cette chanson qui montrait les » fils des croisés allant aux champs recruter leurs cosaques (pour les élections) et exploitant tout, Dieu, Diable, honneur » (3ème couplet de La Louvaniste). C'est du reste vers ce temps-là que le Cercle artistique, littéraire et scientifique d'Anvers, qui doit assurément sa vitalité et son éclat aux chefs du libéralisme anversois, entendit Schollaert.

« Ma ville natale, dit-il au début de sa première conférence (du 15 novembre 1852), est encore une fois la première à donner un noble exemple. Florence du Nord, déjà par les arts et les sciences, je me suis dit qu'elle pouvait le devenir aussi par les lettres et, à cette pensée, j'ai senti grandir l'amour que je porte à ma belle cité. »

Son sujet était l'éloquence parlementaire. Sept conférences y furent consacrées (15 novembre et 15 décembre 1852; 24 janvier, 27 février et 7 avril 1853 ; 25 janvier et 8 mars 1854). Deux de ces conférences, celles du 15 novembre 1852 (Grèce) et 25 janvier 1854 (Angleterre), ont été reproduites dans les Annales du Cercle. Son érudition et son talent oratoire furent fort applaudis par les nombreux assistants.

On ne fut pas peu surpris dans sa ville natale et dans sa ville adoptive (c'est ainsi qu'il appelait Louvain) quand on le vit, en avril 1862, après la mort de M. Van Bockel, être le candidat au Parlement des cléricaux louvanistes, avec lesquels il faisait du reste bon ménage depuis qu'il s'était réconcilié avec l'université. Les plaisanteries, les sarcasmes même plurent sur l'auteur de La Louvaniste libérale. On en plaisanta aussi à la Chambre des représentants, où il entra au début de la discussion du projet de loi sur les bourses. Le premier discours de Schollaert (5 mai 1863), auquel les étudiants venus expressément de Louvain apportèrent l'hommage de leurs applaudissements, est cité par le Journal de Bruxelles comme « un modèle d'argumentation, de logique et de bon sens », mais il nous paraît difficile d'admettre que, ainsi que Schollaert l'a dit, le 8 mai, il était » complètement improvisé «. Peu importe d'ailleurs. M. Bara, défendant le projet de loi dont il était le rapporteur, s'était montré assez personnel le 6 mai, au grand mécontentement de MM. De Theux et Dumortier quand, faisant allusion à la Louvaniste, il parla de la versatilité de cet adversaire qui demandait que sa « volonté fût immuable à travers les siècles, alors qu'il n'était pas capable lui-même de conserver ses convictions pendant dix ans ! » C'est sur certains points de droit où il différait complètement d'opinion avec lui, qu'il insista d'ailleurs plutôt que sur son passé. L'affaire de La Louvaniste devait revenir dix ans après et, cette fois, Schollaert, dont ses ennemis politiques ne cessaient de rappeler les vers de 1850, en donna un commentaire tout au moins inattendu. On discutait le budget de l'intérieur. M. Bergé, parlant de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, cita, le 19 février 1873, la chanson à l'appui de sa thèse. Le 21, Schollaert expliqua que le sens n'en avait pas été bien saisi. « Le gothique anathème » (du 2ème couplet), dit-il, faisait allusion au décret académique ; la publication de ce décret pendant la lutte électorale était le pétard dans la foule jeté (ibid.) et enfin, il m'en coûte beaucoup de le dire, le vieillard sombre et blême, le Jupiter tonnant de la chanson (ibid.) était le premier recteur de l'université catholique (Mgr de Ram), un prêtre vénérable et que je n'aurais pas dû offenser parce qu'il m'avait fait beaucoup de bien. Lorsqu'en 1869 on trouva convenable d'exploiter contre moi des couplets anonymes et depuis longtemps oubliés, on tâcha de dénaturer le sens véritable et l'on finit par appliquer à la personne sacrée du Pape ce que j'avais eu le tort d'écrire contre le recteur de l'université... Je reconnais ici que la chanson qu'on me reproche n'est pas le plus bel acte de ma vie. Je ne la ferai pas insérer dans mes œuvres complètes. Pauvre chanson ! elle a eu des sœurs mieux faites et plus noblement inspirées, mais ces sœurs sont mortes en bas âge. Quant à l'explication que l'honorable M. Bergé a tenté de faire du couplet qu'il vous a lu, elle est erronée. Ce n'est pas de la séparation radicale de l'Eglise et de l'Etat qu'il s'agit là : « Que le curé reste dans sa chapelle, - Le professeur à l'université, cela signifiait tout simplement en langage humain : que le clergé et l'université s'abstiennent de voter contre moi ! Un vœu bien naturel, vous voyez. »

Si nous nous sommes arrêté à ce qu'un écrivain humoristique de l'époque appelle « le délire pindarique d'un poète que l'inspiration a égaré », c'est que pendant longtemps l'incident a défrayé la polémique des partis et qu'il a provoqué à la Chambre encore en juin 1864 un cri, resté célèbre, d'un professionnel de l'interruption. Que l'on ne croie pas d'ailleurs que ceux même qui n'acceptèrent qu'avec des réserves, voire des plaisanteries, l'explication donnée en 1873, par Schollaert, à sa chanson de 1850, aient jamais contesté l'honorabilité absolue de son auteur. Ils n'étaient pas les derniers à donner des applaudissements sincères à une éloquence peu commune dans cette Chambre, dont il fit partie jusqu'à sa mort et qui l'éleva en 1877 à la vice-présidence, presque en même temps que sa ville d'adoption le faisait entrer au conseil communal.

Ses qualités d'orateur furent discutées dans les premiers temps. Telle revue qui, malgré des dissentiments politiques, lui était plutôt sympathique, reconnaissait sans doute qu'il avait de l'élan, de la passion, de la science et une grande facilité d'expressions (trop grande même, car le nerf de la phrase disparaissait souvent sous l'abondance des mots). Mais elle lui reprochait non sans raison « de rechercher les effets de phrases et les émotions factices, de semer dans le discours des péroraisons pathétiques, faisant croire de minute en minute à une fin toujours vainement attendue et qui arrivait quand « on avait renoncé à l'entendre. » La prononciation manquait parfois de correction ; le geste démonstratif était d'une monotonie fatigante et il avait un tic fâcheux qui l'entraînait à se rasseoir sans cesse pour se relever aussitôt.

Mais, en trois ou quatre années, il finit par se corriger à peu près de ces défauts et par se faire à l'atmosphère parlementaire. Sans exercer jamais une réelle influence politique, il eut dans maintes circonstances l'oreille de ses collègues, notamment en 1867, en 1869, en 1873 et en 1877. Lors de la discussion de la réforme électorale, le 29 mars 1867, il obtint des applaudissements enthousiastes lorsque, dans un langage d'une grande élévation, il s'opposa au suffrage universel et à la révision de la Constitution. Même succès, plus brillant peut-être, le 17 février 1869, dans la discussion du budget de l'instruction publique, quand il fit ressortir le grand rôle des humanités dans le développement de l'intelligence. C'est dans ce discours qu'il sut le mieux, suivant l'expression de M. Descamps {Etudes d'art oratoire et de législation), joindre à la richesse des idées « la richesse de l'expression » et qu'il fit preuve de connaissances aussi variées qu'étendues sur la littérature ancienne. En février 1873, le discours qu'il prononça sur l'enseignement primaire et où il étudia à fond les pratiques anglaises et la législation des îles britanniques, qu'il comparait fort habilement à celles de notre pays, abondait en pensées profondes noblement exprimées. Mais c'est surtout le 1er mai 1877, quand il prit part à la discussion du projet de loi sur le secret du vote et les fraudes électorales, que son éloquence eut les plus chaudes envolées et qu'il déploya peut-être avec plus d'éclat que jamais les qualités d'un cœur loyal... Citons les derniers mots de son discours qui donneront une idée de sa manière : « … Il fait sombre au dehors. Des nuages de plus en plus épais s'accumulent. Nul ne saurait les pénétrer, comme nul ne saurait prévoir ce qui en sortira demain peut-être. Il y aura des choses terribles, cela est certain. Si nous voulons sauver nos institutions et notre indépendance, si nous voulons conserver cette paix féconde qui a été pour nous pendant cinquante ans une source d'honneur, de prospérité et de progrès, rallions-nous plus étroitement que jamais autour du passé de 1830 et de la royauté qui n'en est que la clef de voûte. Si le salut est quelque part, il est là. Méritons par notre attitude la confiance et le respect de l'Europe, et peut-être sera-t-il donné encore à notre frêle esquif de doubler, avec la protection de Dieu, le cap des tempêtes. »

Schollaert mourut emporté par une apoplexie foudroyante, dans sa propriété de Vorst, le 11 août 1879... Il eut un fils qui, diplômé docteur en droit à Louvain, entra à la Chambre des représentants le 19 juin 1888, en devint président et remplaça M. de Trooz au ministère de l'intérieur et à la tête du gouvernement en 1907.


(Louis BERTRAND, dans Les Hommes du jour, revue biographique hebdomadaire, Bruxelles, 1883, n°21)

[Ce numéro, consacré à François Schollaert (1851-1947), fils de François Schollart (1817-1879) débute comme suit :]

LA LOUVANISTE, Hommage aux amis de l’ordre par le progrès et la liberté.

Chanson populaire et patriotique

Paroles de M. l’avocat SCHOLLAERT, père du ministre de l’intérieur

Air de la Brabançonne

I

Ouvrez vos cœurs à la douce espérance,

Le jour se lève et va chasser la nuit,

Nobles enfants d'un monde qui commence,

Ne craignez plus un monde qui finit !

Votre ennemi, - c'est un vieillard qui tombe.

C'est la fureur dans la débilité.

C'est le passé dont nous creusons la tombe.

Sous l'arbre de la liberté !

II

Frères, pitié - le vieillard sombre et blême.

Veut ramener des siècles odieux ;

Il balbutie un gothique anathème,

Pour nous flétrir à la barbe des Dieux !...

Sa foudre éclate et va s'éteindre à terre

Comme un pétard dans la foule jeté ;

Bon Jupiter, on rit de ton tonnerre !

Sous l'arbre de la liberté !

III

Fils des croisés, poursuivez vos attaques,

Pour le scrutin formez vos bataillons,

Allez aux champs recruter vos cosaques.

Faites des saints de nos vieux francs-maçons ;

Pour acheter des succès dérisoires,

Dieu, diable, honneur, tout doit être exploité.

Exploitez tout, nous gravons nos victoires

Sur l'arbre de la liberté

IV

Vous nous damnez dans vos sermons funèbres,

Et pour cela vous avez cent raisons !...

Nous voudrions dissiper les ténèbres,

De l'évangile appliquer les leçons :

Des Pharisiens réprimer l'insolence,

Au pauvre peuple apporter la clarté,

Et doucement apaiser sa souffrance

Sous l'arbre de la liberté !

V

Dépêchez-vous car la vaine poussière

Qu'élève encore votre antique conseil,

Peut un moment affaiblir la lumière,

Mais ne saurait éteindre le soleil ;

Après l'hiver et ses rigueurs moroses,

Dieu, malgré vous, nous donnera l'été,

Dieu vous condamne à voir naître des roses

Sur l'arbre de la liberté !

VI

Ne craignez point ce beau jour qui s'avance.

Nous n'avons pas le cœur fait comme vous ;

Notre Déesse abhorre la vengeance,

Et veut vous voir aussi libre que nous !

Que le curé reste dans sa chapelle,

Le professeur à l'Université,

Et l'arme au bras, nous ferons sentinelle

Sous l'arbre de la liberté.


Nous avons tenu à donner in extenso ce document, introuvable aujourd'hui, cette chanson libérale due à la plume du père de notre ministre de l'intérieur actuel. Si les rimes en sont pauvres, l'idée générale est en faveur de la liberté de conscience et de la liberté d'enseignement, si compromises aujourd'hui par le fanatisme du fils.

Si le père Schollaert - comme on l'appelait à Louvain - a passé par tout l'arc-en-ciel politique, i après avoir été républicain et libre-penseur en 1848, il est devenu par la suite libéral et clérical, au moins, dans sa dernière transformation, est-il resté un modéré, craignant avec juste raison des reproches trop fondés sur ses multiples variations.

Malgré tout, M. Schollaert, - le père - était considéré à Louvain comme un brave homme, un peu toqué, mais incapable de faire mal à qui que ce soit.

On riait bien du bonhomme, on ne le prenait guère au sérieux, - il était légèrement zwanzeur, et il l'a prouvé - mais il était si inoffensif, si bienveillant, toujours prêt à rendre service, possédant même un véritable tempérament d'orateur - qu'on lui pardonnait, et ses frasques, et ses turlupinades, et ses changements périodiques d'opinions.

C'était un bon vivant, affable aux pauvres, et les louvanistes oubliant toutes ses fredaines politiques l'élisait régulièrement. Il était nécessaire à Louvain comme Casteleyn à Bruxelles.

Si M. Schollaert père s'était contenté d'être un superbe caméléon politique, on lui aurait certes pardonné ; mais il eut la faiblesse de donner naissance à un fils qui, non seulement n'eut pas son talent, mais qui sous l'influence des jésuites, après avoir été un cancre au collège, devint la créature de ses anciens maîtres et à force de platitude est devenu l'homme de la réaction en Belgique.

Le père était drôle ; le fils est sinistre.


(Extrait de la Meuse, du 19 août 1879)

Les funérailles de M. Schollaert, représentant de Louvain, ont eu leu samedi dernier.

Cette mort ajoute un nom de plus au nécrologe malheureusement trop considérable du Parlement belge dans le cours de cette année. Bien que le défunt fût un adversaire politique, nous n'hésitons pas à rendre hommage à son talent. Comme orateur , M. Schollaert avait des qualités tout à fait exceptionnelles. Mais c'était plutôt un rhéteur, en ce sens qu'il préparait très longuement ses harangues, qu'il en calculait tous les effets comme un acteur et qu'il ne se hasardait à les prononcer que lorsque sa mémoire le garantissait contre les plus petits hasards de la discussion. Ainsi, il avait préparé pendant trois mois le discours qu'il devait prononcer dans la discussion de la loi sur l'instruction primaire.

Pourquoi ne le prononça-t-il point ? II y eut pour cela différents motifs.

Le premier, c'est qu'il était fort paresseux ; le second, c'est que cet homme admirablement doué par la nature, se sentait du plomb dans l'aile et avait perdu toute confiance en soi depuis le jour où M. Bara le cloua silencieux et atterré sur son banc, en lui rappelant sa fameuse chanson du « vieillard pâle et blême. »

D'après M. Schollaert et ses amis, ce vieillard n'était point le Pape, c'était Mgr de Ram, recteur magnifique de l'Université de Louvain. Mais si ce n’était le Saint-Père, c'était assurément un haut dignitaire ecclésiastique et, par conséquent, un représentant de l’Eglise.

Que M. Schollaert fut libéral autrefois, cela n'est oublié à Anvers qu’il y vint, il y a un quart de siècle environ, briguer une candidature libérale, à laquelle une conférence donnée au Cercle artistique devait servir de passeport.

Quels événements déterminèrent la conversion de M Schollaert ? Ses intimes pourraient seuls le dire. En somme, ce personnage intelligent, instruit , éloquent et distingué à divers titres, grand ami des arts et des livres, n'a réussi à fournir qu'une carrière manquée. II eut un grand succès en 1866 dans la discussion du projet de réforme électorale ; la Chambre éprouva en l'entendant une émotion réelle, mais à partir de ce jour il se reposa, il vaudrait mieux dire qu'il s'endormit dans son triomphe. Il se mit à fredonner pour son compte le refrain d'une chanson bien connue.

« Et maintenant je me repose Sous le chaume hospitalier,

« Et je cultive la rose Sans aucun souci du laurier. »

Le chaume hospitalier, c'était le château de Vorst. Il devait sa fortune à un brillant mariage. Il avait épousé la fille de M. Van den Schrieck, possesseur d’une magnifique galerie de tableaux qu'il avait acquise a vil prix pendant la crise de 1848, et qu'il revendit pour une somme énorme quand les jours de prospérité furent revenus.

M. Schollaert était devenu dans ces dernières années rêveur et taciturne. On lui arrachait difficilement une parole, et ceux qu'il recevait à sa table s’étonnaient de ses allures. Il lui arrivait de se retirer pendant le dîner et d'abandonner ses convives pour aller s'enfermer dans sa bibliothèque.

Sa mort n'est pas, en réalité, une perte sensible pour le parti catholique, car il lui apportait un médiocre appui. Il y a à la Chambre actuelle bien des députés qui n'ont jamais entendu le son de sa voix. Répétons-le, c'était un oiseau chanteur, avec une voix harmonieuse, et qui charmait ses auditeurs quand il daignait se faire entendre, mais.... un beau jour un habile oiseleur lui avait coupé le sifflet. Pour la jeunesse, c'est une fameuse leçon !