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Schollaert François (1851-1917)

Portrait de Schollaert François

Schollaert François, Victor, Marie, Ghislain catholique

né en 1851 à Wilsele décédé en 1917 à Sainte-Adresse (France)

Ministre (intérieur, instruction publique, agriculture et sciences et arts) entre 1895 et 1911 Représentant entre 1888 et 1917, élu par l'arrondissement de Louvain

Biographie

(Extrait du Vingtième Siècle, du 1 juillet 1917)

Mort de M. Frans Schollaert

M. Frans Schollaert, député de Louvain, ministre d'Etat et président de Chambre des Représentants, est mort la nuit de vendredi à samedi à Sainte-Adresse, après une longue et douloureuse maladie, à l'âge de 65 ans, dans les sentiments de la plus vive piété. C'est le deuxième de nos ministres d'Etat qui meurt en exil, avoir suivi dans leur fortune le Roi et le gouvernement. M. Schollaert, qui a vu venir la mort, s’y était préparé comme au départ pour le havre éternel. Il n'aura fallu rien de moins que les certitudes chrétiennes pour consoler de mourir sur la terre étrangère, avant la délivrance de la patrie, ce Belge, ce Flamand, qui aimait ardemment son pays, sa ville de Louvain, son village de Vorst, et qui s'était promis sans doute, comme tous les hommes fortement enracinés dans le sol provincial, une tombe entre des tombes amies, dans le cimetière où il a pleuré, rêvé et médité près de ses proches endormis.

Deux fois ministre de l'Intérieur et de l'Instruction publique (de 1895 à 1899 dans les cabinets de Smet de Naeyer et Vandenpeereboom, puis de 1908 à 1911) ; président du Conseil pendant cette dernière période ; deux fois président de la Chambre des Représentants : ni les dignités, ni les honneurs, ni sa popularité au sein de son parti n'altérèrent jamais sa bonhomie et sa simplicité. L'homme privé était admirable. Dignité de la vie, fermeté du caractère, sincérité, bonté : il avait au plus haut degré les vertus qui imposent l'estime et forcent le respect. Il a été un des Belges les plus vilipendés de son époque. Personne cependant ne l'a jamais accusé d'obéir à des mobiles bas ou seulement intéressés. L'action, chez lui, était toujours l'exacte traduction de la pensée. Une fois son parti pris, il agissait comme le bon soldat marche au feu, bravement, sans se retourner, sans calculer le risque. A la présidence de la Chambre, il a brillé par l'à-propos, le courage, la fermeté et une impartialité rarissime chez les hommes de parti passionnés pour leurs convictions. Ce homme discret, au visage fermé, qui gagnait le fauteuil d’un pas lent et timide, les yeux baissés, s'élevait, dans les séances difficiles, au-dessus de lui-même. Les orages parlementaires fouettaient sa verve et aiguisaient son esprit. Sur tous les bancs de l'assemblée, son autorité était souveraine. On le savait inaccessible, dans l'exercice de sa charge, à la camaraderie et à la peur. Pendant les jours troublés d'avril 1902, quand l'émeute débordait de la rue jusque dans le Palais de la Nation, ses amis le supplièrent en vain de passer les nuits à Bruxelles, au lieu de regagner sa maison de Louvain, désignée par certains à la fureur populaire. En le voyant si ferme, si calme et si égal, on pensait à Bois-d'Anglas, après le meurtre du député Féraud, se découvrant devant la tête sanglante promenée triomphalement par les assassins sous les yeux de la Convention stupéfaite. Lui non plus, les piques ni les poignards ne l'auraient fait trembler.

* * *

Devant le tribunal de l'opinion publique, quand tous les hommes d'Etat de l'avant-guerre, morts et vivants, seront jugés d'après le gain ou le déficit du pays sous leur règne, il est à craindre que les vertus privées et même les vertus civiques ne comptent que pour peu de chose. Ce jour-là, nous ne serons pas les derniers à invoquer, en faveur de Schollaert et à sa louange, la reprise du Congo, qu'il mena à bien, en 1908, avec autant de doigté que d'énergie, et loi militaire de 1909, première étape da notre rénovation.

Ses défauts furent ceux de son milieu et de son temps. Son antimilitarisme ne fut jamais que passif. Dès 1905, il en était guéri : à preuve son intervention dans le vote de loi relative à la défense d'Anvers. Ce n'est pas sa faute si son patriotisme, plus sentimental qu’éclairé, du moins jusqu'en 1909, lui ouvrit tardivement les yeux sur le péril auquel sa position géographique et l’avidité de l’Allemagne exposait le pays. Dans ce bourgeois conservateur du dix-neuvième siècle, on retrouvait tous les traits qui composaient la physionomie de nos ancêtres du dix-huitième : même foi ardente, même honnêteté profonde, même dévouement à la chose publique, même méfiance vis-à-vis des hommes, quels qu'ils fussent, qui demandaient à la nation, sous forme de prestations militaires, le sacrifice quotidien de son bien-être, de ses aises et de ses habitudes en vue d'un danger estimé lointain et chimérique. Aux uns comme aux autres, la culture européenne a manqué. Enfermés dans les limites de leurs étroits horizons, trop peu attentifs aux mouvements de l'Europe et insuffisamment avertis de leur répercussion fatale sur la liberté et l’indépendance de la Belgique, ils ont été les hommes de leur villages, de leurs villes, de leurs partis. Au lieu de leur jeter la pierre, au lieu de nous lamenter ou de nous irriter au risque d’ajouter à nos malheurs le fléau pire de discordes civiles, jurons-nous d'éviter leurs erreurs et de soumettre désormais nos opinions, nos passions, nos disputes, comme un unique régulateur, à l'intérêt et à la grandeur de la patrie.

* * *

Contre l'esprit de parti, s'il renaissait un jour de ses cendres pour s’insurger contre l'esprit national, M. Schollaert serait d'ailleurs, pour les bons patriotes, un allié précieux. C'est parce qu'il mit le pays au-dessus de son parti qu'il eut la gloire, en 1909, de faire voter par les Chambres l'abolition du remplacement et l'augmentation du contingent annuel. Cette loi de salut public, il l’imposa à un ministère divisé, à une majorité hostile, à un parti soulevé et menaçant. Fait sans précédent dans notre histoire parlementaire : le chef du gouvernement eut contre lui au vote, la majorité des députés de son parti, heureusement mis en échec par les deux groupes de l'opposition, irrésolus, eux aussitôt, jusqu'au dernier instant. Ce n'est pas le moment de rappeler en détail les péripéties de ce combat, où le XXème Siècle a le droit d'affirmer qu'il a fait son devoir. A qui nous accuserait, un jour, de déchirer l'unité du parti, nous répondrions que MM. Schollaert et Helleputte la déchirèrent bravement, en 1909, pour le bien du pays, dès que le général Hellebaut, leur collègue à la guerre, leur eut fait toucher du doigt la plaie entretenue au flanc de notre armée par la loi de 1902. Et quand nous entendrons dire sous le manteau que nous sommes vendus à la franc-maçonnerie, nous nous souviendrons que ce n'est la première fois que la nouvelle de ce marché court les rues. En 1909, la loge nous avait acheté, et MM. Schollaert et Helleputte avaient débattu le prix. Cent lettres, dans nos archives, si les Prussiens ont eu plus de respect pour nos tiroirs que pour notre matériel, témoigneront que l'esprit de parti peut entraîner d'honnêtes gens à cet excès de sottise.

Dans ces derniers temps - pourquoi ne le dirions-nous pas sans détour sinon sans mélancolie ? - la politique du XXème Siècle n'a pas plu tous les jours au président de la Chambre. On nous ôtera difficilement de l'idée qu'un prisme a été interposé entre ses yeux et nous, de façon à grossir et à dénaturer les défauts dont nous n’avons pas la fatuité de nous croire exempt.

Quoi qu'il en soit, rien ne nous empêchera de saluer avec respect le cercueil de cet honnête homme, de cet ardent patriote. Puisse la Providence donner aux hommes d'Etat qui auront l'honneur de gouverner la Belgique délivrée, en même temps que la largeur d'esprit et l'amplitude de vision exigées par cette tâche redoutable, les vertus dont M. Schollaert donna toute sa vie l’exemple.

Fernand Neuray

M. Frans Schollaert était le beau-frère de M. Helleputte, ministre de l'agriculture et des travaux publics ; nous présentons M. et Mme Helleputte nos sincères condoléances.

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Quelques dates

M. Frans Schollaert est né à Louvain, le 19 août 1851 et avait fait ses études de droit à l'Université catholique. Avocat, Il fut à plusieurs reprises bâtonnier et s'occupa de bonne heure de politique. Successivement, il devint conseiller communal, conseiller provincial et député catholique de Louvain. Entré à la Chambre le 12 juin 1888 il fut ministre de l’intérieur du 25 mai 1895 au 5 août 1899 ; président de la Chambre du 12 novembre 1901 au 9 janvier 1908 ; ministre d’Etat le 5 mai 1907 ; chef de cabinet du 9 janvier 1908 au 10 mai 1911 ; il prit successivement les portefeuilles de l’intérieur et de l’agriculture, des sciences et des arts. Il redevint Président de la Chambre l 12 novembre 1912 et c’est en cette qualité qu’en août 1914, il fondait à Anvers le Comité officiel belge de secours au réfugiés. Au Havre, en octobre 1914, il ouvrit le premier dépôt des Invalides de la guerre.


(Extrait du Vingtième Siècle, du 3 juillet 1917)

La mort de M. Schollaert

Un grand nombre de personnes ont défilé dimanche et lundi, place Frédéric-Sauvage, devant la dépouille funèbre de M. Schollaert qui repose dans un des salons de son appartement transformé en chapelle ardente. Des invalides du dépôt de Sainte-Adresse montent la garde autour du cercueil.

Samedi matin, un service funèbre a été célébré à la chapelle du Dépôt des Invalides de la Sous-Bretonne pour le repos de l’âme de son regretté fondateur. M. l'abbé Dubois, qui officiait, a fait en quelque mots émus l'éloge du défunt.

Une des grandes tristesses des derniers jours du vénéré président de la Chambre a été de mourir en exil. Il avait parfaitement conscience qu'il ne reverrait plus le pays auquel il était si profondément attaché. Le seul désir qu'il ait exprimé à propos de ses funérailles a été d’y voir évoquer la patrie absente : « Je voudrais, a-t-il dit à l'abbé Dubois qui l'assistait dans ses derniers instants, qu'au moment de la consécration, les clairons sonnent et que la fanfare des Invalides exécute en sourdine la Brabançonne pour exprimer mon dernier salut à ma chère et glorieuse patrie. »


(Extrait du Vingtième Siècle, du 4 juillet 1917)

Les funérailles de M. Schollaert

Elles ont eu lieu mardi à Sainte-Adresse devant une foule de notabilités.

Les funérailles de M. Schollaert ont eu lieu mardi, vraiment belles et imposantes, au milieu d’une affluence comme Sainte-Adresse n'en vit jamais depuis l'arrivée du gouvernement belge au Havre.

Dès 11 heures, une compagnie de fusiliers marins, deux compagnies du 137ème de ligne, deux compagnies de grenadiers anglais, la compagnie des gendarmes belges, les hommes du dépôt des Invalides, les permissionnaires du Home du Soldat formaient le carré sur la place Frédéric-Sauvage où ne tardaient pas à arriver les notabilités belges, anglaises et françaises.

A midi précis, le catafalque couvert de superbes gerbes de fleurs fut installé dans le vaste couloir de l'hôtel où il fut encadré par les officiers supérieurs de l’armée, les membres du corps diplomatique, les sénateurs et députés et toutes les personnalités françaises présentes.

Là, entouré des membres du gouvernement, devant la famille, M. de Broqueville prononça avec émotion le discours suivant.

Discours de M. de. Brocqueville

Messieurs,

Pour la seconde fois depuis l'exil, nous sommes réunis afin de rendre les derniers devoirs à un de ces vétérans de la politique que le gouvernement, désireux de profiter de la sagesse et de l'expérience acquises, avaient invités à le suivre dans ses douloureux déplacements. L’an dernier nous perdions M. Louis Huysmans, aujourd’hui c’est le vénéré président de la Chambre des représentants, mon prédécesseur à la direction des affaires, que nous allons déposer dans cette terre de France, si hospitalière, si maternelle pour les victimes de la guerre.

Victime de la guerre, Frans Schollaert en est assurément une. Il aimait son pays de l'amour calme et profond du terrier : par ces liens mystérieux que la vie rend de plus en plus étroits, son cœur s'était attaché à la Campine où il allait retremper son énergie chaque fois que l’accomplissement des nombreux devoirs qu’il avait assumés lui laissait un instant de répit ; son cœur s'était attaché tout aussi profondément à sa ville de Louvain où la famille de sa mère avait, avant lui, occupé une haute situation. La guerre est venue l'arracher du cadre qui fut celui de toute sa vie et porter la dévastation dans cette cité qui était son orgueil. L’inexpiable crime dont Louvain fut le théâtre l’atteignit dans ses fibres les plus secrètes et altéra une santé déjà ébranlée. Au Havre, nous vîmes la maladie le miner progressivement. L'espoir de revoir cette Belgique aimée le soutint longtemps et l’aida à supporter les plus cruelles souffrances : mais le mal triompha à la longue de ses forces et l’obligea au sacrifice de sa dernière espérance. Il n’est plus !

Le nom de Frans Schollaert est intimement lié aux événements publics de ces vingt-cinq dernières années.

Le parti catholique perd en lui un de ses chefs les plus respectés, un homme d'œuvres qui fut entre tous un réalisateur ; sa foi religieuse lui donna de la vie une conception austère, qui fit de lui le serviteur de tous.

Secrétaire, ensuite président de l'Association conservatrice de Louvain. Président du Comité des Ecoles adoptables, fondateur avec M. Helleputte, du « Boerenbond » et de la Gilde des Métiers et Négoces, secrétaire des Congrès de Malines, il fit preuve dans ces domaines variés de l’activité sociale, des hautes qualités de dévouement et d’abnégation qui furent la règle de cette noble existence.

Il fut de ceux qui donnèrent à la liberté de l’enseignement sa floraison la plus touffue : la direction des Œuvres scolaires de Louvain fut sa tâche préférée ; il acquit une réelle compétence et on le vit mêlé à la pratique, discuté du choix des livres classiques, et distribuer des récompenses aux élèves qui avaient bien répondu à ses interrogatoires. Cette prédilection pour les questions d’enseignement marqua toute sa carrière et lui permit d’accomplir au pouvoir au réformes qu'un esprit moins averti des nécessités concrètes n'aurait pas osé entreprendre.

Mais l'enfance n'absorba pas tous ses soins. L’organisation professionnelle qui dans notre pays a poussé des racines si profondes trouva en lui un partisan acharné. Il y voyait un moyen d'améliorer le sort des humbles, de donner au peuple et surtout aux masses rurales, cette cohésion qui assure l’entraide et le progrès dans le métier en même temps que le respect des pouvoirs publics.

Entré à la Chambre en 1888, il fut le rapporteur de la loi donnant la personnification civile aux Unions et contribua ainsi à réaliser dans le domaine juridique d'un desideratum que les esprits attentifs aux exigences de la vie sociale avaient formulé depuis longtemps.

De 1895 à 1899 Frans Schollaert fit partie du ministère de Burlet, de celui du comte de Smet de Naeyer et de celui e M. Van den Peereboom. Comme ministre de l’intérieur et de l’instruction publique, il fit adopter des modifications importantes à la loi organique de l’enseignement primaire, réalisa l’extension des programmes, le relèvement des traitements des instituteurs et une sérieuse amélioration de l’inspection des écoles libres.

Le ministre catholique, homme d’œuvres et créateur d’écoles, collaborait, en toute amitié avec M. Germain, le directeur général de l’Enseignement primaire, imbu des idées de M. Van Humbeeck, et savait défendre les droits de l’Etat sans compromettre ceux de la liberté.

En 1908, à la mort du regretté Jules de Trooz, Léopold II appela M. Schollaert à la tête du gouvernement. Pendant les quatre années de son ministère, il eut à résoudre les problèmes les plus épineux que l’on ait connus depuis longtemps. Ce fut d’abord la question coloniale. On n’a pas oublié les hésitations que les grands desseins du feu roi éveillèrent dans notre esprit public, ni le caractère complexe des négociations qui précédèrent l’annexion du Congo. M. Schollaert surmonta toutes ces difficultés et inaugura cette politique large et progressive qui rallia l’opinion belge à l’œuvre africaine aujourd’hui si prospère.

Ce fut ensuite le problème militaire.

Dès le début de son ministère, son attention fut attirée sur l’état déplorable de notre armée. Après avoir soutenu son collègue de la Guerre, le lieutenant général Hellebaut, dans sa volonté d’exposer loyalement au pays les graves mécomptes entraînés par l’application de la loi de recrutement votée en 1902, il déposa le mémorable projet du fils par famille, qui devint la loi du 12 décembre 1909.

Cette loi fut le point de départ de la réorganisation complète de notre établissement militaire ; elle mit fin à la crise des effectifs qui entravait si gravement l’instruction des cadres et de la troupe elle-même ; elle donna à l’armée l’assurance que l’antimilitarisme, si influent jadis dans le pays, était sans action sur les sphères gouvernementales dès que les nécessités impérieuses de la défense exigeaient de leur part un acte de franchise et de courage. M. Schollaert défendit la loi avec une ténacité et une vigueur impressionnante ; il rallia l’opposition à sa formule transactionnelle et ne craignit pas, devant l’importance des intérêts en cause, de se séparer ouvertement d’une fraction considérables de ses amis politiques. Le tirage au sort fut aboli et le service personnel instauré. M. Schollaert fut clairvoyant en ne s’arrêtant pas aux objections de ceux qui auraient voulu prolonger la période de transition entre le nouveau régime militaire et l’ancien. Le souci de ses responsabilités envers le pays lui fit à juste titre considérer comme secondaires les conséquences purement politiques de la mesure de salut public que la majorité des Chambres étaient décidée à appuyer. La loi de 1913 ne fut possible que parce que M. Schollaert avait auparavant déblayé le terrain et dissipé les fantômes qui voilaient aux yeux du pays le péril véritable. Ce que j’ai pu faire plus tard, je le dois aux efforts que, dans des circonstances si peu favorables, mon regretté prédécesseur et ami a accomplis avec une hauteur de vue et une conscience que l’histoire ne manquera pas d’enregistrer. La loi de 1909 a donné un rendement qui a dépassé les espérances des plus optimistes et l’évolution morale dont elle fut le point de départ est une des causes marquantes de l’efficacité de notre résistance à l’invasion allemande.

M. Schollaert, que nulle tâche n’effrayait, entreprit ensuite la réforme de notre législation scolaire. Il ne réussit point ; mais quand l’émotion que ses projets firent naître dans une partie de l’opinion sera complètement dissipée, l’on reconnaîtra que sa façon de concevoir la liberté du père de famille était née chez lui du désir d’appliquer les principes d’une civilisation avancée et ne portait atteinte ni aux droits ni aux fonctions de la collectivité.

Le but qu’il poursuivit a pu être réalisé par des voies différentes, mieux appropriées peut-être aux circonstances ; mais nul ne trouvera déplacé que comme collaborateur et ami de M. Schollaert, je rende justice à la pensée, si mal comprise, qui l’inspira dans son projet de 1911.

Dans l’intervalle de ses deux ministères, et après sa retraite, en 1911, M. Schollaert exerça la haute magistrature de la Présidence de la Chambre des Représentants. Nos collègues seront unanimes à lui rendre l’hommage que méritent son impartialité, son expérience, sa connaissance approfondie du mécanisme parlementaire. Sur tous les bancs de la Chambre, il jouissait de cette considération et de cette sympathie qu’attirent toujours la bonté du cœur et la droiture de l’âme.

Le Gouvernement s’incline avec respect devant le représentant vénéré d’un des grands corps de l’Etat.

Nous comptions sur lui pour présider cette session qui sera celle de la victoire, où on verra nos libres institutions fleurir à nouveau et soulager par le fonctionnement régulier du contrôle des élus de la Nation, la lourde responsabilité qui pèse actuellement sur le Gouvernement ; nous avions la confiance que l’autorité de sa parole, la sûreté de son jugement sauraient profiter de la concorde patriotique pour amener dans les méthodes de travail du Parlement les perfectionnements indispensables à l’accomplissement rapide de la tâche immense qui incombe à la législature dans l’œuvre de la restauration du pays.

Depuis que le Gouvernement s’est fixé à Sainte-Adresse, M. Schollaert s’était consacré tout particulièrement à l’œuvre des blessés et des mutilés de la guerre. Il fut l’initiateur de l’œuvre du Manoir, où des centaines d’’invalides reçoivent la rééducation professionnelle qui contribuera à les mettre à l’abri du besoin. Il apportait à cette institution toute la générosité de son cœur et tout le dévouement qu’il ne pouvait répandre sur des œuvres de plus vaste envergure. Nos malheureuses populations arrachées à leur foyer par la poussée de l'invasion ennemie trouvèrent en lui un protecteur à l'âme généreuse et au dévouement inlassable.

Le Gouvernement songe avec profonde reconnaissance à tout le bien dont militaires et réfugiés sont redevables à notre cher président.

Messieurs, des existences comme celle de M. Schollaert honorent la vie publique ; ses adversaires les plus déterminés n'ont jamais mis en doute la sincérité de ses convictions, la loyauté de ses procédés, le désintéressement de son caractère. Il est nécessaire que les partis choisissent leurs mandataires parmi ceux qui joignent ainsi à toutes les qualités de l'honnête homme les vertus des bons et grands citoyens. C’est à les discerner, c’est à faire valoir leur talent, c'est à les diriger vers le service du pays que les organisations électorales doivent s'appliquer si elles entendent dignement remplir leur mission et rester les adjuvants précieux des institutions représentatives.

Dans la Belgique restaurée, la disparition de Frans Schollaert laissera un grand vide. Puisse son exemple donner à la patrie des serviteurs dignes de lui, héritiers de ses traditions et de ses hautes vertus civiques.

Nous qui avons été lié à lui par les liens de l'affection, nous qui avons lutté à ses côtés pour les convictions qui nous sont chères, nous garderons pieusement sa mémoire, certains que Dieu lui a donné la récompense d'une vie toute consacrée au service d'autrui.

Le nom de cet homme de bien, de ce grand chrétien et de cet ardent patriote restera vivant dans nos cœurs.

Que la paix du Seigneur soit le couronnement de cette noble vie !


(Extrait de L’Indépendance belge, du 2 septembre 1890)

Le Patriote nous apprend la constitution d’un Boerenbond ou « Ligue des cultivateurs », constitution préconisée aux congrès de Liége et de Malines.

Les statuts d’une ligue agricole furent élaborés il y a quelques mois déjà, raconte la feuille cléricale ; un grand nombre de propriétaires et de laboureurs et des amis, tant ecclésiastiques que laïques, de l’agriculture, étaient venus, en grand nombre, des provinces d’Anvers, de Limbourg et du Brabant flamand. Ils se réunirent à Louvain, à la Maison des Métiers, firent choix d’un comité provisoire, décidèrent l’impression du règlement et d’une circulaire et résolurent de provoquer des assemblées locales pour aboutir à fonder partout des gildes paroissiales de paysans.

Que veut la nouvelle Ligue ? Elle s’occupera d’abord de tout ce qui touche aux intérêts matériels des campagnards : enseignement agricole, achat en commun de fumier et d’engrais, de semences et d’instruments aratoires ; institution de caisses d’épargne et de crédit locales, assurance mutuelle du bétail, etc.

Parfait, et nous trouvons très légitime la préoccupation des agriculteurs de développer le plus possible toutes les institutions qu’ils estiment propres à seconder leurs efforts.

Le programme du Boerenbond est moins rassurant dans sa seconde partie. Il se propose de recourir à l’intervention de la législature dans tout ce que celle-ci peut avoir d’influence sur l’agriculture et la propriété. On ne l’accusera pas, dit Le Patriote, de revendications immodérées s’il demande à la législature une prudente protection, des lois contre l’usure, l’abolition d’impôts iniques, un crédit agricole en rapport avec la nature de la propriété et d’autres mesures législatives. Ici nous sommes dans le protectionnisme à outrance ; et il est peu probable que le chef du cabinet, qui est résolument libre-échangiste, soit disposé à encourager les velléités de la ligue.

Enfin, le troisième point du programme, restauration de l’agriculture, comme gilde fondée sur les principes chrétiens, nous ramène au moyen âge et les initiateurs du mouvement ne s’en cachent pas. Ils disent son fait à la Révolution française qui « par la guillotine et l’effusion de flots de sang a brisé les derniers liens qui unissaient l’ancienne société aux gildes » ; ils se livrent à un éloge pompeux des paysans flamands et proclament que le Boerenbond doit porter un caractère chrétien dans ses membres, dans sa direction, dans son but.

On croit rêver en lisant de pareilles choses ; il serait cependant injuste de taire le nom des trois illuminés qui ont signé ce factum christiano-agricole : ce sont MM. Helleputte, représentant e Maeseyck ; Schollaert, représentant de Louvain, et un prêtre louvaniste, M. Ferdinand Mellaerts.


Extrait de : J. BARTELOUS, Nos premiers ministres de Léopold Ier à Albert Ier 1831-1934, Bruxelles, Collet, 1983)

FRANS SCHOLLAERT (1851-1917)

(page 251) Evoquant devant le ministre Paul Segers, le souvenir de Frans Schollaert, Charles Woeste eut ce mot drôle : « On voyait bien que Schollaert était célibataire, il ne savait pas faire de concessions. »

En effet, le nouveau chef de cabinet désigné au libre choix du Roi par la quasi-unanimité de ses conseillers, était un vieux garçon endurci, énergique, intelligent et de bon sens. Alors que J. de Trooz flairait l’opinion de la Chambre et sentait plus qu'il ne comprenait les dossiers, F. Schollaert comprenait beaucoup mieux qu'il ne sentait. Il faut ajouter son entêtement proverbial. Lorsque le ministre, après avoir mûrement étudié un dossier, avait pris une décision, personne pas même le Pape - et Dieu sait s'il était bon catholique - n'aurait pu le faire changer d'opinion ; au demeurant, le meilleur homme du monde.

Il avait repris la tradition des chefs de cabinet puisqu’il était docteur en droit, avait été élu conseiller du Brabant et député depuis 1888 à l’époque où les électeurs censitaires profitaient de toutes les occasions pour renforcer la majorité parlementaires de la droite.

Né à Wezele près de Louvain, en 1851, il avait donc 37 ans lorsqu'il entra au Parlement. Quelques rapports bien faits, et un travail acharné, lui avaient valu de recevoir le portefeuille de l’Intérieur en mai 1895, après la démission du comte de Mérode-Westerloo à la suite de l'échec de la première tentative de cession du Congo à la Belgique. De Burlet avait pris pour lui les Affaires Etrangères et confié le ministère de l’Intérieur au député de Louvain.

Dans ses nouvelles fonctions, il n'avait point tardé à montrer une grande activité. Avec l’accord de Woeste, devenu depuis la retraite de Beernaert le chef incontesté de la droite, il avait accepté de faire voter la loi de 1895 rendant renseignement de la religion obligatoire dans toutes les écoles primaires communales (page 252), sauf dispense des parents. Cette mesure peut nous paraître aujourd'hui excessive, mais elle correspondait certainement à la mentalité de la majorité de la Chambre et celle-ci élue au suffrage universel plural, représentait la majorité du pays.

Une autre de ses initiatives souleva d'âtres critiques, mais était certainement intéressante. Le suffrage plural étendu aux élections provinciales et communales, aurait eu comme conséquence d'amener dans les grandes villes du pays, une majorité de gauche, car le nombre d'électeurs à une voix y dépassait de loin celui des électeurs à deux et trois voix. Pour renforcer l'élément conservateur, et du reste avec l'appui des quelques libéraux échappés au massacre électoral de 1894, il fit accorder une quatrième voix propriétaires et aux censitaires lors des élections communales. C'est ce qu'Edouard Anseele, le leader socialiste gantois, appela « la loi des quatre z’infamies. » La loi contenait cependant une initiative fort intéressante, elle supprimait le scrutin de ballottage pour les élections communales et instaurait la représentation proportionnelle au cas où les élus n'auraient pu obtenu la majorité absolue. En outre, le conseil communal devait se compléter par l'élection d’un certain nombre de membres cooptés choisis parmi les citoyens capables d'apporter leur concours à la gestion communale. Malheureusement, les citoyens capables d'apporter leur concours la gestion de la commune ne se trouvaient jamais appartenir au parti de la minorité.

Nous n'avons jamais compris comment cet homme intelligent en arriva à soutenir Vandenpeereboom dans sa folle tentative pour écarter la représentation proportionnelle devenue inévitable et instaurer un régime électoral destiné à assurer la majorité catholique pour « des temps lointains. » Nous croyons que chez lui, une étrange passion politico-religieuse l’emporta sur la sagesse et qu'en toute bonne foi, il s’imagina rendre service à ses concitoyens en leur assurant, pour les temps futurs, une majorité parlementaire destinée à faire leur bonheur en ce monde et dans l’autre. Douze ans plus tard. en voulant assurer l'égalité entre les (page 253) deux réseaux de l’enseignement primaire, sans tenir compte de l’état d'esprit d'une grande partie de la population de l’époque, il commit la même faute qui eutt la même conséquence, sa retraite des affaires.

Après la démission de Vandenpeereboom, il redevint simple député, mais deux ans plus tard, De Saedeleer, successeur à la présidence de la Chambre, manifesta le désir de se retirer et F. Schollaert fut choisi par la droite pour diriger les débats. Rapidement il s'avéra un remarquable président, plein de sang-froid et de tact ; il acquit durant les sept années qui suivirent une grande autorité. A la mort de J. de Trooz, chacun comprit qu'il fallait un homme énergique pour diriger les affaires du pays et conduire à son terme la difficile annexion du Congo. Par devoir, Schollaert accepta de diriger le ministère, se chargea du portefeuille de l'Intérieur et reprit tous les collaborateurs de son prédécesseur.

* * *

En appelant au pouvoir Frans Schollaert, le Roi s’était donné le rôle facile de paraître céder aux vœux du pays en nommant ministre un homme dont tout le monde connaissait l'hostilité au maintien de la Fondation royale. Léopold II était trop tenace pour marquer immédiatement son accord et ce ne fut qu'après des discussions délicates qu'un acte additionnel vint modifier le projet de traité préparé par de Trooz et le Souverain de l'Etat indépendant du Congo. Encore le Roi ne céda-t-il qu'après un voyage discret à Berlin où il se rendit compte qu'il ne pouvait pas davantage compter sur l'appui du gouvernement allemand que sur celui du gouvernement anglais. Derrière les querelles juridiques se cachait l'idée d'un partage de l’Etat indépendant entre les grandes puissances. Le Roi s'en rendait parfaitement compte, c’est pourquoi il finit par céder. Le nouvel accord prévoyait une somme de cinquante millions serait mise à sa disposition pour lui permettre d’exécuter de grands travaux dans la future colonies, tandis que la (page 254) Belgique s’engageait à consacrer quarante-cinq millions pour achever les travaux entrepris dans le pays par Léopold II.

Ainsi, le Roi semblait avoir cédé, tout en étant le grand vainqueur, puisque la Fondation royale ne disparaissait qu’apparemment, remplacée par la Fondation Niederfulbach et que le Roi obtenait en outre une somme total de 95 millions pour lui permettre de continuer son œuvre. Le procédé peut paraître discutable et, au surplus. échoua car la Fondation allemande fut, après le décès du Roi, déclarée illégale, mais il montre la ténacité de Léopold II dans la poursuite de ses desseins et ce désintéressement dont il devait donner tant de preuves au cours de son règne.

Le dépôt de l' acte additionnel avait permis la reprise de la discussion de la Charte coloniale par le Parlement. Ce ne fut pourtant qu’après de longues discussions soutenues au nom du Gouvernement par Renkin, ministre de la Justice, que le vote fut acquis par 83 voix contre 59 et 9 abstentions. La droite presque unanime avait voté le projet, appuyée par une partie des libéraux. A l'unanimité le parti socialiste vota contre le projet, mais E. Vandervelde sut mettre dans son opposition d'infinies nuances.

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La reprise du Congo renforça l'autorité morale de Schollaert ; il en profita pour résoudre enfin le problème militaire. La loi de 1902, sur le volontariat, s'était révélée un échec total alors que la situation politique de l'Europe était devenue inquiétante. Au mois d'octobre 1908, l'Autriche-Hongrie avait brusquement annexé la Bosnie-Herzégovine et le même jour, le prince Ferdinand de Bulgarie s’était proclamé Tsar. Un moment, la paix de l’Europe avait paru menacée, puis la tempête s’était calmée, non sans que ne subsistât une sourde inquiétude dans les chancelleries. Face la formidable armée allemande et à l'imposante force militaire française, remise de la crise dreyfusienne, la Belgique en était restée à la petite (page 255) armée de 1870. Le Roi débarrassé du souci congolais, pressa son chef de cabinet de mettre le pays en état de défense. Schollaert eut le mérite de comprendre l’angoissant appel du Souverain.

Malheureusement, le pays n’avait pas saisi la gravité de la situation internationale. Depuis 80 ans, la neutralité lui avait assuré la paix et le précédent de 1870 l’avait renforcé dans ses illusions. Le gouvernement n’eut pas l'habileté de préparer l'opinion publique par une campagne de presse ou de conférences, comme de Broqueville devait le faire, trois ans plus tard. C’est regrettable, d'autant plus que la grande majorité de la droite, dominée toujours par l'écrasante personnalité de Charles Woeste, demeurait hostile à toute augmentation du contingent et à la suppression du remplacement.

Dans le courant de l'année 1909, Schollaert déposa un projet de loi supprimant le remplacement et instaurant le service militaire d'un fils par famille ; régime qui avait l'avantage apparent de satisfaire la population catholique des Flandres où le nombre de familles nombreuses était plus élevé qu'en Wallonie, mais l’inconvénient réel d'être peu compatible avec la Constitution prévoyant le vote annuel du contingent et de laisser, au hasard de la natalité, le soin de fixer le nombre de miliciens appelés chaque année sous les drapeaux.

Ne pouvant compter sur la majorité de son parti, Fans Schollaert escompta l'appui du parti libéral et du parti socialiste, et c'est ainsi qu'avec l'aide de la jeune droite, représentant un tiers de la majorité, et le vote de l’opposition tout entière, le Roi, au seuil de la tombe, put réaliser le rêve de son règne, la suppression du remplacement. Woeste, avec le gros de la droite, avait voté contre la loi et A. Beernaert, partisan du service généralisé, s'était abstenu par scrupule constitutionnel.

Charles Woeste ne devait jamais pardonner à Schollaert la suppression du remplacement et son attitude équivoque, pour ne pas dire hostile, 18 mois plus tard, lors de la discussion du bon scolaire fut la conséquence directe de cet incident. Pourtant il est (page 256) probable qu’une autre raison plus personnelle encore se trouvait à l'origine de l'hostilité que Woeste montrait au chef de cabinet. En 1908, le ministre d’Etat avait rêvé d'obtenir du Roi un titre de noblesse et Schollaert avait commis la maladresse de ne pas appuyer très vivement ce désir auprès de Léopold II. Le Roi n'aimait pas Woeste, même s'il s’en est beaucoup servi pour la réussite parlementaire de sa politique coloniale ; en privé. il l'appelait « l’homme funeste. » Lorsque le Souverain connut le désir de son ancien ministre, de recevoir le titre comtal, il eut ce commentaire plein de dédain, mais derrière lequel se cachait une secrète admiration : « « S'appeler Monsieur Woeste et être comte !... »

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La mort de Léopold II marqua en Belgique le déclin de la Belle Epoque, dont la nuit du 2 août 1914 devait sonner le glas. Quarante-quatre ans plus tôt, le décès du roi Léopold n'avait pas modifié la politique intérieure et il avait fallu l'heureuse coïncidence du Congrès de Berlin et de l’avènement au pouvoir d'A. Beernaert, pour que le règne prenne son essor et que le géant sortît de son entresol. Il n'en fut de même au lendemain de la mort du grand Roi. Léopold Il était un homme du XIXème siècle, son neveu appartenait aux temps nouveaux. Le vieux Souverain n avait jamais compris grand-chose à la question flamande et rien du tout à la question sociale. Le Roi Albert comprenait fort bien la question flamande et encore mieux la question sociale. Schollaert était l'homme du vieux Roi, de Broqueville serait l’homme du jeune.

Au lendemain de la mort de Léopold II, les élections du mois de mai 1910 avaient encore affaibli la majorité catholique réduite à six voix ; la droite payait le prix du courage politique du chef de cabinet, offrant à son vieux Souverain mourant le service militaire d’un fils par famille, mais les électeurs campagnards des Flandres aussi bien que de Wallonie n’avaient pas compris l'urgente nécessité de la loi et l'heure de la chute du parti catholique semblait prochaine .

Frans Schollaert crut-il rallier autour de lui ses amis politiques de plus en plus divisés en une vieille droite (page 257) usée par 25 ans de pouvoir et une jeune aux dents longues. Voulut-il assurer avant la perte du pouvoir l’égalité entre les deux réseaux d’enseignement ou bien cette honnête homme, profondément religieux, fut-il choqué par l’existence difficile surtout dans les grandes villes à majorité de gauche d’un grand nombre d’écoles libres qui ne recevaient de l’Etat que de maigres subsides ? Personne ne pourra jamais dire avec certitude le motif qui poussa cet homme secret à déposer, au début de 1911, le projet de loi connu sous le nom de « loi du bon scolaire.’

Schollaert commit une fois encore la même maladresse que lors de la loi sur la suppression du remplacement. Il ne prépara pas l'opinion publique à ses idées et donna l' impression de proposer non une loi parfaitement justifiable en son principe, mais une loi partisane.

Malgré les apparences. le projet ne manquait pas de sagesse, il prévoyait qu'un bon scolaire serait donné à chaque père de famille, qui le remettrait à l'école de son choix et les subsides seraient partagés entre les réseaux de l’enseignement au prorata des bons reçus. Tout compte fait, ce système n'est pas tellement différent de l'actuel pacte scolaire. Seulement, la grande Ia différence venait de ce que les subsides seraient payés non par l'Etat comme de nos jours, mais pat les communes. C'était forcer les majorités de gauche des moyennes et grandes villes du pays à subsidier l’enseignement libre, ce qui soulevait la colère unanime des libéraux et des socialistes. En même temps, la loi prévoyait l'établissement d'un quatrième degré destiné aux enfants ayant terminé leurs études primaires et qui ne voulaient ou pouvaient poursuivre les études moyennes. Enfin, elle supposait que par voie d’amendement, l'enseignement obligatoire et gratuit jusqu’à 14 ans pourrait être introduit dans la loi. Tout cela n'était pas mauvais. Au surplus, en proposant l’enseignement obligatoire et gratuit, Schollaert rencontrait les désirs de l’opposition qui avait inscrit depuis fort longtemps cette réforme à son programme. Sans le dire, le ministre espérait recommencer la manœuvre qui lui avait si bien réussi lors du vote de la loi militaire, (page 258) obtenir l’appui de l’opposition.

Le projet fut déposé sur le bureau de la Chambre, alors que l’opinion publique ne s’y attendait pas. Très mal accueilli par la gauche qui ne voulait y voir que la chasse à l’enfant organisée par le bon scolaire et qui feignait d’ignorer l’enseignement obligatoire, le projet rencontra, en outre, l’hostilité d’une partie des électeurs catholiques. En effet, les paysans et les ouvriers se montraient fort mécontents d’une loi qui allaient empêcher leurs enfants de les aider dans les champs ou de travailler dans les usines pour gagner quelques sous à partir de 12 ans. Devant la réaction de leurs électeurs, les députés catholiques se montrèrent hésitants, et Woeste qui, depuis la loi supprimant le remplacement, détestait le chef de cabinet, se montra fort réticent. C’est ainsi qu’un projet dont le principe était loin d’être mauvais, souleva contre lui l’hostilité de toute la gauche, sans rallier la majorité.

Au début du printemps de 1911, le Roi entrepris un voyage en Egypte pour achever le rétablissement de la Reine, dont la santé avait été fort ébranlée l’année précédente, mais avant de partit, le Souverain avait obtenu l’assurance du chef de cabinet que la tranquillité publique ne serait pas troublée en son absence.

A son retour, le roi Albert trouva la Belgique en proie à une violente agitation. La « politique de grande voirie » reprenait ses droits et les « chiennes d’enfer », suivant l’expression d’Edmont Picard, se déchaînèrent. Le Roi fut fort mécontent et ne le cacha pas à Schollaert en lui faisant part de ce qu’il avait consulté Cooreman, président de la Chambre. Celui-ci conseilla d’appeler Woeste et Beernard, président du Sénat, ainsi que Dupont – ministre d’Etat libéral – ce qui était, avant la première guerre mondiale considéré comme interdit au Souverain qui ne pouvait avoir d’autres conseillers que ses ministres et les membres de la majorité. Le Roi convoqua donc pour le samedi 3 juin dans l’après-midi Beernaert et, pour le lendemain, Woeste.

A partir de ce moment les événements vont se précipiter. Conformément à la déontologie constitutionnelle (page 259) le Roi prévint Schollaert de ses intentions, le samedi 3 juin en fin de matinée. Celui-ci reçut-il le message royal avant son départ pour sa propriété de Vorst, près de Louvain, om il avait l’habitude de passer ses week-ends ? Il l'a toujours nié, mais il est possible qu’il ait reçu le message royal avant de partit et refusé de l’ouvrir ; il en connaissait certainement la teneur, car il en avait été avisé, par téléphone. par un journaliste qui tenait lui- même la nouvelle d'un membre de l’ entourage royal.

Frissé de l’attitude du Souverain, Schollaert quitta immédiatement le ministère pour ne revenir que le mardi matin et prendre officiellement connaissance de la loi du Roi.

Après son audience, au palais de Laeken, Beernaert ne cacha pas qu’il avait conseillé au Roi la retraite du ministère et des élections immédiates. Woeste prétend dans ses Mémoires, avoir suggéré la prise en considération du projet et puis son renvoi en section pour examen, ce qui aurait amené probablement Schollaert, discrètement désavoué, à se retirer. Quoi qu'il en soit, le chef de cabinet fut reçu au palais immédiatement après son retour et eut, avec le Souverain dans la matinée du 6 juin, un entretien assez difficile. Dans l’après-midi, il réunit le conseil de cabinet et c'est probablement au cours de cette réunion que la démission du ministère fut décidée, mais en même temps il fut entendu que cette démission resterait secrète jusqu'au lendemain et qu'elle ne serait remise au Roi qu'après les débats de la Chambre où la prise en considération du projet devait être discutée. Au cours de la séance du mercredi, Woeste prit la parole et en apportant du bout des lèvres, sa confiance au cabinet il termina son discours en affirmant : « Non, pour nous, votre projet n'est pas l'idéal. »

Il était donc naturel que la démission du ministère, rendue publique le jeudi fût attribuée à Woeste et la droite unanime ne lui cacha pas son mécontentement. En réalité cet incident sur lequel nous nous sommes volontairement étendu, marque bien la différence entre le vieux Roi et son successeur. Léopold II avait révoqué le cabinet d'Anethan et deux membres du (page 260) ministère Malou, le roi Albert ne révoqua jamais aucun de ses ministres, il se bornait à leur faire qu’ils avaient perdu sa confiance. De Broqueville en 1918 et Renkin en 1932 subirent le même sort. Le Roi ne heurte jamais I 'opinion publique, il la devine et parfois la dirige. Si paradoxal que cela puisse paraître, l'autorité du grand Roi sera moindre que celle de son héritier ; d'abord parce que la disparition de la majorité absolue catholique donnera au roi Albert des possibilités d'interventions que le règne de Léopold II n’avait jamais connues. ensuite parce que la popularité du Roi était telle qu'elle lui donnait une autorité morale que son oncle avait peu à peu perdue. et dont, au surplus, le roi Albert saura toujours user avec une modération et un tact infinis.

Avec la retraite de Schollaert, l’ère léopoldienne était close. De Broqueville prit le pouvoir et profita du désir de Cooreman de quitter la présidence de la Chambre pour y replacer, d'accord avec Woeste, l'ancien chef du cabinet. Il est possible que Broqueville ait éloigné discrètement son prédécesseur, demeuré fort populaire parmi les membres de la majorité, des chemins du pouvoir, tandis que Woeste écartait l'homme à qui il vouait une tenace rancune

Dans la journée du 4 août 1914, F. Schollaert présida pour la dernière fois la séance de la Chambre ; il suivit le gouvernement à Anvers, puis au Havre, chez sa sœur - Mme Helleputte, s'occupant des œuvres d’assistance aux réfugiés belges en France et mêlée aux querelle des éternels Coblence. Cet honnête homme mourut au Havre le 31 mai 1916 [note du webmaster : en fait le 29 juin 1917] sans avoir vu se lever l'aube de la victoire, laissant dans notre Histoire le souvenir non d'un grand homme d' Etat, mais d’un ministre courageux qui eut le mérite de résoudre l'épineux problème congolais et la suppression du remplacement. Ce sont 'services qui méritent respect.