Scailquin Optat, Joseph, Jean-Baptiste libéral
né en 1842 à Braine-le-Comte décédé en 1884 à Bruxelles
Représentant entre 1879 et 1884, élu par l'arrondissement de Bruxelles(DISCAILLES E., dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1911-1913, t. 21, col.. 541-546)
SCAILQUIN (Optat-Joseph-Jean-Baptiste), avocat, homme politique, né à Braine-le-Comte, le 10 août 1842, mort à Saint-Josse-ten-Noode, le 28 juillet 1884.
Son grand-père, d'après Mr Louis Bertrand, avait été un des premiers contremaîtres du charbonnage Warocqué et y avait découvert plusieurs veines importantes. Son père, qui est mort chef de division à l'administration centrale des ponts et chaussées où il conquit tous ses grades, ne cessa de rêver pour Optat de grandes destinées, parce que dès sa tendre enfance, il avait révélé des dispositions heureuses, parmi lesquelles une facilité de parole peu commune, et surtout parce que, en 1857, élève de seconde à l'athénée royal de Namur, il obtint au concours général en narration française la onzième place sur 176 concurrents inscrits.
De 1858 à 1862,le jeune homme suivit les cours de l'université de Liège où il subit ses examens de droit. Il commença son stage chez Mr le sénateur Forgeur; il vint l'achever à Bruxelles chez Mr Vervoort, le président de la Chambre.
La politique, qui l'avait beaucoup occupé déjà sur les bancs de l'université liégeoise, ne le lâcha plus. Il saisissait toutes les circonstances pour donner l'essor à sa parole exubérante. Il retournait, par exemple, à Liège, au Congrès des étudiants de 1866, pour y faire le procès de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire, qu'à maintes reprises déjà il avait combattue dans les meetings. Au palais de justice, il plaidait plus spécialement sans doute les questions de travaux pour lesquelles l'expérience et les conseils paternels lui étaient très utiles ; mais il recherchait, c'était visible, les procès qui pouvaient lui fournir (comme celui des typographes bruxellois poursuivis du chef de coalition) l'occasion d'exposer au grand jour ses opinions franchement libérales et d'attirer sur lui l'attention des associations de qui dépendaient les mandats politiques.
Il ne pouvait pas encore penser à se présenter dans l'arrondissement de Bruxelles. Parmi les nombreux candidats à la Chambre, il en était dont la réputation reposait sur d'autres mérites qu'un talent d'élocution incontestable, mais que l'emphase gâtait singulièrement. Les Bruxellois semblaient commencer à se fatiguer des périodes sonores, du clinquant, de l'alignement énervant des trois substantifs et des trois qualificatifs traditionnels dont on abusait à la journée. D'autre part, l'exemple de Jules Bara, député de Tournai à vingt-sept ans et ministre à trente ans, surexcitait l'impatience de Scailquin et de son père, qui se dirent qu'un mandat parlementaire conquis en province valait bien un mandat de la capitale. On tenta l'épreuve dans l'arrondissement de Soignies où la famille avait de nombreuses relations. Ce fut un échec (juillet 1870).
Scailquin se contenta alors, pendant quelques années, de jouer un rôle d'ordre moins éclatant dans le faubourg de Saint-Josse-ten-Noode (dont une rue porte son nom) et où, lorsqu'il présidait l'Association libérale, il jeta les bases d'une « Ligue des gueux brabançons » disparue sans laisser de trace. Elu conseiller communal par les Saint-Josse-ten-Noodois, qui goûtaient fort son talent oratoire, ses opinions radicales et son bon garçonnisme, il traita particulièrement les questions d'ordre administratif et de travaux publics. Un des premiers il préconisa le voûtement de la Senne, en attendant qu'il entrât dans le mouvement qui allait aboutir à la création du « Cercle des installations maritimes de Bruxelles » dont il fut le président. Il était devenu dans le même temps président d'une société bourgeoise de la capitale, « la Philharmonie », où il s'était acquis des sympathies sur lesquelles il croyait pouvoir compter le jour où il brigua, à Bruxelles cette fois, ce fauteuil de représentant qu'il ambitionnait toujours. A deux reprises encore il échoua.
On a conservé à Bruxelles le souvenir de certain meeting de la rue de Brabant, où un appel bizarre à ses frères maçons provoqua un incident qui tourna contre lui. On s'y souvient aussi de la correspondance qu'il échangea avec Louis Hymans, directeur de l'Echo du Parlement, où il n'eut pas assurément le dernier mot. Cela se passait au temps des querelles intestines de la « Ligue libérale » et de l'« Association libérale. » Scailquin se vit préférer successivement MM. Paul Janson, Goblet d'Alviella et Gustave Washer.
Enfin, à la mort de Jules Anspach, survenue le 10 mai 1879, les portes du Parlement s'ouvrirent pour lui.
L'atmosphère de la Chambre et le genre de travaux auxquels il donna son attention tout d'abord - les questions d'affaires - paraissent avoir amené des changements dans sa manière ordinaire. Certes, son langage ne cessa jamais d'être emphatique. Il ne réussit pas à se guérir radicalement de ce goût de la déclamation et du clinquant, qui lui fit donner par ses adversaires l'épithète irrévérencieuse de « ferblantier. » Plus d'une fois encore, surtout dans les débats que provoquèrent la question de la légation belge au Vatican et le projet Malou-Jacobs-Nothomb tendant à étendre le droit électoral sans révision constitutionnelle (novembre 1879, mars 1880, mars 1881, février 1882, juin et juillet 1883, avril 1884), on l'entendit se servir des vieux clichés. Mais il était arrivé à parler le langage des affaires et il eut à certains jours l'oreille de la Chambre pendant les cinq ans qu'il siégea sur ses bancs, par exemple quand il parla des faux bilans et des pensions des combattants de septembre. La question des pensions civiles l'occupa presque à chaque session : il finit par user de son initiative parlementaire pour déposer sur cet objet un projet de loi qui donnait satisfaction à un grand nombre d'employés du gouvernement. Il exposa aussi souvent les griefs et les plaintes des fonctionnaires en parfaite connaissance de cause. C'est que, grâce à son père et aux collègues de son père, il était mis au courant de maints détails d'administration qui lui permettaient de voir plus et mieux que d'autres représentants. Comme d'autre part il ne reculait pas devant la besogne, qu'il aimait à obliger et qu'il avait des visées ministérielles, son passage à la Chambre a laissé plus de traces qu'il n'a plu à ses adversaires politiques d'en convenir, car il ne négligeait jamais l'étude des intérêts matériels et analysait les budgets d'assez près.
La succession de Mr Sainctelette (voir cette notice) le tentait assurément. Jusqu'au jour où elle passa à Mr Olin (5 août), Scailquin redoubla de zèle dans l'examen des questions de canaux et de chemins de fer, amorçant le grand problème de Bruxelles port de mer, préconisant des réformes dont quelques-unes du reste ont fini par être admises, faisant espérer des réductions dans des dépenses exagérées, signalant l'excès de paperasseries et le trop grand nombre d'employés.
Comme ses anciennes relations avec les chefs de la gauche avancée, dont il ne suivit pas constamment la politique, inspiraient peut-être certaine défiance au chef du cabinet de 1878-1884, il fut laissé dans le rang. Et nous ne voudrions pas affirmer que le dépit qu'il en ressentit n'a pas contribué à rendre dès ce moment son attitude politique aussi radicale qu'avant son entrée au Parlement. Sans doute il ne signa pas, avec MM. Janson, Arnould, Demeur, Dansaert, Robert et Feron, la proposition du 19 juin 1883 tendant à réviser les articles 47 et 53 de la Constitution. Mais il refusa, le 6 juillet, de suivre MM. Buls, Couvreur, Houzeau, Bockstael, Bergé, Vander Kindere, Hanssens, Goblet d'Alviella, Houtart, Lambert, Lucq et Wincqz qui déclarèrent en repousser la prise en considération ou vouloir s'abstenir, « pour ne pas associer leur vote à une proposition qui pourrait entraîner la ruine du parti libéral ».
Ce n'est pas la seule circonstance où Scailquin n'accorda pas son vote au ministère de 1878. Dans la discussion de la loi financière de 1883 (les « Graux impôts », comme on disait alors), il contesta vivement le chiffre du déficit invoqué pour établir des impôts auxquels les radicaux ne se montraient pas moins hostiles que les cléricaux, et qui furent, autant que la loi scolaire et les dépenses scolaires, la cause de la défaite des libéraux en 1884.
Parmi les derniers discours de Scailquin au Parlement, notons ceux qu'il prononça sur l'enquête scolaire. Le 28 février 1884 avait été déposé, au nom de la commission d'enquête, le rapport sur la situation des ateliers d'apprentissage et des écoles dentellières. Il donna lieu, au mois d'avril, à une discussion violente pendant laquelle les députés des deux partis échangèrent les propos les plus vifs. (Voir aux Annales parlementaires les pages relatives aux écoles dentellières, sur lesquelles Mr le professeur De Ridder avait écrit des pages très suggestives.)
La vie de Scailquin allait finir. Le soir même du jour (10 juin 1884) où la coalition catholico - indépendante de l'arrondissement de Bruxelles l'élimina de la Chambre avec tous ses amis, Scailquin reçut d'un « stokslager » un formidable coup de canne qui l'obligea à garder le lit. Cet accident, dont il commençait à se remettre et qui le faisait sourire, fut cependant l'occasion de sa mort, survenue à la fleur de l'âge (42 ans).
Scailquin a écrit les ouvrages suivants : « Conférence sur l'abolition de la peine de mort » (Liège, 1868) ; « Propos du villageois Jean-Louis » (Bruxelles, Poot, 1866) ; « Plaidoiries dans le procès intenté aux associations typographiques de Bruxelles du chef de coalition » (Bruxelles, 1866) ; « Discours maçonniques », 1867 et 1871 ; « Conférence sur la justice, 1878 ; « Les faux bilans et de leur répression », 1879 ; « La loi de 1842 sur l'enseignement primaire », 1879.
Il avait épousé Mademoiselle De Rijcker, de Bruges, dont il n'eut pas d'enfant.
(Extrait de La Réforme, du 30 juillet 1884)
Optat Scailquin est mort lundi soir, à neuf heures, frappé à quarante-quatre ans, en pleine maturité et dans tout le rayonnement du talent.
Le coup sera profondément senti, à Bruxelles surtout, ou cette mort, suivant de si près les désastres du libéralisme, revêt un caractère véritablement tragique.
C’est qu'il n'est, dans cette grande ville, ni une œuvre utile, ni un progrès réalisé, ni une tentative généreuse qui ne rappelle le souvenir d'Optat Scailquin.
Elu représentant de l'arrondissement de Bruxelles, il jura de se constituer au Parlement le défenseur obstiné des intérêts et des droits de ses concitoyens. II tint son serment.
Il dépensa, au service du pays, les généreuses ardeurs d’un tempérament si riche qu'il paraissait inépuisable. Il prodigua, à la tribune parlementaire et dans nos grandes assemblées populaires, les éclats d’une éloquence si chaude et si pénétrante qu'elle communiquait à tous l’enthousiasme dont l’orateur lui-même était consumé.
Dans la vie privée, nul n'était meilleur, plus affable, plus simple et plus obligeant. Son éloquence véritablement tribunitienne disparaissait pour faire à la plus cordiale et la plus affectueuse bonhomie.
La générosité et l'ardeur de convictions démocratiques dataient de loin. Etudiant, il était l’un des orateurs les plus brillants de ce Congrès do Liége où se révélèrent, pour la première fois, tant de jeunes hommes dont le talent devait illustrer la politique de notre pays.
Député, il devait aller prendre rang aux postes avancés du libéralisme.
Il fut de l'Extrême gauche. Et, dans la division du travail qui s'opéra entre les membres de ce groupe parlementaire, il assuma plus spécialement le lourd fardeau de la défense des intérêts matériels. Il y déploya une compétence exceptionnelle.
Travaux publics, chemins de fer, canaux, assainissement de la Senne, restauration des communications maritimes de Bruxelles, tels furent quelques-uns des objets de ses constants travaux et de son active propagande.
Puis, il se dévoua aux intérêts des plus humbles, des fonctionnaires modestes, des survivants obscurs de 1830, des ouvriers, si peu représentés dans nos Chambres.
Tout cela, il le fit simplement, noblement, entraînant ses amis dans l'œuvre entreprise, et sachant aussi soutenir vaillamment à l'heure où il les voyait s'engager dans la grande mêlée des revendications démocratiques.
Son rôle parlementaire fut grand. Mais, au dehors de la Chambre, que d’efforts, que de dévouement !
II fut vice-président de la Libre-Pensée et vénérable de la Loge des Amis philanthropiques.
Il fonda, en pleine réaction cléricale, la Ligue des Gueux brabançons, et il lui donna un programme démocratique dont beaucoup s’effrayent encore aujourd'hui.
Il constitua la Ligue pour l'assainissement de la Senne et elle pour nos installations maritimes.
Il fut parmi les fondateurs de la Ligue pour la révision de la Constitution et parmi ceux qui l’affirmèrent de leur vote à la Chambre.
Nous nous arrêtons ici ; l’énumération de ses œuvres serait trop longue.
La mort enlève à la politique belge une de ses forces les plus précieuses et les plus puissantes ; car nul n'avait d'aspirations généreuses et plus démocratiques et nul n'était plus en possession de la confiance de cette bourgeoisie libérale qu'il rêvait de conquérir à la grande cause populaire.
Pour nous, nous perdons un de ceux dont l’exemple et la loyale amitié nous encourageaient dans la lutte difficile et pénible entreprise en commun. Et c'est, une cruelle blessure au cœur, que nous dédions ces quelques lignes à l’homme qui a si grandement honoré la démocratie libérale.
Optat Scailquin est mort en libre-penseur.
Le 10 juin, il avait cessé d’être officiellement député de Bruxelles.
Mais il était resté le porte-voix éloquent des aspirations de la grande ville. Et c’est en les défendant, sans calculer ses forces déjà menacées, qu’il a aggravé et rendu irrémédiable le mal terrible qui devait l’emporter.
Il tombe, prématurément, victime de l’excès de son dévouement à la chose publique, entouré de la plus légitime et de la plus sympathique popularité.
La population de la capitale fera d’imposantes funérailles à celui que Bruxelles n’avait pas cessé de considérer comme son digne représentant.
(Extrait des Hommes du Jour, 1884, n°31)
Comme président du Cercle des Installations Maritimes et comme auteur du rapport sur les écoles dentellières, M. Optat Scailquin fait beaucoup parler de lui en ce moment. Présentons- le donc à nos lecteurs, puisque c'est lui l'Homme du Jour.
M. Optat Scailquin est né à Braine-le-Comte, le 10 août 1842, pendant que son père, un des fonctionnaires attachés à la construction du fameux tunnel de Braine, résidait dans cette ville. Le père Scailquin est mort récemment. C'était un honnête homme dans toute l'acception du mot. Le jeune Optat Scailquin fut élevé presque exclusivement par son brave et digne père qui était un de ces hommes rares qui ont su conserver, au milieu des mesquineries de notre temps, des idées larges, généreuses et un caractère indépendant. Cette mort fut un coup cruel pour le député de Bruxelles qui pleurera longtemps l'auteur de ses jours, auquel il doit tout ce qu'il est aujourd'hui.
Le grand-père de Scailquin était un des premiers contre-maîtres du charbonnage Warroqué. Il découvrit, au commencement de ce siècle, plusieurs veines importantes qui firent la prospérité… des propriétaires du charbonnage de Mariemont et de l'Olive.
De 1851 à 1858, Scailquin fut élève de l'athénée de Namur et, de 1858 à 1862, il suivit les cours de l'Université de Liége, où il reçut son diplôme de docteur en droit.
Avant de quitter le « boulevard du libéralisme », comme on appelle la ville qui vit naître Frère- Orban, Scailquin entra chez maître Forgeur et y fit un stage d'une année.
Après cela, il vint s'établir à Bruxelles et fut le stagiaire de Me Vervoort.
A Liége comme à Bruxelles, le jeune Scailquin s'occupa activement de politique. Il n'a pas encore, comme M. Mineur… pardon, comme M. Vanderkindere, regretté ses idées de jeunesse, et nous l'en félicitons, Il est vrai de dire que Scailquin n'a jamais émis des idées bien révolutionnaires. Au Congrès des étudiants, par exemple, tenu à Liége en 1866, Scailquin a prononcé un discours sur la question de l'enseignement qui a été fort applaudi. Après avoir fait l'historique de la législation belge et étrangère sur l'instruction et avoir montré en passant l'odieux de la loi de 1842 sur l'instruction primaire, dont il demandait la révision, Scailquin termina par cette péroraison qui souleva des bravos frénétiques :
« Nous sommes venus à ce Congrès, dit-il, pour affirmer nos principes de liberté que j'ai développés au point de vue de l'enseignement primaire et surtout pour réveiller dans nos âmes les idées de paix et de solidarité, pour y proclamer cette grande maxime : Chacun pour tous, tous pour chacun; cette solidarité qui nous élève au-dessus des vils calculs de l'égoïsme, qui nous montre des larmes à essuyer, des plaies à guérir, des douleurs à consoler ; la solidarité est la garantie du progrès et de la moralité, quand elle repose sur l'idée de justice et de dignité humaine, et, qu'avant de nous séparer, nous puissions dire : que le serment du Congrès sera à la solidarité ce que le serment du jeu de paume fut à la liberté ! »
Eh bien, ce serment il l'a tenu, tandis que Vanderkindere et tant d'autres, hélas! n'y ont plus pensé depuis, si ce n'est pour en rire. Ce Congrès fit beaucoup de bruit il y a dix-huit ans et beaucoup de ceux qui sont arrivés maintenant, y prirent part, tels que Arnould, Magis, Robert, Vanderkindere, etc. C'est à ce même Congrès que ce dernier prononça les paroles que M. Jacobs lut à la Chambre, il y a huit jours, et par lesquelles l'auteur du Siècle des Artevelde, nous allions écrire : le siècle des palinodies, déclarait qu'il ne voulait pas plus que l'Etat intervienne en matière d'enseignement qu'en matière de religion ou de morale. Il est vrai qu'à cette époque l'ancien recteur de l'Université de Bruxelles n'était qu'un enfant, tandis qu'aujourd'hui il est un aspirant ministre de l'instruction publique ! Ce que c'est que de nous !
Mais revenons à Scailquin.
Depuis son entrée au barreau de Bruxelles, Scailquin plaida une série d'affaires correctionnelles et criminelles, mais il s'est occupé spécialement des questions de travaux publics. Son cabinet est fort couru pour ces sortes d'affaires. Scailquin fait actuellement partie du Conseil de l'ordre des avocats.
En 1870, - Scailquin n'avait que 28 ans, - il est candidat aux Chambres pour l'arrondissement de Soignies. Il passe en tête dans quatre bureaux sur cinq, mais échoue à 3 ou 4 voix par la coalition des catholiques et d'un groupe de libéraux timorés qui votent pour. M. Bouquéau. Dans la période électorale qui précéda cette élection, le candidat Scailquin fit une profession de foi, dans laquelle il affirmait hautement ses idées de progrès et de démocratie.
Peu après cette défaite honorable, Scailquin est élu conseiller communal à Saint-Josse-ten-Noode et a été confirmé dans ce mandat par quatre élections successives.
Son rôle, au Conseil communal de Saint-Josse, il le remplit avec beaucoup d'ardeur. A côté des questions purement administratives et communales, il prend l'initiative d'une série de mesures ou propositions en matière d'expulsions d'étrangers, de fabriques d'église, de droit électoral, d'intérêts matériels, etc. A propos de la loi sur les étrangers, Scailquin a fait en sorte que beaucoup de citoyens habitant la commune de Saint- Josse-ten-Noode, n'ont pas été ennuyés par ce qu'on appelle l'administration de la sûreté publique, alors que les autres communes sont pour la plupart à la dévotion de l'expulseur Bara.
En 1875, Scailquin fonde la « Ligue des Gueux brabançons », qui compte bientôt jusque 1,600 membres. Cette ligue est complètement morte aujourd'hui. Ceux qui étaient à sa tête ne s'en sont servis, en quelque sorte, que pour faire mousser leur personnalité. Au point de vue politique, ça a été une grande faute, car la Ligue était une force qui, à un moment donné, aurait pu contre-balancer l'influence électorale de l'Association libérale. M. Scailquin, je crois, n'est pour rien dans cette disparition ; c'est sous la présidence de M. Huysmans que cette association est morte, tuée par la négligence de ceux qui avaient mandat de la faire vivre...
Une maladie grave vient, pendant près d'une année, arracher M. Scailquin à ses travaux et au mouvement politique.
Des sièges deviennent vacants à la Chambre des représentants. Scailquin se met sur les rangs et lutte avec MM. Goblet et Washer. Il échoue deux fois au poll. Le choix de celui-ci ne prouve pas en faveur de son intelligence ou de son esprit politique. Enfin, à la mort de M. Anspach, Scailquin se présente à nouveau et est élu, cette fois sans lutte, le 17 juin 1879.
A la Chambre, Scailquin fait partie du groupe de l'extrême-gauche.
En 1881 d'abord, et l'année dernière ensuite, Scailquin lutte avec M. Paul Janson pour une réforme électorale, pour la révision de l'article 47 de la Constitution et enfin contre les impôts.
C'est le moment ici de placer une critique.
L'orateur, en Scailquin, est un peu filandreux. Ses discours politiques, quoique partant d'un bon naturel et ayant pour objet des idées très justes, ne sont la plupart du temps qu'une suite de lieux communs, de clichés, de phrases à effets, bien faits pour « épater » le bon public. Quant aux grandes idées d'ensemble, aux vues originales, on les y cherche en vain. Les journaux cléricaux appellent M. Scailquin le ferblantier, et cette critique n'est pas exagérée. De plus, il pose beaucoup et prend un air important. Mais ceci est peut-être l'effet de son ventre qui commence à s'arrondir.
Combien Scailquin est mieux quand à la Chambre il s'occupe d'affaires, d'intérêts matériels ! Ici, on l'écoute avec attention et son intervention est souvent couronnée de succès. On sait combien il est difficile de faire réduire les chiffres du budget quand le ministre s'y oppose. Eh bien, la semaine dernière, Scailquin a fait voter une réduction de vingt mille francs sur le poste consacré à cette fumisterie qu'on appelle la Carte géologique.
Les critiques de Scailquin concernant les dépenses excessives du mobilier du Palais de Justice ont également eu du succès, non seulement à la Chambre, mais aussi dans la presse.
Le rapport du budget des Travaux publics, fait par Scailquin il y a deux ans, a eu également un certain retentissement. Le rapporteur critiquait avec beaucoup de verve, dans son travail, l'excès de paperasserie qui règne au ministère des Travaux publics. Quelques-uns des exemples cités dans ce rapport firent le tour de la presse. Le sort des petits employés et des ouvriers de l'administration des chemins de fer l'a préoccupé aussi. Il a montré l'excès de travail auquel le personnel inférieur est tenu et a protesté avec énergie contre ces abus scandaleux.
« L'Etat, disait Scailquin, doit donner l'exemple aux particuliers pour ce qui concerne la situation faite à l'élément travailleur occupé dans les administrations publiques. »
Comme président du Cercle des Installations maritimes, Scailquin a montré ce que peut l'énergie et la persévérance. Cette idée de relier Bruxelles à la mer, vieille cependant de près d'un siècle, n'avait guère été prise au sérieux par le public. L'idée seule de Bruxelles-port-de-mer faisait rire les bons bourgeois. Aujourd'hui, grâce à une propagande active, cette idée fait son chemin, et le nombre de ses partisans grandit chaque jour.
Le rapport fait par Scailquin sur les Écoles dentellières a ému toute la presse. Cependant, disons-le bien vite, les questions qu'il soulève ne sont pas nouvelles. L'enquête sur la condition des classes ouvrières, faite par le Gouvernement en 1846, a montre l'odieuse exploitation dont l'enfance est la victime dans ces écoles où, sous prétexte de leur donner un peu d'instruction, on exploite et martyrise de pauvres enfants dès l'âge de cinq ans.
Après avoir cité, sommairement les faits recueillis par lui et quelques auteurs, Scailquin conclut qu'il y a nécessité de compléter cette enquête et dit : « L'intérêt de la justice, de la vérité, l'honneur du pays n'exigent-ils pas qu'ils soient vérifiés de plus près ?
« Ne perdons pas de vue que toutes ces révélations, tous ces exemples cités se rapportent à des établissements ayant un caractère légal, subsidies, inspectés, adoptés comme des écoles primaires.
« Que s'est-il donc passé? quelle est donc la réalité des choses dans ces établissements qui restent impénétrables même à la justice, où, profanant et souillant le nom de l'usage de la liberté, on a rendu taillables et corvéables à merci des séries de générations flétries, atrophiées et peuplant les hôpitaux, les prisons, les dépôts de mendicité ? E t cela s'est accompli froidement ; l'œuvre continue, la loi reste impuissante.
« Nous savions par les enquêtes ce qu'était l'école libre ; nous savons maintenant ce qu'est l'école de charité.
« Avant de conclure, il convient de chiffrer les bénéfices de l'exploitation.
« Ce qu'il y a de navrant dans les constatations faites, c'est cette circonstance que, pour un salaire de quelques centimes par jour, on obtienne un travail de 8, 9 et 10 heures.
« Est-ce nécessité, est-ce indifférence, est-ce soumission ? C'est ce qu'une enquête plus approfondie nous apprendra ; elle doit se faire, car il y a là un immense danger social à conjurer.
« Oui, l'école libre, dans les Flandres, est largement fréquentée; mais, que la société, que l'Etat y réfléchissent : c'est que les parents, vassaux du couvent, sont encore nombreux qui disent, suivant l'expression rapportée par M. De Ridder :
« Nous savons que l'instruction ne vaut rien chez les nonnes, mais on y gagne quelque chose. »
Eh oui ! on y gagne quelque chose, et les malheureux sont souvent forcés de compter avec ce quelque chose, là où le père ne gagne qu'un franc cinquante ou deux francs par jour ! La question sociale se pose là tout entière.
Faire des enquêtes, c'est bien ; mais, lorsqu'on a découvert un mal, il faut y porter remède, en tenant compte de la situation du milieu qu'il s'agit de réformer. Dans le cas présent, le remède est double : il faut ne pas supprimer le travail de la dentelle dans les écoles, car ce serait tuer une industrie, et, en même temps, il est nécessaire, tout en donnant l'instruction aux enfants des Flandres, de leur faire gagner quelqu'argent nécessaire à leurs parents.
Dans cet ordre d'idées, nous croyons qu'il y a beaucoup à apprendre dans la brochure de notre ami, M. l'avocat Guillaume De Greef, sur l'Ouvrière dentellière en Belgique. Sa solution, à la fois scientifique et pratique, mérite d'être prise en sérieuse considération par ceux qui veulent résoudre le problème que soulève le rapport de Scailquin.
Il nous reste à parler maintenant de Scailquin publiciste. Dans ce domaine, le député de Bruxelles a publié plusieurs écrits, entre autres sur la peine de mort, sur la législation des Travaux publics, la loi de 1842, les faux bilans, etc., etc.
On le voit, pour un homme de 42 ans, Scailquin a déjà une vie bien remplie.
Espérons que, dans la lutte qui se prépare au mois de juin entre les doctrinaires et les démocrates, il saura soutenir avec énergie la politique démocratique qu'il a servie depuis son extrême jeunesse.
Quoi de plus beau, on l'a dit, que de voir réaliser, dans l'âge mûr, les idées que l'on défendait dans sa jeunesse ! M. Vanderkindere, lui, n'aura pas cette satisfaction, car le jour où il redeviendra révisionniste, il y a à craindre que les ministériels lui reprochent de retomber en enfance !
L.B.
(Extrait de La Réforme, du 30 juillet 1884)
L'an dernier, presqu'à pareille époque, nous perdions Pierre Splingard ; aujourd'hui voici Optat Scailquin qui s'en va. Pour tous les deux, la mort est survenue inopinée, précipitée, pour ainsi dire frauduleuse, les frappant en pleine force run et l'autre, au moment même où ces natures si riches paraissaient battre le plein de la vie. Pierre Splingard nous avait quittés pour aller prendre, disait-il, quelque repos on Campine : il était attiré par la tranquillité profonde de ces vastes plaines unies, propices comme la mer au repliement de la pensée. II ne savait pas quel repos l'y attendait. Il était absent quelques jours à peine que nous arrivait la nouvelle foudroyante, inexplicable : Pierre Splingard n'était plus. II avait succombé à un mal qui pouvait pardonner, qui même, grâce au régime réparateur des champs, devait être vaincu. Mais prévisions et soins avaient été déjoués. Les forces - et elles étaient si grandes - s'en étaient allées par une blessure intérieure, par une fissure invisible qui tout coup avait laissé échapper la vie. Ce n'est pas qu'aucun organe fut mortellement atteint, ou plutôt tous avaient été brusquement, comme une structure imposante à laquelle la base vient manquer et dont toutes les parties s’écrouleut en se meurtrissant l'une l'autre.
Cet homme d'un si grand cœur, d'un si haut avenir, d'une volonté si saine et si robuste, fondu tout décomposé, tombant une masse inerte, comme si l'ami qui nous était si cher, n'avait été qu'une image trompeuse, une illusion d'un moment et qu'un souffle avait fait s'évanouir. On nous disait qu'il était mort, et nous nous demandions s'il était possible qu'ayant vécu il ne fût déjà plus, ou si l’existence, la mort, tout cela n’avait été qu'un rêve. Et cependant, par tous le liens dont il nous était attaché, par toutes les luttes que nous avions soutenues ensemble, nous sentions bien que ce qui avait été vrai, c'était sa vie, et que cette disparition subite et sans raison n'était qu'une banqueroute du sort et une traîtrise de la destinée.
Comme tout cela nous revient, et avec quelle amertume, devant le lit de ce pauvre et cher Scailquin, qui n'est plus rien qu'un objet sans nom, et qui, hier encore, marchait avec nous, du même pas, dans cette route où nous sommes, il y a vingt ans, entrés ensemble, et dont chaque étape est marquée par un souvenir commun ! Quelle dérision ! II y a six jours encore, nous parlions de l'avenir, comme si nous touchions du doigt, et du passé, comme s'il était nous. Et, en effet, il inspirait sur mes lèvres et brillait dans nos yeux. II n'y avait pas une parole, pas un regard qu'on échangeât sans qu'il y passât quelque lueur des bons jours, de ceux ou, tous, nous étions là côte à côte, en pleine bataille, avec cette entière et cordiale confiance les uns dans les autres, qui n'a jamais été trahie et qui, espérons-le, ne le sera jamais que par la mort. Et Scailquin surtout, avec sa belle nature exubérante, expansive, paraissait celui de tous que les revers avaient le moins découragé. Ce n'était qu'une halte, disait-il, et l'on avait à se préparer à de nouveaux combats. Lui-même donnait l'exemple. Il avait été l'un des agents les plus actifs, les plus énergiques, du succès qui venait à Bruxelles de réparer en partie la déroute du 10 juin, et déjà, avec son imagination débordante, il déroulait les plans qui devaient assurer une revanche éclatante à la démocratie libérale. Et si quelque parole de doute ou d’inquiétude se glissait dans le débat, son grand et bruyant rire en faisait justice et admettait à peine la discussion. Il semblait emporté par une foi sans limite, et il n'était pas comme Splingard, qui demandait du repos. Scailquib n'admettait pas de trêve et la seule crainte qu'il parut avoir était de ne pas trouver à dépenser la flamme qui brûlait en lui.
Et voilà que cette flamme s'est éteinte, brusquement, comme par un grand souffle. Lui aussi a été entrepris par tous les côtés à la fois, en un seul jour, par la pneumonie, par la pleurésie, par le cœur, par toutes les maladies ensemble, déchaînées comme si en lui tous les éléments physiques et les organes se fussent entrecombattus pour la destruction. On eût dit que les forces vitales venaient de rompre le lien qui les tenait en équilibre et se ruaient les une contre les autres. Et les médecins restaient là, décontenancés, devant ce furieux assaut, mais devinant bien, comme chez Splingard, qu'il s'était fait au plus profond de l'être quelque rupture irrémédiable et mystérieuse, jusqu’où la science ne pouvait pas pénétrer.
En effet, lorsque Splingard nous avait quittés, serein, rigide calme comme la statue même du Commandeur, et sans que sa main tressaillît, pas plus que si elle eût été de marbre, ceux qui le connaissaient savaient qu'au fond de lui-même quelque chose s’était écroulé. II n'avait que deux amours, cet homme si terriblement viril, la démocratie et le barreau, qui pour lui n'étaient que deux formes du juste, la justice dans les rapports publics et la justice dans les rapports privés. Et tout au moins, dans la seconde de ce amoura si haute, il pensait qu'il venait d'être méconnu. Ce fut assez pour que cet ébranlement intérieur détruisît, en une secousse, l'édifice d'une vie tout d’une pièce, comme la sienne.
Scailquin, autant que Splingard, avait cette grande foi de la justice sociale ; mais, de plus, il avait la nature la plus sensible, la plus heureuse de se donner, d'être toute à tous, de se répandre, de se sacrifier, de ne trouver sa joie que dans la joie d'autrui. Qu'on reprenne sa vie, ce ne sont que campagnes en faveur de déshérités, des souffrants, des petits et des humbles, de ceux qu'il croyait lésés dans leur fortune, dans leur existence ou dans leur honneur. Il eût voulu tout le monde heureux autour de lui ; il rêvait notre Belgique et Bruxelles riches, prospère, radieux. Quand il parlait, son cœur volait sur ses lèvres ; la chaleur de son âme ajoutait à son éloquence une cordialité si véhémente et si irrésistible qu'il se faisait des amis partout où il trouvait des auditeurs ; et sa parole ne se reposait jamais, car il y avait toujours quelque bien à faire et quelque injustice à réparer.
Mais, comme sont ces natures d'une si puissante expansion et d'une si large humanité, sa franchise et sa générosité, il pensait rencontrer partout, et, en échange du dévouement qu'il dépensait sans compter.
Il eût voulu autour de lui se sentir soutenu par la même ferveur et le même enthousiasme. II vivait trop par l'imagination, et ce qu'il avait conçu comme utile et juste, il le voyait déjà réalisé. Dans ces dernières années, à certaine œuvre surtout il s'était attaché, formant toute une armée autour de lui pour marcher à la conquête de cette nouvelle toison d'or. Ce qu'il en annonçait n'était, du reste, dans sa pensée, que le commencement des transformations profondes d'où tout notre ordre devait sortir renouvelé.
Cet esprit, cependant si prudent et si pratique, avait des visées dont parfois l’étendue étonnait, et sa théorie était qu'il fallait commencer par des améliorations précises et indiscutables pour de là répandre la vie et la richesse successivement dans tout le corps social.
Mais il pensait que rien de grand et durable ne se fait sans une grande ardeur et sans une grande foi, et cette foi, il croyait enfin la sentir vivante autour de lui et de ses amis. Car ses amis avaient place à côté de lui et parfois avant lui dans son rêve.
Aussi quand éclata le désastre du 10 juin, ce qui souffrit en Scailquin, ce ne fut pas l'ambition, il n'en avait aucune; ce ne fut pas son parti politique vaincu, il savait qu'il saurait le redresser et vaincre, ce ne furent pas même le principes oubliés, il ne doutait point de leur avenir et de leur triomphe prochain.
Mais une anxiété le prit, celle de savoir s'il avait fait assez, si toute cette armée qu'il avait réunie n'allait pas se rompre et disperser, si tant de sacrifices n'auraient pas été vains, tant de dévouements inutiles, pour l'œuvre sociale qu'il portait dans sa tête et qu'il voyait déjà accomplie.
Aussi, nous qui le connaissions, nous avions beau l'entendre parler de sa voix haute et rire de son rire sonore, nous avions ce sentiment secret que le désespoir était entré dans ce cœur et que ce cœur était brisé.
Nous le disons à la gloire de ces grands morts, Splingard, Scailquin. Les maladies qui les ont emportés n’ont été que l’apparence extérieure et le dénouement physique d'une crise dont l'origine était dans l'esprit même et dans le cœur de ces grands et nobles amis. Ces hautes natures morales n'ont été brisées que par des causes morales. Que ces pages rapides paraissent au moins avant qu'on ensevelisse l'un d'eux pour que ceux qui assisteront à ces funérailles sachent quel homme nous perdons en lui. S'il est des septiques qui disent que les idées n'existent guère, ni le dévouement aux idées : si cette indifférence à tout idéal supérieur qui triomphe en ce moment en Belgique et qui est l'explication même des revers que nous avons subis, doit se répandre et se développer encore, en montrant nos morts nous dirons : « Oui, les idées existent ! Ella existent, puisqu'elles tuent. »
Il est vrai qu'ils sont rares ceux qui sont capables de mourir d'une pareille mort.
Victor Arnould