Rolin-Jacquemyns Gustave, Henri, Ange libéral
né en 1835 à Gand décédé en 1902 à Bruxelles
Ministre (intérieur) entre 1878 et 1884 Représentant entre 1878 et 1886, élu par l'arrondissement de Gand(WALRAET M., dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1957, t. 29 (supplément tome Ier (fascicule 2), col. 803-809)
ROLIN-JAEQUEMYNS (Gustave, Henri, Ange, Hippolyte), jurisconsulte et homme politique, né à Gand le 31 janvier 1835 et mort à Bruxelles le 9 janvier 1902.
Son père, Hippolyte Rolin, mort à Gand en 1888 à un âge avancé, était avocat et homme politique ; il fut ministre des travaux publics dans le cabinet Rogier, de 1848 à 1850. Il abandonna alors la politique pour se consacrer exclusivement, à Gand, à la profession d'avocat où il brilla au premier rang.
Sa mère était la fille de Jean-Baptiste Hellebaut, professeur de droit civil à l'université de Gand.
Gustave Rolin conquit, en 1857, avec les plus hauts grades, les diplômes de docteur en droit et de docteur en sciences politiques et administratives à l'université de Gand. En 1869, il ajouta à son patronyme le nom de sa femme, Emilie Jaequemyns.
Rolin-Jaequemyns se sentait le goût de la science et de la politique plus que du barreau, et aurait accepté sans hésiter une chaire d'histoire politique moderne, qui lui fut offerte en 1860 à l'université de Gand, s'il n'avait craint de déplaire à son père.
Jusqu'en 1869, il se consacra, tout en plaidant, à des études historiques, politiques et sociales. Il donna notamment de nombreuses conférences dans plusieurs villes belges.
Elu, en 1863, président d'une association d'enseignement mutuel des anciens élèves des écoles communales de Gand (la Van Crombrugghe's Genootschap), il y donna une série de causeries en flamand sur la Constitution belge. Ces conférences furent publiées en deux volumes ; deux éditions en furent vite épuisées. En 1864, il publia une étude sur la situation des partis en Belgique ; en 1866, une autre étude sur les projets de réforme électorale préconisés à cette époque. Dans ces causeries, dans ces écrits, il défendait les idées du parti libéral constitutionnel, qu'il devait plus tard représenter au Parlement et dans les conseils de la couronne. Il y combattait, notamment, la théorie du suffrage universel et d'autres théories de la démocratie avancée.
Vers la même époque, s'étant livré à l'étude du mouvement coopératif allemand et, spécialement, des associations coopératives établies selon le système de Schulze-Delitsch, il tenta de les mettre en pratique dans sa ville natale. C'est ainsi que, en 1867, il fut le fondateur, à Gand, et que, depuis lors, il ne cessa jamais d'être le président toujours réélu par acclamation, de la Gentsche Volksbank.
Durant cette même période, il prit part au congrès international de bienfaisance à Londres, en 1862, et y présenta un mémoire sur l'organisation de la bienfaisance publique et privée à Gand pendant la crise cotonnière. Il fut le principal organisateur dans sa ville natale, en 1869, du second congrès de l'Association internationale pour le progrès des sciences sociales, fondée sur le modèle de l'association anglaise For the Promotion of Social Science. En 1864 et 1865, il se rendit à Amsterdam et à Berne, comme délégué de la même association, pour y organiser, de concert avec ses amis Asser et Rivier, des congrès de même nature. Ces réunions eurent un grand retentissement. Leur principe fondamental était la liberté et le respect de toutes les opinions. Mais, en 1867, lorsque quelques hommes politiques français, qui faisaient partie de l'Association, voulurent imprimer à celle-ci un caractère exclusivement radical et révolutionnaire, Rolin-Jaequemyns fut de ceux qui refusèrent le plus énergiquement de s'associer à eux.
A partir de 1869, il quitta le barreau pour se consacrer à la direction et à la rédaction de la Revue de Droit international fondée par lui en collaboration avec les juristes Asser et Westlake. A l'exception des six années qu'il passa au ministère de l'intérieur, il ne cessa de diriger cette importante publication et d'être son principal rédacteur jusqu'au moment où il partit pour l'Extrême-Orient, en 1891.
En 1873, il fut élu membre de l'académie de Belgique. La même année, sur son initiative, quelques-uns des jurisconsultes les plus autorisés en matière de droit international se réunirent à Gand et fondèrent l'Institut de droit international.
Elu à la Chambre des représentants en juin 1878 et invité immédiatement après par l'illustre chef du parti libéral constitutionnel, Frère-Orban, à faire partie du cabinet qu'il était appelé à former, Rolin-Jaequemyns fut ministre de l'intérieur de 1878 à 1884, c'est-à-dire pendant les six dernières années que le parti libéral passa au pouvoir sous le règne de Leopold II. Ce furent six années de luttes, pendant lesquelles Rolin-Jaequemyns fut l'objet préféré des plus violentes attaques dans le Parlement et dans la presse. Cléricaux et radicaux lui en voulaient également et le lui dirent sans mesure. Mais jamais ne fut mise en cause son honorabilité personnelle.
Ayant perdu son mandat parlementaire aux élections de juin 1886, il reprit activement la direction de la Revue de droit international, fonctions où il s'était acquis une réputation mondiale. Mais, après avoir sacrifié pour les siens une opulente fortune, il résolut, en 1891, de s'expatrier et de se faire une nouvelle carrière, à un âge où d'autres songent à la retraite.
Il se rendit en Egypte et y fit la connaissance du prince Damrong, ministre de l'intérieur du Siam. Le gouvernement égyptien avait offert à Rolin-Jaequemyns les fonctions de procureur général auprès des tribunaux mixtes. Mais, ayant déjà promis son concours au prince Damrong pour la réforme des institutions siamoises, notre compatriote dut décliner l'offre du Khédive. Il s'embarqua bientôt à destination de Bangkok, où il reçut en septembre 1892 le titre de conseiller général (General Adviser).
Rolin-Jaequemyns fut, au Siam, l'âme du mouvement des réformes. Il fut aussi l'inspirateur de la politique qui permit à ce vieux royaume de résister à l'emprise française et de surmonter la terrible crise de 1893. Créé à son initiative, un Conseil législatif assista le roi Chulalongkorn, dès 1895, dans l'exercice du pouvoir en discutant et en préparant les lois. La législation s'enrichit d'un code de procédure civile, d'un code pénal, d'un code forestier, d'une loi sur l'organisation municipale et d'un grand nombre d'importants décrets, comme celui abolissant graduellement l'esclavage pour dettes. L'organisation judiciaire fut radicalement transformée. Dans les départements des travaux publics, des mines et des finances, l'influence de Rolin-Jaequemyns se fit aussi sentir d'une manière prépondérante. On peut dire que le Siam, de 1892 à 1901, fut, grâce à Rolin-Jaequemyns et ses collaborateurs, les Kirkpatrick, Cattier, Orts, Schlesser, et plusieurs autres jurisconsultes belges, plus profondément modifié qu'au cours de plusieurs siècles. Cette œuvre tient du prodige. Mais Rolin-Jaequemyns y épuisa ses forces. Au milieu de 1901, le gouvernement de Bangkok lui proposa de fixer désormais sa résidence en Europe, tout en continuant à aider de ses conseils et de son expérience le personnel diplomatique du Siam. Rolin-Jaequemyns vint donc habiter Bruxelles. Mais, en novembre, il dut s'aliter. Une bronchite et une affection cardiaque eurent raison de sa vigoureuse constitution. Il mourut dans sa résidence de la rue de la Loi.
Dès les débuts de l'œuvre léopoldienne au Congo, Rolin-Jaequemyns s'était fort intéressé aux problèmes que soulevait, en matière de droit international, la prise de possession de territoires au centre de l'Afrique. Car il faisait autorité en droit des gens.
Dans ses Chroniques du droit international, Rolin-Jaequemyns avait inauguré un genre nouveau. Il y narrait les événements saillants et y examinait, dans un esprit libre, la légitimité des actes accomplis par les gouvernements. C'est là, notamment, qu'il commenta les diverses phases de l'œuvre congolaise de Leopold II.
Rolin-Jaequemyns vit dans la fondation de l'Etat indépendant du Congo un phénomène nouveau et jusqu'alors unique dans l'histoire du droit international. Selon lui, c'était une « colonie internationale, sui generis, fondée par l'Association internationale du Congo, dont le généreux promoteur a été investi, par la reconnaissance et la confiance de tous les Etats civilisés, du pouvoir et de la mission de gouverner, dans l'intérêt de la civilisation et du commerce général, des territoires africains compris dans certaines limites conventionnellement déterminées ». Rolin-Jaequemyns écrivit en outre de pénétrantes chroniques à l'occasion de la conférence de Bruxelles sur la suppression de la traite (1889-1890).
Par décret du Roi-Souverain, en date du 16 avril 1889, avait été créé un conseil supérieur de l'État indépendant du Congo. C'était une cour suprême, dont le siège était à Bruxelles. Il était appelé à jouer le rôle d'une cour de cassation, « connaissant des pourvois dirigés contre tous jugements rendus en dernier ressort en matière civile et commerciale, et des prises à parties ». Rolin-Jaequemyns y fut nommé conseiller le 21 août 1889 et vice-président le 5 décembre 1890. Mais son départ pour l'Egypte, puis pour le Siam, ne lui permit plus d'y siéger. Bien qu'éloigné de la mère-patrie et assailli de soucis de tous genres dans ses hautes fonctions de ministre plénipotentiaire et de conseiller général du roi de Siam, il ne cessa de se préoccuper de l'avenir de l'Etat indépendant du Congo. C'est ainsi qu'en 1898 encore, lors d'un séjour au Japon, il s'efforça de faire accueillir, par le gouvernement nippon, le projet d'un traité avec l'Etat du Congo.
Quand nous aurons dit que Rolin-Jaequemyns était aussi président d'honneur de l'Institut de droit international, membre de la cour permanente d'arbitrage de La Haye, professeur honoraire de l'université libre de Bruxelles et docteur honoris causa des universités d'Oxford, de Cambridge et d'Edimbourg, nous aurons achevé l'énumération des nombreux titres dont, à sa mort, était porteur celui dont Félicien Cattier a pu écrire qu'il avait été l'un des artisans les plus remarquables de la greater Belgium.