Piedboeuf Jean, Théorodre libéral
né en 1837 à Jupille décédé en 1879 à Jupille
Représentant entre 1872 et 1879, élu par l'arrondissement de Liège(Extrait de l’Echo du Parlement, du 28 novembre 1879)
Nécrologie
Nous avons à annoncer à nos lecteurs une nouvelle bien triste et malheureusement trop prévue.
M. Th. Piedboeuf, représentant, ancien conseiller provincial et bourgmestre de Jupille, est mort ce matin à peine âge de 42 ans.
M. Piedboeuf avait fait de solides études de notre Université, qu'il avait ensuite complétées par un séjour Paris. Portant un nom populaire et étant très sympathique. il très jeune encore été nommé conseiller provincial par les cantons de Liége, el avait ensuite été appelé à représenter l’arrondissement de Liège à la Chambre.
Esprit judicieux et honnête, caractère ferme, il jouissait à la Chambre de l'estime de ses collègues. Appelé à s'occuper des affaires industrielles de sa famille, qui était embarrassées. il avait eu à lutter contre des difficultés et des revers qui avaient miné sa santé, sans abattre son courage. Aussi la considération dont il jouissait avait permis d'aplanir honorablement toutes les contestations qu’une situation gênée avait soulevée.
La mort de M. Piedboeuf est une grande perte pour la commune de Jupille, qui administrait avec autant de fermeté que d'intelligence ; à la Chambre, il représentait surtout les intérêts industriels et agricoles de l'arrondissement, et son obligeance l'avait rendu très populaire dans nos campagnes.
Son enterrement civil aura lieu dimanche prochain, à trois heures.
(Extrait de la Meuse, du 1 décembre 1879)
Funérailles de M. Th. Piedboeuf, représentant
Les funérailles civiles de M. Piedboeuf, représentant et bourgmestre de Jupille, ont eu lieu hier, à 3 heures de relevée, dans cette commune, avec une g rande pompe et au milieu d'un immense concours de monde. Jamais on n'avait vu à Jupille pareille affluence ; la foule était tellement grande que l'on pouvait à peine arriver a la maison mortuaire. On compte par milliers le nombre de personnes qui se sont rendues de Liége à ces funérailles ; le train, parti de Longdoz à 2 heures, en contenait plus de mille. Toute la commune était sur pied ; tous les amis de M. Piedbœuf, tous ses administrés avaient voulu donner un dernier témoignage de sympathie à la mémoire de ce représentant, de ce bourgmestre si dévoué, si aimé de ses concitoyens.
Le drapeau national, recouvert d'un crêpe, flottait au-dessus du bâtiment de la gare ; toutes les fenêtres des maisons étaient fermées en signe de deuil ; on ne voyait partout que des drapeaux noirs ; les réverbères allumés étaient également voilés de noir.
A 2 1/2 heures, arrivait à Jupille, musique en tête, un bataillon du 11ème de ligne, sous le commandement du colonel de ce régiment, pour rendre au défunt, en sa qualité de député, les honneurs militaires.
Bientôt après, huit voitures , parties à deux heures et quart de la gare des Guillemins, amenaient la députation de la Chambre et autorités qui l'accompagnaient. Cette députation se composait de MM. Guillery, président de la Chambre, Léon d'Andrimont, secrétaire, de Lhoneux, Washer, Le Hardy de Beaulieu. Puissant, Mondez, Bergé, Demeur, Gillieaux, de tous les représentants de Liége, MM. Frère-Orban, ministre des affaires étrangères , Mouton. de Rossius, Dupont, Jamar Warnant et Neujean, et M. Huyttens, greffier de la Chambre des représentants.
Les députés, arrivés de Bruxelles par train spécial, sous la direction d'un fonctionnaire supérieur de l'administration du chemin de fer, avaient été reçus à la gare par M. le gouverneur de Luesemans, M. Jamme, commissaire d'arrondissement, M. Mottard, bourgmestre de Liége, tous en grand uniforme, ainsi que par MM. Libert, Donckier, Germeau, Cornet, membres de la députation permanente, et Angenot, greffier provincial.
Un escadron de chasseurs à cheval attendait également à la gare la députation de la Chambre et l’a escortée jusqu’à Jupille.
Le cercueil du regret té M. Piedboeuf, recouvert de l'écharpe de bourgmestre, était déposé dans un des salons de son habitation, transformé en chapelle ardente.
Deux discours ont été prononcés à la maison mortuaire, par M. le président Guillery et par M. Frère-Orban.
M. Guillery s’est exprimé en ces termes :
« Messieurs,
« La Chambre des représentants vient se joindre à la famille de M. Piedboeuf, à ses administrés, à ses nombreux amis, à tous ceux que réunit en ces lieux une commune douleur pour rendre les derniers devoirs à un collègue regretté.
« Que de fois la mort dans ces derniers temps a frappé des hommes pleins de vie, ayant dans le monde un rôle marqué, un devoir nécessaire !
« En nous inclinant devant ces terribles décrets, chacun de nous se sent porté à s’efforcer de compenser, par la loyauté de l’hommage rendu la mémoire d'amis sitôt enlevés, la rigueur du sort qui les frappe.
« Piedboeuf était bien Liégeois de tout son cœur ; il avait cette largeur de main cette face ouverte qui attire et assure la popularité. Instruit et doué d'une éloquence naturelle, il aimait les arts et aimait à en répandre le goût autour de lui.
« Il entra jeune dans la carrière politique par le Conseil provincial; il se montra tout d'abord actif, intelligent ; la franchise de ses opinons et de ses manières le révéla bientôt tel qu'il fut toute sa vie : profondément convaincu et d'une fidélité à toute épreuve. Ses concitoyens le jugèrent digne de figurer dans cette vaillante députation liégeoise qui a inscrit dans notre histoire de si glorieux souvenirs.
« Il fut pendant sept ans notre collègue, nous l'avons vu, luttant contre une maladie qui ne pardonne pas et conservant encore la force d'accomplir de rudes travaux. Il fut, l'année dernière, rapporteur du budget dès travaux publics. Ce fut moitié chez lui, moitié à Bruxelles, obligé de s'interrompre quand les forces lui manquaient, qu’il parvint à terminer son rapport.
« On peut dire de lui que son courage fut au-dessus de sa fortune et que sa persévérance fut inébranlable.
« Devant ce mystère que la mort ouvre devant nous, il nous est permis d'espérer que ceux qui ont beaucoup aimé et beaucoup souffert trouvent dans une seconde vie - la véritable - les joies que le monde leur a refusées.
« Vous tous qui avez été l'objet de ses plus chères affections, pénétrez-vous de cette pensée et de cette suprême espérance.
« Dans ce noble pays de Liége, où l'on a la religion du souvenir et la mémoire du cœur, on n’oubliera pas un homme bon, généreux et justement populaire, on conservera à sa veuve et à ses enfants le précieux héritage de l'estime publique. »
Voici comment s'est exprimé ensuite M. Frère-Orban parlant au nom de la députation liégeoise :
« Je n'ai rien ajouter, Messieurs, au discours que vous venez d'entendre ; je veux dire seulement, au nom des membres de la députation de Liége et au mien. un dernier adieu au collègue regretté que nous avons perdu.
« Il était bon, dévoué à ses devoirs, d'une fermeté inébranlable dans ses opinions.
« Il a marché résolument dans sa voie, à ses amis, charitable pour ses ennemis.
« Durant sa vie, il n'avait de comptes à rendre de ses convictions religieuses qu'à sa conscience ; mort, il n'a que Dieu pour juge.
« Nos respects sont dus à ceux qui n’écoutent ce sujet que cette voix intime qui est en nougs l'écho de la divinité ; vivants ou dans la tombe, leurs actes ou leur mémoire sont protégés enfin, après des luttes sanglantes et séculaires, par la liberté de conscience.
« Adieu ! cher et regretté collègue, adieu. »
Après ces discours, prononcés au milieu d'un solennel recueillement , un immense cortège s'est formé pour conduire au cimetière les restes mortels de M. Piedboeuf.
La musique de l'armée ouvrait la marche ; derrière elfe, suivaient las Fanfares de Jupille, les enfants des écoles et le personnel enseignant, la Société des Artisans, le Cercle Franklin de Jupille, les Cercles dramatiques, la Société des étudiants de l'Université de Liége, l’Harmonie Charlemagne, toutes ces sociétés précédées de leur drapeau couverts de longs crèpes, les ouvriers de l'établissement Piedboeuf, etc., etc.
Le cercueil était porté par les huissiers de la Chambre des représentants. Le deuil était conduit par les membres de la famille du défunt. Outre les députés et les autorités que nous avons déjà citées, on remarquait dans le cortège M. le comte de Looz, sénateur et colonel commandant la garde civique de Liége, un grand nombre de conseillers provinciaux et communaux, M. Trasenster, recteur de l'Université et plusieurs professeurs, des magistrats de la Cour d’appel, M. Bourgon, directeur du Moniteur, des fonctionnaires supérieurs des diverses administrations de notre ville, l'administration communale de Jupille, les membres de la Loge de Liége et une foule de notabilités industrielles, etc., etc.
Des salves de mousqueterie ont été tirées au moment de la sortie du cercueil cie la maison mortuaire ct au moment de son entrée au cimetière. Quatre discours ont été prononcés sur la tombe :
Par M. Trillet, échevin, au nom de l'administration communale ;
Par M. G. Clermont au nom de la Loge Maçonnique de Liége, dont partie ;
Par M. Destordeur, instituteur, au nom du personnel des écoles ;
Et enfin, par M. Witmeur, secrétaire de la Société des Artisans Réunis.
Après ces discours, la foule innombrable aux abords du cimetière s’est écoulée en silence et la députation de la Chambre a repris la route de Liége, toujours accompagnée de son escorte.
Voici les discours prononcés au cimetière :
Discours de M. Trillet :
« Messieurs,
« La commune de Jupille vient de faire une perte irréparable ! L'homme de bien, le citoyen d'élite qui présidait à ses destinées, n'est plus. Tout à l'heure les délégués de la représentation nationale disaient le soin consciencieux, le dévouement sans bornes qu'il a apportés, dans une sphère plus vaste, à la gestion de la chose publique. Au moment suprême où sa dépouille mortelle va descendre dans la tombe, il appartient à l'autorité communale, au nom de la commune à qui il a rendu tant de services et qui portera longtemps son deuil, de venir témoigner qu'il a bien mérité de ses concitoyens.
« Il était né et avait grandi au milieu de nous et, grâce à une éducation solide, un travail sans relâche, il fut de bonne heure notre orgueil et notre espoir. Il ne s'était pas contenté de ce diplôme de docteur en droit qui lui ouvrait l'accès du barreau.
« Après avoir prêté serment en qualité d'avocat,. il tint à s'assimiler les principes du droit politique et administratif, et en peu de temps Il parvint à subir les épreuves qui donnaient ses connaissances et ses talents une nouvelle consécration.
« Nous ne le suivrons pas dans la carrière judiciaire qu'il ne tarda pas, du reste à abandonner pour se livrer aux travaux de l'industrie.
« A partir de ce moment, il vint définitivement se fixer parmi nous. Chacun de nous connaît les œuvres nombreuses auxquelles il attacha son nom. Prodiguant tous les trésors de sa générosité et, de son talent, il anima de son souffle vigoureux nos nombreuses sociétés et, sous sa con- duite, nos phalanges musicales remportaient dans des tournois multiples des palmes glorieuses.
« Son nom aimé, la réputation de loyauté de sa famille devaient bientôt ouvrir devant lui un champ d’activité plus étendu.
« Jaloux d’être utile son pays, il brigua et obtint l'honneur de représenter le canton au Conseil provincial et il ne tarda pas devenir le rapporteur justement apprécié de la commission de budget. Sage et néanmoins amoureux du progrès, il tint à apposer sa signature au bas de toutes les propositions dont cette assemblée prit l'initiative et qui forment comme le commentaire de la charte du libéralisme. Aussi est-ce en connaissance de cause qu'en 1872 l'arrondissement, d'une voix unanime, l'appela à siéger à la Chambre au nombre de ses représentants.
« Ce qu'il a rendu de services au pays en cette qualité, personne ne l'ignore. Naguère encore, alors que déjà les premiers germes de la maladie qui devait l'emporter si rapidement, se manifestaient aux yeux clairvoyants de ses amis alarmés, il élaborait sur le budget des travaux publics un rapport lumineux qui attirait, à juste titre, sur lui l'attention publique.
« Mais, quelque graves que fussent ses préoccupations, il n'oubliait pas sa chère commune de Jupille.
« Après avoir siégé longtemps en qualité de conseiller, il fut appelé en 1878 à présider ses destinées, et c'est à elle qu'il donna la meilleure partie de lui-même. Que d'améliorations il a su réaliser en un court espace de temps ! La voirie publique transformée, les écoles construites, l'enseignement fortement organisé attestent et sa grande influence et son ardeur au travail, et la largeur de vues qui le dirigeait toujours.
« Le conseil communal de Jupille était d'autant plus fier de son chef, d'autant plus heureux de le suivre, que s'il savait se faire écouter et respecter, il admettait toutes les observations, entendait toutes les critiques et cherchait faire oublier à force de modestie et de délicatesse sa supériorité incontestée.
« Quel est celui de nos concitoyens à qui il n'ait rendu de nombreux et signalés services ? A toute heure sa porte était ouverte à ceux qui avaient un conseil à lui demander, un appui à implorer. Il se faisait l'égal de tous ; tous les malheureux surtout trouvaient chez lui des paroles qui allaient au cœur, des conseils simples et dictés par le bon sens, une générosité qui s'oubliait elle-même; et ils le quittaient avec la gratitude dans l'âme et le courage nécessaire pour triompher virilement des difficultés de l'heure présente.
« Hélas! nous ne pensions pas que cette fermeté de caractère qu'il recommandait aux autres, il devrait bientôt montrer qu'il savait la pratiquer lui-même. Depuis quatre mois, il était couché sur son lit de douleurs; l'Inquiétude se manifestait partout, lui seul cherchait à réconforter ceux qui avaient le bonheur de l'approcher, et au sortir des crises les plus violentes, il avait de ces paroles pleines d'une émotion sereine qui eussent fait renaitre l'espoir, si l’espoir avait encore été possible.
« Tout est fini : La Providence a rappelé à elle, après une trop courte carrière, notre cher bourgmestre !
« La commune le pleure comme le meilleur de ses enfants. Battu par l'orage, courbé sous le poids de l’adversité, il a fini par succomber et il est allé dans un monde meilleur revoir ces êtres aimés, membres de sa famille, qui furent comme lui les bienfaiteurs de Jupille.
« Puisse la douleur générale être pour les siens, pour sa veuve et ses enfants qu'il aimait tant, pour ses frères qui n'ont pas cessé de lui prodiguer leurs soins affectueux, pour ses parents qui ont été les amis et les soutiens des mauvais jours, une consolation et un espoir !
« Théodore Pledbœuf, ton souvenir restera impérissable parmi nous ! Au nom du Conseil communal, au nom de tous les habitants de Jupille, adieu ! ! »
[Les trois autres discours repris dans le même journal et dans le journal du lendemain, ne sont repris dans la présente version numérisée.]
Parmi les membres de la Chambre que le sort avait désignés pour faire partie de la députation chargée de représenter cette assemblée aux funérailles de M. Piedbœuf, se trouvaient plusieurs députés catholiques qui n'ont pas cru devoir y venir, dans la crainte sans doute de s'attirer, par leur présence à un enterrement civil, les blâmes des feuilles cléricales. Voilà comment ces messieurs savent respecter le grand principe de la liberté de conscience !
(Extrait de la Meuse, du 2 septembre 1880)
Le Conseil communal de Jupille, voulant perpétuer la mémoire des bienfaits de MM. Jean-Pascal et Jean-Théodore Piedbœuf l'égard des pauvres de cette localité a décidé de placer leurs portraits dans la salle des Mariages de la maison communale.
On peut voir, à partir d'aujourd'hui, ces portraits au Passage Lemonnier, à la montre de Mme Franchioly, où ils resteront exposés pendant quelques jours.
Admirablement photographiés, ils sont richement encadrés et rehaussés par une élégante dédicace calligraphiée. Elles sont conçues dans ces termes :
« Pour M. Jean-Théodore Piedbœuf, 12 juin 1875 : Hommage au bienfaiteur des pauvres. »
« Pour Jean-Pascal Piedboeuf, 22 août 1879. Avec le même hommage. »